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lundi 19 février 2024

Villeconin, Saudreville : 2 châteaux, des fermes vénérables… et le printemps


(Rendez-vous en fin de notule pour des élaborations sur le pourquoi de ces marches.)



Pour une lecture dans une mise en forme correcte (images proportionnelles, alignements…), je vous recommande plutôt la lecture sur Carnets sur sol (boueux), la déclinaison pédestre et méditative de Carnets sur sol.

Suite de la notule.

dimanche 14 janvier 2024

Desmarest & Campra – Iphigénie en Tauride, ou Électre superstar


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Une œuvre qui faillit ne jamais être achevée… et ne jamais être redonnée.

Joseph-François Duché de Vancy et Henry Desmarest commencent à écrire une Iphigénie en Tauride en 1695, dans cette période particulière où LULLY est mort, où le roi ne s'intéresse plus guère à la musique depuis longtemps, et où le public boude la plupart des nouvelles tragédies en musique – tandis qu'il s'enthousiasme pour la nouveauté du ballet à entrées (chaque acte constitue une micro-intrigue avec une couleur locale forte, sur le modèle de L'Europe galante de La Motte & Campra). C'est pourtant le moment où les livrets sont les plus ambitieux, osant des fins réellement tragiques, et où la musique ose puiser à davantage d'italianité : contrepoint, harmonies, solos virtuoses s'accumulent. Les opéras de Desmarest restent assez nettement dans la filiation LULLYste, mais ceux de Charpentier, Jacquet de La Guerre, Marais, Campra, Destouches osent quantité de gestes nouveaux, avec une théâtralité souvent beaucoup plus hardie.




1. Le livret

Ici, le sujet proposé par l'Académie Royale de Musique est inspiré par le projet d'un Oreste & Pylade commandé à François-Joseph de Lagrange-Chancel pour la Comédie-Française. Cependant la pièce n'est livrée qu'en 1697, et les librettistes ne pouvaient donc avoir une connaissance précise. Les choix dramaturgiques en sont aussi différents que possible : dans la tragédie de Lagrange-Chancel, Thoas s'est épris d'Iphigénie et délaisse la princesse scythe Thomiris à laquelle il a promis le mariage – l'intrigue se dénoue par la mort de Thoas dans la bataille qu'il livre aux Grecs venus dérober l'image de Diane.

Dans la tragédie en musique écrite par Duché de Vancy (l'auteur du livret de Céphale & Procris de Jacquet de La Guerre) et achevée par Danchet (l'auteur du livret de plusieurs grands Campra, comme Tancrède ou Idoménée), le centre de gravité est totalement différent. Certes, Thoas s'y trouve aussi au centre, mais cette fois-ci, il soupire pour Électre, qui a fait le déplacement avec Oreste et Pylade (auquel elle est fiancée) pour les protéger. La princesse argienne feint ainsi d'accepter la main du tyran barbare pour garantir la vie de son frère et de son amant – tout en projetant de se donner la mort ensuite. Évidemment, elle est d'abord maudite par Oreste pour s'être ainsi donnée, avant que de révéler son geste généreux. Les deux duos de non-reconnaissance, puis de reconnaissance entre Iphigénie et Oreste sont très touchants, mais Électre se trouve réellement au pivot de l'intrigue, comme le personnage le plus entreprenant et le plus courageux, celui qui peut réellement opérer des choix, tandis que Thoas se trouve balloté par ses affects (et l'opposition des dieux, avec une grande tempête qui interrompt la fête d'hyménée) et que les Grecs se trouvent tout simplement… prisonniers.

Ce motif est à ma connaissance une invention de Duché de Vancy, je ne l'ai vu nulle part (et en tout cas pas chez Lagrange-Chancel) ; passé la surprise première, je le trouve très astucieux, on réutilise un personnage connu (on précise même qu'elle est née après le ravissement d'Iphigénie) tout en conservant son tempérament volontaire, et en lui fournissant une intrigue amoureuse secondaire – comme on en ferait pour Alcide ou Achille. Il est assez inhabituel de rencontrer des héroïnes aussi entreprenantes (ou alors ce sont des sorcières comme Armide, Circé, Médée ou Alcine), et celle-ci cadre assez bien avec son profil mythologique. Je suis d'autant plus amusé qu'on peut retrouver Électre à nouveau loin d'Argos dans une autre situation – Danchet, dans Idoménée, la place comme la promise délaissée d'Idamante (le fil du roi de Crète), avec plusieurs scènes de dépit et de colère (dans le goût de l'Herminie de l'Andromaque de Racine).

Le livret se termine de façon joyeuse pour pouvoir ménager la chaconne finale, de façon pas très ambitieuse : après la scène de reconnaissance, les Grecs sont trahis au moment d'enlever la statue de Diane et la bataille menace de faire périr tout le monde… à ce moment, les librettistes font le choix du gros deus ex machina bien gras et pataud, avec l'apparition de Diane qui, exactement comme chez Guillard plus tard (pour Gluck), fait la leçon aux Scythes de ne même pas bien parler grec, et confie son image aux Grecs venus la voler.

Au demeurant, je trouve le livret très bien bâti, avec des actes bien identifiés et utiles, ce qui n'est vraiment pas systématique dans la tragédie en musique – où il est fréquent que des moitités d'action se sépare entre des actes, et où les divertissements paraissent souvent artificieux.
I : Iphigénie et Thoas se plaignent (séparément) de leur situation.
[Divertissement : prières et danses scythes.]
II : Tourments d'Oreste.
[Apaisement par Diane.]
III : Négociation d'Électre, rompue par l'oracle de l'Océan.
[Danses de mariage et tempête.]
IV : Préparation de la fuite par Iphigénie, sans reconnaissance.
[Rituel de purification.]
V : Reconnaissance et dénouement.
[Chaconne de réjouissance.]



2. La catastrophe dans le monde réel

Seulement, voilà, Desmarest se remarie avec une jeune femme de dix-neuf ans, certes consentante, mais sans l'aveu du père, médecin à la Cour. Condamné par contumace en 1700, il est pendu en effigie en place de grève pour « séduction et rapt ». Louis XIV, très mécontent de son inconséquence, ne fit lui fit jamais grâce, et Desmarest ne put revenir en France que sous la Régence, sans pouvoir cependant obtenir aucune charge à la Cour. Il est vrai que son style très LULLYste (en un peu plus coloré) devait paraître tout à fait hors de saison en 1720, époque à laquelle les galants ballets à entrée triomphaient, et où le style italianisant beaucoup plus complexe et extraverti était en vogue avec les cantates de Morin, la musique sacrée de Blamont, et même le début de la carrière de Francœur & F. Rebel !
[Il nous a cependant laissé quantité de belles choses – sacrées en particulier – issues de son séjour à la Cour de Lorraine.]

Et notre Iphigénie en Tauride n'était pas achevée. Francine, le directeur de l'Académie Royale de Musique (alors en grave difficulté financière, car il s'agissait d'une entreprise privée) charge Campra d'achever ce qui doit l'être, quantité de choses au sein de chaque actes, et le Prologue en entier. Succès limité à la création de 1704, mais grand succès à la reprise de 1711.

La partition publiée par Ballard en 1711 indique explicitement ce qui appartient à chaque compositeur. Globalement, Desmarest a composé les premiers actes (avec quelques trous, comme les visions d'Iphigénie à l'acte I) et n'a pas achevé la fin. Le Prologue, la fin de l'opéra, les deux duos entre frère et sœur sont de la main de Campra. Mais je suis frappé du respect par celui-ci du style général de l'œuvre : non seulement on n'entend pas nettement de ruptures, mais jusque dans les parties totalement laissées à sa fantaisie comme le Prologue, Campra adopte la manière de Desmarest – davantage de place à l'écriture en accords et à la couleur, moins de contrepoint et de virtuosité que chez Campra qui, quoique né à deux mois d'écart, est en général beauccoup plus marqué par l'influence ultramontaine : harmonies sophistiquées, solos instrumentaux, volutes vocales, travail sur le contempoint.

On a donc bel et bien l'impression d'entendre un opéra de Desmarest de bout en bout – vraiment, j'aurais juré que le Prologue appartenait à Desmarest avant que de lire les érudites précisions apportées par Benoît Dratwicki dans le programme de salle.

[Mais vu que personne ne peut le vérifier, je vais plutôt me vanter du contraire : faites-moi penser à corriger ce paragraphe et à écrire plutôt « malgré la tentative d'imitation très réussie de Desmarest, Campra n'a pu tromper un spécialiste génial et profond tel que moi, et j'ai immédiatement relevé les quelques enchaînements caractéristiques qu'il n'a pas eu la finesse de gommer ». Je compte sur vous pour me le rappeler avant la publication, il en va de ma réputation.]

Seconde catastrophe : le Concert Spirituel devait déjà remonter l'œuvre en 2007 au Festival de Montpellier, dans la foulée du succès éclatant de Callirhoé (recréée à Beaune en 2005 et donnée à Montpellier l'année suivante dans une version mise en scène). Mais, pour une raison qui n'a jamais été communiquée, le projet a été annulé et France Musique a diffusé le… Don Giovanni donné à la place. Certes, les couleurs et l'urgence, du Concertspi, la tension de Cyril Auvity en Ottavio constituaient un rare bonheur, mais pour ce qui est de la découverte du répertoire, le compte n'y était pas. J'ai attendu un an, puis deux, puis trois… et me suis finalement résigné à ne peut-être la réentendre de ma vie. Ou alors un jour où je n'y croirais plus. Et ce fut finalement le cas, inespéré, par le même ensemble ! (mais pas du tout les mêmes artistes, évidemment)



3. Des surprises musicales

De même que le livret, la partition est une réussite : quelques très belles pièces comme les deux duos fraternels entre Iphigénie et Oreste, beau livret et mise en musique assez lyrique et généreuse, mais aussi et surtout beaucoup de gestes réellement originaux que je n'avais pas entendus ou lus ailleurs, en tout cas pas dans cette génération-là !

Les fureurs d'Oreste sont écrites avec une grande variété d'intonations, ce n'est pas simplement une scène homogène comme un air, toute la musique s'adapte à l'évolution du texte de façon très plastique, le résultat en est très impressionnant.

¶ Étonnant concertato familial à 4 (Électre, Iphigénie, Pylade, Oreste qui chantent chacun une partie différente) lors du dénouement du cinquième acte… ce type de situation est caractéristique du grand opéra à la française au XIXe siècle (et auparavant des scènes de stupeur dans le belcanto romantique italien, du type opéras bouffes de Rossini ou grands ensembles comme dans Lucia di Lammermoor de Donizetti), mais il est très rare que les personnages chantent simultanément à plus de deux dans la tragédie en musique pré-ramiste !  (Et même chez Rameau, ce n'est pas systématique du tout, je pense spontanément surtout au quatuor « Tendre amour » des Indes Galantes et au Trio infernal avec chœur de Castor & Pollux.)  Rien de révolutionnaire musicalement, mais ils chantent tous ensemble une réjouissance comme à la fin d'un opéra de Haendel, et c'est surprenant.

¶ Malgré ses superbes récitatifs ambitieux, je crois que le sommet de la partition réside dans les danses !  Pas nécessairement sa chaconne finale qui ménage de belles ruptures, plutôt le paradoxal ballet champêtre suscité par Diane pour apaiser les fureurs d'Oreste à l'acte II, d'un ton très direct et campagnard, qui évoque davantage les ballets aux aspects plus « populaires » réalisés dans plus loin dans le XVIIIe siècle par Boismortier (Ballets de village, 1734), Grétry ou Gossec (Le Triomphe de la République, 1793).
Et surtout, les danses scythes de l'acte I, qui réussissent à conserver la grammaire du ballet de tragédie en musique tout en trouvant réellement des accents sauvages de barbares mal dégrossis. Tout à fait inattendu et particulièrement jubilatoire !

Très belle découverte, qui valait assurément ma patience et ma constance !

Cependant, je n'ai pas passé une très bonne soirée. « Pourquoi donc Monsieur Sursol », me demandez-vous ébaubis après que vous passâtes dix minutes à lire mes investigations passionnées et mes éloges ininterrompus ?

Cela me donnera l'occasion d'explorer quelques autres aspects, du côté des conditions pratiques de représentation.


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4. Une technique vocale d'un autre âge

La question est à entrées multiples, et il n'est pas évident d'y répondre de façon ordonnée. J'ai souvent évoqué mon problème ici avec les voix à la mode dans la tragédie en musique, mal calibrées par ce type d'œuvre, car constituées dès l'origine pour chanter de l'opéra XIXe avec des tessitures tendues vers l'aigu, une couverture vocale indispensable, une diction secondaire et une émission souvent plutôt en bouche que dans les fosses nasales (qui permettent de mieux projeter et de résonner avec plus de clarté).

C'est un problème récurrent (et assez préoccupant pour moi), mais force est d'admettre que, si la distribution ne me tentait pas beaucoup de prime abord, tous tirent le meilleur de leur instrument – Véronique Gens (Iphigénie) conserve une véritable clarté, son verbe haut, et plus d'assurance et de projection que dans de précédentes soirées ; Reinoud Van Mechelen (Pylade) a vraiment fini par se couler avec justesse dans la tragédie lyrique des origines (le style et la voix ont vraiment beaucoup progressé, davantage de mordant et de transparence) ; Thomas Dolié (Oreste) couvre toujours beaucoup trop, mais la générosité et l'abandon qu'il met dans ses mots emportent tout…
Pour Olivia Doray (Électre), c'était peu intéressant du second balcon mais très bien réalisé depuis le parterre ; quant à David Witczak (Thoas), toujours une voix étonnante : elle sonne faiblement au parterre mais on entend exactement le même volume tout au fond de la salle !  (l'émission manque quand même de liberté et les couleurs de variété pour camper ce type de méchant charismatique, à mon sens)

Donc ce soir-là, pas le grand frisson de mes voix chouchoutes, mais clairement une exécution engagée de la part des chanteurs, qui permettaient de compenser assez largement mes préventions esthétiques / le cahier des charges non totalement rempli / mon goût personnel.

Ce sont quatre autres problèmes qui ont vraiment pesé sur mon ressenti.



petit_choeur.jpg
La disposition avec hautbois et bassons devant, les violons au second plan et le « petit chœur » de la basse continue au centre de l'arc de cercle,
perçue depuis la distance d'un théâtre à l'italienne du début du XXe siècle.




5. Une salle du XXe siècle

Le premier problème tient clairement dans la salle. Depuis le second balcon, on entendait mal les chanteurs, minuscules, écrasés par le grand orchestre. On entendait mal les cordes aussi (disposition inspirée des connaissances musicologiques, avec les vents de chaque côté du chef et les cordes en arc de cercle plus au fond), sans doute parce que reculée derrière le mur de vents et moins à l'avant-scène, le son devait rester bloqué dans la cage de scène.

Au parterre, cette question-là se réglait d'elle-même, sans bien sûr supprimer la question de la projection très faible des chanteurs. On entendait les violons plus étouffés que d'ordinaire, les chanteurs plus ténus, mais on entendait tout, raisonnablement.

La difficulté demeure au demeurant similaire dans l'Opéra Royal de Versailles, qui date de 1770 et qui est adéquat pour des accompagnements à l'orchestre complet et non – comme c'est le cas avant la réforme gluckiste des années 1770 – pour de vastes parties de l'opéra accompagnées au continuo seul, même avec un effectif renforcé comme ce soir-là.

Je n'ai pas vraiment de solution pour cela, à part de jouer les œuvres à perte dans de petits espaces rectangulaires dans des versions pour orchestre réduit. Dans la Salle des Croisades ou dans le Salon d'Hercule, c'est tout à fait bien ; dans la Galerie des Batailles, c'est difficile – et aucun de ces espaces n'était prévu pour les exécutions d'opéras. Je n'ai évidemment pas pu tester la salle de bal de Saint-Germain-en-Laye (où fut créé notamment Atys), désormais encombrée par les vitrines du Musée National d'Archéologie.



6. Attention, peinture fraîche

Plus conjoncturellement, le concert a clairement manqué de répétitions – il est un fait que depuis des années, les plannings sont toujours plus resserrés, avec la double injonction (contradictoire) de remettre au théâtre des œuvres inédites et de le faire avec moins de services (séances de répétition) qu'auparavant. Avec, souvent, un disque à la clef ! 

C'est ce qui permet à Château de Versailles Spectacles de sortir autant de nouveautés extraordinaires, mais cela explique aussi qu'occasionnellement, les délais soient un peu courts. Je ne crois pas qu'il y ait de facteur Desmarest, mais pour la remise au théâtre de Circé, ça avait été assez spectaculairement le cas.

Et en effet, pendant le Prologue et l'acte I, l'orchestre paraissait sans cesse décalé – impression confirmée chez d'autres compères habitués du répertoire et placés ailleurs –, au sein de ses propres pupitres et surtout pour suivre les chanteurs, qui n'osaient pas prendre beaucoup de libertés et qui étaient déjà un peu perdus… on sentait que les deux parties avaient peu eu l'occasion de se coordonner.
(Il ne faut pas leur jeter la pierre, encore une fois, sur un opéra de 2h40, s'il n'y a pas assez de services, on ne peut pas tout mettre au point. C'est très différent lorsqu'un ensemble réalise une tournée et peut répéter la même œuvre sur des mois – mais j'ai l'impression que ce modèle a à peu près disparu pour la tragédie en musique, et que tout se passe désormais à Paris et Versailles, même les festivals reçoivent moins de représentations qu'auparavant, et même les ensembles spécialistes locaux en font moins. Je n'ai pas vérifié côté chiffres si mon impression est fondée.)

Le résultat était en tout cas une sorte de mollesse généralisée, tout joué de la même façon (Niquet a l'habitude de tempi homogènes, mais d'ordinaire au service de l'urgence trépidante… pas ce soir), du flottement, on se regarde… on a même eu un gros moment de solitude des flûtes qui ne savent pas trop où prendre et s'arrêter.

Globalement, cela s'améliore au fil de la représentation, mais c'est forcément, côté public, un manque – pas pour les décalages en eux-mêmes, mais pour le manque d'investissement émotionnel qui en résulte, le manque de concentration sur les événements de l'action, les chanteurs plus prudents, etc.



7. Orchestre brucknérien historiquement informé

On en arrive aux deux sujets qui ont motivé cette notule, et qui sont à mon sens les plus intéressants, car potentiellement deux angles morts dans notre appréciation de cette musique. [Bien sûr, j'ai l'habitude de dire un mot des tragédies en musique inédites que je vais voir, et j'aurais sans doute un peu parlé de cette singulière place d'Électre et de ces sauvages Scythes louisquatorziens !]

Les dernières recherches musicologiques conduisent à une compréhension différente de ce qu'était l'orchestre de tragédie en musique, quasiment à rebours exact de la façon dont on l'a pratiqué aux début du renouveau baroque français dans les années 80 et 90 : en réalité, il faut un grand orchestre (on le savait, mais ça coûte cher), et un continuo (instruments de basse qui accompagnent les chanteurs) très fourni (pas une seule viole de gambe, mais comme ici deux violes de gambes et deux basses de violon, en plus des deux théorbes et du clavecin), qui ne joue pas pendant les tutti. Alors que nous étions habitués à de petits ensembles et à une basse continue qui, comme son nom l'indique, ne s'interrompait jamais.

La basse continue qui se tait lorsque les violons jouent, pourquoi pas, avec un grand orchestre de cordes avec doublures de quatre hautbois et quatre bassons, il y a suffisamment de son et de couleurs pour ne pas le requérir. En revanche, la basse continue à plusieurs, fatalement… elle est moins précise, moins mobile, moins expressive… on peut moins expérimenter d'effets, de coups d'archets qui fassent écho à la situation. Et même si on le fait, le geste est gommé – c'est le processus physique qui fait qu'un chœur de chanteurs moyens peut sonner très harmonieusement… mais il fonctionne aussi à rebours, cela lisse les intentions.
Par ailleurs, avec des chanteurs dotés d'une projection aussi ténue, cela tend à les mettre encore plus en difficulté.

J'ai bien conscience que c'est l'état de la science, et il faut bien sûr au moins l'essayer – on a désormais adopté dans les orchestres les violons de la famille française (dessus de violon plus petit, haute-contre, taille et quinte plus grands), qui paraissaient moins convaincants à l'origine parce que les musiciens les découvraient. De la même façon que l'approche sur instruments anciens a d'abord déstabilisé la plupart des mélomanes, les a privés d'aspects auxquels ils étaient attachés (le vibrato, les tempéraments inégaux par exemple) pour leur faire découvrir un autre visage des œuvres qu'ils aimaient, plus cohérent avec la façon dont elles étaient écrites… (Monteverdi ou LULLY avec orchestre de cordes, vibrato, tempo lent et tempérament égal, ça paraît vraiment très archaïque, lisse et ennuyeux.)

Pour autant, une grande tristesse m'a envahi pendant ce concert : j'en arrive au point où tout ce que j'ai passionnément aimé dans ce répertoire me glisse entre les doigts.
→ Le théâtre ?  Ce soir tout le monde était en déchiffrage avancé, même les chanteurs faisaient des fautes de texte ou de liaison.
→ La clarté des mots ?  Désormais la mode est aux voix rondes (et pâteuses), mal projetées, trop couvertes, poussant des sons peu gracieux depuis l'arrière de la bouche. On comprend très bien, en se concentrant, parce que l'orchestre reste petit et sur instruments naturel, mais il n'y a pas l'émotion directe du texte déposé avec une intention précise, une allusion, etc.
→ La précision de l'attaque ?  Maintenant qu'ils sont nombreux même au continuo, un halo enveloppe tout.

Considérant qu'en plus le langage de ces œuvres est très homogène, aussi bien dans la poésie que dans la musique, j'ai la triste impression d'en arriver au point où je peux surtout être déçu. (J'en suis au point de me demander si je ne devrais pas arrêter d'en écouter et uniquement en pratiquer pour pouvoir réaliser mes fantasmes au lieu de déplorer qu'ils ne soient pas / plus réalisés.)

Je suis un peu gêné de me retrouver dans la situation du (presque) vieux (quasiment) blasé qui voudrait que tout reste comme dans sa jeunesse, mais en réalité je crains qu'il ne gise là une véritable raison que je ne pourrai pas secouer si facilement. Autant pour les instruments d'époque (bien que né assez tard pendant le mouvement de renaissance musicologique), j'ai progressivement accepté de faire mon deuil des Mozart ronds et de trouver autre chose (dont je ne saurais désormais me passer) dans les nouvelles propositions des ensembles spécialistes, autant j'ai toujours été attiré par le caractère directe du un par partie. Je sais qu'il est en réalité peu fréquent dans l'histoire de la musique (pour Bach, où il a été largement expérimenté, il n'est en réalité pas très bien fondé, ou en tout cas anecdotique numériquement dans les exécutions de son temps, si j'ai bien compris la littérature sur le sujet), mais concrètement, ce qui me touche, c'est d'entendre une voix singulière d'instrument ou d'humain placer une inflexion précise… Pour les voix, vraiment, même dans les chœurs, le un par partie ou à tout le moins les petits effectifs changent tellement la donne en terme de précision expressive, et donc d'émotions transmises ! 

C'est une provocation que je fais souvent, mais c'est davantage une opinion impopulaire qu'une provocation : je voudrais entendre la Symphonie des Mille pour dix musiciens, voire le Crépuscule des Dieux par des chanteurs baroques accompagnés par un consort de théorbes… Pour moi, le plaisir est infiniment plus intense avec des émissions claires et antérieures, des effectifs réduits.

Or, je vois bien que ce répertoire, que j'ai tant aimé, glisse inexorablement vers tout autre chose, avec des chanteurs qui, même spécialistes, ont une technique calibrée sur les exigences du répertoire du XIXe siècle, et des effectifs instrumentaux qui tendent à s'étoffer. Je n'ai plus qu'à espérer un effondrement économique (partiel, il faut viser juste) pour retrouver des exécutions par des voix minuscules qui ne trouvent pas d'engagements ailleurs et accompagnées par dix musiciens faute d'argent.



8. Tout ça est trop grave

Dernier élément, assez considérable car il remet en cause toute la pratique historique informée. Je ne sais quelle technique était utilisée par les chanteurs d'époque – c'est très difficile, voire impossible à établir, les qualificatifs sont trop vagues (on ne connaît la physiologie de la voix que depuis la première moitié du XIXe siècle, et là encore, il n'est pas possible de recréer précisément les techniques décrites), la voix est trop liée à l'évolution de la langue, à la vie même… Cependant ils n'avaient aucune raison de couvrir les sons (modifier les voyelles pour se protéger dans l'aigu) – au contraire, les contemporains ont décrit des voix plus proches du cri – vu les tessitures très basses.

Et de fait, on peine en voyant ces sopranos chanter des rôles qui culminent au fa4 (sol sur la partition, mais au diapason à 392 Hz, c'est un ton plus bas que notre diapason actuel), ces barytons qu'on distribue dans des rôles où il faut réaliser des fa 1 (qui seraient un mi bémol à 392 Hz !).

J'ai déjà posé la question des techniques utilisées : on peut imaginer des voix émises plus en avant (ça c'est à peu près cetain), avec un larynx plus haut… Mais même dans ce cadre, à part les aigles comme Marc Mauillon, peu parviennent à faire sonner le bas de leur tessiture assez bien pour qu'on puisse imaginer un chanteur réalisant toute sa carrière dans ces notes-là.
La question se pose moins pour les ténors, les rôles de haute-contre sont plus confortables et même assez aigus, requérant du mécanisme léger dans la musique sacrée. Mais pour les sopranos, les mezzos, ténors graves (voix de taille), les barytons et les basses, clairement le répertoire les sollicite dans leurs mauvaises notes.

Je m'interroge donc sur la pertinence, les voix actuelles étant ce qu'elles sont, de respecter absolument les hauteurs et diapasons. Bien sûr, on est contraint par les instruments naturels dont l'ambitus et les bonnes tonalités sont limités, mais ce serait au fond un moindre mal de ne pas respecter les hauteurs, si cela évite de se retrouver avec des chanteurs étouffés et contraints, qui ne reflètent pas du tout le but de cette musique. Question d'équilibre et de priorités.

J'ai bien conscience de blasphémer, mais pour que le résultat soit probant, je pense qu'il faut vraiment choisir entre une émission adéquate – pourquoi ne confie-t-on pas de premiers rôles à Dagmar Šašková, Blandine Staskiewicz, Gwendoline Blondeel, qui connaissent ce répertoire par cœur et dont la voix se fond idéalement dans ses contraintes de tessiture ? – et un changement de diapason ou une transposition, en l'état ce n'est pas probant.



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Une fois plus près, ça allait mieux…



9. Tous mes sens égarés ne m'abusent-ils pas

Étonnante expérience, donc, que de découvrir une œuvre tant attendue, de l'admirer intensément, et de se sentir si mélancolique, triste peut-être. J'ai l'impression de faire le deuil d'un répertoire qui s'est changé sous mes yeux sans que je puisse rien y faire – malgré tous mes cris d'alerte.

Et si je compare autour de moi, je vois moins de fans des chanteurs que lorsqu'on était confronté aux générations précédentes (où il y avait les fans de Mellon, de d'Oustrac, d'Auvity…), avec beaucoup de commentaires similaires sur les problèmes de projection – vraiment, dans le même TCE à placement égal, l'impression générale que le volume sonore a beaucoup diminué.

Bien sûr, tout ne va pas à vau-l'eau – j'ai été ébloui par l'Acis & Galatée des Talens Lyriques, par exemple. Beaucoup d'autres étapes à venir cette saison : l'Alceste de LULLY par Les Épopées, l'Atys des Talens Lyriques (dans une distribution assez différente du disque qui vient de sortir), l'Atys des Ambassadeurs (avec une application rigoureuse des dernières découvertes musicologiques qui risque de me déplaire à nouveau, mais qui sera passionnante et à coup sûr très différente de toutes nos habitudes)… nous verrons tout cela sur le temps long.

Et je me réjouis, bien évidemment, qu'on n'ait pas totalement abandonné la remise au théâtre de tragédies en musique de l'école post-LULLYste où se trouvent les meilleures œuvres de ce répertoire !

samedi 16 décembre 2023

Sonntag aus Licht : le dimanche récapitulatif de Stockhausen

Je voulais consacrer une longue notule à cette expérience hors du commun, en deux soirées (Cité de la Musique le vendredi et Philharmonie de Paris le lundi), aux dispositifs toujours aussi étonnants, mais j'ai tellement été emporté, et l'expérience a été tellement grisante, que je sens bien que je vais me noyer dans une interminable notule qui n'aurait pas grand sens pour les lecteurs qui n'y auraient pas assisté. Je propose donc simplement quelques mots sur les lignes de force et une petite évocation par scène.

Le résultat est clairement moins probant sans visuel et avec une captation aussi sèche, mais pour accompagner votre lecture :

1. Principes de Licht

Sonntag, le dernier volet (1998-2003) composé par Stockhausen, clôt son cycle Licht autour des sept jours jours de la semaine, qui racontent les aventures à la fois terrestres (la folie de sa mère quand il était petit enfant, la mort de son père sur le front de l'Est peu avant sa majorité, les souvenirs des bombardements, ses examens au Conservatoire, sa cornufication…), mystiques (lutte contre Lucifer, rencontre avec la femme idéale, principes duels, union entre tous les principes et tous les hommes) et cosmologiques (Création et re-Création du monde, tour de l'Univers, course du Temps…).

Tous ces opéras s'articulent essentiellement autour de trois personnages, Michael (une sorte d'ange du Bien, alter ego de Stockhausen) Eva (sa femme idéale), Lucifer (le principe miroir de Michael, mais pas systématiquement repoussoir, ils discutent beaucoup ensemble et beaucoup d'opéras se résolvent par leur réconciliation / fusion) ; chacun d'entre eux possède son double instrumental (trompette, cor de basset, et flûte / trombone), qui exécute (par cœur) la musique en costume, à côté ou à la place du chanteur. Ces personnages représentent en réalité plutôt trois grands principes, et chaque opéra propose une rêverie, plutôt qu'une action, autour d'un thème (l'amour, la lutte, la réconciliation, la Création…), organisé en scènes très segmentées, tableaux où une idée, un dispositif est exploré sans contrainte de temps ou de continuité narrative.

C'est donc bien un cycle d'opéras, car il y a des personnages et la mise en scène y est indispensable, mais sans désir de raconter une histoire : ce sont des pensées organisées en une sorte de festival mystique, plutôt qu'une action scénique. Cette description m'aurait épouvanté, mais la musique instrumentale y est souvent excellente – j'en reparlerai à propos de Sonntag, le sommet en la matière – et la liberté d'invention, le caractère profondément personnel et inédit de chaque proposition rendent à chaque fois le voyage fascinant.

Car le principe de Stockhausen, qui fait tout le prix de ces opéras, est qu'il ne connaît aucune limite : ce qu'il imagine, il le demande sur scène – indépendamment de toute considération technique ou pratique.
¶ dans Donnerstag (jeudi, 1980), Michael fait le tour de l'Univers, scène d'opéra sans aucun chanteur (tous les rôles sont tenus par des instruments), et les instrumentistes continuent de jouer dans l'heure qui suit le baisser de rideau, cachés dans les recoins et les bosquets autour de la salle de spectacle ;
¶ dans Samstag (samedi, 1983), on se balade dans le visage de Lucifer avant de virer tout le public de la salle de concert pour se rendre dans une église et assister à la renonciation à Lucifer de 39 franciscains ;
¶ dans Montag (lundi, 1988), on assiste en direct à l'enfantement (autour d'une gigantesque statue gynécologique) d'enfants hybrides ;
¶ dans Dienstag (mardi, 1991), on court à travers les millénaires, puis la guerre entre les trompettes et les trombones se déroule sous des bombardements dont l'allure ressemble de très près à ceux vécus par le jeune Stockhausen dans l'Allemagne des années 40 ;
¶ dans Freitag (vendredi, 1994), Michael est cocufié par Eva qui le trompe avec le fils de Lucifer, Caino… avec pour résultat une fusion perturbante d'objets animés sur scène et une lutte à mort des enfants de Michael et de Caino, qui finit par le massacre des enfants de Michael par un rhinocéros rose ailé blindé invincible de l'espace (je n'invente rien, tout est dans le livret) ;
¶ dans Mittwoch (mercredi, 1997), des débats autour de la nature de l'amour par un parlement du monde, et des instrumentistes flottent au-dessus du sol, soit par lévitation, soit par hélicoptère (le fameux quatuor à cordes dans un quatuor d'hélicos), le tout culminant dans un siège intergalactique ;
¶ enfin dans Sonntag (dimanche, 2003), sept groupes d'anges s'expriment simultanément en sept langues, les mots de Michael créent le monde (oui, Sto ne se prend pas pour n'importe qui), sept parfums sacrés sont promenés partout dans la salle, un cheval volant enlève un jeune garçon et les spectateurs entendent deux fois la même musique finale, le chœur et l'orchestre étant dans deux salles séparées, audibles avec un mixage distinct qui propose à chaque fois une nouvelle œuvre.


2. Structure de Sonntag

Sonntag, qui clôt le cycle, est peut-être celui où l'action est la plus ténue, mais aussi celui de la maturité de Stockhausen, où la musique est de la plus haute qualité – ce sont aussi les années de son cycle chambriste Klang, un de ses hauts chefs-d'œuvre à mon sens. C'est d'ailleurs très étrange : dans Sonntag comme dans Klang, s'agit d'une musique tout à fait atonale, avec peu de mélodies, de grands sauts d'intervalle, des rythmes complexes, une logique interne qui n'est pas du tout explicite… mais je trouve son écoute d'une évidence, d'une beauté immédiatement sensibles. Et cela se ressent aussi dans Sonntag, y compris dans les grands ensembles. Arriver à magnétiser l'auditoire avec des solos instrumentaux sans accompagnement, sans repères de type tonalité et sans que cela passe par l'admiration de la virtuosité (c'est extrêmement virtuose, mais ce n'est pas ce qui est mis en avant), je ne sais comment il s'y prend. Pour autant, musique extrêmement persuasive, et dans les salles pleines où le cycle a été joué, on ne voit pas de départs dans le public et on n'entend pas de protestations. Il y a indubitablement quelque chose qui se passe, et je ne parviens pas du tout à mettre le doigt sur ce qui fait la différence avec des solos de Berio, Scelsi ou Ferneyhough, qui m'intéressent beaucoup, beaucoup moins.

Assister à une représentations de Licht n'a donc rien d'un effort, et les moments d'ennui sont rares pour moi – la bande magnétique a vraiment vieilli et ne présente pas d'intérêt musical majeur, aussi, lorsqu'elle est mise en avant et que le discours scénique devient particulièrement lent ou répétitif, on attend un peu que le temps s'écoule… mais cela n'advient pas dans Sonntag, ou la matière musicale (solos, ensembles instrumentaux ou choraux) est toujours très aboutie.

Résumer l'action ne sera pas difficile : Sonntag est une gigantesque table des matières, la plus longue et la plus esthétisée qu'on ait vu et qu'on verra jamais. Sto y rappelle les symboles de chaque jour du cycles, et même les composantes de la Nature. Il ne s'y passe à peu près rien qui puisse ressembler à une action dramatique.

Scène 1 : « Lumières & Eaux ».
29 instrumentistes organisés en étoile, avec une couleur (bleue pour les instruments aigus qui caractérisent Michael, verte pour les instruments graves attachés à Eva). Les chanteurs des deux rôles déambulent parmi les musiciens, et à la fin, ces derniers s'en vont, non sans avoir bu un verre d'eau – oui, c'est dans la partition. Le texte égrène simplement des mots évoquant les éléments fondamentaux, et commence déjà à rappeler les épisodes précédents. Eva demande au chef de bisser le quatrième pont-lumière-haut, grand choral de cuivres où Stockhausen montre qu'il est le maître des plus beaux tuilages – je me disais justement, à l'issue de la section, que j'aurais adoré la réentendre !

Scène 2 : « Processions d'anges ».
Des anges chantent des formules d'évocation et de louange New Age assez peu compréhensibles à un grand tout : sept groupes (de six chanteurs mais à deux voix, sauf le dernier de quatre solistes), chacun dans une couleur et une langue (allemand, anglais, espagnol, arabe, hindi, chinois, swahili), serpentent sur la scène et alternent ou mêlent leurs chants. Le final est à nouveau un moment musical exceptionnel : entouré par un cercle de choristes qui chantent en nappe presque immobile (après avoir fait des gestes symbolisant les attributs de chaque jour de la semaine pendant toute la scène), le public profite du mélange des sept groupes sur scène mêlés aux instruments, foisonnement jubilatoire et qui, contre toute attente, se déploie avec une logique parfaite.

Scène 3 : « Images de Lumière ».
Égrenant des mots isolés évoquant les paysages, les animaux, les végétaux, les éléments, Michael opère une sorte d'évocation (ou de Création ?) de la Terre primordiale. Flûte, cor de basset et trompette, attachés aux personnages, jouent en alternance plutôt qu'ils ne l'accompagnent. Moment de poésie intense, de musique pure, où la platitude des listes et la nudité du dispositif laisse toute la place au plaisir de la phrase brute, et j'avoue avoir été particulièrement saisi par ce tableau.

Scène 4 : « Signes de Parfums ». 
Sept solistes vocaux (dont un enfant qui symbolise Eva) chantent les symboles de chaque jour de la semaine (dessin, couleur, planète, qualités spirituelles) comme une table des matières de tout le cycle. Pas le moment musicalement le plus probant, mais la virtuosité requise pour ces solos de chant impressionne fortement (et l'enfant est incroyablement juste et précis, par cœur de surcroît !) ; par ailleurs l'insolence de la proposition de balader sept parfums dans la salle a quelque chose de tout à fait réjouissant.
Car pour chaque solo et chaque jour, des figurants diffusent des vases de parfums à brûler dans la salle : cúchulainn, kyphi, mastic, rosa mystica, tate yananaka, ud, encens. Le résultat, à la fin des sept solos, cocotte un peu, et les senteurs ne m'ont pas paru si différentes (plus ou moins grillées, plus ou moins vanillées, plus ou moins entêtantes), mais le dispositif en lui-même est tellement osé et amusant !

Scène 5 : « Temps sublimes ».
Célébration de l'amour cosmique, qui mélange à nouveau les langues (en supprimant l'allemand et l'espagnol) et emprunte à Kâlidâsa, Hafez et Nefzaoui, la scène est jouée dans deux salles simultanément : cinq sextuors ou octuors choraux dans l'une, cinq sextuors instrumentaux dans l'autre. La musique de chaque salle n'est retransmise que partiellement : sept fois, et jamais sur l'ensemble du spectre sonore, si bien que lorsque le public change de salle pour réentendre la scène, il découvre un objet musical totalement nouveau. Ici aussi, le dispositif est totalement fou – la mise en place périlleuse aussi, avec quelques secondes de décalage entre les deux orchestres, ce qui a valu un redémarrage lors de la seconde exécution…
Et autant, sans doute à cause de la fatigue, la version orchestrale ne m'a pas bouleversé, autant la version chorale m'a paru à nouveau d'un naturel assez incroyable, croissant et décroissant de façon tout à fait organique et intuitive.

L'Adieu.
Cinq synthétiseurs reprennent les motifs de l'opéra. (Je vous ai épargné les délires sur les Fibonacci rétrogrades, je me suis cantonné à parler de ce qu'on entend réellement.) Sans grand intérêt, ressemble à la même bande magnétique informe des autres fois, bruit de fond ni déplaisant ni séduisant.

J'ai bien sûr été complètement stupéfait par la qualité d'exécution de cette œuvre incroyablement difficile, parfois confiée à des enfants (Aurélien Segarra, le soliste de la scène 4) ou à des amateurs (le Chœur Stella Maris, à la fin de la scène 4 et la Maitrise de Paris, dans la scène 5, se sont couverts de gloire). L'Orchestre de Chambre de Paris, les musiciens et chanteurs du CNSM et les solistes du Balcon étaient fantasbuleux comme toujours. Et la mise en espace de Ted Huffman et Maxime Pascal (avec les belles images en noir et blanc projetées par Pierre Martin Oriol), tellement plus juste que la terrible mise en scène bidouillée (et défective) de Silvia Costa pour Freitag.

Vraiment une expérience unique, à faire dans sa vie pour tous ceux qui peuvent demeurer non loin. Ne serait-ce que pour voir ce que peuvent produire un théâtre et une musique qui ne se fixent aucune limite humaine ni terrestre.

Et aussi sur Carnets sur sol :
→ représentation de Dienstag ;
→ représentation de Freitag.

mercredi 1 novembre 2023

L'Antique Conservatoire et le Concours Nadia & Lili Boulanger – II – l'état de l'art


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Les lauréats du concours 2023 (photo Marie-Noëlle Robert).



1. Des nouvelles du lieu

Grâce aux investigations minutieuses de Philippe Laigre, je dispose enfin de la réponse (pas si évidente à trouver sans se plonger un peu dans les textes) sur le décor de la salle de l'Ancien Conservatoire de la rue Bergère : les fameux médaillons de compositeurs, tout à fait anachroniques pour 1811 ont été réalisés lors de la rénovation de 1865.
À l'origine, la salle de 1811 était, si je comprends bien, plutôt bleue, avec des tentures vertes dans les loges qui « nuisaient au teint des dames ».

Je vous livre le texte du critique Arthur Dandelot (1864-1943) que M. Laigre m'envoie, et qui raconte cette réouverture :

« Le premier concert de 1865 est consacré À la mémoire de Meyerbeer.

    Cette même année, le jour du Vendredi saint, le Requiem de Mozart est exécuté intégralement.

    Pendant les vacances, aussitôt après la distribution des prix aux élèves du Conservatoire, la salle des concerts est livrée aux ouvriers pour d'importants remaniements. Toutes les places debout sont supprimées, le parterre transformé en prolongement des fauteuils d'orchestre, un deuxième rang de fauteuils ajouté à la galerie du premier étage et l'éclairage au gaz enfin installé. Sur le fond de la salle, de couloir ivoire, ressortent des peintures à la cire ; au balcon du premier étage sont inscrits les noms des maîtres du théâtre littéraire ; la seconde galerie est réservée aux compositeurs : Cherubini, Mendelssohn, Weber, Méhul, Boïeldieu, Grétry, Spontini, Donizetti, Hérold, Halévy, Meyerbeer, Rossini ; sur la voûte, sorte de velum semé d'étoiles où planent des génies ailés, figurent les noms des grands maîtres : Bach, Haydn, Mozart, Gluck, Haendel, Beethoven ; enfin, la scène, hémicycle de forme polygonale, est de style archaïque, et sur la cloison du fond les neuf muses semblent tenir conseil.

    Cette réparation, qu'on ne pouvait plus différer, ne fut pas sans causer quelques mécomptes ; les locataires des places disparues réclamèrent contre la mesure qui les privait d'un privilège très recherché. Il fallait promptement aviser afin de leur donner une légitime satisfaction, c'est ce qui fut fait. Une nouvelle série d'abonnement fut créée avec des droits en tous points semblables à la première, et l'on décida que le même concert serait exécuté deux fois, à huit jours d'intervalles, ce qui portait le chiffre des séances à quatorze (y compris les Concerts Spirituels).

    Les places disponibles furent rapidement enlevées et bientôt il fut aussi impossible de pénétrer dans le sanctuaire que lorsqu'il n'y avait que sept séances.

    Le concert d'inauguration de la salle, organisé par la direction du Conservatoire, devait avoir lieu le 24 décembre 1865, mais par suite de la mort de Prévots (professeur de Déclamation) il fut reculé au 4 janvier 1866. Le programme comprenait :

    Ouverture, de M. Th. Dubois.

    Les Rivaux d'eux-mêmes (comédie en 1 acte), de Pigault-Lebrun.

    Renaud dans les jardins d'Armide (cantate), de M. Ch. Lenepveu.

    C'est avec cette œuvre, composée sur un livret de M. Camille du Locle, que M. Lenepveu avait obtenu le prix de Rome au concours de 1865. »
La Société des Concerts du Conservatoire de 1828 à 1897, les grands concerts symphoniques de Paris, par Arthur DANDELOT, 4ème Edition, G. Havard Fils, Paris 1898 (p. 68-70)




2. Dire son avis

Après avoir dit un mot général sur la salle, les principes du concours et les lignes de force des esthétiques vocales présentes pour cette édition, je touche tout de même un mot des candidats eux-mêmes.

Faute d'avoir eu les partitions sous les yeux, il est très honnêtement plus difficile d'émettre un avis fiable sur les pianistes. Pour certains, l'originalité de la proposition, la quantité de détails mis en valeur, la pertinence des choix de structure sautent aux oreilles ; mais pour beaucoup, je dois admettre avoir entendu d'excellents interprètes plus ou moins habités et/ou contrastés,sans pouvoir réellement me prononcer sur une hiérarchie. C'est assez normal, puisque l'écart entre deux voix (qui mêlent le rapport très instinctif au timbre, et l'émotion dans l'élocution du texte) et deux pianistes (ils ont tous le même instrument, et pas un rapport aussi direct au texte du poème)n'est pas comparable.
Je crois que c'est une précision importante, car 5 membres du jury sur 9 sont des chefs de chant ou chambristes, et ils auront clairement un autre angle que le mien. J'ai d'ailleurs eu l'impression que certains duos étaient conservés surtout grâce à un pianiste exceptionnel, tandis que certains chanteurs remarquables n'avaient pas été retenus à cause d'un pianiste plus émotif en situation de concours ou plus terne / moins charismatique.

Aussi, je parlerai des deux, mais n'aurai pas nécessairement un mot à proposer sur chaque pianiste ; au lieu d'en dire des platitudes, je me tairai.



3. Palmarès de l'édition 2023

Prix du jury

Grand Prix de duo (18.000€)
Tomas Kildišius
& Gustas Raudonius
Prix de mélodie (6.000€)
Florian Störtz
& Mark Rogers
Prix de lied (6.000€) Hanne Marit Mordal Iversen
& Revaz Abramia
Meilleure interprétation
de la commande contemporaine (2.000€)
Camille Chopin
& Héloïse Bertrand-Oleari

Comme souvent, j'ai l'impression que les prix secondaires sont distribués un peu comme on peut pour compléter, et non pour réellement récompenser ce qu'ils sont censés récompenser : Störtz a clairement brillé avant tout dans le lied, très charismatique (même si son français est très bon), mais si l'on voulait distinguer l'(étrange et) impressionnant duo Iversen-Abramia, on ne pouvait clairement pas leur donner le prix de mélodie… De même pour le prix de la nouvelle mélodie de Pesson : la chanteuse avait vraiment besoin de sa partition et n'a pas du tout dispensé le même humour ni la même facilité que d'autres concurrents (notamment les deux hommes lauréats) ; surtout, sa voix ronde la desservait structurellement pour cette longue énumération très vive – c'était un très bon exercice pour pouvoir séparer ceux qui sont capables de mettre le mot en premier, et ça a sans doute servi à la sélection pour la finale… mais ça ne se reflète pas dans le prix attribué, sans doute pour récompenser la qualité par ailleurs incontestable des deux interprètes !

Mon palmarès à moi :

Opinion de CSS

Meilleur duo
1. Tomas Kildišius & Gustas Raudonius
2. Benoît Rameau & Johan Barnoin
Meilleur duo de mélodie
1. Clarisse Dalles & Guillem Aubry
2. Clara Barbier-Serrano & Joanna Kacperek
3. Lyriel Benameur & Hugo Peres
4. Shafali Jalota & Jack Redman
Meilleur duo de lied
1. Benoît Rameau & Johan Barnoin
2. Florian Störtz & Mark Rogers
Meilleure interprétation
de la commande contemporaine
1. Tomas Kildišius & Gustas Raudonius
2. Florian Störtz & Mark Rogers
Meilleur chanteur
(catégorie caduque depuis 2021)
1. Tomas Kildišius
2. Arvid Eriksson
Meilleur pianiste
(catégorie caduque depuis 2021)
1. Gabriel Durliat
2. Anne-Louise Bourion
3. Johan Barnoin
4. Joanna Kacperek




4. Liste des duos présents

Plutôt que par ordre alphabétique, j'utilise à titre indicatif mon ordre de préférence approximatif.

Ceux que j'ai adorés :
Tomas Kildišius & Gustas Raudonius
Benoît Rameau & Johan Barnoin
Arvid Eriksson & Johannes Bolmvall
Clara Barbier-Serrano & Joanna Kacperek
Lyriel Benameur & Hugo Peres
Florian Störtz & Mark Rogers
Megan Moore & Francesco Barfoed
Elana Bell & Corey Silberstein
Bastien Rimondi & Timothée Hudrisier

Ceux que j'ai beaucoup aimés :
Michèle Bréant & Gabriel Durliat
Shafali Jalota & Jack Redman
Clarisse Dalles & Guillem Aubry
Dick Dutton & Michael Lewis
Hanne Marit Mordal Iversen & Revaz Abramia
Elia Cohen Weissert & Josquin Otal
Anna Trombetta & Koenraad Spijker

Ceux que j'ai aimés avec des réserves :
Brenda Poupard & Anne-Louise Bourion
Camille Chopin & Héloïse Bertrand-Oleari
Svitlana Vlasiuk & Marie-Louise Tocco
Daria Mykolenko & Lidiia Vodyk
Theano Papadaki & Alexia Mouza-Arenas
Margaux Loire & Joseph Birnbaum
Marianna Nomikou & Alvaro Madariaga
Axelle Saint-Cirel & Mao Hayakawa

Ceux que je n'ai pas aimés :
Maud Bessard-Morandas & Alice Pepek
Annouk Jobic & Antoine Sorel
Jeanne Lefort & Pierre Joud

Pour information, les artistes classés par tour où ils ont été admis :

→ Premier tour
Clara Barbier-Serrano & Joanna Kacperek
Elana Bell & Corey Silberstein
Bastien Rimondi & Timothée Hudrisier
Shafali Jalota & Jack Redman
Clarisse Dalles & Guillem Aubry
Dick Dutton & Michael Lewis
Elia Cohen Weissert & Josquin Otal
Anna Trombetta & Koenraad Spijker
Svitlana Vlasiuk & Marie-Louise Tocco
Theano Papadaki & Alexia Mouza-Arenas
Margaux Loire & Joseph Birnbaum
Marianna Nomikou & Alvaro Madariaga
Axelle Saint-Cirel & Mao Hayakawa
Maud Bessard-Morandas & Alice Pepek
Annouk Jobic & Antoine Sorel
Jeanne Lefort & Pierre Joud

→ Demi-finale
Benoît Rameau & Johan Barnoin
Arvid Eriksson & Johannes Bolmvall
Lyriel Benameur & Hugo Peres
Megan Moore & Francesco Barfoed
Daria Mykolenko & Lidiia Vodyk

→ Finale
Michèle Bréant & Gabriel Durliat
Brenda Poupard & Anne-Louise Bourion

→ Lauréat
Florian Störtz & Mark Rogers
Hanne Marit Mordal Iversen & Revaz Abramia
Camille Chopin & Héloïse Bertrand-Oleari

→ Vainqueur
Tomas Kildišius & Gustas Raudonius

Comme vous pouvez le voir : pas de divergence sur les candidats problématiques ; convergence sur pas mal de meilleurs jusqu'en demi-finale ; mais beaucoup de divergences en finale (je pense que certains duos ont été portés par leur pianiste exceptionnel), en dehors des deux premiers qui étaient en effet remarquables.



5. Revue des candidats : principes

Je précise aussi que j'essaie d'expliciter les termes techniques autant que possible ; mais si d'aventure je ne le fais pas ou que ce n'est pas clair, les commentaires sont bien sûr là pour ça. Le but du site est précisément de pouvoir partager ces notions-là, certainement pas d'utiliser du vocabulaire de niche pour prendre l'air d'être savant.

Je trouve amusant (et significatif) que la quasi-totalité des candidats français soient issus du CNSM (Conservatoire Supérieur) de Paris. Il faut y voir non leur supériorité technique absolue (le niveau est très haut, mais il y a aussi beaucoup d'autres chanteurs fabuleux qui passent par le CNSM de Lyon, simplement par des CRR, ou par des cours privés), mais sans doute leur très bonne insertion dans le milieu, très bien préparée par l'école – ils ont l'habitude de la scène et connaissent les portes auxquelles frappées, les concours auxquels se présenter. Ce fait très souvent une différent, et la plupart font de belles carrières, parfois même sans voix exceptionnelle !
Pour vous donner une idée : Benoît Rameau, Clara Barbier-Serrano, Florian Störtz (à peu près sûr de l'avoir vu pendant qu'il devait être en échange Erasmu), Bastien Rimondi, Clarisse Dalles, Brenda Poupard, Camille Chopin, Margaux Loire, Axelle Saint-Cirel !
Seules Lyriel Benameur (CRR de Lyon), Michèle Bréant (Hochschule de Leipzig), Maud Bessard-Morandas (CNSM de Lyon et Haute École de Genève), Annouk Jobic (CNSM de Lyon), Jeanne Lefort (CMBV et CRR de Paris) n'en proviennent pas. Seules trois candidates n'ont donc pas été élèves d'un CNSM, et une seule n'a pas fait une école supérieure.
De même parmi les lauréats des éditions précédentes, une proportion considérable d'anciens élèves de cette école.



6. Revue des candidats chanteurs : les chouchous:

Tomas Kildišius, le grand vainqueur totalement mérité : à l'aise dans toutes les langues (allemand, français, anglais, suédois et bien sûr lituanien…), une voix de baryton parfaitement saine, glorieusement projetée, franche et sans épaisseur superflue, capable d'allègements magnifiques (et indispensables dans ce répertoire). Et une façon incroyable d'habiter la scène. Dans l'énumération de personnages fantastiques (farfadets, sylphes, dryades, faunesses, moines bourrus…) du poème de Ravel mis en musique dans la commande de Pesson, il parvient à une saveur comique incroyable, multipliant les événements avec une rare justesse. (Il le chante d'ailleurs de tête, contrairement à beaucoup de Français…) Déjà une personnalité capitale de la scène européenne, à mon sens. [audio Wolfram]

Benoît Rameau (ténor), l'incarnation du poète. Tous les lieder ne paraissent qu'un jeu soumis à son verbe… il parvient à en mettre en valeur le texte comme s'il était simplement en train de parler, un magicien. Il a sans doute été desservi par une voix au timbre assez banal (typique d'une certaine école française, on entend l'armature solide des formants mais le timbre reste assez blanc), et qui, je l'ai déjà remarqué, fatigue vite. Ça ne lui permettra pas une carrière très ambitieuse à l'opéra, où la voix peu puissante ni endurante lui interdira les grands rôles, mais en récital, il n'y a pas meilleur que lui, en particulier en allemand. Vous voulez montrer que le lied n'est pas fait que pour les snobs qui font semblant de comprendre l'allemand ?  Faites écouter Benoît Rameau. [vidéo Rihm]

Arvid Eriksson (baryton), une voix qui paraît sortie de la Suède des années soixante-dix, avec cette rondeur claire assez caractéristique, un délice dans toutes les langues, il se coule dans tous les genres en choisissant à son gré des couleurs de baryton ou de ténor. Excellente projection de surcroît, il pourra faire ce qu'il voudra – et je courrai l'entendre dans n'importe quoi. [vidéo Mahler, Um Mitternacht]

Clara Barbier-Serrano [vidéo Schubert, Lied der Mignon], Lyriel Benameur [vidéo Mozart, Dans un bois] & Shafali Jalota [audio Debussy Ariettes], trois profils similaires : je n'adore pas la substance de leur voix, d'une pâte assez épaisse (même si j'ai fini par trouver un petit côté Crebassa à Benameur !), mais leurs talents de diseuse, en français en particulier (et même en allemand pour Barbier-Serrano, puis Benameur en demi-finale seulement), leur effort d'antérioriser l'élocution, font merveille et on levé toutes mes réserves, totalement emporté par leurs talents de conteuse.

Florian Störtz
(baryton), malgré une émission que je n'aime pas (bâtie par le bas, très pharyngée, saturée d'harmoniques par une haute impédance, artificiellement sombrée, ce qui lui autorise peu de variation dans les couleurs), est doté d'une présence sonore, verbale et scénique incontestable. Il fait partie ce ceux (sans partition !) qui ont rendu haletante et pleine de surprises la création de Pesson, il maîtrise remarquablement l'anglais et le français, et ses choix de lieder le mettent souvent en valeur (les Schubert en particulier, Der Zwerg ou le rare Der Wanderer D.493). [vidéo Mahler Gesell]

Megan Moore est une autre surprise, une mezzo américaine dont la voix très fondue semble calibrée pour l'opéra… mais qui parvient, dans les mélodies lentes, à créer un univers enveloppé dans sa voix. Très impressionnant, je me suis laissé prendre à chaque fois.
[vidéo Boykin]

Elana Bell (mezzo-soprano) peut paraître de prime abord exagérément tubée et grossie, mais en réalité son timbre étonnant permet toutes sortes d'irisations, et n'entrave pas du tout l'intelligibilité. Horrifié les premières secondes, j'ai fini par adorer cette voix et cette personnalité hétérodoxes.
[vidéo page Stéphano]

Bastien Rimondi, un ancien du CNSM, fait plutôt carrière ces jours-ci dans des solos du baroque français ou de l'opéra français début XXe (le médecine de La Chute de la Maison Usher, tout récemment), mais avec une approche qui assume son ténorat, il tire son parti de l'exercice chambriste ; son Strauss est très opératique, très Di rigori armato il seno, mais ses Trois Princesses de Marguerite Canal adoptent au contraire un ton détaché de titi parisien qui tranche avec les attitudes de conteur de salon et touchent paradoxalement très juste ! 
[vidéo Ravel grec]

Je pourrais encore parler de Michèle Bréant, soprano colorature très franche et claire, délicieuse voix (qui rappelle par endroit la chouchoute absolue Ghyslaine Raphanel), mais qui, à mon sens, reste très littérale dans son interprétation. Le plus piquant est que l'émission la plus typiquement française de toute la session a été formée… à Leipzig !  Il est vrai qu'en Allemagne, on forme des sopranos assez francs dans certaines écoles, je l'ai quelquefois remarqué. J'ai tout beaucoup aimé, et à l'opéra ce serait parfait (elle chante d'ailleurs étonnamment bien Bellini pour son format vocal !), mais il manque un petit coup de pouce dans les inflexions verbales pour soutenir l'attention sur la durée dans la mélodie – une armure à fendre, peut-être.
[vidéo Green]

Il existe aussi des cas spécifiques plus étonnants, comme Clarisse Dalles, dont la voix s'illumine en français, expressive, irisée, pleine de ce naturel sans façon et de cette émission légèrement amollie qui est souvent liée à l'image que les étrangers se font de la langue française, cette sorte de douceur traînante, d'affaissement gracieux. Mais, dans les langues étrangères, tout se dérègle, le timbre devient opaque, l'émission forcée, la diction relâchée… Ça a toujours été chez elle, à l'opéra comme dans la mélodie, vraiment une princesse du genre, mais sorti du français, tout semble aller de travers, contraste très impressionnant. Mais pas anormal :  chaque langue a son placement spécifique, et les discours des profs de chant « universalistes » qui prétendent qu'il n'existe qu'une seule technique sont battus en brèche à la fois par la science (il existe diverses postures efficaces pour chanter) et par la simple audition (il est immédiatement audible qu'une voix italienne, une voix tchèque, une voix russe, une voix américaine, une voix suédoise n'ont pas les mêmes fondements) ; chose assez logique également, puisque les langues ne s'articulent pas au même endroit, que les voyelles n'ont pas exactement la même aperture d'une langue à l'autre…
[Je ne mets pas de vidéo, celles que j'ai trouvées, même en français, exposent plutôt les faiblesses que je décrivais pour les autres langues.]

Hanne Marit Mordal Iversen, instrument large mais timbre un peu nasal et étroit, comme un voix de colorature greffée sur une soufflerie de grand lyrique !  (Bien que la voix ne soit pas du tout aussi dramatique, cette construction du son paradoxale m'a évoqué Gertrud Grob-Prandl.) La diction n'est pas parfaite, ce qui fait que je me suis moins attaché à sa proposition qu'à celles d'autres candidats, mais elle propose un vaste choix de langues (avec notamment norvégien, russe, suédois) et dans le lied, elle est assez impressionnante, en particulier dans son Frühlingsfeier final, une pièce rare et très difficile (mais mon lied avec piano préféré de Strauss !) totalement glorieux et incantatoire, que je n'avais pas entendu aussi convaincant depuis… Edda Moser !  (c'était même, à la réécoute comparée, nettement plus timbré et verbal qu'Edda Moser)
[vidéo R. Strauss, Freundliche Vision]

J'ai beaucoup aimé également Dick Dutton, très bon baryton de Philadelphie, une voix saine et un effort de diction dans toutes les langues. J'aurais beaucoup aimé pouvoir l'entendre au delà du premier tour pour mieux en juger. (D'une manière générale, on le sait, l'émission en voix de poitrine avantage structurellement les hommes dans le répertoire du lied : le texte est tout de suite plus naturellement mis à disposition, puisque dans la vie courante, même les femmes parlent en voix de poitrine, à des fréquences beaucoup plus basses qu'en chant lyrique, ce qui est l'un des nombreux facteurs expliquant la différence d'intelligibilité.)
[vidéo Margaret Bonds]

Parmi les propositions qui m'ont le plus intéressé en langue anglaise, les Quilter et Vaughan Williams de Florian Störtz, où l'interprète plein de gouaille trouve un ton insoupçonné dans ses lieder, et surtout des couleurs beaucoup plus radieuses, absentes dans les autres langues. La mezzo américaine Anna Trombetta, avec une voix en arrière très douce, façon Sally Matthews, se révélait aussi en anglais : sa mélodie d'Amy Beach était une intense magnétique… c'était la dernière candidate des éliminatoires, j'étais épuisé, j'avais laissé filer mon attention pendant son beau Bizet (mais la mélodie en question est peu passionnante), et j'ai été soudain totalement pris par la main dans ce morceau de rêve, avec une très belle conduite de ligne et des mots déposés avec beaucoup d'intensité.
[vidéo Schönberg, Erwartung]

Pour finir avec les propositions qui m'ont le plus intéressé, Elia Cohen Weissert, soprano par certains aspects problématiques ; l'allemand n'est pas fabuleux (elle est allemande pourtant), l'émission bien antérieure (mais pas sans irrégularités ni duretés) fonctionne bien en français, mais dans les Feſtes Galantes par Debussy, part un peu vite en mixant le registre de flageolet (l'émission spécifique au suraigu des femmes) dès le milieu de la tessiture. Cependant je suis très sensible à sa proposition d'artiste, elle murmure notamment la mélodie de Marguerite Canal, et se coule vraiment de son mieux dans la délicatesse d'un exercice intimiste, là où d'autres concurrentes essaient plutôt de démontrer la qualité de leur timbre et de leur ambitus. La sincérité de la démarche, très adaptée au répertoire, m'a touché.
[vidéo Schubert, Delphine]
(Je découvre aussi, sur sa chaîne YouTube, qu'elle chante remarquablement le belcanto, avec beaucoup de projection, de présence et de sensibilité.)



7. Revue des candidats chanteurs : quelques cas partagés

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les autres candidats m'ont moins séduit. Certains sont de grands artistes, mais désavantagés par une émission vocale trop en arrière et trop peu projetée – Brenda Poupard, un enchantement pour son intelligence musicale, sa maîtrise expressive des langues… mais aussi un déchirement, car tout est bloqué dans la bouche, et on l'entend vraiment mal en salle. Je l'ai très souvent entendue pendant et après ses études au CNSM, c'est vraiment un problème structurel qui me fait beaucoup de peine, car elle a tant à dire, et sa technique la retient en partie. Je reste très attaché à elle parce que l'intelligence prime tout, et dans le lied on peut accepter cette petite frustration, mais à l'opéra dans des rôles de mezzo qui doublent d'autres rôles (Mercedes dans Carmen récemment), on n'entend presque rien, même avec piano.
[vidéo Rita Strohl]

Dans le même esprit, certaines chanteuses que j'adore par ailleurs peuvent être désavantagées par leur technique (là aussi, plutôt en arrière et en bouche) et ne pas trouver leur marque dans le lied – Margaux Loire, chanteuse exceptionnellement charismatique aussi bien dans l'opéra que le musical, n'arrivait pas vraiment à timbrer les nuances douces et les lignes sans tension du répertoire de mélodie et de lied ; en méforme probablement, car je l'ai entendue le faire très honorablement en d'autres circonstances, mais clairement, son répertoire, c'est l'opéra (ou au minimum le lied orchestral).
La réserve que j'ai reste tout de même identique (et j'en parlais encore récemment à propos de la fulgurante Margaux Poguet) : avoir une voix qui s'épanouit dans les grands formats, c'est formidable, mais avec une émission pas assez faciale, le problème est que dès qu'on ajoutera un orchestre plus que mozartien, la voix va sonner petite ou être absorbée. Mes réticences sur les modes esthétiques actuelles en matière d'enseignement du chant ne sont pas seulement une affaire de goût (que j'assume tout à fait, et pour le coup chacun a le droit de vouloir entendre ce qui lui fait plaisir !), mais posent aussi ce genre de question sur une carrière : une émission pas assez antérieure, c'est aussi se limiter en termes de rôle et ne jamais pouvoir percer le plafond de verre au-dessus de, disons, La Traviata. (Ce qui est déjà très bien, mais pour des voix qui sonnent plus sombres ou des instruments larges ou au tempérament dramatique, peut être une frustration aussi bien pour les interprètes que pour le public fidèle.)
[Je n'ai pas trouvé de vidéo ou de son en ligne.]

Axelle Saint-Cirel combinait les deux désavantages d'une voix trop douce et empâtée, qui ne trouvait par ailleurs pas vraiment sa place dans l'exercice – alors que là aussi, c'est une voix singulière et une artiste remarquable que j'ai souvent admirée dans des répertoires très dissemblables.
[vidéo Niklausse]

Camille Chopin était comme Brenda Poupard en finale. Il faut dire que leur pianiste est, dans un cas comme l'autre (Anne-Louise Bourion & Héloïse Bertrand-Oleari), assez exceptionnelle, ce qui a nécessairement favorablement contribué, à égalité dans l'esprit du concours, avec le chant lui-même.
J'ai beaucoup admiré Camille Chopin en la découvrant au CNSM il y a deux ans : vraiment une voix impeccable, où tout est timbré, où rien ne semble difficile, et très intelligemment phrasée dans le lied. Cependant, les dernières fois où je l'ai entendue, et en particulier dans ce concours – est-ce que j'avais initialement exagéré mon ressenti devant l'aboutissement technique, si jeune, de la voix ?  est-ce l'évolution de récente de sa technique et l'influence de ses professeurs ? –, je me suis un peu ennuyé. Tout simplement parce que, si la voix est très bien calibrée, l'émission très ronde met tout à égalité (c'était particulièrement audible dans la création contemporaine, où les mots avaient tous la même saveur), et même la pensée du phrasé m'a paru particulièrement homogène et peu portée sur le mot. C'est beau (quoique, encore une fois, très arrondi, exagérément à mon sens pour porter un sens, une expression, et obtenir une projection maximale), mais assez uniforme pour ce répertoire. À l'opéra, situation dramatique et tension de l'écriture aidant, ce serait sans doute parfait, d'autant qu'elle darde des aigus glorieux, particulièrement doux, pleins et amples pour sa catégorie (actuelle) de lyrique plutôt léger ; pour de la mélodie et du lied, j'avoue avoir eu de la peine à soutenir mon attention, surtout dans le contexte stakhanoviste de 4h de récital par jour, avec une concurrence souvent plus contrastée et expressive.
[vidéo en soprano dans un chœur brahmsien]

L'état de l'art et le Grand Déclin de la Civilisation
Clairement, avec ces trois précédents exemples (il y en aurait beaucoup d'autres au CNSM et à peu près partout ailleurs), je retrouve les traces de cette tendance qui m'attriste dans le chant lyrique actuel : des constructions vocales contre-productives, où tous les autres paramètres (aisance, projection, intelligibilité, couleurs, marges expressives) semblent sacrifiés à la recherche d'une certaine rondeur sombrée.

Et, ce donne l'impression d'être fou, c'est que si vous interrogez les professeurs, tous prétendront – de Grenade à Turku – enseigner la véritable technique italienne héritée du XVIIIe siècle napolitain et des grands chanteurs italiens des années trente. J'imagine que toute la pression sociale à ne pas parler trop fort, l'exemple des voix de cinéma et quelques autres paramètres conditionnent inconsciemment les chanteurs (indépendamment de l'enseignement reçu), mais clairement, pour avoir assisté à un certain nombre de cours publics, on met très souvent la couverture avant les bœufs, le fondu avant même la base de l'émission dynamique, et les professeurs semblent peu enclins à corriger la tendance.

Ce qui est très dommageable, à plusieurs titres :
→ les voix en arrière / en bouche sont plus fragiles et sensibles à la fatigue et au vieillissement ;
→ elles sont limitées en projection, ce qui affecte les rôles envisageables par les artistes et borne artificiellement leur carrière (alors qu'en sortant du CNSM, ils ont en général une entrée immédiate dans la carrière… si la voix était construite autrement, ils pourraient s'installer dans des premiers rôles prestigieux) ;
→ leur émission moins efficace rend la diction plus floue, ce qui met à distance le texte pour le public, en particulier en français ;
→ ce même problème d'émission moins dynamique rend les voix moins sonores et abolit l'impact si singulier de la voix lyrique (qui vous caresse directement la peau), ici aussi au détriment du public.

Or il s'agit réellement d'un choix idéologique – délibéré chez certains, ce que je respecte dans ce cas, c'est un arbitrage entre plusieurs paramètres, et le chant est toujours affaire d'équilibre et de compromis, jamais de grands principes uniques et absolus – mais le plus souvent, j'ai l'impression, plutôt impensé. Et j'ai le souvenir assez troublé d'avoir assisté à des cours ou reçu des témoignages sur des professeurs qui enseignent la couverture des sons avant même la respiration (!), qui veulent absolument étendre l'ambitus sans s'occuper sérieusement du timbre ou de l'effort produit… ce n'est certainement pas le cas au CNSM (qui sélectionne de toute façon des voix déjà bien faites), les professeurs choisis y ont une grande expérience, et même une réelle science (Yves Sotin est par exemple un formidable pédagogue de l'histoire de la voix), mais cela existe – par peur, je crois, du « son ouvert », le grand tabou du chant.


Le son ouvert
Second excursus – mais c'est un peu le but, que la notule puisse apporter des pistes au delà la liste des règles du concours et des accomplissement des candidats.

Pour une définition et des exemples de ce qu'est un son ouvert (et sur l'usage de la « couverture vocale »), je vous renvoie à la double notule sur le sujet. Disons simplement que pour ne pas se blesser en émission lyrique (avec larynx bas, contrairement à la variété et à la comédie musicale qui utilisent le larynx en position haute) et pouvoir monter dans les aigus, si l'on chante les voyelles telles que nous les parlons (en particulier les voyelles dites ouvertes, [a] antérieur, [o] ouverture ou celles qui sont très étroites comme les [é] et les [i], en particulier de couleur française), on se met en danger. Il faut donc (je le redis, le chant est toujours affaire d'équilibres et de compromis entre des paramètres concurrents) accommoder un peu les voyelles, déplacer leur point d'émission pour les « arrondir ». C'est ce que l'on nomme la couverture vocale – c'est donc un peu différent de l'opposition phonologique « voyelle ouverte » / « voyelle fermée », même si cela conduit aussi à

À cela s'ajoute ensuite le choix esthétique d'essayer d'obtenir une patine homogène sur la voix, en particulier pour le belcanto italien des XVIIIe et XIXe siècles, où les grandes lignes qui parcourent toute l'étendue de la voix requièrent une certaine continuité du timbre. Si bien que la couverture vocale se pratique aussi, selon les écoles de chant, en-dessous du passage – je n'aime pas trop ça personnellement (la couverture a tendance à sombrer le timbre et mettre à distance le texte), mais ce peut être très bien réalisé, et surtout très utile suivant les répertoires visés, afin d'éviter les ruptures brutales dans le timbre !
On peut cependant tout à fait couvrir et disposer d'une voix claire – on rencontre ce cas chez beaucoup de chanteurs qui mixent fortement (mixer les registres réclame cet ajustement des voyelles) –, comme Carlo Bergonzi, Alain Vanzo, John Aler… Et je dois dire que dans ce cas le texte reste superbement servi, car ce qui est déformé dans les voyelles peut être récupéré par l'expression grâce à la clarté et l'émission beaucoup plus souple.

Pour un professeur de chant, il faut donc tout de suite intervenir pour éviter les blessures et recommander ces ajustements dans les aigus. Par ailleurs, chanter des aigus ouverts appartient à l'esthétique hors-lyrique, et peut même manifester dans certains cas une « voix inculte ». Je me figure que c'est une raison de l'empressement qu'étudiants comme professeurs ont à investir ce paramètre en priorité ; mais je crains que ce ne soit pas toujours bien réalisé.

C'était mieux avant
Je me trouve ainsi dans la position assez désagréable du promoteur d'un supposé « âge d'or », et cela me met de fort mauvaise humeur, car par ailleurs je trouve que dans tous les autres domaines de l'interprétation musicale on n'a jamais fait aussi bien : les instrumentistes et les orchestres n'ont jamais été d'un tel niveau, l'approche respectueuse des langues et des partitions, l'inclusion du savoir musicologique n'ont jamais été à un niveau tel – oui, jamais – dans l'histoire de la musique occidentale.
Je sais que tous les mélomanes ne sont pas d'accord sur la qualité du niveau actuel, mais il se trouve que c'est quantifiable assez objectivement en comparant la finition instrumentale de n'importe quel disque des années 60 à ce qui se fait aujourd'hui : le Philharmonique de Vienne fait plus de pains et commet davantage de décalages en 1973 que l'Orchestre des Pays de la Loire en 2023. Qu'on aime davantage une esthétique que l'autre, bien sûr, c'est permis (et ce peut être quelquefois mon cas), mais le niveau technique ascendant, lui, me paraît difficile à contester.
On n'est même pas obligé d'y adjoindre une connotation morale sur les humains s'avançant vers le Progrès universel : tout simplement, aux époques où nous disposons d'enregistrements, les orchestres ont été décimés par deux guerres mondiales successives, qui n'ont pas épargné les musiciens. On a donc des orchestres où le recrutement est contraint par la mortalité, et de même pour la transmission : ce n'étaient pas nécessairement les meilleurs qui officiaient ni enseignaient. Par ailleurs XIXe siècle, on sait bien que les compositeurs se plaignaient que leurs œuvres ne soient pas jouées correctement.

Et donc, pourquoi le chant serait-il moins performant ?  Est-ce seulement parce qu'il s'agit d'une de mes marottes ?
D'abord, tout simplement, parce qu'il ne peut pas y avoir de progrès dans la facture instrumentale – sauf par sélection génétique des couples voulant enfanter un chanteur, mais je ne suis pas sûr que nous voulions collectivement nous engager dans cette aventure. Ensuite, parce que la voix est complètement intégrée à nos modes de vie : son évolution influe sur notre psychologie et l'attente sociale vis-à-vis des sons que nous émettons – notre façon de percevoir et d'être perçu, comme dirait Berkeley.
Enfin, c'est tout simplement ce que je constate de façon tout à fait empirique. Typiquement, dans le répertoire baroque, on disposait de voix très singulières, aux timbres plus étroits, mais correctement projetées et très efficaces pour phraser ; aujourd'hui, on recrute plus volontiers des voix initialement formées au répertoire du XIXe siècle – ce qui pose toutes sortes de problèmes pratiques.

Je ne me réjouis pas du constat, et ne fais pas de grands discours graves sur le déclin de l'Art, je me désole au contraire je ne plus pouvoir apprécier, comme il y a encore dix ans, les émissions vocales (avec mes préférences mais) dans leur diversité. La fréquentation des salles d'opéra, au fil des quinze dernières années, m'a (hélas pour moi) permis de mesurer la différence d'efficacité entre les types d'émission. Marc Mauillon et Jonas Kaufmann sont sans contredit deux immenses artistes ; mais le premier, en dépit de son timbre presque grêle, est audible du fond des plus grands vaisseaux sans aucun effort pour l'auditeur, tandis que le second, malgré ses allures de voix dramatique, peut être concurrencé par un orchestre et n'a pas du tout le même impact physique dans une salle.
D'une manière générale, les voix nasales, qui paraissent disgracieuses au disque, sont les plus efficaces en salle. On entend mieux Mime que Siegfried en général, parce que Siegfried ne s'autorise pas ces sons-là et cherche une belle patine héroïque… qui freine sa projection. Et le disque, qui permet au plus vaste public de se familiariser avec les chanteurs à la mode, accentue cette discordance : Simon O'Neill paraît ridiculement nasal en retransmission ; pourtant en salle, la voix est très bien équilibrée (et bien projetée). Ou bien sûr Klaus Florian Vogt, une des voix les plus aisément audibles dans n'importe quelle salle de concert, alors que le timbre en paraît enfantin. La pression du disque (et l'illusion des enregistrements) incite sans doute énormément les chanteurs à aller dans le sens inverse.

Ayant constaté cela, je l'avoue, il m'est devenu difficile de ne pas ressentir du regret en écoutant des artistes formidables, des voix globalement bien faites, qui se privent elles-mêmes de leur vrai potentiel. Et de pouvoir extrapoler combien on pourrait profiter de leurs inflexions textuelles, de leur timbre, si le curseur de l'équilibre choisi était un peu plus en avant, un peu moins dans la gorge ou dans la bouche.
Cela ne veut pas dire qu'il soit mal de faire cohabiter des esthétiques différentes, vive la diversité !  Et j'adore certaines voix pourtant très en arrière (Sally Matthews, Charles Workman, Endrik Wottrich…), dont la singularité de timbre ne serait équivalent dans une autre position. Par ailleurs, la dominante est celle-là pour l'instant au niveau mondial, mais rien ne dit que les goûts ne changeront pas. (Du moins si le genre opéra survit, mais c'est un sujet pour uneautre notule, c'est assez de discours afférents pour aujourd'hui.)

Parmi les candidates que j'ai aimées (car je me plains, mais je trouve que ce sont de bonnes chanteuses, au delà de mes réserves ponctuelles !), les deux candidates ukrainiennes avaient un profil comparable : de bonnes voix, solidement charpentées, incisives, plutôt calibrées pour l'opéra. J'ai cependant été séduit par le français très correct (pas évident pour les slaves orientaux, d'ordinaire !) de Svitlana Vlasiuk [vidéo Debussy, Green] et le côté un peu appliqué de l'ensemble, on sentait le grand soin apporté. À ce titre, j'ai été surpris par la sélection en demi-finale de Daria Mykolenko. La maîtrise de l'instrument est là, cependant peu à l'aise dans les langues étrangères (la voix se met à rayonner soudain extraordinairement pour le Lysenko final, clairement optimisée pour l'opéra slave) – ce qui se confirme dans l'exécution de la création, le nez dans la partition, beaucoup d'erreurs sur les mots, et une difficulté à accentuer de façon expressive. La maîtrise linguistique était sans doute insuffisante en amont. [vidéo Lesya Dychko]
Cependant dans les deux cas, des techniciennes solides que j'entendrais avec beaucoup de plaisir à l'opéra, en particulier dans le répertoire de leur aire culturelle !  (Je serais de toute façon partisan, dans l'absolu, de faire chanter les opéras en langue originale uniquement si l'on a de véritables locuteurs.)

Pour clore la section des bonnes voix, deux Grecques, Theano Papadaki, voix assez mate, un peu acide (j'ai pensé quelquefois à une émission alla Druet), qui imprime une véritable respiration au Strauss, vraiment bien construit. Le reste m'a moins touché – à commencer par Skalkottas, une mélodie qui n'est pas le sommet de sa production, et où le timbre sonnait désagréablement à mes oreilles. [Vidéo Viardot où la voix est bien mieux focalisée, et même franchement séduisante.]
 Plus partagé sur Marianna Nomikou, voix un peu pesante et dotée de peu de legato, avec un vibrato de voix mûre – il est possible que l'exercice du lied soit trop étroit pour sa technique et sa voix et c'est pour cela que, sans avoir été convaincu par sa proposition, je pense qu'elle doit pouvoir donner satisfaction dans d'autres répertoires ; j'espère qu'elle trouvera sa voie dans Wagner, où l'on accepte ces contraintes si la voix est suffisamment large. [vidéo Pijper]



8. Revue des candidats chanteurs : celles que je n'ai pas aimées

J'ai longtemps hésité avant de rédiger cette section. Je ne veux surtout pas nuire à leur carrière – et la vérité est qu'elles en ont déjà une bien lancées, et ne sont donc assurément sans compétences ni qualités ! Dans le même temps, ma loyauté doit-elle aller à des chanteuses qui se produisent publiquement, ou aux lecteurs que je souhaite informer ?  Je veux dire, si je ne parle que de ce que j'ai aimé, est-ce qu'on peut se rendre compte de l'éventail, des enjeux éventuels ?
Par ailleurs – toutefois je crains d'être un peu prétentieux à l'espérer –, est-ce qu'il n'est pas judicieux, d'une certaine façon, de les prévenir des voies d'amélioration, des potentielles limites sur le moyen terme pour leur instruement ?  Idéalement, ce type de conseil devrait plutôt se faire en privé, à supposé qu'ils soit audible ou utile ; car, une fois dans la carrière, on n'a pas le loisir de retravailler sa technique au fond. Les cas existent, mais ils sont rarissimes.

Je pense toutefois intéresser de publier cet avis, qui reste celui d'un petit site isolé, avec des goûts de niche qui ne prétendent pas faire autorité ; et de le rédiger de la façon la moins dépréciative possible. Il s'agit davantage de mettre en lumière certains écueils, et c'est évidemment compliqué à formuler sans exemple.

Maud Bessard-Morandas me donnait l'exemple d'un profil fréquent et un peu douloureux pour moi : les sopranos coloratures qui émettent le son en arrière. Le timbre s'abîme vite dans ces conditions, alors que la matière de la voix et l'essentiel de la technique permettrait tout à fait des sons francs, brillants et doux. Certaines font de brillantes carrières et remportent d'immenses succès avec ce type de profil – je pense à Marie-Ève Munger en France, et Brenda Rae sur les plus grandes scènes du monde. Mes camarades de concert ne sont pas nécessairement sensibles à mes réticences sur ce point (il faut dire que c'est aussi affaire de timbre, la chose la plus subjective du monde).
On peut assez bien en juger sur cette vidéo où elle interprète la même mélodie d'Aboulker que lors du concours ; elle est certes ici beaucoup plus détendue, en situation de concert, mais on entend les caractéristiques de la voix – de façon beaucoup moins frappante qu'en salle je trouve, je n'aurais pas été très incommodé en entendant le résultat en retransmission.

J'ai peu à dire sur Annouk Jobic (mezzo-soprano) : l'émission m'a paru largement appuyée sur la gorge, donc épaisse, opaque, peu projetée, très peu intelligible, et difficile à phraser ensuite. Je trouve que pour une chanteuse française, le compte n'y est vraiment pas dans sa propre langue. Il aurait sans doute beaucoup de travail pour changer cela (et elle fait déjà carrière, donc tout va bien), il faudrait changer tout l'équilibre et toutes les priorités de la voix.
[Mélodie Viardot, feat. Anne Le Bozec]

Pour finir, Jeanne Lefort. Je pense qu'elle était malade : ce jour-là, tout paraissait poussé par la gorge et doté d'un vibrato de fin de carrière assez préoccupant pour une aussi jeune chanteuse. Or, si la voix est bel est bien placée assez en arrière [vidéo Bousset] et opaque, difficile à contrôler, on entend tout de même une technique beaucoup plus cohérente dans l'extrait de Previn présent sur son site.
En l'entendant, avec le timbre terrible, le texte incompréhensible qui se dissout dans des sortes de sons indistincts, les [i] à la française très étroits et l'impossibilité, avec tous ces handicaps, de proposer véritablement une interprétation, j'ai sincèrement pensé que tout était à reprendre dans sa voix, et qu'elle aurait intérêt à reprendre du départ tous les éléments – ça va plus vite quand on a déjà pratiqué, évidemment – constitutifs d'une technique saine.
Pourtant avant d'écrire ceci, j'ai regardé sa biographie, elle est issue du CMBV (donc a priori pas du tout ce type d'esthétique et de technique), et elle a réellement des engagements réguliers. Je me suis donc interrogé, et en effet en écoutant les extraits disponibles en ligne, certes je n'aime pas beaucoup ce que j'entends, mais ce n'est pas du tout aussi préoccupant que lors du concours.
→ Une leçon, donc, pour tous les auditeurs : la méforme peut affecter tellement une voix qu'elle en paraît défectueuse. Souvent, on s'aperçoit de la différence entre la laryngite qui assèche progressivement le timbre puis l'émission elle-même, et une technique mal conçue. Mais pas toujours. Il faut aussi bien avoir conscience, en particulier pour les femmes, que la périodicité de leur physiologie peut affecter très significativement la voix – à présent que ces sujets sont audibles dans l'espace public, un assez grand nombre de chanteuses (dont certains, comme Elsa Dreisig, paraissent pourtant tout le temps en forme vocalement !) ont raconté comment, chaque mois, elles ont l'impression de perdre leur voix et en tout cas leurs repères physiques pendant quelques jours. C'est pourquoi la cruauté ne saurait être justifiée envers les chanteurs, et encore plus les chanteuses – la méforme est une réalité tangible.

En somme, je n'ai pas aimé ces voix-là ; je pense même qu'elles devraient retravailler certains aspects fondamentaux de leur technique, mais elles sont de toute évidence, quelle que soit ma conviction, capables de soutenir une carrière naissante plutôt prometteuse.



9. Revue des pianistes

Comme mentionné initialement, je ne pourrai parler de tout en détail concernant les pianistes, n'ayant pas eu les partitions sous le nez et leur travail s'articulant spécifiquement en écho avec celui de leur partenaire. Bien que je sois plus souvent moi-même pianiste accompagnateur que chanteur, je dois admettre que le mythe d'un duo à égalité n'a pas réellement de sens – tant un timbre de voix peut être immédiatement séduisant ou répulsif, et surtout à cause de la puissance d'évocation des mots, qui sont, qu'on on en die, à la merci du seul chanteur.

Cependant j'écoute beaucoup les accompagnateurs lors des récitals de lied, comment ils font soudre l'atmosphère ou le sens de simples flux d'articulation, d'accents soigneusement pensés, de contrastes de textures… et si le niveau était fort haut, on peut tout de même distinguer quelques individualités.

Gabriel Durliat était sans doute celui qui inventait le plus de contrastes subtils, permettant à l'implicite de certains mots une éclosion imprévue. Particulièrement frappant dans la création de Pesson, très variée et graphique sous ses doigts, là où les procédés pouvaient paraître un peu d'un bloc chez d'autres candidats.

L'autre désité de la session, c'est Anne-Louise Bourion, une réalisation technique d'une précision et d'une facilité incroyables, avec beaucoup d'idées, capable de faire tinter son piano avec une pureté rare… On se situe à un niveau rare chez des accompagnateurs, même pour une compétition de cette qualité.

Johan Barnoin m'a stupéfait dans les pièces très difficiles de la demi-finale (« Ce sont des villes » des Illuminations de Rimbaud, à peine jouable ; et en feu dans la création de Pesson !), son engagement et la franchise de son jeu ont renforcé l'excitation du moment. Fauré translucide (Reflets dans l'eau) très réussi également, en couronnement du programme. J'ai été très surpris que son duo avec Benoît Rameau n'atteigne pas la finale – et potentiellement la victoire.

Sensible aussi l'éloquence des phrasés délicats de Joanna Kacperek ; je retrouve Héloïse Bertrand-Oleari, que j'admire depuis des années déjà, mais qui ne m'a pas paru aussi saillante que d'ordinaire ; beaucoup aimé aussi le galbe imprimé par Marie-Louise Tocco (visuellement immédiatement reconnaissable : elle a une mimique adorable, avançant sa mâchoire pour rythmer ses phrases).

J'ai globalement été impressionné très favorablement par tous les autres pianistes. Parmi ceux qui sont allés loin, Johannes Bolmvall, plus littéral, a aussi été un peu fébrile dans la demi-finale (expliquant peut-être que son duo n'ait pas été retenu, alors que leur proposition était l'une des plus singulières et marquantes pour moi). Et je n'ai pas été passionné par l'exécution très droite, pas très frémissante, chez Mark Rogers – très valeureux, sans la plus-value des autres pianistes présents.

Il faut évidemment mentionner pour conclure le cas particulier de Revaz Abramia : énorme niveau digital, agitant tout son corps, comme s'il jouait un concert de Rachmaninov, avec un son très bien fondu et une grande maîtrise des dynamiques. J'ai été comme mes camarades partagé entre l'intérêt pour ses choix originaux et un peu moins convaincu par l'aspect quelquefois un peu apprêté des nuances. Profil très atypique pour un accompagnateur de lied, on l'imaginerait plutôt dans un grand récital Chopin, mais il propose précisément autre chose, de cohérent et abouti.



10. Ce qu'apprennent les concours

J'espère que ce petit parcours aura permis d'identifier quelques jeunes noms appétissants d'interprètes déjà pleinement mûrs, mais aussi de poser quelques questions sur les lignes de force et les préférences dans l'enseignement du chant, le rapport au texte, l'esprit du temps… C'est en cela que les concours sont passionnants, aussi bien pour la diversité des profils qui se succèdent que pour ce qui est révélé par les choix de jurys.

(On voit beaucoup de jeunes chanteurs empiler les concours inlassablement, parfois recalé dès les premiers tours, jusqu'à ce qu'ils conviennent à l'esthétique d'un jury qui les couronne. Souvenir d'Anna Kasyan, par exemple, qui avait fait une carrière solo tout à fait honorable par la suite. Pas mal de compétiteurs du Concours Boulanger étaient dans ce cas, ayant déjà écumé les concours de mélodie et de lied en France et en Allemagne.)

L'ensemble de la demi-finale et de la finale est toujours visible sur RecitHall, et sera sans doute prochainement disponible, duo par duo, sur la chaîne YouTube du Centre International Nadia et Lili Boulanger – où vous pourrez entendre les duos  des précédentes éditions, fascinants également.

Bonnes écoutes !

mercredi 20 septembre 2023

Edelweiss – Panorama de l'intellectualité collaborationniste



J'étais très curieux d' Edelweiss France Fascisme mis en scène par Sylvain Creuzevault : j'avais déjà été séduit par son adaptation des Démons de Dostoïevski, polyphonique, ressassante, sarcastique, fresque simultanée de sourires et de folie… et ce malgré malgré un certain empilement de « trucs » de théâtreux un peu inutiles et assez intrusifs (tabac et fumigènes dans la face, sono à fond (ambiance discothèque pendant 5 minutes), contrastes lumineux délibérément aveuglants (amis épileptiques bonjour), éclairage au stroboscope, acteurs qui marchent *sur* le public, et avec pour point d'orgue l'exécution simulée d'une spectatrice montée sur scène, qui était terrifiée…
Le foisonnement, les ajouts très actuels (pour une intrigue très liée aux groupes nihilistes du XIXe tardif russe), concordaient particulièrement bien avec l'esprit de la narration de Dosto, avec ces voix discordantes qui se superposent (qui parle, bon sang ?), ces palinodies empilées…

J'espérais donc assez haut pour cette proposition inhabituelle de mise à l'honneur des écrivains collaborationnistes. En effet le spectacle, co-écrit par les acteurs (issus du Théâtre National de Strasbourg et de son école), se fonde très largement sur les écrits d'intellectuels et hommes politiques collaborationnistes, à peine remis dans le contexte de petites conversations imaginaires, juxtaposées les unes aux autres. Une mosaïque de propos tenus par Robert Brasillach, Lucien Rebatet (les deux plus présents), Marcel Déat, Philippe Henriot, Pierre Drieu la Rochelle, Céline, Jacques Doriot, Pierre-Antoine Cousteau, Joseph Darnand, Fernand de Brinon…

Structurellement, pas de folie : de petites scènes plutôt chronologiques (on débute par le procès de Brasillach, puis on repart en arrière pour suivre toute la guerre jusqu'aux exécutions des intellectuels), assez didactiques – ils n'hésitent pas à s'appeler par leurs noms complets à plusieurs reprises, portent des panneaux avec leurs prénoms, etc.
D'un point de vue formel, donc, on pourrait dire – je doute que ça fasse plaisir à Creuzevault – que ce n'est pas très différent d'une pièce de Michalik.
Mais ce n'est vraiment pas un blâme de ma part : on échappe aussi à tout ce qu'il pouvait y avoir d'intrusif dans Les Démons. À part quelques sons un peu forts (mais quelques secondes et tout à fait supportables) et de longs effets stroboscopiques – deux scènes constituées de bouts de documentaires concaténés à un fragment par seconde… –, rien d'inconfortable. Si, plusieurs nus : Rebatet (joué par une femme) se fait ausculter par Céline, mais ça entre plutôt bien dans le récit et est traité sur un mode loufoque qui diminue la potentielle gêne ; et une sorte de ballet aryen par trois acteurs et deux actrices intégralement nus (et dont la nudité paraît dispensable), mais on voit ça tellement souvent au théâtre que je ne sais même pas si c'est encore la peine de prévenir…

Globalement, une forme simple, mais très lisible, qui permet de façon de suivre très intuitive le parcours de ces figures, tout en échappant à tout interventionnisme didactique. C'est ce que j'espérais du spectacle, et cela réussit : on peut se plonger dans la pensée fasciste de ces années sans s'infliger mainte monographie, c'est une galerie de portraits qui fait défiler des positionnements très divers, sans que Creuzevault nous prenne la main pour nous rappeler que le racisme c'est mal et qu'assassiner des innocents c'est pas bien. On nous laisse tranquille pour nous balader et observer ces figures, très caractérisées (Rebatet l'exalté fantasque, Drieu le dandy, Déat l'arriviste raté, Brasillach le vilain petit canard trop modéré…), chacune avec son agenda propre : Laval le pacifiste qui fournit l'Allemagne en soldats pour se conserver l'illusion que la France ne fait pas la guerre, ceux qui souhaitent l'aide de l'Allemagne de se débarrasser des Juifs, ceux qui acceptent de se débarrasser des Juifs pour être libérés de l'Allemagne, ceux qui collaborent pour sauver ce qui peut l'être de leur France rêvée, ceux qui collaborent pour que la France ressemble à l'Allemagne, ceux qui souhaitaient la victoire de la France et se résignent à la défaite, ceux qui souhaitent la victoire de l'Allemagne…

Antisémitisme, anticommunisme, nationalisme français, admiration pour le nazisme et quelquefois même admiration pour l'Allemagne plus que de la France, les ressorts des collaborationnistes sont exposés dans toute leur diversité et s'incarnent dans leurs débats véhéments, souvent loufoques. C'est une belle fenêtre sur la complexité du monde, et certains raisonnements, déconnectés de leurs écrits (moins sympathiques) paraissent presque raisonnables ou respectables – tels Brasillach et Drieu qui, dans leurs procès, assument d'avoir misé sur le mauvais cheval et d'avoir espéré atteindre leur agenda personnel via la collaboration.
Je trouve que cela rend compte de façon intéressante de ce que pouvait être la logique interne de leur raisonnement qui nous paraît monstrueux en le regardant avec notre propre morale, mais qu'il est intéressant de comprendre de l'intérieur.

Tout cela est par ailleurs agencé d'une façon assez habile, qui évite l'écueil de la sympathie / fascination / complaisance, mais ne dit pas non plus quoi penser ; beaucoup de distance et de dispositifs amusants qui permettent de rappeler que ces personnages restent des personnages de théâtre, et que ce n'est pas tout à fait le véritable collaborationniste criminel qu'on voit sur scène : ainsi la scène de la formation du nouveau gouvernement de Pierre Laval, où tous sont alignés avec leur téléphone et déclenchent du pied leur propre sonnerie, où les conversations sont précipitées, les téléphones raccrochés au nez, contractant en quelques minutes toutes les fastidieuses complexités des refus, des exigences, des rapports de force. Ou la traduction incongrue des salutations nazies exprimées par l'ambassadeur (« salut Hitler, oui mon guide »), l'interprétation de Rebatet et Brasillach par des femmes, les chansons insérées, la voiture qui est à moitié imaginaire (seul l'avant est figuré, mais tous ouvrent soigneusement les portes invisibles), etc.

Je ne dis pas que tout cela décolle vers le sublime – le sujet est complexe, et tout est parfois exposé de façon un peu trop claire (mais on peut de ce fait très bien suivre sans y connaître grand'chose, je pense !) –, mais c'est du beau théâtre, avec beaucoup d'idées scéniques efficaces, et l'accès à un pôle de la pensée souvent évoqué en globalité, et qui retrouve ici ses innombrables tensions et contradictions. Les débats sanglants entre Rebatet (admirateur sans bornes de l'Allemagne) et sa mère (Action Française anti-allemande) ou l'exclusion de Brasillach de Je suis partout (pour ne pas mentir en cachant la défaite de Mussolini et seulement se concentrer sur les problématiques de Révolution Nationale) sont à ce titre assez stimulantes par ce qu'elles donnent à comprendre et à imaginer, dans une forme qui reste assez poétique – car le cadre est toujours suggéré, jamais totalement représenté.

Dans l'idéal, j'aurais aimé encore moins de didactique – les petits documentaires insérés sur les raffles et les résistants ne me paraissent pas avoir de rapport direct avec le sujet, et semblent là pour bien rappeler que, non, les concepteurs ne sont pas des nazis –, mais en réalité sans cela il ne serait pas toujours facile de suivre les personnages (qu'on connaît mal et qui ne sont pas nécessairement campés de façon ressemblante !) et les procédés de mise à distance procurent une variété bienvenue. Les 2h20 passent de façon très fluide.

La vraie différence, je crois, c'est bien sûr le savoir-faire scénique du metteur en scène, et mais aussi et surtout l'usage de textes d'origine : cela évite tout prêchi-prêcha, toute caricature, tout euphémisme – c'est la pensée crue de ce qui était dit et publié à l'époque, et c'est au public d'en faire ce qu'il voudra. Sylvain Creuzevault le dit très clairement, et il l'a fait.

Question : Comment allez-vous manier ce matériau dangereux, explosif ?
Creuzevault : Au calme. L’intelligence est dans l’œil du spectateur. 

C'était la première des deux avant-premières, et à mon sens une expérience qui devrait satisfaire les curieux.

vendredi 14 juillet 2023

Dernières nouveautés, disques doudous et éthique du commentaire laconique


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Beaucoup de nouveautés originales et dignes d'intérêt, de réécoutes de disques importants pour moi dont je n'ai pas encore eu l'occasion de parler ici. C'est pourquoi, bien que d'ordinaire je place toutes les écoutes quotidiennes dans ce fichier (toujours accessible par le lien en haut de chaque page du site, en bleu : « nouveautés disco & autres écoutes ») et quand je n'en ai pas le temps, dans la playlist Spotify prévue à cet effet (une piste = une écoute du disque entier, les derniers écoutes sont en bas), écoutable sur PC sans abonnement payant (avec de la pube, certes)… pour cette fois j'en présente le résultat ici.

Ce sera aussi l'occasion de rappeler la démarche de ces commentaires courts, qui me posent souvent une difficulté éthique : est-il convenable de commenter chaque disque, même lorsqu'on a peu à dire, avec « c'est bien » / « peut-être pas essentiel », etc. ?  Tentative de pistes de réponses en fin de notule.




Je rappelle le principe de la cotation (indicative) :

♥ chouette disque que je recomande
♥♥ disque particulièrement marquant (œuvre à connaître et/ou interprétation aboutie / renouvelée)
♥♥♥ disque qui change la vision du monde / du répertoire

¤ j'aime pas du tout (ça joue faux, mollement, et il y a des coupures, dans un répertoire ennuyeux et déjà ultra-rebattu)
Exemple : les intégrales Donizetti avec Callas (mais non, je plaisante, je les aime bien – mais avouez que ça correspond assez bien au signalement…)
¤¤ disques de Philip Glass

Suite à quelques messages inquiets d'artistes, quand je ne mets pas de cotation, ce peut être : un oubli (ça arrive régulièrement), mais en général plutôt un disque que j'ai trouvé très bon mais qui, dans l'immensité de ce qui paraît, n'est pas ce que je conseillerais en urgence. (Typiquement, une intégrale Beethoven, il faut qu'elle soit déjà vraiment très bonne pour que je mette un ♥, je ne vais pas recommander d'écouter ça s'il n'y a pas une raison particulière de le faire. De même pour des œuvres avec lesquelles je n'accroche pas : je ne peux pas recommander quelque chose qui ne m'a pas intéressé moi, mais ce n'est absolument pas un témoignage négatif sur le disque !)
En somme, c'est la présence de cotation qui est un signal, pas son absence !



A. Nouveautés (juin-juillet 2023)

Quelques mots sur les nouveautés de juin-juillet (par chronologie des compositeurs) :

Legrenzi, oratorio La morte del cor penitente, par l’Ensemble Masques. J’ai toujours soutenu l’idée que Legrenzi était un chaînon manquant indispensable de l’opéra italien, avec une liberté musicale acquise par rapport à la déclamation du premier XVIIe, mais sans la fascination exclusive pour la virtuosité et la voix du seria du XVIIIe… Ici cependant, ce n’est pas la fête de l’innovation, oratorio que je trouve un peu figé, plutôt typé milieu XVIIe. Pas passionné, même si c’est très très bien chanté par ailleurs.

¶ Santiago de Murcia, une nouvelle version du livre de guitare par Núñez Delgado. Corpus incroyable, tubes inusables (Marionas por la B, Canarios, Jácaras…) ; comme souvent, on entend les irrégularités de timbre de l’instrument – il faut écouter Ana Kowalska (de Lute Duo) ou Pierre Pitzl (de Private Musicke) pour entendre la perfection.

¶ Ultime volume de l’intégrale Marais de L’Achéron. Je n’ai pas tout écouté. J’ai eu l’impression d’un instrumentarium plus resserré (une seule viole) et d’une recherche moindre de couleurs – mais j’imagine que lorsqu’on se lance dans ce genre de projet, on place les meilleures œuvres et celles où l’on a le plus à dire dans les premiers volumes… Possible que, passé la stupeur des deux premiers volumes, je me sois moi-même habitué, au sein d’un répertoire qui ne me passionne qu’avec les œuvres les plus abouties.

¶ Serse de Haendel par The English Concert : discographie déjà riche et je trouve les couleurs un peu maigres, le tempérament un peu indolent… c’est bien chanté, mais l’orchestre semble sortir de la période pré-Pinnock, c’est un peu frustrant à l’écoute, n’impression que tout se traîne de façon assez homogène.

¶ L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel par Les Arts Florissants. Écouté quelques extraits, ça semble très bien – au sein toutefois d’une discographie déjà saturée, où Martini, Gardiner, Nelson ont déjà livré des versions très diverses et abouties. (Un tel gâchis que cet ensemble tourne en rond depuis quinze ans, il est temps de remplacer le vieux persécuteur…)

¶ Concertos pour violon de Vivaldi dans des transcriptions anonymes pour psaltérion (par Il Dolce conforto). L’occasion d’entendre pépiter cet instrument délectable, d’ordinaire plutôt utilisé en complément dans l’orchestration (Pluhar en mettait souvent à une époque) – une petite impression d’homogénéité tout de même au bout d’un moment, vu qu’il n’y a que des concertos de Vivaldi et que les nuances dynamiques de l’instrument sont particulièrement réduites. ♥

Rameau à l’orgue par Higginbottom : vendu comme un renouvellement du répertoire de clavecin, on y trouve en réalité beaucoup de transcriptions de danses et airs de ses opéras. Et le résultat reste assez tradi. Mais très beau disque au demeurant. ♥

¶ Le concerto n°20 de Mozart réduit pour ensemble de chambre à l’époque du compositeur (Lichtenthal) et joué sur instruments anciens (Pandolfis Consort), avec l’extraordinaire Aurelia Vișovan, on redécouvre les équilibres et la modernité de l’œuvre, avec des coloris jubilatoires. Jamais entendu mieux pour ma part, et de loin. (Mais comme je dis la même chose des concertos de Beethoven par Cristofori et Schoonderwoerd, soyez prévenus.) ♥♥

¶ Réduction pour tout petit ensemble (flûte violon violoncelle piano) des symphonies 2 & 5 de Beethoven par Hummel (ensemble 1800berlin). Moins impressionné que dans le disque Vișovan, lectures très animées, mais je n’ai finalement pas énormément perçu le contraste avec les originaux. Ça fonctionne en revanche complètement aussi bien qu’avec soixante musiciens, c’est donc une piste intéressante pour les économies dans le secteur : flûte, violon, violoncelle, piano. Transcription approuvée par Beethoven, qui avait confié la tâche à de bons compositeurs proches de lui pour éviter la diffusion de mauvais arrangements. Il lui est même arrivé d'écrire dans la presse pour signaler qu’il n’était pas l’auteur des mauvais arrangements, afin de préserver sa réputation et l’intégrité de son œuvre ! ♥

¶ Les quatuors à vent de Rossini par la Rolls des ensembles chambristes mixtes (vents-cordes), le Consortium Classicum (vraiment le fer de lance de ce répertoire, avec le Linos Ensemble dont les compétences s’étendent plus loin dans le temps, jusqu’aux décadents du premier XXe s.). Et je découvre en les écoutant qu’il s’agit manifestement des mêmes partitions que ses fameuses Sonates à cordes (pour deux violons, violoncelle, contrebasse !). Je ne sais s’il s’agit d’un arrangement du compositeur ou postérieur. En tout cas, cela sonne très bien malgré le changement total de modes de jeu, et toujours la même fraîcheur de ton. Je regrette un peu l’absence de hautbois (au lieu de la flûte), mais cela contribue sans doute à une forme de douceur suave (flûte clarinette cor basson). Superbe interprétation, nette et colorée comme toujours chez eux. ♥

¶ Die schöne Müllerin de Schubert par Krimmel : oh là là, quelle merveille !  D’abord, parce que Krimmel essaie quelque chose dont j’ignore la pertinence musicologique, mais qui fonctionne idéalement : il y a beaucoup de lieder strophiques dans la Belle meunière, et il varie le rythme ou les ornements des reprises. Avec énormément de goût, de variété, et toujours très en style (Schubert a écrit ailleurs les choses qu’il fait). L’effet de renouvellement est puissant par rapport aux autres versions, et évite la redite parfois lassante au sein de chaque lied. Ensuite, l’interprétation elle-même : Krimmel fait parler le texte, nous raconte une histoire comme il sait si bien le faire, et se coule dans le caractère de chaque situation en adoptant (sans aucune affectation ni artificialité) une émission vocale plutôt baryton (avec un médium dense) ou plutôt ténor (avec une focale fine et une émission plus claire et étroite), pour coller au mieux au caractère des scènes et aux contraintes techniques des lieder, sans qu’on sente du tout de rupture. Malgré la souplesse des moyens, on est à peu près à l’opposé de l’esthétique Gerhaher (qui multiplie les effets et les changements d’émission pour accompagner le texte), ces choix se font au profit d’une approche globale qui laisse parler les poèmes sans les seconder exagérément. J’adore évidemment. ♥♥♥

¶ Les Études en forme de canon de Schumann… transcrites pour trio piano-cordes !  Voilà qui renouvelle l’écoute de ce petit bijou – même si, en fin de compte, il n’y aurait rien à rajouter aux versions au piano ou à l’orgue. (Trio Kungsbacka) ♥

¶ Un Ballo in maschera de Verdi : délicieuse surprise de l’entendre aussi bien chanté : De Tommaso est quelque part entre Di Stefano et Castronovo (!), Hernández a un beau mordant façon Radvanovsky (j’imagine l’impact en salle), Lester Lynch est très mobile aussi… Je suis comme d’habitude moins enthousiasmé par ce que fait Janowski (orchestre très rond, très homogène, accentué par les tropismes de captation PentaTone), chef incroyable dans le domaine symphonique ou dans Wagner, mais clairement moins au cœur de l’enjeu (épouser la mobilité prosodique) dans le répertoire italien qu’il enregistre quelquefois. Très bonne version en tout cas, on n’en a pas tant eu de ce niveau ces dernières décennies. ♥

¶ La Tempête, Le Voïévode, Francesca da Rimini de Tchaïkovski, association de pièces moins souvent jouées mais hautement abouties, par Chauhan et la BBC d’Écosse, tout à fait enflammés. ♥

¶ (cycle Ukraine) Kalinnikov (mort à Odessa) par le Niederrheinische Sinfoniker chez MDG, lecture un peu sérieuse qui ne tire évidemment pas vers l’ascendance russe, mais la Première Symphonie est tellement saturée de thèmes très typés qu’on l’entend très bien tout de même. Et plaisir d’entendre des pièces rares comme Le Cèdre et le Palmier, la Sérénade pour cordes et surtout les deux très beaux intermezzi symphoniques ! ♥♥

¶ L’Heure espagnole de Ravel sur instruments d’époque par Les Siècles. Petite déception : ce n’est pas la version la plus savoureuse, tout est très bon (les chanteurs que je n’aime pas trop sont meilleurs que d’ordinaire, et ceux que j’aime un peu moins inspirés que d’habitude…), mais je n’y ai pas trouvé énormément de couleurs supplémentaires ni de verve. Une autre très bonne version donc, qui ne révolutionne pas du tout l’audition, à l’inverse de la plupart des disques des Siècles et/ou de Roth.

¶ Monographie Tailleferre de Quynh Nguyen, notamment les cycles Fleurs de France et L’Aigle des rues. Pas le Tailleferre néoclassique (raisonnablement) cabossé à robinet continu, plutôt de la musique de salon plaisante et bien faite. J’ai bien aimé. ♥

¶ En revanche je me suis assez ennuyé pour les pièces de Tailleferre dans le disque à quatre mains et/ou deux pianos de Jones & Farmer, où je retrouve le côté grotesque (mais sans grande saveur) de sa production, qui tire vers le (très) mauvais Milhaud. Dans ce disque-ci, Le ruban dénoué de Hahn est autrement plus avenant, et surtout les œuvres de Koechlin (la Sonatine est vraiment d’une grande qualité poétique). ♥

¶ Suite tirée de l’opéra Wuthering Heights (en réalité plutôt des extraits incluant les duos des deux personnages principaux) de Bernard Herrmann. On y retrouve la très belle musique sombre, consonante, lyrique du compositeur de BOs, avec une qualité de production (chanteurs, musiciens, prise de son) assez supérieure à l’intégrale captée à Montpellier (qui est déjà très bien). On y entend notamment l’incomparable poète Roderick Williams et le forcené de la baguette Mario Venzago, deux chouchous personnels. ♥

¶ La suite du ballet Kratt révèle un Tubin bien plus fin orchestrateur et beaucoup mieux animé que ses symphonies. Belle découverte, interprétée avec un audible investissement par l’Orchestre du Festival d’Estonie (et Paavo Järvi). ♥

¶ Elusive Lights, c’est un disque solo du violoncelliste Dorukhan Doruk, avec une sélection passionnante de pièces, assez lumineuses (ce qui change de l’habitude dans ce répertoire) : Bloch, Saygun, Say, et surtout Sollima et Cassadó, des mondes entiers défilent, plutôt tendres que déprimés. Une autre façon d’entendre le violoncelle. ♥♥♥

¶ J’ai fait une erreur et écouté le volume 9 ♥ de 2020 au lieu du volume 14 de 2023 (Helsinki), mais je peux déjà parler du concept du cycle de James D. Hicks sur des orgues du Nord de l’Europe : des répertoires totalement inconnus se révèlent, joués sur les instruments locaux. Complètement passionnant, et très belle réalisation. Dans le volume 9, consacré à la Suède : Gunnar Idenstam, Nils Lindberg, Erland von Koch, Herman Åkerberg, Gunnar Thyrestam, Fredrik Sixten, Anders Börjesson. Je ne connaissais presque rien de tout ça, et il y a beaucoup de très bonne musique. Je vais écouter toute la série !

¶ Pour les volumes de 2023 de la série de James D. Hicks, j’ai écouté le volume 13 ♥ (capté à Turku sur un orgue des années 30), consacré aux romantiques finlandais. Des choses assez traditionnelles, comme la Deuxième Sonate de Karvonen, mais aussi des propositions d’une très belle poussée (et réalisée avec un véritable élan par Hicks), comme les variations sur un choral finlandais de Kumpula ♥♥ ou l’impressionnant Fantaisie & Choral d’Oskar Merikanto. ♥♥ (Également des compositions de Haapalainen, Hilli, Siimes, et des stars Kuula, Oskar Merikanto, Kuusisto…)
¶ Le volume 14 ♥♥ est encore plus étonnant, sur des orgues des années 80 et 90 à Helsinki : des œuvres plus récentes de Fridthjov Anderssen, Finn Viderø, Mats Bachman, Lasse Toft Eriksen, Jukka Kankainen, Hans Friedrich Micheelsen, Toivo Elovaara, Kjell Mørk Karlsen, qui culmine dans l’irrisésitible « Diptyque de danses » d’Olli Saari (♥♥♥).

¶ Missa Solemnis de Luciano Simoni (direction Rîmbu): une messe tout à fait traditionnelle (dans un esprit formel totalement hérité du XIXe, et même assez peu différente côté langage), écrite en 1987 et dédiée à Jean-Paul II. Rien de particulièrement singulier à ce qu’il m’en a semblé (je n’ai écouté que le Gloria), mais ça s’écoute très bien.



B. Disques-doudous

Pendant ma petite pause du côté des nouveautés, réécoutes de quelques disques-doudous dont vous pourrez retrouver les commentaires passés dans ce fichier avec la fonction recherche :

¶ le Te Deum à 8 voix de Mendelssohn avec un chanteur par partie, par Bernius ♥♥♥ ;

¶ l’invention formidable du piano de Leo Ornstein (j’aime particulièrement l’album de Janice Weber, mais il y a beaucoup d’autres œuvres de qualités et de belles propositions pianistiques, corpus assez bien servi au disque) ♥♥♥ ;

¶ les Caprices-études de Rode (bien sûr) par Axel Strauss ♥♥♥ ;

¶ les poèmes symphonies de Novák, en particulier Toman et Nikotina ♥♥ ;

¶ les épiques opéras allemands méconnus Lorelei de Bruch et, plus fort encore, Die Räuberbraut de Ries (avec Thomas Blondelle en feu comme toujours !) ♥♥♥ ;

¶ les cantates-ballades très atmosphériques et dramatiques de Niels Gade : Comala ♥♥ et Erlkönigs Töchter ♥♥♥ ;

¶ la messe simili-grégorienne avec vents de Bruckner (version Rilling chouchoute) ♥♥♥ ;

¶ le quatuor Op.76 n°3 (quelle construction étourdissante !) de Haydn par le Quatuor Takács ♥♥♥ ;

¶ le romantisme généreux et subtil de Hans Sommer (lieder et lieder orchestraux, deux versions disponibles pour chaque genre) ♥♥ ;

¶ le quatuor piano-cordes en mi bémol de Schumann sur instruments anciens (Michelangelo Piano Quartet), un des sommets du Schumann chambriste (avec le scherzo du Troisième Quatuor, on ne fait vraiment pas mieux !) ♥♥♥ ;

¶ le récital « So Romantique ! » de Cyrille Dubois. Direction incroyablement vivante et flexible de Dumoussaud (dont la carrière explose en ce moment, on comprend pourquoi), choix d’airs particulièrement inspirés par les têtes pensantes de Bru Zane, et réalisation au cordeau par le ténor, tout en mots et en facilité ♥♥♥ ; 

¶ la musique de chambre piano-cordes (quatuor et quintette) de Labor, du vrai romantisme, mais tellement bien bâti et inspiré de bout en bout !  Avec Triendl-bae évidemment ♥♥ ;

¶ disque doudou, le meilleur volume des arrangements du duo Anderson & Roe. Leur album When Words Fade est un hymne au piano symphonique, une exploration de toutes les textures possibles aux confins de l’hallucination auditive !  ♥♥♥



C. Éthique du commentaire laconique

Il faut préciser, c'est important, l'idée derrière cette démarche.

Lorsque je balance à la volée ces commentaires rapides, c'est pour donner une visibilité à ceux qui n'ont pas le temps de tout écouter, pouvoir avoir une idée de ce qui ressemble à quoi, et choisir au plus proche de ses goûts ou de ses envies de découvertes ; ce n'est pas une analyse détaillée de disques (que je viens d'écouter). Pour bien saisir la saveur de chacun, il faudrait écouter plusieurs fois, s'immerger dans le projet, lire du contexte, s'informer sur la démarche des musiciens, etc.

Mon propos s'adresse aux auditeurs et n'est absolument pas une critique ou une évaluation des disques. J'ai toujours l'impression d'être un monstre lorsque je lance « œuvre pas indispensable » ou « interprétation pas particulièrement saillante », ce n'est pas une analyse… mais uniquement le partage d'un ressenti qui permet ensuite d'orienter mes réécoutes et potentiellement les choix d'écoute de ceux qui me lisent.
Il m'est arrivé d'ailleurs quelquefois de passer totalement à côté, en première écoute, d'un concept, de qualités particulières…

Tenez, ce Pfleger-là : en première écoute, j'ai trouvé ça un peu ascétique. Et puis j'ai dû me plonger là-dedans pour en écrire la notice… et j'ai découvert des mondes.
Les fragments de poèmes de dévotion populaires, Dieu qui parle à la première personne en octaviant des graves sous la portée, les épisodes rarement représentés (la Cananéenne, Emmaüs…), le chœur de fidèles figuré par deux voix solistes, les choix d'instrumentation (psaltérion)…  À force de réécoute, j'ai aussi apprivoisé chaque choix musical, chaque inflexion (et j'ai trouvé ça d'une invention constante). J'y reviens très souvent, ça fait partie des disques qui me servent de repère.
Alors qu'en écoute à la volée, je me serais dit « du motet allemand sympa, mais un peu ascétique quand même » (alors que vraiment, vraiment pas, ça déborde de mélodies irrésistibles, de virtuosité).

Tout ça pour dire quoi ? 

J'essaie de prendre le temps de faire ces commentaires de disques parce qu'ils permettent d'appréhender un peu l'immense production phonographique qui nous submerge chaque semaine, et de ne pas se limiter aux têtes de gondole.
Mais je sais aussi que ces commentaires sont publics : et je précise donc qu'il s'agit d'un carnet personnel, d'une façon de partager des impressions avec ceux qui hésitent devant le disque à essayer en priorité. Ce n'est en rien une évaluation de la qualité du disque lui-même.

Dernier souvenir. Une fois (je ne sais plus pour quel corpus), quelqu'un me pose la question d'une intégrale d'orgue à choisir. Il y avait trois intégrales. J'explique les qualités (assez différentes) de deux d'entre elles, et j'écris juste : « on peut se passer de la n°3 ». Rien de méchant, j'étais dans le cadre d'un conseil de version sur un forum, j'ai juste conseillé les plus intéressantes à mes oreilles, c'était le principe, et non détaillé chaque version en particulier (à supposer que j'aie eu à l'esprit chaque interprétation de chaque œuvre !)

Le lendemain, j'ouvre mon courrier. Un nom britannique inconnu. C'était l'organiste de… la troisième version.
Il me demande, très humblement et très poliment, visiblement affecté de sa lecture, pourquoi « on peut s'en passer », lui y a mis beaucoup de soin, a cherché les meilleures éditions…

La terre s'ouvre sous mes pieds : je voulais juste donner une info à un pote – sur des choses écoutées, certes, mais pas non plus travaillées à fond, j'ai survolé à nouveau le corpus et j'ai donné mon opinion.

Mais l'organiste, lui, dont peu de monde a dû parler même dans la presse spécialisée, était à l'affût des recensions, et pour une fois qu'on parle de lui, paf, on écrit « c'est pas la peine d'en dire quelque chose ».
Et je comprends toute sa peine : lui, il les a travaillées une à une, ces pièces, il les a enregistrées (avec toute la pression qu'il y a à produire un disque qui sera l'une des seules traces qui survivra à son exercice de la musique), il a voulu les transmettre avec sincérité.

L'histoire s'est bien finie : j'ai pu lui expliquer que la prise de son était clairement défavorable (je trouve, en toute honnêteté, le jeu un peu moins saillant aussi que les deux autres versions, mais pas du tout mauvais en soi), et que ma préférence se portait donc ailleurs. Il m'a alors expliqué que la production avait été difficile : entente avec le label (je ne me rappelle plus lequel), manque de soin de la prise de son, il avait lui aussi été assez frustré de l'expérience. Mais il semblait soulagé que ce ne soit pas lui qui soit en cause.

Vous voyez pourquoi j'éprouve le besoin d'expliciter la démarche : en publiant mes impressions, elles peuvent toucher les mélomanes qui sont visés, mais parfois aussi blesser des artistes qui sont à l'affût, et dont le travail n'est pas en cause.

Pour autant, je ne dis pas du tout que les mélomanes doivent se taire : les musiciens ne sont pas forcément bons juges de leur travail, et à la fin des fins, cette musique est (financée et) produite pour un public, pas pour les musiciens eux-mêmes.
Typiquement, je trouve insupportables les musiciens qui estiment qu'ils peuvent choisir leur public (comme Barenboim ou Christie qui disputent ceux qui n'écoutent pas assez bien les génies tels qu'ils se perçoivent) : les musiciens sont là pour transmettre de la musique à un public, ce ne sont pas des idoles pour qui la musique a été écrite – bande de saltimbanques damnés.
Donc, bien sûr, il est légitime que le public dise son avis, même s'il n'y connaît rien, même s'il est injuste.

En revanche, vous comprenez sans doute mieux ma réticence devant le principe de l'écoute comparée, et d'une manière générale de la critique sur le mode « c'est nul il joue ça trop lentement ». A fortiori maintenant que tout est public : faites gaffe quand même, surtout si vous avez de l'audience, il y a des gens de l'autre côté du fusil. (Et des gens qui ont concrètement bossé pour rendre cette musique disponible.)

Quant pour les musiciens : enregistrez des inédits géniaux où il n'y a pas de concurrence disponible. Personne n'écoutera vos disques, mais tous ceux qui le feront seront ravis et ne pourront pas jouer à la mortifère Tribune des Critiques de Disques.

Je continuerai donc mes commentaires, mais je garde ceci par-devers moi pour y renvoyer au besoin et bien penser à redire le sens de la démarche – et pourquoi je ne peux ni être méchant, ni me taire tout à fait.

samedi 4 février 2023

[podcast opéra] – Épisode 8 : Comment l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – b) L’hégémonie du seria


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Je poursuis mon aventure autour du format audio.

Je me suis surtout lancé dans une transcription en cours de la série musique ukrainienne, avec la contrainte, pour des raisons de droits d'auteurs (droits voisins plus exactement), d'enregistrer moi-même les extraits sonores. C'est beaucoup de travail, mais pour ceux qui consultent le format écrit de Carnets sur sol et n'hésitent pas à en suivre les recommandations sonores ou écouter les extraits, il n'y a pas encore beaucoup de nouveautés (j'en suis à Hulak-Artemovskiy et à la brève génération qui a pu exercer un art national ukrainien). Bien sûr, des précisions nouvelles ont été apportées, que je n'avais pas lorsque j'ai débuté cette série, et je vous invite à y jeter une oreille, mais dès que j'aborderai des compositeurs ou des sujets inédits, je le signalerai ici et en posterai les retranscriptions pour les fidèles de l'écrit.

Pour la suite de la baladodiffusion autour de la vulgarisation de certaines questions relatives à l'opéra en général (sobrement intitulée « L'opéra ? »), je me suis lancé dans une évocation des grandes tendances de l'opéra, à travers l'histoire de chaque nation lyrique. Je commence évidemment par les Italiens qui nous ont apporté toute cette corruption depuis le début.

Vous pouvez l'entendre par ici :

Le flux RSS (lien à copier dans votre application de podcast)
https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss

ou sur :
Google
Spotify
Deezer
Amazon
¶ etc.

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Épisode 8 : Comment l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – b) L’hégémonie du seria

3. Le prestige de la voix et la conquête du seria

Malgré son projet à l’origine surtout littéraire, l’opéra entraîne un effet secondaire inattendu : la redécouverte de la voix humaine. Le fait de l’utiliser seule, le prestige croissant des chanteurs, les lieux de représentations plus vastes vont mettre en avant les voix puissantes, agiles, étendues… et les compositeurs vont progressivement devenir les grands lieutenants des chanteurs vedettes.

Le troisième tiers du XVIIe siècle est une période d'innovations riches – voyez par exemple les opéras de Legrenzi ou les oratorios de Falvetti. La forme des parties musicales reste assez libre, mais avec davantage de substance musicale, de diversité de ton, et surtout, ce qui a son importance pour la suite, une veine mélodique beaucoup plus présente et persuasive que le pur service du texte. On reste dans une visée essentiellement déclamatoire, mais ce faisant on voit tout de même se constituer peu à peu, dans les parties où la musique se met à dominer l'expression textuelle, une segmentation des moments musicaux, de plus en plus autonomes et détachables. Ces moments (airs, duos, choeurs, etc.) deviennent progressivement des formes closes (ce que l'on appelle les « numéros »).

C'est à mon avis l'une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de l'opéra italien, sans doute la plus originale, devant celle qui se déroule au début du XXe siècle. Il y a fort à parier qu'on découvrira progressivement beaucoup de pépites dans cette période encore excessivement mal documentée au disque, si l'on se met à fouiner dans les inédits.

Mais cette progressive mise en avant de la musique (et de la voix agile) va aussi entraîner la Grande Bascule, moment terrible qui va changer l'histoire de l'opéra mondial pour toujours.

La fascination pour la voix, qui se découvre des possibilités pour l'agilité dans ce contexte où la musique est de plus en plus prédominante et le texte de moins en moins central, va créer les conditions de cette catastrophe.

L’opéra, qui était essentiellement un poème dramatique embelli par de la musique, assez nu, peu orné, devient le support privilégié de la virtuosité vocale – le support, pour ne pas dire le prétexte.


4. Structure de l’opéra seria

Car, à partir des années 1690, le genre-roi, qui domine toute l’Europe pour un siècle, c’est l’opéra seria, fruit d’une lente mutation au fil du XVIIe siècle vers un spectacle, où la musique et surtout la voix volent la vedette au texte.

Opera seria, c’est-à-dire « opéra sérieux ». Opera seria est féminin en italien, mais comme on emploie opéra au masculin en français, l’usage est d’utiliser opéra seria au masculin.

C’est le genre qu’ont illustré Albinoni, Haendel, Vivaldi, Porpora, Caldara, Hasse, Leo pour la période baroque, avec une époque de transition qui enrichit l’orchestre de quelques doublures de vents chez Graun, Pergolesi, Jommelli, avant de se couler dans le nouveau style classique avec Johann Christian Bach, Cimarosa, Haydn (Armida), Salieri, Mozart (Lucio Silla, Mitridate, même Idomeneo, quoique un peu tempéré par le modèle français).

Parmi les œuvres aisément disponibles qui ont de quoi impressionner et par lesquelles je vous conseillerais de commencer : Rinaldo de Haendel, Griselda de Vivaldi, Cleopatra e Cesare de Graun, Mitridate de Mozart (Minkowski)… mais on rencontre aussi de très beaux Jommelli, Johann Christian Bach ou Salieri…

Musicalement, l’opéra seria se caractérise par une alternance de deux modes d’expression.

Le premier, ce sont « récitatifs secs » (recitativi secchi), où l’on fait avancer l’action, sans y mettre de soin musical particulier : les chanteurs s’y expriment seulement accompagnés par la basse continue (un instrument grave à cordes frottées, un clavecin, éventuellement un archiluth). La mélodie reste très simple et suit l’accentuation des mots, mise en musique syllabe par syllabe. Pas de répétitions, pas d’ornements, pas d’aigus ou de graves, simplement une déclinaison musicale du texte. C’est la partie qui hérite des origines de l’opéra, mais il s’agit clairement, en l’occurrence, d’une relégation, qui n’intéresse pas du tout le public, concentré sur la plus grande séduction mélodique des airs, ses affects exacerbés… et surtout les qualités d’agilité ou de longueur de souffle des chanteurs.

En alternance avec ces récitatifs utilitaires, les « numéros » sont presque exclusivement des airs à da capo. Et, rarement, des duos ou des chœurs – on va dire que dans le meilleur des cas vous en trouverez deux par opéras, et toujours sensiblement plus courts que les airs. On parle alors des « numéros musicaux », car ils sont bel et bien numérotés pour pouvoir les retrouver (plus commode que « le deuxième air de Nicomedo à la cinquième scène de l’acte III »). À ce moment, l’action s’arrête et le personnage partage ses émotions : courage, tendresse, espoir, crainte, orgueil, dépit, fureur, déréliction… le nombre de ces affects archétypaux n’est pas très élevé, ce qui a permis la réutilisation abondante d’airs d’un opéra dans un autre – les droits d’auteur n’existant pas, les compositeurs n’hésitaient pas non plus à réutiliser des airs réussis de collègues dans leurs propres opéras.

J’ai parlé de da capo. « Da capo » signifie « avec une reprise depuis le début » : ces airs sont pour la plupart constitués, tout au long du XVIIIe siècle, de 8 vers. Un quatrain principal, longuement répété, suivi d’une section plus courte de 4 vers (et toujours contrastée, moment de fureur ou de confusion pour les airs extatiques, moment de brève émotion tendre pour les airs de bravoure…). Une fois qu’on a fait tout cela, on reprend intégralement la mise en musique du premier quatrain, en y ajoutant des variations vocales (on les appelle souvent « diminutions », car ce sont des formules de notes en général plus brèves, des ornements qui augmentent le nombre de notes exécutées). Ces ajouts étaient censés être improvisés, même si les chanteurs étudiaent bien sûr des formules réutilisables. Aujourd’hui, elles sont soigneusement écrites par les chefs ou les interprètes. Comme elles ne figuraient pas sur les partitions, on a longtemps, même dans le mouvement baroque, joué ces reprises sans ornements – ce qui les rend particulièrement fastidieuses, surtout dans les airs très longs du milieu et de la fin du XVIIIe siècle.

Un air à da capo fait dans les 4 à 6 minutes à l’époque de Haendel et Vivaldi, mais peut durer 9 minutes à partir des années 1740… sans reprise variée, ce peut être un peu ennuyeux si la mélodie n’est pas particulièrement inspirée ou si le chanteur n’est pas exceptionnel. Les da capo ornés sont aujourd’hui redevenus la norme, musicologie aidant. Dieu soit loué.


5. Le triomphe de la peste vocale

Ce type d’opéra, qui est moins dépendant de la compréhension du texte théâtral, obtient un succès fulgurant en Europe : la virtuosité de sa musique (il faut y voir l’équivalent des Quatre Saisons de Vivaldi), la déification des chanteurs-vedettes, le caractère stéréotypé et annexe de l’intrigue permettent de traverser les frontières. Il s’adapte très bien ensuite au style classique avec un orchestre qui inclut davantage les vents, cherche davantage de couleurs, étend la virtuosité sur des ambitus vocaux plus larges, cherche des lignes mélodiques plus vigoureuses (voire athlétiques).

Il est joué partout, en général en italien : de Lisbonne à Saint-Pétersbourg en passant par Londres, avec quelques adaptations linguistiques locales (en suédois à Stockholm, et à Hambourg des objets hybrides improbables en allemand pour les airs, en italien pour les récitatifs et en français pour les chœurs – voyez Orpheus de Telemann, par exemple).
Seule la France en reste au modèle déclamatoire de la tragédie en musique, tout en en important les innovations harmoniques et progressivement le goût de la virtuosité (très audible chez Rameau, par exemple). Mais l’accusation d’ultramontanisme est grave pour un compositeur, et tout le monde se défend d’importer quelque influence que ce soit. En tout état de cause, la dominante de l’opéra français reste textuelle (ou, pour l’opéra-ballet, la danse et la couleur locale soutiennent l’intérêt premier du public), et c’est la seule nation à conserver un modèle distinct du seria italien. Toutes les nations les plus fières ont servilement adopté le nouveau format musical à la mode, et pour un siècle.

Et encore, un siècle, c’est en restant modeste : il existe des opéras seria dès les années 1690, et le belcanto romantique n’est finalement qu’une adaptation au style romantique des formules du belcanto baroque et classique tel qu’il est pratiqué dans l’opéra seria (air répétitif virtuose orné avec récitatifs intercalés, de moindre importance). Mais la fin du XVIIIe siècle et surtout le début du XIXe siècle voient apparaître des opéras dans les langues locales, et parfois avec une réelle ambition, Weber et Schubert en Allemagne, Dupuy au Danemark, Arriaga en Espagne…


6. Catégories vocales

Cette époque est aussi celle des rôles travestis (des rôles masculins héroïques joués par des femmes, en l’occurrence) et des castrats. Je consacrerai peut-être un épisode aux castrats – ces pauvres diables auquels ont dérobait, dans leur jeune âge, les outils indispensables de leur succession. Ils disposaient ainsi d’un larynx d’enfant posé sur des poumons et des résonateurs d’homme, ce qui devait être particulièrement insolite et surprenant. Femme ou castrat, cela témoigne en tout cas d’une fascination pour les voix aiguës. Le goût des XXe et XXIe siècles en Occident représente l’homme viril avec une voix grave (voire rauque et peu sonore, façon Humphrey Bogart, James Earl Jones, Andrew Lincoln) – je peux témoigner, puisque je dispose d’une voix plutôt aiguë, qu’on est obligé d’utiliser beaucoup de stratégies extra-timbrales pour asseoir sa présence en public (le contenu de ce que l’on dit, les variations de ton, l’humour… alors que l’autorité naturelle d’une voix grave est immédiate). On le voit au demeurant à l’opéra, avec le nombre croissant de rôles principaux confiés à des barytons – le baryton, c’est le symbole l’homme véritable, dans toute sa complexité.

Au XVIIIe siècle, c’est tout le contraire : les héros ont souvent une ascendance surnaturelle, divine, et réalisent des exploits qui ne sont accessibles qu’à une âme hors du commun et à une généalogie du plus haut prestige. On les représente donc par des voix aiguës et agiles, qui planent au-dessus des aptitudes des simples humains. Le ténor devient progressivement utilisé dans la période classique (dernier quart du XVIIIe siècle), mais plutôt pour représenter les rois et les pères, pas toujours sympathiques (prenez Idoménée et Mithridate, chez Mozart) – en tout cas beaucoup plus humains et bien moins exemplaires que leurs équivalents chantés par des sopranos ou des altos, qu’ils soient masculins ou féminins. Les basses, elles, sont vraiment réservées aux personnages secondaires majestueux, les pères, les rois, les magiciens…

C’est ainsi que dans un opéra seria habituel de la période baroque, on ne croise quasiment que des voix de femmes (avec une basse en personnage secondaire pour varier un peu) ou de castrats.


7. Les limites du seria

Vous aurez peut-être remarqué, au gré de subtiles allusions à peine perceptibles, que je ne suis pas complètement enthousiaste devant la domination de ce genre en Europe. C’est mon goût personnel, il est vrai que le seria est probablement pour moi la période la moins enthousiasmante de l’histoire de l’opéra.

Mais cela mérite peut-être une explicitation. Pour moi qui apprécie en particulier le rapport au texte et à la dramaturgie, je me retrouve face à des airs dont le texte est répété à l’infini, peu intelligible sous les coloratures (toutes les figures agiles de la voix sur une voyelle unique o-o-o-o-o o-o-o-o-o), et pas traité de façon particulièrement expressive – en tout cas pas vis-à-vis de la prosodie. Les livrets y sont complètement stéréotypés, parfois même interchangeables – et interchangés par les compositeurs.

C’est possiblement la période où l’on a le plus produit d’opéra, mais aussi celle où l’on rencontrera le moins de diversité et de surprises, tant le modèle y est normé, et pas très riche ni contrasté en tant que tel.

Pour autant, musicalement, le genre recèle des pépites (qu’il faut vraiment écouter comme des concertos pour instruments vocaux !), et les atmosphères de certains airs sont absolument ineffables. Par ailleurs, si l’on rencontre des chanteurs qui nous émeuvent, les entendre dans le seria, c’est la certitude d’entendre toute leur voix complètement mise en valeur – rien à voir avec les airs de Verdi qui mettent en valeur un caractère du personnage ou un trait d’écriture du compositeur, ici tout est d’abord pensé pour magnifier la voix et lui donner le temps d’être goûtée par le public.

Et son importance est absolument centrale dans l’histoire de l’opéra. C’est pourquoi il n’était pas inutile de s’y arrêter un moment dans ce parcours autour de l’opéra italien.

samedi 24 décembre 2022

L'année musicale 2022


Estimés lecteurs,

Après un inhabituel silence lié à une actualité personnelle peu riante, me voici de retour pour célébrer 2022.

À la vérité, je ne nourris pas du tout un fétichisme des bilans, mais la perspective de papoter musique avec deux amies chères, encouragée par l'adorable complaisance de nos camarades – comment ne pas y céder ?

Cette fois-ci, le bilan a donc été essayé en vidéo – occasion aussi de tester des outils et des formats pour d'autres expérimentations de Carnets sur sol, notamment l'idée de présenter les œuvres inédites avec un son produit maison, pour rendre les éloges d'inédits moins abstraits et pouvoir étendre la connaissance du répertoire aux amateurs non pourvus d'un piano. En voici deux essais avec l'acte I (piano seul) et l'acte II (piano et voix) du Vercingétorix de Félix Fourdrain, compositeur niçois dont on ne trouve quasiment rien nulle part – et auquel je consacrerai bientôt une notule.

Ce n'est évidemment pas plus que ce que ça prétend être : une conversation (devant une dizaine de spectateurs que nous connaissions quasiment tous personnellement) entre passionnés, une fenêtre où les curieux peuvent jeter un coup d'œil – mais sans aucun apprêt ni maîtrise technique, cela viendra peut-être un jour.

Ce bilan ne me dispense pas tout à fait d'écrire une notule – comme vous le voyez ; tout n'a pas été dit à l'antenne, et le format vidéo est moins aisé à compulser qu'un résumé écrit. Résumé que je vais donc vous livrer, d'autant plus succinct qu'il existe cette version développée.





1. Réponse aux questions des internautes

Avant de commencer, nous avons répondu aux questions fondamentales qui nous avaient été posées. (Je ne donne que mes réponses, pour celles des camarades, vous pouvez regarder la vidéo.)

Adalbéron Palatnįk : « Quel est le plus beau coup de glotte de l'année ? »
    Le coup de glotte n'est pas qu'une coquetterie, la pression subglottique peut être un paramètre très important dans l'organisation vocale, en particulier pour les rôles lourds : lorsqu'on veut émettre une note, en particulier aiguë, de façon nette (un aigu isolé, par exemple), on peut obturer le conduit d'air par l'épiglotte et tout relâcher d'un coup, créant un son puissamment soutenu (et générant au passage un « plop » caractéristique).
    Ce phénomène se trouve même phonématisé dans la langue danoise, où un mot peut changer de sens selon qu'il inclue ou non le coup de glotte (stød).
    La réponse n'est pas facile : j'ai entendu beaucoup de chanteurs et je n'ai pas catégorisé de la sorte. En salle, c'est probablement Ekaterina Semenchuk en Hérodiade (chez Massenet) qui faisait les plus audibles… mais à l'échelle de la saison d'opéra mondiale, c'est assurément Dorothea Röschmann qui aura fait les plus beaux (je ne l'ai pas entendue cette saison). C'est inhabituel dans Mozart, assurément, mais elle va chanter Isolde cette année à Nancy et à Caen, alors ce sera l'occasion de vérifier ce qui est davantage un pronostic qu'un bilan.

Grégounet : « Quel est le ploum-ploum de l'année, disque et spectacle ? »
    Ploum-ploum : Dans certaines communautés Twitter, désigne une forme de musique légère dont l'accompagnement fait ploum. Ce peut désigner les Italiens (Donizetti peut-être, Rossini surtout), mais il s'agit en général de nommer le répertoire léger français, d'Adam à Yvain en passant bien sûr par Offenbach (où la catégorie ploum-ploum fait régulièrement l'intersection avec la catégorie glouglou).
    Au disque, clairement Le Voyage dans la Lune d'Offenbach (Dumoussaud chez Bru Zane), grande fantaisie jubilatoire dans l'esprit du Roi Carotte, à la rencontre de peuples lunaires. Le final de la neige est particulièrement jubilatoire et irrésistible, surtout dans cette très belle réalisation. La production était donnée à Massy ces jours-ci et une autre passera à l'Opéra-Comique en début d'année prochaine.
    En salle, l'un des tout meilleurs Offenbach (avec les deux sus-cités), Barbe-Bleue, dans une production amateur de très haut niveau, par l'orchestre et les chœurs Oya Kephalê – qui produisent, chaque mois de juin que Dieu fait, un opéra d'Offenbach.

Romain Tristan : « Et le piano de l'année ?  Et l'orgue de l'année ? »
    Il y sera répondu dans les parties suivantes !

« Le dîner, avant ou après le concert ? »
    Tout dépend de votre microbiote… Pour ma part, comme je ne mange pas souvent, ce n'est pas toujours une question. Il faut étudier si vous êtes plutôt sensible au ventre vide plaintif ou aux assoupissements postprandiaux. Cela dit, dans le second cas, la structure canonique des concerts ouverture-concertos-symphonie permet avantageusement de siester avant l'entracte sans manquer la musique intéressante qui vient après.

« Laisser un pourboire ? »
(nous avons oublié d'y répondre, je donne donc une réponse plus détaillée ici)
    Le classique ne générant pas de recettes suffisantes, il est en général soit autoproduit dans de petites salles (concerts au chapeau ou billetterie helloasso / weezevent…), soit rendu accessible par des subventions dans les grandes salles publiques. Il existe quelques zones intermédiaires, comme le Théâtre des Champs-Élysées, où la programmation est soutenue par une institution publique (la Caisse des Dépôts et Consignations, sans laquelle il serait impossible d'équilibrer le budget avec les seules ressources de billetterie), mais sous la forme d'un mécénat de droit privé. Si bien qu'il s'agit d'un théâtre privé, répondant comme tel à un droit dérogatoire, spécifique aux théâtres parisiens. Alors que dans tous les autres corps de métier et partout en France, il est interdit de rémunérer un salarié sans une base fixe (d'où l'utilisation du statut d'auto-entrepreneur pour le nouvel lumpenprolétariat des livreurs à vélo)… les théâtres privés parisiens, eux, ont le droit de rémunérer leurs ouvreurs aux seuls pourboires. Ce n'est donc pas un mensonge – comme je l'ai d'abord cru à mon arrivée dans la région –, mais bel et bien leur unique source de rémunération.
    S'ensuivent un certain nombre d'abus (agressivité envers le public, corruption pour de meilleures places), particulièrement au Théâtre des Champs-Élysées dont la direction souhaite depuis longtemps supprimer pourboires et replacements sauvages, sans y parvenir. Pour les replacements, parce que Perret était un imposteur qui ne savait pas bâtir des angles, si bien qu'une large partie du théâtre (la moitié ?) voit au mieux les deux tiers de la scène en se penchant. 35€ pour voir 30% de la scène, c'est cher. Et une partie du public joue donc aux ninjas des coursives. Pour le pourboire, parce qu'il est en réalité plus rémunérateur que le salaire pour le peu d'heures travaillées, ce qui rend les ouvreurs peu enclins à renoncer à cet avantage paradoxal.
    C'est actuellement en cours de négociation au Théâtre des Champs-Élysées (à l'Athénée, ils ne réclament jamais rien et sont de toute façon adorables, on leur donne avec grand plaisir), mais ça dure depuis 2020 et n'a toujours pas abouti.
    Alors, laisser un pourboire ?  J'avoue que la perspective de payer son maton ne m'enchante pas – c'est vraiment l'ambiance au TCE, on paie la personne qui vous empêchera de vous asseoir à un meilleur siège vide –, mais considérant que c'est la seule rémunération qu'ils perçoivent, si jamais je me fais placer, je donne. Si je me place tout seul, non, je ne finance pas les emplois fictifs non plus.



2. 2022 : l'année Franck ?

En 2022, il y avait assurément beaucoup de choix !  De Scriabine, on n'aura guère eu que le concerto pour piano (deux fois à Paris, alors qu'il est plutôt rare d'ordinaire), quelques disques (souvent des couplages), et le nombre habituel de Poème de l'Extase. Vaughan Williams a été fêté au Royaume-Uni, guère ici. Quant aux autres, même ceux qui pourraient être emblématiques (l'importance de Goudimel dans la diffusion de la Réforme, Halphen juif dans la France antisémite et mort sur le front en 1917…), célèbres (Forqueray, E.T.A. Hoffmann, Xenakis), patrimoniaux en France (Chambonnières, Mondonville, Davaux, Séverac, Büsser) ou tout simplement rocambolesques (Dupuy), rien.

Vous pouvez en retrouver une liste agrémentée de conseils dans ces six épisodes qui m'ont occupé de l'automne 2021 à l'automne 2022 :

I – de 1222 à 1672 : Morungen, Mouton, Goudimel, Ballard, Benevolo, Gaultier, Chambonnières, Schütz, Schürmann, Forqueray, Kuhnau, Reincken…
II – de 1722 à 1772 : Benda, Mondonville, Cartelleri, Daquin, Triebensee…
III – 1822, Hoffmann, Davaux, Dupuy… : l'auteur de génie qui compose, l'inventeur véritable du métronome, la perte des Reines du Nord…
IV – 1872 (a), Moniuszko, Carafa, Graener, Alfvén : Pologne, Campanie, Reich, Suède
V – 1872 & 1922 : Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Vaughan Williams, Scriabine, Baines
VI – 1922 & 1972 : Popov, Leibowitz, Grové, Grofé, Amirov, Xenakis, Erkin, Bárta, Wolpe, Bryant…


Le grand vainqueur, c'est donc César Franck. En quantité, on a assez peu eu de concerts, à part une concentration de concerts dans les églises (par l'Orchestre Colonne, le CRR de Paris, Oya Kephalê et même quelques-uns à Radio-France) autour de la date de sa naissance (10 décembre). Heureusement, Bru Zane a remonté Hulda, dont la production à Fribourg, malgré la qualité des interprètes mandatés, ne rendait pas du tout justice. Outre ses influences wagnériennes (rien à voir avec l'italianisant Stradella, par exemple), on pouvait profiter d'un livret particulièrement étonnant – dans l'esprit de Psycho de Hitchcock, quasiment tous les personnages principaux sont massacrés aussitôt qu'on les a présentés !

Au disque, trois disques ont marqué l'année.

¶ Une belle intégrale des mélodies (qui s'étendent de l'épure de la dévotion d'église à la sophistication chromatique) par Christoyannis, Gens et Cohen.
¶ Le ballet intégral de Psyché par Kurt Masur à Verbier – un chef-d'œuvre, l'œuvre la plus lyrique de tout Franck, et à la fois très rarement donnée, encore plus rarement en entier, et quasiment jamais par des interprètes de premier plan.
¶ L'intégrale de la musique de chambre chez Fuga Libera (Trio Ernest, Quartetto Adorno, Miguel Da Silva, Gary Hoffman, Franck Braley…), qui permettait notamment d'entendre les rares Trios piano-cordes, qui sont des chefs-d'œuvre très bien bâtis et particulièrement élancés.

Côté intégrale pour orgue, il y a eu à boire et à manger (quelques-unes à la finition moyenne sur des Cavaillé-Coll immondes), mais on avait déjà du choix de ce côté-là. C'est davantage le Franck lyrique (mélodies, liturgie, opéra) qu'il fallait remettre à l'honneur. Ce fut fait, sans grand tintamarre à destination du grand public, mais les mélomanes curieux avaient la possibilité d'en profiter.



3. Géopolitique et musique

Le fait qui a bouleversé notre perception du monde et nos existences (économiques, du moins) n'a pas été sans conséquence sur notre représentation de l'histoire musicale du monde. Devant ce qui s'annonçait comme une dévastation systématique de l'Ukraine, on ne pouvait pas faire grand'chose… sauf peut-être s'intéresser à un patrimoine immatériel qui, même lui, sera possiblement en danger dans les prochaines années.

J'ai été un peu déçu, je l'avoue, du peu de concerts thématiques sur le sujet (qu'on aurait pu introduire par des conférences), et les disques parus sont plutôt des concepts d'hommage (chansons traditionnelles notamment). Même à Paris, à part le concert d'Igor Mostovoï au Châtelet, le concert du Symphonique de Kiev à la Cité de la Musique et les quelques propositions du « Week-end à l'Est » consacré à Odessa (concert vocal à Saint-Germain et concert symphonique au Châtelet, tous deux organisés par le Châtelet, et à nouveau Mostovoï), on n'a pas croulé sous l'offre. Quelques récitals de piano (partiellement) composés de compositeurs ukrainiens. Mais aucune maison n'a tenté de monter (ou d'inviter une troupe) un opéra ukrainien, un cycle de symphonies, une saison thématique. Je sais qu'il faut du temps pour mettre sur pied ce genre de projet, mais je crains que si cela n'a pas été fait sous l'impulsion de l'émotion, maintenant que le conflit s'est installé dans la durée et que plus personne ne joue l'hymne ni ne dédie son concert à l'Ukraine, ce ne sera pas la saison prochaine que la Philharmonie (et encore moins l'Opéra de Paris) proposeront un grand cycle thématique. (Il y aura bien un week-end spécial dans la prochaine saison de la Philharmonie, bien sûr, dans l'air du temps, mais je doute qu'on bénéficie d'une exploration systématique.)

Pour le disque, le délai de publication étant toujours long (un an en général entre la captation et la mise sur le marché), nous verrons. Quelques récitals de chansons ukrainiennes jusqu'ici, mais c'est à peu près tout.

De mon côté, à défaut de pouvoir aider, je voulais comprendre, et dans la mesure du possible participer à la sauvegarde d'une culture qui sera potentiellement en danger (que sont devenus ces chœurs polyphoniques de vieilles dames ? seront-ils transmis ?). Pour la musique traditionnelle, le Polyphony Project a effectué un travail inestible de recensement et d'immortalisation.

Pour un propos plus détaillé, je parle sur Twitter de quelques spécificités de la musique ukrainienne et en présente également quelques dizaines des principaux compositeurs, avant de le développer en essayant de l'articuler à diverses problématiques, dans cette série de notules.

Après écoute d'un peu plus de 80 disques, de quelques enregistrements hors commerce et concerts, après quelques lectures aussi, j'ai quelques éléments à souligner.

¶ Comme la musique russe, la musique ukrainienne utilise énormément de thèmes folkloriques. Essentiellement ceux  contenus dans la collection Lvov-Prač, la seule disponible au XIXe siècle. Recueil inestimable, qui ne distingue pas entre les mélodies populaires russes et ukrainiennes, qui circulent donc beaucoup aussi bien chez les compositeurs russes qu'ukrainiens. (Mais Lysenko va aussi effectuer lui-même des relevés.)

La musique russe et la musique ukrainienne ne se distinguent pas fondamentalement à l'oreille. Elles ont des principes communs (les modes harmoniques utilisés, le goût pour le lyrisme et le folklore, le rhapsodisme plutôt que la grande forme, etc.), mais cette absence de distinction est aussi due à la situation politique.
    ¶¶ Lorsque des compositeurs ukrainiens, comme ceux qui sont présentés comme les trois premiers compositeurs russes (Berezovsky, Bortniansky, Vedel) sont repérés comme talentueux après leurs études en Ukraine, ils sont recrutés pour la chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, où ils sont formés par des compositeurs italiens (et pour deux d'entre eux, partent temporairement étudier et exercer en Italie). Les premiers compositeurs russes sont d'abord des compositeurs… ukrainiens. Comme les commandes et le pouvoir sont en Russie, ils partent s'y perfectionner et y vivre.
    ¶¶ De même, s'il existe peu d'opéra ukrainien, par exemple, c'est que l'oukase d'Ems (en 1876, au moment précisément où la culture spécifique ukrainienne commence à être abondamment mise en valeur) interdit l'impression de textes en langue ukrainienne. Dans le même esprit, le mot « ukrainien » (qui veut déjà dire habitant « de la Marche », c'est-à-dire « du truc dont on se sert pour que les ennemis les bolossent avant nous ») est banni est remplacé par « petit-russien », qui n'est donc pas tant un terme affectif qu'une marque de domination. J'ai été frappé par le fait qu'on retrouve exactement la même rhétorique de la fraternité que dans le discours officiel russe actuel, mais une fraternité oppressive, celui du grand qui a autorité sur le petit et qui se pense des droits sur lui.
                → Il est donc exact que la musique ukrainienne se distingue peu de la musique russe… mais si cette école musicale ukrainienne ne s'est pas singularisée, c'est d'abord qu'il ne lui était pas possible, politiquement, de le faire !

Beaucoup de compositeurs que nous pensons comme russes sont en réalité ukrainiens : Berezovsky, Bortniansky, Vedel, Glière (qui utilise beaucoup de thématiques proprement ukrainiennes), Roslavets, Feinberg, Ornstein, Mosolov… sont nés en Ukraine et y ont (sauf Roslavets) été formés !  (Je trouve incroyable qu'on ne le sache pas davantage pour Mosolov, par exemple !)
On peut y ajouter quelques cas plus ambigus : Anton Rubinstein (fondateur du Conservatoire de Moscou et grand représentant de la culture russe de référence), né à Ofatinți, partie de la Transnistrie rétrocédée à la Moldavie en 1940… mais dont une fine bande de terre à été redonnée à l'Ukraine !  Gavriil Popov, né à Novocherkassk, qui a toujours été en Russie, mais qui était l'ancienne capitale des Cosaques – qui sont à l'origine de la formation de l'Ukraine moderne – si bien que culturellement, on pourrait l'inclure dans la sphère d'influence ukrainienne. Enfin Sergueï Prokofiev, né à Sontsivka, à l'Ouest de Donetsk, est considéré comme russe mais est pourtant bel et bien né dans un territoire ukrainien (et au recensement de 2001, plus de 92% de la population avait l'ukrainien pour langue maternelle !).
Voilà qui fait un certain nombre des plus grands compositeurs russes nés (et pour beaucoup formés) en Ukraine !




4. Spectacles

Pour les comptes-rendus, je vous renvoie à la vidéo ou aux commentaires faits après chaque concert sur Twitter (mot-dièse #ConcertSurSol).

Tentative de podium :

1. Barbe-Noire d'Ambroise Divaret au CRR
2. Marie Tudor au CNSM
3. Der Schatzgräber de Schreker à Strasbourg
4. Le Destin du Nouveau Siècle de Campra (où, sans contrainte, le compositeur se lâche totalement)
5. Doubles chœurs de Rheinberger & Mendelssohn par le Chœur de Chambre Calligrammes
6. La Nativité de Messiaen par les élèves de Sylvie Mallet au CRR
7. Phryné de Saint-Saëns à l'Opéra-Comique
8. Rheingold par Nézet-Séguin au TCE
9. Suite de Rusalka d'Ille & Honeck à la Maison de la Radio
10. Programme franco-italien du Poème Harmonique avec Eva Zaïcik à la Fondation Singer-Polignac
11. Journée à la Roche-Guyon du festival Un Temps pour Elles (3 concerts, 3 violoncellistes de mon top 5 : Luzzati, Legasa, Phillips !)
12. Trio n°3 de Frank Bridge avec Christine Lagniel à l'Amphi Bastille
13. Schubert et Chostakovitch par le Quatuor Belcea au Théâtre des Champs-Élysées

Et aussi…
Bru Zane : Hulda TCE
Larcher PP
Neojiba Cerqueira PP
Schmitt Psaume 47 MR
Stockhausen Freitag PP
Tailleferre opéras-minute au CNSM
Turangalila Salonen PP
Elektra à Bastille
Cendrillon de Massenet à Bastille
Vestale Spontini TCE
Roi Carotte Oya Kephalê
Parsifal Bastille
Karawane PP
Ariane & Bacchus Marais TCE
Thaïs TCE

J'ai un peu oublié les bides, mais je me souviens de mêtre ennuyé ferme pour A Quiet Place de Bernstein à Garnier, et m'être demandé pourquoi jouer des œuvres rares qui ne sont pas propres à soulever l'enthousiasme, quand le choix est si vaste parmi les chefs-d'œuvre ? (réalisation par ailleurs assez terne)

Parmi les moments forts, deux histoires à vous partager.


Benjamin Bernheim, alors qu'on lui fait un entretien de complaisance, en profite pour faire longuement l'éloge de son pianiste. Un ténor qui ne parle pas de lui, et en plus qui complimente son accompagnateur alors que ce n'est même pas la question posée, je ne pensais pas voir ça un jour. (et ça m'a ému)


¶ Reprise de Robert le cochon et les kidnappeurs de Marc-Olivier Dupin à l'Opéra-Comique.
Un véritable traumatisme (que je vous raconte à la fin de la vidéo).

Il s'agissait de la reprise d'un spectacle destiné au jeune public, par l'adroit compositeur du Mystère de l'écureuil bleu, qui sait manier les références et écrire de la musique à la fois nourrissante et accessible. Mais cette fois…
 
D'abord, peu d'action, beaucoup de numéros assez figés, aux paroles plutôt abstraites… j'ai pensé à l'opéra italien du XIXe siècle et à ses ensembles où chaque personnage évoque son émotion, son saisissement… pas forcément la temporalité adaptée pour les moins de dix ans.
 
Ensuite, le propos éducatif était… déroutant. La méchante, c'est la propriétaire de la décharge qui veut simplement conserver un peu d'ordre alors que Mercibocou le loup et Nouille la Grenouille cassent et mettent tout en désordre. Robert le Cochon, en voulant parlementer pour sauver son ami le loup, prisonnier (personne ne l'a kidnappé, il a surtout été arrêté alors qu'il commettait un délit…), se fait éjecter. Mais il trouve la solution, la seule fructueuse, pour être entendu : il apporte une hache. Et là tout le monde s'enfuit et il peut délivrer son ami. (La violence ne résout rien, mais quand même, elle rend tout plus facile. Prenez-en de la graine les enfants.)

Et surtout, des images traumatiques. Nouille la grenouille est éprise de Mercibocou le loup, mais elle est surtout passablement nymphomane. Elle s'éprend aussi du chasseur de loup embauché par la directrice de la décharge, lui fait une cour éhontée, s'empare d'une « machine d'amour » pour le forcer à l'aimer. Âmes sensibles comme je le suis, ne lisez pas ce qui va suivre.
Nouille attrape alors le chasseur de loup, qui se débat, elle le tire par les pieds alors qu'il s'accroche désespérément au plancher en criant « je ne veux pas ! », et l'emporte dans la fusée où elle le viole – hors du regard du public, mais dans la fusée au milieu de la scène, tout de même –, et lui appliquant la « machine d'amour », le tue. Elle sort alors en pleurant et traîne le cadavre du chasseur sur toute la scène.
Oui, parfaitement, dans un opéra pour enfant, l'un des principaux personnages présentés comme sympathiques viole un autre personnage, sur scène, avant le tuer et de se promener partout avec son cadavre ! 
Pour mettre à distance un peu cette scène, on nous apprend, une demi-heure plus tardi (sérieusement ?  j'ai eu le temps de développer deux ou trois névroses dans l'intervalle…), qu'en réalité ce n'était pas un véritable homme mais une baudruche. Je ne sais pas si c'est vraiment mieux : on sous-entend ainsi que si vous voulez violer quelqu'un mais qu'il se révèle par accident n'être pas véritablement un humain, alors vous n'avez rien à vous reprocher. Quant au procédé même de catégoriser un personnage en non-humain pour mieux pouvoir le torturer, je ne suis pas trop sûr non plus de ce que j'en pense exactement… mais mon ressenti ne valait clairement pas assentiment !

J'ai vraiment peine à comprendre comment personne, dans le processus de création, librettiste, compositeur, metteur en scène, producteurs, interprètes, professionnels de la maison, public interne des filages, public de la prémière série en 2014… n'a demandé à un moment « mais le viol sur scène suivi de meurtre et d'exhibition du cadavre avant de le décréter sous-homme, est-ce totalement la meilleure idée pour un opéra jeune public ? ». Dans un opéra décadent comique du milieu du XXe siècle, ça aurait pu être amusant, mais dans au premier degré dans un opéra pour enfants, j'en suis resté traumatisé – et je l'ai raconté par le menu à tous ceux qui ont eu l'imprudencede me demander ce que j'avais vu de marquant dernièrement.


Le bilan de tout cela reste quand même que sur les 6 meilleurs spectacles de l'année, je recense trois spectacles d'étudiants et un concert d'amateurs !  Honnêtement, cela vaut la peine d'aller voir, surtout au CNSM où le niveau est très élevé (niveau pro, l'enthousiasme des débuts en sus). Les concerts des conservatoires sont toujours gratuits de surcroît ! 
Le recensement n'est pas toujours évident (c'est annoncé peu de temps à l'avance, dans des sites fastidieux à consulter, date à date), aussi je vous rappelle que je maintiens à cet effet un agenda des concerts franciliens où j'inclus et mets en avant les soirées intéressantes. Les spectacles avec mise en situation théâtrale au CNSM (la classe d'Emmanuelle Cordoliani en particulier) me fournissent chaque année des expériences parmi les plus originales et marquantes de la saison.

C'est un peu tôt (en général à 19h), mais si vous avez la possibilité de partir un peu en avance ou si vous posez occasionnelle des après-midis de congé, courez-y, beaucoup n'osent pas, mais on est tout à fait bienvenu, c'est fait pour et disposer d'un public aide à la formation de ces jeunes !  Et le résultat est en général très enthousiasmant (pour les grands spectacles baroques du CRR, les auditions de ses classes d'instrument ou à peu près tout au CNSM).



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5. Nouveautés discographiques : œuvres

Difficile de sélectionner (mon fichier d'écoutes de 2022 fait un millier de pages, plusieurs heures d'écoutes quotidiennes et peu de redites…)

Je tente un petit palmarès.

1. Eben – intégrale d’orgue vol.1 : Job, Fantasia Corale, Laudes… – Janette Sue Fishell (Brilliant Classics 2022) ♥♥♥
→ Ensemble assez incroyable de bijoux… je découvre la densité du langage (très accessible cependant) de la Fantasia Corale, une certaine parenté avec Messiaen, en moins exagérément idiosyncrasique… Et une très belle version de Job, l’une des plus belles et ambitieuses œuvres pour orgue du XXe siècle, avec récitants anglais.
→ Très belles versions, tendues, bien registrées, bien captées… et l’on n’avait de toute façon, que des bouts de choses jusqu’ici. Début d’une série absolument capitale.

2. Winter, Schack, Gerl, Henneberg, P. Wranitzky, Salieri, Haydn, Mozart – « Zauberoper », airs d’opéras fin XVIIIe à sujets magiques – Konstantin Krimmel, Hofkapelle München, Rüdiger Lotter (Alpha 2022) ♥♥♥
→ Encore un carton plein pour Krimmel. Un des plus passionnants (et ardents !) récitals d’opéra de tous les temps. Voilà. (Et il y a beaucoup d’autres compositeurs que « Mozart Haydn Salieri » dans cet album).
→ Document passionnant regroupant des inédits de première qualité (enfin un peu du génial Oberon de Pavel Vranický au disque !) interprétés avec ardeur, et dits avec une saveur extraordinaire. (Je vous recommande chaleureusement son récital de lieder Saga, exceptionnel lui aussi.)
→ Par ailleurs une très belle voix, bien faite, qui ne cherche pas à s’épaissir contre-productivement et conserve sa clarté malgré les formants très intenses qui permettent à la voix de passer l’orchestre.

3. Campra – Le Destin du Nouveau Siècle – Valiquette, Lefilliâtre, Vidal, Mauillon, Van Essen ; La Tempest, Bismuth (CVS)
→ Campra, dans ce sujet purement allégorique où les sujets de la Guerre et de la Paix expriment leurs émotions (!), peut s'en donner à cœur joie et ne rien brider de son imagination musicale. Ébouriffant. (Et quelle distribution, bon sang.)

4. Saint-Saëns – Phryné – Valiquette, Dubois, Dolié ; Rouen, Niquet (Bru Zane 2022) ♥♥♥
→ Intrigue déjà utilisée par Don Pasquale, Das Liebesverbot, Die schweigsame Frau…
→ Nous n'avions qu'une bande de la RTF mal faite, et c'est ici la révélation, toutes ces saveurs dans tous les sens. Court et absolument jubilatoire.

5. Ireland, Stanford, Coleridge-Taylor, Clarke, Liszt – Sonates & autres pièces pour piano – Tom Hicks (Divine Art 2022) ♥♥♥
→ Très beau corpus pianistique anglais… la Sonate d’Ireland manifeste une grande ambition, postdebussyste (mais avec une forme thématique plus charpentée), et regorge de séductions.
→ Et, divine surprise, la version de la Sonate de Liszt échappe totalement à la virtuosité fulgurante qui m’exaspère d’ordinaire : Hicks travaille véritablement l’harmonie (très claire, mais il crée parfois des sortes d’appoggiature en laissant chevaucher la pédale), la structure, le son n’est pas le plus brillant du marché, mais la réalisation est l’une des plus éloquentes !  J’ai l’impression de découvrir – enfin ! – l’intérêt que les mélomanes lui portent.

6. Eleanor Alberga – Concertos pour violon 1 & 2 – Pearse, Bowes, BBC National Orchestra of Wales, Swensen (Lyrita 2022) ♥♥♥
→ Compositrice. Noire. Toutes les raisons de ne pas être jouée… et à présent toutes les raisons d’être réessayée. Vraiment dubitatif lors du concerto pour violon n°2 qui ouvre le disque, assez plat. En revanche le cycle de mélodies est marquant, et surtout l’incroyable premier mouvement du Premier Concerto, dans un goût quelque part entre Mantovani et Berg, de grandes masses orchestrales contrapuntiques menaçantes, mais tonales et très polarisées. Assez fantastiquement orchestré !

7. Pijper, (Louis) Andriessen, (Leo) Smit, Loevendie, Wisse, Henkemans, Roukens – « Dutch Masters », œuvres pour piano à quatre mains – Jussen & Jussen (DGG 2022) ♥♥♥
→ Panorama très varié (du postromantique décadent étouffant de Pijper à l’atonalité dodécaphonique avenante de Louis Andriessen en passant par les debussysmes de Smit) de ce fonds musical incroyablement dense pour un pays à la démographie aussi modeste. (Ma nation musicale chouchoute d’Europe avec les Danois, je me fais très souvent des cycles consacrés à l’un ou l’autre, avec un émerveillement récurrent.)
→ Pour finir, un étonnant concerto très syncrétique de Roukens, manifestement inspiré à la fois par le jazz, varèse et la musique grand public !  (et sans facilité, vraiment de la très bonne musique)

8. Maria Bach – Quintette piano-cordes, Sonate violoncelle-piano, Suite pour violoncelle seul – Hülshoff, Triendl (Hänssler 2022) ♥♥♥
→ Œuvres denses et avenantes à la fois, culminant dans cette Suite pour violoncelle qui m’évoque Elias de Mendelssohn : on y sent sans équivoque l’hommage à Bach, mais un idiome romantique plus souple et expressif qui me séduit considérablement. Oliver Triendl fait des infidélités à CPO et, de fait, les œuvres communes au disque CPO y sont plus ardentes.
&
Maria Bach – Quintette piano-cordes, Quintette à cordes, Sonate violoncelle-piano– (CPO 2022) ♥♥
→ Quintette à cordes de toute beauté, germanique mâtiné d’influences françaises. Thèmes fokloriques russes très audibles.

9. Hans Sommer – Lieder orchestraux – Mojca Erdmann, Vondung, Appl ; Radio Berlin (ex-Est), (PentaTone 2022) ♥♥♥
→ Généreux postromantisme sur des textes célèbres, très bien orchestré et chanté par des diseurs exceptionnels (Vondung, et surtout Appl). Coup de cœur !

10. Schütz, Gagliano, Marini, Grandi & Roland Wilson – Dafne – Werneburg, Hunger, Poplutz ; La Capella Ducale, Musica Fiata, Roland Wilson (CPO 2022) ♥♥♥
→ Si la reconstruction d’un opéra perdu peut paraître une pure opération de communication – la preuve, je me suis jeté sur ce disque alors même que je savais qu’il ne contenait pas une mesure de Dafne ! –, le projet de Roland Wilson est en réalité particulièrement stimulant.
→ En effet, partant de l’hypothèse (débattue) qu’il s’agissait bel et bien d’un opéra et pas d’une pièce de théâtre mêlée de numéros musicaux, il récupère les récitatifs de la Dafne de Gagliano (qui a pu servir de modèle), inclut des ritournelles de Biagio Marini, un lamento d’Alessandro Grandi (ami de Schütz), et surtout adapte des cantates sacrées de Schütz sur le livret allemand qui, lui, nous est parvenu. (Wolfgang Mitterer a même fait un opéra tout récent dessus…)
→ Le résultat est enthousiasmant, sans doute beaucoup plus, pensé-je, que l’original : énormément de danses très entraînantes, orchestrées avec générosité, un rapport durée / saillances infiniment plus favorable que d’ordinaire dans ce répertoire (même dans les grands Monteverdi…). Ce n’est donc probablement pas tout à fait cohérent avec le contenu de l’original, mais je suis sensible à l’argument de Wilson : c’est l’occasion d’entendre de la grande musique du temps que, sans cela, nous n’aurions probablement jamais entendue !  (Et dans un cadre dramatique cohérent, ajouté-je, ce qui ne gâche rien.) → Les deux ténors sont remarquables, l’accompagnement très vivant, et surtout le choix des pièces enthousiasmant !

10. Vladigerov – « Orchestral Works 3 » – Chambre Bulgare, Radio Nationale Bulgare, Vladigerov (Capriccio 2022) ♥♥♥
→ Remarquablement écrit tout cela !  Tonal et stable, mais riche, plein de couleurs, de climat, de personnalité, et surtout un élan permanent. Un grand compositeur très accessible et très méconnu.
→ Si le Poème juif se révèle l’héritier d’un postomantisme germanique généreux et décadents, les Impressions de Lyutin sont marquées par l’influence des motorismes soviétiques, tandis que le dernier des 6 Préludes Exotiques porte, lui, la marque éclatante du Ravel le plus expansif !  Et à chaque fois, sans pâlir du tout devant ses modèles, et non sans une personnalité réellement décelable.
→ D’autres choses sont moins marquantes, mais pas sans valeur, comme le lyrisme filmique de l’Improvisation & Toccata, qui a quelque chose de Max Steiner et Korngold…
→ Clairement le meilleur album de la série, trois disques de merveilles.

11. Czerny, Sonate n°6 / Schubert, Sonate D.958 en ut mineur – Aurelia Vişovan (Passacaille 2022) ♥♥♥
→ Encore un coup de maître d’Aurelia Vişovan… Première fois de ma vie que je suis passionné par une sonate de Schubert (hors peut-être la dernière). Quelle puissance rhétorique implacable, et sur un joli blong-blong en sus !
→ Très belle sonate (en sept mouvements !) de Czerny également.
→ Découvrez absolument aussi son disque Hummel / Beethoven !

12. Noskowski – Quatuors n°1 & 2 – Four Strings Quartet (Acte Préalable 2022) ♥♥♥
→ Le 2 est un bijou de lyrisme intense, quoique pas du tout « douloureux » comme le prétendent les indications de caractère des mouvements, au contraire d’un élan lumineux remarquable !

13. Taneïev – Trio à cordes Op.31, Quatuor piano-cordes Op.20 – Spectrum Concerts Berlin (Naxos 2022) ♥♥♥
→ Le Trio est rarement enregistré, petite merveille jouée avec des cordes d’une intensité d’attaque, d’une résonance, d’une précision d’intonation assez vertigineuses. Et le Quatuor, toujours aussi puissamment inspiré dans ses élans mélodiques… Disque miraculeux.

14. Pachelbel – Les Fugues Magnificat – Space Time Continuo (Analekta 2022) ♥♥♥
→ Oh, quelle merveille !  Des fugues distribuées à différents ensembles : théorbe, orgue ou consort de violoncelles, parfois même au sein de la même fugue. La matière en est très belle (cette Chaconne en fa mineur !) et la réalisation suprême.

15. Charlotte Sohy – Œuvres avec piano (dont mélodies) – Garnier, Nikolov, Phillips, Luzzati, Oneto Bensaid, Kadouch, Vermeulin (La Boîte à Pépites 2022) ♥♥♥
→ Première publication de ce label qui a déjà fourni beaucoup de matière en musique féminine de premier plan (cf. son calendrier de l’Avent récent ou le festival Un Temps pour Elles qui lui est lié).
→ Ce volume contient des pièces pour piano, des mélodies (les très belles Chansons de la Lande, qui ont clairement entendu Duparc), de la musique de chambre, en particulier le miraculeux trio, dont le traitement thématique est absolument fascinant. (Et quels artistes possédés par leur sujet, dans le trio tout particulièrement !)
→ Les pièces pour piano m’ont paru moins essentielles, davantage tournées vers le caractère, la décoration, le salon. À réécouter.

Mais il y a aussi :

Ibert : Le Chevalier errant
Messiaen : Chronochromie
Jarre (Maurice) : Concertino pour percussions et cordes
Mihalovici : Symphonie n°2, Toccata pour piano & orchestre
Milhaud : L’Homme et son désir
Roussel : Concert, Suite en fa, Symphonie n°3
Honegger : Symphonie n°3
Debussy : Marche écossaise, Berceuse héroïque, Faune, Nocturnes, La Mer, Jeux
Ravel : Alborada, Oye
⇒ Radio de Baden-Baden, Hans Rosbaud (SWR Classic 2022) ♥♥♥
→ 4 CDs dans un son clair très réaliste et physique, avec une direction acérée et tendue… Ibert extraverti, Messiaen totalement déhanché et débridé, Honegger frénétique, Debussy tranchant… vraiment un concentré de bonheur, de bout en bout… et avec quelques véritables raretés, comme le remarquable Chevalier Errant d’Ibert, ou bien sûr Maurice Jarre et les pièces de Mihalovici.

Perosi – Quintettes piano-cordes 1 & 2, Trio à cordes n°2 – « Roma Tre Orchestra Ensemble » : Spinedi, Kawasaki, Rundo, Santisi, Bevilacqua (Naxos 2022) ♥♥♥
→ On a beau être mélomane de longue date, la vie peut toujours réserver des surprises : en deux jours, moi qui trouvais le genre du Trio à cordes assez peu fulgurant, je viens de découvrir les deux plus beaux trios que j'aie entendus, et que je n'avais jamais écoutés !  Après Taneïev, voici Perosi n°2.
→ Le feu qui traverse cette œuvre est assez grisant, sans effets de manche ni épanchements superficiels. (Les Quintettes sont très beaux aussi, mais je les connaissais déjà.)

Fauchard – Intégrale pour orgue – orgue de Detmold, Flamme (CPO 2022)♥♥♥
→ Des aspects Vierne, mais aussi un grand nombre de citations de thèmes liturgiques, en particulier dans la Symphonie Mariale que je trouve particulièrement réussie, évocant les Pièces de Fantaisie de Vierne, mais dans une perspective structurée comme un Symphonie de Widor.
→ La Symphonie Eucharistique est encore plus impressionnante en développant davantage et ressassant moins. Quelques contrastes incroyables (dans le II « Sacrifice » !).
→ De la grande musique pour orgue – si vous aimez les grandes machines évidemment. (J’ai songé aux aplats enrichis du Job d’Eben en plus d’une occurrence dans la Quatrième Symphonie, et c’est un beau compliment.)

Bach (Suite n°1), Duport, Piatti, Battanchon, Hindemith (Sonate n°3), Sollima (Sonate 1959), Casals, Rostropovitch, Matt Bellamy – « Le Chant des Oiseaux » – Thibaut Reznicek (1001 Notes 2022) ♥♥♥
→ Programme puissamment original, qui parcourt des pans majeurs de l’œuvre pour violoncelle seul, un Bach sublime mais aussi de passionnants Battanchon et Hindemith, un touchant Sollima (cette simplicité qui touche toujours juste, encore plus peut-être que dans ses délectables Quatuors…). Et Reznicek en gloire, l’un des grands violoncellistes d’aujourd’hui, doté d’un grain et d’une musicalité qui ont peu d’équivalent sur la scène actuelle.

Edelmann, Persuis, Gluck, Monsigny, Grétry, J.-C. Bach, Dalayrac, Cherubini – « Rivales », scènes d’opéra rares du XVIIIe – Gens, Piau, Le Concert de la Loge Olympique, Chauvin (Alpha 2022)
→ J'ai vu le CD « Rivales », je me suis dit « oh non, encore un récital téléphoné à base de joutes vocales fantasmées ». En réalité, recueil de grandes scènes dramatiques françaises fin XVIIIe jamais enregistrées. Et interprétation aux couleurs et inflexions extraordinaires !
→ Les figuralismes de l’abandon d’Ariane (rugissements de bêtes, tempête maritime…) chez Edelmann sont absolument incroyables ; mais aussi le grand récit de Démophoon de Cherubini, et évidemment « Divinités du Styx » par Gens.



6. Nouveautés discographiques : versions

Et bien sûr des choses moins neuves, mais dans des interprétations miraculeuses.

LULLY – Acis & Galatée – Bré, Auvity, Crossley-Mercer, Tauran, Cachet, Getchell, de Hys, Estèphe ; Chœur de Chambre de Namur, Les Talens Lyriques, Rousset (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Tout l’inverse du parti pris esthétique du Zoroastre paru la même semaine : déluge de couleurs variées et de dictions affûtées (mention particulièrement à Bénédicte Tauran, particulièrement charismatique). Immense proposition de toute l’équipe.

Purcell – Dido & Aeneas – Les Argonautes, Jonas Descotte (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Incroyable !  Purcell joué comme du LULLY. Voix fines et expressives (à l’accent français plus délicieux qu’envahissant), couleurs orchestrales magnifiques, et le tout dans une finition d’une perfection absolue. Voilà qui rejoint d’emblée García Alarcón sur le podium des versions les plus intenses de cette œuvre pourtant rebattue !
→ Les danses, que j’ai toujours trouvées moins passionnantes que les récitatifs (quelle surprise…) se révèlent ici absolument irrésistibles. (Et les récitatifs restent fabuleux aussi.)
→ J’espère que cet ensemble ira loin, et fera la promotion du répertoire français en complément d’autres bien en cour actuellement, mais aux postures plus hédonistes (Les Surprises, Les Ambassadeurs font de l’excellent travail, mais ce n’est pas l’esthétique qui fonctionne le mieux dans ces musiques, à mon sens…).

Voříšek, Mozart – Symphonie en ré Op.23, Symphonie 38 – Gewandhaus O, Blomstedt (Accentus Music 2022) ♥♥♥
→ Contre toute attente, après des Brahms plutôt impavides et indolents, un Mozart plein de vie et d’aspérité : certes tradi, mais un tradi vibrillonnant, qui ne se contente jamais d’énoncer les formules mais les accompagne et leur insuffle un feu permanent. Une des plus belles versions que j’aie entendues, pour moi qui ai pourtant tendance à privilégier le crincrin crissant et le pouêt-pouêt couaquant !  Une partie du plaisir provient aussi de l’exécution intégrale, avec les reprises (18 minutes pour le premier movement, et 12 pour l’andante !), ce qui permet de goûter pleinement les équilibres formels et les trouvailles merveillleuses de notre (presque) vieux Mozart.
→ La Symphonie en ré de Voříšek est elle aussi extraordinairement réalisée, Blomstedt mettant en valeur son très grand potentiel dramatique, ses parentés avec Mozart dans la recherche harmonique, la variété de ses climats (des contrastes impressionnants dans le mouvement lent). Elle ne m’avait pas du tout autant frappé, et pour cause, dans l’excellente version Goebel.

Weber, Schubert, Schumann – Lieder orchestrés, airs d’opéra (Alfonso und Estrella, Euryanthe…) – Devieilhe, Fa, Degout ; Pygmalion, Pichon (HM 2022) ♥♥♥
→ Le projet ne m’enthousiasmait pas, mais le choix des œuvres (de très beaux airs de baryton de Weber et Schubert, rarement gravés en récital) et leur réalisation sur instruments anciens, débordant de couleurs et de textures, est absolument superlative. Je suis resté sonné par l’intensité de la réalisation – et Degout, qui n’est pas mon chouchou, est en forme olympique !
→ Du même degré de réussite que l’album « Mozart inachevés » de Pygmalion.

Schumann – Quatuors piano-cordes, Märchenerzählungen (version avec violon) – Dvořák PiaQ (Supraphon 2022) ♥♥♥
→ Je découvre avec stupéfaction qu’il existe un autre quatuor piano-cordes de Schumann… et qu’il vaut de surcroît son génial autre !  (Version formidable aussi.)

Meyerbeer – Robert le Diable – Morley, Edris, Darmanin, Osborn, Courjal ; Opéra de Bordeaux, Minkowski ♥♥
→ Je reste toujours partagé sur cette œuvre : les actes impairs sont des chefs-d’œuvre incommensurables, en particulier le III, mais les actes pairs me paraissent réellement baisser en inspiration. Et certaines tournures paraissent assez banales, on n’est pas au niveau de finition des Huguenots, où chaque mesure sonne comme un événement minutieusement étudié. Pour autant, grand ouvrage électrisant et puissamment singulier, bien évidemment !
→ Comme on pouvait l’attendre, lecture très nerveuse et articulée. Courjal, que je trouvais un peu ronronnant ces dernières années, est à son sommet expressif, fascinant de voix et d’intentions. Bravo aussi à Erin Morley qui parvient réellement à incarner un rôle où l’enjeu dramatique, hors de son grand air du IV, paraît assez ténu par rapport aux autres héroïnes meyerbeeriennes – avant tout un faire-valoir.
→ Très (favorablement) étonné de trouver ce chœur, qui bûcheronnait il y a quinze ans, aussi glorieux – son à la fois fin mais dense, ni gros chœur d’opéra, ni chœur baroque léger, vraiment idéal (seule la diction est un peu floue, mais il est difficile de tout avoir dans ce domaine).

Gluck, Rossini, Bellini, Donizetti, Halévy, Berlioz, Gounod, Massenet, Saint-Saëns – « A Tribute to Pauline Viardot » – Marina Viotti, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Voilà, pour une fois, un récital intelligent, qui tient les promesses de son titre : le répertoire de Pauline Viardot, sur instruments d’époque, par une voix exceptionnelle, d’une très belle patine mais brillante, à la diction affûtée, à la projection manifestement aisée, maîtrisant aussi bien la cantilène profonde que la déclamation dramatique ou l’agilité la plus précise.
→ Orphée, La Juive, La Favorite, Les Troyens sont d’éclatantes réussites, qui offrent à la fois une qualité supérieure de diction et d’expression… mais aussi un accompagnement d’un caractère et d’une singularité qui renouvellent véritablement l’écoute !

Czerny – Nonette – Brooklyn Theatre Salon Ensemble (Salon Music 2022) ♥♥♥
→ Une nouvelle version du Nonette !  Timbres moins parfaits que chez le Consortium Classicum, mais la prise de son est encore plus aérée et détaillée, beaucoup d’aspect qu’on a l’impression de mieux découvrir. Pour l’un des plus hauts chefs-d’œuvre de Czerny.

¶ Brahms – Symphonie n°1, Concerto pour violon (S.-M. Degand, Le Cercle de l'Harmonie, Rhorer) (NoMadMusic 2021) ♥♥♥
→ Fin de l'année 2021, passé inaperçu dans les bilans.
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et de musicalité. Versions majeures, et très différentes de ce qu’on peut entendre ailleurs.

Brahms – Les Symphonies – Chambre du Danemark, Ádám Fischer (Naxos 2022) ♥♥♥
→ Dans le même goût que leurs Beethoven, avec une Héroïque particulièrement marquante, un Brahms aux cordes non vibrées qui n’en ressort pas (comme c’est en général le cas) rigidifié ou anémié : Fischer s’empare de cette options en faisant tout claquer avec une vivacité impressionnante… le plus admirable est que les mouvements lents eux-mêmes en sortent particulièrement rehaussés, par le grain, par la lisibilité structurelle, par la force des intensions.
→ Une très grande lecture, particulièrement marquante, qui renouvelle radicalement l’approche de ces œuvres d’ordinaire beaucoup plus pâteuses, et dont l’orchestration sort ici transfigurée. Je le mets dans mon panthéon aux côtés de Manze (pour la couleur, les accents) et Zehetmair (pour l’intelligence de l’articulation des cordes).
→ Bissé.

Offenbach – Le Voyage dans la Lune – Derhet, Lécroart ; ON Montpellier, Dumoussaud (Bru Zane 2022) ♥♥♥
→ Sur un schéma habituel (princesse enlevée par un prince mauvais sujet), farci de rebondissements plein de fantaisie (fusée, terre habitée, volcan), quelques pastiches identifiables (les enchères à la chandelle de la Dame Blanche « Personne ne dit mot ? »), et plusieurs moments assez marquants mélodiquement (le chœur de la neige), un bel Offenbach ambitieux et puissamment original, dans le goût du Roi Carotte ou de Barbe-Bleue.

Dubois, d’Indy, Caplet – Dixtuor, Chansons & Danses, Suite Persane  – Polyphonia Ensemble Berlin (Oehms 2022) ♥♥♥
→ Trois très belles œuvres, mais le disque vaut particulièrement pour sa version des Chansons & Danses de d’Indy, d’une verdeur exceptionnelle, complètement nasillarde et terroir – je n’imaginais pas des musiciens allemands capables de se donner à fond là-dedans !  Indispensable version de premier plan de ce chef-d’œuvre.

Sibelius – Symphonies 3 & 5, La Fille de Pohjola – Symphonique de Göteborg, Rouvali (Alpha 2022) ♥♥♥
→ Voilà une intégrale réalisée par un autre prodige finlandais, sur beaucoup plus long terme qu’Oslo-Mäkelä, et qui apporte, cette fois, une toute nouvelle perspective sur ces œuvres !  Captation merveilleuse de surcroît.
→ Rouvali a la particularité de traiter les transitions non comme des passages d’attente, mais comme si (et c’est le cas !) elles étaient le cœur du propos. Il n’hésite pas à mettre en valeur les motifs d’accompagnement et à les rendre thématiques (sans abîmer pour autant l’équilibre général de la symphonie et les thèmes). On se retrouve donc avec deux fois plus de thèmes (et de bonheur).
→ Sa Première était un bouleversement paradigmatique ; les autres parutions m’avaient moins impressionné. Mais dans cette Troisième, au premier mouvement très vif et élancé, au deuxième au contraire d’une lenteur particulièrement inspirée (avant que tout ne s’emballe), on sent à quel point, à nouveau, chaque équilibre, chaque progression est pensée. Vraiment un témoignage de tout ce qu’un chef peu magnifier dans une grande partition. → Tout simplement (et de loin) la meilleure version que j’aie entendu de la Troisième (et j’ai écouté toutes les intégrales discographiques de Sibelius).
→ La Cinquième est moins singulière, mais toujours remarquablement articulée et captée (pas une version où l’appel de cor du final est particulièrement majestueuse / exaltante, attention à ceux pour qui c’est important).

Sibelius – Symphonie n°7, Suite de Pelléas, Suite de Kung Kristian II – Radio Finlandaise, Nicholas Collon (Ondine 2022) ♥♥♥
→ Premier directeur musical non finlandais à la tête de la Radio, ce n’est en tout cas pas une erreur de casting : une Septième pleine de frémissements, de détails, de vie, de bout en bout, l’une des plus abouties de celles (très nombreuses) qu’il m’ait été donné d’entendre.

Langgaard – Symphonie n°1, « Pastorale des falaises » – Berliner Philharmoniker, Sakari Oramo (Da Capo 2022) ♥♥♥
→ Cette unique symphonie de Langgaard écrite dans le goût postromantique généreux (sur les 16 de son catalogue) trouve ici une lecture particulièrement limpide et animée… le résultat est d’un souffle absolument irrésistible.




7. Découvertes de l'année

L'exploration des anniversaires a bien sûr été l'occasion de beaucoup de belles découvertes (Ballard, Schürmann, Baines… et bien sûr la vie absolument démente de Dupuy !).

De même pour l'Ukraine. Parmi les belles rencontres inattendues, Semen Hulak-Artemovskiy dont l'histoire m'a passionné, et Leo Ornstein, pianiste exilé aux États-Unis dont le futurisme débridé me ravit absolument (le disque de Janice Weber avec les Sonates 4 & 7, ou le Quintette qu'elle a gravé avec le Quatuor Lydian, sont à couper le souffle).

En lisant Pelléas au piano, j'ai été frappé comme la foudre par l'hypocrisie de Debussy, se moquant de la façon de Wagner d'écrire un opéra à partir de bouts de motifs hystériques. Or, bien que les exégètes que j'ai lus aient toujours paru relativiser les leitmotive dans Pelléas, en réalité le plus clair de l'opéra n'est bâti que sur ces motifs (souvent des interludes ou des sections entiers !), peut-être encore davantage que dans Tristan ou le Ring… Découverte qui m'a stupéfié, j'étais toujours passé à côté à l'écoute – activité dont je ne suis pourtant pas suspect d'avoir été économe. Il y aura des notules (et peut-être même une « conférence-concert ») sur le sujet. Voyez déjà cette notule générale et celle-ci, plus récente.

Autre grand choc, la découverte des concertos pour violon de Pierre Rode, d'un style postclassique à la fois dramatique et d'une veine mélodique incroyable (un peu dans l'esprit de Dupuy), que j'ai écoutés en boucle pendant mes randonnées depuis le printemps dernier.

Une claque monumentale avec I Masnadieri de Verdi dans la version de Gavazzeni à Rome en 1972 (Ligabue, G. Raimondi, Bruson, Christoff).
Je n'avais jamais été très touché par cet opéra encore un peu formellement post-belcantiste, et dans des versions molles (Gardelli notamment) distribuées totalement à rebours (Bergonzi en brigand sans limites !). Réécoute avec cette version possédée, en relisant sa source Die Räuber.  J'en suis sorti vraiment sonné… Les plot twists surabondants et délirants (il y en a combien, une demi-douzaine rien que dans la dernière scène ?), et la fin assez inattendue et insoutenable, le désespoir qui baigne le tout – chaque personnage étant persuadé de sa damnation et se débattant malgré tout en s'enfonçant dans ses crimes et en choisissant mal la loyauté de ses serments –, la recherche d'un sublime perverti, tout concourt au malaise exaltant.
Ces outrances sidérantes ont dû faire réagir sur le plan de la bienséance, même pour un public habitué aux fantaisies romantiques !  Mais c’est aussi le terreau pour des scènes très contrastées comme Verdi les aime – la prière apocalyptique du méchant !  Les rôles sont eux aussi démesurés : l’épouse qui dérobe une épée et tient en respect le méchant, le baryton totalement maléfique, le ténor vociférant… j’en suis sorti assez secoué avec cet attelage plus grand que nature.
→ Et alors, Gianni Raimondi, que je tenais pour une belle voix (idéalement émise mais) un peu aimablement lisse, totalement hors de lui, est hallucinant dans sa dernière scène.

Quelques opéras du romantisme allemand, aussi, à commencer par Die Räuberbraut de Ries (dont je n'avais jamais rien trouvé saillant, et qui se révèle un tempérament dramatique de premier ordre !) et Die Lorelei de Bruch (de très loin supérieure en intensité à ses autres vocales comme Ulysse ou Arminius).

Enfin, les symphonies d'Alfvén dirigées par le compositeur, tellement claires, mordantes et redevables au folklore, on ne l'imaginerait pas du tout en écoutant les autres versions du commerce (beaucoup plus vaporeuses et « atmosphériques »).



8. Cycles de l'année

Pour approfondir un sujet ou préparer une notule, j'ai tendance à creuser un même sillon, d'où la poursuite de quelques cycles.

Cycle opéra suédois :
Je ne suis toujours pas inconditionnel de la Fête à Solhaug de Stenhammar (un rare Ibsen mis en musique), mais son Tirfing sur un sujet médiéval est absolument enthousiasmant, ces finals tournoyants particulièrement généreux m'ont transporté !  On trouve pas mal d'œuvres chez Sterling.
J'ai aussi profité de tout le fonds édité par BlueBell : récitals d'artistes suédois qui chantent tout le répertoire… en suédois. Mozart, Verdi, Wagner, R. Strauss, tout y passe… voix phénoménales et saveur très particulière de cette langue (variété vocalique et, par rapport à l'allemand, une fermeté qui n'exclut pas la rondeur). Vous pouvez commencer par le volume consacré à Arne Tyrén, vertigineux. Il faut après naviguer selon ses goûts, mais la quinzaine d'albums vaut le détour, particulièrement pour les chanteurs moins connus (qui chantent mieux…).

Cycle Segerstam
Cycle Westerberg
(de pair avec ce cycle opéra suédois)

Cycle opéras français post-1870 :
Hérodiade de Massenet, Aben-Hamet de Dubois, Vercingétorix de Fourdrain, Lutetia d'Holmès, Ivan le Terrible de Gunsbourg… évoquent tous à leur manière les tourments de la défaite et la recherche du sublime malgré la déchéance et l'horreur. Il est frappant de voir que le parallèle Romains-Germains est réalisé par plusieurs de ces œuvres (Hérodiade, Vercingétorix, Lutetia), alors que dans notre imaginaire contemporain la culture romaine (ne serait-ce que par la distribution linguistique) s'oppose justement à celle du Nord de l'Europe.

Cycle opéras de Théodore Dubois
En train de déchiffrer au piano tous ceux que j'ai pu trouver : Le pain bis, Xavière, Le Guzla de l'Émir, Aben-Hamet, Le Paradis perdu… Et je m'émerveille à chaque fois de la facilité de lecture et de l'économie de la pensée musicale, dispensant beaucoup de beautés, mais toujours à la juste proportion, comme une épice vient relever un plat sans le dénaturer.

Cycle Taneïev
Sa musique de chambre est extraordinaire, et les symphonies aussi. 45 disques écoutés, à peu près toutes les œuvres que j'ai pu trouver couramment disponibles.

Cycle intégrale Verdi
Réécoute de tous les opéras de Verdi. Toujours source d'émerveillement et de plaisir.

Cycle Oliver Triendl
Le grand pianiste défricheur (les concertos rares et la musique de chambre interlope chez CPO, c'est très souvent lui !). En plus il joue merveilleusement. J'ai suivi sa trace pour faire encore davantage de belles découvertes !

Et quelques autres autour de compositeurs :

Cycle Dupuy
Cycle Czerny
Cycle Stenhammar
Cycle Pejačević
Cycle Juon
Cycle Miaskovski
Cycle Tchèques milieu XXe (Luboš Fišer et Jan Fischer !)
Cycle Sviridov

Ou d'interprètes :

Cycle Gianni Raimondi
Cycle Fedoseyev
Cycle Dähler (le pianiste)

… ou même un cycle Civil War, pour retrouver la trace des thèmes les plus célèbres utilisés dans la musique américaine. (Pas évident de trouver de bons disques, beaucoup d'arrangements dégoûtants – j'ai dû fouiller un peu.)

Si vous êtes curieux, une recherche en ctrl+F dans le fichier des écoutes et dans son archive vous permettront de retrouver les disques et les commentaires.



9. Doudous

J'ai aussi réécouté certains de mes doudous personnels : les Variations « Prinz Eugen » de Graener, Miles fortis de Hamel, Raoul Barbe-Bleue de Grétry, Ungdom og Galskab de Dupuy, et j'ai découvert ou réécouté sans trête la musique de chambre de compositeurs majeurs dans ce genre et trop méconnus : Krug, Koessler, Schillings, Pejačević, Kabalevski, Taneïev, Howells…




J'espère que ce bilan vous aura donné des idées d'écoutes, ou que la vidéo vous aura amusés. À défaut, sachez que je diffuse et commente mes écoutes en temps réel sur ce fichier.

À l'année prochaine, estimés lecteurs !

mardi 11 octobre 2022

Gluck, Iphigénie en Aulide – à la source d'un style nouveau


Je profite du concert tout frais autour de l'œuvre pour rappeler quelques éléments et… poser quelques questions. 


(Pour ceux qui n'y étaient pas, autre version vidéo de l'œuvre, calée sur l'un de ses moments paroxystiques.)



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#ConcertSurSol n°11
Gluck, Iphigénie en Aulide, Chauvin

Judith van Wanroij | Iphigénie
Stéphanie D’Oustrac | Clytemnestre 
Cyrille Dubois | Achille
Tassis Christoyannis | Agamemnon
Jean-Sébastien Bou | Calchas
David Witczak | Patrocle / Arcas / Un Grec
Anne-Sophie Petit | La première Grecque
Jehanne Amzal | La deuxième Grecque
Marine Lafdal-Franc | La troisième Grecque

Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
(direction artistique Fabien Armengaud)

Le Concert de la Loge

Julien Chauvin | direction


Lors de la représentation du premier opéra français de Gluck, en 1773, les témoins rapportent que tout le théâtre était en pleurs. Ce n’est plus tout à fait la façon dont nous percevons désormais cette situation dramatique et cette musique, mais elle éclaire le projet d’émotion directe soutenu par Gluck, en débarrassant le théâtre des ornements rocaille de la génération postramiste. 


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Iphigénie, le prequel


Contrairement à Iphigénie en Tauride, jouée régulièrement partout, Iphigénie en Aulide est très rarement donnée (l’a-t-elle été en France depuis Gardiner à Lyon, au début des années 90 ?), et conserve encore quelques empreintes du temps d’avant – comme l’air orné d’Achille, évoquant les ténors virtuoses ramistes.

L’œuvre contient pourtant quelques-unes des très belles pages de Gluck : le début formidable par l’invocation-plainte d’Agamemnon, le trio désespéré Iphigénie-Clytemnestre-Achille en apprenant la nouvelle, le duo de fureur paroxystique qui oppose Achille à Agamemnon, l’air de fureur de Clytemnestre, ou encore la très belle prière chorale du sacrifice, interrompue en pleine phrase par les éclats de la bataille menée contre les autels par le péléide !  Tout cela dans la langue épurée, où toute la musique s’efface pour magnifier la déclamation. 


Je suis beaucoup moins touché par l’autre moitié de l’œuvre (les scènes plaintives de l’obéissance noblement geignarde), mais il faut bien voir que pour le public du temps, c’était là une source d’exaltation émotionnelle d’intensité peut-être encore supérieure à celle des grands éclats. [Tout cela ne fait que renforcer ma conviction qu’il serait vraiment pertinent d’écrire des opéras calibrés pour les goûts d’aujourd’hui, avec des intrigues plus resserrées et des affects plus proches de nos perceptions du monde.]


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Iphigénie, la boloss


Le livret se situe donc dans la partie du mythe qui précède le départ à Troie et le sacrifice d’Iphigénie, calqué sur la trame de la tragédie homonyme d’Euripide (puis Racine – celle de Goethe est écrite seulement à la fin des années 1770). Il est centré autour d’une héroïne paradoxale, Iphigénie : aspirations toujours nobles et pures, caractère inébranlable, mais figure absolument immobile, qui n’ose rien pour elle-même et refuse obstinément de changer ou d’agir. C’est une figure résignée, mais admirable dans l’idéal d’alors, parce que pieuse, raisonnable, sensible avant tout à son devoir – et son honneur (là aussi, une valeur qui résonne de façon peut-être plus menaçante qu’enviable pour le spectateur européen de 2022, avec une perception beaucoup plus variable d’un spectateur l’autre qu’elle ne l’était en 1773).

On retrouve le même type d’idéal, mais plus actif (car confié à des hommes, des rois, des guerriers) dans Iphigénie en Tauride, lorsqu’Oreste et Pylade se disputent l’honneur de mourir pour sauver son ami. 


Quoique le livret du Roullet ne soit pas un chef-d’œuvre d’écriture poétique (« Fut-il jamais conçu / De projet plus affreux ? », et autres « oui » qui servent de cheville…), il n’est pas sans mérite. Il réutilise par exemple la technique grecque de certains stasima (chœurs de tragédie grecque, je pense en particulier à l’un de ceux d’Œdipe à Colone) en faisant décrire le sacrifice hors scène, mais au futur, par Clytmnestre. Procédé dramatique saisissant d’une part – le sacrifice n’aura pas lieu, mais on en a tout de même la saveur émotionnelle –, et qui ancre l’économie générale du côté des modèles antiques, de façon assez évocatrice. 


Par ailleurs, je suis assez admiratif de son jeu récurrent avec l’ironie tragique. Cela commence avec le « juste courroux » dès la première entrée de Clytemnestre – on sent bien le tempérament de feu, les instincts maternels sauvages et, dans une perception plus XXIe, la personnalité qui peut vite basculer du côté du déséquilibre et de l’outrance. 

Et les références s’empilent : Iphigénie la quittant pour l’autel du sacrifice lui demande le pardon de son père (« N’accusez point mon père ») et lui recommande son frère Oreste (« Puisse-t-il être, hélas ! / Moins funeste à sa mère ! »), dont tous les spectateurs savent qu’il sera chassé, jusqu’à tenter de l’assassiner chez Sophocle et Hofmannsthal… et qu’il reviendra en vengeur implacable. 

Peut-être encore plus glaçant, car moins fondé sur la vraisemblance psychologique de l’intrigue, et gratuitement glissé par l’auteur, Patrocle, dans les réjouissances du mariage, chante « Hector et les Troyens, par la honte pressés / En vain s’opposeront à sa valeur altière / Sous les murs d’Illion atteints et renversés, / Hector et les Troyens vont mordre la poussière. », forfanterie qui annonce en réalité la propre défaite mortelle de Patrocle face à Hector. On frémit en entendant la chanson, petite réplique qui n’aura pas de suite mais dont la promesse terrible demeure à notre esprit – car nous savons ce qu’il en sera, à l’épisode suivant.


Il était tout à fait licite, dans les tragédies classiques et plus encore les tragédies en musique, de ne conserver que les éléments essentiels d’un mythe (Achille ne peut pas être couard, troyen ou vieux) et d’ajouter des éléments externes, notamment des intérêts amoureux féminins (pour pouvoir faire des duos d’amour), s’ils ne perturbent pas trop l’équilibre du mythe. 

Mais je trouve tout de même que la résolution heureuse d’Iphigénie en Aulide – assez habituelle, même si l’on trouve aussi, un peu plus tard (Andromaque de Grétry, en 1780 !) des fins absolument sans espoir – pose quelques problèmes de cohérence mythologique. Que fait-on de l’épisode en Tauride si Iphigénie n’y est pas transportée ?  Que penser de l’amour d’Achille pour Briséis, absolument fondateur du mythe (c’est même le point de départ de L’Iliade, ces quelques vers que même aujourd’hui on continue de connaître par cœur chez toutes les générations… on ne fait pas plus source canonique que ça !) ?  Et comment pourrait-il se marier avec Polyxène s’il l’est déjà à la maison ?  Même le crime de Clytemnestre (qui, certes, peut tout de même nourrir de la rancœur et un amant…) paraît moins vraisemblable. 

Ce paraît un gros retournement du mythe, mais je suppose que le fait que cela ne se produise que dans les derniers instants, après le Calchas ex machina, rend le problème beaucoup moins fondamental que s’il innervait tout le drame. En tout cas je n’ai jamais rencontré de mention de réserves du public d’époque à ce sujet. 


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Iphigénie, la romantique


J’aurais aussi pu titre « Gluck ou la gloire du trémolo », tant le procédé (archet qui fait des allers-retours très rapides sur la même note), rarissime auparavant, est devenu la norme chez Gluck, servant (de façon toujours aussi saisissante 250 ans plus tard !) à tendre instantanément l’atmosphère dramatique, que ce soit pour la révélation murmurée d’un rêve prophétique ou pour soutenir des éclats guerriers. 


J’ai été frappé par le côté très verdien du chœur de réjouissance tandis que le soliste exprime son désespoir, vraiment un procédé typiquement romantique qui oppose les affects sombres du héros à ceux sans ombre de la foule. Bien sûr, procédé qui peut être considéré comme universel, mais il est rare que ce soit à ce point décorrélé dans les années 1770. 


Autre préfiguration, les deux airs d’Iphigénie et d’Achille qui deviennent de façon fluide un duo… typique de l’école française, où la segmentation en numéros n’est pas du tout aussi rigide qu’en italien, et où l’on peut glisser d’un récitatif accompagné par tout l’orchestre (c’est désormais toujours le cas, chez Gluck, alors que même chez Rameau il existait encore des moments uniquement accompagnés par la basse continue, certes de moins en moins nombreux) à un air, d’un air à un chœur ou à un ensemble, sans que la délimitation soit toujours nette ou assurée par des accords conclusifs. Dans l’acte III d’Armide de LULLY, passé le premier air… où est le récitatif ? où est l’air ? la scène entière est vraiment conçue comme un ensemble organique. 

C’est ce que Meyerbeer poussera à son paroxysme, avec des enchaînement très sophistiqués entre « numéros » qui restent vaguement identifiables, mais dont les frontières exactes sont complètement brouillées pour ne pas freiner l’avancée dramatique. 



Je dois partir visiter une collection princière et répéter de l’opéra provençal et russe, je reviendrai parler de l’interprétation (et la couvrir d’éloges) mais aussi, c’est un peu pour ça que je suis là, essayer de poser des questions sur ce qu’impliquent le diapason, les choix de tessitures et les techniques vocales actuelles sur l’interprétation de cette musique – et sur notre vision du monde ? 




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Le Concert de la Loge Olympique


Très impressionné par l’orchestre : résonance formidable des cordes, au son assez sombre pour un orchestre sur instruments anciens. Quand on les voit jouer, on comprend la tension imprimée – comme les violoncellistes et contrebassistes entrent dans la corde, avec quel entrain et quels sourires ils s’abandonnent à cette musique !


Sont ainsi magnifiés les beaux moments d’orchestration comme les superbes alliages flûte-hautbois par-dessus les cordes (réussis de façon particulièrement diaphane et surnaturelle), ou le plus classique cordes graves-basson… quelques moment aussi où c’est l’interprétation qui crée l’événement d’orchestration, comme pendant les très grands coups d’archet donnés pendant l’évocation des Euménides. 


Julien Chauvin, que j’avais plutôt vu jouer-diriger jusqu’ici, dirige sur le temps mais avec des gestes d’anticipation très clairs, et ses interventions révèlent une finesse de pensée sur chaque phrasé, une compréhension intime des dynamiques de cette musique. 


J’ai beaucoup entendu à la sortie du concert et lu sur la Toile que c’était « joué trop vite », en réalité on dispose de minutages pour certaines œuvres de la même esthétique à l’Académie Royale de Musique (Tarare, par Salieri, successeur officiel de Gluck à Paris, qu’un subterfuge avait même réussi à faire passer pour Gluck lui-même !). Et ils sont très rapides – l’enregistrement de Rousset se situe à peine au delà du minutage historique. 


En tout état de cause c’était d’une urgence, d’une précision et d’une qualité de finition assez superlatives.



Le plateau

Que des grands chanteurs, mais pas tous au même degré d’accomplissement : Jean-Sébastien Bou (Calchas), comme d’habitude, champion du raptus, à la fois au sommet de la déclamation française et d’une forme sauvagerie mordante dans ses interventions démiurgiques. 


Je me suis demandé au début si Cyrille Dubois (Achille) était un bon choix – technique XIXe de voix pleine qui essaie de s’alléger plutôt que technique intrinsèquement calibrée pour ce répertoire – me faisant même sursauté avec un bruit d’obturation glottique délibéré assez étonnant dans ce répertoire. Mais très vite, je suis séduit par la façon dont chaque facette de cet archétype du guerrier sensible est aboutie : tendre, agile, tempêtant, il réussit toutes les expressions, et fend totalement l’armure en seconde partie de soirée, où son trio et surtout le duo d’affrontement avec le Chef des Armées lui fait croquer les récitatifs avec une fureur que je ne pourrais comparer qu’à Siegmund Nimgern en Ruthven (Der Vampyr) ou Gianni Raimondi en Carlo Moor (I Masnadieri), les deux exemples les plus totalement possédés que je connaisse en matière de récitatif héroïque masculin. 

Ce qu'il livre ce soir-là est une leçon absolue en matière d’émission cinglante et d’expression à la fois ciselée et totalement emportée. Il n’a jamais si bien chanté que ce soir ; aucun ténor n’a jamais si bien chanté que ce soir. 


Même si Stéphanie d’Oustrac (Clytemnestre) a désormais totalement perdu ses attaques trompettantes (son squillo), son charisme ravageur fait des merveilles dans un rôle qui intervient peu mais dont l’interaction avec les intrigues à venir projette une ombre plus vaste sur l’ensemble de l’œuvre… Elle offre un luxe incroyable d’expression et d’incarnation (très bien chanté au demeurant !) dans ce qui devient soudain un rôle principal. 


Parmi les trois excellentes Grecques, j’été ravi de retrouver les prometteuses Marine Lafdal-Franc (la meilleure déclamation française dans Ariane et Bacchus de Marais en avril dernier !) et Jehanne Amzal (ronde de timbre et précise de verbe !).


J’en viens à deux micro-réserves. Judith van Wanroij (Iphigénie) a toujours pour elle cette jolie patine de timbre, cette connaissance du style, et elle était vraiment en verve vendredi soir, essayant même de jouer jusqu’au bout lorsqu’elle ne chantait pas. Je ne puis m’empêcher de penser, cependant, qu’une voix aux contours plus définis et une diction plus précise auraient pu porter Iphigénie hors de la seule composante passive / plaintive pour porter haut le vers et faire aussi d’elle une héroïne qui fait le choix délibéré de son destin, fût-ce en obéissant. 

Petite frustration aussi avec Tassis Christoyannis, qui peut être un diseur exceptionnel (témoin son Idoménée de Campra il y a un an !), mais semblait assez terne et introverti hier – le rôle est trop grave pour lui et il connaissait sa partition, mais le résultat était tant sur la réserve qu’il évoquait un déchiffrage avancé et prudent (même la couverture vocale était plus opaque que d’ordinaire), alors que sa partie contient peut-être les plus belles pages de la partition !  Je ne sais pourquoi, mais c’était décevant, lorsqu’on sait de quel bois il est fait. 



À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — Chanteurs récurrents


Comme souvent, je me demande si je ne vais pas d’abord au concert pour pouvoir mieux me poser des questions… J’en ai deux en tout cas. 


D’abord, la distribution : le CMBV et Bru Zane programment toujours les mêmes chanteurs. L’avantage est d’abord, je le devine, logistique : en disposant d’artistes qui se connaissent entre eux, et qui connaissent le style, on gagne un temps considérable en répétition, ce qui permet de limiter les coûts ou, à coût égal, d’optimiser le temps de répétition pour effectuer davantage de travail de détail. Lorsqu’on est simplement mélomane, on néglige parfois cet aspect : une production, ce sont aussi des conditions matérielles, et ce qui peut nous paraître une négligence peut simplement résultat du fait que le temps de répétition dévolu à des œuvres aussi longues est finalement assez réduit si l’on veut entrer finement dans le détail !  (Ne pas oublier aussi que leur rareté fait que personne, à part éventuellement le chef, n’a un long compagnonnage qui permette de griller les étapes de l’apprentissage et de donner une conception mûrie depuis des années…).

L’autre bienfait que cela permet d’entendre des voix soigneusement choisies, souvent dotées de belles qualités (de timbre, d’expression, parfois de diction), et de les retrouver avec plaisir – je ne connais pas grand’monde qui se plaigne d’entendre souvent Gens, d’Oustrac, Auvity, Dubois, Vidal, Mauillon, Christoyannis, Bou, Lécroart ou Courjal…


Je m’interroge cependant : si en tant que mélomane nous avons un désaccord esthétique avec ces choix, nous risquons de devoir vivre avec tout un pan du répertoire difficilement écoutable, pour des décennies avant que ce ne soit réenregistré. 

Pour ma part, Watson, Kalinine, Mechelen, Dolié, Witczak, même si leurs qualités d’artiste déjouent régulièrement mes craintes, n’incarnent vraiment pas mes idéaux pour ce répertoire – ni ne me paraissent cohérents avec ce que l’on peut supposer du chant XVIIIe, avec leur couverture au minimum XIXe. Je les cite à titre d’exemple, ce qui ne remet nullement en cause leur dévouement admirable envers ce répertoire, ni même leurs qualités d’artistes – je m’interroge plus largement sur l’adéquation de leur technique à ce répertoire, sur ce qu’ils peuvent apporter ou retirer aux œuvres et à cette esthétique, par sur leur bonne foi ni sur leur valeur intrinsèque de musicien (qui me paraît absolument indéniable).


On pourra m’objecter, et non sans raison, que si l’on changeait d’interprètes à chaque fois le résultat serait aléatoire et permettrait moins d’anticiper les adéquations et les réussites, surtout si les chanteurs ne sont pas spécialistes. C’est vrai. Mais cela varierait peut-être un peu les timbres et les incarnations. 

Je n’ai pas de réponse à cette question, c’est simplement un parti pris sur lequel je m’interroge : je ne sais pas si (indépendamment des questions pratiques) il est le meilleur artistiquement – considérant que globalement les chanteurs récurrents de ces productions sont vraiment excellents !



À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — Tessitures sans titulaires


Sur la seconde question, plus technique, j’ai davantage une opinion formée : pourquoi distribuer les rôles de Calchas et d’Agamemnon, qui disposent d’aigus mais dont le centre de gravité est vraiment bas, à d’authentiques barytons ?  Bou et Christoyannis étaient vraiment embarrassés, par moment, à râcler le plus élégamment possible le bas de la tessiture, ce qui rendait leur projection et leur expression plus difficiles. 

Idéalement, il aurait fallu des basses chantantes, pas nécessairement de l’ampleur de Teitgen (qui est de toute façon passé à autre chose) ou Courjal, mais plutôt de la typologie de Thibault de Damas ou d’Edwin Crossley-Mercer (que je n’aime pas beaucoup dans ce répertoire, mais ce n’est pas ici mon sujet), pour citer des noms qui ont déjà contribué à ces productions. 


En réalité je vois très bien pourquoi on les a choisis : on ne dispose pas, dans le circuit baroque français, de basses d’un charisme équivalent à Bou et Christoyannis. Elles existent bien sûr (sur le nombre de chanteurs professionnels, on ne trouverait pas deux pauvres basses pour tenir les quelques rares rôles d’ampleur de ce répertoire ?), mais elles ne sont pas en lumière – et celles formées au CMBV ont en général un timbre étroit et un petit volume qui ne les destine pas à de grands solos dramatiques d’opéra à projeter dans des salles de la taille des théâtres des XIXe / XXe siècles. 


Mais le résultat n’est pas tout à fait idéal ici. (Et ce, même si je donne tout pour entendre Jean-Sébastien Bou dans n’importe quel rôle où il n’a rien à faire, parce qu’il y sera quand même le meilleur en dépit de toutes les limitations vocales…)


J’ose alors la question que personne n’a eu le front de poser : si l’on n’a pas trouvé les barytons-basses éloquents pour chanter ces rôles (ou qu’ils sont trop chers et pris par d’autres répertoires), pourquoi ne pas jouer, au minimum, à un diapason plus favorable (440, voire un peu plus… à part Achille, ça ne rendrait vraiment pas les autres rôles très tendus) ?


Et là, on a le vertige : le chef et les musicologues du projet refuseront probablement cette compromission vis-à-vis de la promesse initiale de retour à l’authentique ; les instruments ne peuvent pas tous tenir ce changement-là (tension du chevillier pour les cordes, bois qui sont des copies d’originaux à diapason fixe, qu’on ne bâtit pas pour des diapasons à 440 Hz…). Voilà beaucoup d’obstacles. 


Donc le choix d’engager des chanteurs un peu à l’extérieur de la tessiture mais terriblement charismatiques se tient en réalité. 


Mais l’on s’écarte finalement de l’authenticité du profil vocal de ces rôles, ce qui pose aussi des questions sur l’ampleur des compromis nécessaires pour qu’un tel projet puisse aussi toucher un public et aboutir sur une représentation appréciée et un enregistrement commercialisable… 



À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — À des beuglards dix-neuvièmistes


Je reste toujours perplexe devant les techniques vocales des chanteurs qui interprètent le répertoire baroque – où les différents ensembles, quelle que soit la nation et la période concernée, prétendent tout de même revenir aux sources. Ils vont dégoter ou reconstruire des instruments originaux injouables, dont ils finissent par obtenir un résultat immaculé (tel qu’on n’en a probablement jamais eu à l’origine !)… mais ils travaillaent avec des chanteurs verdiens


Car la quasi-totalité des chanteurs du circuit (même ceux que j’adore) ont pour base une technique conçue pour chanter le répertoire du XIXe siècle : couverture vocale massive (qui unifie et protège le timbre lors de la montée dans les aigus), harmoniques très denses des formants (les réseaux d’harmoniques qui permettent de passer l’orchestre en surinvestissant des zones de fréquence que reçoit particulièrement bien l’oreille humaine)… ce sont des postures vocales tendues vers l’émission de médiums très robustes et d’aigus sonores, plutôt qu’à mettre en valeur le détail des inflexions d’un texte, car s’éloignant beaucoup de la clarté de l’émission parlée. 


Pourtant, on n’a pas besoin de voix aussi charpentées pour ce répertoire, aux orchestres peu épais (a fortiori accompagné avec des instruments naturels, qui créent une « barrière » sonore beaucoup moins serrée). 


La raison ?  Tout simplement, les chanteurs lyriques commencent tous par apprendre la technique XIXe (à la sauce XXIe, qui n’est en plus pas forcément la meilleure en matière de clarté et de naturel…), même ceux qui se spécialisent très vite dans le baroque. 


On n’a pas nécessairement de vue très claire de ce qu’était le chant des XVIIe-XVIIIe siècles – je veux dire, on a beaucoup de descriptions, mais l’écart entre une description verbale et le résultat sonore de ce qu’est un placement vocal est à peu près irréductible (imaginez devoir reproduire l’accent anglais rien qu’en lisant des descriptions dans des livres…) –, mais on sait qu’on utilisait le registre léger pour les aigus, que la déclamation prévalait en France (et que toutes les préoccupations concouraient à l’intelligibilité du chant), et qu’on n’avait pas du tout besoin de voix très unifiées et sonores. 


Je suis donc étonné qu’on n’ose pas des expérimentations de ce côté-là… le belting de Marco Beasley n’est pas plus authentique, mais en cherchant du côté de toutes les techniques d’émission, classiques ou non, connues aujourd’hui, on pourrait sans doute essayer des choses intéressantes. Mais c’est un dépaysement encore plus radical que l’introduction des instruments d’époque, dans la mesure où il faudrait travailler avec des musiciens de culture différente… à l’échelle d’une production à boucler avec un nombre de répétitions limitées, on mesure bien l’inconfort, voire l’impossibilité. 


Mais sur le temps long, qu’il y ait une classe spécialisée (comme le fut la classe de Rachel Yakar aux débuts des Arts Florissants, qui produisait pour le coup des voix très typées et adaptées au besoin de ce répertoire) qui essaie de promouvoir des émissions plus spécifiques et compatibles avec les enjeux de la tragédie en musique, ce serait vraiment bienvenu…


(Je n’espère plus, à la vérité, en constatant une évolution assez inverse des écoles de chant, toujours plus opaques dans tous les répertoires.)



Comme vous le voyez, cette représentation de haut niveau et absolument passionnante a un peu emballé mon imagination sur plusieurs étages – où il n’y a pas toujours la lumière, certes. 


Au plaisir de nouvelles aventures ! 


lundi 1 août 2022

Les meilleures nouveautés de la mi-2022




Estimés lecteurs,

Je m'apprête à prendre pour quelques jours congé de vous : je suis obligé, afin d'éviter la publicité pharmaceutique des automates russes et l'expression de l'absence de vie d'un troll récurrent ici, de ne pas publier les commentaires tout de suite, mais ils seront  lus avec attention et joie (et obtiendront évidemment une réponse) dès mon retour.

Pour les plus enragés / désœuvrés, je laisse ici un point d'étape sur les écoutes discographiques de l'année déjà pour plus de moitié écoulée. Cela permettra aussi de retrouver les références dans le moteur de recherche du site, plutôt que de devoir jongler avec un hébergeur extérieur (dont personne ne peut prévoir, au demeurant, la persistance).

Avec la sélection « rechercher dans la page », vous pouvez grâce à l'étiquetage retrouver les 79 écoutes du Cycle Ukraine, ainsi que toutes les nouveautés discographiques écoutées (il y en a 215). Vous pouvez aussi copier-coller les cœurs pour retrouver spécifiquement les disques à trois cœurs (le mien est large, il y a 176 disques concernés) ou à deux (319…).

Pour vous mettre en appétit, quelques disques ressentis à ♥♥♥, dont vous retrouverez les commentaires ci-après.



A. Nouveautés

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→ Cardoso, Messes par Simon Lloyd
→ Aumann, Musique de chambre par Letzbor
→ Campra, Le Destin du Nouveau Siècle par Bismuth
→ Schumann Quatuor piano-cordes en ut mineur par le Dvořák Piano Quartet
→ Offenbach, Le Voyage dans la Lune par Dumoussaud
→ Massenet, Mélodies orchestrales par Niquet
→ Saint-Saëns, Phryné par Niquet
→ Fauchard, Œuvres pour orgue, par Fiedhelm Flamme
→ Taneïev, chambre par Spectrum Concerts Berlin
→ Perosi, Trio à cordes n°2 par Roma Tre Orchestra
→ Marinuzzi, Palla de' Mozzi, Grazioli
→ Louis Andriessen, Smit, Pijper et piano à quatre mains du XXe néerlandais par les Jussen
→ Vladigerov, Orchestral Works 3 par Vladigerov
→ Alberga, Concertos pour violon par Swensen
→ Solos de violoncelle par Thibaut Reznicek




B. Nouvelles versions

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→ Haydn, Symphonies par le Basel Kammerorchester
→ Voříšek & Mozart 38 par Blomstedt
→ Beethoven, Symphonies par Le Concert des Nations
→ Schubert, Winterreise par Benjamin Appl
→ Ireland et Liszt, sonates par Tom Hicks
→ Brahms, Concerto pour violon par Degand & Rhorer
→ d'Indy, Chansons & Danses par le Polyphonia Ensemble Berlin
→ Debussy, Pelléas & Mélisande par Les Siècles
→ Sibelius, Symphonie n°7 par Nicholas Collon
→ « Mirages » par Roderick Williams



C. Découvertes personnelles

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→ Rode, Concertos pour violon par Friedemann Eichhorn
→ Dupuy, Ungdom og Galskab par Schønwandt
→ Röntgen, Concerto pour violon en la mineur par Ragin Wenk-Wolf
→ Alfvén par Alfvén
→ Kienzl, Quatuors (et trio) par le Thomas Christian Ensemble
→ Kienzl, Der Evangelimann & Der Kuhreigen
→ R. Strauss, Alpensinfonie par Shipway
→ Ornstein, Sonates par Janice Weber
→ Wirén, Quatuors par le Wirén SQ
→ Maria Bach, musique de chambre par Hülshoff & Triendl (et aussi le disque CPO)
→ Eben, Job par Titterington
→ Alberga, Quatuors



D. Doudous increvables

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→ Grétry, Raoul BB
→ Stenhammar, quatuors par les Gotland SQ, Fresk SQ et Copenhagen SQ
→ Nielsen, Saul og David par Neeme Järvi
→ Verdi, Il Trovatore par Muti 2000
→ Pejačević, Quatuor avec piano et Quintette par Triendl & Sine Nomine SQ
→ Saint-Saëns, Symphonie n°3 par Paul Paray



Cliquez ici pour ouvrir tous les commentaires sur les disques.

Suite de la notule.

samedi 30 juillet 2022

Beyoncé & Jenůfa – comment la musique change vos relations érotiques


beyoncé renaissance
(nouveauté) (perplexité)
Shawn Carter, Allen George, Beyoncé Knowles, Fred McFarlane, Terius Nash, Adam Pigott, Freddie Ross, Christopher Stewart, Ryan Tedder… – « Renaissance » – Beyoncé, LREM Orchestra (Parkwood Entertainment Columbia 2022)







1. Queen Bey

J’ai toujours admiré la technicienne en Beyoncé, suraigu insolent, clarté d’élocution, médium très bien tenu, énergie agogique, et bien sûr – cela m’intéresse moins mais demeure indispensable pour atteindre ce genre de célébrité – des qualités de danseuse impeccable et un charisme de scène incontestable. En matière de technique de chant, il y a beaucoup à observer dans ce phénomène hors normes, par opposition à beaucoup d’ambitus limités ou de voix se reposant sur les bienfaits de la postproduction. Pour autant, j’écoute peu souvent ses productions, dans la mesure où je suis assez peu touché par les boîtes à rythme et les propositions largement rythmiques, où texte, contrepoint ou effets harmoniques sont peu centraux.

J’étais donc curieux de mesurer mon ressenti à l’écoute de ce nouvel opus. Résultat mitigé.

La voix reste très intéressante, capable de se couler dans des identités très différentes, avec une virtuosité intacte, depuis le suraigu flûté jusqu’aux médiums soufflés, timbre tantôt limpide, tantôt sombre et autoritaire… J’aime moins la retouche numérique permanente ; Beyoncé n’a pas besoin d’AutoTune (le logiciel qui permet aux vedettes sans talent de chanter juste), mais à entendre l'artificialité du résultat, il doit y avoir cinq logiciels du genre qui tournent simultanément pour retraiter la voix !  (Difficile de comprendre les critiques qui louent abondamment la puissance de sa voix – je ne vois pas trop comment s’en rendre compte dans ce contexte.)

La variété des influences et des productions intéresse également, saluée par la critique (davantage de House ici, mais on garde toujours la trame RnB et Soul non loin), clairement l’album échappe au syndrome récurrent de ces parutions qui intéressent à la première piste et finissent par écœurer à mi-disque, à force d’entendre exactement la même jolie chose de piste en piste. (Vu le nombre de collaborateurs à la composition, et qui changent de piste en piste – je n’ai pas cité tout le monde ! –, c’est bien le moins, vous me direz.)



2. Imaginaire verbal

Ma réserve se fonde plutôt sur la partie textuelle. Je connais mal, je le disais, le détail des œuvres de Beyoncé, mais en vérifiant dans ses textes passés, si en effet la connotation sexuelle était bien sûr présente (il s’agit en grande partie de musique calibrée pour les dance floors, autrement dit les zones de chasse du petit vérin), elle n’était pas exploitée de la même façon. Dans Lemonade (2016), si l'on extrapole les allusions, on suggère des choses sur le tempo d’actes sexuels, mais toujours relié à une histoire émotionnelle, à un état de couple. Ça ne me pose pas de problème en soi – c’est une partie de la vie de l’humanité, et il n’est pas illégitime que l’art s’en empare (ce qu’il a toujours fait au demeurant, fût-ce de façon plus allusive, ne serait-ce que l’obsession répandue pour la virginité).

Or, ici, l’accumulation du même stéréotype me met mal à l’aise. Quasiment chaque chanson (même celles non indiquées comme « explicites ») évoque un acte sexuel dans un contexte identique : Monsieur est invité à y aller plus fort, il est remercié de faire l’aumône de jeter un regard avant de rentrer chez lui, Madame mentionne l’argent que ça vaut, et se vante de ses sacs Dior.

Et cela crée une gêne chez moi. Pas parce que ce ne sont pas des personnages positifs – on ne peut pas dire que la littérature mondiale manque de contre-modèles, parfois érigés en modèles –, mais parce qu’il s’agit d’un modèle unique qui est présenté ici sans recul. Et qui a des implications – en tout cas du fait de la popularité de la chanteuse, et de la réception critique sans aucune réserve.

Autant on pouvait rencontrer des éléments d’affirmation féminine ou afro-descendante dans les albums précédents (mêlés, bien sûr, au même type de production visant les discothèques), autant ici, cela se limite à quelques « nigga » qui attestent l’appartenance ethnico-sociale de la chanteuse à partir d’un argot que seuls les noirs peuvent utiliser sans honte ; sans plus ample ambition.

Tout l’imaginaire de l’album semble fusionner deux figures : la femme vue par la pornographie (qui désire, quoi qu’elle en die, se faire défoncer le plus fort possible) et la figure de la michetonneuse, pour qui l’argent est la principale valeur sûre de l’érotisme. L’emblème de la chanson mondiale crée ainsi, dans cet album, un portrait cohérent de femme archétypale et désirable (elle explique très bien dans ses entretiens, par ailleurs, comment son alter ego scénique, Sasha Fierce, représente une sorte d’absolu, notamment en matière de séduction) : cet idéal décrivant peu ou prou une pornstar rémunérée aussi dans le privé.


extrait de Church Girl
[Chorus]
I'll drop it like a thottie, drop it like a thottie
I said now pop it like a thottie, pop it like a thottie (You bad)
Me say now drop it like a thottie, drop it like a thottie (You bad)
Church girls actin' loose, bad girls actin' snotty (You bad)
Let it go, girl (Let it go), let it out, girl (Let it out)
Twirl that ass like you came up out the South, girl (Ooh, ooh)
I said now drop it like a thottie, drop it like a thottie (You bad)
Bad girl actin' naughty, church girl, don't hurt nobody

[Post-Chorus]
You could be my daddy if you want to
You, you could be my daddy if you want to
You could get it tatted if you want to
You, you could get it tatted if you want to (She ain't tryna hurt nobody)
Put your lighters in the sky, get this motherfucker litty
She gon' shake that ass and them pretty tig ol' bitties (Huh)
So get your racks up (Word), get your math up (Huh)
I'ma back it up (Uh), back it, back it up (Back it, back it up)
I'ma buss it, buss it, buss it, buss it, actin' up (Actin' up)
I see them grey sweats (Grey sweats), I see a blank check


extrait de Summer Renaissance
(Ooh)
Boy, you never have a chance
If you make my body talk, I'ma leave you in a trance
Got you walking with a limp, bet this body make you dance
Dance, dance, dance

[Chorus]
Ooh, it's so good, it's so good
It's so good, it's so good, it's so good
Ooh, it's so good, it's so good
It's so good, it's so good, it's so good

[Bridge]
Applause, a round of applause
Applause, a round of applause
Say I want, want, want, what I want, want, want
(I want, want, want what I want, want, want)
I want, want, want what I want, want, want
(I want, want, want what I want, want, want)
I want your touch, I want your feeling
(I want your touch, I want your feeling)
I want your love, I want your spirit
(I want your love, I want your spirit)
The more I want, the more I need it
(The more I want, the more I need it)
Need it
(Need it)
Versace, Bottega, Prada, Balenciaga
Vuitton, Dior, Givenchy, collect your points, Beyoncé
So elegant and raunchy, this haute couture I'm flaunting
This Telfar bag imported, Birkins, them shits in storage
I'm in my bag

[Outro]
Ah-ooh
Ah-ooh
Ah-ooh


extrait de Thique
[Bridge]
Boy, you crazy, body mean, back it up like limousine
You gotta make a fold out to fit a magazine, right
Girl, look at your body, right
Boy, take this in slow, don't let go
Tell me how bad you been wanting it
And hurry up, quick, 'fore the moment ends
I like what I hear, might be sleeping in
Screaming, "Beyoncé," chocolate ounces
Sit on that, bounce it, bounce it

[Chorus]
Ass getting thicker
Cash getting thicker
Cash getting larger
He thought he was loving me good, I told him "Go harder" (Baby, that's that thick)
Thought she was killing that shit, I told her "Go harder" (That's that thick)
Look at this alkaline wrist 'cause I got that water (Baby, that's that thick)
Ass getting thicker (That's that thick)
Cash getting
Look at this shit




3. Implications

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas une réserve morale de ma part (il faudrait être bien sot pour juger de la moralité de personnages de fiction, et bien haut dans la hiérarchie épiscopale pour décider des pratiques intimes licites), mais plutôt une inquiétude sur les conséquences concrètes de cette fiction. J’ai pu constater de première main et de façon récurrente, auprès d’adolescents (des cités où le contrôle parental est plus lâche, mais aussi des beaux quartiers), la puissance des représentations pornographiques et du mythe de la michto. Je ne dis pas du tout qu’il soit de la responsabilité de la chanteuse de vérifier quelles sont les implications sociales de sa musique, évidemment ; en revanche je perçois de possibles conséquences.

Comme la pornographie est désormais accessible partout – pire, si vos parents n’ont pas Netflix ou que vous aimez du manga underground et que vous allez chercher sur des sites de flux illégaux, vous en verrez sans en avoir demandé –, la question n’est plus de se demander si vos enfants ont vu de la pornographie, mais simplement s’ils en voient plutôt à dix ans ou auparavant. Les médias ont beaucoup évoqué les groupes d’entraide entre collégiens sur Snapchat à propos du prolongement du harcèlement scolaire, mais ces endroits hors du contrôle des adultes sont aussi les endroits où, pour s’amuser, pour montrer qu’on est au courant, pour s’indigner, on poste des images assez crues, pas toujours soigneusement sélectionnées – en effet la pornographie gratuite contient beaucoup d’images volées et de vidéos mettant en scène des personnes non consentantes, voire des mineurs ; c’est même le modèle économique des plates-formes comme PornHub.
Or, beaucoup de parents refusent, par principe, par gêne ou par déni de réalité, d’aborder ces sujets, si bien que la pornographie est devenue une contre-culture dès des âges assez tendres (la proportion de jeunes de 10 ans qui en ont vu est écrasante). Plus effrayant encore, l’existence de ce modèle sous-jacent chez les jeunes incite les jeunes qui n’en ont pas vu (jeunes filles surtout) à modeler leurs comportements sur cette norme (vanter sa grosse bouche, faire des moues évocatrices…).

De même, le mythe de la michetonneuse, popularisée par les thématiques du rap – les femmes sont d’abord attirées par l’argent, elles ne vous voient pas à votre juste valeur si vous n’êtes pas riche –, semble très ancrée dans les croyances des adolescents. 

Et c’est pourquoi je suis gêné : si même la musique considérée comme mainstream fait circuler sans recul ces représentations, y a-t-il une possibilité pour la jeunesse de savoir qu’il est possible de connaître des relations sentimentales qui ne soient pas une lute de pouvoir implicite, de vivre des relations sexuelles non violentes, de percevoir des représentations de la femme non vénales ?  Beyoncé se met quelquefois en scène dans ces chansons et exprime qu’elle est en quelque sorte le Graal, le meilleur coup possible… et le fait tout en demandant qu’on y aille fort, en se félicitant de l’argent que cela vaut, en s’interrompant soudain pour citer des marques de luxe. Je suis déçu qu’il n’y ait pas vraiment d’autres messages, de points de vue variant de chanson en chanson.

Autant, musicalement, malgré l’aspect léché et calibré de la production, la variété des ambiances sonores est immédiatement sensible, autant l’imaginaire textuel paraît vraiment pauvre, voire problématique – il s’agit clairement de chansons conçues pour danser en boîte (voire pour s’agiter après la boîte), dont le propos m’a paru singulièrement limité, et potentiellement néfaste.

La pochette, sur laquelle j’ai moins d’avis, rejoint assez cet esprit : on glorifie un corps stéréotypé globalement impossible (taille de guêpe à l’âge où l’on a eu des enfants, mais pourvue d'attributs sexuels secondaires disproportionnés), et il s’agit manifestement de l’argument de vente principal – c’est un bon coup car elle a le bon corps, et ça prouve à quel point c’est une glorieuse chanteuse.



4. Échos musicaux

Tout cela rejoint aussi quelques réserves plus purement musicales : le lien de la musique avec le texte est souvent ténu :  pour un couplet donné on entendra texte sur une ambiance globale, pas de mots soulignés, on sent que tout cela a été écrit à quinze, chacun dans son couloir. La pauvreté des refrains (plus ou moins des répétitions de formules de gémissements) rend difficile de trouver le grand frisson où un mot coïncide avec un effet sonore, nous touche par rapport à notre expérience ou notre perception du monde.

J'y retrouve par ailleurs une mode qui m’agace, le chant gémissant (pas du tout limité à la chanson suggestive, c’est vraiment une mode esthétique très répandue), où j’ai toujours l’impression que les chanteuses cherchent à me vendre de la viande plus ou moins fraîche au lieu de me convaincre par leur timbre ou leur expression reliée au texte. Ici, certes, gémissements pleinement en contexte.



5. Généalogie du mauvais modèle

Ce type de question sur les messages dangereux portés par la musique ne sont pas neufs évidemment.

Philippe Quinault a été disgracié et exilé parce qu’il était possible de lire un double sens critique sur la possessivité de la Montespan dans le livret d’Isis de LULLY – on ne voit pas comment cela aurait pu être le projet d’un poète de cour qui écrivait des Prologues à la gloire explicite du souverain, mais la rumeur fut telle qu’il fallut bien une réaction.

On n’a pas toujours pris au sérieux l’opéra – témoin l’incroyable absence de scandale devant Robert le Diable de Meyerbeer (livret de Scribe), où le héros est fils d’un démon, et vole une relique sainte tout en culbutant une abbesse dannée sur un autel consacré… (Et Meyerbeer & Scribe les empile, faisant jouer le mauvais rôle aux catholiques dans Les Huguenots, critiquant l'aristocratie dans Le Prophète et l'Église dans L'Africaine…) L'explication la plus probable demeure que personne ne se faisait d'illusions sur la portée d'un opéra, par essence une fiction pas très sérieuse.

On peut tout de même dénombrer quelques scandales : ainsi chez Verdi, accueil d’abord gêné de Stiffelio et de La Traviata, qui mettaient en scène les désordres privés (et pour tout dire sexuels) de personnages de la vie contemporaine (un pasteur et pire, une courtisane), avant le triomphe de la seconde lors des reprises – en Angleterre, l’Église anglicane avait recommandé aux fidèles de ne pas y assister, tandis que la reine Victoria n’alla jamais au théâtre les soirs où la pièce était donnée.

On se souvient aussi de Carmen de Bizet, dont l’indécence du sujet et des manières (la séduction purement animale, le désir dans les basses classes et non plus l’habillage convenable des passions aristocratiques) avait provoqué le rejet lors de la première.
Ou encore Thaïs de Massenet, d’après un roman d'Anatole France tournant en dérision la foi, où il fallut non seulement supprimer le ton critique, retirer certaines représentations païennes (trop laudatives) ou diaboliques, et même changer le nom du prédicateur, tant on craignait les épigrammes lancés du poulailler, où Paphnuce (devenu Athanaël) aurait rimé avec prépuce.

Je vois aussi d’autres opéras qui ont moins été mis en accusation et qui entrent plutôt dans la catégorie où je place cet album de Beyoncé. Don Giovanni est un cas intéressant : le livret de Da Ponte dresse le portrait d’un violeur vantard, d’un aristocrate lâche qui obtient les faveurs des femmes par la force ou la ruse, sous la protection de l’anonymat. Même sous la plume d’un homme peu tourné vers la morale traditionnelle, le portrait n’est pas flatteur, et reste très proche de ceux dressés par Molière puis Bertati (qui place la mort du Commandeur en début d’ouvrage), appelant clairement la désapprobation.
Or, la musique de Mozart en change totalement la perception : dès que Don Juan s’exprime, la musique se pare de lumière (« Più fertile talento del mio non di dà », dans le trio d’éloignement d’Elvire, ou bien sûr « Vivan les femmine, viva il buon vino »), si bien que le personnage attire toute la lumière, devient admirable, presque exemplaire. Sans la musique de Mozart, il n’est pas certain que cet abuseur sans aucune authenticité eût jamais attiré l’intérêt des Romantiques, qui en font un étendard de l’absolu (aimer toutes les femmes, suivre ses passions et sa quête plutôt que Dieu, ce devient une forme d’allégorie du mouvement).

On pourrait aujourd’hui le voir avec le regard désapprobateur de l’héroïsation de comportement destructeurs pour les individus et la société – Don Juan ravage tout le contrat social d’Ancien Régime, qui fait reposer (Molière l’explicite dans son Dom Juan) tout le système sur l’exemplarité de ceux qui en sont à la tête, et qui n’ayant plus grande justification militaire dans un pays unifié, doivent justifier leurs privilèges par le modèle qu’ils donnent à voir.
De surcroît, même hors de ce contexte, il piétine le droit naturel de tous ceux qu’il croise, valet contraint aux délits, femmes violées ou abandonnées, maris déshonorés, rivaux ou gêneurs occis. On pourrait se faire une cause féministe que de faire une lecture critique de la pièce avant toute représentation de Don Giovanni : sa matrice, qui était plutôt une représentation critique de ce qui arrive aux mauvaises élites (« dormez sur vos oreilles, bonnes gens, Dieu va réparer tout ça et plus vite que vous ne croyez »), a été totalement renversée et semble célébrer l’objectification des femmes. Mais l’opéra semble tellement adoré de tous (non sans raison, musicalement comme dramaturgiquement !) qu’il a échappé jusqu’ici à ce type de critiques.

Moins emblématique, et moins lié à la musique, je ressens davantage cette gêne avec Jenůfa de Janáček. L’intrigue est simple : Jenůfa est en couple avec un jeune muguet un peu superficiel, son cousin Števa – il passe son temps à boire, si bien qu’elle ne peut même pas lui révéler qu’elle est enceinte de lui. Le demi-frère de Števa, Laca, est jaloux et, affirmant que Števa n’aimerait jamais Jenůfa si ce n’était pour ces joues roses, lui lacère le visage avec le couteau qu’il vient de faire aiguiser. Quelques actes (et un nourrisson congelé) plus tard, tout est bien qui finit bien : Števa a bien sûr quitté Jenůfa de dégoût, et Laca veut bien de Jenůfa, qui a ainsi tout le loisir d’épouser son bourreau – le livret et la musique présentent cela comme le triomphe de l’amour vrai. Typiquement le genre d’intrigue où l’on est mal à l’aise sur la vision du monde que les créateurs veulent nous amener à partager.



6. Apostilles

En vieillissant, bien que biberonné au « séparer le propos de la beauté de l'œuvre », j'avoue apporter davantage d'attention aux comportements antisociaux que valorisent certaines représentations. J'écoute quand même du Wagner, bien sûr, mais je ne nommerais certes pas une rue à sa gloire, à cause du mauvais exemple qu'il était en tant qu'humain – la société de ses contemporains se serait vraisemblablement mieux portée sans lui.
Et j'avoue être ainsi plus sensible les implications sur les représentations et les comportements sociaux, surtout d'œuvres destinées à toucher le plus grand nombre, et sans appareil critique afférent – il suffit de voir que les questions que j'ai soulevées (insérer métaphore à la mode) n'ont même pas été évoquées dans la plupart des critiques de l'album Renaissance.

Surtout, autant l'opéra est destiné à une sorte d'élite culturelle (pour faire simple, des vieux qui aiment lire), qui peut mettre tout cela à distance – et si ce n'est pas le cas, les metteurs en scène s'en chargent –, autant un album de RnB implique une identification plus immédiate au contenu, par un public plus jeune… selon son degré de cool (ne dites plus swag, c'est très 2015), il peut imprégner un sentiment d'appartenance commune, une partie des représentations des mondes.
C'est pourquoi je m'alarmais plus tôt, davantage que pour les livrets à base d'héroïnes perdues au milieu de mâles infâmes.

Et comme ce bavardage excède en longueur ce que je souhaite mettre dans ma liste d'écoutes, je le glisse ici, sans prétendre avoir fourni tout le contexte et toute la profondeur de champ que le sujet mériterait. (J'en ai conscience.)

mardi 12 juillet 2022

Panorama de la musique ukrainienne – V – Mykola LYSENKO, naissance d'une littérature et d'une nation


[[]]
(Extrait de Taras Bulba, seul de ses opéras disponible au disque – Melodiya.)

mykola lyssenko



Rapport d’interruption

(Début de la série, avec ses préalables linguistiques, historiques, politiques et bien sûr musicaux – lisible sur cette page.)

Alors que l’usage était de publier une ou deux notules par semaine, me voilà rendu à une notule par mois. Ce n’est pas un choix de ligne éditoriale, mais cela pourrait se reproduire : entre des engagements extérieurs (écriture des programmes pour mon festival chouchou) et surtout la masse de recherche nécessaire pour débroussailler un sujet comme celui d’aujourd’hui, il serait très difficile de livrer ce genre de format en une semaine, sauf à répudier ma femme, négliger mes amants, attacher les enfants à un arbre et déshériter le chien.

Les notules intermédiaires habituelles auraient aussi pris trop de temps, surtout que j’ai scrupuleusement poursuivi l’alimentation de l’agenda des concerts, des comptes-rendus de spectacles, des commentaires des disques écoutés.

J’aurais aussi pu feuilletonner cette notule, mais, outre que ce serait feuilletonner un épisode de ce qui est déjà une série (!), il y a véritablement une logique interne dans ce parcours, qui permet de tisser l’histoire, la musique, la langue et la culture au sens large, et qui paraîtrait plus sèchement factuel en le démembrant, je crois.

J’espère que le format conviendra aux (éventuels) lecteurs.




6. Les grands compositeurs ukrainiens (suite)
6.2. Les romantiques nationaux

6.2.3. Mykola LYSENKO

    6.2.3.1. Contexte

        6.2.3.1.1. Construction sociale

    Lorsqu'on songe à un compositeur emblème de l'Ukraine, c'est en général Lysenko (Lyssenko en translittération française, beaucoup moins usitée) qui est cité – 1842-1912.

    Il est de la génération ultérieure à Hulak-Artemovskyi, et exerce dans les années d'oppression suivant l'oukase d'Ems (1876, voyez la précédente notule) qui marginalisait la langue et la culture ukrainiennes. Et pourtant, en dépit de l’interdiction d’imprimer en ukrainien, il va parvenir à collecter des chants, fonder des chœurs, faire représenter des opéras… tout cela en ukrainien, et regorgeant de mélodies et de sujets proprement ukrainiens. C’est possiblement cet accomplissement qui le rend aussi central dans l’imaginaire musical de l’Ukraine.

    Originaire d'un village près de Krementchouk, métropole régionale de 200.000 habitants que la récente actualité a rendue célèbre malgré elle, Lysenko a incarné le mouvement de la conscience nationale ukrainienne à l'œuvre dans la seconde moitié du XIXe siècle.

    Ses origines préparent ces prises de position : d'une famille d'officiers cosaques ; son père était colonel de cuirassiers, très instruit, parlant ukrainien à la maison ; sa mère descendait elle-même de cosaques et de propriétaires terriens, jouait parfaitement du piano et lui donna ses premières leçons. Les moyens financiers de la famille, devant les dispositions de l'enfant, ont permis de lui dépêcher un professeur particulier, puis de décider l'envoi en pensionnat à Kyiv.

    Petite parenthèse utile :

Lysenko cosaque

Que Lysenko soit issu d'une famille de cosaques n'est pas tout à fait indifférent. Les Cosaques étaient des  peuples (à l'origine semi-nomades), essentiellement slaves, situés plutôt à l'Est du Dniepr (vers la frontière Est de l'Ukraine et au delà), que les Russes ont à la fois redoutés et engagés comme supplétifs dans leurs guerres contre les Ottomans ou les Polonais.

Les Cosaques suivaient un entraînement militaire avancé ; ils étaient des hommes libres, ni aristocrates ni laborieux serviles, statut original qui a considérablement suscité l'envie / l'incompréhension / le mépris / la peur / le rêve chez les poètes et chez leurs contemporains en général. Le mot d'origine écrit dans le Codex Cumanicus (fin XIIIe s.), quzzaq, peut être aussi bien synonyme de « garde » que de « pillard », signe de cette double interaction avec les Russes.

L'Ukraine moderne (qui signifie « la Marche ») apparaît en tant qu'État autonome au XVIIe siècle, lorsque les Cosaques, alliés aux Russes et aux Tatars, chassent les Polonais. Une autonomie significative leur est laissée dans leur État-tampon (jusqu'aux restrictions de Catherine II). [Voir cette notule pour la récapitulation brévissime de l'histoire de l'Ukraine.]


    Lysenko est ainsi élevé dans une culture qui valorise l'autonomie des individus et de la culture locale, de surcroît en entendant parler ukrainien.

    Après avoir reçu les cours particuliers susmentionnés, le jeune Lysenko étudie à Kharkiv, Kyiv, Leipzig (Reinecke et Moscheles au piano, Ernst Richter à la théorie…). Ces années d'études ne sont pas simplement citées ici pour remplir du pixel à peu de frais. J'y relève deux faits remarquables.

        6.2.3.1.2. Formation juridique locale

    a) Pendant deux ans, entre son diplôme de l'Université de Kyiv et son départ pour Leipzig, Lysenko exerce comme
médiateur de paix (1865-7), une fonction qui n'avait été inaugurée dans l'Empire russe que quatre ans plus tôt.

Lysenko juge
La fonction de médiateur de paix était en général confiée à des propriétaires ou des notables d'un territoire pour régler les conflits sur le foncier, sur le respect des conditions d'autonomie locale, sur le droit du travail, et en particulier sur les contentieux liés au nouveau statut des paysans libérés du servage (1861)– en réalité, le prix pour racheter la terre restait inaccessible à beaucoup d'entre eux, qui demeuraient, de fait, enchaînés à leur maître.

Lysenko fait partie des progressistes (je ne maîtrise pas la terminologie, mais ma source en ukrainien écrit прогресивно ; je ne sais si c'est un équivalent exact, s'il y a d'autres termes techniques, etc.) qui s'emparent de cette fonction après sa création. Parmi les titulaires célèbres, Tolstoï !  Je ne connais pas assez la biographie de l'écrivain pour en juger, mais il y a sans doute là un lien assez étroit avec les réflexions de Levine sur l'avenir du monde paysan dans Anna Karénine.

    Je n'ai pas le loisir, dans le cadre de cette série, d'approfondir complètement chaque compositeur abordé, et je n'ai pas trouvé, en l'état, si Lysenko souhaitait donner de sa personne avant de poursuivre ses études, comme une forme de service civique, ou s'il avait réellement hésité avec une carrière plus politique.

    Le pouvoir central russe, constatant cette tendance progressiste et cette tendance à la décentralisation, a très vite resserré l'étau – Lysenko a aussi pu être évincé, ou tout simplement découragé par la perte d'influence du poste au cours des années 1860.

    Tout cela éclaire en tout cas le caractère de l'engagement de Lysenko, certainement pas uniquement musical, mais aussi lié à sa culture ukrainienne, à sa terre, voire aux petites gens.

        6.2.3.1.3. Formation musicale cosmopolite

    b) Durant ses études à Kyiv, 3 des 4 professeurs mentionnés dans les textes parcourus étaient… tchèques !  Je trouve cela intéressant à plusieurs titres.

    D'abord, cela peut éclairer d'une façon ou d'une autre l'enseignement qu'il a reçu et le style sonore qui est devenu le sien. Je connais trop mal le fonds tchèque du rang du milieu du XIXe siècle (et pas du tout ces compositeurs-là : Neinkwich, Panocini, Vilchek) pour me rendre compte de ce qui pourrait s'être passé de ce côté-là, mais il y aurait de belles recherches à effectuer de ce côté – il serait étonnant que ça n'existe pas déjà, au moins chez les chercheurs ukrainiens.

Par ailleurs, cela illustre (même si c'est probablement fortuitement) l'intrication entre les nations dans cette zone : naguère territoire polonais, l'Ukraine était désormais partagée entre deux empires, Russie à l'Est, et à l'Ouest une portion de l'Ukraine ukraïnophone, au sein de la Galicie, où cohabitaient ukraïnophones, germanophones et tchécophones. Lysenko n'a pas vécu dans cette zone, qui correspondrait au secteur actuel de Lviv (l'histoire de ce côté-là moins documentée dans les documents grand public que les zones plus centrales autour des grandes villes de Kyiv et Kharkiv ; il semble que la vie musicale y ait davantage été ordonnée autour de sociétés artistiques semi-professionnelles) ; cependant, jusque dans l'Ukraine sous emprise russe, les Tchèques semblaient circuler et échanger avec beaucoup d'aisance, entrelac de cultures dont je n'avais pas nécessairement conscience avant que de préparer cette notule.
(J'espère que tout ceci vous mindblowe comme moi.)

La carrière internationale de Lysenko débute d'ailleurs à Prague, où il joue ses arrangements pour piano de chansons ukrainiennes. Si vous êtes curieux de son répertoire de pianiste : il jouait les grands succès ambitieux de la génération précédente : Wanderer-Fantasie de Schubert, Phantasiestücke de Schumann…

Dernière étape de ses études : Saint-Pétersbourg, évidemment. Il étudie l'orchestration avec Rimski-Korsakov (ce que je vous mets au défi d'entendre dans ses compositions, particulièrement traditionnelles sur cet aspect), et croise pas mal d'autres compositeurs importants du temps, dont Moussorgski – qui écrivait alors, il n'y a pas de hasard, La Foire à Sorotchyntsi, sur une nouvelle de Gogol tirée du même recueil que La Nuit de Noël et Nuit de mai, dont Lysenko tire plus tard deux opéras !

        6.2.3.1.4. Vie

    Le reste de sa vie est davantage prévisible : tournées en Ukraine (Tchernihiv notamment), deux mariages (le second, qui lui donne sept enfants, avec une de ses élèves pianistes), place centrale dans la musique à Kyiv, et le qualificatif de « père de la musique ukrainienne » qui lui est accolé de son vivant.

    Voilà pour le contexte, qui est éclairant en lui-même sur l'ensemble de la situation artistique en Ukraine au XIXe siècle et nourrit tout autant notre compréhension de ces musiques que l'évocation des œuvres elles-mêmes.




    6.2.3.2. Legs musical

À présent, que retenir de la musique de Lysenko ?

        6.2.3.2.1. Langage formel conservateur

    1) Sur le plan de l'écriture, sa musique est peu singulière : essentiellement mélodique, d'un lyrisme romantique simple, quelquefois expansif (mais souvent assez mesuré), où se repèrent quantité d'emprunts et allusions au folklore. La chose rend encore plus complexe la considération envers son talent de compositeur en tant que tel, dans la mesure où la plupart de ses mélodies doivent être des emprunts ou des transcriptions.

    En entendant pour la première fois ses compositions (transcriptions pour piano, pour violon-piano, et même Taras Boulba !), je n'avais pas été très impressionné : peu de surprises harmoniques (même si les enchaînements d'accords ont, à la marge, une certaine couleur locale), pas du tout de contrepoint, et une veine mélodique pas particulièrement vertigineuse.

    Pour autant, pas sans beautés, je les mentionnerai plus loin dans le détail des œuvres.

        6.2.3.2.2. Rôle dans l’ethnomusicologie ukrainienne

    2) Sur le plan ethnomusicologique, en revanche, Lysenko est lui-même allé transcrire des chansons, voire des cérémonies de mariage entières, et a collecté un très grand nombre de mélodies folkloriques. Il les a ensuite réutilisées dans ses pièces pour piano (beaucoup de transcriptions et de paraphrases de thèmes populaires), pour violon & piano, et bien sûr les sept volumes de relevés de chansons folkloriques, qu'il élabore à partir de 1868 jusqu'à sa mort.

    Malgré l'interdiction d'imprimer en ukrainien après l'oukase d'Ems en 1876, Lysenko fonde toute son œuvre sur le patrimoine et la langue ukrainiennes, et remporte de vifs succès dans les années où les autorités font tout pour limiter la diffusion de cette culture, créant de nombreux opéras dans les années 1880 et 1890, dirigeant des chœurs, écrivant des arrangements de thèmes folkloriques, documentant le patrimoine sonore de toutes les façons possibles.

        6.2.3.2.3. Catalogue

    3) Ses opéras, eux aussi, qu'ils soient complètement mis en musique ou conçus selon un format d'opéra comique (alternance des « numéros » chantés avec des dialogues parlés), obéissent à cette même recherche : trois opéras pour enfants, trois sur des sujets de Gogol – qui était ukrainien – Nuit de Noël, La Noyée, Taras Boulba. Également d'autres sujets locaux comme l' « opérette » Natalka Poltavka, La Sorcière… et puis quelques sujets de culture classique pour ses dernières œuvres : Sapphô, L'Énéide
    Beaucoup de ses œuvres vocales, dont une cantate et un grand nombre des 133 mélodies qu'il a écrites, empruntent leurs textes aux poèmes de Taras Shevchenko, le grand poète national (qui était parfois nommé Kobzar, « le Barde »). Une seule mélodie en russe sur les 133 composées !  Par ailleurs, lorsqu'il choisit Heine ou Mickiewicz, c’est toujours par le truchement de traductions ukrainiennes.

    Son catalogue est assez mal documenté par le disque. Des 133 mélodies, il existe une très belle collection gravée (par thèmes des poèmes – amour, histoire, philosophie, L’Amour du Poète de Heine dans sa traduction ukrainienne) par l'électrisant Pavlo Hunka, grand Holländer & Wotan, baryton-basse britannique d'origine ukrainienne par son père. L’ensemble contient un écrasant volume de poèmes de Taras Shevchenko (sept séries de parfois plus de dix mélodies !) mises en musique, plus douze mélodies « hors série ».
    Je ne crois pas qu’il existe de vaste anthologie de ses six volumes de transcriptions de chansons folkloriques, dont la variété des thèmes donne pourtant envie : « chansons cosaques », « chansons historiques », « chansons de recrutement », « chansons familiales », « chansons sur le deuil et l’amour », « chansons humoristiques », « à propos du chagrin, de l’amour et de la trahison », « chansons artisanales », « chansons de célibataires de rue », « chanson laiteuses »… On trouve aussi, à part de ce fonds, quelques transcriptions de chants d’autres nations : russes, moraves, serbes.

    Je n’ai rien trouvé des six choeurs sacrés qu’il a légués, mais il existe au moins une version accessible de sa Prière pour l’Ukraine, choeur patriotique de 1885, à une époque où les publications en ukrainien étaient bannies, et jouées dans les églises d’Ukraine, aussi bien orthodoxes que catholiques. Son style, en forme de choral, évoque tout à fait les harmonies et équilibres des choeurs orthodoxes. Les choeurs profanes sont particulièrement nombreux, transcriptions comme compositions (ceux avec piano s’organisent en douze douzaines !).

    Sa musique pour violon & piano, elle aussi, consiste essentiellement dans des arrangements de mélodies préexistantes – seules ou sous forme d’assemblages rhapsodiques, variablement virtuoses. J’avoue, dans ce cadre, ne pas les trouver très stimulantes, simples mélodies accompagnées, sans effort particulier dans le langage ou la forme, ce n’est clairement pas l’objectif. Le piano, abondant, m’a paru dans le même esprit : pièces de caractère, de salon, transcriptions, assez peu nourrissant dans l’ensemble. [Il existe des disques documentant le violon comme le piano chez Toccata Classics.] Le reste de sa musique de chambre se limite à une transcription pour violoncelle et piano d’une élégie pour piano, à un quatuor à cordes en trois mouvements et à un insolite trio pour deux violons et alto.

Seulement cinq oeuvres symphoniques, essentiellement des pièces de caractère (dont une Fantaisie cosaque) et le premier mouvement d’une symphonie de jeunesse.
           
               6.2.3.2.3.1. Les opéras

Ses oeuvres les plus ambitieuses musicalement se trouvent du côté de l’opéra. 13 titres, dont la composition débute dès ses 22 ans, et qui dressent assez bien le portrait des préoccupations du compositeur.

Trois opéras pour les enfants, les premiers du répertoire ukrainien : Chèvre-Dereza (1888), M. Kotsky (1891), Hiver & Printemps ou la Reine des Neiges (1892), témoin d’un souci du public et de la transmission.

Trois opéras d’après Gogol : La Nuit de Noël (1874) et La Noyée (1883) sont tirés de nouvelles des Soirées du hameau près de Dikanka (dans les livraisons respectivement de 1832 et 1830).
    Le premier est souvent considéré comme le premier opéra national ukrainien – mais, après la notule autour de Hulak-Artemovskyi, vous savez que c’est aussi abusif que de considérer L’Orfeo de Monteverdi comme le premier opéra jamais composé, en suivant la mauvaise logique qu’il est le plus célèbre des premiers opéras composés : Les Zaporogues datent déjà de 1863… Le sujet est celui de des Chaussons (Tchérévitchki) de Tchaïkovski, de la Nuit de Noël de Rimski-orsakov… avec les personnages bien connus : le démon, Vakoula et Oksana. Musicalement, l’œuvre mélange de la couleur locale entraînante avec des aspects plus dramatiques.  [Il existe une bande avec narrateur disponible ici.]
    Le sujet du deuxième est mieux connu par la première partie du titre de la nouvelle Une nuit de mai – où, de fait, Gogol s’attarde sur la singularité des atmosphères de sa région natale centre-ukrainienne, dans des récits inspirés de sa propre vie et des histoires entendues.
    Le troisième opéra, Taras Boulba, est un véritable opéra sérieux, ambitieux, complet et épique ; si le langage musical demeure celui d’un romantisme très tempéré, avec des harmonies consonantes et peu aventureuses, des mélodies simples, un contrepoint rare, le ton y est cependant plus grandiose et emporté, avec de très beaux airs baignés de lyrisme – et, comme toujours, des traits mélodiques empruntés au folklore. Il est, lui, tiré d’un roman historique autonome, plus tardif (1853), qui met en scène un cosaque zaporogue qui donne sa vie (et celle de ses fils) pour défendre « la foi orthodoxe ». Cosaques et orthodoxie, chanté en ukrainien, clairement un manifeste. [Même si, vous le verrez tout de suite, il fauty  ajouter quelques subtilités.]

        → Deux opéras d’après Kotliarevsky : L'Énéide (œuvre fondatrice pour la littérature ukrainienne) et Natalka Poltavka – l'œuvre emblématique de la vocation folkloriste de Lysenko. Kotliarevsky est, au tournant du XIXe siècle, le grand représentant de la langue ukrainienne, langue vernaculaire, comme langue de littérature – ce qu'elle n'était guère auparavant. Le mettre en musique est aussi prestigieux, disons, que pour un Polonais Mickiewicz.

        → 5 opéras dont les livrets sont dus à Mikhail Starytsky son cousin (Andrashiada, Chernomorets et les 3 opéras d'après Gogol), et 3 opéras à Liudmila Starytska-Chernyakhivska, sa nièce (Sapphô, L’Énéide et l'opéra-minute Nocturne, ses trois derniers opéras). On a longtemps cru que le livret de L’Énéide était dû à Mykola Sadovskyi, mais son nom n’a été mis sur la partition que par commodité : il était le directeur de théâtre qui possédait les droits pour l’adaptation musicale, et il était plus facile de procéder sans redemander une autorisation.

    → À la fin de sa carrière, 2 pièces aux sujets grecs plus habituels en Europe : Sapphô et L'Énéide – même s'il s'agit d'un livret tiré d'une réécriture ukrainienne d'une Énéide travestie !

    → De nombreuses pièces à thématique locale, dont La Sorcière sur un texte de Liubov Yanovska (inachevée).



mykola lyssenko



        6.2.3.4. Quelques opéras fondateurs

            6.2.3.4.1. La Noyée (1883)

    1883. La Noyée. L’œuvre puise d’une part dans le sentiment national et la couleur locale, d’autre part dans la tradition lyrique européenne. Le sujet est adaptée d’une œuvre importante du patrimoine russo-ukrainien, à savoir la première des deux livraisons des Soirées du hameau près de Dikanka de Gogol (1830). D’abord parce que Gogol est né en Ukraine centrale, à Sorotchintsy – dans l’oblast de Poltava, comme Natalka, l’héroïne de l’opéra suivant de Lysenko –, d’une famille d’anciens cosaques, nourri de récits ruraux locaux. Cette publication, inspirée de faits racontés par la famille de Gogol ou par des habitants de la campagne environnante, représente son premier succès. Il s'agit donc à la fois d'une œuvre emblématique de la littérature russe et d'une exaltation spécifique de la culture ukrainienne. Témoin l'évocation vibrante de la nuit d'Ukraine qui ouvre le deuxième chapitre de la nouvelle Une nuit de mai ou La Noyée, qui donne son sujet à l'opéra. L'intrigue mêle ainsi des récits fantastiques (la suicidée persécutée par sa marâtre sorcière) à une intrigue d'amourettes militaires… avec ces descriptions assez lyriques des nuits et paysages de la région de Poltava.

« Connaissez-vous la nuit de l’Ukraine ? oh ! vous ne connaissez pas la nuit de l’Ukraine. Contemplez-la. Au milieu du ciel, la lune regarde ; la voûte incommensurable s’étend et paraît plus incommensurable encore ; elle s’embrase et respire. Toute la terre est dans une lumière d’argent ; l’air admirablement pur est frais, et, pourtant, il suffoque, chargé de langueur et devient un océan de parfums. Nuit divine ! Nuit enchanteresse ! Inertes et pensives, les forêts reposent pleines de ténèbres, projetant leurs grandes ombres. Silencieux et immobiles sont les étangs ; la froideur et l’obscurité sont mornement emprisonnées dans les murailles vert sombre des jardins. Le fourré vierge de merisiers et de cerisiers étend pensivement ses racines dans le froid de l’eau ; par instants ses feuilles murmurent comme dans un frisson de colère, quand le vent libertin de la nuit se glisse et leur surprend un baiser. Toute l’étendue dort. Au-dessus, là-haut, tout respire ; tout est splendide et triomphal, et, dans l’âme, s’ouvrent des espaces sans fin ; une foule de visions argentées se lèvent harmonieusement dans ses profondeurs. Nuit divine ! Nuit enchanteresse ! Soudain, tout s’anime : et les forêts, et les étangs et les steppes. Le grondement majestueux du rossignol de l’Ukraine éclate et il semble que la lune s’arrête au milieu du ciel pour écouter…… Sur la colline, le village sommeille comme enchanté. D’un éclat plus vif brillent aux rayons de la lune les lignes des chaumières ; plus éclatantes, surgissent de l’ombre leurs murailles basses. Les chants se sont tus ; tout est silencieux. Les honnêtes gens sont déjà endormis. Çà et là, cependant, sautille quelque étroite fenêtre. Sur le seuil d’une rare cabane, une famille attardée achève de souper. »

Traduction d'Ely Halpérine-Kaminsky, Gallimard 1890.

    Sur le plan musical, Lysenko utilise une forme lyrique traditionnelle avec des aspects plus populaires – dans une esthétique équidistante, en quelque sorte de Natalka et de Boulba, dont on va dire un mot tout de suite.

    On peut entendre une version de l’œuvre ici, radiodiffusion de l'Orchestre de la Radio d'Ukraine en 1950 – on ne fait pas plus authentique.


            6.2.3.4.2. Natalka Poltavka (1889)

    1889. Natalka Poltavka (« Natachounette de l'oblast de Poltava ») est un objet particulièrement intéressant, un archétype de la démarche de Lysenko.

    Il s'agit, si je comprends bien mes sources (en ukrainien et en russe), de la pièce de Kotliarevsky, à peine adaptée, et mêlée de chansons : format d'opéra comique donc – c'est pourquoi l'œuvre est souvent présentée comme une « opérette ».
    La pièce d'origine est due au grand auteur qui fait (considère-t-on, car c'est toujours beaucoup plus progressif et subtil que cela) entrer l'ukrainien dans la littérature. Elle cherchait à compenser l'échec d'une tentative de drame exaltant les coutumes villageoises locales, due à Oleksandr Shakhovskyi. Cependant, malgré l'engagement de la démarche, Poète cosaque fut mal accueilli par les spectateurs à Poltava : le dramaturge connaissait trop mal la vie paysanne, il y avait bien trop d'erreurs et d'incohérences pour que l'on puisse s'identifier à ses villageois de papier. Kotliarevsky essaie en quelque sorte de répondre à cela en proposant un drame vrai, proche de la vie des vrais gens, dans une veine qui combine le réalisme et le penchant au sentimentalisme qui prévalait aussi. À ce que j'ai lu, il s'est inspiré de « chansons de bain » pour nourrir son inspiration, comme Limerivna, Un nuage noir arrive, Une fille a pris du lin, L'eau qui coule sur quatre gués, Oh ma mère m'a donnée pour un mariage mal aimé !  Je trouve la pensée très séduisante, documenter la matière de l'intrigue d'une pièce folklorique par des chansons.

    L'intrigue est particulièrement simple : les parents de Natalka recueillent le petit Peter, les deux s'enamourent, le père chasse Peter qui part faire fortune. Après la mort du père, le domaine et vendu et Natalka part vivre avec sa mère dans une modeste cabane. Tout le monde essaie de persuader Natalka d'accepter la proposition du riche Tetervakovsky, mais elle ne veut que Peter. Celui-ci finit par revenir enrichi au village, pour découvrir que Natalka va céder aux instances de sa mère, et se prépare à la laisser vivre heureuse sans l'aviser de sa présence. Mais Tetervakovsky, devant l'amour évident des deux jeunes gens, cède la place à Peter et tout finit bien. (Ou plutôt, tout commence, puisque les opéras ne racontent que rarement la partie la plus intéressante : après la conquête.)

    Lysenko reprend la pièce qui est depuis longtemps un classique (1819 !) et y insère de brèves mises en musique, sous forme d'ariettes, de brèves chansons ou chœurs folkloriques : ce sont clairement les tournures mélodiques du terroir qui prédominent – aucune musique dramatique (à la rigueur les airs un peu plus longs de Natalka, mais ce n'est pas non plus la lettre à Onéguine !), uniquement de la jolie couleur locale. Pour l'auditeur extérieur, ce n'est pas forcément saisissant ni très touchant, mais l'œuvre permet d'appréhender en action le projet d'exaltation de la langue – et plus généralement du patrimoine populaire sonore.

    Vous pouvez vous en faire une idée avec cette représentation récente à Lviv ou même avec le film de 1978 dans son esthétique réaliste un peu figée (mais qui adjoint du bandoura, le luth-cithare traditionnel d'Ukraine).


            6.2.3.4.3. Taras Boulba (1890)

                6.2.3.4.3.1. Premières représentations avortées

    1890. Taras Boulba est le grand ouvrage sérieux et ambitieux de Lysenko. Il y travaille dix ans à partir de 1880, mais ne peut jamais voir représenter l’œuvre. Il le joue avec ses amis dans les cercles de la « jeune Gromada » (voir notules précédentes, sur le libéralisme panslave et ses clubs de « municipalités » / « hromadas »), avec accompagnement de piano. En 1890, pourtant, Lysenko rencontre Tchaïkovski, qui, admiratif, lui propose de monter Taras Boulba à Saint-Pétersbourg, sur la scène du théâtre impérial… mais Lysenko décline obstinément, s’opposant à la traduction de son opéra en russe – refus insensé en termes de carrière et de satisfaction artistiques, cependant nous comprenons pourquoi, à présent que nous disposons du contexte de sa vie et de sa vocation : Lysenko était d’abord un ukrainien militant (au besoin juge de paix !) et son engagement se manifeste par son rôle de compositeur. Ce n’est pas un compositeur qui s’inspire du folklore, mais un militant de la culture ukrainienne qui a choisi d’exercer ce sacerdoce par la musique. Traduire ce manifeste de la culture ukrainienne en russe était sans doute une dénaturation insoutenable pour lui, à rebours de toute la logique de sa vie, bien au delà au seul domaine musical.

    La première n’a donc pas eu lieu du vivant du compositeur (mort en 1912).

    En 1918, pourtant, tout était prêt à Kyiv : décors, costumes, musiciens. Mais juste avant la première (je lis « à la veille », mais mon ukrainien n’est pas assez bon pour déterminer s’il s’agit d’une temporalité précise ou d’une expression plus générale), les Dénikites (les troupes « blanches » tsaristes du général Anton Dénikine) prennent Kyiv. Le théâtre brûle, ainsi que tout ce qu’il contenait. Seuls les croquis des costumes nous sont parvenus.

    La création n’a donc lieu qu’en 1924 à Kharkiv (et en 1927 à Kyiv).

    Le succès et sa place emblématique dans l’art national lui a valu beaucoup d’éditions, certaines retouchées (notamment en 1937 par Liatochynsky !)

                6.2.3.4.3.2. Le sujet

    Sujet ukrainien archétypal, mais remarquablement ambigu, c’est pourquoi j’y passe un petit moment.

    Le sujet est issu du roman historique de Gogol – qui a possiblement été inspiré par la figure historique d’Okhrim Makukha, qui tua son fils Nazar passé aux Polonais pendant le soulèvement de Khmelnytsky (années 1650) qui marque le point de bascule, le moment où les Polonais sont repoussés par les Cosaques alliés aux Russes, créant ce nouvel État-tampon, cette « marche » associée à l’Empire russe, qui donne son nom à l’Ukraine et en modèle la forme et les influences modernes. C’est donc une fiction assise sur un moment absolument central dans le sentiment national ukrainien.

    Le cosaque zaporogue Taras Boulba a deux fils, Andriy et Ostap. Andriy est romantique et rêveur, Ostap est intrépide. Tous trois combattent les Polonais, décrits par Gogol comme des ultracatholiques persécuteurs des orthodoxes (et secondés évidemment dans leurs méfaits par les juifs, j’y reviens aussi et je vous explique comment Rotschild et Soros tirent les ficelles). Pendant le siège de Dubno, une tatare parvient jusqu’à Andriy : elle est la servante de la Polonaise Maryltsa, qu’il aime. [Dans l’opéra, elle est la fille du voïvode, le gouverneur pro-polonais, et plusieurs scènes de rencontres furtives sont développées en amont.] Andriy la suit alors dans la forteresse ravagée par la faim, et apporte à la famille de sa bien-aimée du pain. Il est saisi d’effroi par la souffrance dont il est le témoin, mais aussi charmé par la beauté de Maryltsa, et reste sur place, oubliant son père et les combats.

    La trahison est révélée à Taras par le Juif Yankel, qu’il a sauvé plus tôt – confidence dont on se doute qu’elle n’est pas de la meilleure intention et tend (par un procédé qu’on retrouve dans La Juive de Scribe) à faire s’entre-déchirer les infidèles.

    Lorsque, dans la bataille, Taras aperçoit Andriy porter l’uniforme polonais [dans le livret, il est même le chef du détachement qui sort de la forteresse], il le pourchasse dans les bois, le jette à bas de son cheval et, lui disant « je t’ai donné la vie, je vais te la prendre », lui tire une balle en pleine poitrine.

    [L’opéra s’arrête ici : Andriy dit une dernière fois le nom de celle qu’il aime, et les Cosaques se jettent furieusement à l’attaque.]

    Le roman, lui, se poursuit : la lutte continue, Ostap est fait prisonnier. Malgré les tentatives de Taras pour le libérer, il est exécuté et subit le supplice de la roue. Il ne profère pas un mot, mais lorsque la mort vient, il nomme son père, dont il ignore la présence dans la foule. Après une fausse trêve passée avec les Polonais, à laquelle Taras ne croit pas, il est trahi, ses cosaques sont massacrés et il est brûlé vif tout en haraguant ses hommes, les exortant à poursuivre le combat pour un nouveau tsar qui gouvernera la terre et pour la victoire de la foi orthodoxe.

L'opéra existe au disque (Melodiya), écoutez-le ici par exemple.

                6.2.3.4.3.3. Quelques paradoxes

Si le sujet est, globalement, parfaitement représentatif de l’une des périodes fondatrices de l’Ukraine (l’émancipation de la domination polono-lituanienne et l’inscription autonome dans une orbite russe), son choix soulève cependant quelques enjeux contradictoires.

    → La source est un roman d’un auteur né en Ukraine, certes, mais dont la langue d’expression est le russe, et qui exprime dans ce texte un fort sentiment d’appartenance à l’Empire russe. Il est symptomatique, notamment, que soit exaltée la foi orthodoxe comme purement ukrainienne – si l’on considère les chiffres actuels, ils ne sont que 65% à pratiquer ce culte en Ukraine, majorité certes, mais loin de l’universalité.

    → La représentation de la vocation de l’Ukraine à défendre le tsar, telle qu’elle est décrite dans le roman, est une vision très utilitariste et russocentrée de l’existence de l’Ukraine : celle-ci s’est en effet formée, sous sa forme moderne, en se libérant du pouvoir polono-lituanien, mais sa langue, par exemple, comporte de très nombreux doublets (i.e. synonymes, en l'occurrence) provenant soit du russe, soit du polonais… on constate aujourd’hui qu’en réaction aux ingérences et à l’Opération Spéciale Humanitaire de Maintien de la Paix et de Bisous dans le Cou, un certain nombre d’Ukrainiens privilégient les mots d’origine polonaises, pour mieux affirmer leur autonomie. Taras Boulba est finalement un héros de l’Empire russe (un héros certes très couleur locale) plus qu’un héros spécifiquement ukrainien.

    → Le roman de Gogol est en lui-même problématique : sa description des Polonais comme des oppresseurs sanglants correspond à la représentation propagée par la propagande tsariste après le soulèvement polonais de novembre 1830 : toute la société baignait dans l’idée du danger que faisait peser la Pologne (pourtant multi-démembrée !) sur tout l’espace slave. Toute la population russe éduquée était pénétrée de l’idée que les Polonais étaient des agents d’instabilité, une puissance hostile (la rivalité remonte à loin, avec les intrigues de la Pologne et de la Suède, au XVIe siècle, pour installer une dynastie de tsars à leur main), et la description qu’en fait Gogol rejoint assez précisément les idées alors en circulation. [C’est un des problèmes du roman en général : la part de la documentation est toujours difficile à démêler de la prise de position personnelle…] Jusque dans les milieux panslavistes, on considérait couramment que la Pologne avait « trahi la famille slave ».
    L’édition révisée de 1842 accentue encore l’usage des thèmes de la propagande tsariste (en particulier le bûcher de Boulba et sa harangue finale, qui n’existent pas dans la version de 1835), ce qui concorde plutôt, au demeurant, avec ce qu'on sait de l’évolution de l’idéologie de Gogol.

    Le traitement des Juifs suit la même logique et reprend tous les clichés propagés par la Russie tsariste, qui ont innervé une bonne partie de la littérature antisémite européenne : couards, manipulateurs, cruels, ils tirent en secret les ficelles du monde. C’est de cette matrice que proviennent les Protocoles, tout de même.

    En cela, il peut être étonnant que Lysenko utilise comme matière un roman qui célèbre, d’une certaine façon, la sujétion ontologique de l’Ukraine…

             6.2.3.4.3.4. Sens à donner ?

    À cela s’ajoute l’intrigue elle-même, assez ambiguë : célèbre-t-elle l’amour par-dessus tout, l’abandon aux passions des romantiques, ou bien glorifie-t-elle le sacrifice pour la patrie avant toute autre valeur ?  La musique, dramatique au besoin, mais assez peu tourmentée, ne permet pas de sentir un propos délibéré qui choisirait l’une des deux visions.

    À la lecture cependant, un degré de subtilité s'adjoint : même dans le chapitre final de 1842, Gogol présente les actions de Taras avec une certaine distance, sans donner le moins du monde l'imprimer que l'auteur endosse les motivations de son personnage.

« Et Tarass ?… Tarass se promenait avec son polk à travers toute la Pologne ; il brûla dix-huit villages, prit quarante églises, et s’avança jusqu’auprès de Cracovie. Il massacra bien des gentilshommes ; il pilla les meilleurs et les plus riches châteaux. Ses Cosaques défoncèrent et répandirent les tonnes d’hydromel et de vins séculaires qui se conservaient avec soin dans les caves des seigneurs ; ils déchirèrent à coups de sabre et brûlèrent les riches étoffes, les vêtements de parade, les objets de prix qu’ils trouvaient dans les garde-meubles.

— N’épargnez rien ! répétait Tarass.

Les Cosaques ne respectèrent ni les jeunes femmes aux noirs sourcils ni les jeunes filles à la blanche poitrine, au visage rayonnant ; elles ne purent trouver de refuge même dans les temples. Tarass les brûlait avec les autels. Plus d’une main blanche comme la neige s’éleva du sein des flammes vers les cieux, au milieu des cris plaintifs qui auraient ému la terre humide elle-même, et qui auraient fait tomber de pitié sur le sol l’herbe des steppes. Mais les cruels Cosaques n’entendaient rien et, soulevant les jeunes enfants sur la pointe de leurs lances, ils les jetaient aux mères dans les flammes.

— Ce sont là, Polonais détestés, les messes funèbres d’Ostap ! disait Tarass. »

Traduction Louis Viardot, Gallimard 1882.

    Dans ce moment, l'apothéose supposée du mythe, Gogol décrit d'une façon détachée, presque plaisante – comme on ferait une gazette – le délire de destruction absurde, comme une habitude innocente, qui habite Taras et ses cosaques. La somme résumée et narrativisée des actions les nomme sans du tout en offrir les détails insupportables ; ce décalage entre l'horreur de ce qui est suggéré et le ton léger, presque indifférent, qui le rapporte, permet de se rendre compte de la distance incompressible entre Gogol et ses personnages – ce qui est particulièrement courant chez lui – : il ne faut pas se limiter à l'idéologie qui affleure par ailleurs dans l'œuvre, qui existe évidemment, mais tout cela est plus subtil.

    Cela présente aussi, en filigrane, Boulba comme agissant mécaniquement, sans but ni compassion, d’une façon où il est difficile à la fois de juger, mais aussi de s’identifier au personnage. Il ne faut pas donc pas y voir un ouvrage de propagande univoque, même si l’imaginaire de Gogol est clairement imprégné des théories suprémacistes alors répandues par la propagande tsariste dans une très vaste part de la société éduquée.

    À cela s'ajoute, je l'ai mentionnée, la mise en musique peu introspective de Lysenko, plutôt des ariettes ou des scènes dramatiques qu'une construction psychologique cohérente qui puisse transmettre, en soi, un message puissant. (Je n'ai pas eu accès au texte ukrainien du livret pour saisir d'éventuelles subtilités de ce point de vue, je parle à partir de l'écoute de l'opéra et à la lecture de synopsis pas toujours précis ; ce serait peut-être un sujet de recherche intéressant pour une notule complète sur les enjeux de Boulba et de ses adaptations.)

                6.2.3.4.3.5. La musique

    Plusieurs caractéristiques à souligner dans Boulba.

    La musique y est permanente – durchkomponiert –, pas d'alternance avec des dialogues. Le style en paraît de prime abord, surtout pour la date, assez peu extraverti, ménageant une harmonie très traditionnelle, peu prodigue en éclats ou en contrastes expressifs : en somme, plutôt l'impression d'entendre le style italien ou allemand du milieu du siècle qu'un drame de la dernière génération romantique.

    Et cependant, une fois accepté le ton très mesuré de Lysenko par rapport à son sujet épique et paroxystique – ce qui ne transparaît pas, clairement, de sa mise en musique –, on peut apprécier toutes ses autres qualités : un beau lyrisme, avec des mélodies persuasives, quelques très belles pages orchestrales (Ouverture, préludes…), toujours très    accessible, toujours une jolie ligne supérieure à écouter. Peu ou pas de contrepoint, certes.

    Les finals du III et du IV sont très réussis, plus intenses dramatiquement et musicalement. Les deux airs du IV sont également très réussis par leur élan et/ou leur grâce.

    Dans l'ensemble, l'esthétique de Boulba (me) rappelle Dalibor, ou du moins Libuše, de Smetana – et cela m'amuse, dans la mesure ou Lysenko a précisément étudié toute sa jeunesse, vous l'avez vu, avec des compositeurs tchèques de cette génération !

    La partition inclut des airs populaires (moins reconnaissables que pour ses ouvrages plus folkloriques) et des leitmotive (pas très sophistiqués pour ce que j'ai pu en juger, mais agréablement structurants).


            6.2.3.4.4. L’Énéide (1910)

    1910. L’Énéide.

    Ici aussi, un livret inspiré de Kotliarevskyi… mais pas de n’importe quelle matière : son œuvre la plus célèbre.

    Dès le séminaire, l’auteur écrivait des vers en малоросійською (« petit russe », le mot « ukrainien » étant alors banni par les autorités).

                6.2.3.4.4.1. Épopée burlesque et folklorique

    L’Énéide de Kotliarevskyi reprend les épisodes de Virgile ; pour autant il ne s’agit pas d’une traduction. Tout en mettant en scène les héros et dieux attendus, le poème recèle beaucoup de détails d’ordre ethnographique : les descriptions développent en réalité de nombreux aspects du folklore… ukrainien !  Aussi bien les costumes, les meubles, les mets, les jeux, les danses, les musiques, les chants que les cérémonies, les veillées, les séances de divination, les funérailles… tout cela ne provient pas de la culture grecque.

    Il s’agit donc plutôt d’une représentation burlesque de la matière de L’Énéide, où les héros de la mythologie sont parés du décorum de la paysannerie de la « petite Russie », mais dont le but est moins de susciter l’hilarité que de rendre hommage à une culture. D’une certaine façon, cette Énéide est l’épopée de la langue ukrainienne, au même titre que Pan Tadeusz pour les Polonais, qui contient également une matière riche autour du quotidien, et beaucoup d’épisodes plaisants ou dans l’intimité des gens du peuple.

    On considère généralement l’ouvrage comme le premier chef-d’œuvre de la littérature ukrainienne moderne ; et son succès a tenu notamment dans ce qu’il puise au plus près de la culture dont il emprunte la langue – tout en parant ces climats familiers d’une intrigue « élevée » tirée des études classiques. Plus qu’un abaissement de L’Énéide, le projet et d’enoblir la culture ukrainienne, de la hisser au même degré de dignitié que celle des autres grandes nations.

    Les Ukrainiens d’alors pouvaient ainsi reconnaître des catégories sociales familières dans les personnages : Énée et les Troyens, qui fuyaient leur patrie détruite, représentaient les Cosaques (Énée en étant l’ataman, le chef politique & militaire), caractérisés par leur bravoure et leurs coutumes pleines de jovialité ; les Dieux figuraient les grands propriétaires terriers, héritiers de la féodalité et particulièrement corrompus (mépris envers le peuple, intrigues, pots-de-vin) – comme chez Virgile, selon leurs intérêts propres, ils aident ou détournent Énée de son but. Quant aux héros / demi-dieux, ils figurent des propriétaires ukrainiens de moindre importance, décrits dans leur vie quotidienne.

    Cette identification a été particulièrement importante pour le succès public rencontré par l’œuvre, où le lectorat a pu reconnaître la célébration de sa propre nation.

                6.2.3.4.4.2. La naissance de l’ukrainien littéraire

    Les deux premières publications, en 1798 et 1808, ont été produites sans le consentement de Kotliarevskyi, par un riche admirateur… ce qui rendit l’auteur particulièrement furieux : dans l’édition enfin autorisée de 1809 (intitulée « nouvellement corrigée et complétée » – de fait, c’est la première parution du Quatrième Livre, et à terme le poème en contient six), Kotliarevskyi accuse cette « certaine personne, qui a tordu son âme pour le profit » car « elle a donné la presse de autres », et souhaite « qu’elle aille en enfer pour se faire griller sur le barbecue » (ce n’est probablement pas le terme le plus historiquement authentique, mais c’est aussi le mot utilisé en ukrainien moderne pour désigner ce très pratique objet cancérogène, prisé de tous les Laurent).

    Dans les premières éditions comme dans celles de l’auteur (qui poursuit sa publication des livraisons suivantes : 1822, 1822, 1833, et enfin 1842 – il y travaille toute sa vie), le poème est assorti d’un dictionnaire pour traduire les mots du « dialecte petit-russien », à destination du public russe. Il faut dire que l’ensemble de ces publications ont été imprimées à Saint-Pétersbourg, et distribuées à destination d’un public russophone. [J’admets qu’il y a là une étrangeté, provenant d’un écrivant souhaitant procurer une autonomie à la culture ukrainienne. Mais cette publication dans la capitale russe constitue aussi une forme de reconnaissance aussi bien interne qu’internationale, d’une certaine façon.]

    Cette « collection de mots du petit russe contenus dans L’Énéide, et au surcroît de nombreux autres depuis longtemps entrés dans le dialecte du petit russe par d'autres langues, ou provenant du russe, mais inusités » contenait, dans la dernière édition approuvée par Kotliarevskyi, 972 mots.
    Il faut dire qu’il y avait délibérément utilisé du vocabulaire ancien, et même inventé quelques termes archaïsants !

    C’est ainsi avec ce glossaire légèrement condescendant, béquille pour russophones souhaitant lire ce long poème, que l’ukrainien fait son entrée officielle, en quelque sorte, parmi les langues littéraires écrites de notre temps !

    Vous pouvez en découvrir une version scénique, imaginée comme une forme de comédie musicale (la musique n’est pas de Lysenko !) ici.

                6.2.3.4.4.3. L’opéra

    J’aurai peu à dire de la musique : il n’existe pas de disque qui reprenne intégralement sa musique, et on y retrouve les tropismes de Lysenko, chants ouvertement issus du folklore, mais aussi quelques belles scènes dramatiques, comme la scène finale de Didon.

    Dès l’an suivant, un autre opéra est représenté sur le même sujet (preuve qu’il était possible de demander l’autorisation et que la nièce de Lysenko aurait peut-être pu apposer son nom sur le livret…), composé par Lopatynsky – de près de 30 ans son cadet, j’en parlerai donc plus tard.



    6.2.3.5. Envoi

    Je comptais initialement, ayant déjà abordé l’histoire de l’Ukraine et les enjeux du sentiment national dans la notule autour de Hulak-Artemovskyi, qui aurait dû comprendre Lysenko d’un même geste, écrire un bref paragraphe pour présenter une musique qui n’est pas un legs incontournable à l’échelle de l’histoire de la musique européenne…

    Cependant la vie de Lysenko (juge de paix, étudiant européen), sa démarche musicale (procédant de son engagement national), les sujets de ses opéras soulèvent tellement d’enjeux proprement ukrainiens, sur les contours de cette culture, sur ses grandes références… qu’il était sans doute avisé de se permettre ces un peu longues parenthèses extra-musicales.

    Il y aura évidemment moins à épiloguer lorsqu’on parlera de musiciens d’origine ukrainienne qui ont essentiellement exercé à Moscou, et sans rien revendiquer de leurs origines sonores, comme Roslavets ou Mosolov (même si, en réalité, ils ont étudié les folklores d’Asie Centrale et conseillé les troupes locales pendant leurs éclipses ou leurss disgrâces, ce qui affleure quelquefois dans leurs propres compositions – à commencer par le chef-d’œuvre Les Nuits turkmènes, évidemment !).

    J’espère que ce petit voyage vous aura intéressé : j’ai finalement rencontré peu de sources de français sur le sujet, et même en anglais / ukrainien / russe, soit des textes très généraux, soit des fragments très précis sur telle œuvre, telle période de tel auteur… le résumé que j’ai proposé ici ne doit pas se trouver aisément sous cette forme en français, c’est pourquoi j’espère qu’il trouvera son public.

    Vous pouvez retrouver toute la série dans cette chapitre qui regroupe toutes les entrées autour de la musique ukrainienne. À bientôt pour de nouvelles aventures – peut-être la mise à jour des listes des bijoux de musique de chambre, qui se sont beaucoup enrichies depuis les derniers enrichissements, il y a quelques années déjà !

samedi 25 juin 2022

[thriller] Comment les surtitres ont tué l'opéra


surtitres
Pourquoi l'on a besoin de surtitres – feat. Birgit Nilsson.

(Cette notule contient beaucoup de liens qui explicitent les allusions ou les notions que je ne peux pas toutes développer sans alourdir le texte. N'hésitez pas à y faire un tour pour mieux appréhender le propos, en particulier sur les aspects de technique vocale.)

De retour d’une production extraordinaire d’Elektra de Richard Strauss, je reste transi d'admiration devant le haut niveau, superlatif, des interprètes – parvenant à demeurer audibles, dans un son très élégant, par-dessus cet orchestre gigantesque, et dans tout le hangar à bateau de Bastille. Cette chose n'a jamais été demandée, dans l'histoire de la musique mondiale, à aucun interprète avant l'éclosion du drame wagnérien – plus soucieux de littérature et de musique que de la beauté du chant, ou même simplement de ses limites physiques – il y a cent cinquante ans, et de la construction de gigantesques salles de concert « démocratiques » dans les dernières années.

On ne peut que révérer l'accomplissement physique, technique, artistique pour y parvenir d'une part, et le faire suivre façon agréable à l'oreille (et tout en jouant la comédie !) d'autre part.

Cependant, et cela ne vous surprendra pas, cela me donne avant envie de discuter d'enjeux propres au théâtre lyrique.



[[]]
Début d'Elektra de Richard Strauss,
Mitropoulos à Vienne en 1957.
Même avec les dictions de Borkh et surtout Della Casa, ce n'est pas si évident…
et la situation ne s'est pas améliorée.




1. Le chant et l'amplification

Alors que l'ensemble de la création mondiale a très rapidement pris le tournant de l'amplification, une poignée de genres ont résisté.

Il est vrai que l'amplification permise par l'électricité et l'électronique ne manque pas d'avantages : elle permet d'être audible tout le temps dans tous les espaces.
    ∆ En plein air où la voix, sauf murs de renvoi, se perd très vite au delà des premiers mètres.
    ∆ Dans un milieu bruyant comme un café.
    ∆ Possibilité de faire de la chanson et plus généralement de la musique dans les immenses Palais des Congrès (opération beaucoup plus rentable pour les répertoires peu subventionnés).
    ∆ Élargir le spectre de qui peut chanter en public, même avec une petite voix.
    ∆ Rendre la méforme moins rédhibitoire pour les professionnels.
    ∆ Permettre des inflexions vocales très fines, pour un effet expressif maximum, qui n’est pas dilué par la distance.
    ∆ Ouvrir au maximum le champ des techniques vocales possibles (souffle dans les cordes, larynx haut ou bas, résonance métallique ou non, etc.) tout en restant audible.

Alors que pour chanter efficacement en plein air / devant une grande assemblée / dans une grande salle / avec un orchestre, la nature de la technique utilisée est contrainte – et son efficacité nécessaire –, le chant amplifié donne accès à une diversité incroyable d’esthétiques.

Bien sûr, mon ressenti, pour moi qui ai été biberonné à la musique acoustique depuis mes premiers émois musicaux, demeure toujours une frustration de ne pas entendre le grain de la voix directement (ce n’est clairement pas comparable, même avec le meilleur système de restitution du monde), et même presque une déception de principe d’être soumis à un truchement encore plus complexe et abstrait qu’une mécanique de piano ou d’orgue.
Mais il reste incontestable que ces moyens nouveaux ouvrent incroyablement le nombre d’esthétiques, de techniques, d’effets, de lieux où l’on peut se produire.



2. Les contraintes du chant lyrique

La grande caractéristique du chant lyrique est donc l’absence d’amplification. Ce n’est pas la seule, et je m’en tiens ici aux techniques XIXe-XXe – on a trop peu d’expérience directe sur les autres – et les attentes n’étaient pas du tout comparables auparavant, en particulier au XVIIe siècle. Dans le chant lyrique tel qu’on le pratique depuis 200 ans, donc, on utilise un larynx bas, ce qui ne va pas m’intéresser dans le cadre de cette notule, mais aussi la couverture vocale, qu’il nous sera nécessaire de convoquer.

a) En refusant toute aide à la production sonore, le chant lyrique suppose des techniques d’émission vocale particulièrement efficaces. Il faut des résonances dans les os de la face et les fosses nasales pour créer un réseau d’harmoniques dense (ce qu’on appelle le formant du chanteur), qui puisse être plus dense que celui d’un orchestre, pour demeurer audible même quand beaucoup d’instruments jouent simultanément. Cela suppose une forme d’alourdissement du son, qui peut masquer une partie de la pureté des voyelles d’origine, voire gommer les consonnes (dont la richesse harmonique est moindre).

b) Parallèlement, pour ne pas se blesser en chantant des notes aiguës émises à pleine voix, il est nécessaire d’accommoder un peu les voyelles pour ne pas serrer la gorge (avec le [i] à la française, par exemple) ou ne pas solliciter dangereusement les cordes vocales (avec le [a] ouvert…). C’est ce que l’on appelle la couverture vocale, qui a une histoire particulièrement riche depuis le XIXe siècle (et qui a dû être pratiquée en amont, elle est assez instinctive chez certains individus lorsqu’il faut s’exprimer fort en public), avec énormément de déclinaisons et de débats sur lesquels je ne vais pas insister ici.

c) Par-dessus le marché, il faut rappeler que le chant lyrique, par rapport à une très large part du répertoire amplifié (la chanson en particulier), tend à explorer les franges extrêmes de la voix, qui ont un impact spectaculaire, en particulier dans l’aigu… mais qui s’éloignent des hauteurs habituelles de la voix parlée.

d) Pour terminer cette liste (à laquelle on pourrait encore adjoindre quelques entrées), depuis Wagner, les compositeurs ont de moins en moins de pudeur à s’écarter de la prosodie naturelle de la langue, avec des excès bien connus dans la musique du XXe siècle (en particulier atonale, mais ce n’est pas intrinsèquement lié) : des intervalles entre notes qui n’ont absolument plus rien à voir avec la prosodie de la langue parlée, et qui rendent les mots et intonations expressives absolument méconnaissables.

Tous ces processus vont concourir à un fait bien connu : les textes du chant lyrique sont plus difficiles à comprendre que dans la plupart des musiques amplifiées. Avec un peu d’entraînement, on y parvient, mais c’est rarement évident. Ce fait cause, au demeurant, une part du rejet envers l’opéra chez la plupart des honnêtes citoyens : soit on ne comprend rien en première écoute (ce qui est inconcevable), soit on reconnaît les mots et cette discordance avec le français du quotidien apparaît si exorbitante qu’elle en devient monstrueuse, insupportable – énormément de mélomanes, y compris des mélomanes versés dans la musique classique, ressentent ceci. Le dégoût s’apprivoise avec l’habitude, et en constatant que la musique est réellement digne d’intérêt, on finit souvent par les convertir, y compris au plaisir des émissions lyriques. Mais ce n’a rien d’une évidence en tout cas.

(Je ne retrouve pas la notule où j'expliquais pourquoi il était légitime de détester l'opéra – et comment éventuellement surmonter cette juste répulsion –, mais il me semble bien l'avoir écrite…)



3. Surtitrage et état de l’opéra

J’en viens donc à mon sujet. Je suis allé voir Elektra, je connaissais des portions entières du livret par cœur, et pourtant je n’ai pas compris un mot de ce qui a été chanté.

Et pendant ce temps, le surtitrage nous faisait l'exégèse de ce que borborygmaient les grandes dames énervées sur le plateau.

Alors a germé cette question dans mon esprit : ne sommes-nous pas le témoins d’un état de l’art quelque part profondément dysfonctionnel, si nous allons voir du théâtre dont nous devons lire simultanément la transcription pour en ressentir l’émotion ?  La barrière de la langue est présente, bien sûr, mais elle peut aussi être vectrice d’émotion si les mots étrangers s’articulent audiblement au sens… Ce n’était pas le cas, puisque aucun phonème n’était identifiable.

Est-ce que le surtitrage n’a pas, au fond, en fait de rendre plus accessibles les opéras en langue étrangère, tout simplement entériné à jamais le fait que le sens passait par le texte affiché, et plus guère par les voix ? 

En réalité, je sais moi-même que les torts sont plus partagés que cela, et le surtitrage ne vient que poser la cerise sur le gâteau de processus simultanés à l’œuvre depuis au moins 150 ans… Je vous propose un petit tour du propriétaire ?



surtitres
Mesdames et Messieurs, devant vos yeux émerveillés, le fruit de quatre siècles d'évolution vocale.



4. Pourquoi ne comprend-on plus rien à l’Opéra ?

Le surtitrage n'arrive en réalité qu'en fin de course de tout le processus, comme pour ratifier le plus officiellement du monde un état de fait pourtant problématique.

À l'origine, comme spécifié supra, la nature même du chant lyrique, supposé surmonter les orchestres et remplir des théâtres, a joué son rôle. Dès le début du XVIIIe siècle, la nature du répertoire impose d'en rabattre sur la diction, qui ne constitue plus qu'un aspect secondaire : contrairement à l'opéra du XVIIe siècle, le seria n'est pas simplement soutenu par une basse continue (plus grave que la voix et donc aisée à surmonter pour une voix décemment formée, même peu puissante), le chanteur y est accompagné par tout le petit orchestre, parfois en furie ; on attend même, dans certains airs de bravoure, qu'il rivalise avec les instruments !  Quand c'est le violon, le hautbois ou les clavecins (« Vo' far guerra »), passe encore, mais avec trompette, cor ou basson, il faut un minimum d'éclat pour ne pas être ridicule.
Par ailleurs, l'esprit même de l'écriture seria implique une primauté à la voix pure, à la virtuosité, aux syllabes étirées le plus longtemps possible en coloratures – si bien qu'il faut souvent plusieurs prises de souffle pour un seul mot. À cela, il faut ajouter la prédilection pour les voix aiguës : à part les ténors qui sont de vieux pères abusifs et les basses des personnages d'autorité au rôle secondaire, uniquement des sopranos et des mezzo-sopranos (castrats de préférence, femmes sinon). Or, l'émission lyrique des voix aiguës se fait en voix de tête, dans un registre très éloigné de la voix parlée : l'aspect du timbre change radicalement, mais la hauteur aussi, ce qui rend les phonèmes moins identifiables. Effet aggravant, pour des raisons de physique acoustique, les consonnes, toujours plus aiguës que les voyelles, sont mécaniquement moins distinctes si la voix monte vers l'aigu.

Tous ces éléments tendent vers le même effet : pour obtenir une émission vocale efficace, et considérant toutes ces contraintes supplémentaires et cette évolution du goût du temps, il devait être vraiment difficile de privilégier la diction claire. Il n'était pas 1700 (opéras de Legrenzi, Albinoni, dès le dernier quart du XVIIe siècle…) que le ver était déjà dans le fruit.

Le XVIIIe siècle voit aussi, même si c’est encore marginalement, l’érection de très vastes théâtres (les 1400 places du San Carlo de Naples en 1737… et tout en hauteur !), qui rendent encore plus indispensable une émission efficace. Or, le chant est toujours fondé sur une série de compromis : équilibre entre la projection, le timbre, la diction, le confort (endurance) du chanteur… Si l’on place une tension maximale sur le volume sonore, l’ambitus et l’agilité, il ne restera plus beaucoup de place pour raffiner la diction.

Au fil du siècle, les orchestres s’élargissent, et l’expression dramatique (que ce soit chez Mozart ou chez Gluck) prend un tour plus solennel et plus éclatant, qui a là aussi beaucoup sollicité la puissance des instruments.

Puis c’est le XIXe siècle, pas besoin de faire un dessin : on a successivement le belcanto romantique, où la longueur de souffle et la qualité du lié des notes prévaut sur toute autre considération, et le romantique à panache de Weber, Meyerbeer et Verdi, où l’éclat vocal représente une composante non négociable. Dans le même temps, on invente l’aigu de poitrine, émis dans le même mécanisme que le centre de la voix, qui éloigne encore plus de la parole quotidienne (et renforce la nécessité de la couverture vocale).
Wagner arrive, et nous plonge dans un joyeux désordre… lignes de chant complètement défragmentées, avec de grands intervalles à l’intérieur même des mots, assez éloignés de la langue « naturelle », et orchestre tonitruant simultanément. L’enjeu premier est alors d’être entendu, pour se fondre dans un grand tout musical – le chanteur a rarement, passé les premiers ouvrages – jusqu’à Lohengrin –, la partie la plus intéressante. On peut même en retirer l’impression persistante – considérant son faible potentiel mélodique – que la voix n'est qu'une partie instrumentale intermédiaire de l'orchestre, tolérée uniquement dans le but de porter le texte.
Seulement, et là réside toute la beauté de la chose, transmettre le texte est particulièrement périlleux avec ces prérequis de puissance, de concurrence orchestrale et d'intervalles de vastes hauteurs entre les syllabes.

Le XXe siècle accentue ces enjeux : le répertoire se diversifie, mais pour les œuvres qui se voient comme ambitieuses, on retrouve (aussi bien chez les postromantiques, les décadents, les atonals…) les mêmes caractéristiques postwagnériennes, avec des orchestres encore plus sonores, des intervalles plus amples et fantaisistes, et même une science de la composition pour la voix qui se perd : clairement, au XXe siècle, beaucoup de compositeurs la traitent comme une contingence, en en repoussant les limites au gré de leur fantaisie comme s’il s’agissait d’un instrument – or, contrairement à la facture instrumentale, on ne peut pas réellement améliorer un corps vivant, en tout cas pas au gré d’une évolution délibérée de quelques décennies, et sa pratique intensive peut en détruire les qualités.
Ce n’est bien sûr pas général, et toute une école simultanée, qu’on présente moins dans les histoires de la musique, mais qui est très importante (y compris dans les quelques pays qui ont poussé le plus loin l’expérience atonale), a au contraire revendiqué un retour presque archaïsant à la consonance, à la voix harmonieuse. Des figures aussi disparates que Hahn, Rota, Damase, Orff, Floyd, toute une partie du legs soviétique et bien sûr l’écrasante majorité des nations qui n’ont jamais trop touché à l’atonalité (Parma en Slovénie, Hatze en Croatie, Paliashvili en Géorgie, Cihanov au Tatarstan…) sont concernés. Pour autant, dans les grandes maisons, les créations prestigieuses accentuent plutôt cette déconnexion entre la musique et la voix, et donc, pour les raisons déjà exposées, entre la voix et le texte.



5. Les derniers effets du XXe siècle

Une des choses rarement évoquées, car difficilement quantifiable, est la pression de la voix enregistrée – y compris et peut-être d’abord par le cinéma – sur la façon de chanter, et peut-être aussi les modes de vie plus urbains (où la voix tamisée est plus valorisée que la voix sonore). Sur les effets de ne plus recruter les chanteurs parmi les bergers (Tony Poncet) ou les garagistes (Robert Massard) – mais parmi les titulaires de diplômes universitaires en langues, littérature ou mathématiques –, sur les incidences de nos modes de vie, sur l’influence de la parole enregistrée et des micros envers l’art oratoire et la voix lyrique, voyez cette notule. Clairement, si le modèle de timbre idéal est Humphrey Bogart ou Andrew Clutterbuck, on va avoir des difficultés à se faire entendre en conditions réelles.

Nous en arrivons au dernier clou dans le cercueil de l'intelligibilité : l'apparition de la langue originale, quel que soit le public destinataire, à l'Opéra. Je n'ai pas réussi à en comprendre totalement, malgré mes lectures et mes questions aux hommes de l'art, la raison, mais à partir des années 60 s'impose progressivement l'utilisation de la langue d'origine des ouvrages représentés.
Les musiciens le défendent par le respect de la partition – dans laquelle ils n'hésitent pas, le cas échéant, à pratiquer de larges coupures –, mais on a rarement vu la vertu s'imposer d'elle-même pour vendre des billets de théâtre. Jusque dans les années 90 au moins, on a vécu les résistances farouches à l'arrivée des instruments d'époque et aux modes de jeu sans vibrato !  Or je ne trouve pas trace d'un tel débat. Et pourtant, cela a dû rendre incompréhensible toute une partie du répertoire !

Je me figure que le disque y est pour quelque chose : il est devenu la référence écoutée par tous les mélomanes, celle que l'on veut entendre ensuite en allant au théâtre. C'est aussi le moment de l'internationalisation des échanges, des recrutements : les grandes maisons veulent les vedettes qui ont enregistré les disques, justement – et qui ne vont pas réapprendre le rôle dans la langue de chaque pays qui les recrute. On se souvient ainsi de cas assez exotiques, comme cette Carmen au Bolchoï avec Arkhipova, où tout le monde chante en russe, langue vernaculaire – sauf Del Monaco, invité pour l’occasion, et qui le chante en italien !  Plus étonnant encore, les soirées où Ghiaurov, en pleine gloire, revenait chanter à l’Opéra de Sofia, tout le plateau chantait Verdi en bulgare… mais lui, qui avait appris et pratiqué son Philippe II en italien, continuait à le chanter comme sur les autres scènes (alors qu’il aurait pu sans dommage l’apprendre ou le réapprendre en bulgare, sans doute). On voit bien que le désir d’avoir la star chez soi entraîne une nécessaire normalisation du répertoire, qui varie moins d’une capitale à l’autre, d’une part, et d’autre part qui sera chanté dans la même langue partout.

Un temps, le public a donc dû survivre en écoutant les œuvres chantées dans des langues inconnues… et sans surtitres !  Je ne comprends pas comment il n’y a pas eu d’émeutes dans les théâtres et d'innombrables tribunes ulcérées dans les journaux. Imaginez si l’on diffusait soudain, dans les cinémas, les Bergman en suédois sans sous-titre – ou même les comédies sentimentales américaines. Il y aurait beaucoup, beaucoup de mécontents.



6. L’arrivée et les conséquences des surtitres

À partir de l'innovation de l'Elektra de Toronto, en 1983, les surtitres se sont partout répandus dans les institutions qui accueillent régulièrement de l'opéra, du théâtre en langue étrangère, etc., jusqu'à être présents quasiment partout depuis les années 2000. J'en ai déjà vu dans la cave de Nesles, comportant une jauge de 20 personnes, pour quelque chose d'aussi peu insolite qu'un Shakespeare en anglais !

Ce fut bien sûr une aide incroyable, qui permettait à un plus vaste public de découvrir les œuvres en salle sans en étudier d'abord le livret et sa traduction, assez en amont pour en mémoriser les moments-clefs. On a salué, et à juste titre, le gain en accessibilité, la possibilité pour tous de suivre – et même, pour les plus chevronnés, de ne pas être limités par leur temps de préparation ou leur mémoire dans leur compréhension de l'action et du détail.

Formidable invention, donc.

Mais, à la lumière de cette Elektra parisienne de 2022, où il était impossible d'identifier un mot (même en connaissant précisément le texte allemand), ou pis, de cette Phryné où les artistes, pourtant tous francophones et spécialistes acclamés de l'opéra français, réputés pour beaucoup pour leur diction… se sont révélés à moitié incompréhensibles en l'absence de surtitres !  On suivait vaguement, mais beaucoup de détails étaient perdus.

Et tout cela nourrit cette question, terrible, que je n'ose formuler qu'en tremblant : le surtitrage n'a-t-il pas rendu secondaire la maîtrise de la juste élocution ?  Les effets conjugués du disque, qui favorise les jolies patines (et discrédite les voix nasillardes, mieux audibles, surtout pour du français, articulé très en avant de la bouche et de la face), et du surtitrage,  qui supplée les dictions floues, n'ont-ils pas induit, dans l'apprentissage comme dans la pratique, une mise au second plan du soin de la diction ?  Qui arrêtera un chanteur, au sein de répétitions en temps limité, pour lui dire « ça ne va pas du tout, on ne te comprend pas » – si le public peut malgré suivre l’action ?  N'est-ce pas alors, en fin de compte, un enjeu secondaire, qui permet de laisser plus de place à la recherche du joli timbre phonogénique, à la couleur sombre (mais opaque) qui permet de prétendre aux rôles sérieux ?

On pourrait ajouter que, DVD aidant (bénéficiant, lui, de sous-titres), on sera davantage tenté de retenir le paramètre du physique « crédible » (quel horrible concept, mais je conserve le sujet pour une autre élégie…), puisque, là aussi, la clarté de la phonation devient redondante avec le texte qui défile sous les yeux du public.



surtitres
Joan Sutherland, perfection archétypale de la chanteuse pionnière des surtitres.



7. Nouveau paradigme

Je ne sais, à vrai dire, s’il faut se réjouir ou se désespérer de cette évolution. Il faudrait en dérouler chaque aspect.

1) Les surtitres permettent de goûter la saveur de la langue originale, qui est un plaisir en soi. Pour cela, il m’apparait plus pertinent de recruter des locuteurs natifs plutôt que des chanteurs occasionnels – même au Conservatoire Supérieur de Paris (CNSMDP), l’état de l’italien chanté par les élèves (pourtant de très, très grands artistes) est la plupart du temps assez épouvantable. Quoi qu’il en soit, découvrir une langue par la musique est à la fois très efficace, comme en atteste l’immense cohorte de ceux qui ont appris l’anglais par les chansons, et particulièrement plaisant et stimulant, instantanément utile car tout de suite relié au beau. C’est ainsi pour ma part que j’ai abordé l’italien, l’allemand, le russe, le bokmål, le tchèque, et j’en conserve des souvenirs particulièrement émus.

2) Corollaire : en chantant dans la langue originale, on respecte mieux la musique écrite (et évidemment le poème d’origine). La famille Wagner avait rouspété lorsque Victor Wilder avait altéré les rythmes des lignes chantées du Ring – pour épouser au plus près sa très belle prosodie française (qui vaut largement l’original). Ils préféraient Alfred Ernst, qui n’était pas en vers et pas tout à fait aussi poétique, mais avait respecté avec un scrupule absolu la musique écrite, tout en suivant de très près l’ordre des mots et le sens de l’original allemand.
 J’ai aussi vécu ce débat plus intimement, à propos du Rossignol de Berg (lien), lorsqu’en changeant à la marge quelques rythmes pour rendre la ligne mélodique plus proche de l’accentuation française, le pianiste-commanditaire me fit remarquer, embarrassé, que je rompais une symétrie rythmique qui était peut-être (on en savait rien, elle n’était pas totalement évidente, mais elle pouvait se deviner) voulue par le compositeur. Après avoir contesté l’argument (puisque mon inclination est de faire absolument primer le naturel de la parole sur le détail musical), j’ai trouvé la réserve si sérieuse que j’ai totalement récrit la partie centrale, en modifiant certes quelques rythmes, mais en tâchant de respecter ces récurrences rythmiques.
Jouer dans la langue originale, c’est donc être davantage assuré de ne pas dénaturer des beautés placées là par le compositeur, et qu’on pourrait ne pas percevoir en redéployant la partition dans une autre labngue. (Ce peuvent être tout simplement l’appui d’un mot sur tel instant de la musique, voire comme chez Verdi l’accentuation expressive hors de la prosodie naturelle, qu’on perd une fois traduit.)

3) Pour les œuvres en langue étrangère, la question ne se pose donc pas : les surtitres permettent d’inclure tout le public. Faut-il représenter à tout prix les œuvres en langue étrangère, surtout pour les faire chanter par des non-locuteurs, je n’en suis pas persuadé pour beaucoup de raisons liées au confort du public, à la qualité du chant et de l’expression, à la saveur même de la langue, mais ce serait l’objet d’une notule entière, sur un sujet déjà régulièrement abordé ici.

4) Le surtitre constitue aussi un confort appréciable pour les œuvres en langue française.  Dans les œuvres les plus anciennes (tragédie en musique), la moindre nécessité de la couverture vocale, de la puissance, l’absence de concurrence de l’orchestre permettent de mieux percevoir le détail du texte. Beaucoup sont également des spécialistes rompus à l’exercice de la mise en valeur du texte, ou des chanteurs extérieurs au sérail baroque mais recrutés sur leurs qualités de diction (Bernard Richter…). Par ailleurs les auteurs de livrets prenaient soin d’utiliser des formules toutes faites qui permettaient de rétablir le sens de l’expression si jamais l’on ne comprenait pas un mot – Philippe Quinault, le librettiste des premiers opéras de langue française, l’a théorisé de façon très claire dans ses écrits.
Pour le répertoire plus tardif (hors opéras comiques, bouffes, opérettes, où les dialogues parlés limitent les problèmes d’intelligibilité, et où l’écriture vocale exige moins d’extrêmes de l’instrument), romantique et XXe, la chose est beaucoup moins évidente, même avec de très bons chanteurs. Pour une œuvre légère comme Phryné et des francophones spécialistes de l’opéra français, ce n’était pas du tout évident. À cela il faut ajouter la taille des salles, qui a augmenté au fil des siècles. Du fond de Bastille, être audible est déjà un exploit athlétique, alors être compris, cela tient du divin miracle – et cependant cela advient quelquefois !

5) La certitude de la compréhension du chant et de l’action ouvre ainsi une extraordinaire voie pour explorer plus à loisir des œuvres lourdement orchestrées, à la pensée prosodique imparfaite, ou tout simplement dont le propos peut paraître confus : le texte se déroule simultanément sous les yeux du public. Bénédiction des dieux que ce surtitrage, moment inestimable où les techniques permettent d’amplifier l’émotion artistique et de magnifier la création traditionnelle.

Et cependant…

6) Ainsi qu’on l’avait craint initialement, il est vrai que lever la tête pour lire le texte peut créer une mise à distance, une disjonction d’avec le spectacle (a fortiori lorsque la mise en scène altère ou violente le livret). Il peut aussi exister une forme de paresse à ne plus chercher à comprendre les langues, puisqu’elles sont toutes traduites. Ce n’est plus du tout le même exercice exigeant que de préparer son livret italien ou allemand en apprenant par cœur le texte des airs, voire en étudiant pour l’occasion les idiomes concernés. (Ce fut mon cas, l’enjeu d’accéder au sens des opéras fut le moteur formidable – et primordial – de ma découverte des langues étrangères que j’ai le plus pratiquées dans ma vie…) 
C’est évidemment une préoccupation d’ordre réactionnaire : le progrès modifie nécessairement nos comportements. Le train et la voiture individuelle nous ont éloignés d’un abondant exercice physique quotidien, les adaptations télévisées ont rendu presque superflue la lecture des grands romans, etc. Rien n’empêche chacun de continuer à faire cet effort, mais vouloir empêcher le changement de la société et des arts est illusoire.
Pour autant, il est exact que le confort du surtitrage peut aller de pair avec une certaine mollesse de perception : on suit vaguement ce qui est raconté, plutôt que d’entrer dans un corps-à-corps (pas toujours vainqueur !) avec la langue. Mais qu’on ne se méprenne pas : même sans surtitrage, une partie non négligeable du public d’opéra vient pour les voix, la musique, les décors, pas forcément pour le drame, et cela a toujours été. Chaque usage est légitime de toute façon, tant que chacun y trouve sa satisfaction.

7) J’en reviens au point de départ de cette notule : cette sécurité des surtitres nourrit sans doute une forme d’indifférence face à la qualité de la diction. De même que Wagner délègue le sens et l’expression de ses drames à la partie orchestrale, le contenu littéraire des opéras peut être vécu comme dévolu aux surtitres, rendant le soin des chanteurs (pourtant très apprécié du public lorsqu’il s’agit de sa langue !) presque redondant. Ce n’est évidemment pas la seule cause, on a déjà un peu devisé de ce qui avait pu changer la donne (chanteurs étrangers qui chantent une autre langue devant un public d’une troisième langue, recherche de voix patinées ou sombres avec l’évolution des imaginaires, modes d’émission vocale changés par la vie urbaine et le recrutement de profils plus « intellectuels »…), mais le surtitrage rend le sujet moins urgent et moins prioritaire. Le chanteur qui rencontre des difficultés pourra préférer l’émission confortable, saine, belle, à la prononciation claire. Le recruteur aussi pourra privilégier l’interprète qui dispose de la plus sonore, la plus sombre, la plus agile (voire le meilleur comédien ou la plus belle plante) et ne pas disqualifier ces chanteurs si leur diction est mauvaise, en supposant que le surtitre y pourvoira le cas échéant.
Ce n’est donc pas tant un refus délibéré de travailler ce paramètre qu’une importance désormais secondaire en matière d’employabilité, qui pousse moins les chanteurs à parfaire cet aspect par rapport aux autres équilibres de leur voix, surtout s’ils rencontrent des difficultés techniques à tout obtenir à la fois (aigus, puissance, timbre, diction).

8) Le surtitrage, puisqu’on se repose sur lui, induit évidemment – à l’instar de l’amplification sonore pour la comédie musicale – une dépendance non négligeable. Il faut voir le dépit du public en cas de panne ! – et, de fait, si l’on va voir un opéra de Janáček qu’on ne connaît pas, chanté par des Britanniques dans Bastille, avec une mise en scène transposée pendant l’Occupation, ce n’est pas gagné.
Le regret est aussi que, conditionnant une certaine conception des voix – sans lui, la pression était forte, au moins dans la langue du pays d’accueil, de proposer une réelle clarté –, alors que l’émotion la plus forte à l’Opéra réside, pour moi (c’est loin d’être une généralité), dans les micro-inflexions du chant qui créent un sens nouveau dans le texte. (Pourquoi croyez-vous que je passe tout ce temps à collectionner inlassablement toutes les propositions de Pelléas ?)
Le surtitrage nous éloigne de cette préoccupation, et en tout cas n’élimine pas d’emblée ceux qui ne se conforment pas à cette attente première – dommage pour moi – Joan Sutherland a vaincu. 

9) Petite pensée supplémentaire : lorsque nous aurons épuisé la dernière goutte de pétrole et fait imploser une ou deux centrales nucléaires, que l’énergie devra être parcimonieusement économisée… l’opéra du futur se fera-t-il à nouveau sans surtitres ?  Nous ne serons certes pas les plus gênés… si l’électricité est rationnée, le rock et même le musical (du moins devant vaste public) ont des cheveux à se faire.




8. Envoi

Essayer de débrouiller mes pensées à ce sujet, pour une simple remarque (« tiens, j’aime beaucoup ce que font ces dames wagnéro-straussiennes, et pourtant je ne comprends rien ») m’aura pris quelques semaines de décantation, à zig-zaguer entre mon day job adoré, mes promenades botaniques, ornithologiques ou patrimoniales, ma contribution au festival Un Temps pour Elles (écrire quelques programmes, recruter du public, contribuer marginalement à la logistique) et les commentaires de disques et de spectacles que j’ai tâché de poursuivre scrupuleusement.

Je reprendrai prochainement à un meilleur rythme. Au programme, sans doute la suite du cycle ukrainien. Je vois que nous nous lassons tous à la longue de ce malheur, chaque jour renouvelé à l'identique, et j’aurai ainsi l’impression dérisoire de faire ma part – d’autant que la matière-première est déjà collectée et notée, essentiellement de la rédaction et de la mise en forme.

Puissiez-vous zig-zaguer (victorieusement) à votre tour entre les dangers du monde moderne, virus à gain de fonction, opérations spéciales de maintien de la paix et de dégustation de sfogliatelle-de-la-victoire à la pistache antinazie, burkinis sauvages des calanques…

Bonne lecture et bonne survie !

mercredi 18 mai 2022

Désobéissance – Pourquoi vous ne devez surtout pas faire vos gammes


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« Pianistes » du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns, qui débute par une progression du type Hanon. (Argerich & Freire.)

Un soir, alors que je rentre d'une journée de labeur consacrée à illuminer le monde de ma profonde sapience et à porter toujours plus haut le flambeau de l'Humanité, j'ouvre Twitter – car pour être sage et ascète, en est-on moins homme ?

J'y découvre qu'un mien compère se lance dans le piano en pleine force de l'âge – et dans l'interstice étroit de fiançailles suivies d'épousailles. Devant cet acte de courage, et lisant son désir d'être soutenu en cette ordalie, je m'apprête à le féliciter.

Quand. Je lis son aveu terrible.

« Je travaille mais je sais que dans ma bibliothèque, la Méthode Rose me regarde et me juge. »

Méthode Rose, Hanon, Déliateur, trois noms de l'Antéchrist.

J'ai bien sûr commencé par l'encourager, mais je n'ai pu m'empêcher de mentionner que mon avis, en ce qui concerne l'utilité des gammes, était mitigé. Et j'ai promis d'en reparler.

Cette notule va me susciter l'indignation et le mépris de tous les musiciens sérieux, non sans raison peut-être ; pour autant, je crois qu'elle soulève quelques questions qu'on n'ose pas toujours formuler, et qu'elle propose quelques contestations de l'ordre établi dignes d'être soulevées – que le respect de nos maîtres et devanciers ont tôt fait d'étouffer avant même que d'éclore en nos consciences tremblantes.

Comme je ne respecte rien, que rien ne m'est sacré – pas même Bach ou Oïstrakh –, me voici. J'accepte donc les avanies à venir, elles seront mon fardeau et ma contribution au Bonheur des Peuples.



méthode rose




1. La Tradition Immortelle

Je croyais naïvement qu'on n'utilisait plus guère la Méthode Rose, ni les Czerny (avant un niveau plus avancé du moins). Mais le Hanon reste une valeur sûre des épreuves imposées aux jeunes pianistes.

Et pourtant, je disconviens, sinon de leur utilité, du moins de la pertinence de leur utilisation étendue.

Je vous propose donc un petit tour d'horizon des enjeux de cette pratique ancestrale cruelle.



2. Vers l'Idéal

Beaucoup de professeurs, et c'est un réflexe bien naturel, souhaitent tirer le meilleur de leurs élèves, et sont peut-être même attentifs à cultiver les dons des plus prometteurs. Il ne s'agit pas d'être insuffisamment rigoureux et de gâcher un futur génie : tout le monde doit bénéficier d'emblée du meilleur enseignement !

Dans ce cadre, si l'on veut des musiciens sérieux, oui, il faut pratiquer gammes ou vocalises (dont le statut est un peu moins dispensable, j'y reviendrai), pour parfaire le geste à l'infini. C'est entendu, et je ne le conteste pas. (Désolé, je ne vais pas non plus vous fournir le prétexte ultime pour ne jamais faire de gammes dans aucune situation, retournez à votre véritable clavier au lieu de me lire vous donner des excuses !)

Cependant, peu de musiciens se destinent finalement à la carrière ; en particulier ceux qui, comme mon compère fiancé – cachons-le sous le pseudonyme L.N. –, débutent tardivement et sous forme de cours particuliers hors cursus diplômant. Pour lui, quel est l'enjeu de subir le Déliateur et ses semblables ?



déliateur velde



3. L'intérêt pratique

Faire des gammes (ou des exercices), c'est évident mais il est toujours mieux de le rappeler, apporte deux bénéfices concrets.

a) En faisant travailler de façon systématisée des enchaînements, elle permet de développer une réponse musculaire égale, voire de renforcer certains doigtés naturellement faibles – il y a pléthore de ces choses-là pour renforcer l'annulaire, chez Hanon par exemple.

b) Les compositeurs utilisent, même indépendamment des traits virtuoses, des bouts de gamme (puisque ce sont les notes de base du langage égrenées les unes à la suite des autres, on en a toujours des portions qui affleurent) ou des arpèges (puisque ce sont les accords constitutifs de l'harmonie, qui permettent de créer une sorte de « tapis » sonore), et en connaître les doigtés en amont permet de gagner du temps lorsqu'on étudie, déchiffre ou travaille un morceau.

D'accord. Donc les gammes servent à être plus solide digitalement. Et c'est maintenant que je vais tout casser.



4. Superfétatoires

Je commence par l'évidence : beaucoup de pianistes amateurs apprennent un nombre de réduit de morceaux, et de difficulté limitée. Pour eux, quel est l'intérêt de consacrer leur temps d'apprentissage à systématiser des réflexes dont ils n'auront pas l'usage ?

    → Si c'est pour jouer des balades de Tiersen ou accompagner des cantiques, aucun trait digital complet n'est requis, préparer du Hanon est une perte de temps.
    → Si c'est pour jouer deux morceaux par an, le temps d'apprentissage est si étendu sur chaque pièce qu'on a tout à fait le temps d'étudier individuellement chaque bout de gamme présent, chaque faiblesse des doigts : travailler ça de façon systématisée dans les douze tons est absolument hors de proportion pour le but recherché, ce serait comme travailler La Campanella avant de jouer Au clair de la lune avec un seul doigt.
    → Si c'est pour se faire plaisir, pourquoi dépenser ce rare temps de loisir en exercices rébarbatifs – qui n'ont aucune, mais alors vraiment aucune valeur musicale.

Ce temps limité serait beaucoup plus pertinent utilisé dans des morceaux qui fassent plaisir, et si la perfection ou la représentation en concert n'est pas l'objectif, pourquoi s'astreindre à ce type de préparation punitive, qui n'a de sens que pour former l'élite ?

Ceci pose aussi la question du rapport à la perfection dans le classique, que je trouve souvent assez malsain – on apprend l'inhibition plutôt que le lâcher prise, le respect tremblant de la lettre plutôt que l'abandon à la musique – ce qui rend chez beaucoup insurmontable de pratiquer à plusieurs ou de participer à une pièce musicale non écrite. Je dis dans le classique, mais c'est peut-être plutôt dans le classique en France, tant les points communs sont puissants avec les langues étrangères, où l'on apprend à maîtriser la grammaire des question tags avant que d'arriver à demander une baguette de pain pas trop molle, rendant impossible la communication à moins de la perfection, et suscitant sans doute cette forme de nonchalance vis-à-vis des étrangers : on se refuse à parler une langue si l'on n'est pas sûr de son accent et de sa grammaire.



hanon virtuose



5. Et si le pianiste était un humain ?

Encore plus sottement pratique, sans doute, cet aspect : enseigner un instrument par l'application de protocoles méthodiques et exhaustifs néglige un aspect essentiel… la psychologie.

Oui, dans l'absolu, pour tout bien jouer, il est utile de connaître parfaitement chaque constituant récurrent dans les morceaux, afin de mutualiser l'effort en amont des œuvres qu'on joue, et de minimiser le travail sur chaque œuvre prise individuellement. C'est vrai.

Mais les pianistes – en tout cas les amateurs qui n'ont pas que ça à faire de leurs journées d'oisifs inutiles à la société à parfaire des ploums-ploums en appuyant sur des morceaux d'éléphants assassinés – peuvent aussi légitimement objecter que cela rend le tarif d'entrée très élevé pour jouer des choses parfois assez simples. Et cette méthode repousse l'accès au plaisir, quand elle ne l'interdit pas tout simplement.

Car en plus de prendre sur le temps de plaisir – quand on commence le piano à l'âge mûr, le but est-il vraiment de faire des gammes parfaites pour pouvoir jouer les concertos de Liszt à Carnegie Hall ? –, cette pratique sous-entend que le but de la pratique est la perfection. Or, n'étant pas atteignable pour l'amateur dilettante, elle le plonge dans une sorte de relation coupable avec son instrument, « je ne pratique pas assez », « mon morceau n'est pas propre ».

Autant je veux bien concevoir que pour les professionnels, mal jouer un morceau, c'est grave (encore que certains semblent très bien vivre avec ça…), autant pour un honnête homme qui veut simplement accéder pour soi-même aux plaisirs de la musique, faire entrer cette relation de perfection impossible et de culpabilité permanente me paraît franchement contre-productive. Non seulement cela prend du temps sur celui dévolu au plaisir lui-même, mais de surcroît la démarche elle-même sous-entend que le but tend vers la perfection – pourtant inaccessible quand on ne pratique qu'occasionnellement.



6. Les autres approches

Dernier élément avant de proposer quelques conseils et de suivre quelques autres pistes.

L'approche « fais tes gammes d'abord », outre qu'elle me paraît assez infantilisante – reléguant la sensibilité et l'intuition au rang de coquetteries, ou de préoccupations pour grandes personnes – occulte toute une part de ce qu'est la pratique musicale.

Elle est légitime pour ceux qui souhaitent un bon niveau en instrument (et encore, j'apporterai peut-être plus loin quelques nuances à cela), mais pour tous ceux qui ont d'autres objectifs que l'excellence technique, elle fait perdre du temps sur d'autres aspects aussi importants – plus importants, même, à mon gré.

¶ Le déchiffrage. Si l'on est absorbé sur les histoires de doigts, on travaille moins de nouvelles choses puisqu'on refait tout le temps les mêmes exercices. C'est pourquoi beaucoup d'amateurs classiques connaissent cinq morceaux par cœur qu'ils jouent en boucle et mettent des semaines à monter une nouvelle pièce. C'est dommage, il y aurait (pour certains d'entre eux, tout dépend des tempéraments et des buts de chacun) plus de plaisir à tirer en découvrant au clavier les morceaux qu'ils ont dans l'oreille ou à découvrir de nouvelles choses qu'à rester enfermés dans leur tout petit univers, et à se pétrifier devant toute nouvelle partition.
Évidemment, pour le déchiffrage, je tiendrai le même discours (et plus encore : je ne vois pas du tout à quoi ça sert) que pour les gammes, je ne vois pas l'intérêt de faire ça avec des méthodes systématiques, on peut simplement lire régulièrement de vrais morceaux.

¶ L'improvisation. Bien sûr, connaître des formules digitales toutes faites est d'une grande aide, mais au lieu de s'obséder sur la perfection et l'égalité de son Déliateur, on peut tout aussi bien travailler le lâcher prise et l'exploitation de l'imagination, où l'imprécision et l'erreur sont admises. C'est une autre discipline, largement aussi légitime, et probablement plus plaisante pour les amateurs qui ne pourront jamais jouer aussi bien que leurs modèles, mais pourraient inventer des univers sonores qui leur soient propres…

¶ Et, tout simplement, le travail technique ciblé sur le morceau qu'on travaille. Est-il vraiment nécessaire de bosser la gamme d'ut dièse majeur quand l'essentiel des œuvres qu'on joue auront au maximum cinq altérations à la clef ?), ou même celle de sol s'il se trouve qu'on travaille pendant un an seulement des œuvres bémolisées ?  S'il y a tel bout de gamme, on peut l'étudier dans le cadre de la partition.



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Première étude d'après Chopin de Godowsky (avec deux fois plus de traits difficiles, simultanément), par Hamelin.



7. Corollaires

Il ne faut pas tirer de ces remarques l'idées que les gammes et exercices sont mauvais en soi. En revanche, j'avouerai que les enseigner en préalable à toute pratique relève peut-être, à mes yeux, de la tradition paresseuse. (Chers professeurs et chers musiciens, pour toutes insultes, vous pouvez écrire à davidlemarrec chez online point fr, je les lirai avec tendresse et intérêt.)

Je trouve plus intéressant, s'agissant d'une pratique de loisir (chose mal admise en général, y compris chez les mélomanes), de s'interroger sur les désirs de l'élève. S'il veut avoir la fierté de monter des morceaux robustes, alors les gammes ne paraissent pas hors de propos – du moins s'il a suffisamment de temps à y consacrer pour que cela ne dévore pas son temps de jeu sur la musique proprement dite.
Même dans ce cas, à la vérité, je ne vois pas forcément la plus-value de ces exercices ennuyeux, mais il est vrai qu'on peut toujours les pratiquer en lisant le journant ou regardant la télé, comme du vélo d'appartement. On peut très bien travailler la technique localement : pour que le Hanon ait de l'intérêt, il faut vraiment avoir l'ambition de jouer des notes bien égales, et en faire suffisamment pour que cela porte ses fruits !

Si le but est plutôt de jouer des musiques qu'on aime, de découvrir des choses en farfouillant dans des partitions, de faire de la musique avec des amis, d'improviser… alors je ne vois pas du tout l'intérêt de la chose. C'est un peu comme le réflexe de frapper les petits enfants : on l'a fait pendant des siècles et ça a très bien marché, mais on se rend compte que ce n'est pas du tout indispensable, et qu'on le faisait surtout parce que c'était commode pour ceux qui enseignaient plutôt que pour ceux qui apprenaient. (Oui, parfaitement, je compare la Méthode Rose au martinet, pour ne pas dire au silice – parce que je pense que pour partie, ce mode d'apprentissage relève du réflexe transmis plutôt que de la nécessité impérieuse. Ça marche, je ne le nie pas, mais on pourrait faire aussi bien avec considérablement moins d'efforts superflus.)
L'enseignement musical français a d'ailleurs la réputation d'être particulièrement peu intuitif et très formel – les Hongrois font aussi des gammes, assurément, mais l'approche est aussi beaucoup plus complète et sensible, d'une certaine façon.



8. Cas particuliers

J'ai beaucoup parlé du piano, puisque c'était l'instrument choisi par mon camarade fiancé. Le travail systématisé m'y paraît particulièrement peu pertinent pour les élèves qui n'ont pas de projet professionnel musical, pour toutes les raisons évoquées.

Pour les instruments à cordes, où la corne aux doigts est nécessaire et où l'écart entre les notes doit être appris (n'étant pas déjà préparé avec des touches fixes), ou bien pour les vents, où les muscles de la bouche, la pression labiale doivent être apprivoisés, faire des exercices me paraît moins incongru. Cependant ma réflexion générale sur la primauté des gammes reste valable : elle me paraît souvent démesurée et hors de rapport avec les objectifs de l'étudiant.

Pour les chanteurs, les vocalises sont encore plus nécessaires, puisque l'instrument doit être chauffé pour marcher. Mais il y a, là encore, une différence entre chauffer une voix pendant un quart d'heure, et faire une demi-heure d'exercices purs. Par ailleurs, en travaillant ainsi, on déconnecte l'instrument du texte, on uniformise les voyelles… ça permet d'obtenir du bon legato, mais là encore, pour un chanteur occasionnel, travailler avec pour entrée le naturel et la saveur du texte ne me paraît pas totalement incongru. Aucun professeur n'enseigne ce type d'approche non systématisée, donc je ne sais pas si cela marche – mais lorsqu'il m'est arrivé de coacher des chanteurs avec ce type d'approche, j'y ai en tout cas constaté des évolutions très encourageantes. [Je ne peux pas, faute de recul suffisant, savoir si cela procède] d'une impression personnelle sans fondement, de mon charisme personnel ravageur ou vraiment de l'approche que j'ai choisie…]

Dans le même esprit, énormément d'amateurs en chant se limitent à « ce qui est bon pour ma voix », ce qui a beaucoup de sens pour les professionnels – s'il faut assumer 70 soirs par an avec orchestre, autant que ce soit dans une tessiture confortable et pas avec des prérequis de puissance gigantesques –, mais absolument aucun pour les amateurs. Pour commencer, si vous chantez avec piano, que vous chantez du Wagner ou du Mozart, ça ne change rien… il ne faut pas forcer, mais si vous chantez « dans votre voix », vous pouvez très bien interpréter Brünnhilde avec votre voix de soprano léger sans vous faire mal. Par ailleurs, en tant qu'amateur, vous chantez peu en principe, donc si vous faites 20 minutes d'Elektra une fois par semaine, vous ne risquez vraiment rien (à condition encore une fois de ne jamais forcer, de s'arrêter si ça fait mal, de ne pas imiter les grosses voix, etc.).
Je crois qu'il est simple de comprendre que si les professeurs et les professionnels y font attention, c'est que préparer une production avec plusieurs semaines de répétition, suivie d'une série de représentations où il faut chanter tout le rôle d'une traite (et même si on est en méforme), par-dessus un orchestre de 200 musiciens, en répétant de très nombreuses fois les mêmes phrases éprouvantes, oui, c'est dangereux pour la voix. Avec un piano une fois par semaine, honnêtement vous chantez ce que vous voulez, faites-vous plaisir. [Je peux en témoigner dans ma chair : chanter l'Immolation de Brünnhilde, même pour un homme, c'est difficile parce que Wagner écrit n'importe comment pour la voix, mais avec accompagnement de piano, aucune fatigue vocale particulière.]

Et pourtant ce tabou demeure extrêmement puissant – à la vérité je connais peu de chanteurs amateurs qui osent chanter régulièrement hors de la zone définie par leur prof, alors même qu'ils n'ont aucune, mais alors aucune ambition de carrière, ni même parfois d'entrer dans des ensembles amateurs ou de donner des petits récitals… Là encore, on raisonne comme si la perfection était un préalable pour avoir le droit de faire de la musique.

Je ne dis pas que chacun doive faire ainsi, mais si vous avez envie de jouer mal des chefs-d'œuvre et de chanter dans une voix qui n'est pas la vôtre des rôles pour lesquels on ne vous embaucherait jamais… qui vous retient ? 

Tout cela permet de dresser la démarche gammes comme, à mon sens, extrêmement partielle et inutilement cohérente : il existe d'autres voix moins pénibles pour les amateurs, suivant leurs désirs. Comme simplement s'exercer sur leurs morceaux plutôt que sur des études digitales dénuées d'intérêt, et dont le bénéfice, à l'intensité de leur pratique, reste douteux.



salomé



9. Autobiographie

Après avoir dit tout cela, je suppose qu'il est loyal que j'indique d'où je parle.

Je ne proviens pas d'une famille de musiciens. Je n'avais tellement pas les codes qu'en arrivant au conservatoire (d'où je fus bientôt retiré), on me fit très vite comprendre, à cinq ans, que je n'avais pas d'oreille et que je ferais mieux de trouver d'autres centres d'intérêt que la musique. J'ai continué hors du conservatoire, mais cela situe simplement que j'ai pu observer tout cela avec l'œil du candide – d'où, peut-être, le fait qu'il n'y a pas pour moi de bonne façon de pratiquer la musique, seulement des désirs personnels qui varient selon les individus.

En pratiquant le piano, puis l'orgue, j'ai toujours refusé de pratiquer les exercices systématisés (le Hanon, me concernant) dont je ne voyais pas l'intérêt. Mon objectif n'était pas la virtuosité, je voulais plutôt – cela n'étonnera personne – essayer moi-même les œuvres que j'aimais, et plus tard découvrir celles qui n'étaient pas enregistrées. Passer du temps à parfaire mes réflexes digitaux était retranché au temps de ma pratique de découverte, je n'en voyais pas l'intérêt.

Le fait intéressant est que l'absence d'exercices méthodiques n'est pas un obstacle insurmontable, puisque, assez jeune, on m'a proposé la titularisation à la tribune d'une cathédrale d'une grande ville de France – comme quoi il était possible de jouer correctement sans passer par la Méthode Rose. J'ai décliné pour exercer mon métier actuel, qui m'amuse infiniment plus que le travail de précision nécessaire pour être un bon instrumentiste professionnel. Mais cela appuie mon propos sur le caractère pas si incontournable que cela des gammes ; ce qui est irremplaçable en revanche, c'est le travail, on ne peut pas y échapper si on veut bien jouer. Que cette préparation se fasse avec des exercices systématiques, c'est commode si l'on veut progresser en vue de concours (ce n'était pas mon cas, proposition faire de gré à gré, sans doute une des dernières tribunes proposées de cette façon…), parce que cela permet de travailler tout de suite les aspects critiques, mais ce n'est pas forcément à ce point la base de tout – et ne devrait pas l'être pour ceux des amateurs qui n'ont pas un projet d'excellence.

Ma pratique musicale s'est donc plutôt portée sur le déchiffrage – j'improvise hélas médiocrement, même si la pratique du continuo m'améliore doucettement sur ce point –, si bien que je peux lire à vue (avec beaucoup de fautes) à peu près n'importe quoi. Il m'est arrivé de jouer (à peu près sans erreur) en première lecture du Dutilleux (simple) ou du Messiaen. En revanche, comme je n'ai pas bossé mes gammes, je joue mal. Donc je peux jouer du Wagner à vue, je n'ai pas de pudeur avec ça, si l'on passe les fausses notes, les rythmes fantaisistes, les harmonies inexactes. Cela fait de moi un mauvais musicien, assurément, parce que je refuse de passer de mon temps de loisir sur cette Terre à des contraintes rébarbatives. Mais cela répond aussi parfaitement à mes attentes : je ne veux pas faire de concerts, je veux juste pouvoir accompagner des chanteurs, faire de la musique avec mes amis, découvrir des partitions non enregistrées – en cela, mon travail répond très exactement à mes objectifs, et je me sens ainsi très à l'aise dans mon rapport avec la musique.

Un jour, dans un conservatoire parisien, un raccord avant le concert… le pianiste était introuvable, la soprane était stressée de ne pas pouvoir retenter quelque chose qu'elle avait essayé à son dernier cours. Y a-t-il un pianiste dans la salle, etc., je me dévoue en prévenant que ça vaudrait ce que ça vaudrait, et en première lecture, j'ai vaguement accompagné, avec des fautes évidemment, un air de Bizet que je n'avais jamais lu. Ça a rendu service, c'était une expérience très satisfaisante (et assez émouvante pour moi, de découvrir ainsi de façon tout à fait improvisée la partition de cet air que j'adore). Je sais très bien que le palier entre bidouiller ça et le jouer proprement en concert est immense pour moi, et me réclamerait des heures de pratique hebdomadaire supplémentaires, que je ne suis pas prêt à retirer de mes autres activités. Je ne fais qu'adapter ma pratique à mes objectifs – dans ce cadre, je ne vois pas trop à quoi le Hanon me servirait. Les gammes sont davantage utiles pour la lecture à vue, oui, dans la mesure où l'on en rencontre beaucoup et que les avoir dans les doigts évite de se vautrer à l'instant donné.

Si je prends le temps de partager cela, ce n'est pas pour me hausser du col : je suis un musicien de niveau médiocre, je ne m'en cache pas – et c'est parfois mal compris. Je n'ai pas de pudeur particulière à mal jouer, pour moi le plaisir est de mettre ses mains dans la mécanique, comme on désosserait un moteur sans savoir le remonter, juste pour observer sa constitution.

[Je me rends compte aussi, une fois écrit tout cela, que j'avais peut-être peur d'être accusé de vouloir saper l'enseignement musical parce que je n'y connais rien ou parce que je suis frustré, voire de me faire juger par ceux qui se disent « Le Marrec il ferait mieux de faire ses gammes plutôt que de recommander aux autres d'être aussi mauvais que lui ».]

Cependant ma position est souvent mal comprise : les mélomanes très occasionnels sont évidemment impressionnés (et manquent tout à fait la dimension désinvolte de l'exercice « oh mais tu joues Wagner tu es un grand musicien »), les musiciens sérieux voient parfois cela comme de la prétention. Le quiproquo me peine quelquefois lorsque c'est avec des amis qui sont meilleurs musiciens que moi : souvenir que les chanteurs voulaient faire Salomé ; et moi d'ouvrir la partition et de dire « oh, c'est tranquille, il y a une note à chaque main » – dans la réduction piano, il y a des moments où le nombre d'informations est finalement assez réduit, à ma grande surprise. Et là, je sens tout le monde assez gêné – parce qu'autour de moi, on considère probablement que cela réclamerait beaucoup de travail (sous-entendu, pour être bien fait). J'essaie bien d'expliciter à chaque fois, pourtant ; lorsque je dis « pas de problème, je le fais », c'est pour signifier que je suis capable de le jouer à mon standard (c'est-à-dire qu'on reconnaisse vaguement Salomé sans que ce soit forcément Salomé…) et que je suis prêt à essayer de les accompagner, pas pour décréter que « Strauss c'est fastoche » et encore moins que je suis un dieu du piano qui peut tout jouer. A fortiori pour ceux qui m'ont entendu et savent mon absence absolue de remords à mettre des pains partout lorsqu'on me lance un chef-d'œuvre sous les doigts. Peut-être est-ce perçu comme un jugement de valeur implicite – je prétends pouvoir jouer des choses que ceux qui jouent mieux que moi pensent ne pas pouvoir jouer ? (Donc sous-entendu que je suis le meilleur, alors qu'il est évident je ne suis pas bon, ce qui dévalorise tout le monde ?)

Je suppose que, justement, le statut central des exercices et de l'exactitude, dans l'apprentissage de la musique, conditionne cette perception. Le côté « je gratte trois accords sur ma guitare mais je vais jouer du prog underground » choque beaucoup moins dans des répertoires qui valorisent moins l'excellence que la convivialité.
En tout cas, je retire une véritable satisfaction en ayant creusé ces aspects qui m'intéressaient – plutôt que ceux que j'étais censé travailler comme élève. Aucune fierté, aucune honte : je joue tout, et ça donne ce que ça donne, voilà tout.

Jusqu'à présent, personne ne m'a convaincu d'arrêter Wagner – j'ai eu des réactions surprises quelquefois (sur le mode « ah oui, tu oses »), mais considérant que Wagner était un sale type qui ne mérite aucun respect, je ne vois vraiment aucune raison valable de m'abstenir si cela m'amuse.

Si je partage tout cela, d'une façon inhabituellement intime en ces pages, c'est pour essayer de situer la nature de ma prise de position : il ne s'agit pas de l'amertume de quelqu'un qui a souffert des exercices (j'ai tout simplement refusé de les faire quand ils me paraissaient superflus par rapport à mes objectifs) ; il ne s'agit pas non plus de l'avis éclairé d'un virtuose du piano qui aurait une méthode alternative d'excellence à proposer et des dizaines d'élèves célèbres à montrer en exemple. Pour autant cette opinion n'est pas seulement une vue de l'esprit de quelqu'un assis derrière sa pile de disques : il faut la voir comme un témoignage du fait que d'autres voies sont possibles. Et que, d'une façon générale, les élèves n'osent pas verbaliser leurs objectifs à leurs professeurs : si vous souhaitez découvrir un nouveau morceau chaque semaine plutôt que de faire des gammes ou chanter hors de votre tessiture, vous pouvez très bien vous mettre d'accord avec lui et laisser tomber la Méthode Rose ou les Vaccai. Libre au professeur d'accepter de se conformer à vos objectifs ou de décliner votre offre en considérant qu'il poursuit une forme d'idéal.

Si j'ai pris mon exemple personnel – je ne suis pas très à l'aise avec cela, mais je ne connais pas d'autres parcours du genre, puisque ceux qui ne font pas leur Hanon ne sont probablement pas devenus des virtuoses célèbres ! –, c'est que j'ai l'impression qu'un certain nombre de frustrations ou d'objectifs non atteints, chez les musiciens amateurs, sont liés à cette forme d'autocensure… on suit l'objectif du professeur, qui vous forme comme un pro, au lieu de formuler réellement ce dont on a besoin. (Les professeurs devraient aussi, à mon sens, s'en enquérir, mais à la vérité, si vous prenez des cours particuliers, tout est entre vos mains !)



salomé
L'un des nombreux passages du final de Salomé avec une note à chaque main.



10. Leçons de vie

À défaut de vous donner de bons conseils de piano, voici toujours cette grande leçon de vie : verbalisez vos besoins. Et ne laissez pas la tradition choisir à votre place comment vous devez faire les choses.

Les exercices, certains y prennent du plaisir ; d'autres y perçoivent des progrès qui leur facilite ensuite l'accès aux œuvres, foncez.

En revanche s'ils vous ennuient, s'ils vous détournent de votre piano, s'ils vous causent des crises de culpabilité parce que vous ne « travaillez pas assez »… dépenser de votre temps dans du Déliateur, ou même des gammes, n'est peut-être pas la bonne option. Il n'est pas illégitime d'avoir pour objectif de jouer des morceaux sans qu'ils soient en place, d'improviser plutôt que de respecter les partitions, en somme de faire de la musique sans excellence, pour le plaisir. Et il n'est pas indécent de le dire à son professeur, pour que vous travailliez dans le même sens au lieu d'essayer de lui dissimuler que vous n'avez « pas assez travaillé » – ce qui ne veut rien dire, le travail d'un amateur doit être corrélé à son plaisir et à ses objectifs, pas à la discipline de l'élève modèle en train de préparer les concours.

Évidemment, le seul moyen de progresser, c'est de pratiquer ; il est évident que si vous ne jouez pas, vous ne progresserez pas. En revanche vous pouvez pratiquer de bien des façons, et toutes ces façons sont légitimes.
La musique est censée nous procurer des satisfactions, pas des frustrations sans fin fondées sur des objectifs démesurés et dépourvus de sens.

N'ayez donc pas peur d'utiliser contre vos professeurs la gamme d'arguments que je mets à votre disposition… Vous pouvez lui laisser mon adresse pour les messages indignés.

Je suis évidemment ouvert à toutes les propositions déshonnêtes pour écrire d'excellents ouvrages de développement personnel : Pourquoi vous n'avez pas besoin de réviser pour les examens, Pourquoi vous avez le droit de laisser vos enfants pleurer, Pourquoi vous ne devez plus faire le ménage
(oui, je me suis quand même rendu compte que cette notule ressemblait à ça)



Estimés lecteurs, mélomanes contemplatifs ou praticiens assidus, portez-vous bien en attendant le prochain effondrement-de-la-civilisation (et autres règlements sur le burkini).

samedi 19 février 2022

Si les candidats étaient des personnages d'opéra…


http://operacritiques.free.fr/css/images/macron_syme.png

Inspiré par ce modèle cartographique réjouissant, je me livre à cette petite évocation : les candidats 2022 comme personnages d'opéra.



Arthaud : Berthe (Meyerbeer, Le Prophète).
Gentille villageoise qui bascule en mode super-vénère et finit par tout brûler, son fiancé, sa belle-mère, le prêcheurs et la ville.
[[]]
(Margherita Rinaldi)

Poutou : Masetto (Mozart, Don Giovanni).
Assez énervé contre les puissants. A tout prévu pour reprendre ce qui appartient au petit peuple – mousquet, pistolet…
[[]]
(Piero Cappuccilli)

Mélenchon : Carlo Gérard (Giordano, Andrea Chénier).
Nostalgique des tribunaux révolutionnaires. Rapport ambigu à la justice. Doit dire des choses intéressantes, mais crie surtout très fort.
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(Renato Bruson)

Roussel : Semyon (Prokofiev, Semyon Kotko).
Gentil citoyen du rang, pas trop progressiste, un peu victime de l'air du temps.
[[]]
(Victor Lutsiuk)

Hidalgo : die Gänsenmagd / la Gardeuse d'oies (Humperdinck, Königskinder).
A l'habitude de marcher dans le caca lorsqu'elle revient du travail. En l'état des sondages, seul un Prince généreux pourrait l'élever au rang de souveraine.
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(Helen Donath)

Taubira : Zerbinette (R. Strauss, Ariadne auf Naxos).
Débarque sur un bout de caillou déjà surpeuplé. Dérange tout le monde qui était déjà installé. Repart avant la fin. Fait beaucoup de bruit quand elle s'exprime, mais personne n'est trop sûr de ce qu'elle raconte ni de ce qu'elle veut faire au juste de tous ces mots.
[[]]
(Hilde Güden)

Jadot : Antonio (Mozart, Le Nozze di Figaro).
Vous aurez beau parler du mariage de sa nièce, des forfaitures du Comte, de l'expansion russe ou du pouvoir d'achat, il en reviendra toujours à l'état de ses géraniums piétinés.
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(Philippe Sly)

Macron : Syme (Maazel, 1984).
Parle trop. Invente des nouveaux mots. Finit toujours par vous embrouiller lorsque vous voulez discuter, et par gagner.
(Syme est celui qui travaille au dictionnaire de novlangue.)
[[]]
(Lawrence Brownlee)

Pécresse : Maria-Amelia (Verdi, Simone Boccanegra).
Cherche à complaire aux hommes de pouvoir autour d'elle, ménage ses loyautés, et finit par ne plus avoir la place de parler.
[[]]
(Barbara Frittoli)


Lassalle : Somarone (Berlioz, Béatrice & Bénédict).
D'un orgueil absolument sans mesure avec son talent, il semble toujours saoul comme un cochon lorsqu'il cherche à produire des phrases.
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(Gabriel Bacquier)

Asselineau : Henri III (Chabrier, Le Roi malgré lui).
Issu des gouvernants, mais lutte contre le pouvoir. S'il n'y a pas de complot contre lui, il en créera avec beaucoup de bonne volonté !
[[]]
(Bernard Demigny)

Le Pen : Jeanne (Honegger, Jeanne d'Arc au Bûcher).
Veut sauver la France, mais trahie de toutes parts, ça sent de plus en plus le roussi.
[[]]
(Sylvie Rohrer)

Zemmour : Bégearss (Corigliano, The Ghosts of Versailles).
Prospère sur la discorde qu'il crée et semble aussi immortel que cauteleux et difforme.
« Coupez-le en deux, chaque moitié revit. Tranchez-le en morceaux, il demeure, il rampe toujours, escalade les murs, il est pure volonté, creuse le sable brûlant – vive le ver ! »
[[]]
(Brenton Ryan)



(Bien sûr, Ciotti aurait été Spoletta, il a tellement la voix, le physique et les inflexions du rôle – je ne peux jamais le prendre au sérieux, j'entends toujours le personnage de fiction lorsqu'il parle, le pauvre !)

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En plus de vous avoir (peut-être) amusés, j'espère vous avoir incité à réentendre ces petits bijoux, pour vous tirer de la déprime pré-électorale !

dimanche 6 février 2022

Le défi 2022 des nouveautés – saison IV, épisode 1 – baroque autrichien, préromantiques danois, concertos surprenants et anniversaires…


lattès

Nouvelle saison !

Devant la quantité d'enregistrements écoutés, et sur lesquels j'écris pour moi-même, je m'interroge toujours sur le format pour les partager au mieux. Je sais que certains camarades ou lecteurs de passage aiment avoir un avis sur les nouveautés, ou des idées d'écoutes – et j'aime assez l'idée qu'au bout de quelques années, on puisse trouver, en cherchant sur le site, beaucoup d'éléments croisés sur beaucoup plus de compositeurs que les entrées habituelles, avec un nom par publication, ne me laisseront jamais aborder sérieusement.

Hélas, mettre en forme mes brouillons prend beaucoup de temps sur mes autres travaux pour CSS, et je cherche, depuis que j'ai débuté ce défi, un moyen de conjuguer la mise à disposition un minimum utilisable et attractive de ces notes… avec un temps raisonnable à y consacrer.

J'ai donc changé, pour cette année, mes notes qui étaient organisées en tableau difficilement exportable sur une page web, au profit d'un format brut qu'il suffit de mettre en couleur et de coller dans une notule. À voir à l'usage (pour vous, ce ne devrait visuellement pas changer grand'chose).



Cycles

Beaucoup de symphonies romantiques germaniques (Loewe, Gade…), un grand cycle danois (Kunzen, Kuhlau, Dupuy, Gade, Heise, Hamerik, Langgaard), un autre consacré à Grétry, beaucoup de Karg-Elert et un gros arrêt sur Kienzl, ce mois-ci. Mais aussi les chorals et le quatuor de Franck, les concertos pour violon de Röntgen, le baroque autrichien et tant d'autres petites choses à explorer.

Énorme coup de cœur en découvrant l'ensemble Ars Antiqua Austria et sa discographie consacrée au baroque et au classicisme autrichiens, avec une vitalité qui m'a immédiatement conquis, alors que la musique instrumentale baroque n'est a priori pas la matrice de mes plus grands frissons.

Et bien sûr ce qu'il faut pour préparer les notules anniversaires (Davaux, Dupuy, Graener, Alfvén, Perosi… mais ça ne réclame pas de se forcer beaucoup !).

J'ai aussi poursuivi à réécouter en boucle le motet Astra Cœli de Jean-Noël Hamal, en découvrant sans cesse de nouveaux détails qui concourent à l'exaltation ressentie à l'écoute. (Écriture orchestrale très précisément pensée pour mettre en valeur, sans y paraître, la tension de la ligne vocale.)



lattès


La légende

Pour gagner du temps, j'ai changé ma légende (au profit de symboles présents par défaut sur un clavier).

Je ne saurais insister assez, à nouveau, sur le fait qu'il ne s'agit en rien d'une note, ni même d'une évaluation de qualité des enregistrements. Ce sont simplement des repères, pour moi d'abord et pour mes lecteurs qui le souhaitent ensuite, pour guider vers ce qui doit être écouté ou réécouté en priorité. Ce sont des indications sur mon ressenti, mes émotions : il y a certains enregistrements techniquement hasardeux que je vais apprécier, et d'autres impeccables qui vont me laisser totalement froid, tout cela étant évidemment pondéré par mon tropisme personnel pour les œuvres jouées, la rareté de la proposition, l'humeur du moment, voire (pour ceux qui y croient) le matériel de reproduction sonore…

Comme mes repères globaux à trois niveaux n'étaient pas toujours parlants pour moi-même (œuvre fabuleuse mais interprétation terne, œuvre terne mais interprétation qui l'exalte…), j'ai conservé les repères à trois niveaux mais les ai répartis entre œuvre et interprétation.

Ce qui donne des symboles, en fin de titre, de ce type : !/+++ **.

! : Très bonnes œuvres.
!! : Œuvres fabuleuses.
!!! : Va changer votre vie.

+ : Très bonne interprétation.
++ : Interprétation particulièrement remarquable.
+++ : Va bouleverser vos perceptions.

* : Très bon disque, à écouter !
** : Disque formidable, à écouter d'urgence !
*** : Vous n'entendrez plus la musique de la même façon.

Il peut exister une décorrélation entre mon ressenti sur l'œuvre / l'interprétation et celui sur le disque en général, ce n'est pas forcément une erreur. Ce peut notamment être tempéré par l'offre discographique : une symphonie de Beethoven (à !!! sur l'œuvre, donc) avec une interprétation à ++, vu l'offre pléthorique, peut très bien avoir une opinion de * sur le disque.

Comme d'habitude, le fait même d'avoir une « récompense » signifie que je recommande le disque. Si je ne suis pas très touché, je mets un « . », ce qui ne veut pas dire que ce soit mauvais, mais que je ne vois pas de plus-value majeure à écouter l'œuvre, l'interprétation ou le disque en question. (Encore une fois, avis purement personnel, je peux tout à fait me tromper, ou simplement ne pas avoir les mêmes attentes que d'autres mélomanes tout aussi valeureux.)  Il existe quantité de disques parfaits, mais je réserve les « *** » pour ceux qui me paraissent changer notre perception, régler la question d'une discographie, faire découvrir un pan du répertoire génial et inexploré, etc. Sinon la plupart seraient à !!!/+++ *** et on ne serait pas très aidé pour choisir ses écoutes.

Si vraiment j'ai trouvé quelque chose de raté (le son sature tout le temps, les interprètes jouent faux, le disque inclut du Philip Glass), je mets ¤ (¤¤, ça n'arrive jamais, il faudrait vraiment que ce soit honteux comme une symphonie de Philip Glass).

En rouge, les nouveautés du mois. En gras, les disques que je recommande tout particulièrement.

Si jamais j'ai omis d'ôter les « ° », ce sont mes repères pour les disques que j'écoute pour la première fois ou pour les nouveautés.

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.




lattès
(Oui, vous aurez remarqué que ce n'est pas le mois des jolies-pochettes.)




La liste


OPÉRAS FRANÇAIS

Grétry – Céphale & Procris – van Waas (Ricercar) !!!/+++ ***

Grétry – L'Amant jaloux – Celeste Lazarenko, Alexandra Oomens, Jessica Aszodi, Ed Lyon, Andrew Goodwin, David Greco ; Pinchgut Opera, Melissa Farrow (Pinchgut Opera) !!/+ **
→ Compagnie sise à Sydney, qui fait du très beau travail, dont témoigne cette seule version CD de L'Amant jaloux depuis l'antique version Doneux avec Mesplé (disque qui ne rend pas du tout justice à l'écriture orchestrale et au rythme de la comédie, et discutable y compris sur le plan du chant).
→ Ici, les accents ne sont pas parfait, les voix féminines assez opaques et moches, mais l'orchestre dispose du style approprié (ainsi qu'Ed Lyon, bien sûr !), et le rythme tournoyant du drame est pleinement là, ainsi que toutes les beautés instrumentales disposées par Grétry.

Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Wåhlberg (Aparté 2019) !!!/+++ ***

Grétry – Guillaume Tell – Opéra Royal de Wallonie, Scimone (Musiques en Wallonie) !!/++ **

Méhul – Uthal – Deshayes, Beuron, Bou ; Les Talens Lyriques, Rousset (Singulares) !!/+++ **

Spontini – Olimpie – Rhorer !/++ **

Hérold – Le Pré aux clercs – Gulbenkian SO, McCreesh !!/+ *

Halévy – La Reine de Chypre – Gens, Dubois, Dupuy ; OCP, Niquet (Singulares) !!/+++ **

F. David – Herculanum – Gens, Deshayes, Montvidas, Courjal (Singulares) !!/+++ **

F. David – Christophe Colomb – Santon, Behr ; Les Siècles, Roth (Singulares) !!/+++ **

Gounod – Le Tribut de Zamora – Holloway, Montvidas, Christoyannis (Singulares) !!/+++ **

Offenbach – La Vie parisienne (version restituée de 1866) – Christian Lacroix ; Devos, Buendia, Briand, Huchet, Mauillon, Leguérinel ; Musiciens du Louvre, Romain Dumas (Arte Concert 2022) !/++ *
→ La (première) mise en scène de Lacroix est peu élégante et peu lisible. Distribution remarquable, mais qui n'est pas dans son meilleur jour : Buendia, Briand, Huchet étrangement en retrait de leurs fulgurances habituelles ; mais Devos et Leguérinel brûlent les planches et chantent remarquablement, tout de même !  Et l'œuvre, malgré le rehaussement supposé par ces numéros perdus et restitués pour la spremière fois, reste tout de même enserrée dans ses trépidations un peu primaires et son livret à la fois peu lisible et peu profond.
→ Mais dans le cadre de ce qu'est La Vie parisienne, une version qui vaut la peine, en particulier pour la qualité des textures et de l'engagement des Musiciens du Louvre !

Massenet – Le Mage (acte I) – Hunold, Aldrich, Lombardo ./+ .

Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Les Siècles, Roth (Bru Zane) !!/+++ **

Debussy – Pelléas & Mélisande – Santoni, Behr, Duhamel, Teitgen ; Les Siècles, Roth (HM 2022) !!!/+++ ***
→ Très convaincu par la lecture orchestrale totalement renouvelée grâce aux instruments anciens, et à la science de gérer individuellement chaque pupitre par Roth. Très belle distribution également, Santoni très « vocale » mais au cordeau, Behr qui n'a jamais été aussi éloquent qu'ici (sans l'impression d'effort articulatoire énorme qui prévaut d'ordinaire chez lui). Un peu moins enthousiasmé par Duhamel, incarnation très homogène, uniment sombre, émission assez en arrière qui le limite dans ses éclats aigus ; mais le timbre reste très beau et l'artiste généreux.
→ Sur les représentations avec Santoni, Teitgen, Les Siècles, j'avais dit quelques mots ici :  https://twitter.com/carnetsol/status/1448542505704755200 .

Hahn – Ô mon bel inconnu – Gens, Dubruque, Dolié ; O Avignon-Provence, (Bru Zane) !/+ *

Lattès – Le Diable à Paris – Tassou, Dubroca, Frivolités Parisiennes (B Records 2021) !!!/+++ ***
→ Quelle merveille, farcie de tubes (essayez le compactage incroyable de moments de caractère dans le final de l'acte I), et interprétée absolument idéalement par des interprètes qui écoutent de couvrir leur voix comme des chanteurs d'opéra (tout en en ayant toute la robustesse !), et font vivre tous les frémissements de ce livret absolument loufoque. (Le Diable, convoqué par deux cheminots en mal de beauté ou d'argent, accepte de rendre les âmes contre un séjour à Paris pour échapper à sa femme.)
→ Nouveauté de l'année dernière dont j'avais déjà fait un autre petit commentaire, déjà très enthousiaste.

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OPÉRAS ITALIENS

(Pierantonio) TASCA –  A Santa Lucia – Derilova, Kapfhammer, Marschall, Paulsen, Wade ; Dessau Anhalt Theater Chorus, Dessau Anhalt Philharmonic, Markus L. Frank (CPO 2022) !!/+ **
→ Dans le goût sonore de Cavalleria Rusticana, une autre histoire terrible de jalousie féminine et d'hommes inconséquents, mais avec davantage de richesse dans la musique, même si la couleur en est très proche. Chanté avec des techniques qui ne sont pas au niveau de ce que nous ont laissé les générations précédentes, avec un italien très international et des voix parfois hululantes (le ténor est quand même très bon), ce reste une expérience réellement intéressante.

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OPÉRAS ALLEMANDS

Loewe – Die drei Wünsche – Klepper, (Jonas) Kaufmann, Hawlata, SWR Stuttgart, Peter Falk (Capriccio 1998) !!/++ **

Abert – Ekkehardt – Kaufmann, Gerhaher (Capriccio) !!/++ **

Kienzl – Der Evangelimann – Donath, Wenkel, Jerusalem, R. Herrmann, Moll ; Radio de Munich, Zagrosek (Warner) !!!/+++ ***
→ Écouté cinq fois ce mois-ci, quelle bien belle œuvre aux élans irrésistibles !  (et servie ici superlativement)

Kienzl – Don Quixote – Mohr (CPO) !!/++ **

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OPÉRAS ANGLAIS

Haendel – Semele – Labin, Skerath, Blondeel, Savinoya, Zazzo, Newlin, (Andreas) Wolf ; Chœur de Chambre de Namur, Millenium Orchestra, García Alarcón (Ricercar 2022) ./+ .
→ Une distribution qui promettait (en particulier Blondeel, Zazzo et A. Wolf), mais malgré l'animation sans reproche de García Alarcón, je trouve l'œuvre toujours assez pâle, et les émissions plutôt blanches et flasques des chanteuses n'aident pas à soutenir l'intérêt. En concert, avec la différenciation visuelle des attitudes physiques, ce devait bien fonctionner, mais disque, tout paraît un peu étale et égal, manquant de l'invention et des couleurs ordinairement dispensées par Alarcón… (Il se met à enregistrer des choses célèbres, rien ne va plus !)

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OPÉRAS SCANDINAVES

Kunzen – Holger Danske – Bonde-Hansen, Rørholm, Elming ; Schønwandt (Dacapo) !!!/++ ***
→ Déjà commenté dans de précédents épisodes, une sorte de Flûte enchantée romantisante en danois, partition assez exceptionnelle.
→ Bissé.

Dupuy – Ungdom Og Galskab (Youth and Folly) – Elming, Cold ; Collegium Musicum Copenhagen, Schønwandt (Dacapo 1997) !!!/+++ ***
→ x5.

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OPÉRAS RUSSES

Moussorgski – Sorochinskaya yarmarka (Sorochintsi Fair) (completed by V. Shebalin) – Ljubljana Opera, Hubad  (Naxos Historical, 1955, réédition ) !!/++ **

Moussorgski – Sorochinskaya yarmarka (Sorochintsi Fair) (completed by V. Shebalin) – Guennadi Troitzki, Antonina Kleschova, Ludmila Belobraguina , Alexei Ousamanov, Iouri Elnikov, Alexander Poliakov, Sergei Troukatchev  ; Choeurs De La Radio De L'U.R.S.S., Orchestre De La Radio De L'U.R.S.S., Yuri Aranovich (vinyle de 1969)
→ Version vraiment empesée...

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RÉCITALS D'OPÉRA

LULLY, Desmarest, Charpentier… – « Passion » – Gens, Les Surprises, Bestion de Camboulas (Alpha 2021) !!!/+++ ***
→ Déjà présenté précédemment. L'air-chaconne d'Astérie dans Circé de Desmarest, petite merveille.

A. Scarlatti, Haendel, Vivaldi, Sorro, Caldara – « A Baroque Tenor : Arias for Annibale Fabbri » – Marco Angioloni, Ensemble Il Groviglio, Stéphane Fuget (Pan classics 2022) !!/+ *
→ Concept habituel de l'album autour d'un interprète historique, ici « Balino ». Beau choix d'airs, vraiment prenants, et inhabituel pour célébrer un ténor dans le seria pré-1750, où ce sont rarement des tessitures mises en valeur.
→ L'accompagnement est remarquablement, plein d'esprit et de vivacité, mais une certaine interrogation concernant le soliste : la voix est belle, mais incomplètement formée (elle sonne encore en partie « parlée »), ainsi que nombre d'excellents étudiants qui doivent encore mûrir. Je m'interroge donc un peu sur la pertinence de graver ceci avec lui ou à ce moment de sa carrière : le disque, lui, ne va pas mûrir, et on est mis un peu mal à l'aise, par moment, par le timbre partiellement formé.

Mozart – airs de Lucio Silla, Mitridate et des Da Ponte « Mozart x 3 » – Elsa Dreisig, Basel KO, Langrée (Erato 2022) !!!/+++ **
→ Programme absolument pas original, mais réalisé avec une qualité de moelleux vocal, de coloration et d'expression tout à fait remarquables. (Voyez en particulier la façon expressive dont Dreisig mixe voix et de tête et de poitrine en descendant dans les médiums !)

Carafa – « Ah! Fermate … Raoul! … Perche non chiusi », acte II de Gabriella di Vergy – Yvonne Kenny, Doghan ; Geoffrey Mitchell Choir, Philharmonia Orchestra, David Parry (Opera Rara) !/+ *
Voir ici.

° Carafa – « Quell'aspetto … quegl'accenti ! », acte III de Gabriella di Vergy – Matteuzzi, B. Ford ; Academy of St. Martin in the Fields, David Parry (Opera rara) !/. *
Voir ici.

Carafa – « L'amica encor non torna » dans Le Nozze di Lammermoor – DiDonato Opéra de Lyon, Minasi (Virgin 2014) !/+ *
Voir ici.
 
Gade – extrait Elverskud (Elf-King's Daughter), Op. 30 – Lauritz Melchior, Studio orchestra (Danacord, publication 1987)
→ Bissé (parce qu'il ne m'en restait rien !).

Youmans, Beydts, Lattès, Hahn, Messager, Yvain, Caryll, Berger, Fourdrain, LeBoy, Hope Temple, Haydn Wood – « Tea for Two » – Decouture, Brocard, Frivol'Ensemble (Naxos 2018) !/. .
→ Deux chanteurs que j'aime beaucoup en concert, mais pour un récital au disque, cela s'avère manquer un peu de brillant. Les arrangements de Michard pour ensemble de chambre sont délicieux.

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Graham Clark, Met (vidéodiffusion de la production) !!!/++ ***

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Robert Brubaker, LA Opera, Conlon (DVD Bridge ?) !!!/++ **

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Brenton Ryan, Jalisco PO, Plácido Domingo (vidéodiffusion d'Operalia, Guadalajara 2016) !!!/+++ ***

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Tenor Adrian Dwyer, Kelvin Lim au piano (YT, Londres 2017) !!!/+ **

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MUSIQUES DE SCÈNE

Biber – Karneval in Kremsier – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Pan Classics) !/++ *

Édouard Dupuy – Overture to «Youth and Folly» – Swiss Orchestra, Lena-Lisa Wüstendörfer (YT, capté en 2019 à la Tonhalle de Zürich) !!/+ **
https://www.youtube.com/watch?v=UkIfYOeQy4M

ADAM, A.: Jolie Fille de Gand (La) [Ballet] (Queensland Symphony, Mogrelia) (Naxos 2022) ./. .
→ Œuvre assez peu exaltante, vraiment du ploum-ploum bas de plafond pour jarrets ; et par l'orchestre jamais très beau du Queensland, la double peine d'une certaine façon.

Kuhlau & Gade (Elverhøj), Mikel (Les Lanciers), Lange-Müller – « DER ER ET YNDIGT LAND » – Inger Dam-Jensen, Poul Elming, Johannes Soe Hansen, Michael Kristensen ; Radiosymfonikerna du Danemark,  Schønwandt (Dacapo 2007) ./+ .
→ Beaucoup de danses légères dans cette anthologie, qui comporte l'intérêt d'inclure des extraits d'opéras qui ne sont pas disponibles au disque, comme la Petite Christine de Gade (chantée par Elming !) ou Il était une fois de Lange-Müller.

Thrane, Udbye, Haarklou, Ole Olsen, Apestrand, Elling, Borgstrøm, Eggen – « Ouvertures d'opéras norvégiens » – Opéra National de Norvège, Ingar Bergby (LAWO 2021) !!/+ **
→ Écume d'un patrimoine enfoui où se révèlent de véritables personnalités mélodiques et dramatiques (toutes sont de style romantique) – et enfin une seconde version de l'ouverture de Thora på Rimol, le chef-d'œuvre tétanisant de Borgstrøm !
→ Que ne rejoue-t-on cela sur les scènes de Norvège, puis partout ailleurs, fût-ce en traduction ! !!/++

TCHAIKOVSKY, P.I.: Snow Maiden (The) (Snegurochka) (Erasova, Archipov, Vassiliev, Russian State Chorus and Orchestra, Chistiakov) (Brilliant Classics, réédition sous licence 2018) !/++ *
→ Belle version incarnée et plutôt typée, d'une œuvre dans l'ensemble joliment décorative – mais les tourbillons de l'entracte du II restent franchement impressionnant !

Mussorgski – Extraits de La foire de Sorotchinski & La Khovanchtchina – Philharmonia Orchestra, Walter Susskind (réédition BNF)

ALFVEN, H.: Midsummer Vigil / Den forlorade sonen / Bergakungen / Festspel (Alfven, Westerberg) (1954-1957) (Swedish Society)
→ Direction pleine d'humour des danses du Fils prodigue par Alfvén lui-même !

 Lopez, Pitrès – Il était un petit navire, ballet pantomime – Orchestre Robert Lopez (BNF)
→ Musique de scène où la chanson est reprise à l'orchestre en mineur tourmenté !
→ En dématérialisé seulement : https://www.deezer.com/fr/album/13057310 .

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CANTATES PROFANES

Haendel – Apollo e Dafne, Armida Abbandonata – Kathryn Lewek, John Chest, Il Pomo d'Oro, Francesco Corti (PentaTone 2022) !/+ *
→ Armide fonctionne vraiment très bien, et l'accompagnement d'Il Pomo toujours aussi électrisant !  Vocalement, les voix (même John Chest que je trouve pourtant remarquable en salle !) sonnent un peu larges et amollies par rapport à la finesse des lignes écrites, mais tout le mondde tient très bien son rang.

Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 – Mullerova, Adlerová, Voraček, Chadima ; Prague Mixed Choir, South Bohemia Chamber PO, Jiří Petrdlík (Arcodiva) !!/. .
→ Des bouts de Fidelio (notamment la fin du II – hautbois amoureux et réjouissance). Chœur amateur à la technique vraiment sommaire (et pas toujours juste). Vu qu'il y a un peu de choix, autant éviter celle-ci.

Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 – Matthews, Mumford, Banks, Foster-Williams ; SFSO & Ch, Michael Tilson Thomas (SFSO) !!/+ *
→ Très bien.

Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 – Margiono, Verebely, (Ulrike) Helzel, (Clemens) Bieber, Shimell ; Deutsche Oper, Thielemann (DGG) !!/++ **
→ Contre toute attente, la version la plus vivante, d'assez loin. Shimell est particulièrement charismatique dans son grand récit.

Beethoven – Cantata on the accession of Emperor Leopold II – Ch. Schäfer, C. Bieber, von Halem ; Deutsche Oper, Thielemann (DGG) !/+ *

Gade – Erlkönigs Tochter – Junker, Weisser, Danish National Vocal Ensemble, Concerto Copenhagen, Mortensen (Dacapo 2018) !!!/+++ ***

Gade – Elverskud – Elmark, Dolberg, Paevatalu, Tivoli Concert Choir, Tivoli SO, Schønwandt (Dacapo) !!!/+ **

Gade – Elverskud, Échos d'Ossian, 5 mélodies – E. Johansson, Gjevang, Elming ; Danish NRSO, Kitayenko (Chandos) !!!/++ **

Gade – Korsfarerne (Les Croisés) – Rørholm, Westi, Cold ; Canzone Choir, The Camera Choir, Choir 72, Aarhus Music Students Chamber Choir, Aarhus SO, Frans Rasmussen (BIS 1990) !/+ *

Gade – Baldurs drøm, Fruhlings-Botschaft – Rørholm, Elming, Høyer ; Canzone Choir, Helsingborg SO, Rasmussen (Dacapo) !!/++ **

Bliss – Mary of Magdala + Meditations on a Theme by John Blow – Dame Sarah Connolly, James Platt ; BBC Symphony Chorus BBC Symphony Orchestra, Sir Andrew Davis (Chandos) ./+ .

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A CAPPELLA PROFANE

Alfvén – « Choral and Vocal Music » – Orphei Drängar, Robert Sund (BIS 1993) !/+ *
Voir ici.

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SACRÉ

Machaut – Messe de Notre-Dame – Organum, Pérès ./++ *
→ À la corse en effet…

(Manuel) Cardoso – Complete Masses, Vol. 1 – Choir Of The Carmelite Priory London, Simon Lloyd (Toccata Classics 2022) !!!/++ ***
→ Petit bijou de polyphonie Renaissance, particulièrement éloquent.

Pfleger – Sacred Cantatas (cantates latines) – Manfred Cordes (CPO) !!/++ **

Jeremiah Clarke : Ode on the Death of Henry Purcell / Purcell : Music for the Funeral of Queen Mary, Welcome to All the Pleasures… – album « Son of England » – Watson, Tamagna, Thompson, Buffière ; Les Cris de Paris, Le Poème Harmonique, Dumestre (Alpha 2017) !!/+++ **
→ La cantate de Clarke est une merveille de contrepoint souple et éloquent, très touchante !

Lalande – Dies iræ, Miserere, Veni Creator – Ensemble Correspondances, Daucé (HM 2022) !! / ++ **
→ Je n'ai pas vérifié les solistes. À l'oreille, je dirais Weynants, Richardot et Collardelle ?
→ Dommage, alors qu'il reste autant de motets inédits de Lalande, de réenregistrer toujours les mêmes – pas forcément les meilleurs au demeurant, témoin Jubilate Deo omnis terra, enregistré seulement sur un antique disque Erato avec la Grande Écurie dirigée par Colléaux, indisponible depuis des lustres alors que c'est une tuerie de bout en bout !
→ Une fois cette frustration exprimée, on ne peut que reconnaître les qualités de Daucé ici : il privilégie comme toujours la couleur et le climat de recueillement à la rhétorique verbale et au mouvement de danse. Je m'en plains quelquefois (ce n'est pas mon inclination), mais c'est ici superbement réalisé et très adéquat. Parmi les plus belles versions qu'on ait de ces motets, et le Veni Creator, qu'on entend moins souvent, est une petite merveille. On apprécie aussi ces solistes qui ne cherchent pas la singularité appuyée dans le timbre ou l'expression (sauf Richardot évidemment, mais elle se coule dans l'esprit général), comme s'ils faisaient un pas hors du chœur (ce qui est le cas, en réalité, même s'ils ont une carrière de soliste, ils chantent aussi leur partie chorale), ce qui procure une atmosphère d'humilité assez touchante.

Ramhaufski, Hochreither – « Festive Masses for Lambach Abbey » – St. Florianer Sängerknaben, Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Accent) !!/. *
→ Beaux contrepoints lents doublés aux sacqueboutes, même s'il faut supporter les petits braillards à l'autrichienne, pas les plus confortables à écouter !
→ Interprétation un peu discontinue (des 'blancs' entre les blocs orchestraux) et pas très dynamique, un peu déçu d'AAA ici !

Aumann – Requiem – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Pan Classics 2011) !/++ *

Jean-Noël HAMAL – Motets – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie 2021) !!!/+++ ***
→ (En particulier « Ah! si langet cor » et surtout l'architube coloraturé et tuilé « Miles fortis ».)
→ x10.

Beethoven – Messe en ut – M. Marshall, Wulkopf, Dallapozza ; Radio Bavaroise, Wand (1982, édité par Hänssler Profil en 2007) !!/++ **
→ Seconde version disponible par Wand (il en existe aussi une autre, plus ancienne, de la Radio de Cologne).
→ Concert qui n'est pas le plus gracieux ou le plus précis, mais porté par une force souterraine impressionnante.
 
Beethoven – Messe en ut – Audrey Michael, Bizineche, M. Schäfer, Michel Brodard ; Gulbenkian de Lisbonne, Corboz (Erato, réédition 2006) !!/++ **
→ Toujours cette belle ferveur propre à Corboz, qui emporte l'auditeur.

Beethoven – Messe en ut – Palmer, Watts, Tear, Keyte ; St. John's College Choir Cambridge, Academy of St. Martin in the Fields Orchestra, George Guest (Decca) !!/+ *
→ Petits braillards inclus, effet très étrange.

Beethoven – Messe en ut – Margiono, C. Robbin, Kendall, Miles ; ORR, Gardiner (Archiv, réédition 2015) !!/++ *
→ Hélas prise de son un peu lointaine et bouchée, qui limite le plaisir des instruments anciens.

Beethoven – Messe en ut – van Kampen, Danz, K. Lewis, Michel Brodard – Stuttgart Gächinger Kantorei, Stuttgart Bach Collegium, Rilling (Hänssler) !!/++ *
Toujours très bien mené, beau discours, un peu lisse peut-être par rapport à la réussite absolue de son Christ au Mont des Oliviers (ou de ses oratorios de Mendelssohn).

Loewe – Die Auferweckung des Lazarus – Eva Kirchner, Kammerloher, WDR, Froschauer (Capriccio 1997) !/. *
→ Plus opératique (dans le goût de Genoveva de Schumann), mais difficile de juger de ses qualités dans cette exécution assez molle – très bien chantée en revanche.
→ Couplé avec des chœurs a cappella intéressants, mais là un peu trop mollement exécutés pour pouvoir disposer d'un avis éclairé.

Loewe – Das Sühnopfer des neuen Bundes (Oratorio de la Passion) – Mauch, Malotta, Poplutz, A. Burkhart ;  Arcis-Vocalisten Munich, L'Arpa Festante, Thomas Gropper (Oehms 2019) !!/+++ ***
→ En réalité une Passion, où l'on retrouve toutes les caractéristiques du genre :  Évangéliste en récitatifs, chorals, chœurs d'action, airs solos (très brefs ici), on entend très bien la parenté avec Bach (et les oratorios de Mendelssohn).
→ Très bien écrit dans l'ensemble, beau romantisme apaisé, avec une veine mélodique régulièrement inspirée. On peut aussi relever quelques fulgurances, comme le chœur de libération « Nicht dieser, sonder Barabban ! » ou l'air d'alto « Ach seht, der allen wohlgethan », où l'empreinte du meilleur Bach (chœurs d'action de la Saint-Jean, Es ist vollbracht…) se fait vraiment sentir, mais transcrit dans l'univers sonore de Mendelssohn.
→ Exécution formidable : sur instruments anciens, une couleur de cordes incroyable (l'impression d'une grande lyre à archet…), particulièrement vivant et habité dans son texte (très intelligible), ses situations, ses formules musicales.
→ Bissé.

F. David – Le Jugement Dernier / 6 Motets religieux – Ch Radio Flamande, Brussels PO, Niquet (Singulares) !/+++ *

Moniuszko – « Sacred Choral Music » : Messe en la, motets – Musica Sacra Warsaw-Praga Cathedral Choir, Łukaszewski (DUX) !/+ *

Perosi – La risurrezione di Lazzaro (+ Il gran sasso d'Italia)    – Gavarini, Popescu, Puddu, Camastra, Guidotti ; I Polifonici, Nuova Cameristica di Milano, Sacchetti (Bongiovanni) !/. *

Perosi – La Strage degli Innocenti – Fons Amoris Coro, Carlo Coccia Symphony, Sacchetti (Bongiovanni) !/+ *

Alfvén – Herrans bön (The Lord's Prayer), Op. 15 – Iwa Sörenson, Brigitta Svendén, Christer Solen, Rolf Leanderson ; Stockholm Motet Choir, Storkyrkans Kor, Norrköping SO, Gustaf Sjokvist (Bluebell 1989) !/. *
→ Sorte de vaste motet de 45 minutes.

Paray – Messe pour les 500 ans de la mort de Jeanne d'Arc (Mercury) !/++ *
→ Bissé.

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SYMPHONIES FRANÇAISES

F. David – Symphonie n°3, poèmes symphoniques – Brussels PO, Niquet !/++ *

MESSAGER, A.: Symphony in A major / FAURÉ, G.: Allegro symphonique / FRANCK, C.: Symphonic Variations (Ferey, Orchestre Symphonique du Mans, Gendille) (Skarbo 2001) !!/++ **

Saint-Saëns – Symphonie n°3 – Dupré, Detroit SO, Paray (Mercury) !!!/++ ***
→ Mainte fois.

Saint-Saëns – Symphonie n°3 – Latry, ONF Măcelaru (Erato 2021) !!/+++ **

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AUTRES SYMPHONIES ROMANES

Perosi – Orchestral Music (Suite Venezia) – Bellasi, F. Pavone, Nuova Cameristica di Milano, Orchestra Sinfonica Stabile di Alba, A. Sacchetti (Bongiovanni) !!/. **
→ Très belles œuvres instrumentales, calmes et raffinées, plus subtiles que ses oratorios davantage tournés vers une expression épurée de la foi.
→ Bissé.

Martinucci – Symphonie n°2 en fa – Philharmonia, d'Avalos

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SYMPHONIES GERMANIQUES

Aufschnaiter – Dulcis Fidium Harmonia: symphoniis ecclesiasticis concinnata - opus 4 M. DCC. III – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana 2019) !!!/+++ ***
→ Musique instrumentale jubilatoire, et jouée avec un allant irrésistible !

Haydn – « Haydn 2032, Vol.11 : Au goût parisien » Symphonies 2,24,82,87 – Kammerorchester Basel, Giovanni Antonini (Alpha 2022) !!/+++ ***
→ Oh les doublures de flûtes très grétrystes !  Très vivant et coloré, et la 24 est un délice méconnu !  Vivement recommandé.

Beethoven – Symphonies 6,7,8,9 – Le Concert des Nations, Jordi Savall (Alia Vox 2022) !!!/+++ ***
→ Du même niveau que le premier volume. Peut-être rien de très singulier ou surprenant, mais tout est porté à un tel niveau que c'est possiblement l'interprétation discographique la plus constante en termes de qualité superlative…
→ À distinguer en particulier : la précision et le timbre insolent des cordes (qui résonnent comme si tout était joué sur des cordes à vide, en particulier impressionnant dans les accords !), et le timbalier en furie (mais très musical, comme s'il jouait des thèmes).
→ J'apprécie aussi que malgré son caractère « musicologique » très affirmé, Savall ne cherche pas à remporter les records de vitesse façon Currentzis (ou, en concert, Rousset) : le final de la 7 est pris à un tempo qui permet d'entendre les volutes de cordes, la tension des progressions harmoniques du développement, les allègements poétiques du spectre… et ne se contente pas de faire sonner les accents de trompettes à chaque mesure (si l'on va trop près du tempo indiqué par Beethoven, c'est fatalement ce qui se produit).
→ Un vrai talent aussi, dans le détail, pour faire vraiment sonner les spécificités de texture et de couleur de chaque moment, Beethoven fait beaucoup alterner les masses, et Savall rend ces contrastes avec beaucoup de précision et de poésie.

Schubert – Fierrabras & Symphonie restituée – Venzago (2022) !/++ *
→ Pas une révélation, en particulier la symphonie restituée. Je n'ai pas encore lu les notes d'intention de Venzago pour voir si elles sont aussi fantaisistes de que sa narration fantasmagorique de la véritable Inachevée qui aurait été complète (il y a une notule sur le sujet…). Bonne exécution sinon, mais Venzago a fait mieux – dans l'Inachevée notamment !

Loewe – Symphonie n°1 en ré mineur – Philharmonie de Lorraine, Jacques Houtmann (UMG / DGG) !!/+ **

Gade – Symphonie n°3, Échos d'Ossian – Danish National, Hogwood (Chandos) (!!/++) **

Gade – Symphonies n°2 & 8, In the Highlands – Danish National, Hogwood (Chandos) (!/++) *

Mendelssohn, Meeresstille und glückliche Fahrt / Bruckner, Symphonie n°6 – MDR Leipzig, Rögner (Genuin, publication 2022) !!/+++ ***
→ Couplé avec l'Inachevée, la Pastorale et les Variations Mozart de Reger (tout cela me tente moins). Prise de son incroyable, on retrouve les qualités de fluidité, de clarté et de tension de Rögner, mais magnifiée par les timbres à la fois précis et typés de la Radio de Leipzig, et servie par une prise de son d'une vérité incroyable.

Brahms – Concerto pour violon, Symphonie n°1 – Degand, Cercle de l'Harmonie, Rhorer (NoMadMusic 2021) !!!/+++ ***
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et de musicalité. Versions majeures, et très différentes.

Mahler – Symphonie n°9 – Oslo PO, Jansons (Simax) !!!/++ **

Alfvén – Orchestral Music (Alfven Conducts Alfven 1932-1952) : Cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, Symphonies 3 & 4 – Royal Stockholm Philharmonic, Alfvén (Phono Suecia 1997) !!!/+++ ***
→ Versions par Alfvén lui-même, splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère direct, net et emporté à la fois.
→ Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra !  Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des références folkloriques dans la Troisième, avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu dans ses propres œuvres !  Quant à la Quatrième, très cursive (on croirait qu'il dirige Don Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la participation de la jeune… Birgit Nilsson !
→ Trissé.

Graener – Comedietta – Staatskapelle Berlin, Abendroth (Jube Classics) !!/++ **
Voir ici.

Graener – Œuvres orchestrales, vol.2 : Symphonie en ré mineur, Échos du royaume de Pan, Variations Prinz Eugen – Radiophilharmonie de Hanovre, W.A. Albert (CPO) !!!/+++ ***
Voir ici.
→ Bissé.
→ Prinz Eugen 7 fois.

Graener – Œuvres orchestrales, vol.3 : Comedietta, Variations sur un chant russe – Alun Francis (CPO) !!/++ **
Voir ici.

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SYMPHONIES DES ÎLES BRITANNIQUES

(William) Wordsworth – Symphonie n°7 (Orchestral Music, Vol. 4) – Liepaja SO (Toccata Classics 2022) ./+ .
→ Rien relevé de particulièrement remarquable lors de cette (première) écoute. Il faudrait réeessayer naturellement.

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SYMPHONIES SLAVES

(Moritz) Moszkowski – Orchestral Works, Vol. 3 – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics 2022) !/++ *
→ Moins exaltant que les deux précédents volumes (que je recommande vivement aux amateurs de romantisme paisible).

Mosolov – Symphony No. 5 & Harp Concerto – Taylor Ann Fleshman, Moscou SO, Arthur Arnold (Naxos 2020) !!/++ **
→ Un délice tout particulier que ce concerto pour harpe très étrange, qui échappe totalement à l'esprit habituel de dialogue et de virtuosité apparente des concertos. J'y reviens souvent.

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SYMPHONIES NORD-AMÉRICAINES

Bernstein – Symphonie n°1 – Arctic PO, Ch. Lindberg (BIS)

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SYMPHONIES SUD-AMÉRICAINES

(Aurelio) Barrios y Morales – « Anthology of His Symphonies » – Orquesta Sinfónica de Coyoacán Nueva Era A.C., Rodrigo Elorduy (Sterling 2022) !!/++ **
→ Petite merveille d'un romantisme doux (et mexicain, mais absolument aucune couleur locale ici).
→ Bissé.

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 1 'O Imprevisto' and 2 'Ascenção' (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos 2017) !!/+ *
→ Quadrissé.

VILLA-LOBOS, H.: Symphonie No. 2 – SWR Stuttgart, St. Clair (CPO 2000) !!/+ *

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 3 'War' and 4 'Victory' (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos) !/+ *

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 6 & 7 (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos) ./+ .

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 8,9,11 (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos 2017) ./+ .

VILLA-LOBOS, H.: Symphonie No. 10 (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos) !!/+ .

VILLA-LOBOS, H.: Symphonie No. 10 – SWR Stuttgart, St. Clair (CPO 2000) !!/+ *

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AUTRES SYMPHONIES

Saygun – Symphonies 1 & 2 – Rheinland-Pfalz State Philharmonic Orchestra, Rasilainen (CPO) ./.  .
→ Toujours aussi peu discursif, vaste, errant, plat.

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POÈMES SYMPHONIQUES

Gade – « King Frederik IX Conducts the Danish National Radio Symphony » : Échos d'Ossian (Dacapo publication 2000)
→ Manque absolu d'entrain, ressemble à une marche militaire empesée, en fait de mystères battus par le vent des Hébrides…

Gade – Échos d'Ossian – Rheinland-Pfalz State Philharmonic Orchestra, Ole Schmidt (CPO 1995)
→ Sonneries très lentes, et équilibres de l'orchestre pas très beaux (ni timbres), mais beaucoup de vie dans les épisodes intermédiaires.

Gade – Échos d'Ossian – National de la Radio Danoise, Hogwood (Chandos) !!!/+++ ***

Arensky – Variations on a Theme of Tchaikovsky, Op. 35a (pour orchestre à cordes) – Moscow Symphony Orchestra, Kerry Stratton (Dorian Sono Luminus) ./. .

Dukas, L'apprenti Sorcier / Tchaïkovski, Casse-Noisette / Bach-Stokowski, Toccata & Fugue en rém – Bernard Herrmann (Decca) !/+ *

Novák – Toman et la Nymphe des bois – Hrůša (Supraphon) **

Novák – Nikotina – Brno PO, Jílek (Supraphon) !!!/++ ***

Ravel – La Valse, Le Tombeau de Couperin, Alborada del Gracioso, Une Barque sur l'Océan… – Stockholm RPO, Oramo (BIS 2022) !/+ *
→ Prise et jeu très clairs, mais je n'y trouve pas la plus-value spectaculaire des couleurs d'Oramo dans Elgar, Nielsen ou Sibelius, sans doute parce que Ravel est suffisamment précisément orchestré pour ne changer qu'à la marge d'une interprétation à l'autre.

Kienzl - Symphonic Variations on the Strassburglied (Zu Strassburg auf der Schanz) from the opera Der Kuhreigen op.109a (1925? pub. 1934) - Stuttgart Radio-sinfonieorchester,  Fritz Mareczek (archive YT)
→ Trissé.

Mantovani – Time Stretch – TM+, Cuniot (æon)

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CONCERTOS

Radolt – Concertos pour luth viennois – Hubert Hoffman, Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics 2008) !!/++ **

Telemann, Platti, Vivaldi & Geminiani – « Concerti all'arrabbiata » – Freiburger Barockorchester, Gottfried von der Goltz (Aparté 2011) ./. .
→ Écouté devant l'enthousiasme d'un compère ici présent, je n'ai à la vérité, comme je le redouté, pas perçu de différence notable avec les autres disques de ce genre : il y a même plus coloré, plus typé, plus virtuose… (Mais il faut dire que les Freiburger d'aujourd'hui, en particulier avec Goltz, me paraissent toujours assez lisses et léchés, pas vraiment ce que j'ai envie d'entendre dans des œuvres qui ne débordent déjà pas de surprises.)

Graupner – Ouvertures et Concertos pour chalumeaux – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics) !/++ *

Dittersdorf – Harp Concerto in A Major – Andrea Vigh, Budapest Strings, Béla Bánfalvi !!/. .

Haendel, Boïeldieu – Concertos pour harpe – Marisa Robles, ASMF, Iona Brown (Decca) !!/. *

Haendel, Dittersdorf, Boïeldieu – Concertos pour harpe – Claudia Antonelli, Innsbrucker KO, Hans Ludwig Hirsch (Arts 2012) !!/+ **

Davaux – Symphonie concertante mêlée d'airs patriotiques – Concerto Köln (Capriccio 1989) !!/+++ **

Davaux – Symphonie concertante mêlée d'airs patriotiques – Le Concert de la Loge Olympique, Chauvin (Aparté) !!/++ **

Dupuy – Concerto pour flûte n°1 – Collegium Musicum Copenhagen, Schønwandt (Dacapo 1997) !!/+++ **
→ Quadrissé.

Dupuy – Concerto pour basson en la mineur – Christian Davidsson ; Sundsvall ChbO, Niklas Willén !/++ *

Dupuy – Concerto pour basson en ut mineur – Sambeek ; Orchestre du Sud des Pays-Bas, Spering (YT) !!!/++ **

Dupuy – Concerto pour basson en ut mineur – Sambeek ; Suède ChbO, Ogrintchouk (BIS 2019) !!!/+++ ***

Bernhard Romberg – Concerto pour flûte en si mineur, Quintette pour flûte et cordes  – John Wion */. .
→ Interprétation à l'ancienne.

Bernhard Romberg – Concertos pour violoncelle 2 & 6, Rondo capriccioso – Raphael Wallfisch, London Mozart Pleyers, (CPO 2022) !/+ *
→ Le meilleur de Romberg est à chercher dans ses duos et surtout dans ses symphonies. Ses concertos, vaillamment gravés les un après les autres par CPO, restent de jolies pièces de virtuosité un peu galante.

Bernhard & Andreas Romberg – Ouverture Mendoza (A.), Ouverture de concert (B.), Violin Concerto No. 3, Cello Concerto No. 2 – Yury Revich, Lionel Cottet, Hofer Symphoniker, Luca Bizzozero
→ Comme toujours, Bernhard deux crans au-dessus.

Brahms – Concerto pour violon, Symphonie n°1 – Degand, Cercle de l'Harmonie, Rhorer (NoMadMusic 2021) !!!/+++ ***
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et de musicalité. Versions majeures, et très différentes.

Brahms – Concerto pour piano n°2 – Magaloff, Den Haag, Otterloo (VOX)
→ Déçu, très figé, assez lent, véritables césures entre les phrases, comme si tout le monde se découvrait le jour même de l'enregistrement. J'attendais mieux de cet équipage qui n'a produit que des merveilles !

Brahms – Piano Concertos 1 & 2 – Garrick Ohlsson, Melbourne Symphony Orchestra, Tadaaki Otaka (ABC Classics / MSO Live 2013) !!!/++ *

Röntgen, Amanda Maier, Brahms – Concertos pour violon – Cecilia Zilliacus ; Malmö Symphony Orchestra, Västerås Sinfonietta, Kristiina Poska (dB Productions 2022) !!/++ **
→ Maier est nettement plus marquante dans le beau romantisme simple de ses œuvres de chambre qu'ici. Le concerto en fa dièse mineur de (son mari) Röntgen, dont c'est la seule gravure que je connaisse (il existe un autre très beau concerto, en la mineur, chez Centaur).

Röntgen, Hubay, Chausson – Concertos pour violon : en lam, n°3, poème – Ragin Wenk-Wolf (Centaur 2006) !!!/++ ***
→ Le concerto de Röntgen est en particulier une merveille de caractère, qui vaut bien les grands standards connus. Comme pour ses sonates avec violon, Röntgen se distingue particulièrement avec cet instrument (alors que les concertos pour violoncelle ressemblent à Dvořák en moins exaltant, que les concertos pour piano et surtout les symphonies sont assez plats…).

Tchaikovski – Andante & Finale Op. 79 (arr. S. Taneyev for piano and orchestra) – Hoteev, Tchaikovsky Symphony, Fedoseyev (Hänssler réédition 2021) !/+ *
→ Final vraiment lent, qui ne lui fait pas gagner en légèreté. Sinon, bien sûr très articulé avec du grain, mais vraiment moins grisant que Glemser-Wit.

Tchaikovski – Troisième Concerto, Andante & Finale Op. 79 (arr. S. Taneyev for piano and orchestra) – Glemser, Polish National O Katowice, Wit (Naxos 1996) !!/++ ***
→ Bissé le concerto, trissé l'Op.79.

Boïeldieu, Saint-Saëns, Pierné, Renié – « French Concertos for Harp » – Xavier de Maistre !!/++ *

Sibelius, Stenhammar, Nielsen, Svendsen, (Daniel) Nelson – Romances & danses pour violon & orchestre – Zilliacus, Västerås Sinfonietta, Koivula (Intim Music 2004) !/++ *
→ Pas des chefs-d'œuvre, mais plaisir d'entendre le suraigu qui tinte chez Zilliacus, dans ce répertoire peu couru.

Bruch, Bloch, Ravel, Korngold – Kol Nidrei, From Jewish Life, 2 Mélodies hébraïques, Concerto en ut – Edar Moreau (Erato 2022) !!/+++ **
→ Grande version de Kol Nidrei !  Et réussites partout ailleurs, dont le rare concerto de Korngold. Décidément Moreau, après Offenbach-Gulda, nous offre du neuf de grand intérêt !
→ Bissé.

Mosolov – Symphony No. 5 & Harp Concerto – Taylor Ann Fleshman, Moscou SO, Arthur Arnold (Naxos 2020) !!/++ **
→ Un délice tout particulier que ce concerto pour harpe très étrange, qui échappe totalement à l'esprit habituel de dialogue et de virtuosité apparente des concertos. J'y reviens souvent.


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CHAMBRE : VENTS ET CORDES

Schubert – Octuor + Quartettsatz – Edding SQ, Northernlight (Phi) !/++ *
→ Sur instruments anciens (issus de l'Orchestre des Champs-Élysées, vu le label ?), très vivant et fluide.

Spohr, Beethoven – Nonette, Septuor – Linos Ensemble (Capriccio 1993) !/++ *

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QUINTETTES À CORDES

Gade – Chambre vol.4 : Quatuor en fam, Quintette à cordes en fam, Novelettes clar pia – MidtVest Ensemble (CPO 2019) (!/+++) *

Brahms – Quintette à cordes 1 – Budapest SQ (Sony)

Taneïev – Intégrale des Quintettes – Martinů SQ, Olga Vinokur (Supraphon) !!!/++

Schillings – Quatuor & Quintette à cordes – (CPO) (!!!/+++) ***

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QUINTETTES PIANO-CORDES

Arensky – Quatuors 1 & 2, Quintette piano – Ying SQ (Dorian Sono Luminus) !!!/++ ***
→ Le final du 2 est fondé sur le même thème russe qui sert au couronnement de Boris Godounov et au final du Septième Quatuor de Beethoven. L'intégration de la thématique populaire dans les formes sonates, variations et fugatos est vraiment réjouissante chez Arenski !

TANEYEV, S.I.: Piano Quintet, Op. 30 / Piano Quartet, Op. 20 (Yudina, Beethoven Quartet) (1953-1957) (RCD) !!!/+++ ***
→ Versions très engagée comme on pouvait s'y attendre. En particulier dans les mouvements lents (l'adagio du quatuor, avec ses contrastes volubiles, tétanisants…).

Taneïev – Intégrale des Quintettes – Martinů SQ (Supraphon) !!!/+++ ***
→ Très belle version intense, et quelles œuvres !  La marche obstinée et poétique du quintette avec piano, le premier mouvement foisonnant du quintette à deux violoncelles, l'adagio expansif très intense du quintette à deux altos… !

TANEYEV, S.I.: Chamber Music - Piano Quintet / Piano Quartet / Piano Trio (Zassimova, Breuninger, Krznaric, Heichelbech, Lörcher) (CPO) !!!/++ **
→ Version très allemande, un peu sage mais avec de beaux timbres équilibrées, et non dénuée d'intensité. Œuvres très marquantes (les mouvements lents sont absolument extraordinaires), très au-dessus des quatuors ou des symphonies, à mon sens.

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AUTRES QUINTETTES

Andreas Romberg – 3 Quintettes à flûte, violon, 2 altos, violoncelle – Ardinghello Ensemble (MDG) !/+ *

Dupuy – Quintette pour basson et cordes et la mineur « A Bassoon in Stockholm... » – Agrell (BIS 2016) !/+ *
→ Couplé avec du Berwald.

Baermann, Rejcha – Quintettes avec clarinette – Karl Schlechta, Maggini SQ (SWR Classics Archive, publication 2017) !!/+ **

Brahms – Quintette clarinette & cordes – Budapest SQ (Sony) !!!/++ *

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QUATUORS À CORDES

Haydn – Quatuors Op.1 n°1,2,3,4 – Kodály SQ (Naxos) !!/++ **
Haydn – Quatuors Op.1 n°5,6 + Op.2 n°1,2 – Kodály SQ (Naxos) !!/++ **
Haydn (ou Hoffstetter) – Quatuors Op.2 n°2,5 + Op.3 n°1,2 – Kodály SQ (Naxos) !!!/++ **
Haydn (ou Hoffstetter) – Quatuors Op.3 n°3,4,5,6 – Kodály SQ (Naxos) !!!/++ **

Haydn – Quatuors Op.20 n°5, Op.33 n°5, Op.54 n°2, Op.76 n°6, etc. – Hanson SQ (Aparté 2019) !!/++ **

Haydn – Quatuors Op. 76 n°1,2,3,4,5,6 – Takács SQ (Decca 2004) !!!/+++ ***
→ Bissé.

WOLFL, J.: String Quartets Op.4 1-3 (Authentic SQ) !/+ *

WOLFL, J.: String Quartets, Op. 4, No. 3, Op. 10, Nos. 1 and 4 (Quatuor Mosaiques) (Paladino Music) !/++ *

Beethoven – Quatuor n°8 – Takács SQ (Decca) !!!/++ **

Schubert – Intégrale des  quatuors à cordes – Quatuor Modigliani (Mirare 2022) !!!/+++ ***
→ Beaux sons boisés, élancés au point qu'on croirait presque entendre des vents ; très allant, quatuors de jeunesse traités avec beaucoup de sérieux et d'investissement.
→ Les 14 et 15 sont d'une insolence insensée. Seul le 13 m'a paru sensiblement en deçà des meilleures propositions de la discographie. Le reste saisit. Intensément.
→ Voilà une intégrale qui rejoint, dans un goût plus chaleureux et tendu, la pointe-de-diamant des Diogenes, la lumière exaltée des Leipziger, la netteté des Verdi, parmi les grandes intégrales qui prennent ce corpus au sérieux…
→ Prise de son fantastique, on entend merveilleusement le fondu mais aussi chaque voix très distinctement, ce qui est très rare, même assis au premier rang. Mirare a en outre fait le choix d'une réverbération ample et agréable, avec un petit côté cathédrale qu'on n'a jamais dans une salle de spectacle !
→ Bissé.

Schumann – Quatuors – Modigliani SQ !!/++ **

Gade – Chambre vol.4 : Quatuor en fam, Quintette à cordes en fam, Novelettes clar pia – MidtVest Ensemble (CPO 2019) (!/+++) *

Franck – Quatuor en ré – Danel SQ (CPO) !/+ *

Franck – Quatuor en ré – Petersen SQ (Phoenix) !/+ *

Franck – Quatuor en ré – Zaïde SQ (NoMadMusic) !/. .

Franck – Quatuor en ré – Ysaÿe SQ (Ysaÿe) !/. .

Brahms – Quatuors à cordes 1,2,3 – Budapest SQ (Sony)

Dvořák – Quatuor 8 – Panocha SQ (Supraphon) !!/. .
→ Un peu déçu par la petite placidité et le son pas très typé.

Dvořák – Quatuors 8 & 10 – Albion Quartet (Signum) !!/*
→ Beaucoup de douceur et de musicalité, très réussi.

Dvořák – Quatuors 8 & 11 – Vlach SQ Prague (Naxos) !!/++ **
→ Dans ce qui sont (avec le 9 et le 10) les meilleurs quatuors Dvořák (à mon gré), en tout cas ceux dont les développements soutiennent le mieux l'intérêt et surprennent suffisamment pour ne pas paraître laborieux, très belle surprise que d'entendre, sur un Naxos de cette période, la meilleure maîtrise instrumentale et le son le plus typé de ce rapide parcours discographique !

Arensky – Quatuors 1 & 2, Quintette piano – Ying SQ (Dorian Sono Luminus) !!!/++ ***
→ Le final du 2 est fondé sur le même thème russe qui sert au couronnement de Boris Godounov et au final du Septième Quatuor de Beethoven. L'intégration de la thématique populaire dans les formes sonates, variations et fugatos est vraiment réjouissante chez Arenski !

Perosi – Quatuors à cordes 1 à 3 – Ensemble L. Perosi (Bongiovanni) !!/. **
→ Ça ne joue pas tout à fait juste, et on sent que les musiciens manquent un peu de liberté technique, mais interprétations tout à fait honorables de ce très beau corpus postromantique, riche et bien écrit !

Schillings – Quatuor & Quintette à cordes – (CPO) (!!!/+++) ***

Ginastera n°1, Halffter Ocho Tientos, Bartók n°2 – « Terra » – Cuarteto Quiroga (Cobra Records 2017) !!!/+++ ***

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CHAMBRE : QUATUORS PIANO-CORDES

TANEYEV, S.I.: Piano Quintet, Op. 30 / Piano Quartet, Op. 20 (Yudina, Beethoven Quartet) (1953-1957) (RCD) !!!/+++ ***
→ Versions très engagée comme on pouvait s'y attendre. En particulier dans les mouvements lents (l'adagio du quatuor, avec ses contrastes volubiles, tétanisants…).

TANEYEV, S.I.: Chamber Music - Piano Quintet / Piano Quartet / Piano Trio (Zassimova, Breuninger, Krznaric, Heichelbech, Lörcher) (CPO) !!!/+ *
→ Version très allemande, un peu sage mais avec de beaux timbres équilibrées, et non dénuée d'intensité. Œuvres très marquantes (les mouvements lents sont absolument extraordinaires), très au-dessus des quatuors ou des symphonies, à mon sens.

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TRIOS AVEC PIANO

Beethoven, Ries, Punto, Danzi – « Horn and Piano: A Cor Basse Recital » – Teunis Van Der Zwart, Alexander Melnikov (2022) !!/+++ **
→ Délicieux, entraînant, en particulier Ries et Danzi, avec le pianoforte particulièrement savoureux de Melnikov… Les timbres naturels se fondent remarquablement.

Reinecke – Trios piano-cordes – Trio Hyperion (CPO 2022) !/+ *
→ Assez brahmsiens, en moins aventureux dans la forme et les rythmes (m'a-t-il semblé en première écoute et à l'oreille seule). Le Premier est très beau.
→ Inclut un arrangement pour trio du Triple concerto de Beethoven… on ne perd pas beaucoup en supprimant l'orchestre de toute façon, mais l'œuvre ne se révèle pas plus dense pour autant.

Reinecke – Trios pour clarinette, alto & piano, 3 Phantasiestücke pour alto & piano – Carol Robinson, Pierre Lénert, Jeff Cohen !/+ *

Ernest Moeran – Chamber Music – Fidelio Trio (Resonus Classics 2022) !!/++ **
→ Très belles pièces, très marquées par Fauré et le jeune Debussy pour le Trio, par le Debussy de maturité pour la sonate violon-piano.

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CHAMBRE : PETITS ENSEMBLES BAROQUES

Bertali – Prothimia Suavissima (Sonates à 3 ou 4) – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana) !!/++ **

Aumann – Chamber Music in the Abbey of St. Florian – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics 2022) !!/+++ ***
→ Du baroque viennois, assez différent de ce qu'on entend d'ordinaire, et tout à fait passionnant, dans une interprétation particulièrement vivifiante !

Biber – Sonatae Tam Aris Quam Aulis Servientes (Sonates à 5 ou 8) – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana) !/++ *

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CHAMBRE : TRIOS À CORDES

 Bernhard Romberg – Trio à cordes n°1 en mi mineur (1824) – par Christoph Dangel, Katya Polin, Stefan Preyer ./. .
→ Sur instruments d'époque.

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DUOS : FLÛTE-PIANO

Elfrida Andrée, Amanda Maier, Laura Netzel – « Breaking Waves - Flute Music by Swedish Women Composers » – Paula Gudmundson, Tracy Lipke-Perry (MSR Classics 2019) !!

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DUOS À CORDES

Polevá – Gulf Stream dans sa version alto-violoncelle – Катерина Супрун, Золтан Алмаши (YT 2012)
→ Mélange le Prélude de la Première Suite pour violoncelle de Bach avec l'Ave Maria de Gounod (prévu pour se fixer sur le Premier Prélude du Clavier bien tempéré), puis inverse les instruments (violoncelle en harmoniques pour faire l'aigu). Amusant et plaisant, mais la compositrice va autrement loin dans son quatuor piano-cordes paru l'an passé chez Naxos, et vanté ici même !

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DUOS : VIOLON-PIANO (ou continuo)

Pandolfi Mealli – Pandolfi Mealli: Sonate à violino solo (Opera terza) – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor !/++ *

Koessler – Sonate violon-piano en mim, Airs hongrois… – Wallin, Smirnof (VMS Musical Treasures 2021) !!/++ **

Ernest Moeran – Chamber Music – Fidelio Trio (Resonus Classics 2022) !!/++ **
→ Très belles pièces, très marquées par Fauré et le jeune Debussy pour le Trio, par le Debussy de maturité pour la sonate violon-piano.

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DUOS : VIOLONCELLE-PIANO

Bernhard Romberg – The Complete Cello Sonatas – Hannah Holman, Réne Lecuona (Blue Griffin 2013) !!/++ **
→ Très proche de celles de Beethoven, avec une vituosité plus affichée et un sens mélodique plus séduisant (un peu plus souple, il faut dire qu'on est dans la génération d'après !).

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DUOS : 2 PIANOS

MAHLER, G.: Symphony No. 2 (arr. B. Walter for 2 pianos) (Maasa Nakazawa, Athavale) (Naxos 2016) ./. .
→ Pas grisé par la transcription (on entend le squelette, mais il manque beaucoup de détails et d'effets) ni par l'interprétation (attaques assez épaisses, un peu molles), ni par le résultat global – vraiment pas du tout le même frisson (et je ne suis pas suspect de ne pas donner crédit aux réductions !) que la symphonie d'origine.
→ Pour autant, très intéressant de l'entendre différemment, on y prend beaucoup de plaisir. Curieux d'entendre une transcription mieux faite et surtout une interprétation plus survoltée, plus engagée dans l'évocation symphonique.

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SOLOS : VIOLON

Bach – « Sei solo », 3 sonates & partitas pour violon – Kavakos (Sony 2022) !!!/+

Bach – Sonates & partitas pour violon, volume 1 – F.-P. Zimmermann (BIS 2022) !!!/++

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SOLOS : VIOLONCELLE & VIOLE DE GAMBE

Bach, Abel – Suites pour violoncelle sur viole – Lucile Boulanger (2022) !/++ *

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SOLOS : LUTH, THÉORBE, GUITARE…

R. Ballard – Premier livre de luth – Richard Kolb (Centaur 2019) !!!/+++ ***

J.S. Bach – Sonatas & Partitas For Lute – Hopkinson Smith

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SOLOS : ORGUE

ROSSI, M.: Toccate e correnti (Music for Organ and Harpsichord) (Castagnetti) (Brilliant 2015) !!/++ **
→ Folies chromatiques (et sur tempérament inégal, ça frotte !) des toccate 3 et surtout 7 !

Titelouze, Racquet, L. Couperin, Jullien, Grigny, Corrette – Œuvres pour orgue – Cathédrale de Rodez, Frédéric Muñoz !!!/+++ ***

°Pachelbel – Vol.1 : Musicalische Sterbens-Gedancken, Ciaccona in F Major (POP 15) – Christian Schmitt (CPO)

Pachelbel – Vol.2 : Chaconne en sol – Essl (CPO) !!!/+++ ***

Pachelbel – Vol.3 : 3 Ciaccone – Belotti, J.D. Christie (CPO) !!/+ *

Daquin, Dandrieu, Corrette… – Noëls français pour orgue (Aux grandes orgues de la cathédrale d'Auch) (Stereo Version) – Marie-Claire Alain (BNF) !!/++ **

Franck – 3 Chorals – M.-C. Alain (Erato 1976, réédition Apex) !!/++ **
→ Registration peu éclatante, mais très belle poussée constante, qui tient en haleine !

Franck – 3 Chorals – Saint-Ouen de Rouen, Lecaudey (Pavane Records) !!/+ *

Franck – 3 Chorals – Guillou (Dorian Sono Luminus) !!/++ **
→ Qualité de la registration qui permet une réelle progression marquante !

Franck – 3 Chorals – Latry (DGG) !!/++ **
→ Version aux timbres assez brillants, conduite avec ampleur mais véritable sens de la progression, de grandes respirations amples qui font impression.

Franck – 3 Chorals – Saint-Ouen de Rouen, Joris Verdin (Ricercar) !!/+ *
→ Vif, mais vraiment des fonds bouchés de Cavaillé-Coll, qui gâchent un peu tout…

Töpfer  – Sonate en ré mineur – Die Ladegast-Orgel der St. Johannis-Kirche zu Wernigerode, Reinhardt Menger (FSM 1992) ./¤ .
→ Me fut chaudement recommandé, mais pas beaucoup aimé. J'ai même plutôt détesté le premier mouvement. L'impression que les harmoniques sont beaucoup trop hautes dans les mutations du plein-jeu, pour commencer ?
→ Quant à l'écriture, ce ressemble vraiment à de l'orgue pour organiste, avec les grandes figures inspirées de JS ou CPE, mais lissées par un langage Mendelssohn-Merkel et une forme simple plutôt Dubois. Ça m'évoque assez ce que j'aime pas chez Bach (tous ces intervalles moches de seconde mineure), et vraiment ce que n'aime pas chez les imitateurs de Bach. Un côté pièce de démonstration pour facteur-accordeur.
→ Le mouvement lent est beau, joliment mélodique, entre Widor et Dubois, ni indigne ni très singulier.
→ Dans le dernier mouvement, mêmes problèmes que le premier (en plus je trouve l'ensemble joué très mollement, c'est pas toujours synchronisé entre les mains et les sections, ça bave un peu de partout) : l'instrument, les pseudo-bachismes, les unissons brucknériens mais moches, les résolutions téléphonées… Je retenterai, vraiment pas concluant cette fois !

°ANDRIESSEN, H.: Chorals Nos. 1-4 / Sonata da chiesa / A Quiet Introduction / Offertorio / Thema met variaties (Saunders) (Brilliant 2015) ./. .
→ Une seule pièce marquante, pas le meilleur Andriessen, comme souvent à l'orgue chez les compositeurs non spécialistes.

Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour orgue vol.1 : Chorale Improvisations Op.65, Livre 6 – Stefan Engels (Proprius) !! **
→ Vraiment du choral retravaillé, très convaincant ! (Et chez certains, comme le n°39, du sacré contrepoint agité !)

Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour orgue vol.11 : Chorale Improvisations Op.65, Livres 5 & 6 – Stefan Engels (Proprius) !! **
→ De petites merveilles organistiques, belles harmonies dans un style libre qui évoque en effet l'improvisation. Énormément de charme.

Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour orgue vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Stefan Engels (Proprius 2021) !! **
→ Inclut les monumentales variations d'Hommage à Händel, qui se déploient lentement de façon assez spectaculaire.

Messiaen – Messe de la Pentecôte, Livre d'orgue (Intégrale pour orgue, vol.5) – Rudolf Innig (MDG) !!/+++ ***

Petr EBEN – Job – Howard Lee (récitant), David Titterington (orgue, David Titterington & Howard Lee (Multisonic 1992) !!!/+++ ***

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SOLOS : CLAVECIN

ROSSI, M.: Toccate e correnti – Vartolo (Naxos) !!/+ *

ROSSI, M.: Toccate e correnti (Music for Organ and Harpsichord) (Castagnetti) (Brilliant 2015) !!/ ++ **
→ Folies chromatiques (et sur tempérament inégal, ça frotte !) des toccate 3 et surtout 7 !

Haendel – Intégrale des Suites – Cuckston (Naxos) !/++ **

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SOLOS : PIANO

Beethoven – Sonate 14 (final) – Valentina Lisitsa (YT)

Moussorgski – Tableaux d'une exposition – Valentina Lisitsa (enregistrement 2019, publication YT 2021) !! / +++ ***
→ La façon de timbrer de façon symphonique, de gérer la nudité des grands accords de la Porte de Kiev, est proprement stupéfiante.

Messiaen, Takemitsu, Léon Milo – « … à Olivier Messiaen », pièces pour piano et interludes acousmatiques (« soundscapes ») – Suzanne Kessler (Oehms 2013)
→ Je n'ai pas adoré les interludes acousmatiques, mais la classe bidouillée de Messiaen autour de Pelléas était assez amusante (collages de sections qu'il joue, détournant le texte ; ou encore accord qui résonne à l'infini pendant le cours reprend…), et les trois Regards remarquablement joués !

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MÉLODIES

Mélodies populaires anonymes XVIIe-XIXe – Lefilliâtre, Goubioud, Buffière ; Poème Harmonique, Dumestre (concert Besançon, France Musique 2021) !!!/+++ ***
→ Même programme qu'Aux marches du palais, mais avec Buffière au lieu d'Horvat comme basse, ce qui change les équilibres de façon intéressante (j'aime beaucoup les deux !).

Bonis, Polignac, Holmès, Viardot, Chaminade, Folville, Béclard d'Harcourt, Faye-Jozin, Ferrari – « Ombres », Women Composers of La Belle Époque – Laetitia Grimaldi (BIS 2022) !/++ **

Hahn, Debussy – Mélodies & Chœurs (Études Latines, Damoiselle Élue) – Karg, Brower, Behle, Nazmi ; G. Huber, Chœur de la Radio Bavaroise, Howard Arman (BR Klassik 2022) !!/++ *

Fauré (Mirages), Caplet (5 ballades françaises), Debussy (Beau soir), Ravel (Don Quichotte), Honegger (Petit cours de morale, Saluste du Bartas), Poulenc (2 Apollinaire, Parisiana), Roderick Williams (Les ténèbres de l'amour) – Roderick Williams, Roger Vignoles (Champ Hill Records, 2022) !!/++ ***
→ Quel bouquet incroyable de cycles très rares !  Et de qualité. Et interprétés avec une précision d'intentions remarquable, pas simplement chantés à la volée. (L'œuvre de R. Williams est très convaincante et se fond très bien dans l'esthétique des autres cycles.)
→ Le répétiteur n'a pas bien bossé, il y a quelques mots faux (« qui g(i)eint, qui pleure »). Sinon le français est vraiment bon, et l'artiste toujours aussi marquant. (Le timbre est moins beau en français, je crois.)

Paul Delmet – Chansons – Enguerrand Dubroca, ténor ; Yuko Osawa, piano (émission France Musique 2022) !/+ *
→ Tiré d'une intégrale en cours des chansons de Paul Delmet, abordée d'un point de vue sérieux / lyrique, avec beaucoup de bonheur.

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LIEDER

Kienzl - Lieder - Dagmar Schellenberger, Peter Stamm (CPO 2000) !/++ *

Mélodies viennoises avec petit ensemble – Groissböck (Gramola 2022) !/+ *

Graener – 5 Lieder zu Gedichten von Borries von Munchhausen: No. 3. Der alte Herr – Heinrich Schlusnus, Sebastian Peschko (chez Documents, label japonais)

Graener – Der Rock (d'un cycle de Morgenstern) – Prey (DGG)

Graener – Neue Galgenlieder von Christian Morgenstern, Op. 43b – Herman Wallén, Kristjan Randalu (chez Antes)

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MÉLODIES D'AUTRES NATIONS

Carafa – Calipso (dans il salotto vol.2) – Enkelejda Shkosa, David Harper (Opera Rara)

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CHANSON

« Nénufar, t'as du r'tard » – (Marche officielle de l'Expo coloniale de 1931) !!/++ **
→ Le racisme le plus franc, mais dans sa version souriante, peut-être même pas conscient de lui-même. Au demeurant, j'aime beaucoup cette chanson musicalement, très entraînante (le chœur !)… fascinante aussi : chaque vers mènerait aujourd'hui à de la prison ferme (et non sans fondement !).

album « Germaine Montero chante, vol.1 : Béranger, Bruant, Ducreux » !!/++ **

« Te souviens-tu » – Éric Amado (BNF) ***

album Éric Amado, succès & raretés **

« Ulysses » de Cristina Branco !!/+++ ***

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FOLK

Simon & Garfunkel – « Live From New York City, 1967 » !/++ *
→ Beaux effets du chant à deux en homorythmie, sur accompagnement très sobre.

Bert Jansch – album Bert Jansch !/++ *
→ Sobre et plutôt mouvant et personnel.

Bruce Springsteen – Nebraska !/+ .
→ Un peu rauque et américain mainstream.

Anne Briggs – album Topic ./+
→ Belle voix typée et pincée, mais un peu homogène dans les accompagnements et répétitif. Parties a cappella un peu longues.

Comus – album First Utterance ./.

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ACOUSMATIQUE

Léon Milo, Messiaen, Takemitsu – « … à Olivier Messiaen », pièces pour piano et interludes acousmatiques (« soundscapes ») – Suzanne Kessler (Oehms 2013)
→ Je n'ai pas adoré les interludes acousmatiques, mais la classe bidouillée de Messiaen autour de Pelléas était assez amusante (collages de sections qu'il joue, détournant le texte ; ou encore accord qui résonne à l'infini pendant le cours reprend…), et les trois Regards remarquablement joués !

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lattès

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__Nouveautés à écouter :__
Shostakovich – String Quartets No. 3 & No. 8 – Novus Quartet (Aparté 2022)
philippe pierlot hume meditation
ancerl live
R. Strauss & Reger: Lieder mit und ohne Worte, Georg Michael Grau
Handel: Semele, Choeur de Chambre de Namur, alarcon
Gloria Dresdensis, Dresdner Barockorchester
D'Agincour: Pièces de clavecin, 1733 - Vol. 1, Stéphane Béchy
Araja: Capricci; Pellegrini: Sonatas ; Enrico Bissolo
Pohádka - Tales from Prague to Budapest ; Laura van der Heijden
Beethoven: Rondino & Wind Octet - Mozart: Serenade ; MIB Wind Ensemble
A London Symphony, Lynn Arnold (pour pianos 4M et orgue)
Chapí: String Quartets Nos. 3 & 4 ; Cuarteto Latinoamericano
Arcadelt: Sacred Works ; Josquin Capella
Baroque Christmas Cantatas from Central Germany II ; Anne Stadler
kenins symphonies

__À écouter :__
Ginastera mélodies Milena, Toccata terza de Michelangelo Rossi par francesco cera (tempéraments), Quiroga disco, karg elert piano, Sonate Op. 25 n° 2 (« Vent de nuit »)  de Medtner, Koechlin basson 3 pièces opus 34, dialogos dalmatica & josaphat, töpfer & merkel, rhorer brahms 1, hillborg beast sampler,
Martinů, Foerster & Novák: Cello Concertos par Jiri Barta, Jakub Hrusa, Prague Philharmonia
KODALY: String Quartets Nos. 1 and 2 Label    Hungaroton
chausson concert faust melnikov
- GADE: Echoes of Ossian / Hamlet Overture / A Summer's Day in the Country / Holbergiana Suite
- gade chœurs sacrés chandos 
- gade schiotz https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=DACOCD456&workId=37665
- gade vilhelm herold https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=NI7880&workId=37665
- Messe en ut : Beecham, Wand, Corboz, Marriner, Rilling, Tilson-Thomas, Hickox,  Gardiner, Chailly, Gielen…
- octuor schubert nvelles vsns : hoeprich, linos, nordic, Academy of Ancient Music Chamber Ensemble…
- wand
- elming, rorholm, cold, schonwandt, dausgaard…
- bliss marie magdala
- haendel cuckston
- kirchschlager heggie
- Ernst Bacon, Trio avec piano n°2 - Lincoln Trio
- intégrale lalande
- intégrale grétry (messe)
- disco zilliacus
- disco Ragin Wenk-Wolf

__À réécouter :__
- kuhlau, réécoutes Bru Zane, nielsen commotio flamme, toch, brahms quats, messiaen livre,
- SINIGAGLIA, L.: String Quartet Works (Complete), Vol. 1 - String Quartet, Op. 27 / Brahms Variations / Hora Mystica (Archos Quartet), Messiaen: Complete Organ Works Vol. 5
- gade symphs
https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=CHAN9767&workId=148371
- gade comala
- ROMANTIC HARP CONCERTOS
- Harp Music - REINECKE, C. / SAINT-SAËNS, C. / GERVAISE, C. / PIERNÉ, G. (Middle Ages to the 20th Century) (Michel, Mildonian, Jamet, Storck, Polonska)
- lambert mauillon




lattès




Cette masse de belles parutions récentes ou anciennes devrait vous permettre de patienter quelques semaines avant une prochaine livraison de ce genre ! 

lundi 18 octobre 2021

Une décennie, un disque – 1840 (b) : Jacopo FORONI, l'opéra italien d'influence allemande en Suède


1840 (b)


foroni_cristina_regina_svezia_sterling.jpg
[[]]
Fin de l'acte I, avec ses mélodies proches de La Traviata, ses trémolos dramatiques qui évoquent Il Trovatore
(Christine maudit les amants cachés et leur promet de les tenir séparés à jamais.)


Les chefs-d'œuvre des années 1840

    Mon premier choix pour illustrer la période des anées 1840 se serait évidemment tourné Les Diamants de la Couronne d'Auber, le meilleur opéra de son auteur (qui n'en a pas commis beaucoup d'indispensables) et (de loin) le meilleur opéra comique du XIXe siècle, feu d'artifice de récitatifs intelligents, d'ensembles aux dispositifs originaux, d'une intrigue atypique et jubilatoire, qui existe de surcroît au disque dans une distribution étourdissante (Raphanel, Einhorn, Arapian !) et en vidéo (régulièrement vidéodiffusée la nuit par TF1, mais non commercialisée) dans une mise en scène de Pierre Jourdan, tradi mais pleine d'esprit. Brigands, grottes secrètes, faux moines, fonderies d'or, joyaux impériaux volés, ministre de Police roulé, impostures multiples et bons sentiments se mêlent dans une cavalcade musicale inspirée de bout en bout, en particulier pour son premier acte, une des plus belles choses jamais produites par un esprit français.
    Mais… le disque Mandala de la fin des anées 90 est indisponible depuis le début des années 2000, et le label, sans doute disparu, ne publie rien en ligne et en dématérialisé ou flux… je crains que ce ne soit vraiment difficile à trouver pour ceux qui n'habitent pas à proximité d'une médiathèque bien achalandée. Aussi, le propos de la série étant de proposer une découverte du répertoire par le disque, je ne souhaite pas transformer l'exercice en chasse au trésor. Si toutefois vous voyez le disque passer (ou mieux encore, la vidéo rediffusée), jetez-vous dessus !  Que vous aimiez ou pas le genre de l'opéra comique alla Scribe (car c'est bien sûr lui, le maître-d'œuvre de ces folies), vous ne trouverez pas mieux.

    Le second choix logique se serait tourné vers les lieder de Clara Wieck-Schumann, qui recèlent quelques bijoux absolus du genre. Mais j'en ai déjà parlé ici à plusieurs reprises (il y a même une catégorie dédiée dans la colonne de droite, et j'apprête à redonner quelques éléments biographiques sur sa vie !), et elle commence à être bien documentée par le disque et les concerts (son Concerto pour piano, pourtant plutôt une jolie chose qu'un chef-d'œuvre sans égal, est donné deux fois cette saison à Paris !), à devenir emblématique du retour en grâce des compositrices, comme Louise Farrenc – étrangement (faute de fonds unifié et lisible ?), Alma Schindler-Mahler ne semble pas bénéficier de cet engouement, contrairement à Luise-Adolpha Le Beau, Henriëtte Bosmans, Charlotte Sohy ou Ethel Smyth, à juste titre en cours d'exploration et réhabilitation.
    Par ailleurs, à part la poignée gravée sur le fameux disque de Cristina Högman & Roland Pöntinen (avec d'autres lieder de Mesdames Mendelssohn-Hensel et Schindler-Mahler), je n'ai pas nécessairement de disque incontestable à proposer, même s'il existe plusieurs très belles propositions : Loges formidable (Gritton-Loges-Asti chez Hyperion), et sinon de très valeureuses propositions (Craxton-Djeddikar chez Naxos, Fontana-Eickhorst chez CPO).

    Foroni s'est donc imposé, parce que moins connu des lecteurs de CSS, et parce qu'il apporte aussi une lumière intéressante sur l'histoire de la musique telle que nous la percevons. J'y reviens dans la présentation.


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Le splendide air de baryton (Frederik Zetterström, ici) du début de l'acte II.
(Carl Gustav arrive dans l'île de la Baie de Saltsjön par une nuit illuminée par la lune.
Il sera bientôt informé – et horrifié – du complot contre Christine.)


Un peu de contexte – a – Foroni avant Cristina

    Jacopo Foroni avait tout pour réussir une grande carrière musicale : fils d'un compositeur et chef d'orchestre, né pré de Vérone et étudiant à Milan, il s'y produit comme chef et pianiste dès 1846 et reçoit commande d'un opéra créé en 1848 à la Scala, créé alors qu'il n'a que 23 ans Margherita. Il ne s'agit pas encore d'un grand opéra sérieux mais d'un melodramma semiserio – dans le goût du Déserteur de Monsigny et de L'Elisir d'amore de Donizetti (les lazzi en moins) : Margherita aime un soldat, accusé à tort d'avoir attaqué le Comte (Rodolfo, comme tous les comtes…) et jeté en prison par son colonel. Celui-ci extorque le consentement au mariage de Margherita en échange de la libération de l'amant, mais le Comte reconnaît dans la personne du colonel son agresseur, et tout est bien qui finit bien.

    Les dons du jeune homme sont admirés, mais dix jours plus tard, ce sont les Cinq Journées de Milan (aboutissement d'une effervescence anti-autrichienne des élites nord-italiennes), insurrection (inspirée par celle de février 1848 en France) à laquelle participe activement le jeune homme. Pour échapper à la répression, il part en tournée en tant que chef d'orchestre.

    Pendant ce temps, à Stockholm, la troupe de l'impresario Vincenzo Galli rencontre des difficultés : son partenariat avec l'Opéra Royal a été rompu – les accès de colère du baryton Gian Carlo Casanova (le futur librettiste de Cristina !) et le mépris ostensible pour le répertoire italien (et les Italiens eux-mêmes) de la part du chef local, Johan Fredrik Berwald (cousin du Franz resté célèbre), a conduit le groupe à retourner dans un théâtre secondaire de la capitale. Comble de malheur, le chef d'orchestre de la compagnie part.

    C'est ainsi que Jacopo Foroni, en quête d'engagements, se retrouve en décembre 1848 chef permanent de ce petit équipage de chanteurs italiens en terre suédoise. Il dirige avec grand succès Rossini (Il Barbiere di Siviglia), Donizetti (Lucia di Lammermoor, Lucrezia Borgia, Lida di Chamonix, Parisina d'Este…), Bellini (Beatrice di Tenda), Verdi (I Lombardi alla prima crociata).

 Et dès mai 1849, il se présente au public local comme compositeur, en donnant cette Cristina qui nous occupe aujourd'hui. Il est piquant d'observer que pour cette carte de visite, il adopte un livret en miroir de sa propre situation : Christine de Suède abdique et quitte son pays devenu hostile pour l'Italie, tandis que Foroni abandonne l'Italie où il risque la condamnation pour des délits politiques – et se réfugie en Suède.


Un peu de contexte – b – Foroni en Suède

    Jusqu'à sa mort prématurée du choléra, la vie artistique de Foroni est essentiellement constituée de succès : il écrit des musiques de scène, une « tragedia lirica » I Gladiatori (à l'origine un Spartaco, sujet un peu audacieux écrit pour Milan et censuré comme tel par les autorités autrichiennes), et une opérette comique suédoise Advokaten Pathelin (d'après La Farce de Maître Pathelin) ; il reçoit d'une manière générale un accueil très favorable du public, comme chef et comme compositeur.

    Il faut dire qu'il a très vite maîtrisé le suédois, ayant une aisance pour les langues, ce qui a sans doute grandement favorisé son intégration à la communauté musicale locale – en plus de son image d'enfant prodige de la grande nation musicale d'alors. Son caractère était réputé avenant, sa personne plutôt charismatique, son travail orchestral exigeant (notamment vis-à-vis du travail personnel des musiciens en amont des représentations).


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Imprécations de Christine contre son favori lorsque le complot visant à la renverser est dévoilé.
(L'acidité assez nilssonienne de Liine Carlsson est particulièrement audible dans ce passage !)



Compositeur : Jacopo FORONI (1825-1858)
Œuvres : Cristina, regina di Svezia (« Christine, reine de Suède ») (1849)
Commentaire 1 :
    Cet opéra a le mérite de documenter l'écriture d'opéra italienne hors du belcanto à airs fermés (qui restait toujours implanté dans ces années) : en effet la plupart de ce que montre la discographie hors Rossini-Donizetti-Bellini-Verdi est écrit dans une perspective plutôt belcantiste et purement vocale que dramatique, façon Verdi. Si l'on se fie à ce qui est publié, Verdi est le seul à utiliser certains procédés, et surtout une gestion du temps dramatique aussi urgente et resserrée, où de longues scènes récitatives ont une réelle substance musicale et servent de pivot à l'action, voire de sommet à l'œuvre, plutôt que les seuls moments d'épanouissement vocal.
    ♣ Le livret, très dense en action, est centré, comme vous l'auriez deviné sans me lire, à la fois sur l'abdication (forcément) de Christine de Suède, et sur (évidemment) ses amours – ici son favori Magnus Gabriel de la Gardie, qui aime en secret la cousine de Christine. Le poème compacte, pour des raisons dramaturgiques évidentes, des événements qui se déroulent sur une dizaine d'années, et pas nécessairement dans cet ordre – la Reine accepte le mariage de son favori des années avant que l'abdication ne se profile.
    ♣ Foroni, d'une douzaine d'années le cadet de Verdi, donne à entendre un langage qui se rapproche bien plus de cette esthétique nouvelle que du belcanto traditionnel : on y retrouve les trémolos et trépidations, les ensembles bousculés, les duos d'affrontement asymétriques (où les personnages ne font pas seulement leur stance à tour de rôle puis leur joli duo homorythmique), et surtout les grandes « scènes » récitatives où la musique et le drame sont bien plus libres… Dès son premier opéra, au demeurant, on discute de ses influences, celle de la tradition italienne transmise par son père Domenico, et celle issue de l'étude des maîtres allemands (son maître, Alberto Mazzucato, lui a enseigné Bach et Beethoven). Clairement, il ne se situe plus dans la seule tradition italienne belcantiste, conçue pour la glorification des voix, qui s'étend du seria-à-castrats du début du XVIIIe jusqu'à ce milieu du XIXe. Peu de choses spectaculaires du point de vue du chant dans Cristina, on sent que l'énergie de la composition est tout entière tournée vers la crédibilité des psychologies et le rythme du drame.
    Foroni peut donc simultanément être considéré comme le symptôme du prestige de l'Italie à travers l'Europe, dont la norme, au moins en matière d'opéra, irradiait ensuite toutes les autres écoles nationales… et réciproquement comme le signe d'une perméabilité de l'enseignement italien aux nouveautés introduites par les écoles allemandes.
    Surtout, j'y perçois une belle veine mélodique (d'un style évoquant le Verdi de Nabucco, du Trouvère…), un livret trépidant, un véritable sens du rythme dramatique, des ensembles réellement mobiles et inspirés : cet objet opéra mérite pleinement l'écoute, indépendamment de sa place à la croisée des histoires du genre.


Interprètes : Liine Carlsson, Daniel Johansson, Frederik Zetterström, Kosma Ranuer, Ann-Kristin Jones, Anton Ljungqvist – Opéra de Göteborg, Tobias RINGBORG
Label : Sterling (2010)
Commentaire 2 :
    De belles voix dans l'ensemble : en particulier le baryton clair et noble Frederik Zetterström en Carl Gustav, successeur de Christine, et le ténor Daniel Johansson en Gabriel, amant de la reine. Liine Carlsson, dans le rôle-titre, a la particularité de conserver une petite acidité des attaques et du timbre qui évoquent assez Nilsson ou Caballé – bien sûr le reste de l'émission, plus ronde et pas du tout aussi large, n'est pas du tout pensé sur le même patron.
    Mais le véritable prix de cet enregistrement – outre que c'est le seul, et qu'il est bon de surcroît – réside dans la présence de l'Orchestre de l'Opéra de Göteborg, qui apporte une finesse de trait et une précision d'exécution (avec des timbres très nets), telles qu'on n'en entend pas très souvent dans les exécutions d'opéra italien en Italie, en France et quelquefois en Allemagne. Très belle réussite de ce point de vue, à laquelle s'ajoute une prise de son agréable, avec de l'espace et un peu de réverbération, mais qui laisse entendre très nettement les détails – les voix sot un peu en avant de l'orchestre, mais sans le couvrir et pas trop proches de nos oreilles.



… Nous arriverons donc, pour la prochaine livraison, en 1850. J'ai bon espoir de parvenir à traiter la décennie 2020 (tout les disques sont déjà sélectionnés !) avant que la dernière dose de rappel de vaccin ne parcoure la dernière veine d'Afrique centrale.

dimanche 3 octobre 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 7 : Brixi, Wölfl, Florence Price, Miaskovski, Marais à l'opéra, tout Schumann, Mahler bricolé, Lipatti compositeur…


Un mot

Comme pour les précédents épisodes : petit tour des nouveautés que j'ai écoutées – et j'en profite pour partager les autres disques entendus durant cette période, parce qu'il n'y a pas que le neuf qui vaille la peine.

Un mois et demi (de calme été, en plus) s'est seulement écoulé, mais la somme accumulée est à nouveau assez considérable – alors même que j'ai passé beaucoup plus de temps au concert, et pas encore écouté bon nombre de nouveautés… que de disques à parcourir !  Je vous fais la visite ?

Parmi les trouvailles de la période, vous rencontrerez des versions extraordinaires d'œuvres déjà connues : Alcione de Marais, le Quintette à cordes de Schubert, (tous) les lieder de Schumann, La Princesse jaune de Saint-Saëns, ses Quatuors, son Second Trio, Roméo & Juliette de Tchaïkovski, Le Sacre du Printemps, Mahler relu de façon grisante par le Collectif9… mais aussi des portions mal connues du répertoire (quoique de très haute volée !), comme la musique sacrée (pragoise) de Brixi, les concertos pour piano de Wölfl, les pastiches et arrangements de Karg-Elert, les symphonies de Florence Price, les mélodies de Miaskovski ou celles de Dinu Lipatti !

Tout ceci se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la porte.

(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier, réorganiser et remettre en forme, je n'ai pas le temps de tout peaufiner si je veux aussi écrire d'autres notules un peu plus denses côté fond.)

miaskovski


La légende

Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de prédilection.)

Cette fois-ci, j'ai regroupé et encadré les nouveautés au début de chaque section, pour faciliter le repérage sans briser la disposition par genre.

♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.

(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.




alcione




A. Opéra


nouveautés
♥  Monteverdi – L'Orfeo – Ensemble Lundabarock, Höör Barock, Ensemble Altapunta, F. Malmberg (BIS 2021)
→ Belle version, douce, bien dite, pas très typée.

♥♥ Monteverdi – L'Orfeo – Contaldo, Flores, Bridelli, Quintans, Salvo Vitale ; ChbCh de Namur, Cappella Mediterranea, García Alarcón (Alpha 2021)
→ Des choix originaux, beaucoup de vie, mais un certain manque de voix marquantes. J'aime beaucoup les chanteurs, mais ils manquent un peu de charisme dans une discographie saturée de propositions très fortes (seule Quintans s'élève nettement au-dessus de ses standards habituels).
→ Orchestralement en revanche, de très belles trouvailles d'alliages, de tempo, de phrasé... quoique le tout soit un peu lissé par une prise de son avec assez peu de relief et de couleurs.
→ Aurait pu être très grand, et mériterait en tout cas grandement d'être entendu en salle !

♥♥♥ Marais – Alcione – Desandre, Auvity, Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément de musiciens français issus des meilleures institutions baroques, spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand – en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de finition (instrumentale comme stylistique).

Paer – Leonora – De Marchi (2021)
→ Musique d'opéra bouffe encore très marquée par les tournures de Cimarosa et Mozart. Pas nécessairement de coups de génie, mais l'ensemble est constamment bien écrit, bien chanté et exécuté avec chaleur : il mérite le détour.

Bellini – I PuritaniCoburn, Brownlee, Zheltyrguzov, Kaunas State Choir, Kaunas City Symphony, Orbelian (Delos 2021)
→ Brownlee toujours impressionnant, mais moins d'éclat en vieillissant évidemment. Coburn très virtuose, voix bien ronde et dense, un peu lisse et égale pour moi (où sont les consonnes ?), mais objectivement très bien chantée. Le reste m'impressionne moins, même mon chouchou Orbelian, assez littéral et au rubato pas toujours adroit.

Wagner – Tristan und Isolde – Flagstad, Suthaus, Covent Garden, Furtwängler (Erato, resmatering 2021)
→ Bonne version, très studio (donc comme toujours vraiment pas le meilleur de Furtwängler, d'une toute autre farine sur le vif avec Schlüter, et Suthaus en feu), où l'on peut surtout se régaler du Tristan de Suthaus, remarquablement ample et solide, mais aussi beau diseur.

♥♥♥ Saint-Saëns – La Princesse jaune – Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans, Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !

Debussy – Pelléas & Mélisande – Skerath, Barbeyrac, Duhamel ; Querré, Baechle, Varnier ; ONBA, Dumoussaud (Alpha 2021).
→ Lecture très traditionnelle, plutôt « épaisse » de tous les côtés : orchestre un peu ample et tranquille, interludes en version courte, voix très lyriques (Skerath comme toujours ronde, en-dedans, opaque ; Barbeyrac chante à pleine voix ; Duhamel expressif mais un peu monochrome), j'ai surtout aimé Querré en Yniold, l'illusion de l'enfant est assez réussite avec cette petite voix droite.
→ Belle version dans l'ensemble, mais très opératique, peu de finesses textuelles ou de coloris nouveau à se mettre sous la dent.

Holst – The Perfect Fool – R. Golding, P. Bowden, M. Neville, Mitchinson, Hagan, BBC Northern Singers and Symphony, Ch. Groves (réédition Lyrita 2021)

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Landi – La morte d’Orfeo – Elwes, Chance, van der Meel, van der Kamp ; Tragicomedia, Stubbs (Accent, réédition 2007)
→ Dans la veine des premiers opéras, assez statiques harmoniquement, mais beaucoup d’ensembles (chœurs homorythmiques, duos ou trios plus contrapuntiques…) viennent rompre la monotonie.
→ Plateau vraiment délicieux de voix claires, délicates, mélancoliques.

Marais – Alcione – Minkowski (Erato)

Campra – Tancrède – Schneebeli (Alpha)
→ Déçu à la réécoute, vraiment sage et même un peu terne. (Malgoire c'était bien mieux, malgré le vieillissement du style !)

Desmarest – Vénus & Adonis – Rousset (Ambroisie)

♥♥ Francœur & Rebel – Pirame & Thisbé – Stradivaria, D. Cuiller (Mirare)

Berlioz – Les Troyens (en italien), entrée d'Énée – Del Monaco, La Scala, Kubelik (Walhall)
→ Oh, « marque » l'aigu de « le dévorent ». Et essentiellement métallique, pas très impressionnant / insolent / expressif. Orchestre pas ensemble, solistes non plus, prosodie italienne qui oblige à quelques irrégularités de ligne.

Berlioz – Les Troyens, entrée d'Énée – Giraudeau, RPO, Beecham (Somm)
→ Chant léger et impavide, très étonnant (comme un personnage secondaire de Cocteau…), et le RPO à la rue (bouché, la peine).

¤ Berlioz – Les Troyens (actes I, II, V) – Davis I (Philips)

♥♥♥ Verdi – Stiffelio (acte II) – Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué. Comme Traviata, un drame de mœurs contemporain (l'adultère de la femme d'un pasteur).

♥♥♥ VERDI, Rigoletto (en allemand) (Coertse, Malaniuk, De Luca, Metternich, Frick, Vohla, Cologne Radio Chorus and Symphony Orchestra, Rossi) (1956) (Walhall édition 2007)

♥♥♥ Verdi – Il Trovatore (I,II) – Bonynge

♥♥♥ Verdi – Il Trovatore (I,II,III) – Muti 2000

Verdi – Le Trouvère (en français) – Martina Franca

♥♥ Verdi – Un Ballo in maschera (en allemand) – Schlemm, Walburga Wegner, Mödl, Fehenberger, DFD (libre de droits)
→ Günther Wilhelms en Silvano, remarquable. Voix franches et bien bâties, orchestre très investi et aux inflexions très wagnériennes.

♥♥ VERDI, G.: Otello (Sung in German) [Opera] (Watson, Hopf, Metternich, Cologne Radio Chorus and Orchestra, Solti) (1958)
→ Hopf en méforme, Solti pas aidé par l'orchestre non plus.

♥♥ Foroni – Elisabetta, regina di Svezia – Göteborg (Sterling)
→ Démarre doucement, mais des élans conspirateurs remarquables !

Gounod – Romeo et Juliette (en suédois) –  Björling, Allard, d'Ailly ; Opéra de Stockholm, Grevillius (Bluebell)

♥♥♥ Nielsen – Saul og David (acte IV) – Jensen (Danacord)

♥♥♥ Nielsen – Saul og David – N. Järvi (Chandos)
 
Peterson-Berger – Arnljot – Brita Ewert, Bjorck, Einar Andersson, Ingebretsen, Gösta Lindberg, Leon Björker, Sigurd Björling, Sven Herdenberg, Sven d'Ailly ; Royal Swedish Opera, Nils Grevillius
→ Un peu sec-discursif pour de l'opéra essentiellement romantique. Pas bouleversé. Mais quelle équipe de chanteurs !




gens




B. Récital d'opéra

Une très belle livraison de nouveautés sur le mois écoulé, avec des propositions de répertoire très originales et construites !

nouveautés
♥♥♥ Lully, Charpentier, Desmarest – extraits d'Armide, Médée, Circé… – Gens, Les Surprises, Camboulas (Alpha 2021)
→ Formidables lectures, de très grandes pièces (cet air-chaconne de Circé de Desmarest, dans l'esprit de l'entrée de Callirhoé, mais en plus long !), Les Surprises à leur meilleur, un chœur de démons nasal à souhait (les individualités de ce chœur de 8 personnes sont fabuleuses, de grands chanteurs baroques y figurent !), le tout agencé de façon très variée et vivante, et servi par la hauteur de verbe et geste de Gens… un récital-merveille !

« Jéliote »Mechelen, A Nocte Temporis, Mechelen (Alpha 2021)
→ Encore une belle réussite de Mechelen et son ensemble, autour d'une autre haute-contre historique – programme et exécution peut-être un peu moins originaux et marquants que pour le premier, mais vraiment recommandé.
→ Approche musicologique intéressante de se fonder sur un interprète précis, comme tant de récitals d'opéra seria l'ont fait, et renouvellement (même si moindre cette fois) des airs habituellement enregistrés.

Destouches (Marthésie), Philidor (Les Amazones), Cavalli, Viviani, Vivaldi, Schurmann… – « Amazone » – Léa Desandre (+ Gens, Bartoli), Ensemble Jupiter, Thomas Dunford (Erato 2021)
→ Beau récital vivant, d'où se détachent surtout pour moi, sans surprise, les pièces françaises (notamment les généreux extraits de Marthésie, qu'on est très heureux d'entendre pour la première fois !).
→ J'ai mainte fois dit que je trouve le timbre très fondu pour une voix aussi peu fortement projetée, et que j'aime davantage de franchise dans le verbe, mais la maîtrise du coloris et l'agilité sont irréprochables et l'interprète très engagée.

♥♥ Mozart, Méhul, Spontini, Rossini, Adam, Verdi, Offenbach, Wagner, Leoncavallo, Lehár, Ravel, Orff, Korngold… – « Baritenor »Michael Spyres, Philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (Erato 2021)
→ Déception partagée par les copains geeks-de-musique : ce n'est pas un récital de répertoire spécifique à cette catégorie vocale – selon les époques et les lieux, peut désigner aussi bien des ténors sans aigus (Licinius de La Vestale), que des barytons à aigus (Figaro du Barbier de Séville) ou des ténors aigus et agiles disposant d'une inhabituelle extension grave (Zampa d'Hérold, absent de ce disque). Dans cet album, on entend donc énormément de tubes des répertoires pour ténor aussi bien que pour baryton, pas nécessairement écrits pour baryténor.
→ Cette réserve formulée (on a tout de même Ariodant de Méhul et Lohengrin dans la traduction de Nuitter), le tour de force demeure très impressionnant (le véritable timbre de baryton saturé d'harmoniques pour la cantilène du Comte de Luna !) et ménage quelques très heureuses surprises, comme les diminutions aiguës dans l'air du Comte Almaviva de Mozart (tirant vraiment parti de la tessiture longue pour proposer quelque chose de différent mais tout à fait cohérent avec le style) ou pour le Figaro du Barbier (l'imitation des différentes voix qui appellent Figaro, de la femme à la basse, quelle amusante jonglerie !). Et tout de même beaucoup de rôles de barytons aigus (Danilo, Carmina Burana), ainsi que de ténors graves (Lohengrin), mais aussi, pour bien prouver que la voix n'est pas ternie, de ténors aigus (Le Postillon de Longjumeau).
→ Autre atout, le parcours (certes arbitraire puisque mélangeant ténors et barytons…) est construit de façon chronologique, on fait une petite balade temporelle au spectre très large, ce qui est très rare dans les récitals.
→ À écouter, donc, pour les amateurs de voix (qui seront très impressionnés) plutôt que pour les défricheurs de répertoire.
→ Partiellement bissé.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Gabrielli – extrait de S. Sigismondo, re di Borgogna – Bartoli, Andrés Gabetta, Sol Gabetta, Cappella Gabetta (Decca)
→ Quadrissé.
→ Avec instruments solistes. Pas très marquant, mais tout ce qu'on a au disque de ses opéras…

♥♥♥ Schlusnus dans Don Pasquale, Onéguine, Prince Igor (tout en allemand)
→ Chante Onéguine avec des nuances de lied… délectable ! Igor pas très épique.
→ Bissé

♥♥♥ Josef Metternich, « Rare and Unreleased Recordings (1948-1957) » (Andromeda)
→ Tout en allemand : Onéguine, Trovatore, Otello, Lortzing, Traviata, Arabella, Parsifal…
+ https://www.youtube.com/watch?v=v-WmSm50Nd8 (la perfection vocale…)




berners




C. Ballet & musiques de scène


nouveautés
♥♥ Arenski (Arensky) – Nuits égyptiennes (Ėgipetskiye nochi, Egyptian Nights), Op. 50 – Moscou SO, Yablonsky (Naxos réédition 2021)

Lord BernersBallet de Neptune, L'uomo dai baffi – English Northen Philharmonia, Lloyd-Jones (Naxos 2021)
+ arrangements pour orchestre de Philip Lane : 3 Valses bourgeoises, Polka (avec le Royal Ballet Sinfonia)
→ Toujours cette belle musique excentrique de Berners, quelque part entre la musique légère et la sophistication, comme une rencontre improbable entre Minkus et Schulhoff, le tout dans un esprit très proche de la musique légère anglaise.
→ Trissé.

♥♥♥ Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb absolument idéaux pour ces pages.
→ Bissé le Sacre, trissé les ouvertures.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Franck – Hulda, Op. 4 : le ballet allégorique – OP Liège, Arming (Fuga Libera 2012)
→ Du Franck plutôt décoratif, marqué par des modèles absolument pas wagnériens (le ballet à la française, avec un côté rengaine quasiment britannique dans le rondeau final !). Le reste de l'opéra n'est pas non plus le plus audacieux de Franck, mais il sera bientôt donné et enregistré dans les meilleures conditions par Bru Zane !
→ Couplé avec une très belle version tradi de la Symphonie.

♥♥ Stravinski – Petrouchka, Les Noces – Ančerl
→ Avec Žídek et Toperczer notamment !

Stravinski – Les Noces (en français) – Ansermet (Decca)




anniversaires




D. Cantates profanes


nouveautés
♥ Purcell – Birthday Odes for Queen Mary – Carolyn Sampson, Iestyn Davies… The King's Consort, Robert King (Vivat 2021)
→ Excellentes versions, très bien captées, qui valent en particulier pour les instrumentistes très vivement engagés. Joli plateau vocal également.
→ (Pour autant, je ne suis pas trop certain de vouloir vous encourager à financer le label autoproduit d'un abuseur d'enfants. J'ai longuement hésité avant d'écouter moi-même ce disque, alors que j'ai toujours énormément aimé le travail artistique de R. King. La séparation entre l'homme et l'œuvre me paraît problématique lorsque l'homme est vivant et en activité : on promeut le talent au-dessus d'être un humain décent, on excuse la destruction de vies au nom de ses qualités pour nous divertir, on remet potentiellement l'agresseur en position de prestige, d'autorité et de récidive. Bref : c'est un bon disque, mais si vous voulez l'écouter volez-le s'il vous plaît.)
→ [Tenez, je commettrai sans doute un jour une notule où je partagerai mon sentiment d'homme blet sur cette affaire de séparation de l'homme et de l'œuvre, sous un angle différent de la traditionnelle opposition « il est méchant il faut détruire son œuvre  » / « il est bon dans son domaine c'est tout ce qui m'intéresse ». Mon opinion a grandement évolué sur le sujet depuis ma naïve jeunesse, et je me pose quelques questions sur nos réflexes mentaux en la matière, que je partagerai à l'occasion.]




brixi




E. Sacré


nouveautés
Zácara da Teramo – Intégrale (Motets, Chansons édifiantes) – La Fonte Musica, Michele Pasotti (4 CDs, Alpha 2021)
→ Musique du XIVe siècle, dont la langue me paraît hardie pour son temps (ou sont-ce les restitutions?), mais trop loin de mes habitudes d'écoute pour que je puisse en juger – j'ai beau faire, je me retrouve un peu comme les wagnériens devant LULLY, je n'entends que le nombre limité de paramètres expressifs et pas assez les beautés propres de ces musiques à l'intérieur de leur système. Pas faute d'avoir essayé.
→ Belles voix, assez originales, ni lyriques, ni folkloriques, vraiment un monde à part très intéressant et avec des timbres très typés (mais pas du tout clivants / étranges).

♥♥♥ Brixi – Messe en ré majeur, Litanies – Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria Ensemble, Jan Hádek (Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les aigus de soliste bien exposés !

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

♥♥♥ Grégorien : Chants de l'Église de Rome VIe-XIIe s. – Organum, Pérès (HM)
→ Quelle sûreté de réalisation ! (et toujours ces beaux mélismes orientalisants)

♥♥♥ Dufay – Motets isorythmiques – Huelgas (HM)

Allegri – Miserere – A sei voci (Naïve)

♥♥ Titelouze – Messe – Les Meslanges, van Essen (Paraty 2019)

♥♥ CAPUANA, M.: Messa di defonti e compieta / RUBINO, B.: Messa di morti (Choeur de Chambre de Namur, García Alarcón) (Ricercar 2015)
→ bissé Capuana, trissé Rubino
→ Pas du niveau des Vêpres du Stellario, mais riche et stimulant !

♥♥♥ Du Mont – Cantica sacra – Boterf, avec Freddy Eichelberger à l'orgue Le Picard de Beaufays (1742) (Ricercar)

♥♥♥ Mendelssohn : Te Deum in D Major, MWV B15 ; Stuttgart KmCh, Bernius (Hänssler 2021)
→ Nouveau de cette année, génial (du Mendelssohn choral à un par partie !), mais déjà présenté la semaine de sa sortie lors d'une précédente livraison. Je n'encombre donc pas cette notule-ci.

♥♥♥ Danjou, Kyrie & Gloria // Perne, Sanctus & Agnus Dei // Boëly, pièces d'orgue – Ens. G. Binchois, F. Ménissier (Tempéraments 2001)
Danjou !!  J'étais persuadé que ça n'existait pas au disque. Passionnant de découvrir ça.

Saint-Saëns, Oratorio de Noël ; Ziesak, Mahnke, James Taylor, Deutsche Radio Philharmonie, Poppen (YT 2008)
→ Très épuré, sulpicien, contemplatif. Joli, et dans une interprétation de tout premier choix (quels solistes !).

♥♥ Braunfels : Große Messe – Jörg-Peter Weigle (Capriccio 2016)
→ D'ample ambition, une œuvre qui ne tire pas Braunfels vers du Bruckner complexifié comme son Te Deum, mais vers une véritable pensée généreuse et organique, dotée en outre de fort belles mélodies.

♥♥ Milhaud – Psaume 121 – RenMen





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F. A cappella profane


nouveautés
Hutchings, Meadow, Hopkins, Sigurdbjörnsson, Jóhannsson, Owens, Arnalds, Lovett, Rimmer, Gjeilo, Barton, Desai, Guðnadóttir, O'Halloran, L.Howard – « Infinity » Voces8 (Decca 2021)
→ Bascule toujours plus profonde dans la musique atmosphérique, avec ces pièces (elles-mêmes des arrangements) qui pour beaucoup ressemblent à du Whitacre en plus gentil. Mais réussi dans son genre, et particulièrement concernant les quelques pièces qui excèdent un peu ce cadre avec des harmonies plus recherchées (Sigurdbjörnsson).





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G. Symphonies


nouveautés
Saint-George – Symphonie en sol, Symphonies concertantes – CzChbO Pardubice, Halász (Naxos 2021)
→ Plutôt mieux que d'habitude, assez charmant même, mais toujours aussi aimable et peu marquant, vraiment de la musique décorative, réutilisant exactement les tournures de son temps. Ni plus ni moins.
→ Amusant : Naxos écrit Saint-Georges à la française, alors que son nom s'écrit Saint-George – tandis que le Wikipédia anglais écrit aussi Saint-Georges, en référence à son probable père.
→ Bissé. (Parce que j'étais occupé pendant ma première écoute, pas parce que c'est génial.)

♥♥ (Cipriani) Potter – Symphonie n°1, Intro & rondo « à la militaire », Ouverture Cymbeline – BBCNO Wales, Howard Griffiths (CPO 2021)
→ Très belles œuvres du jeune romantisme britannique, l'ouverture pour Cymbeline de Shakespeare en particulier !
→ Trissé.

♥♥ Bruckner – Symphonie n°4 (les trois versions) – Bamberg SO, Hrůša (Accentus Music 2021)
→ Passionnant choix de confronter les différentes versions, dans une lecture assez traditionnelle (contrastes limités, couleurs assez fondues, transitions plutôt lissées) mais détaillée, lisible et toujours vivante.
→ Parmi les belles choses à repérer : dans la première version, 1874, l'écriture est beaucoup plus continue (les grands unissons sont ici harmonisés, avec un aspect beaucoup plus continu et brahmsien que j'aime beaucoup, moins étrange en tout cas), en particulier dans le premier mouvement. Et dans le final, amusante marche harmonique sur figures violonistiques arpégées qui fleure bon sa Chevauchée des Walkyries.
→ Dans le premier mouvement de la deuxième version, 1878, bel éclat majeur très lumineux, plus du tout dans l'esprit majesté-de-voûtes-romanes, très réussi. La progression vers le dernier climax du final est aussi très réussie, implacable apothéose.

♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°6, Roméo & Juliette – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Beaucoup plus proche de la rectitude de leur Cinquième que du fol engagement de leurs 2 & 4.
→ Le développement du premier mouvement reste impressionnant (et le timbre pincé du hautbois solo délectable), mais le reste manque un peu de pathos à vrai dire, cette musique en a d'ordinaire suffisamment, mais tout paraît un peu peu germanisé et distancié ici, malgré l'investissement audible de toutes les parties.
→ La marche-scherzo n'est absolument pas terrifiante mais danse avec sourire et délectation, culminant dans le très bel éclat (purement musical) de son climax. Surprenant, mais assez convaincant.
→ Roméo et Juliette absolument pas russe non plus, mais la netteté au cordeau, la différenciation des timbres y a quelque chose de tout à fait grisant – purement musical ici encore, plutôt que passionné ou narratif. J'aime beaucoup, bien plus proche des qualités des 2 & 4.

Saint-Saëns – Symphonie n°1, Concerto pour violoncelle n°1, Bacchanale – Astrig Siranossian, Philharmonique de Westphalie méridionale, Nabil Shehata (Alpha 2021)
→ Pas très emporté par ce disque : soliste pas particulièrement charismatique (et capté un peu en arrière), orchestre peu coloré, plutôt opaque, très tradi… la Symphonie est jouée avec vie, mais rien qui change nos vies, je le crains.

Saint-Saëns – Symphonies Urbs Roma & n°3 – Liège RPO, Kantorow
→ À nouveauté pour cette intégrale Kantorow, pas de révolution dans la perception des œuvres, mais une exécution de bonne tenue – un peu épaisse pour ce que peuvent réellement produire ces symphonies, néanmoins.

♥♥♥ Mahler – Symphonie n°8 – Howarth, Schwanewilms, Fomina, Selinger, Bardon, Banks, Gadd, Rose ; LPO Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys Choir ; LPO, Jurowski (LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés en permanence !  Barry Banks aussi, dans la terrible partie de ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes, d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les masses – très beaux chœurs par ailleurs.
→ Trissé.

♥♥ Florence Price – Symphonies 1 & 3 – Philadelphia O, Nézet-Séguin (DGG 2021)
→ Symphonies d'un compositeur qui cumulait les handicaps de diffusion, et cumule à présent les motivations de programmation : femme et afro-américaine !
→ Le langage de la Première se fonde largement sur des thèmes issus du gospel et utilisés comme motifs qui se diffractent et évoluent à travers l'orchestre, au sein d'une orchestration aux couleurs variées, d'un beau lyrisme qui ne cherche jamais l'épanchement, d'une construction qui ne suspend jamais le plaisir d'entendre de belles mélodies, jusque dans les transitions.
→ La Troisième m'a paru moins vertigineuse : plus lisse et continue, moins motorique et générative, davantage tournée vers les mélodies (qui sonnent un peu plus populaires que gospel cette fois). Très beau dans son genre postromantique, très bien écrit, mais moins neuf et saisissant.
→ Avec la fluidité propre à Nézet-Séguin et les timbres miraculeux de Philadelphie, c'est un régal absolu, qui rend justice à un corpus réellement intéressant et riche musicalement, et simultanément très accessible !  Qu'attendons-nous pour programmer ces œuvres en concert, surtout avec la mode de la réhabilitation des minorités culturelles ?  Sûr que ça plairait d'emblée à un vaste public.
→ Trissé.

(Malcolm) Arnold – Concerto Gastronomique, Symphonie n°9  – Anna Gorbachyova-Ogilvie, Liepaja Symphony Orchestra, John Gibbons (Toccata Classics 2021)
→ La Symphonie n°9, véritable épure, n'est pas sans charme, et interprétée avec charisme (quels magnifiques solistes !).
→ Le Concerto Gastronomique aurait pu être amusant, mais il reproduit surtout des formules à la Arnold (les accords de cuivres à l'harmonique décalée et enrichie pour le Fromage, vraiment rien de figuratif ou de propre à son objet…).


Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :


1) Baroques & classiques

Wilhelm Friedmann Bach – Symphonies (fk 67 « dissonante » et fk 66 avec ricercar) & Harpsichord Concertos – Ensemble Arcomelo, Michele Benuzzi (La Bottega discantica 2008)

♥♥ Corrette – Symphonies de Noëls – La Fantasia, Rien Voskuilen (Brilliant)
→ Réjouissant de bout en bout !


2) Classiques

♥♥ Richter – Symphony No. 53 in D Major, "Trumpet Symphony"
London Mozart Players - Orchestra ; Bamert, Matthias - Conductor (Chandos 2007)

Johann Stamitz – Sinfonia Pastorale – Hogwood (Oiseau-Lyre)
+ symphonie en ré Op.3 n°2
→ Avec les thèmes plein de parentés.
→ Bissée.

♥♥♥ Gołąbek, Symphonies / Kurpiński, Concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une langue classique déjà très émancipée.


3) Deuxième romantisme

♥♥♥ Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique, en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait, d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la thématique folklorique, au demeurant.
→ (bissé la n°2)

♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°3 – Göteborg SO, Neeme Järvi (BIS)
→ Bissé.


4) XXe siècle

Schnittke – Symphony No. 1 – Tatyana Grindenko, Lubimov, Russian StSO, Rozhdestvensky (Chandos)
→ Atonal libre pas très beau.

Schnittke – Symphony No. 3 – Radio Berlin-Est, V. Jurowski (Pentatone)
→ Proche de la 4 (que j'aime énormément), en plus morne. Pas palpitant.




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H. Poèmes symphoniques


nouveautés
E. von Dohnányi – Ouverture de Tante Simona, Suite en fa#m, American Rhapsody – ÖRF, Paternostro (Capriccio 2021)
+ Leo Weiner – Serenade pour petit orchestre en fam
→ Belles œuvres, très consonantes et confortables dans leur postromantisme peu retors. Capriccio continue aussi bien de documenter les grandes œuvres ambitieuses du répertoire germanique chez Rott, Braunfels ou Schreker que d'explorer des œuvres moins mémorables, mais très bien bâties malgré leur ambition moindre.

♥♥♥ Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb absolument idéaux pour ces pages.
→ Bissé le Sacre, trissé les ouvertures.

Takemitsu – A Way a Lone II, Toward the Sea II, Dreamtime, « 1982 historic recordings) – Sapporo SO, Iwaki Hiroyuki (1982, DGG 2021)
→ Pour mesurer à quel point les orchestres japonais ont progressé… On peut trouver interprétations bien plus avenantes de ces belles œuvres (ou chef-d'œuvre, pour Toward the Sea II).
→ Complété par une heure de discours de Takemitsu, en japonais.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Weber – Ouvertures – Hanover Band, Roy Goodman (Nimbus 2000)
→ Assez décevant : capté de très loin, plans peu audibles, pas beaucoup de gain de timbres ou d'énergie avec les instruments d'époque.

Humperdinck – Rhapsodie mauresque – Gewandhaus Leipzig, Abendroth (réédition numérique Naxos)

Marx – Eine Frühlingsmusik, Idylle & Feste im Herbst – Radio-Symphonieorchester Wien, Wildner (CPO)
→ Comme la symphonie, en plus simple.




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I. Lied orchestral


nouveautés
♥♥♥ Saint-Saëns – La Princesse jaune – Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans, Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !

Vladigerov – Mélodies symphoniques – Bulgarie NRSO, Vladigerov (Capriccio 2021)
→ Moins séduisant et singulier, pour moi, que ses concertos ou symphonies, mais encore une fois du très beau postromantisme, très bien écrit, qui mérite d'être enregistré, réécouté, programmé en concert…

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

♥♥ Mahler – Das Lied von der Erde Kaufmann,Vienna Philharmonic, Nott (Sony 2017)
→ Kaufmann chante ténor et baryton à la fois. Les deux sont très bien, et Nott fait frémir Vienne plus que de coutume, avec des couleurs particulièrement fines et évocatrices, que l'orchestre se donne peu souvent la peine de produire !





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J. Concertos


nouveautés
♥♥♥ WÖLFL, J.: Piano Concertos Nos. 2 and 3 / Concerto da camera (Veljković, South West German Chamber Orchestra Pforzheim, Moesus) (CPO 2021)
→ Déjà beaucoup aimé, sorte de Mozart un peu plus tardif, dans ses Sonates (disque de Bavouzet par exemple), Wölfl confirme ici une véritable personnalité, et soutient remarquablement l'intérêt dans un genre d'essence décoratif – à l'oreille, le n°2 en mi, on dirait vraiment un Mozart perdu écrit pendant la série des concertos post-n°20 !
→ Bissé.

SPERGER, J.M.: Double Bass Concertos Nos. 2 and 15 / Sinfonia No. 30 (Patkoló, Kurpfälzisches Kammerorchester, Schlaefli)
→ Chouette, mais pourquoi toujours privilégier l'aigu pour un concerto d'instrument se distinguant au contraire par son extension grave ?

Saint-Saëns – Pièces rares pour violon et orchestre – Laurenceau, Orchestre de Picardie, Benjamin Lévy (Naïve 2021)
→ Essentiellement des Romances très lyriques, pas très passionné par leur contenu musical pour ma part, mais j'admire beaucoup le travail de pionnière de Geneviève Laurenceau (ancienne konzertmeisterin du Capitole de Toulouse), au service de compositeurs comme Magnard, Durosoir, Smyth, R. Clarke… Son très robuste et plein, pas du tout typé français, solidité et élan à toute épreuve.

Rubinstein: Piano Concertos Nos. 2 & 4 – Schaghajegh Nosrati, Radio-Symphonie-Orchester Berlin, Róbert Farkas (CPO 2021)
→ Un peu déçu en réécoutant ces œuvres, du concerto pour piano romantique très tourné vers le piano, qui perpétue un modèle post-chopinien, même si l'orchestre n'est pas sans intérêt.

Saygun, Işıközlü, Erkin, Kodallı… TURKISH PIANO MUSIC (THE BEST OF) (Biret, Güneş, Saygun, G.E. Lessing, Şimşek, Tüzün) (Idil Biret Archive 2021)
→ Œuvres vraiment pas fabuleuses sur la première œuvre du coffret : des concertos pour piano très difficiles à jouer, mais musicalement, un mélange d'orientalismes et de musique classique très formelle (quoique complexe), pas très mélodique ni riante. Le disque de trios piano-cordes turcs sorti cette année (chez Naxos) était autrement stimulant sur la production locale !

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

1) Pour piano

Hummel: Piano Concerto No. 2 in A Minor – Hough, B. Thomson (Chandos)
→ Très sympathique, là aussi vraiment un cousin chopinien ; j'en retiens surtout le beau solo de clarinette du final et son beau thème secondaire (le soin mélodique échappe toujours à l'automatisme, chez Hummel, tout de même l'immortel auteur du plus beau final de concerto pour basson de tous les temps !), mais ce reste globalement du concerto pour piano brillant, où le contenu musical n'entre qu'en seconde ligne par rapport à un quatuor ou une symphonie.

Thalberg – Concerto pour piano – Ponti
→ Assez formellement Thalberg, pas de grande surprise.

♥♥♥ Liszt – Totentanz – Berezovsky, Philharmonia, Wolff (Teldec)
→ Totalement fulgurant, parfait, surnaturel… le jeune Berezovsky était incroyable, d'une insolence proprement démoniaque.

♥♥♥ Henselt – Concerto pour piano Op.16 en fa mineur – Michael Ponti, Philharmonia Hungarica, Othmar Mága (VOX, réédition Brilliant Classics)
→ Très proche de Chopin dans les formules pianistiques, mais doté d'un orchestre très généreux, très bien écrit, qui puise à une tradition beaucoup plus luxuriante (Meyerbeer ?). Splendide et grisant, dans son genre lyrique mais travaillé !

Pierné – Concerto pour piano – Ponti
→ Très virtuose évidemment, de la musique très sérieuse qui contraste avec son final fondé sur la répétition inlassable de « Mets tes deux pieds en canard » de La Chenille qui redémarre.

♥♥♥ d'Albert – Concerto pour piano n°2Ponti
→ Quel beau lyrisme décidément !

Roussel – Concerto pour piano – Ponti

Sinding – Concerto pour piano – Ponti

BORTKIEWICZ, S.: Piano Concertos Nos. 2 and 3, "Per aspera ad astra" (Doniga, Janáček Philharmonic, Porcelijn) (Piano Classics 2018)

SCHNITTKE, A.: Piano Concerto / Concerto for Piano and String Orchestra / Concerto for Piano 4-hands and Chamber Orchestra (Kupiec, Strobel) (Phoenix 2008)
→ Version dotée d'un équilibre singuier du piano, plus intégré / symphonique. Pas celle que j'aime le plus, mais très belle, dans cette sélection de concertos considérables du XXe siècle !


2) Pour violon

♥♥ Tchaikovsky – Violin Concerto in D Major – Gitlis, Vienne SO, Hollreiser (VOX)
→ Impressionnant et ébouriffé, et l'orchestre est vraiment très bien, dynamique, présent, précis (contre toute attente vu la date, le chef et les conditions de non-répétition).
→ En revanche Gitlis, ce son très appuyé, ces effets qui bifurquent dans tous les sens, le rubato qui déborde en avant en arrière, j'entends trop que c'est du violon, ça me distrait de la musique.
→ Mais impressionnant d'insolence (la qualité parfaite du timbre avec un suraigu pas du tout tiré, surnaturelle), à connaître !
→ Orchestre splendide, ça ne ressemble pas du tout à un son viennois d'ailleurs, de l'excellente charpente à l'allemande, pas très coloré mais limpide sur tout le spectre, et avec vie et précision.

♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Dumay, LSO, Tchakarov (EMI)
→ Beau, simple, un peu lent.

♥♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Julia Fischer, Russie NO, Kreizberg (PentaTone 2006)
→ Sobre, doux, net, voilà qui tire davantage vers la poésie de la page. Et la culture russe de l'orchestre (quoique l'un des moins typés du pays) facilite les bonnes couleurs environnantes.

Tchaïkovski – Concerto pour violon – Hahn, Liverpool PO, V.Petrenko (DGG 2011)
→ Assez affirmatif, mais sobre, réussi ! Tempo très retenu.

Tchaïkovski – Concerto pour violon – Hudeček, S. de Prague, Bělohlávek (Supraphon)
→ Un peu gras pour ce que j'espérais d'un son tchèque au violon, pas mal de rubato quand même, et Bělohlávek toujours plutôt mou…
→ Est très bien, mais ne répond pas à mon espérance de netteté un peu acide en allant me tourner vers Supraphon !

¤ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Radulović, Borusan Istanbul PO, Sascha Goetzel (DGG 2017)
→ Puisqu'on m'en a dit le plus grand mal, j'écoute. Je l'avais adoré avant la notoriété, dans une vidéo de rue où il était pris en train de livrer une insolente et hautement pensée Chaconne de la Partita n°2 de Bach… Peu écouté depuis ses grands succès, vu son positionnement cross-over sur des tubes un peu retravaillés, ce qui m'intéresse moins.
→ Je découvre qu'il est carrément passé chez DGG, chez certains ça va la vie !
→ L'orchestre n'est pas le meilleur du monde (je trouve d'ailleurs qu'il sonne très oriental, comme s'il jouait du Saygun ou plutôt du… Say, ça n'aide pas ;
→ Côté goût, ce n'est pas affreux, mais en effet ça s'alanguit dans tous les sens, le tempo et le phrasé bougent sans cesse, c'est sur-interprété en permanence, je ne suis pas fan.
→ Et côté son, un peu tiré, oui, comme une voix qu'on voudrait pousser trop fort, il y a plus précis et plus timbré sur le marché – j'entends chaque année les plus aguerris jouer ça à la Philharmonie, je suis un peu blasé côté virtuosité extrême.
→ En somme pas horrible du tout, mais clairement je ne vois pas trop l'intérêt d'écouter ça vu l'offre délirante sur ce concerto.

Tchaïkovski – Concerto pour violon – Ehnes, Sydney SO, Ashkenazy (Onyx)
→ Très policé et propre, pas très palpitant, et pas assez effacé pour être seulement poétique.
→ Impression persistante que le violon sonne fort tout le temps.

♥♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Sarah Christian, Bremen KmPh, Rhorer
→ Accompagnement très net, interprétation très réussie (quoique, comme souvent, beaucoup de rubato superflu pour moi).

+ Borgstrøm – Concerto pour violon – Eldbjørg Hemsing, Wiener Symphoniker, Olari Elts (BIS 2018)


3) Pour autre chose

Telemann – Concertos pour vents (TWV 44:43, 51:D2, 51:D7, 52:d1, 52:e1, 53:D5) – Hoeprich & friends, Musica Antiqua Köln, Goebel
→ Joli son d'orchestre, de la première (deuxième) génération d'ensembles baroques, pour des compositions peu trépidantes.

♥♥♥ P. Vranický, Haydn – Concertos pour violoncelle en ut – Enrico Bronzi, Orchestra di Padova e del Veneto, Enrico Bronzi (Concerto Classics)
→ Meilleure version du Haydn ! Cet orchestre, qui s'est imprégné de modes de jeu musicologiques au moins depuis Maag, propose des sonorités capiteuses tout en conservant le moelleux des instruments traditionnels. L'insolence, les trépidations de joie, la rêverie y sont portées au plus beau degré.

♥♥♥ Gołąbek, Symphonies / Kurpiński, Concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une langue classique déjà très émancipée.

Bacewicz – Concerto pour alto – Kamasa, Varsovie PO, Wisłocki (LP sur YT)
→ Un peu trop soliste pour mon goût. Atmosphère tourmentée.





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K. Musique de chambre

nouveautés
♥♥ Beethoven – Quatuors 12 & 14 – Ehnes SQ (Onyx 2021)
→ Version très aboutie, aux timbres superbes, issue d'un cycle en cours autour des derniers quatuors de Beethoven.
→ Bissé.

♥♥♥ Schubert – Quintette à cordes – Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos, cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence mélodique qu'on y met assez naturellement.

Hummel & Schubert: Piano Quintets – Libertalia Ensemble (CPO 2021)
→ Très beau quintette (avec piano et contrebasse) de Hummel, énormément de très belles choses là-dedans.
→ La version de la Truite n'est pas du tout le plus exaltante du marché, un peu grise par rapport aux versions très engagées et typées qu'on peut trouver par ailleurs (Kodály-Jandó, Immerseel, etc.).

PAGANINI, N.: String Quartet No. 3 / Duetti Nos. 1, 2, 3 (Pieranunzi, Falasca, Fiore, Leardini, Carlini) (CPO 2021)
→ Jolies œuvres aimables, bien jouées.

♥♥ Saint-Saëns, Rameau, LisztTrio piano-cordes n°2, Pièces de clavecin en concert (Suites 1 & 5), Orpheus (arrangement) – Trio Zadig (Fuga Libera 2021)
→ Un des tout meilleurs trios en activité (probablement le meilleur que je connaisse moi), avec en particulier des cordes d'un charisme extraordinaire.
→ Lecture assez traditionnellement lyrique-germanique de Saint-Saëns, avec un son très peu français, misant davantage sur une sorte d'audace virtuose, où chaque motif à chaque instrument est ciselé et immédiatement présent et mélodique. Cette attitude dynamise beaucoup cette page, déjà très belle.
→ Étonnante association avec un Rameau version trio romantique (très réussie) et cette transcription du poème symphonique de Liszt.
→ Trissé pour le Saint-Saëns, bissé pour le reste.

♥♥♥ Saint-Saëns – Quatuors 1 & 2 – Tchalik SQ (Alkonost Classic)
→ Lecture très consciente stylistiquement, et ardente, de ces quatuors magnifiant à la fois la contrainte formelle et la beauté de l'invention… ce jeune quatuor a évolué de façon assez fulgurante ces dernières années. (Son intégrale Hahn est fabuleuse aussi.)

(réédition)
♥♥♥ Mahler, Bertin-Maghit & Hersant – « No Time for Chamber Music » (extraits arrangés de Mahler) – Collectif9 (2018, réédition Alpha 2021)
→ Réédition de cet album d'une formidable inventivité, réutilisant dans des contextes nouveaux (et pour effectif chambriste comme l'indique le nom de l'ensemble !) des thèmes issus de l'œuvre de Mahler. Fascinant de contempler ces mélodies connues se mouvoir selon des chemins imprévus, et le tout exécuté à un niveau instrumental assez hallucinant, recréant un orchestre complet rien qu'avec leurs textures de cordes.
→ Totalement jubilatoire.
→ Trissé.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

GabrielliSonate con trombe e violini  – Cappella di San Petronio, Sergio Vartolo (Tactus)

♥♥ Schubert – Quintette piano-cordes en la – Anima Eterna Brugge, Immerseel (ZZT)

Hummel, Bertini – Quintette piano-cordes, Sextuor piano-cordes (MDG)
→ Hummel bissé.
→ Très belle version très bien captée. Meilleure que celle qui vient de sortir chez CPO (et couplage Bertini plus intéressant qu'une version moyenne de Schubert, évidemment…).

Wyschnegradsky - String quartet №2
→ Intéressant, à défaut de réellement séduisant.




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L. Violon

(solo ou accompagné)

nouveautés
Saint-Saëns – Pièces de caractère pour violon & piano – Fanny Clamagirand, Vanya Cohen (Naxos 2021)
→ On y retrouve les grands standards (Danse macabre, Rondo capriccioso, Havanaise…) et des pièces rares, où l'on peut profiter du son extraordinairement capiteux et flûté (produire un timbre aussi chantant, aussi peu « frotté » avec un violon relève du petit miracle) et de la musicalité de Clamagirand, qui impressionne beaucoup depuis quelques années déjà.
→ Pas de révélations particulières parmi les pièces moins célèbres, à mon sens.

♥♥ E. Andrée, Bonis, SmythSonates pour violon, « First Ladies » – Annette-Barbara Vogel, Durval Cesetti (Toccata Next 2021)
→ Décidément, quelques figures féminines commencent à solidement émerger, au moins dans le domaine de la mélodie et de la musique de chambre (et plus simplement du piano d'intérieur) !
→ Trois grandes compositrices… je n'ai pas été aussi impressionné par Bonis que par sa Sonate violoncelle-piano, mais Smyth me frappe à nouveau par sa typicité, sa façon de tisser le matériau folklorique dans les formes savantes… Très réussi.
→ De surcroît très bien joué, par une spécialiste de ce genre de bizarrerie – plusieurs disques Hans Gál à son actif !

Kreisler + divers arrangements et pièces virtuoses ou de caractère – « 12 Stradivari » – Janine Jansen, Antonio Pappano (Decca 2021)
→ Surtout intéressant pour son projet : réunir pendant 10 jours 12 stradivarius, dont certains plus joués depuis des années, ou jamais enregistrés, et concevoir un programme qui mette en valeur leurs caractéristiques ou le lien avec leurs possesseurs historiques. Le tout par une seule interprète.
→ Le projet est excitant mais le résultat, comme je pouvais m'y attendre (considérant ma sensibilité), reste assez peu exaltant : 1) on perçoit certes des nuances de timbre, mais le son d'un violon dépend avant tout de la personne qui joue sur le violon ; 2) le répertoire de pièces pittoresques n'est franchement pas passionnant si l'on n'est pas passionné du violon en soi, si l'on ne le regarde pas comme une épreuve d'athéltisme à travers des haies et balses obligées ; 3) le son adopté par Janine Jansen est uniformément très intensément vibré et assez dégoulinant, très loin de la sobriété légère qui fait son intérêt en tant qu'interprète – elle refuse en général les soulignements excessifs et les effets de manche, tandis que ce disque semble (un peu artificiellement) renouer avec cette tradition.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

(réécoute nouveauté)
♥♥♥ Il Sud: Seicento Violin Music in Southern Italy ; œuvres de Falconieri, Montalbano, Trabaci, Pandolfi, Leoni, Mayone ; Ensemble Exit, Emmanuel Resche-Caserta (Passacaille 2020)
→ Œuvres rares à la veine mélodique généreuse et aux diminutions expansives, dans une interprétation pleine de couleurs (assise sur orgue positif et théorbe, remarquablement captés), avec un violon solo à la fois chaleureux et plein d'aisance. Un peu grisant.

Messiaen – Thème & Variations – Alejandro Bustamante, Enrique Bagaria (Columna Music)
→ Accords réguliers très marqués dans le style harmonique Messiaen, soutenant un violon plus lyrique.




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M. Violoncelle

(solo ou accompagné)

Frescobaldi, Ortiz, Vitali, Galli, Degli Antoni – Canzoni pour violoncelle(s) et basse continue – Cocset, Les Basses Réunies, Cocset (Alpha)
→ Quel son, quels phrasés !

♥♥ Gabrielli – Ricercari – Cocset (Agogique)
+ Vitali – Passacaglia

Bach – Suites pour violoncelle 1, 3 – Bruno Cocset (Alpha)
→ Vraiment différent, très vif et très droit. Manque de danse et de saveurs harmoniques pour moi, mais dans son genre fulgurant et droit au but, convaincant !




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N. Orgue

nouveautés
♥♥ Karg-Elert – Intégrale pour orgue, vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de Landau/Pfalz, Stefan Engels (Priory 2020)
→ Les Impressions sont d'un postromantisme très conservateur et peu saillant, mais la Partita tire au contraire le meilleur du pouvoir des atmosphères.
→ Quant aux variations-hommage à Haendel, elles montrent une maîtrise ludique d'organiste pour tout ce qui est des diminutions et de la registrations.
→ Superbe orgue riche et généreux, superbement registré et capté.


Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

1) Baroque XVIIe & louisquartorzien

Arauxo – Libro de tientos y discursos de musica practica, y theorica de organo (extraits) – Francesco Cera (Brilliant Classics 2018)

♥♥♥ Titelouze, Buxtehude, Pachelbel, Marchand, Boyvin, Corrette, Dandrieu… – Livres d'orgue sur les orgues du Jura franco-suisse  vol.1 – Delor, Baillot, Béraza, Meylan (Phaïa 1999)
→ Très belles orgues baroques françaises (Dole, Champagnole, Orgelet) ou suisse (Le Sentier), très typées. Et l'archaïsme de Titelouze, le grandiose de Marchand, le lyrisme de Boyvin, la fantaisie de Corrette & Dandrieu… Aussi des pièces d'Allemands, dont Buxtehude et (Georg) Böhm.
→ Un coffret totalement jubilatoire pour les amateurs d'orgue français, à connaître absolument !

Pachelbel – Œuvres pour orgue – Saint-Bonaventure de Rosemont à Montréal, Bernard Lagacé (Arion)
→ Captation très crue, pas très agréable.

♥♥ Pachelbel – Orgue vol. 2 – Essl & friends (CPO)
→ (Dont l'incroyable chaconne en sol, ♥♥♥.)

Pachelbel, Froberger, Muffat – « Organ Music Before Bach » – Kei Koito (DHM)

♥♥♥ Boyvin – Premier and Second livre d'orgue : Suites Nos. 1-8, « French Organ Music from the Golden Age, Vol. 6 » –  Bolbec, Ponsford (Nimbus)
→ Toujours aussi opératique ce Boyvin !

♥♥ André Raison  – Livre d'orgue – Ponsford à Saint-Michel en Thiérache (Nimbus)
→ Volume 3 de son anthologie française.

♥♥ Grigny, Lebègue – Orgue, motets – Ensemble Gilles Binchois, Nicolas Bucher (Hortus)
→ Sur l'orgue de l'abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu.

♥♥ Grigny – Les Hymnes – Lecaudey (Pavane)
→ Sur l'orgue Tribuot de Seurre.
https://www.deezer.com/fr/album/5407331

♥♥♥ Grigny – Le Livre pour orgue, avec alternatim – Vox Gregoriana, Mikkelsen

¤ Muffat – Œuvres pour orgue vol. 1 & 2 – Haselböck (Naxos)
→ Orgue blanc terrible.


2) XVIIIe siècle

♥♥♥ Dandrieu – Laissez paître vos bêtes – Maîtrise du CMBV, Jarry (CSV 2019)
→ Tube personnel, sur l'orgue de la Chapelle Royale de Versailles avec cet alternatim de la Maîtrise du CMBV !  (Il figure sur plusieurs notules de CSS.)

♥♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Gellone, Falcioni (Brilliant Classics)
→ (Première écoute intégrale du Livre ? Variations en réalité.)
→ Saveur extraordinaire, très pincée, acide, colorée, de l'orgue de Saint-Guilhem.

♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Bardon & St-Maximin

♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Baumont & Thiérache

♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Dom Bedos & Mouyen

♥♥ CorretteOffertoire La St François sur l'orgue Dom Bedos / Quoirin de Sainte Croix de Bordeaux (YT 2012)
09 - Dialogue sur les grands jeux - Paul Goussot (YT 2018)
→ Quel orgue !

♥♥ Balbastre – Noëls & pièces formelles – Rabiny-Maucourt-Puget (1781-1869-1953) de Saint-Félix-Lauragais, Pauline Koundouno-Chabert (Psalmus)
→ Pas la plus mobile des interprétations (pour cela, il y a Chapuis & Tchebourkina à Saint-Gervais !), mais le programme est très intelligemment conçu, avec son alternance de pièces formelles et de Noëls, qui évite toute lassitude… et l'orgue a des couleurs à la française réjouissantes !
→ Il existe de toute façon peu de grands recueils Balbastre, et celui-ci est l'un des plus plaisants !


3) XIXe siècle

♥♥♥ Schumann – Esquisses, Études, Fugues (orgue) – Rothkopf (Audite)
→ Trissé. (cf. notule sur ce disque)

♥♥ LISZT, F. / SCHUMANN, R. / MENDELSSOHN, Felix, Blanc, Albert Alain (Orgues du Jura Franco-Suisse, Vol. 2) (M.-C. Alain, Camelin, Champion, Lebrun, Leurent)
→ La Procession prise sous l'orage, quelle chose étonnante (figurative et réjouissante), à défaut d'être profonde musicalement !  Albert Alain est en revanche particulièrement ennuyeux, appliqué, sinistre.
→ Sur ces orgues aux timbres très typés français, les Mendelssohn-Schumann-Liszt prennent une saveur extraordinaire !


3) XXe siècle

Reger : Introduction, Passacaille et Fugue en mi mineur, Op. 127 – Gerhard Weinberger (CPO)
→ Quelle œuvre de la pleine démesure : l'élève (fantasmatique) de Fauré et de Wagner écrivant de la musique tonale (ce qu'il en reste) à l'époque de Wozzeck… Quelque chose dans cet esprit : vagabondage harmonique, certains accords très riches et dissonants, ambiance très sombre et pesante, Passacaille qui évoque davantage Berg que Brahms… le contrepoint, l'enharmonie et les errances tonales partout.
→ C'est monumental – quoique un peu sérieux et discipliné pour être réellement jubilatoire, me concernant. Mais très intéressant, effectivement au bout de la logique de Reger !
→ Très bien capté et phrasé.,

KARG-ELERT, S.: Organ and Piano Music - Poesien +  Silhouetten + arrangement de la Suite de Pelléas de Sibelius – Konttori-Gustafsson, Lehtola (Toccata Classics 2017)
→ La Suite de Pelléas fonctionne vraiment bien (l'orgue enveloppant, le piano mordant).
→ De belles choses dans les Silhouetten, quoique vraiment tradis.

REUCHSEL, E.: Promenades en Provence, Vols. 1-3 / Bouquet de France (extraits) – cathédrale St Louis (Missouri), Simon Nieminski
→ Les progressions figuratives sont beaucoup plus frappantes en vrai, mais ce disque sans éclat particulier a au moins le mérite rare de documenter un florilège de ce catalogue tout à fait digne d'intérêt. Je ne garantis cependant pas l'émotion à l'écoute de l'objet disque – je n'y suis pas parvenu.

Messiaen – L'Ascension – Innig (MDG)
→ Un peu sombre pour le lyrisme et les couleurs de cet opus.

♥♥ Messiaen – Livre saint Sacrement– Innig (MDG)
→ Très sobre et sombre, marche vraiment bien.

♥♥ Messiaen – Messe de la Pentecôte, Livre d'orgue – Innig (MDG)
→ Lecture très accessible, le Livre d'orgue (que je n'avais pas encore essayé dans cette intégrale) est même franchement réussi et échappe tout à fait au formalisme moche que j'y percevais d'ordinaire… !

♥♥ Florentz – Laudes, Prélude de l'Enfant noir, Debout sur le soleil, La Croix du Sud – Roquevaire, Thomas Monnet (Hortus 2014)
→ Très beau dans le style Messiaen, et assez sobre.
→ Trissé.




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O. Piano·s


(quatre mains)

nouveautés
(réédition)
SCHUMANN, R.: Arrangements for Piano Duet, Vol. 3 - Manfred (excerpts) / Symphony No. 3 / Overtures (Eckerle Piano Duo) (Naxos 2015, réédition 2021)
→ Intéressant (Manfred en particulier !), mais exécution vraiment molle. À retenter en d'autres mains.

Chausson, Ropartz, Massenet, Alkan, Chaminade, Godard – Pièces françaises à quatre mains, « Four Hands for France » – Stephanie McCallum, Annie Helyard (Toccata Classics 2021)
→ On retrouve Stephanie McCallum, déjà sur un de mes disques de l'Île Déserte (Dans l'ombre de la Montagne etles Préludes à danser pour chaque jour de la semaine de Ropartz), pour un programme qui, comme l'on pouvait s'y attendre, reste plutôt léger. Même Chausson, le tourmenté et modulant Chausson écrit de la bluette bien consonante, qui évoque davantage un décalque très assagi des Jeux d'enfants de Bizet que le langage d'Arthus ou de ses Maeterlinck… Les Ropartz aussi sont en deçà, à mon sens, du legs pianistique du compositeur. [Tout l'inverse des Allemands, donc, qui sont souvent meilleurs dans les configurations quatre mains / deux pianos.]
→ Très beau projet, mais je n'y ai trouvé rien d'essentiel pour ma part, je ne me sens pas de le recommander spécifiquement dans l'abondance de parutions…

KARG-ELERT, S.: Organ and Piano Music - Poesien +  Silhouetten + arrangement de la Suite de Pelléas de Sibelius – Konttori-Gustafsson, Lehtola (Toccata Classics 2017)
→ La Suite de Pelléas fonctionne vraiment bien (l'orgue enveloppant, le piano mordant).
→ De belles choses dans les Silhouetten, quoique vraiment tradis.


(deux mains)

Schumann, R.: Pedal Piano Music (Complete) - Studies, Op. 56 / 4 Sketches, Op. 58 / 6 Fugues On B-A-C-H (par Martin Schmeding, sur piano d'époque)
→ Rare disque sur un piano-pédalier d'époque. Pas forcément un plaisir au demeurant : piano limité (et peu fiable, d'après le pianiste).
→ En sus, jeu très carré, pas très poétique.

♥♥ Liszt – Vallée d'Obermann – Bolet
→ Toujours pas bouleversé par l'œuvre (souvent un peu univoque, le piano de Liszt).

Peterson-Berger – Improvisations au piano, mélodies – Peterson-Berger
→ Décoratif.

♥♥ Langgaard: Afgrundsmusik (Music of the Abyss), BVN 169 – Berit Johansen Tange
→ Ces inclusions soudaines de motifs brefs complètement dans le langage de Messiaen sont assez folles !




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P. Airs de cour, lieder & mélodies…


nouveautés
STROZZI, B.: Ariette a voce sola / Diporti di Euterpe / Sacri musicali affetti (La voce sola) (Dubinskaitė, Canto Fiorito) (Brilliant 2021)
→ Pas le plus édifiant corpus de son siècle, mais joliment écrit et très bien chanté.

♥♥♥ Schumann – Alle Lieder – Gerhaher, Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl… (Sony 2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe). Il manque une poignée de lieder présents dans l'intégrale Hyperion, mais sinon, même les lieder en duo et les liederspiele à 4 y sont, tous !
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances, c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération (Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair (même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent ensuite des traductions).

Duparc, Saint-Saëns, Fauré, Chausson, Ibert, Ravel – Mélodies « Aimer à loisir » – Boché, Durham, Fanyo, Timoshenko (B Records 2021)
→ Issus de leur résidence Royaumont (interrompue par certain perturbateur microscopique de votre connaissance), quatre mini-récitals de duos piano-chant de jeunes artistes, où se distingue particulièrement, sans surprise, Kaëlig Boché, exceptionnel diseur – même si la voix est hélas peu phonogénique par rapport à son intérêt en salle !  Pour entendre Axelle Fanyo à son meilleur, allez d'abord entendre sa dernière Mélodie persane qui vient de paraître en couplage avec La Princesse jaune !

♥♥ (Dinu) Lipatti, Enescu, (Violeta) Dinescu – « Hommage à Dinu Lipatti  », Cycles de mélodies françaises (+ un lied de Dinescu) – Markus Schäfer, Mihai Ungureanu (Drever Gaido)
→ Quelle belle surprise que ce disque, qui documente pour la première fois les mélodies (on dispose que de quelques autres œuvres du disque) de Lipatti ! 
→ Je croyais à une réédition de ses interprétations de Chopin, j'ai failli passer mon chemin et puis j'ai vu le nom de Markus Schäfer, interprète vivant… Bien m'en a pris !
→ Les Marot d'Enescu (remarquablement naturels et riches à la fois) sont couplés avec les Verlaine de Lipatti (un peu plus ouvertement complexes et appliqués, prosodiquement moins exacts, mais très intéressants musicalement). Très belle découverte !
→ Hélas, sur le plan de la réalisation, il faut se contenter d'un français à très fort accent, Schäfer fait ce qu'il peut avec générosité, mais ce n'est clairement pas équivalent à un grand disque de mélodiste aguerri.
→ La longue pièce de Dinescu qui conclut est beaucoup plus ancrée dans le contemporain, mais très vivante et d'une expression assez naturelle malgré les effets. Une belle réussite.

♥♥♥ Miaskovski (Myaskovsky)– « Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique, 12 Romances d'après Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova, Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)
→ Quelle belle surprise que ce corpus, dans le goût généreux, d'un postromantisme enrichi, de ses premiers quatuors (on peut penser au langage traditionnel mais évolué des 4 & 5 !), et très bien servi. → Un très beau jalon du répertoire russe (soviétique en l'occurrence, mais ce sonne plutôt russe).

♥♥♥ Hahn – Trois jours de vendange – Théruel (YT)
→ L'idéal de la mélodie, l'idéal du chant aussi.

Debussy – Mandoline, Le Tombeau des Naïades – Fleming, Thibaudet (Decca)
→ Très intensément dits (comme peu l'osent !), avec un style étrange (plein de changements de timbre, du glissando à tout va…).

Peterson-Berger – Improvisations au piano, mélodies – Peterson-Berger
→ Décoratif.




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Si vous suivez mon exemple, je devrais vous tenir occupés quelques jours encore, le temps que je fournisse une notule digne de ce nom. D'autant que beaucoup de ces disques (à 2 ou 3 cœurs) méritent amplement d'être écoutés plus d'une fois !  Ainsi que ceux des épisodes précédents.

Puissiez-vous, estimés lecteurs, jouir des beautés de la musique retrouvée, tandis que l'Automne – et peut-être les Variants – s'empare doucement de nos vies en extérieur.

jeudi 16 septembre 2021

Les paradoxes de l'orgue : le mauvais répertoire pour le mauvais instrument


Récit

Sur les routes du Forez et du Livradois, en direction des fresques XIe et du cloître roman de Lavaudieu. la route la plus brève nous mène, comme tout bon carrefour de France, au pied d'une autre prestigieuse abbaye – mère de nombreuses – aux contours partiellement fortifiés.

Le temps de descendre de monture, nous percevons, dès l'abord du chevet, les vibrations qui transpirent des pierres.

En paisible hâte, nous poussons le portail Ouest… et se produit alors un miracle comme seule l'apparition de la Foi peut en dispenser : ma compagnonne d'aventure, plutôt rétive d'ordinaire aux abstractions bruyantes de l'orgue, tombe à genoux et s'écrie devant l'assistance des pèlerins en bure, massés autour du jubé où plane le Christ glorieux et crucifié,

« JE CROIS ! ».

Ce prodige, que Dieu accomplit par le truchement des jeux d'anches à la française, est révélateur, non seulement de Sa puissance et de Son goût assuré, mais aussi de quelques-unes des tensions internes à l'orgue. Tensions qui expliquent sa place singulière, à la fois le plus accessible des instruments, audible en personne et gratuitement rien qu'en poussant une porte voisine, et le répertoire le plus ésotérique, très éloigné des autres genres, complexe, souvent tourné vers la musique pure…

Cet épisode authentique de ma vie – ne croyez surtout pas que j'aie eu le front d'y apporter quelques enjolivements insincères – m'incite à l'Espérance, et tout en vous transmettant mes réflexions métaphysiques sur la Double Nature (de l'orgue), me fait aspirer à donner quelques pistes à ceux qui n'ont pas encore accepté la (toute divine) Grâce de ce répertoire.



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Extrait de la Chaconne en sol (inédite) de Pachelbel qui nous accueillit en la Casa Dei.

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La chaconne complète par le même Jürgen Essl, le seul organiste à l'avoir enregistré, sur les orgues de Simmern (chez CPO).



mendelssohn motets féminins orgue bernius
L'orgue Dom Bedos – Quoirin de Sainte-Croix de Bordeaux, où je vécus moi-même semblable révélation.



Le plus accessible des instruments ?

    L'orgue devrait pourtant être un instrument qui nous demeure des plus familiers : quoiqu'il ne soit pas le plus ancien des instruments qui ont encore cours en Europe, ce doit être celui dont les exemplaires les plus anciens nous soient parvenus – il reste quelques buffets et tuyaux du Moyen-Âge.
    Il est tellement emblématique de la musique européenne qu'en arabe, le terme pour désigner l'instrument est plus ou moins – si j'ai bien compris ce que les locuteurs m'ont expliqué – le terme « romain », sous-entendu « l'instrument romain / européen / chrétien ».

    Outre sa présence familière au sein de la liturgie pour les pratiquants – créant une exposition mécanique pour toute une population qui n'est pas nécessairement mélomane –, il a aussi la particularité d'être audible gratuitement. La plupart des concerts et auditions d'orgue se déroulent ainsi en entrée libre ou au chapeau. Dans les quelques cas où il sont payants, les tarifs sont rarement élevés… et il reste toujours possible de contourner la chose en allant écouter les pièces de sortie jouées en fin d'office ou les répétitions des organistes en journée…
    Je pourrais vous narrer en hautes couleurs les chocs vécus en entrant par hasard à l'heure où l'organiste de Saint-Gilles d'Étampes répète du Boyvin sous les insolites fresques honorant les artisans-mécènes du XVIe siècle, ou, comme vous le savez désormais, à l'instant où Jürgen Essl s'essaie à une chaconne à la française de Pachelbel sur l'anonyme-Carouge de La Chaise-Dieu.

    Et cette expérience peut advenir pour n'importe quel néophyte qui pénètre par hasard dans une église pour prier, visiter, se reposer… Surtout qu'il s'y ajoute la dimension la plus évidente : l'impact physique de l'instrument. La technique à vent, la largeur des tuyaux, leur spatialisation dans l'instrument, la réverbération des voûtes produisent immédiatement une expérience sensorielle très concrète, très physique : il n'est pas besoin d'être initié pour sentir le son toucher notre peau, l'espace se remplir des échos, pour percevoir le contraste entre les timbres des jeux…
    Quand vous avez des anches ou des chamades qui se mettent à crépiter, il n'est plus question de musicien savant ou d'auditeur innocent, tout le monde perçoit ce qui se passe.

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Chant des Marseillais & Ah ça ira arrangés par Balbastre. (Interprétation de Michel Chapuis à Saint-Roch, chez Natives.)
C'est en jouant ainsi des airs révolutionnaires que Balbastre, organiste des rois, sauva l'orgue de Notre-Dame.


    Prenez deux récitals de pianistes ou d'orchestres différents : il faut être un peu informé pour bien sentir la différence entre les deux. Entre deux orgues, n'importe quel visiteur ingénu percevra immédiatement les différences de timbre, de volume, d'acoustique. De là découle le caractère immédiatement accessible de cet instrument, ludique aussi avec toutes ses tirettes, ses jeux qui portent des noms imitant d'autres instruments…

    De surcroît, les organistes répètent régulièrement, et par la force des choses, souvent en public – bien sûr, ils ont la clef et peuvent aussi le faire aux heures de fermeture –, il est donc très facile de se faire plaisir ou d'être surpris par la musique. Par-dessus le marché, considérant le nombre d'églises au km², en France et dans pas mal de pays d'Europe, il suffit d'être dans une ville pour disposer d'un choix particulièrement vaste de paroisses… et donc d'instruments. À cela s'ajoute qu'il n'y a pas d'horaires universels pour les concerts d'orgue, et qu'on peut aussi bien en trouver le dimanche midi que le jeudi soir, ce qui permet à chacun de trouver un moment compatible…

    Voilà, l'orgue est le plus accessible des instruments, tous les Européens l'adorent, il est tellement facile d'accès et réjouissant. Fin. Notule suivante.



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Le Dialogue sur les grands jeux qui clôt la première hymne du Livre d'orgue de Grigny, Veni Creator, tel que joué à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume par Pierre Bardon (chez Pierre Vérany). Le paradis des anches rugissantes !



Le moins accessible des répertoires

    … Vous aurez cependant sans doute noté que, malgré toutes les observations pourtant assez évidentes ci-dessus… les gens qui aiment la musique classique ajoutent en général plutôt « je fais du piano », « les voix de ténor me donnent des frissons » ou « j'adore le Philharmonique de Berlin », et plutôt rarement « j'ai passé le week-end au Prytanée de La Flèche ».

    Car l'orgue constitue bel et bien une niche au sein de la niche musique classique : énormément de mélomanes n'aiment pas l'orgue, ne le connaissent pas bien ou ne s'y intéressent pas. Et malgré les avantages pratiques effleurés supra, ce n'est pas sans raison. En effet le répertoire d'orgue est possiblement le plus intellectuel de toute la musique classique.

    Bien sûr, il existe aussi le lied ou le quatuor, dont le public est probablement encore plus chic et éduqué. Cependant le tarif d'entrée du lied, pour une bonne part de son répertoire, tient davantage à la maîtrise de l'allemand et à la culture poétique qu'à la difficulté proprement musicale ; et le quatuor utilise malgré des tout des formes qui restent plutôt intuitives (les scherzos, les rondeaux finaux, les variations, même la forme sonate lorsqu'elle n'est pas trop sophistiquée…) par rapport à la quantité de variations et de fugues du répertoire d'orgue.
    Car l'orgue, lui, dispose d'un public probablement un peu moins intellectuel au sens littéraire, mais constitué de véritables passionnés particulièrement érudits sur la musique même, sur les instruments (sans comparaison avec les esthètes plus touche-à-tout passionnés d'architecture, de poésie et de cinéma qu'on trouvera dans les soirées de lied), incluant énormément de praticiens, amateurs de bons niveau. Il faut dire que les compositeurs tutélaires de l'orgue ne correspondent pas du tout aux « grands compositeurs » célèbres dans tous les autres répertoires… Haydn, Beethoven, Brahms, Mahler, Debussy, Ravel, Stravinski… vous pouvez oublier ces noms, ça n'existe pas ici en dehors des transcriptions – enfin, si, ça existe un peu mais ce n'est pas vraiment intéressant ni emblématique. L'orgue français, ce n'est pas Gounod-Bizet-Fauré-Debussy-Ravel, mais plutôt Boëllmann-Widor-Vierne-Alain-Langlais-Messiaen…

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L'« Amen » de l'hymne Verbum supernum de Nicolas de Grigny (orgue Tribuot de Seurre, 1699) par Lecaudey, exemple typique de contrepoint écrasé par la registration (et dans bien d'autres occurrence l'acoustique), même si le résultat en est assez excitant (quels timbres !).

    Se pose alors la question du pourquoi ?  Pourquoi cet instrument que tout prédispose à la plus grande popularité demeure-t-il admiré essentiellement par ceux qui le pratiquent et quelques autres passionnés un peu monomaniaques – vous trouverez peu d'amateurs d'orgue tièdes, on bascule vite de « j'aime bien un ou deux disques que j'écoute une fois dans l'année » à « je connais la composition des principaux instruments d'Europe et la registration précise de toutes les symphonies de Widor ».
    Je vois quelques pistes, structurelles et/ou historiques.

    Structurellement, l'instrument a ses limites. Certes, il jouit de couleurs presque infinies grâce à ses jeux, mais il ne dispose pas de nuances dynamiques individualisées. Sur tous les instruments (à part le clavecin), on peut varier l'attaque, et en particulier l'intensité du son, doux ou fort, ce qui crée des phrasés expressifs, qui imitent la parole. Sur l'orgue, non. La touche actionne un tuyau, le processus est binaire : souffle dans le tuyau ou pas de souffle dans le tuyau. (Imaginez une symphonie de Mahler sans contrastes non seulement entre les phrases, mais entre les notes d'un thème, sans progression possible…)
    Cette remarque fait en général hurler à la mort les organistes – mais je me permets de le souligner, ayant déjà joué sur quelques vénérables de ces instruments –, et pourtant : pour varier l'intensité, on peut ajouter ou retirer des jeux, mais pas timbrer ou attaquer différemment une note, une partie de phrasé. Les Romantiques ont bien ajouté des pédales d'intensité à leurs orgues, mais il s'agit d'une aimable plaisanterie : la pédale va réguler la puissance de tous les jeux à la fois (il existe peut-être des modèles où ce peut être fait clavier par clavier, mais impossible sur une note en particulier), ce qui permet de souligner les équilibres structurels… et n'agit absolument pas sur les phrasés.
    Le seul paramètre dont peut disposer un organiste tient dans le lié ou le détaché, comme au clavecin, qui permet de mettre en valeur telle ou telle note, de créer des appuis. C'est pourquoi il est souvent difficile de faire la différence entre les organistes : on entend très fort le timbre et les caractéristiques de l'orgue qu'ils jouent, mais leurs qualités propres tiennent dans la netteté et la finesse de leurs détachés entre les notes… il faut être déjà un peu savant, voire un peu praticien, pour vraiment faire la différence. (Honnêtement, entre Marie-Claire Alain qui joue sur un orgue baroque et Michel Chapuis sur un orgue moderne, on peut vite prendre l'un pour l'autre si l'on n'est pas un brin érudit. Alors qu'Oïstrakh, Starker ou Karajan, on les repère tout de suite au son, aux manières…)

    [Bien que ce n'ait pas de rapport direct avec notre propos d'aujourd'hui, cette absence de nuances dynamiques individuelles sur les orgues explique aussi pourquoi les organistes qui se tournent occasionnellement vers le piano jouent souvent de façon très brutale, parce qu'ils n'ont pas l'habitude de surveiller la force avec laquelle ils appuisent sur les touches : sur un orgue à traction mécanique il faut appuyer fort, et sur les autres c'est indifférent, mais il n'y a pas d'enjeu à modérer l'attaque pour effectuer des nuances douces ou timbrer le son. Ça s'entend chez énormément d'organistes, professionnels ou amateurs, qui jouent du piano de temps à autre en dilettante. Au disque, on peut s'en apercevoir à la marge chez Guillou, dans sa Sonate pour piano de Reubke. Et, bien sûr, ce n'est pas une remarque universelle, certains grands organistes jouent divinement les pièces les plus virtuoses du répertoire de piano, avec moirures et nuances, comme Georges Delvallée dans les 12 Préludes-Poèmes de Tournemire, monumental cycle d'envergure lisztienne. Mais cela réclame un travail tout à fait spécifique – c'est être virtuose de deux instruments parents mais bien distincts.]
  
    En quoi est-ce un problème ?  Cette caractéristique tend à uniformiser les phrasés, entre les organistes, mais aussi dans une œuvre. Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi les arrangements d'extraits de Wagner, de symphonies de Bruckner ou du Sacre du Printemps ne fonctionnaient jamais parfaitement dans les arrangements pour orgue, vous tenez votre réponse : il n'est pas possible de faire monter en intensité un phrasé, de moduler des dynamiques au sein de la phrase. On peut produire un gros crescendo collectif des tuyaux, et c'est tout. Cette impossibilité d'individualiser l'attaque impose immédiatement une sorte de raideur au résultat, et participe fortement à l'impression de distance, de froideur intellectuelle, que peut ressentir le néophyte face à l'orgue : tout est un peu raide, un peu sur le même plan, et c'est à notre esprit d'aller chercher les structures, les progressions en écoutant le détail de l'harmonie ou du contrepoint – ce qui n'est pas toujours facile, pour des raisons aussi bien de formation musicale que de conditions pratiques. J'y viens.

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Dans cette (magnifique) transcription d'Yves Rechsteiner pour le Rigaudon du Castor & Pollux de Rameau, on entend bien la nature des nuances, qui tient aux nombres de jeux accouplés, et ne peut changer au cours du phrasé.
(Pour autant, je n'ai mis que des exemples d'une singularité et d'une beauté suffocantes, vous ne serez donc pas gênés !)

    Ce ne serait pas bien gênant si l'orgue consistait essentiellement en œuvres à base de grands accords, dont la lisibilité serait évidente et l'impact physique tout à fait immédiat. Et pourtant, contre toute logique, le répertoire d'orgue, censé prolonger la célébration de la Foi, et donc accompagner des fidèles qui ne sont pas nécessairement des mélomanes (et encore moins nécessairement des mélomanes érudits), développe plus qu'aucun autre le contrepoint et la recherche harmonique. Contrepoint, c'est-à-dire que plusieurs mélodies simultanées s'entrecroisent ; recherche harmonique, c'est-à-dire que l'enchaînement entre les accords, au lieu d'emprunter des schémas connus, ménage beaucoup de surprises, de bifurcations, qui soutiennent l'intérêt, créent des mondes nouveaux, mais sont aussi beaucoup plus difficiles à suivre et comprendre. Je suppose que c'est là le fruit de la formation des maîtres de chapelle, élevés dans une sorte d'abstraction musicale – où la contrainte de plaire au public comme à l'Opéra, où l'on va insister sur les jolies mélodies, ou comme pour les concertos, où la virtuosité doit être très extérieurement visible par le déplacement des doigts (tandis que l'organiste est caché ou, à tout le moins, de dos), n'a pas cours –, qui les a conduits à fouiller la musique même plutôt que de rechercher l'accessibilité pour le public. On parle aussi d'un temps où la messe était célébrée en latin par l'officiant de dos : une forme d'inaccessibilité mystique, une perception de mondes souterrains qu'on n'appréhende pas totalement, n'étaient pas nécessairement déplacés dans la mentalité collective.
    Dommage que cela tombe sur l'instrument dont les concerts sont le plus aisément à la disposition à tous.

    Mais ce ne serait pas réellement un problème s'il était possible de se former patiemment l'oreille… car, non-sens des non-sens, ce répertoire, le plus raffiné de tous dans ses recherches contrapuntiques et harmoniques… se joue dans des acoustiques la réverbération du son ne permet… que d'entendre la mélodie supérieure !  Et c'est ce qui me fascine dans le répertoire d'orgue : les gars (parce qu'ils en avaient la liberté ou, comme je l'ai supposé ici, parce que cela faisait écho à une perception transcendantale de la religion) ont écrit des pièces d'une parfaite complexité… sur l'instrument où l'on ne peut pas l'entendre !  La plupart du temps, les églises sont trop grandes, les acoustiques pas adaptées, et beaucoup d'instruments – c'est là où j'arrive à mon sujet véritable – ont des timbres tellement fondus et épais qu'il est quasiment impossible, sans la partition dans la main (et même avec, j'ai testé pour vous…), d'entendre les contrechants et parfois même la mélodie principale !

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Je poursuis mon exposé de contre-exemples avec les timbres tellement différenciés, très pincés, acides, colorés, capiteux du Cavaillé-Sals de l'abbaye de Gellone à Saint-Guilhem-le-Désert.
Ici, le Troisième Noël de Daquin, par Falcioni (chez Brilliant Classics), variations sur des noëls populaires. Aussi éloigné que possible de la facture XIXe qui veut homogénéiser les jeux.

    De là provient mon scepticisme face aux Cavaillé-Coll : certes, ils font du gros son, mais les timbres des jeux sont très peu individualisés par rapport aux orgues baroques (ou même néoclassiques du XXe, qui n'ont pourtant pas ma faveur non plus), et surtout les mixtures (assemblages standards de jeux formant une grande densité timbrale) saturent l'espace sonore et rendent le contrepoint (voire des parts entière du spectre sonore) complètement inaudible et masqué. À la Madeleine, en registrant bien, on peut s'en tirer ; à Saint-Sulpice, dès qu'on part sur les grands jeux, c'est fini, on n'entend plus qu'une masse.

    Pas étonnant, donc, que les néophytes n'aiment pas toujours l'orgue : la raideur dynamique, on ne peut rien y faire (à part jouer sur les détachés, la registration, alterner entre les claviers…), c'est le cahier des charges de l'instrument ; mais évidemment, si ce sont les œuvres les plus complexes du répertoire, pas vraiment conçues pour être comprises par le public, et qu'on les joue sur les instruments et dans des acoustiques où l'on n'entend rien, il faut beaucoup de patience pour comprendre cet univers.
    Je l'avoue, cet écart me fascine : avoir choisi justement l'instrument et le lieu le moins propice pour produire tout ce répertoire très largement fait de contrepoints abondants et de progressions harmoniques subtiles – qu'avaient-ils dans la tête, les organistes ?  (Peut-être une conception particulière du sacré inacessible ou une ivresse de leur liberté créatrice par rapport aux compositeurs dont le métier était de plaire à la presse et au public, je ne sais.)



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Corrette, Noël « À minuit fut fait » sur l'orgue d'Orgelet (dans le Jura), par Meylan.
Contre-exemple de composition simple où l'on entend.




Conversions

Une fois tout ceci posé, comment aborder l'orgue ?  Comment convertir ou se convertir ? 

Il y aura ceux qui se sentent immédiatement attirés, fascinés par la puissance et l'impact physique, ou qui aiment les pièces très figuratives des Romantiques, façon final de la Symphonie n°5 de Widor ou Carillon de Westminster de Vierne. Ceux-là sont déjà sauvés et pourront grossir le rang des amateurs d'orgue. Ou les adorateurs de Bach, qui sont des gens bizarres, en général assez peu sensibles à des contingences telles que « c'est trop compliqué, je n'y comprends rien » ou « c'est trop réverbéré, je n'entends pas », et resteront enthousiastes « parce que Bach c'est le sang ».

Mais tous les réticents qui trouvent ces grosses machines insupportablement bruyantes et superficielles, qui tiennent l'orgue pour du gros pouêt-pouêt censé impressionner la foi du charbonnier plutôt que la mélomanie de l'honnête homme… il existe des médications – comme vous l'a laissé supposer mon récit liminaire.

Si vous n'aimez pas l'orgue ou voulez convertir à l'orgue, tous les passionnés vous confirmeront que le choix de l'instrument (et de la captation, si vous le faites par le disque) est capital. Il faut vraiment donner accès à une grande variété de factures, et dans les bonnes conditions sonores. J'ai ainsi été témoin de conversions – à commencer par la mienne, indifférent que j'étais à ce répertoire tellement centré sur ses propres compositeurs – liées à des portions précises du répertoire d'orgue.

Peuvent influer :
a → Bien sûr le style du répertoire, du baroque au contemporain.
b → La forme de la pièce : les grands accords sont plus immédiatement physiques et lisibles, mais il existe aussi des pièces avec un jeu de fond + un jeu d'anche qui tient la mélodie, de grandes variations (chaconnes & passacailles notamment), des toccatas conçues pour une virtuosité plus digitale (avec un résultat plus vif et « liquide » en général), et bien sûr mainte fugue pour les amateurs de contrepoint !
c → Le type d'orgue. Capital : les orgues baroques ont des timbres beaucoup plus différenciés, en particulier en France, où les jeux d'anches ont une saveur assez incroyable, très nasals, très verts. Ils font souvent la différence chez ceux qui ne connaissent que les gros Cavaillé-Coll ou les néoclassiques un peu froids.
d → La registration : le plein-jeu est très brillant et saturé (utilisé pour les pièces d'ouverture en général), les jeux d'anches très mordants et puissants (on parle de « grands jeux » lorsqu'on les regroupe, en général avec de la mixture), les jeux de fond très doux et transparents… on peut être sensible plutôt à l'une ou l'autre composante.

Il faut tout essayer avant d'admettre, que, vraiment, il n'y a rien à faire, votre victime n'aime pas l'orgue.

Mais, j'insiste, avec l'orgue baroque français, il y a de quoi changer radicalement les perceptions. Particulièrement en vrai, où leur impact est très physique. Regardez dans votre région, et faites un tour au Dom Bedos de Bordeaux (33), à Sarlat (24), à Poitiers, à Cintegabelle, au Prytanée de La Flèche, à Bolbec, à Houdan, à la Chapelle Royale de Versailles, à Fresnes, à Beaufays (Belgique), à Saint-Michel-en-Thiérache, à Seurre, à Dole, à Champagnole, à Orgelet, au Sentier (Suisse), à La Chaise-Dieu, à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, à Saint-Guilhem-le-Désert…



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Les mélodies toujours très verbales, comme un récitatif d'opéra ou une prosodie de Leçon de Ténèbre, de Boyvin. Ici un dialogue de récit de Cromorne sur l'orgue de Champagnole, par Delor.



Mes exemples ont prolongé l'idée de départ : l'orgue à la baroque-française, aux timbres très typés et dépareillés, qui rompt brutalement avec la représentation des choses harmonieuses et monumentales qu'on se représente dans l'imaginaire collectif – et qui peuplent, il est vrai, la plupart des vastes églises.

Pour autant, si l'on veut contourner l'orgue à la Bach ou à la Widor – j'aime beaucoup Widor au demeurant, même comme organiste, je l'ai souvent joué et avec plaisir, qu'on ne se méprenne pas (je pense seulement qu'il ne faut pas se limiter à cette perception de l'orgue) –, on peut tout à fait élire domicile ailleurs. Le XXe siècle a produit, bien évidemment, quantité de propositions originales, que ce soient les impressionnistes Pastels du Lac de Constance de Karg-Elert, les diverses périodes de Messiaen (où les accords augmentés produisent en réalité une consonance nouvelle et enrichie, très accessible dans L'Ascension ou La Nativité), les trois livres de Promenades en Provence de Reuchsel, les pièces intimes (Laudes) ou gigantesquement ambitieuses (Debout sur le soleil, La Croix du Sud) de Florentz… sans parler des expérimentations de Cage (les accords qui durent plusieurs années, plusieurs églises dans le monde l'exécutent en ce moment) ou Ligeti (il faut repousser la tirette le jeu alors qu'il est en train de souffler, pour un effet d'aspiration-effondrement assez singulier !).

Tout cela pour m'émerveiller de ce paradoxe angulaire : la musique la plus complexe écrite pour être donnée là où on l'entendra le moins précisément. Et pour tenter d'expliquer ce désamour d'une large frange du public – non sans fondement, donc. Mais aussi pour suggérer des pistes d'exploration. Il faut essayer. Divers styles. En acceptant les limites de l'instrument et la grande typicité du répertoire.

J'avais en projet de clore par une discographie de choix alternatifs / d'orgues typés / de coups de cœur personnels / de versions marquantes et/ou bien captées pour aider à ce parcours, mais ce sera un véritable travail de notule en soi. Je le garde pour la semaine prochaine ou pour un peu plus tard. (Je passe déjà une partie de ma nuit à vous entretenir de ces choses absolument pas indispensables au Salut de l'Humanité.)



Et pour ceux qui craignent de ne savoir patienter, ce petit texte dissimule 47 noms de jeux d'orgue.

Excellente semaine à vous, à célébrer la grandeur de l'anche française, célèbre à juste titre à travers toute l'Europe !

lundi 30 août 2021

Josef Metternich – ou ce que la technique lyrique n'est plus


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Alors que je soutiens volontiers que le niveau instrumental a extraordinairement augmenté depuis l'apparition du disque (il faut dire qu'arrêter d'envoyer sa jeunesse nourrir les canons a sans doute aidé…) – et ce, de façon très mesurable, il suffit de voir le nombre d'inexactitudes et de sorties de route, même pour Berlin ou le LSO, dans les années 50, et de les comparer à ce qu'on fait aujourd'hui dans les mêmes œuvres (certaines parvenaient difficilement à être jouées proprement, comme Sibelius !), pour pouvoir mesurer très concrètement qu'en effet, il n'existe pas de décadence, bien au contraire.

Sur l'interprétation (vraiment de l'ordre de la sensibilité personnelle), sur les modes de technique (le piano doux et peu projeté qui s'est répandu ces dernières décennies), on peut tout à fait discuter. D'autant qu'on peut aussi bien ressentir vivement le caractère plus policé de beaucoup d'exécutions d'aujourd'hui que vanter la conscience stylistique qui permet désormais aux mêmes artistes de jouer les répertoires sur divers instruments aux propriétés parfois assez différentes (en boyau, avec clétage totalement distinct, etc.). C'est un débat très stimulant, mais où prévaut la sensibilité individuelle – et, souvent, nos années de formation, nos premiers émois musicaux, les disques qui nous ont forgé, les concerts qui ont été des révélations… ou tout simplement le répertoire que l'on aime : clairement, si l'on vénère Monteverdi ou LULLY, il est probable qu'on considère l'existence d'avancées substantielles avant / après l'adoption des instruments d'époque (très rares sont les fanatiques de ces répertoires qui ne jurent que par Bruno Maderna et Nadia Boulanger !).

Cependant il est un instrument sujet à d'autres fluctuations, et où je suis un peu moins à l'aise de me retrouver (partiellement) en phase avec le discours de la décadente : la voix. Peut-être parce qu'il n'est pas possible d'améliorer la facture (ça s'appelle la vie sentimentale, et d'une manière générale les spécialistes s'accordent à dire que c'est compliqué), et plus sûrement encore parce que beaucoup de paramètres externes influent sur la voix : celui qui chante est une personne qui utilise son cerveau et son corps comme dans toutes ses autres actions d'individu pensant et ressentant… on ne peut pas laisser reposer la voix dans sa boîte, la déconnecter des émotions parasites, etc.

Tout en mettant en garde face aux fantasmes de l'Âge d'Or nébuleux, j'ai déjà émis à votre intention, estimés lecteurs, quelques hypothèses expliquant que, pour le chant, les progrès ne soient pas si évidents – pour ne pas parler de régression sur certains répertoires emblématiques. Par exemple l'extension de la vie urbaine, où l'on est encouragé à ne pas parler fort, pour ne pas déranger, alors qu'en plein air la voix doit être efficace ; ou encore le changement très net de sociologie des chanteurs, jadis on accueillait des bergers (Tony Poncet) ou des garagistes (Robert Massard) somptueusement dotés, aujourd'hui on ne trouve plus que des étudiants en musicologie, en lettres, en langues, en mathématiques, très savants mais pas nécessairement ceux qui ont le rapport le plus naturel à leur corps en quelque sorte – il n'y a pas de règle à ce sujet, je souligne simplement que les voix naturelles de plein air ne sont plus du tout un vivier de recrutement, ce qui est symptomatique d'un rapport plus intellectuel au chant, favorisant moins les grandes voix que les têtes bien faites.
    On peut aussi émettre l'hypothèse des compétences annexes, qui favorisent notamment le solfège plus qu'autrefois (même s'il reste le fameux – et infamant – « solfège chanteur », comprenez « solfège simplifié parce que c'est dur de réfléchir pour un chanteur ») ou encore la maîtrise des langues étrangères, puisque tout se chante désormais en langue originale. (Autre sujet hautement débattable, même si la bataille semble perdue pour l'instant.)

Si je résume ce qui n'est que mon observation (certes sur de larges échantillons) et mon appréciation : dans certains répertoires, le progrès est évident (la précision de l'expression des chanteurs de lied, le sens des mots et des textures vocales en musique baroque – même si, dans le répertoire baroque français, je remarque une baisse dernièrement, pour de multiples raisons). Pour Mozart, je dirais que selon ce qu'on attend, on peut être diversement satisfait : globalement des musiciens plus fins, plus conscients du style, mais moins de grandes voix et de techniques bien faites. Pour Wagner et surtout Verdi, clairement le niveau n'est plus comparable : on arrive à trouver (quelques) chanteurs qui tiennent avec vaillance les rôles, mais plus du tout autant. Et souvent, c'est au prix d'un renforcement du métal et des formants, pour faire du son, mais avec un véritable manque de grâce, un effort audible, un aigu certes vaillamment émis mais dont tout le timbre a été sacrifié…

En vieillissant, contrairement à ce que j'avais espéré, je deviens moins patient avec les émissions vocales mal conçues – ce qui n'empêche pas d'être un artiste sensible et de faire une très grande carrière, que je ne conteste du reste pas du tout. (Coucou Jonas.)  Je suppose que, plutôt que l'aigrissement que je ne me souhaite pas, c'est l'effet d'avoir entendu in vivo beaucoup de techniques différentes, et d'avoir pu constater de première main ce qui fonctionnait bien et ce qui fonctionnait mal, simplement en termes de propagation sonore.

En tombant sur un ancien enregistrement, je voulais appuyer cette observation sur quelques exemples concrets.

(Dois-je préciser qu'il ne s'agit pas d'une démonstration universalisable : j'ai choisi un enregistrement que je trouve incroyable, et j'y confronte un autre qui n'est pas du tout ce qui se fait de mieux aujourd'hui – j'aurais pu prendre Cura en Otello, c'était une autre histoire, qui illustrerait au contraire la précision expressive et la souplesse vocale !  N'oublions jamais qu'aujourd'hui on enregistre tout, alors que dans les années 50 on n'enregistrait que la crème de la crème…)

Voici donc le duo de la fin de l'acte II d'Otello de Verdi, « Sì, pel cielo marmoreo giuro ».

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D'abord Franco Farina, grand titulaire du rôle à une période charnière où, entre les règnes de Plácido Domingo et de José Cura, peu de grandes figures soutenaient de façon probante le rôle à la scène. Les difficultés du rôle sont vaillamment affrontées, mais l'on remarque :
→ un grand flou sur la diction, les consonnes sont effacées pour permettre l'émission des voyelles ;
→ dans l'aigu, outre le vibrato (il chantait le rôle depuis longtemps, il est normal que le vibrato indique un peu de fatigue vocale), on remarque que la charpente de la voix prend le pas sur le timbre, et qu'il ne reste plus que la robustesse : le timbre agréable a disparu ;
→ l'émission n'est pas totalement en avant, ça « pleure » un peu à l'arrière, d'où l'effet de « traînée » dans les aigus, plus difficiles à sortir qu'avec une émission parfaitement antérieure.

Au demeurant, j'insiste, malgré la mauvaise réputation du chanteur, souvent conspué par les amateurs et les critiques (parce qu'il n'était, de fait, pas aussi extraordinaire que Domingo ou Cura…), c'est réellement bien chanté, avec une solide technique. Il manque seulement l'impression d'aisance, la petite finition qui fasse qu'en plus d'être assurée, la tierce aiguë dispose d'un beau timbre.

En Iago, Franz Grundheber, là encore on peut contester l'impartialité de mon choix : clairement, l'italien ne le met pas très à l'aise et ne l'aide pas (il a fait l'essentiel de sa carrière internationale dans des rôles dans sa langue maternelle) à trouver une belle couleur. La voix sonne d'ailleurs remarquablement dans les grandes salles, bien timbrée, très bien projetée, pouvant même détacher les consonnes avec grande netteté.
Ce qui m'intéresse ici est que la voix résonne beaucoup à l'intérieur, dans tous les résonateurs, avant de sortir, avec une haute impédance : c'est une façon de construire le son propre aux décennies récentes, qui n'existait guère dans les années 60. Elle est très efficace mais très lourde, et en général pas très gracieuse – comme ici.
Là encore, c'est bien chanté.

Si l'on veut plus problématique, davantage à la frontière du « pas bien » :

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Aleksandrs Antonenko, insubmersible, mais émis davantage en bouche, si bien la voix perd de son timbre (et de son impact), jusqu'à gémir pas très gracieusement, paraître une émission poussée au lieu de claquer comme espéré.
Željko Lučić, fin musicien, excellent belcantiste, mais la voix claire limite son potentiel dans le forte, et la voix détimbre franchement ici, à vouloir chanter fort et tendu alors que son instrument peu puissant est plutôt bâti pour les cantilènes belcantistes. Là aussi, la voix n'est pas assez en avant – et, de plus, manque de métal dans ses résonances formantiques (c'est-à-dire dans le réseau dense des harmoniques qui permettent de passer un orchestre), si bien que pour avoir l'impression de puissance, le chanteur force sur ses cordes vocales inutilement, alors que le soutien et surtout la résonance du son sont déjà à leur maximum (avec sa technique du moins).

On est déjà davantage du domaine du « bravo, vous avez réussi à chanter ces rôles impossibles, même si c'était pas très agréable à écouter ».

Ce que j'évoquais et qui semble un passé définitivement révolu (j'aurais aussi bien pu invoquer les Golaud d'Henri Etcheverry, Heinz Rehfuss, Michel Roux…) repose sur d'autres éléments techniques :

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Oui, là c'est hallucinant. Que se passe-t-il ?

Rudolf Schock et Josef Metternich émettent tous leurs sons très en avant, avec beaucoup de métal mais avec une impédance basse (on sent bien le peu de résistance du son avant de sortir), ce qui leur permet une grande clarté de diction.
Le cas de Metternich est particulièrement impressionnant : alors qu'il dispose clairement d'une grande extension aiguë (d'un potentiel de ténor, possiblement !), le son demeure très timbré même dans le grave, très en avant du visage.

Ce que je trouve exceptionnel chez lui, c'est l'impression qu'aucune résistance ne s'exerce dans la gorge, la bouche, le nez, comme si le souffle n'acquérait son timbre que sur la surface du visage, une fois sorti. Je crois que le phénomène repose notamment sur sa gestion de l'aperto-coperto : seule l'attaque est couverte (protégée, arrondie pour ne pas se casser la voix dans l'aigu sur les voyelles ouvertes), l'espace d'un instant, puis le reste de la voyelle est entièrement émis de façon libre, naturelle, conforme à la parole. De là provient aussi le petit halo, l'impression de frémissement, comme s'il était toujours habité par une forme de colère, quel que soit le rôle.

La liberté de l'émission, le naturel du verbe me laissent pantois. Et quand je vois, quelquefois, comment les professeurs abordent le chant lyrique, en commençant par laisser leurs étudiants couvrir et tuber leurs sons (avant même d'avoir commencé à placer leur voix et produire du volume !) pour « faire opéra », voire à les inciter dans cette voie, clairement la pensée de l'émission vocale n'est pas comparable.
Pour y parvenir, commencer par chanter dans la langue que l'on maîtrise le mieux me paraît une évidence (comment conserver liberté et obtenir couleur adéquate en essayant de chanter ce qu'on ne peut même pas gérer en parlant ?). En tout cas, de mon observation, chez les débutants, cela change tout.

Et, globalement, les voix aussi claires, naturelles, tranchantes et projetées sont très minoritaires aujourd'hui, a fortiori chez les barytons – il y a bien des exemples, comme Martin Gantner (plus nasal que la moyenne) ou Marc Mauillon… mais à la vérité ce n'est déjà plus la même technique que celle de nos aînées, qui semble perdue pour de bon. Alors que ses vertus, en particulier dans les répertoires où il faut faire « claquer » le sons, ne semblent pas avoir été remplacées par les nouvelles modes techniques, plus en bouches, moins nasales, moins franches, qui cherchent à unifier et sombrer d'une façon contre-productive (je l'entends tous les jours dans les salles) ne serait-ce qu'en matière de volume sonore… et même d'accès aux aigus !

Pour autant, il ne faut pas être malhonnête. À l'époque de Rudolf Schock, on avait aussi, comme partenaires de Josef Metternich, Peter Anders (très larmoyant et bien plus en arrière, une sorte de Christian Elsner des années 50), ou, ici, Hans Hopf (excellent chanteur, y compris dans Otello, mais manifestement dans un mauvais soir) :

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Beaucoup moins impressionnant tout d'un coup, n'est-ce pas ?  (Il a fait d'autres Otello excellents, mais ce soir-là, à Cologne avec Solti en 1958, ne le voit pas à ses standards habituels.)



Pourquoi cette notule ?  Pour partager le choc renouvelé d'entendre Josef Metternich (où que ce soit : son expression ne varie pas beaucoup d'un personnage à l'autre, mais l'électricité de la voix et la clarté de l'élocution sont telles !), et ici Rudolf Schock à son sommet… Et aussi pour essayer d'aider à saisir ce qui a changé dans les voix d'hier et d'aujourd'hui : pourquoi certains sont nostalgiques, qu'est-ce qui a été perdu.

Et si, sur beaucoup de paramètres, le gain est réel chez les chanteurs de notre temps (rigueur solfégique, précision de l'expression, respect des styles), il existe également des éléments importants, voire fondamentaux en matière de technique vocale, qui peuvent être retrouvés dans ces enregistrements et mener à réfléchir sur les esthétiques et les méthodes de chant d'aujourd'hui – ou, tout simplement, pour les auditeurs, à comprendre ce qui est si différent entre deux époques.

Puissé-je avoir agréablement tenu votre main émue pendant ce parcours où le chemin est escarpé et où il fait très sombre.

mardi 17 août 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 6 : Glazounov, Sibelius, Messiaen, des Polaks radieux aux Fridolins inconnus, femmes fugueuses, crincrin archaïque du mezzogiorno


Un mot

Toujours la brève présentation des nouveautés (et autres écoutes et réécoutes) de la dernière période écoulée : juin, juillet – et le plus clair d'août.

Pendant ces deux mois et demi, beaucoup de Glazounov, de Sibelius, de Messiaen et de compositrices (découverte émerveillée de Charlotte Sohy, largement du niveau de Chausson, ou de Louise Adolpha Le Beau, réévaluation franche de Lombardini Sirmen, Jaëll et Bonis…) – mais aussi des cycles « musiques de scène de Sullivan », « violon sud-italien du XVIe s. » (écouté tous les disques contenant du Montalbano, le plus souvent une piste par disque…), « germains inconnus qui font de la musique de chambre passionnée ».

Tout cela se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la porte.

(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier, réorganiser et remettre en forme.)

lattès


La légende

Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de prédilection.)

J'indique par (nouveauté) ou (réédition) les enregistrements parus ces dernières semaines (voire, si j'ai un peu de retard, ces derniers mois).

♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.

(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.




lattès



A. Opéra

(nouveauté)
♥♥ LULLY, J.-B.: La naissance de Vénus [Ballet] (Cachet, Tauran, Bré, Auvity, Estèphe, Les Talens Lyriques, Rousset) (Aparté 2021)
→ Peu de chant, pas d'action, pas non plus le LULLY le plus vertigineux, mais les interprètes y font des merveilles : élégance suprême des danses, et quelle distribution incroyable, la tendresse de Cachet, l'astringence de Tauran, le mordant incroyablement savoureux d'Estèphe…

Haendel – Rinaldo – Mallon
→ Un peu tranquille à l'usage. Mais beau.

Haendel – Giulio Cesare in Egitto – Esswood, Murray, Harnoncourt
(airs de César, Sextus)
→ Vraiment carré et métronomique. Couleurs « authentiques », mais beaucoup moins souple que Leitner… !

♥♥♥ HANDEL, G.F.: Giulio Cesare in Egitto [Opera] (Sung in German) (Popp, Ludwig, Berry, Bavarian Radio Chorus, Munich Philharmonic, Leitner)
(airs de César, Ptolémée & Sextus)
→ Version tradi pleine de mots et de vie, je l'adore celle-ci.

♥♥♥ Haendel – Giulio Cesare in Egitto – Murray, Karnéus, Robson ; Bavarian State Orchestra ; Bolton (Farao Classics)
(airs Cesare, Sesto & Tolomeo)
→ Remarquablement vif, et chanteuses merveilleuses (Karnéus !). Murray a vieilli mais s'en tire très adroitement !
→ Trissé la sélection !

Haendel – Serse – Murray, Kenny, Robson, Chiummo ; Bavarian State Orchestra ; Bolton (Farao Classics)
(airs choisis, 1h)
→ Plus sec et figé.

♥♥ Haendel – Serse – Fagioli Kalna Genaux Aspromonte… ; Il Pomo d'oro (DGG)

♥♥♥ Carl Heinrich Graun (c.1703 - 1759).Cleopatra & Cesare. Jacobs (HM)
→ Du seria hypertrophié avec grands airs de 10 minutes, dont certains d'une inspiration grisante !

♥♥♥ Rameau – Castor & Pollux (version 1737) – Christie

♥♥ Rameau – Castor & Pollux (version 1754) – Pichon

Mozart – Don Giovanni, final acte I – Bonynge
→ Dans cette veine moelleuse orchestralement et luxueusement chantée, j'avoue que, pour ma part, ce n'est vraiment pas la version qui me convainc le plus. (Je serais plutôt du côté de Solti LPO 78, malgré Weikl et Sass qui ne sont pas la grâce même.)
→ Lecture tout de même globalement très lente, avec un orchestre qui surexpose les cordes (l'English Chamber n'a toujours été chambriste que de nom…), une prise de son fortement réverbérée et qui repousse tout le monde un peu en arrière (si vous parvenez à entendre les lignes individuelles dans l'Engloutissement, je vous admire…), et bien sûr des chanteurs très « globaux » dans leur approche musicale et verbale.
→ Ce n'est même pas Sutherland qui est la pire (au moins elle s'investit expressivement) : Lorengrar ne fait vraiment pas d'efforts de ce point de vue, étalant sa splendide voix homogène avec, à mon sens, beaucoup moins de sens dramatique qu'à l'ordinaire, et d'une manière générale, le sens précis du mot et la situation n'est pas particulièrement souligné – non que ce soit du tout mauvais, mais dans une discographie aussi pléthorique, quitte à distinguer une version, j'attends une qualité d'engagement / de prégnance particulière.
→ À cela s'ajoute l'incongruité de certaines associations : les duos Bacquier-Horne, où la seconde (malgré toute la qualité de timbre et la féminité soulignées par Francesco) semble vouloir dévorer le premier, dont le timbre et les manières un peu trop franches évoquent davantage un pauvre bougre des rues qu'un aristocrate manipulateur et enjôleur, finit par verser dans une veine de comique probablement imprévue.
→ J'aime cependant beaucoup Krenn, dans un grand jour d'élégance, et Monreale, Masetto très charismatique !
→ Et puis je sais que ça intéresse peu en général, surtout pour Mozart (j'ai l'impression que c'est davantage un critère pour Verdi en général), mais l'italien n'est vraiment pas très bon… Sutherland, Lorengrar, Gramm, c'est assez terrible de faire ça…
→ Pour autant, j'aime bien cette version, très bien chantée (si l'on met de côté la question, pas négligeable du tout, de la langue), avec des personnalités fortes. Mais elle ne m'apporte pas autant qu'à vous, clairement. Dans ce genre un peu tranquille, j'aime bien davantage Lombard avec la Radio Suisse Italienne (Forlane 98) : les chanteurs y sont moins proméminents, mais la qualité de langue et le frémissement fin autour du texte et des situations y est, de mon point de vue, davantage réussi.

♥♥ Mozart – Don Giovanni, final acte II – Currentzis (Sony)
→ Très rapide et furieux, à défaut d'être creusé.

Mozart – Don Giovanni, final acte II – Malgoire (Auvidis 98)
→ Vraiment sec, voix courtes. Sans lieto fine.

♥♥ Mozart – Don Giovanni, final acte II – Radio Suisse Italienne, Lombard (Forlane 98)
→ Assez lent et doux, mais finement articulé par les chanteurs (Kotcherga formidable).

(nouveauté)
Beethoven – Fidelio – Davidsen, Elsner, Kränzle, Zeppenfeld ; Landshammer, Groissböck ; Ch Radio Leipzig, Dresden PO, Janowski (PentaTone 2021)
→ Lecture très tradi, pas aussi ardente que les meilleurs Janowski. L'ensemble me paraît un brin épais considérant ce qu'on peut attendre de ce chef à la tête d'un excellent orchestre (mais dont les spécificités ont peut-être baissé pendant les 30 ans où il a peu enregistré?).
→ Vocalement, solide, mais ce n'est pas non plus la fête : Davidsen, Elsner et Landshammer ne sont pas très expressifs. Les trois clefs de fa crèvent les baffles par leur présence et leur inspiration, et le Chœur de la Radio de Leipzig (le meilleur au monde, devant la Radio de Berlin ex-Est ?) ravit absolument. Mais au sein de l'offre très riche, ce n'est pas l'enregistrement à découvrir prioritairement.

♥♥♥ Verdi – Luisa Miller – Moffo, Bergonzi, MacNeil, Cleva (RCA)
→ La version la plus extraordinaire qui soit – mais l'œuvre reste assez moyenne, malgré le tournant qu'elle affirme dans l'esthétique verdienne.

♥♥♥ Verdi, Stiffelio, Battistoni (C Major)
→ La grande version d'un Verdi majeur (le plus mal connu peut-être des Verdi majeurs…).

♥♥♥ Verdi – Il Trovatore – Frittoli, Urmana, Licitra, Nucci ; La Scala, Muti (2000)
→ Orchestralement, fabuleuses atmosphères, finition et pensées extrêmes – de très loin le meilleur disque de Muti, avec son antique Sacre du Printemps où il dirige Philadelphie !

(nouveauté)
♥♥♥ Verdi – Simone Boccanegra – Amarillli Nizza, Fraccaro, Gezim Myshketa, Frontali, F. Furlanetto ; Palermo, Philippe Auguin (Dynamic 2021)
→ Frontali toujours aussi miraculeux de tenue vocale et de verbe haut, plus de vingt ans que ça dure ! Très bel entourage (Fraccaro toujours fruste, mais ça marche bien, et la vaillance est là !).
→ Extraordinaire Paolo de Myshketa, mordant et mordoré…
→ Prise de son Dynamic pour une fois décente, on sent la prise faite dans le théâtre, mais le confort d'écoute reste tout à fait valable.
→ Une grande version !

SULLIVAN: Macbeth / King Arthur / Merry Wives of Windsor – RTÉ, Penny (Naxos 1992)

♥♥ Sullivan – The Pirates of Penzance – Sinclair, R. Lewis, Pro Arte Orchestra, Sargent (EMI)
→ Sinclair rules !  (Richard Lewis aussi.)

♥♥ Massenet – Werther – Etcheverry, actes II & III

(nouveauté)
♥♥ Messager – Passionnément – Gens, Santon, Car, Huchet, Noguera ; É. Dupuis ; Münchner Rundfunkorchester, Stefan Blunier (Bru Zane 2021)
→ Délicieuse suite de couplets (il manque le texte parlé, hélas), qui parle parfois sans détour du corps (« J'ai lu, dans la sainte Écriture » traite largement de la gravité et des seins…), sur une musique élégante et charmante, du chic français. Musicalement un peu interchangeable, sans doute, mais toujours très agréablement mélodique.
→ Très belle équipe, même si les voix féminines sonnent un peu « grand », manquant peut-être un peu de malice dans l'expression.

♥♥♥ NIELSEN – Saul og David – Jenseni (Danacord)
→ Très belle veine épique, remarquablement chantée, voilà un opéra qui frémit, palpite, s'épanche, et dans une langue musicale riche mais calibrée pour le drame – on ne reconnaît les bizarreries de Nielsen qu'à quelques doublures de bois et tournures harmoniques, sans quoi le compositeur s'efface vraiment au profit du drame !
→ Voix incroyables, franches et riches, orchestre très mobile et habité comme toujours avec Jensen, un très grand nielsenien malgré son âge !
→ Bissé.

♥♥♥ Stephan – Die ersten Menschen – Ronge, Nimsgern, Rickenbacher (CPO)
→ Œuvre considérable, interprétation fulgurante.

(nouveauté)
♥♥♥ Marcel Lattès – Le Diable à Paris – Tassou, Dubroca, Laulan, Mossay, P.A. Dubois, Les Frivolités Parisiennes, Dylan Corlay (B Records 2021)
→ Réjouissante loufoquerie qui mêle la bluette, les intrigues d'infidélité et le pacte diabloque, dans une musique d'opérette chargée de clins d'œil (à Berlioz, Gounod…), vivement mélodique et très entraînante. Belle réussite qui avait été préparée pour la scène avant la Fin du Monde – cela s'entend !
→ Une fois de plus, Tassou, Dubroca et P.A. Dubois sont miraculeux, et l'orchestre de toute première qualité, extrêmement engagé et convaincu.

(nouveauté)
Spyridos SAMARA .: Mademoiselle de Belle-Isle [Opera] (Simos, Christoyannis, Maropoulos, Kontos, Kaval Choir of Sofia, Pazardzhik Symphony, Fidetzis) (Naxos 2021)
→ Opéra en français, très conservateur et aimable, dans le goût du romantisme très mesuré et à flux continu de La Carmélite de Hahn.
→ Intrigue à la Cour de France, autour de la figure de Richelieu.
→ Bons chanteurs, orchestre clairement pas dans les premiers de la classe.

(nouveauté)
Abdi – Hafez – Mohammad Motamedi, Babak Sabouri
Haleh Seyfidazeh, NSO Ukraine (Naxos 2021)
→ Malgré l'usage de l'instrumentarium occidental, c'est bel et bien un opéra en arabe, et chanté avec une technique d'émission et une ornementation mélismatique typiques d'une toute autre culture que celle de l'opéra europée. Je n'ai pas été très touché, faute de repère sans doute – ou est-ce un moyen terme intrinsèquement peu convaincant ?
→ Bravo en tout cas, une fois de plus, à Naxos qui documente courageusement ces raretés qui peineront probablement à trouver leur public !

Adès – Powder Her Face – Almeida Ensemble, Adès (EMI)




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B. Récital

♥♥♥ Haendel – « Svegliatevi nel core » de Giulio Cesare – Bolton, Leitner, Jacobs, Minko…

♥♥♥ Gounod – Air du poison – Barrabé

♥♥ Vocal Recital : Berglund, Joel - RANGSTRÖM, STENHAMMAR, WAGNER  / MUSSORGSKY, M.P. / BRAHMS / ROSSINI, G. / MOZART (Recordings) (1937-1961) (Bluebell 2007)
→ Tout chanté en suédois.

♥♥♥ Opera Arias : Björker, Leon - MOZART, W.A. / WAGNER, R. / VERDI, G. / RANGSTROM, T. / ATTERBERG, K. (Great Swedish Singers) (1934-1959)
→ Voix splendide et naturelle, encore plus que Berglund !  Et tout est chanté en traduction suédoise !
→ (Bissé.)

♥♥ Korngold – Pierrots Tanzlied – Hampson

♥♥♥ Orff – Carmina Burana, « Dies, nox et omnia »
versions Gerhaher-Rattle, Ormandy, Cognet-Kuentz, Tézier-Shanghaï…
→ La tessiture extrêmement haute permet d'entendre les barytons sans cravatage, quel plaisir… devraient chanter tout le temps ainsi… on s'aperçoit qu'ils en ont la technique, en plus !




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C. Ballet & musiques de scène

Mozart – Ouverture Lucio Silla – Harnoncourt

Hervé – Ouverture de Mam'zelle Nitouche (version Fernandel)

(réédition)
♥♥ SULLIVAN, A.: Incidental Music - Merchant of Venice (The) / Henry VIII / The Sapphire Necklace: Overture (RTÉ Concert Orchestra, A. Penny) (Naxos 1992, réédition 2021)
→ Remarquablement réussi, et vraiment nourrisant pour de la musique de scène. De beaux pastiches (celui de Donizetti dans la Barcarole du Marchand de Venise !), et servi par la Radio Irlandaise au sommet – les solos de clarinette sont incroyables !

(réédition)
♥♥ SULLIVAN, A.: Île Enchantée (L') [Ballet] / Thespis: Ballet Music (RTÉ Concert Orchestra, Penny) (Marco Polo, réédition Naxos 2021)
→ Quelle remarquable veine mélodique !  Et rien de vulgaire, malgré la simplicité. Orchestre ici encore magnifique.

(nouveauté)
♥♥♥ Thrane, Udbye, Haarklou, Ole Olsen, Apestrand, Elling, Borgstrøm, Eggen – « Ouvertures d'opéras norvégiens » – Opéra National de Norvège, Ingar Bergby (LAWO 2021)
→ Écume d'un patrimoine enfoui où se révèlent de véritables personnalités mélodiques et dramatiques (toutes sont de style romantique) – et enfin une seconde version de l'ouverture de Thora på Rimol, le chef-d'œuvre tétanisant de Borgstrøm ! 
Que ne rejoue-t-on cela sur les scènes de Norvège, puis partout ailleurs, fût-ce en traduction !

Nielsen: Moderen (The Mother), Op. 41, FS 94 (version for choir and orchestra) – Odense Symphony Orchestra; Delfs, Andreas (Dacapo)

(réédition)
♥♥ Stravinski – Ballets russes – Les Siècles, Roth (Actes Sud, réédition HM 2021)
→ Très belles versions très précises et animées, sur les instruments de facture française de l'époque !
→ On gagne un peu en grain, mais à cette date, la différence de timbre et d'équilibre n'est plus très spectaculaire par rapport aux entreprises musicologiques opérées sur le XIXe siècle.




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D. Sacré

(nouveauté)
♥♥♥ Montigny – Grands motets : « Surge propera », « Salvum me fac Deus » – Ensemble Antiphona, Rolandas Muleika (Paraty 2021)
→ Beaucoup de couleurs instrumentales et harmoniques, du beau contrepoint, et une exécution qui a le sens de la danse !

♥♥♥ Haendel – Te Deum & Jubilate d'Utrecht – Rademann (Carus)

(nouveauté)
Verdi – Messa da Requiem – Várady, Milcheva, Cupido, Ghiuselev ; ÖRF, Segerstam (1980, Orfeo 2021)
→ Direction assez calme, exagérant peu les contrastes. Superbe chœur de radio, délicat et expressif. Solistes moins plaisants, en particulier les hommes peu gracieux – quand aux femmes, l'émission paraît parfois légèrement poussée, ce n'est pas leur meilleur soir.
→ Très bonne version, mais dans une mer d'excellentes…

Borgstrøm – Jesus in Gethsemane, Die Nacht der Toten – Norrlandsoperaen, Terje Boye Hansen (Simax 2010)

♥♥♥ Schmitt – Psaume 47 + Salomé – ORTF, Martinon

♥♥ Poulenc – Stabat Mater – Petersen, Cambreling




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E. A cappella

(nouveauté)
♥ DESENCLOS, A. / LANGLAIS, J.: Gregorian Meditations, Requiem, Messe solennelle… (University of Southern California Thornton School of Music Chamber Singers, Scheibe) (Centaur 2021)
→ Motets de Desenclos et une nouvelle version de son méditatif requiem post-fauréen (post-ropatzien ?)  et très marqué par le grégorien.

(nouveauté)
♥ Schnittke – Concerto pour chœur, Trois Hymnes sacrées – Chœur National d'Estonie, Putninš (BIS)
→ Voix un peu rauques (à la finnoise si l'on veut, mais les chœurs finlandais ne sont justement pas comme cela…), belle interprétation énergique bien captée dans ces tons de brun un peu homogènes. (J'aimerais des voix plus colorées / typées ou au contraire plus diaphanes.)
→ L'œuvre de Schnittke, assise sur toute une tradition de chant orthodoxe (quoique le compositeur soit catholique, que la composition date des années 1980 en Russie soviétique et que ses poèmes soient profanes…), s'augmente de frottements harmoniques et de modulations soudaines assez fabuleux – une très belle œuvre du XXe choral !

♥ Bo Holten : chœurs de Macfarren et d'aujourd'hui.




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F. Symphonies


mortensen

1) Baroques & classiques

(nouveauté)
♥♥ J.S. Bach: Orchestral Suites Nos. 1-4, BWV 1066-1069 (versions d'origine) – Concerto Copenhagen, Lars Ulrik Mortensen (CPO 2021)
→ Très colorées et affûtées, ces lectures rehaussent d'ardeur et de chatoyance ces suites monumentales. Encore une éclatante réussite de Mortensen !

(nouveauté)
♥♥ Haydn – Symphonies 6,7,8 « Les heures du jour », volume 10 de l'intégrale « Haydn 2032 » – Il Giardino Armonico, Giovanni Antonini (Alpha 2021)
→ Début incroyable du lever du jour !  Ce voile brumeux déchiré par la lumière crue et réchauffante… assez incroyable de suggérer si bien cela en musique.
→ Pour le reste, parmi les grandes versions de ces trois symphonies, cinglantes mais sans sécheresse, colorées sans excès d'effets.

♥♥ Mozart – Symphonies 19 à 30 – Pinnock
→ Mentions spéciales aux 19 (vraiment du très bon Mozart) et 29 !

Mozart – Symphonie n°35 – Brüggen

♥♥ Mozart – Symphonies 35,39,41 – RPO, Beecham (50 à 55, domaine public)
→ Adoré la 35, c'est vif, net, avec un son ample et confortable qui manque parfois aux ensembles sur instruments d'époque. On sent bien dans les traits que les cordes n'ont pas le même niveau qu'aujourd'hui, mais l'ensemble est propre et très vivant.
→ Dans les 39 et 41, ça sentait davantage son âge ai-je trouvé : structures moins sensibles, lenteurs, épaisseurs. Et pas le même wit.

(nouveauté)
♥ Pavel Vranický / Paul Wranitzky: Orchestral Works, Vol. 2 : Ouverture, Symphonies – Cz Chb PO, Pardubice, Marek Stilec (Naxos 2021)
→ Jolies œuvres où l'on sent un peu de la force mélodique de Vranický, et bien interprétées sur un orchestre tradi pas très colorées… Mais je n'ai pas eu l'impression d'être confronté aux œuvres qui font sa grandeur.


farrenc

2) Premier romantisme

(nouveauté)
C. Stamitz – Symphonies, dont « Le Jour variable » – Die Kölner Akademie, Michael Alexander Willens (CPO 2021)
→ Cette symphonie à titre est en effet très marquée par le style français, et permet de replacer (comme Knecht !) la Pastorale de Beethoven dans un environnement stylistique naturel & figuraliste contemporaion.
→ Entrée pastorale réutilisant les mêmes ponctuations ornithologiques que Beethoven, orage peu paroxystique, nuit suspendue, chasse très figuratives (avec sections de cors autonomes très imitatives), joli ensemble.

♥♥ Orchestral Music - BEETHOVEN, L. van / BRAHMS, J. / GLINKA, M.I. / GLUCK, C.W. / MUSSORGSKY, M.P. (Dresden Philharmonic, H. Kegel)

(nouveauté)
Beethoven – Symphonie n°3, Coriolan – Ensemble Cristofori, Arthur Schoonderwoerd (Cavi 2021)
→ Avec son ensemble à un par partie qui avait révolutionné les équilibres des concertos pour piano de Beethoven (que j'avais adorés ainsi acides, secs, nerveux, colorés), Schoonderwoerd s'attaque à l'Héroïque. Moins convaincu par le résultat : par rapport aux autres versions sur instruments anciens, moins de prise de risque dans le tempo et d'originalités dans les effets. Le manque d'ampleur des cordes à 1PP se fait sentir aussi pour l'ambitus expressif face aux vents. Plaisant, mais pas du tout neuf / essentiel.

Ries – Symphony No. 5 in D Minor, Op. 112 – Zürich Chamber Orchestra, Howard Griffiths (CPO)
→ Avec motif type Beethoven 5.

(nouveauté)
Schacht: Symphonies, Vol. 2 – Evergreen Symphony Orchestra, Gernot Schmalfuß (CPO 2021)
→ Toujours réjouissant orchestre, dans ces symphonies d'un classicisme finissant. Le menuet de la symphonie en sol est absolument ravissant, un bijou qui pépie si joliment !

♥♥ Frøhlich: Symphony in E-Flat - Gade: Symphony No. 4 National  de la Radio Danoise, Hogwood (Chandos 2013)

(nouveauté)
♥♥ Kurpiński, Dobrzyński & Moniuszko – Élégie, Symphonie n°2, Bajka – Wrocław Baroque O, Jarosław Thiel (NFM)
→ Jeune romantisme fougueux de haute qualité, interprété sur instruments d'époque, avec un feu exemplaire… Jubilatoire de bout en bout !

♥♥ Gade – vol. 3, Échos d'Ossian, Symphonies – Radio Danoise, Hogwood (Chandos)

(nouveauté)
♥♥ FARRENC, L.: Symphonies Nos. 1 and 3 (Insula Orchestra, Equilbey)
→ Lecture très dramatique sur instruments d'époque, l'occasion de réévaluer sérieusement le legs symphonique de Farrenc, jusqu'ici mal servi par des orchestres & chefs qui n'en maîtrisaient pas nécessairement le style.
→ On n'y découvre pas, à mon sens, une œuvre de tout premier intérêt comme le sont les symphonies de Dobrzyński ou Macfarren, mais il s'agit d'œuvres de belle facture, davantage dans l'air du temps que celles que nous avons l'habitude d'écouter, et qui ont tout pour contenter l'auditeur – hors, peut-être, la veine mélodique immédiate et la surprise.
→ L'avantage de mettre à l'honneur les compositrices est de forcer, mécaniquement, à

♥♥♥ Macfarren – Symphonies 4 & 7 – Queensland PO (int-1), W.A. Albert (CPO)
→ Écriture qui doit encore beaucoup à Beethoven et Weber, d'un très beau sens dramatique, trépidant !
→ Orchestre un peu casserole (timbres de la petite harmonie vraiment dépareillés), mais belle écriture romantique.
→ (Quadrissé.)


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3) Deuxième romantisme

Sullivan – Pineapple Poll (arr. C. Mackerras) + Symphonie en mi « Irish » – Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, Lloyd-Jones (Naxos 2007)
→ Réorchestration de la matière d'un opéra, pour en faire un ballet.
→ Symphonie pas forcément passionnante sur le plan de la forme ou de l'orchestration, mais quelles belles mélodies, à nouveau !  (le final en particulier)
→ Ici aussi, très bel orchestre (hautbois !), bien capté.

(nouveauté)
Boëllmann – Symphonie en fa majeur, Variations symphoniques & Quatre pièces brèves – Henri Demarquette, Mulhouse SO, Patrick Davin (Fuga Libera 2021)
→ Symphonie romantique, avec des doublures alla Franck ajoutées. Plaisant.
→ (Bissé.)

(nouveauté)
Bruckner – Symphonie n°3, version originale de 1873 – Bergen PO, Dausgaard (BIS 2021)
→ Très vif à nouveau, minimisant le vibrato mais aussi les ruptures, Dausgaard file – amenuisant peut-être les contrastes cette fois. Pas totalement convaincu par le résultat : certes le spectre est allégé et les grands thèmes du I prennent bien vie, mais l'absence de ruptures audibles brouille un peu l'appréhension du fonctionnement même de ces symphonies (juxtaposition / contamination de thèmes disjoints et encyhaînés sans transitions).

(réédition)
♥♥ Bruckner – Symphonie n°6 – Radio de Berlin-Est, Rögner (Eterna, Berlin Classics, réédition 2021)
→ Fidèle à ses conceptions très allantes et naturelles, pleines de clarté de lisibilité, Rögner livre ici un Bruckner particulièrement fluide et avenant, pas du tout menaçant, mais toujours tendu vers l'avant – il tient remarquablement la tension, témoin sa Troisième de Mahler quasiment sans égale de ce point de vue, arche unique ininterrompue…

Mayer: Symphony No. 5 - Mendelssohn-Hensel : Hero und Leander - Le Beau: Piano Concerto, Op. 37 – Katia Tchemberdji, Berlin ChbSEns, Jurgen Bruns (Dreyer Gaido 2010)
→ Hors Mendelssohn-Hensel, courte cantate plutôt bien faite, des œuvres pas forcément enthousiasmantes, assez lisses. (Déçu que Le Beau, géniale dans la musique de chambre, me laisse tomber comme cela !)

Tchaïkovski – Symphonie n°4,5,6 – Sanderling & Mravinski (DGG mono)
→ Assez raide, surtout Mravinski, sans la tenue implacable de la version stéréo plus célèbre.

Tchaïkovski – Symphonie n°6 –  Karajan 77 (DGG)
→ Pour les timbales de son scherzo-marche… La version tient par ailleurs assez bien !

♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°6 – Moravian PO, Lawrence Golan (Albany)
→ De très loin la version la plus rapide du final. Je l'aime beaucoup.

Glazounov – Symphonie 1 – RTV Moscou, Fedoseyev (Denon)
→ Vraiment pas passionnant, surtout par rapport aux 5 & 6, comme œuvres, même avec Fedoseyev !

♥♥ Glazounov – Symphonies 2,3 – RTV Moscou, Fedoseyev (Denon)
→ La 2 vraiment plus marquante et animée, avec en effet des influences allemandes spécifiques !
→ Son scherzo est incroyablement proche du I de Saint-Saëns 3 !

♥♥♥ Glazounov – Symphonies 4,5,6 – RTV Moscou, Fedoseyev (Denon)
→ Les bijoux de la série, avec des thèmes russes typés irrésisitibles (notamment la 4, mais le sommet de générosité lyrique est contenu dans la 5 !). Version totalement électrique, qui sublime l'orchestration très traditionnelle de Glazou.
→ 4 bissée

♥♥♥ Glazounov – Symphonies 5,6,7 – RTV Moscou, Fedoseyev (Denon)
→ Incroyable de transformer à ce point ce corpus un peu lisse en une telle générosité mélodique pleine d'urgence !

Glazounov – Symphonie 7 – RTV Moscou, Fedoseyev (Denon)


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4) Postromantisme & décadents

¤ Mahler – Symphonie n°9 – OPRF, Haenchen (Vidéo France Mu)
→ Je n'ai pas noté de commentaire, je suis surpris de ne pas avoir aimé à ce point… Erreur de mise en forme peut-être.

♥♥♥ Magnard – Symphonies 1,2,3,4 – Ph. Fribourg Suisse, Bollon (Naxos)
→ Réécoute des Magnard de Bollon. Toujours la même révélation – la forme germanique peut-être, mais ici éclate la dette envers le folklore français !

♥♥ Sibelius – Symphonies 1 & 4 – LSO, Collins (Decca)

Sibelius – Symphonie n°2 (en entier) – LSO, C. Davis (RCA)
→ Belle prise de son et des bois superbes (en effet, un petit côté distancié émotionnellement, mais non sans chaleur pour autant). Je ne suis pas sûr que ce ne soit pas la version qui m'ait laissé dubitatif il y a quelques années, d'ailleurs (les cordes y sont d'une articulation parfois un peu large).
→ Un peu lourd sur la durée, malgré les qualités exceptionnelles de la petite harmonie et du timbalier !

Sibelius – Symphonie n°2 (mvt I) – Boston, C. Davis (Philips)
→ Un peu hiératique, mais beau creusé des contrebasses.

¤ Sibelius – Symphonie n°2 (mvt I) – LSO, C. Davis (LSO Live)
→ Les défauts de la précédente version y semblent plus accentués (moins belle prise de son, bois moins séduisants, tempi apparemment plus lents, et cordes vraiment baveuses). La moins bonne des trois versions Davis.

♥♥♥ Nielsen – Symphonie n°2 – Tivolti Concert Hall SO, von Garaguly
→ Électrisant !  Mais seulement trouvé le premier mouvement, dans un coffret…

♥♥♥ Nielsen – Symphonies 2 & 6 – Stockholm RPO, Oramo (BIS)

Sibelius – Symphonies 2,5 – Rai Torino & Cleveland ; Rodzinski
→ Belles lectures, assez dynamiques pour leur époque – mais l'on a eu plus coloré, ardent et en place depuis.

♥♥ SIBELIUS, J.: Symphonies Nos. 3 and 5 (Kajanus Conducts Sibelius, Vol. 3) (1928, 1932)

♥♥ Sibelius – Symphonies 3,6 – Pittsburgh SO, Maazel (Sony)

♥♥♥ SIBELIUS, J.: Symphonies Nos. 4 and 6 / The Swan of Tuonela (Leipzig Radio Symphony, Kegel, Berlin Radio Symphony, Berglund) (Berlin Classics)

Sibelius – Symphonie n°6 – LSO, C. Davis (RCA)

Bax – Symphonie n°2 – BBCSO, Goossens (Lyrita)
→ Lyrita, décidément les meilleures prises de son / restaurations pour la musique symphonique britannique. Rien ne se compare à leur naturel et leur présence physique !

¤ Stravinski – Sacre du Printemps – OPRF, Franck (Vidéo France Mu)
→ Vraiment lisse, dommage, Mikko Franck ne semble plus beaucoup proposer de challenges à son orchestre (répertoire comme recherche esthétique).

RIISAGER, K.: Symphonic Edition, Vol. 1 (Aarhus Symphony, Holten) - Symphony No. 1 / Danish Pictures (Da Capo)

♥♥ Rubbra – Symphonie n°6 – Philharmonia, Norman Del Mar (Lyrita)
♥♥ Rubbra – Symphonie n°8
→ Remarquablement bâties et persuasives.

Rubbra – Symphonie n°2 – Handley  (Lyrita)
Rubbra – Symphonie n°7 – Boult (Lyrita)
→ Beaucoup plus sombres.

Rubbra – Symphonie n°3 – Philharmonia, Norman Del Mar (Lyrita)
Rubbra – Symphonie n°4 – Philharmonia, Norman Del Mar (Lyrita)
→ Moins marqué. Accumulation ?

(nouveauté)
Furtwängler: Symphonie n°1 en si mineur – Württembergische Philharmonie Reutlingen, Fawzi Haimor (CPO 2021)
→ L'interprétation et la prise de son permettent enfin de rendre justice aux compositions de Furtwängler, de façon favorable. Moins brucknérien et confus qu'il y paraissait, malgré la vastitude de dimensions et la disparité des attitudes (parfois Bruckner, parfois R. Strauss…) : il manque une inspiration mélodique pour séduire, certains mouvements paraissent l'application un peu formelle de grands principes sans contenu dont l'urgence frapperait, mais l'ensemble n'est pas dépourvu de qualités (en particulier le grand premier mouvement généreux et plein de climats divers et mêlés).

Barber – Symphonies n°1 & 2 – Detroit SO, N. Järvi (Chandos)
→ Bonnes œuvres, pas particulièrement prégnantes, mais moins grises que dans mon souvenir (il faut dire que Bruno Walter & Columbia, pour le relief et la chatoyance…).

(nouveauté)
♥♥ Maliszewski – Symphonies 1,2,3,4, ouvertures et poèmes symphoniques – (DUX 2021)
→ Postromantisme très sobre et lumineux, mais garni d'arrières-plans (on songe beaucoup aux 3 & 4 de Sinding), d'une tension et d'un renouvellement remarquables. Interprétation trépidante, totalement au niveau.
→ Délectable et enthousiasmant, chaleureusement recommandé… encore un carton pour DUX !


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5) Autres écoles du XXe siècle

♥ Bo LINDE –  Symphonies Nos. 1 and 2 / Pensieri sopra un cantico vecchio – « Orchestral Works, Vol. 3  » – Gävle SO, Peter Sundkvist (Swedish Society)




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G. Poèmes symphoniques

♥♥ Holmès – Polonia, interlude de Ludus pro Patria (Naxos)

♥♥♥ Glazounov – Marche en mi bémol – RTV Moscou, Fedoseyev (Denon)
→ Petit bijou roboratif !

Sibelius – Suite de Pelléas, Rakastava, Tapiola, Luonnotar… – Davidsen, Bergen PO, Gardner (Chandos 2021)
→ Jolie lecture un peu lisse. Rien à voir avec la palpitation de leur Troisième Symphonie ! (vidéo de concert aisément trouvable)
→ Je recommande plutôt N.Järvi-Göteborg pour la suite, et Vänskä-Lahti pour la musique de scène intégrale.
→ Pas encore écouté Tapiola et Luonnotar.

♥ Adolphe Biarent (1871-1916) – Poème Héroïque, Rapsodie Wallonne, Contes d'Orient (Diane Andersen : piano ; Pierre Bartholomée) (Cyprès 2009)

(réédition)
♥♥♥ Holst – The Planets – Chicago SO, Levine (DGG, réédition 2021)
→ La version la mieux captée, et l'une des plus abouties sur le plan de la tension, des textures, de la lisibilité. Que vous désiriez du cinéma ou de la haute vue musicale, la proposition répond à toutes les attentes !

Delius –  « Orchestral Works, Vol. 3 » – Brigg Fair (An English Rhapsody w. orch de studio) // Koanga, Act II: La Calinda (arr. E. Fenby) // Delius: Hassan, Act V: Closing Scene: We take the Golden Road to Samarkand // Irmelin Prelude // Delius: Appalachia (Variations on an Old Slave Song) – LPO, Beecham (1928, 1938, remastering Naxos)
→ Plaisant. Son un peu ancien. Œuvres pas forcément saillantes.

(nouveauté)
Goldmark: Symphonic Poems, Vol. 2 – Bamberger Sphkr, Fabrice Bollon (CPO 2021)
→ Beaux épanchements postromantiques, en particulier le Prélude de Götz von Berlichingen.
→ (Bissé.)

(nouveauté)
R. Strauss – Eine Alpenfinsonie – Radio de Berlin (ex-Est), V. Jurowski (Pentatone 2021)
→ Une nouvelle belle version (où l'on retrouve le travail des bois à la russe de Jurowski).

♥♥ Riisager – Le paradis des fous (et autres) – Hardenberger, Helsingborg Symphony, Dausgaard (Dacapo)

♥♥♥ Bo LINDE –  A Merry Overture / Musica concertante / Suite variee / Suite boulogne – « Orchestral Works, Vol. 2  » – Gävle SO, Peter Sundkvist (Swedish Society)
→ La Musica concertante, quel Chosta exubérant, sur un versant riant et jubilatoire !
→ Tout bissé.
→ Trissé Musica concertante.
→ Suite Boulogne, néoclassicisme de la meilleure eau !

Messiaen – Chronochromie – Muraro, SWR-FBB, Cambreling
Messiaen – La Ville d'En-haut – Muraro, SWR-FBB, Cambreling
Messiaen – Le Réveil des oiseaux – Muraro, SWR-FBB, Cambreling
♥♥♥ Messiaen – Oiseaux exotiques – Muraro, SWR-FBB, Cambreling

Messiaen – Un Vitrail et des Oiseaux – Yvonne Loriod, Radio-Symphonie-Orchester Berlin, Karl Anton Rickenbacher (DGG)

♥♥♥ Márquez – Danzón n°2 – Simón Bolivar O, Dudamel (YT)




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H. Lied orchestral

(nouveauté)
♥♥♥ Wagner, Berg, Mahler: Orchesterlieder – Anja Harteros, Münchner Philharmoniker, Valery Gergiev (Münchner Philharmoniker 2021)
→ Alors que je ne tiens pas Harteros en haute estime : jeu impavide, timbre légèrement poisseux, projection limitée, sens des mots minimal… aussi bien en retransmission que sur le vif, j'ai rarement été conquis.
→ Et pourtant ici, superbement capté, sertie dans un orchestre chatoyant mais que la science de Gergiev maintient aéré, elle semble se couler avec un naturel incroyable dans le lied décadent, avec une jutesse de l'expression et une aisance vocale qui me stupéfient. Peut-être les plus belles versions que j'aie entendues pour les Wesendonck (Delunsch exceptée évidemment) et les Frühe-Lieder !
→ Les Rückert sont plus étranges, mais intéressent par leurs options vocales originales, eu égard au pas de côté y proposant une voix de soprano. Um Mitternacht irradie remarquablement !

♥♥ H. Andriessen: Miroir de peine - Berlioz: Symphonie fantastique – Stotijn, Zuidnederland PO, Dmitri Liss (Fuga Libera)
→ La plainte d'Andriessen sur ses grands aplats de cordes est très impressionnante, et jouée avec une présence vibrante par tous les interprètes.
→ La Fantastique a l'air très belle aussi, mais j'avoue ne pas avoir eu la fantaisie de l'explorer sérieusement cette fois-ci.

(nouveauté)
♥ H. Andriessen – Miroir de peine, variations orchestrales, concertos – Roberta Alexander, PBChbO, Porcelijn ; Th. Fischer (Brilliant 2021)
→ Hors le Miroir remarquablement chanté, encore mieux que dans la version Stotijn, œuvres vraiment pas parmi les plus brillantes d'Andriessen.




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I. Concertos

Haendel – Concerti Grossi Op.3 – Minkowski
→ Superbe son, très vivant, plus intéressant que l'opus 6 plus formel (plein d'arrangements d'opéras ou d'imitations du style dramatique).

Haendel – Concerti Grossi Op.6 – Il Giardino Armonico, Antonini
→ La version la plus vivante de ce corpus, qui reste assez formel et empesé à mon gré… Rendez-nous Vivaldi !

Haendel – Concerti Grossi Op.6 – Harnoncourt
→ Vraiment œuvre pas du tout réjouissante.

♥♥ Vivaldi – 8 Concertos sur instruments anciens – I Musici di San Marco, Alberto Lizzio (BCD / Arabesque / Vienna Master Series 1988…)
→ Enregistrement frauduleux sous pseudonyme très diffusé pour les budget labels… (J'aime cependant beaucoup la sélection, et l'exécution, par un ensemble croate j'ai l'impression, est très réussie, surtout pour la date !)

Vivaldi: Concerti per oboe (Concerti per strumenti a fiato, Vol. 2) – par Ensemble Zefiro, Alfredo Bernardini (Naïve)

♥♥ VIVALDI, A.: Bassoon Concerto, RV 495 / Cello Concerto, RV 416 / Nisi Dominus / We Are the Ocean (Jupiter, Dunford) (Alpha 2018)

Vivaldi – Concerti grossi (RV 571…) 
♥♥ Les Ambassadeurs / Kossenko
♥♥ Ancient Music / Hogwood
♥♥ Fioritura (Centaur)

♥♥♥ Du Puy, Weber, Mozart – Concertos pour basson – van Sambeek, SwChbO, Ogrintchouk (BIS)
→ On peut donc faire ça avec un basson ! Cette finesse (changeante) de timbre, cette netteté des piqués, cette perfection du legato, j'ai l'impression de découvrir un nouvel instrument. J'aurais aimé la Chambre de Suède un peu moins tradi de son (comme avec Dausgaard), mais je suppose que le chef russe a été formé à un Mozart plus lisse (ça ploum-ploume un peu dans les basses…).
→ Quand au du Puy, c'est une petite merveille mélodique et dramatique qui sent encore l'influence du dramatique gluckiste dans ses tutti trépidants en mineur, une très grande œuvre qui se compare sans peine aux deux autres !  Le thème B du premier mouvement (d'abord introduit à l'orchestre par un duo clarinette basson), quelle émotion en soi, et quel travail de construction au sein du mouvement – l'emplacement formel, l'effet de contraste des caractères…
→ (Bissé.)

♥♥♥ Hummel – Concerto pour basson – Kuuksmann (Estonian Record Productions 2015)
→ Grande version, assez roots, du génial concerto de Hummel.

Hertel – Concertos pour harpe – Kurpfalzisches ChbO, Kevins Griffiths (CPO 2017)

(nouveauté)
♥♥ Hertel – Concertos pour violoncelle, orgue ; Symphonies – B. Messerschmidt, Merseburger Hofmusik, Michael Schönheit (CPO 2021)
→ Belle veine mélodique et bel élan (en particulier dans le concerto pour violoncelle en la mineur, à essayer !

Beethoven – Concertos 1,4,5 – Lubin, Ac Ancient Music, Hogwood (Oiseau-Lyre / Decca)
→ Captation étrange avec le piano très audible et décorrélé du spectre (les ingénieurs ont eu peur que l'équilibre soit différent de d'habitude ?). Orchestre qui ne sonne pas si typé que cela.
→ Jolie lecture pas très originale.

Beethoven – Concertos 1,4,5 – Levin, ORR, Gardiner (Arkiv)
→ Piano là aussi assez aigrelet, mais très belle finition orchestrale très vivante.

♥♥♥ Beethoven Concerto piano n°3,4,5,6 : Schoonderwoerd, Cristofori (Alpha 2014)
→ Toujours aussi surprenant et exaltant !

♥♥ Beethoven Concerto piano n°5 : Bellucci
→ Beaucoup d'effets de décorrélation agogiques, un peu sophistiqués pour l'époque ?  Très beau, mais un peu poseur par moment, à la réécoute.

(nouveauté)
Beethoven – Concertos pour piano – Zimerman, LSO, Rattle (DGG 2021)
→ Certes musicologiquement informé, mais plongé dans une sorte d'impavidité un peu uniforme. Très joliment décoratif, mais il me semble que l'impact émotionnel de ces œuvres mérite davantage.

(nouveauté)
Beethoven – « Fiedelio », extraits de Fidelio arrangés pour violon & orchestre par Franz Hummel – Elena Denisova, Russian NO, Alexei Kornienko (Sony 2021)
→ Bien vu, les doubles cordes pour les émissions en force au début de « Gott ! welch dunkel hier » ou « Abscheulischer ! wo eilst du hin ? ».
→ Sinon, vraiment pas le même panache qu'avec des voix, et orchestre très lisse. Pas prioritaire.

♥♥♥ Offenbach – Concerto pour violoncelle – Moreau, Les Forces Majeures

Le Beau:  Piano Concerto in D Minor, Op. 37 + Mendelssohn-Hensel:  Hero und Leander – Tchemberdji, Katia; Berlin Chamber Symphony Ensemble; Bruns, Jürgen  (Dreyer Gaido 2003)

Borgstrøm – Concerto pour violon – Eldbjørg Hemsing, Wiener Symphoniker, Olari Elts (BIS 2018)
→ Une jolie œuvre de l'immense compositeur d'opéra romantique.

(nouveauté)
KAPRÁLOVÁ: Waving Farewell / Suite en Miniature / Piano Concerto (Phan, Amy I-Lin Cheng, University of Michigan Symphony, Kiesler) (Naxos 2021)

Chostakovitch – Concerto pour violon n°1 – Eldbjørg Hemsing, Wiener Symphoniker, Olari Elts (BIS 2018)
→ Aucun souvenir de ce concerto-là.
→ Oh, mais pas mal, dans l'esprit du premier trio, très lyrique et passionné, beaucoup moins tourmenté.

♥♥♥ Bo LINDE –  Concertos pour violon & violoncelle – « Orchestral Works, Vol. 1  » – Karen Gomyo, Kliegel, Gävle SO, Peter Sundkvist (Swedish Society)
→ Musicalité fabuleuse du concerto pour violon. Celui pour violoncelle un peu en deçà, comme toujours…
→ Bissé.

(nouveauté)
Nikolai Kapustin – Concerto pour piano n°4, Double Concerto – Frank Depree, Kammerorchester Heilbronn, Scaglione (Capriccio 2021)
→ Emprunts massifs au jazz discursif (et à Chopin pour le reste).

(nouveauté)
Anna Clyne, DANCE // Elgar, Cello Concerto – Inbal Segev, LPO, Marin Alsop (Avie 2020)
→ Écouté seulement Clyne. Une fois de plus, autant c'est très bien écrit en sonne bien en salle, autant l'art de Clyne paraît comme réduit par le disque, perdant en détails et en impact : essentiellement mélodique, très tradi-planant, agréable musique de fond peu nourrissante.  Les parties rapides mobilisent davantage l'héritage « technique », comme ces doubles cordes redoutables du II.




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J. Musique de chambre


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1) Formations diverses

(réécoute nouveauté)
♥♥ Michl – Quatuors basson-cordes – Hoadley, The Hall String Trio (Naxos 2020)
→ Contribution très inspirée à ce format galant : de véritables progressions, et une veine mélodique de grande qualité !

(nouveauté)
♥♥ Dubois – Musique de chambre avec hautbois ou quatuor à cordes : Quintette hautbois-piano-cordes, Méditation, Quatuor en mi bémol, Méditation-pière, petits rêves d'enfants (Lajos and Leo Lencsés, Surgik, Dubois, Váradi, Renie Yamahata, Parisii Quartet, Budapest Strings) (Toccata  2021)
→ Reprise les pièces pour Quatuor par les Parisii déjà publiées par la SWR. Nouvelle version du Quintette pour hautbois, bien réussie, avec le son très nasillard de Lencsés.
→ La Méditation-prière est très « Méditation de Thaïs » (en mieux, avec cette fausse simplicité diatonique inimitable, typique de Dubois).
→ Le Quatuor n'est pas mémorable, mais le Quintette est absolument à connaître – je recommande pour ma part la version du Trio Hochelaga & Friends, chez ATMA, mais ce disque fait très bien l'affaire !

(nouveauté)
LANGGAARD, R.: Music of the Abyss (Asmussen, Esbjerg Ensemble) (Da Capo 2021)
→ La Musique des Abysses, pièce pour piano arrangée par A.G. Madsen pour effectif de chambre, avec son xylophone obstiné en mode 2 (on nage vraiment dans le Messiaen !), est un objet chambriste et répétitif, de dimension symphonique, d'une insolence assez impensable.
→ Pour le reste du disque, de la musique de chambre assez plaisante et décorative (quoique toujours étrange), comme le ravissant Septuor que la précédente version Da Capo avait illustré par un portrait champêtre académique de jeune fille devant des blés…
→ Les timbres ne sont d'ailleurs pas magnifiques (cor pâteux notamment) – j'avais un meilleur souvenir de la version antérieure.
→ Les mélodies avec chanteuse sont assez réussies (et très bien chantées). Le reste du corpus, plus néo , moins touchant à mon gré, mais les cheminements lents et retors de l'Humoreske ne manquent pas d'intérêt.


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2) Sextuors & quintettes, à cordes

Brahms – String Quintet No. 2 in G Major, Op. 111 – Quatuor Voce, Berthaud (Alpha)

Brahms – String Quintet No. 2 in G Major, Op. 111  – P. Fouchenneret, Okada, Berthaud, Boisseau, Salque, Levionnois (B Records 2018)

Brahms: Clarinet Quintet in B Minor, Op. 115 (version for viola and string quartet) – David Aaron Carpenter, membres Berliner Phkr (Ondine)
→ Pas convaincu, alto sonne malingre(ment ?). Belles cordes douces.

♥♥ KÖSSLER, H.: String Quintet in D Minor / String Sextet (Frankfurt String Sextet) (CPO 2007)
→ Très bien écrit ! Riche contenu d'un romantisme assumé, qui peut rivaliser avec les grands représentants de second XIXe !
→ (Bissé.)

♥♥♥ Arnold Krug – Sextuor à cordes, Quatuor piano-cordes – Linos Ensemble (CPO 2018)
→ Sextuor lumineux et enfiévré, une merveille ! Entre le dernier quatuor de Schoeck et le Souvenir de Florence de Tchaïkovski !
→ Quatuor piano-cordes tout aussi intensément lyrique, avec quelque chose de plus farouchement vital, d'un romantisme qui ne se cache pas. Splendidement tendu, une autre merveille qui vous empoigne, tendu comme un arc dans le plus grand des sourires !
→ Une des mes grandes découvertes chambristes récentes !  (Une notule y a même été consacrée en début d'année…)
→ (Bissé.)



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3) Quatuors à cordes


LOMBARDINI SIRMEN, M.L.: String Quartets Nos. 1-6 (Accademia Della Magnifica Comunità)
→ Quatuors de 1769, et déjà très aboutis.
→ Grande chambriste, il faut absolument connaître ses duos pour deux violons, dans le goût français, absolument enthousiasmants et roboratifs !
→ (Bissé.)

♥♥♥ Bacewicz – Quatuor 4 violons – Kinetic (YT 2016, à Houston)
→ Ces rémanences folklorisantes adaptées dans la manière la plus hardies et complexe qui soit, quelle merveille !
→ https://www.youtube.com/watch?v=RaEcs1ZQoVk

(nouveauté)
♥♥ Jurgis Karnavičius: String Quartets Nos. 3 & 4 – Vilnius String Quartet (Ondine 2021)
→ Les 1 & 2 ont paru récemment, et ont été très favorablement commentés ici même. (Je les ai, comme souvent, davantage aimés que les suivants.)
→ Postromantisme tantôt sombre tantôt lumineux, avec un sens mélodique fort et de jolis effets de structure (violoncelle solo en mineur vs. quatuor complet en majeur, etc.).


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4) Quintettes piano-cordes

Saint-Saëns (1835-1921) – Piano Quintet in A minor, Op.14 – Take 5 Piano Quintet (YT 2016)
Widor (1844-1937) – Piano Quintet in D major, Op.68 – Take 5 Piano Quintet (YT 2016)

Widor (1844-1937) Piano Quintet in D major, Op.68, final – Fine Arts SQ (Naxos)

Bacewicz – Quintettes piano-cordes, Sonate piano n°2 – K. Zimerman (DGG)
→ Quintette 1 assez sinistre, pas forcément très distinctif dans son catalogue. Sonate 2 plus originale, là aussi très tourmentée.
→ Quintette 2 beaucoup plus défragmenté et expressif, qui a passé une bascule stylistique !

♥♥♥ Pejačević:  Piano Quintet in B Minor, Op. 40 – Sine Nomine SQ, Triendl


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5) Quatuors piano-cordes

♥♥♥ Louise Adolpha Le Beau - Piano Quartet Op.28 -  Irina Puryshinskaja (pno), Berit Cardas (vl), Klaus Christa (vla), Björg Vaernes Lewis (cl) – (YT 2020)
→ Du grand beau romantisme allemand, remarquablement bâti !
→ À écouter ici.

Fauré – Piano Quartets – Mozart Piano Quartet (MDG)
→ Très fondu, un peu mou.

♥♥♥ Fauré – Piano Quartets – Quartetto Fauré di Roma
→ Merveilleuse énergie directrice qui ne dédaigne pas les halos colorés…

♥♥♥ Arnold Krug – Sextuor à cordes, Quatuor piano-cordes – Linos Ensemble (CPO 2018)
→ Sextuor lumineux et enfiévré, une merveille ! Entre le dernier quatuor de Schoeck et le Souvenir de Florence de Tchaïkovski !
→ Quatuor piano-cordes tout aussi intensément lyrique, avec quelque chose de plus farouchement vital, d'un romantisme qui ne se cache pas. Splendidement tendu, une autre merveille qui vous empoigne, tendu comme un arc dans le plus grand des sourires !
→ Une des mes grandes découvertes chambristes récentes !  (Une notule y a même été consacrée en début d'année…)
→ (Bissé.)

Bonis – Piano Quartets – Mozart Piano Quartet (MDG 2008)

♥♥ Dora Pejačević: Piano Quartet in D Minor – Quatuor Sine Nomine; Triendl, Oliver (CPO)
→ (Bissé.)


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6) Trios piano-cordes

♥♥ Le Beau –  « Kammermusik » : Trio, sonate violon, sonate violoncelle – Bartek Niziol, Denis Severin, Tatiana Korsunskaya (MDG 2014)
→ La densité, le naturel !

(nouveauté)
♥♥ Piano Trios (Russian) - DYCK, V. / STERNBERG, C.von / YOUFEROV, S. (History of the Russian Piano Trio, Vol. 5) (Brahms Trio)
→ Nouveau (et apparemment dernier) volume de la série, tellement surprenante et fertile en découvertes, pour un trio qui a pris le nom de Brahms…
→ Un peu hiératique Vladimir Dyck. Sternberg regarde lui du côté de Beethoven. La découverte exaltante est vraiment du côté de Youferov, aux affects bouillonnants.
→ Aucun ne m'a ébloui sur la forme, je remarque un goût appuyé chez les trois pour des formules un peu massives plutôt que le contrepoint, mais l'ensemble de ces découvertes produit un tableau assez charmant.

♥♥ Magnard – Piano Trio in F Minor / Violin Sonata in G Major – Laurenceau, Hornung, Triendl (CPO)
→ Merveille, et à quel niveau ! (lyrisme de Laurenceau, et comme Hornung rugit !)

TURINA: Piano Trio No. 2 / LINDE: Sonata a 3 / BEN-HAIM: Variations on a Hebrew Melody / Chosta Trio 2 – Garcia Trio (Caprice 1998)





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K. Bois solos

(réédition)
♥♥ Corrette, Boismortier, Devienne, Ozi – Sonates pour basson – Danny Bond (Accent réédition 2021)
→ Parution en coffret de cette somme du basson français XVIIe-XVIIIe par Danny Bond, merveille sur merveille (avec un petit moins pour Ozi, pédagogue mythique mais compositeur moins marquant).

Koechlin – Œuvres pour flûte et clarinette (sonate 1, album de Lilian…) – (Hänssler)

♥♥ Koechlin – Œuvres pour flûte et clarinette (sonate 1, album de Lilian…) – (Koch)
→ La Première Sonate est très touchante, vraiment le Koechlin modal et lumineux de la sonate pour violon !




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L. Cordes grattées

(nouveauté)
Da Milano – « Nobilissimo Istromento : Virtuoso Lute Music of the Italian Renaissance » – Luca Pianca (2021)
→ Pianca merveilleux toujours, dans ce beau corpus d'Italie du Nord !

(nouveauté)
Heitor Villa-Lobos – Tristorosa, Préludes pour guitare… – Günter Herbig
→ Le célèbre chef d'orchestre joue ici de la guitare… électrique. Pas très convaincu par l'intérêt ni le résultat, mais c'est amusant.




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M. Violon

(solo ou accompagné)

(réécoute nouveauté)
♥♥♥ Il Sud: Seicento Violin Music in Southern Italy ; œuvres de Falconieri, Montalbano, Trabaci, Pandolfi, Leoni, Mayone ; Ensemble Exit, Emmanuel Resche-Caserta (Passacaille 2020)
→ Œuvres rares à la veine mélodique généreuse et aux diminutions expansives, dans une interprétation pleine de couleurs (assise sur orgue positif et théorbe, remarquablement captés), avec un violon solo à la fois chaleureux et plein d'aisance. Un peu grisant.

(nouveauté)
♥♥ Montalbano – Sinfonia 2  "Zambiti" – Jérôme van Waerbeke,  Arnaud De Pasquale (HM 2021)
→ Waerbeke épatant. Et cette musique fulgurante aussi.
→ Tiré de « Organ Recital: De Pasquale, Arnaud - CAVAZZONI, M.A. / PASQUINI, E. / STROZZI, G. / VINCI, P. (Organs of the World, Vol. 1: Orgues de Sicile) »
→ Le reste de l'album (sauf le Frescobaldi avec violon & cornet à bouquin et la villanelle de D'India avec Perrine Devillers) est assez lisse, du fait de l'orgue aux timbres blancs et de la registration essentiellement en plein-jeu. Un peu déçu. Il n'y avait pas d'orgue sicilien plus typé à disposition ?

Montalbano – Sinfonia Prima: Arezzo //  Sinfonia Quarta: Geloso, in « EARLY ITALIAN CHAMBER MUSIC - Works for Recorder and Basso Continuo » – Dan Laurin, Masaaki Suzuki (BIS)
→ Sonne clairement mieux au violon qu'à la flûte à bec soprano… Mais toujour belle matière musicale.

(nouveauté)
Sénaillé & Leclair – « Générations », Sonates pour violon et clavecin – Langlois de Swarte, Christie (HM 2021)
→ Œuvres un peu sombres et plaintives pour nourrir ma (faible) inclination pour le genre. On admire néanmoins l'enrichissement du répertoire discographique, le sens du style souverain de Langlois de Swarte et l'aisance aristocratique de Christie sur chaque note !

♥♥ Beethoven – Sonate violon-piano n°10 – Pierre Fouchenneret, Romain Descharmes (Aparté 2016)
→ Superbe son de violon, d'un tissu magnifique. Pour le reste, il y a plus abouti dans la conception, mais je ne trouve pas ces sonates vertigineuses de toute façon : je suis mauvais juge.

(nouveauté)
♥♥♥ Couperin (Barricades mystérieuses) // Liszt-Wagner (Liebestod) // Chopin (Prélude n°15) // Fauré (Sonate n°1, Après un rêve, Nocturne n°6) // Hahn (À Chloris)… – « Proust, le concert retrouvé » – Théotime Langlois de Swarte, Tanguy de Williencourt (HM 2021)
→ Inclut des transcriptions de mélodies. Très beaux instruments d'époque, belle ambiance de salon. Je n'ai pas eu accès à la notice pour déterminer la proportion de musicologie / d'érudition pertinente dans le propos – souvenirs trop parcellaires de la Recherche pour le faire moi-même.
→ Langlois de Swarte « chante » remarquablement À Chloris ou Après un rêve, tandis que le surlié feint de Willencourt fait des miracles dans Les Barricades Mystérieuses. La Sonate de Fauré est menée avec une fraîcheur et un idiomatisme que je ne lui connaissais pas, aussi loin que possible des exécutions larges et poisseuses de grands solistes plutôt aguerris à Brahms et aux concertos.

(nouveauté)
GADE, N.W.: Violin Sonatas Nos. 1-3 (M.-E. Lott, S. Speidel)
→ Accompagnements vraiment personnels !

(nouveauté)
Respighi, Dohnányi, Szymanowski, Brahms – « Incandescence », Sonates pour violon (n°3 Brahms) – Stéphanie Moraly, Romain David (Aparté 2021)
→ J'adore ces deux artistes (Moraly est peut-être la violoniste que je porte le plus au pinacle…), mais j'avoue ne pas avoir adhéré, moins à cause de l'interprétation que des œuvres, typique de violon romantique-larmoyant-abstrait qui me touche très peu. J'ai redécouvert le genre de la sonate violon-piano avec les compositeurs français (dont Ropartz, grâce à Stéphanie Moraly précisément !) ou francophiles, et je ne parviens toujours pas à adorer ces sonates de Brahms, même par ces artistes d'exception – qui, me semble-t-il, ne renversent pas non plus la table ici. Navré. :(




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N. Violoncelle

(solo ou accompagné)

♥♥♥ GABRIELLI, D.: Cello Works (Complete) (Hidemi Suzuki, E. Balssa, Naoya Otsuka)
→ Une des rares versions de ce momument de la naissance du violoncelle, très inspiré en soi et formidablement exécuté.

♥♥ LE BEAU, L.A.: 4 Pieces for Cello and Piano / 3 Pieces for Viola and Piano / Cello Sonata (U. Koch, Blees, M. Bergmann) (SWR Music)

Kapustin: Works for Cello – Christine Rauh (SWR Music 2016)
→ À nouveau très (soft) jazz, duos avec du xyolophone. Des allures d'improvisation permanente. Réussi sans être très marquant – vraiment du jazz standard, auquel je suis plus sensible dans le flux de l'improvisation.




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O. Orgue & clavecin

(réédition)
♥♥ Louis, François, Armand-Louis Couperin – Pièces pour le clavecin – Leonhardt (Philips, réédition Decca 2021)
→ Proposition très différente de son album tardif chez Alpha (d'une ascèse presque raide, propice aux rêveries), Leonhardt aborde ici le répertoire français avec une forme de franchise qui voisine à la fulgurance, osant les traits les plus affûtés et les phrasés les plus dégingandés, le tout tenu par cette absence audible de sourire. Très étrange et très convaincant.

(réédition)
¤ Bach, J.S.: Organ Works – The Mono Cycle 1947 - 1952 – Helmut Walcha (Archiv, réédition 2021)
→ Voilà bien un disque que je n'aime pas : les articulations vieillies sur un orgue blanchâtre, pour ne pas dire gris béton, tout est figé dans une lumière blafarde… Je sais que beaucoup y sont attachés, mais n'ayant pas d'attaches émotionnelles particulières avec la musique d'orgue de Bach, je me soucie peu d'y entendre des obstacles supplémentaires.
Il existe beaucoup d'excellentes intégrales, même en restant dans le tradi (Preston ou Vernet par exemple).

Bonis: L'œuvre pour orgue – Georges Lartigau (Saint-Amans de Rodez) (Ligia)
→ Toujours travaillé, mais masqué par une certaine pudeur. Ressemble beaucoup à l'orgue de son temps, mais outrepasse clairement l'académisme.

♥♥♥ Messiaen, L'Ascension pour orgue, Thiry (La Dolce Volta)




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P. Piano·s

(deux pianos)

(nouveauté)
Cecil Coles, Gustav Holst: – « Piano Music » – James Willshire (Delphian 2021)
→ Gentil. Très bien joué en revanche, beau son et phrasés vivants !

(nouveauté)
Maciejewski (& Bach) – Transcriptions for 2 Pianos, Vol. 2 (Organ Concerto in A Minor, BWV 593, etc.) – Rajs & Kepinski (Accord 2021)
→ Chouettes transcriptions riches, denses, naturelles, qui respirent bien !

(un piano)

(nouveauté)
Chopin – Nocturnes – Planès
→ Le Pleyel d'époque sonne fort tout le temps, le manque de nuance qui en découle me frustre assez. Dommage, il existe beaucoup de versions sur de bons instruments, et Planès est un grand artiste rompu à l'exercice…

(nouveauté)
♥♥♥ Chopin, Polonaise-Fantaisie ; Schumann, Davidsbündertänze – Severin von Eckardtstein (Artalinna 2021)
→ Pour un Chopin façon diamant – avec un très beau travail sur les résonances, particulièrement pertinent pour la Polonaise-Fantaisie !
→ La prise de son permet d'entendre la résonance de la salle, très belle expérience.
→ Usage particulièrement intelligent du rubato, fabuleux dans le Chopin – il m'apparaît davantage superflu et contourné dans le Schumann (que j'aime plus droit).

Messiaen – Les offrandes oubliées + Fantasie Burlesque + Pièce pour le tombeau de Paul Dukas + Rondeau + Prélude + La fauvette des jardins – Austbø (Naxos 2002)

Messiaen – Préludes – Håkon Austbø (Naxos 1999)
+ Études de rythme
+ Cateyodjaya
→ Préludes très debussystes !

(réédition)
♥♥♥ Messiaen – 20 Regards sur l'Enfant Jésus – Peter Serkin (RCA, réédition 2020)
→ Comme toujours avec Serkin, pas forcément les timbres les plus intelligents, mais une fine inelligence du discours assez passionnante à suivre, toujorus tendue vers l'avant.

♥♥♥ Messiaen – 20 Regards sur l'Enfant Jésus – John Ogdon (Decca)
→ Douceur et émotion contenue, dans cette lecture très aboutie.

♥♥♥ Messiaen – 20 Regards sur l'Enfant Jésus – Håkon Austbø (Naxos)
→ Assez lente et moelleuse, mais très différenciée, l'intégrale la plus agréable à écouter sur la longue durée.

♥♥♥ Messiaen – Visions de l'Amen – Ralph van Raat, Håkon Austbø (Naxos 2012)

♥♥♥ Messiaen – Catalogues d'oiseaux – Håkon Austbø (Naxos)

Boulez – Prélude, Toccata & Scherzo – Ralph van Raat (Naxos 2020)
+ d'autres œuvres de jeunesse : fragment, psalmodies, etc.

♥ Ronald Stevenson – Fugue on Chopin – Ronald Stevenson (archive son inédite, YT)
→ Thème liminaire de la Quatrième Ballade.

(nouveauté)
Grigori FRID – Œuvres pour piano – Elisaveta Blumina (Grand Piano 2021)
→ Surtout des pièces très tonales et décoratives (il faut dire que le disque contient essentiellement des extraits de son Album pour les Enfants), pas de hauts chefs-d'œuvre à en attendre… et en tout cas assez éloignée de sa manière moins tonale (quoique très polarisée et accessible) et uniment légère, dans ses œuvres de plus vaste ambition.




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Q. Airs de cour, lieder & chanson jazz…

(nouveauté)
♥ Sigismondo d’India: Lamenti & sospiri – Mariana Flores, Julie Roset, Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (Ricercar 2021)
→ Enfin des nouveautés pour ce compositeur majeur du tournant du XVIIe siècle, toujours d'une éloquence élancée et d'un sens mélodique très supérieur à la norme du temps !
→ Servi par les princes du genre…

N. Boulanger, Holmès, Viardot, Malibran, Vieu… – mélodies « From a Woman's Perspective) – Katherine Eberle
→ Diction peu claire, mais programme particulièrement intéressant !

♥ N. Tcherepnin – mélodies (japanese lyrics, oceanic suite, fairy tales… – Elena Mindlina, David Witten (Toccata Classics 2014)

Messiaen – Vocalise-Etude – Nathalie Manfrino, Marie Vermeulin (DGG)
→ Très mélodique et consonant-lyrique, presque du Rachmaninov ou du Glière…

(réédition / réassemblage)
♥♥♥ Midnight Jones (Norah Jones)

(réédition / réassemblage)
♥ Late Night Jones
→ Pas passionnantes reprises, même si la versatilité de la voix impressionne grandement.

(réédition / réassemblage)
Classic Jones
→ Pas passionnantes reprises, même si la versatilité de la voix impressionne grandement.

(nouveauté)
♥ Lou Tavano : album « Uncertain Weather » (2020)
→ Très belle voix en technique soufflée, compositions joliment intimes et planantes, mais un peu répétitives dans chaque morceau (même cellule à l'infini).




lattès




Une très belle livraison, en deux mois de demi, que de mondes parcourus, que de découvertes, que de nouveautés qui changent notre vision de l'histoire de la musique et de l'état du répertoire ! 

L'aventure se poursuit, prochainement, que ce soit en compagnie de la Bible musicale, de la découverte discographique du répertoire par décennies, de la programmation des opéras du monde – ou peut-être, prochainement, une notule sur la technique vocale !

Puissiez-vous échapper, estimés lecteurs, aux folies de ce Crépuscule de la Civilisation – qu'elles ne soient pas pour vous une Fin du Monde.

mardi 1 juin 2021

#ConcertSurSol #44 : Milhaud-Claudel, Machuel-Bonnefoy, Franck Martin à double chœur, par le Chœur de Radio-France


#ConcertSurSol #44

Concert puissamment original du Chœur de Radio-France :

Suite de la notule.

samedi 27 mars 2021

Autour de Pelléas & Mélisande – XXIII – Pelléas coupé, Pelléas caché : ET LE LIT ??


1) Pelléas, un objet musical cohérent ?

    Pendant des décennies, pour le mélomane, le cas de Pelléas paraissait assez clair : œuvre du XXe siècle, dont le compositeur a évidemment livré une version définitive – à partir de cette époque, les partitions laissent assez peu de part à l'interprétation compositrice (il ne s'agit plus d'inventer des figures d'accompagnement, ni même d'enjoliver les lignes vocales). Dans une œuvre aussi aboutie que Pelléas, on se figure bien que Debussy a laissé peu d'éléments au hasard.
    Tout au plus connaissait-on l'histoire admirables de ces interludes, joués même en concert (alors qu'ils paraissent bien uniformes ainsi présentés…), composés durant les répétitions pour des raisons très contingentes de changements de décor… Fin de l'histoire.

    Pourtant, ces dernières années, on a pu remarquer, de plus en plus fréquemment, des altérations de détails plus ou moins frappants lors de représentations de Pelléas. Que s'est-il passé ?  En réalité, les musiciens connaissent la chose de première main depuis très longtemps, puisque même dans le matériel d'exécution… c'est un assez grand désordre. Je vous propose donc un rapide tour du propriétaire, pour que ces surprises et divergences ne troublent plus vos nuits.

[[]]
Fin de l'acte III dans son édition habituelle, avec coupures.
Chloé Briot (Yniold), Jean-François Lapointe (Golaud),
Orchestre National des Pays de la Loire, Daniel Kawka
(
Nantes 2014, captation France Musique).



2) L'élan de la composition

   En 1890, Catulle Mendès, qui cherchait un compositeur pour son livret Rodrigue et Chimène de 1878, dans le but de le donner à l'Opéra, le propose à Debussy, en qui il pressent un futur grand. Le compositeur accepte (il n'a essayé que des esquises jusqu'ici, dont Diane au bois), notamment pour la rémunération et la célébrité que cet accomplissement lui procurerait instantanément, mais ne cesse de souligner dans ses lettres ses souffrances : le livret, trop conventionnel, le fait travailler à rebours de son inspiration peu sensible aux figures obligées issus du grand opéra à la française ; par ailleurs, le wagnérisme affiché du librettiste semble l'irriter. Plus tard, après son abandon, il prétendra l'avoir brûlé par erreur – ce qui, nous le savons désormais que en avons retrouvé les partitions, est faux.
    Le Prélude et le duo liminaire constituent pourtant un accomplissement majeur, une atmosphère post-tristanienne totalement renouvelée par une transparence qui sera bientôt, grâce à lui, la marque de l'école française. La suite semble s'essouffler progressivement, il est vrai. Les grandes déclamations conventionnelles de sentiments élevés ou stéréotypés semblent le laisser totalement de marbre – c'est d'ailleurs exactement ce qu'il confesse à Paul Dukas lorsqu'il lui en joue des extraits.

    En 1893, c'est la révélation. Il voit Pelléas lors de ses premières représentations théâtrales, et en sort enchanté. Il demande l'autorisation à Maeterlinck, qui lui donne pleins pouvoirs sur son texte (pacte à l'origine de leur célèbre brouille, culminant dans la provocation en duel et la mort de Messaline…), et achève son œuvre dès 1895, sous la forme d'une partition piano-chant. (Rodrigue est subséquemment abandonné.)

    Il réalise alors sans cesse des retouches, mais ne débute l'orchestration qu'à partir de 1898, lorsque la commande de l'Opéra-Comique est confirmée.

    À partir de ce moment, nous disposons d'un matériel assez mouvant.



3) Ce qui n'a pas été écrit / ce qui a été ajouté

    Certaines scènes n'ont jamais été mises en musique :

Scènes d'emblée coupées
(numérotation des scènes de Maeterlinck)
I,1
L'espèce de Prologue avec les servantes (de qui essuient-elles le sang ? du père de Golaud ?  ou bien de la tragédie qui va se dérouler sous nos yeux ?) ;

II,4
les remarques d'Arkel sur la mort de Marcellus ;

III,1
les jeux d'Yniold dans la tour en présence de Mélisande et Pelléas (d'où est tirée et extrapolée la chanson de la Tour, de la main de Debussy) ;

V,1
les dialogues des servantes sur le drame qui vient de se produire (V,1).

    Le texte en est donc coupé, mais pas la musique.

    En 1901, Debussy a achevé une partition « définitive » pour piano et chant, qui a longtemps été utilisée pour préparer les chanteurs, mais elle diffère en plusieurs points de la version orchestrale que nous connaissons (révision de 1905) – ce qui réclamait une certaine acrobatie pour se conformer ensuite à la partition d'orchestre lors des représentations.
    Certains spectacles ont d'ailleurs été conçus en utilisant cette réduction piano comme une réelle œuvre autonome – par exemple le DVD réalisé à Compiègne, des représentations accompagnées par Alexandre Tharaud ou encore celles du New York City Opera avec Patricia Petibon.

    Arrive le moment de la création, en 1902. Au cours des répétitions, André Messager – qui avait co-commandé l'œuvre avec Albert Carré (directeur de l'Opéra-Comique), et devait diriger l'œuvre – demande des mesures supplémentaires aux interludes des actes :
I
→ scènes 1-2, entre la forêt et le château, 33 mesures supplémentaires ;
→ scènes 2-3 entre une salle du château et les jardins, 18 mesures supplémentaires ;
II
→ scènes 1-2 entre la fontaine dans la forêt et la chambre de Golaud, 37 mesures supplémentaires  ;
→ scènes 2-3 entre la chambre de Golaud et la grotte, 15 mesures supplémentaires ;
IV
→ scènes 2-3 entre un appartement du château et la fontaine, 45 mesures supplémentaires.
La scène de l'Opéra-Comique étant peu profonde, la substitution des décors est difficile entre les tableaux (nommés « scènes » dans le livret, mais ce sont en réalité des changements de décor et non seulement de personnages), et le 1er avril (la générale était le 28, la première le 30) Messager réclame précisément le nombre de mesures nécessaire à la bonne exécution des opérations. Cet épisode est largement connu et documenté, s'agissant de la part la plus souvent jouée de l'opéra, même loin des scènes de théâtre.
    Messager précise qu'il a collecté une à une les pages écrites en urgence par Debussy pour allonger les transitions. Tout fut monté pour la première, et le public a toujours connu Pelléas avec ses interludes longs.

    Toutefois, la partition parue en 1902 chez Fromont présente au contraire la version sans interludes allongés – mais intégrant les coupures admises pendant les répétitions. C'est sur elle que se sont fondées les tentatives de représentations de la version « originale » avec orchestre (en réalité un état de la partition jamais entendu par le public), par exemple Gardiner à Lyon ou Minkowski à l'Opéra-Comique pour le centenaire. (Retrancher ces mesures écrites certes dans l'urgence, mais aussi dans une veine très inspirée, paraît toujours un peu décevant.)



4) Ce qui a disparu et mérite peut-être de renaître

    Pour autant, Debussy, qui recevait volontiers chez lui les chanteurs qui reprenaient Pelléas au fil des séries, continuait de corriger sa partition… Des mélodies et rythmes chez les chanteurs, par exemple. Ce n'est qu'en 1905, avec la parution de sa version réorchestrée (chez Durand), que s'achèvent, je crois, la série des variantes – en tout cas des variantes publiées / publiables.

    Est-ce la version complète ?  Non. Car, et c'est là le plus intéressant, à divers stades, Debussy a écarté des groupes de mesures, et surtout du texte qu'il avait déjà mis en musique. Les voici résumés.

Les coupures sur la musique
III,3
(la terrasse au sortir des souterrains)
→ Suppression d'une remarque sur les moutons « Ils pleurent comme des enfants perdus ; on dirait qu'ils sentent déjà le boucher » et d'un climax où Golaud chante « Quelle belle journée !  Quelle admirable journée pour la moisson ! »

III,4
(torture d'Yniold)
→ Le fameux « Et le lit ? Sont-ils près du lit ? », qui est revenu en grâce dans plusieurs représentations et parutions récentes (Rattle par exemple). Je reviens sur son histoire pour conclure cette notule.
→ 13 mesures allongeaient la fin de l'acte, dont une phrase qui complète la dernière parole de Golaud – qui ne s'éloigne pas avec Yniold, mais va au contraire se rapprocher : « Viens, nous allons voir ce qui est arrivé. » (et non « Viens ! »).

IV,4
(monologue de Pelléas avant la grande scène d'amour)
→ Référence au père de Pelléas dont la guérison confronte Pelléas à ses choix : « Mon père est hors de danger, et je n'ai plus de quoi me mentir à même » (avant « Il est tard, elle ne vient pas. Je ferais mieux de m'en aller sans la revoir »).
→ 24 mesures avant la fermeture des portes.
→ Suppression d'une glose de Pelléas autour de « il ne sait pas que nous l'avons vu », quand ils aperçoivent Golaud caché.

    Uniquement des portions courtes, mais à l'exception du « lit », ces extraits n'ont jamais été enregistrés – officiellement du moins. Il semble néanmoins que ces dernières années soient apparues certaines de ces variantes (notamment « viens, nous allons voir ce qui est arrivé ») dans des versions en DVD. Je n'ai pas encore réuni toutes les références ni tout vérifié.

    Il me semble aussi avoir lu incidemment que la scène d'Yniold avec les moutons n'avait pas été donnée à la création, mais je n'ai pas le temps de vérifier ce point avant publication, et il n'est pas crucial : il s'agit d'une scène entière, bien connue et aisée à rétablir sans rien altérer.

    En attendant, tout cela permet de bénéficier de petits suppléments, de surprises, de fragments qui peuvent éclairer les éléments restés vaporeux dans les intentions des personnages – Debussy a eu tendance à gommer les aspects généalogiques trop précis, en particulier. Et, je l'espère, permettra de vous rassurer quant à l'origine de ces variantes : il y a effectivement eu quelques années où certaines articulations ont connu un peu de jeu sous la plume de Debussy.
    On ne peut qu'être étonné, devant la célébrité de l'œuvre, sa fréquence sur les scènes et le profil plutôt intellectualisant de ses amateurs, que des versions alternatives, fût-ce sur des détails, n'aient pas servi d'argument commercial.

pelleas supplement pelleas supplement
Deux versions différentes de cette phrase du monologue de Pelléas supprimée à l'acte IV.

    Je vous quitte, estimés lecteurs, avec ces quelques éléments autour du Lit.

Et le lit ??

    Alors que Golaud interroge vainement Yniold, juché sur ses épaules en espion innocent, sur ce que font Mélisande et Pelléas dans la Tour (« Que font-ils ? », « Sont-ils près l'un de l'autre ? »), il finit par lâcher le fond de sa pensée, alors que l'orchestre se tait soudain : « Et le lit ?  Sont-ils près du lit ? ». Pourtant, nous ne le connaissons que dans de rares versions de ces dix-quinze dernières années.

    Nous disposons d'une lettre de Debussy qui l'explique : les coupures de la fin de l'acte III sont dues à une censure. En effet, le jour de la générale costumes, le « directeur des Beaux-Arts » (je retraduis d'après le texte anglais proposé par Robert Orledge… est-ce un ministre ?  un agent du ministère ?  un censeur ?  je n'ai pas eu le temps ni l'intérêt, à vrai dire, de vérifier), M. Roujon, avise le caractère trivial de cette scène de voyeurisme, et demande à Carré la suppression du tableau entier. Debussy refuse absolument, et propose en échange les coupures (très ciblées, finalement) que nous venons de parcourir ensemble. Il ne s'agit que de celles de l'acte III, les autres semblent réellement issues de choix artistiques de Debussy, de repentirs dirions-nous s'il était peintre…
    Il avance même qu'il aurait dû modifier le passage litigieux lui-même, et que seule la « ridicule dispute » (je retraduis la lettre de l'anglais, n'ayant pu la retrouver en français, je ne garantis pas l'exactitude de l'expression ici non plus) qui l'opposa à Maeterlinck l'avait empêché de lui demander des altérations. Ceci me paraît d'une tartufferie confondante, dans la mesure où Debussy a précisément fait ce qu'il voulait de la prose de Maeterlinck, non seulement en coupant (ce qui est inévitable en adaptation une pièce parlée à l'opéra, et ce à quoi avait consenti le poète), mais aussi en récrivant un assez grand nombre d'expressions !  Une bonne partie des citations désormais célèbres de Pelléas ont été remaniées, voire écrites par Debussy… La lettre finit d'ailleurs par des flatteries assez obséquieuses envers le critique qui semble avoir bien accueilli la première.

    Changement de dernière minute et commandé par la menace imminente d'une suppression pure et simple d'une scène complète d'une douzaine de minutes. Mais qu'en est-il musicalement ?  Hé bien, et apparemment pas mal de mélomanes et même d'exégètes partagent mon sentiment, cette interruption pleine de crudité, presque dans le silence – qui traduit très efficacement l'obsession de Golaud – freine en réalité la progression implacable de cette dernière section, de plus en plus trépidante dans sa version coupée, jusqu'à l'explosion de fureur orchestrale finale. Au contraire, en rétablissant les questions autour du Lit, c'est une pause qui est ménagée, certes saisissante, avant la brève reprise, terrifiante, de la cavalcade. Très réussi aussi, mais la musique nous a soudain relâchés et la conclusion se révèle alors un peu courte.
    À cela s'ajoute que, systématiquement, le public rit généreusement à l'aspect vaudevillesque de la situation. [Je suis toujours fasciné par ces spectateurs capables de rire spontanément au moindre trait d'humour au sein de la tragédie la plus noire, alors que je suis moi-même écrasé par la pesanteur des enjeux et peut-être encore plus dévasté par l'ironie mordante de certains traits. Je ne sais quel mécanisme me manque.]  Ces rires, dans une œuvre mise en musique, tendent à interrompre d'autant plus la continuité et briser l'atmosphère : du point de vue très terre-à-terre du confort d'écoute, le supprimer représente également un gain. 

Je ne suis pas nécessairement convaincu non plus, sur le papier, par la nécessité des autres ajouts – sauf l'allongement des parties instrumentales, comme en cette fin d'acte III, précisément, qui rééquilibre peut-être la rupture du Lit !  Il est cependant très probable que mon habitude de Pelléas me rende toute nouveauté vaguement décevante, triviale ou sacrilège ; aussi je suis très curieux de les entendre, dès qu'il sera possible, avant de me prononcer.

[[]]
Fin de l'acte III avec rétablissement du Lit.
  Elias Mädler (Yniold), Gerald Finley (Golaud),
London Symphony Orchestra, Simon Rattle
(CD LSO Live
2017).



5) Une édition critique… vers l'avenir

    Les entendre avant de se prononcer, ce devrait être chose faite bientôt, puisque les éditions Durand-Salabert-Eschig ont lancé, en grande pompe l'an dernier, une édition critique de Pelléas, incluant une nouvelle réduction piano, correspondant réellement à la partition d'orchestre cette fois, et contenant ces passages coupés (avec la possibilité de continuer à les omettre si le chef le souhaite).
    J'aurais envie de les féliciter, mais Durand est quand même la maison qui est restée pendant tout ce temps assise sur son tas d'or à toucher des droits d'auteur automatiques avec ces éditions bancales de Pelléas (contenant de surcroît des fautes…), dont elle avait, grâce au droit de la propriété intellectuelle français, une parfaite exclusivité. D'une part grâce au principe de l'œuvre collective, protégée jusqu'à la mort du dernier collaborateur (Maeterlinck est mort en 1949, très longtemps après Debussy) ; d'autre part grâce aux années de guerre, très longues lorsque les œuvres ont été composées avant la première guerre mondiale (quelque chose comme 14 ans), qui s'ajoutent aux 70 ans de protection post mortem.
    Alors les voir produire cette édition rigoureuse que tout le monde attendait maintenant, alors que l'œuvre sera, d'ici 2025 au maximum – probablement avant – dans le domaine public (donc utilisable sans rien reverser à l'éditeur historique)… Je ris doucement, et je leur souhaite cordialement de se faire tailler des croupières par la concurrence qui rééditera l'ancienne édition ou en fera de nouvelles tout aussi documentées. (Oui, je n'ai pas pardonné, quand j'étais étudiant, la pratique de vendre les cycles de Ravel uniquement en mélodies détachées, pour obtenir les 5 pages à 25€ – à l'époque où, avec 25€, on pouvait acheter une Mercedes…)

    Pour autant, il s'agit d'une nouvelle merveilleuse pour tous les amateurs de Pelléas, qui irradiera à travers les représentations et enregistrements que nous découvrirons dans les années à venir !

    J'espère que cette notule aura contribuer à réduire vos alarmes devant la multiplicités des bizarreries pelléassiennes, toutes prêtes à déferler sur vos salles et disquaires préférés, et qui n'auraient pas tardé à envahir votre disponibilité auditive et mentale.

    Puissent, estimés lecteurs, ces quelques explications parvenir à éclairer, autant qu'il est possible, les jours sombres que notre engeance maudite traverse.

samedi 6 mars 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 3 : LULLY, Biber, Rameau, Cherubini, Meyerbeer, Dubois, Karnavičius, Hahn, Tauber, Pejačević, Schmitt, Heggie…


À nouveau, brève présentation, communication de mon tableau d'écoutes commenté, et en texte brut son contenu en corps de notule. (Je vous renvoie donc au tableau pour la mise en page la plus lisible.)

Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office).

Que retenir des parutions de février ?  (Et de quelques découvertes personnelles hors actualité.)

cherubini faniska borowicz DUX

Opéra
→ Sacrée surprise de la versatile Faniska de Cherubini ;
→ parution moderne (et réussie) d'Ô mon bel inconnu de Hahn ;
→ coffret Orfeo d'opéras rares (Don Giovanni de Gazzaniga, Djamileh de Bizet, Armida de Dvořak, Šarká de Fibich, Thérèse de Massenet, La Bohème de Leoncavallo…) dans des versions pas ultimes mais qui restent abouties ;
Dardanus de Rameau dans une nouvelle version Vashegyi étonnamment stimulante (peut-être la meilleure parue pour cet opéra) ;
Aida parisienne de Verdi sur Arte (remarquablement jouée-chantée, avec Radva Regina) ;
Alimelek de Meyerbeer (certes une déception quant à l'ambition très limitée de la partition, un peu son Abu Hassan à lui).
♦ Hors nouveautés, je me suis régalé en découvrant enfin le Sigurd de Reyer intégral (autrement que sur mon piano), sans coupures : grâce à Nancy (Chaslin, avec notamment Bou en Gunther !), capté sur les genoux et transmis par un amis.
♦ Et réécouté quelques indémodables classiques personnels : Céphale & Procris de Grétry (van Waas), Léonore de Gaveaux (R. Brown), Les Diamants de la Couronne chef-d'œuvre de tout Auber (Colomer), L'Aiglon d'Ibert-Honegger (Nagano).

Récitals
Deux disques incluant des cycles de Jake Heggie qui paraissent à quelques semaines d'intervalle (Songs from the Violins of Hope, Songs for Murdered Sisters), peu après le cycle statuaire avec Jamie Barton.
Remarquable pot-pourri de sucreries tudesques des années 1930, interprétées splendidement (c'est radieux, mais c'est sobre) Mitterrutzner et Poppen.

Sacré
Motets funèbres de LULLY dans la luxueuse interprétation de Fuget, essayant une tension installée dans un fondu orchestral. (Réécoute dans la foulée de García-Alarcón, dont le caractère expansif, déclamatoire et contrasté me séduit considérablement plus.)
Aussi réécouté le Requiem de Foulds et la deuxième Missa Solemnis de Cherubini (par Rilling), deux petites merveilles de l'art sacré.

Orchestral
Tout le monde a loué avec raison la Neuvième de Beethoven par Pittsburgh & Honeck. Parution également sur la chaîne YouTube de la Radio de Francfort de la version originale (deux fois plus longue) de la Tragédie de Salomé de Schmitt, chaleureusement exécutée par Altinoglu.
    Hors nouveautés, je me suis plongé dans la Symphonie en fa dièse de Pejačević, compositrice qui sait charpenter un discours, petite merveille. Et puis je me suis émerveillé de l'art de Hannu Lintu que je connaissais mal (aussi bien dans Vieuxtemps que dans Sibelius), j'ai totalement réévalué les Nielsen de Kuchar (en réalité très vivants et d'une très bonne finition), et ai découvert quelques versions marquantes de Tapiola (A. Davis & Bergen, Lintu & Radio Finlandaise, Rosbaud & Berlin…).
    Et quelques réécoutes de bijoux : Beethoven 9 par Mackerras et l'Age of Enlightenment (on ne fait pas plus net et ardent), Nielsen par Jensen (première intégrale enregistrée, mais d'une ardeur et d'une fermeté d'exécution qu'on n'atteint à nouveau que dans les versions les plus récentes !), les 3 symphonies de Madetoja, Älven (« Le Fleuve ») d'Atterberg (pendant à l'Alpestre de R. Strauss), et la grisante monographie Cecil Coles, pleine de beautés subtiles et très diverses.

Chambre
Simples et beaux Quatuors de Karnavičius. Parution d'un trio avec piano de Pejačević, pas très marquant en soi, mais l'occasion d'aller retrouver dans le fonds CPO son Quintette avec piano et son Quatuor piano-cordes, des merveilles qui ne sonnent en rien galants / mélodiques / limités au divertissement de salon ; de la musique formellement ambitieuse, quoique généreuse mélodiquement. Bijoux.
Autres belles publications, une nouvelle version du Quintette avec hautbois de Dubois (avec Triendl – un peu sérieuse, mais réussie) et une anthologie Santiago de Murcia qui étonne par son choix de pousser l'aspect « improvisé », paraissant réalisé au débotté comme une séance de flamenco.
    Hors nouveautés, plongée dans les sonates pour deux violons, originales et denses, de Leclair (car…) et dans le cycle du Rosaire de Biber par Manze & Egarr, version musicologiquement respectueuse, mais très confortable, sans recherches extrêmes sur le son, et remarquablement phrasée. Très confortable quand on n'est pas d'emblée dans son univers parmi la musique instrumentale baroque d'Europe centrale.

Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office). J'espère qu'il vous sera lisible et utile.

La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Liste brute :




Nouveautés : œuvres

** HEGGIE, J.: Songs for Murdered Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ En cours d'écoute.

** KARNAVIČIUS, J.: String Quartets Nos. 1 and 2 (Vilnius String Quartet) (Ondine 2021)
→ De la tonalité très stable, mais remarquablement écrite, un peu la suite logique des quatuors de Stenhammar. Je ne sais si ça conservera sa fraîcheur à la réécoute, mais grisant (et très accessible) à la découverte !  (1913-1917)
→ Le Quatuor de Vilnius se montre assez fulgurant ici – et généreusement capté.

** Cherubini – Faniska – K. Adam, Poznan PO, Borowicz (DUX 2021)
→ L'œuvre débute comme de l'opéra belcantiste, avec ses rigidités… mais du Cherubini, donc un sens véritable de la déclamation (incluant grands ensembles et mélodrame !), des chœurs très marquants et personnels (le renforcement des cors dans « Di queste selve » !), des efforts d'orchestration patents… Et quand on arrive au final de l'acte I, qui évoque très fortement Fidelio (Faniska a été commandée en 1805, l'année de la première représentation du Beethoven), on se dit qu'on n'a pas commis beaucoup d'opéra italien aussi personnel, composite et exaltant que celui-ci, puisant à toutes les inspirations nationales simultanément !  Les cavatines belcantistes, la grande déclamation à la française, le soin tout germanique de l'orchestration et de la matière musicale pure (l'Introduction du II !) …
→ Comme toujours chez Dux ou avec Borowicz, interprétation pleine de style et de vie, au plus haut niveau. (DUX est l'un des meilleurs labels au monde, peut-être même celui dont la qualité, aussi bien des œuvres retenues que de l'exécution, n'est jamais prise en défaut).

* Thalberg –  L'art du chant appliqué au piano, Op. 70 – Paul Wee (BIS 2021)
→ Belle initiative de graver plutôt l'ensemble que des morceaux choisis comme souvent. Beau son de piano bien timbré et lyrique.
→ Thalberg, ici comme ailleurs, fait plutôt dans la transcription littérale : les mélodies sont utilisées en entier, les répétitions de l'original respectées, un thème accompagné reste un thème accompagné, il ne faut pas du tout en attendre les mutations opérées par Liszt. Dans ce cadre, c'est bien écrit pour le piano et tout à fait plaisant à entendre – mais écouter ça au disque quand on peut avoir les opéras entiers (ou quelquefois des arrangements originaux), ça paraît moins indispensable que lorsque c'était le sel moyen de découvrir ou de faire écho à une soirée.
[Par ailleurs, quand on peut jouer pour soi les réductions piano de ces opéras, le bénéfice d'écouter quelqu'un d'autre jouer les réductions de Thalberg n'a pas un intérêt incommensurable.]

* PEJAČEVIĆ – Trio en ut – trioW (Stefan Welsch, Ingrid Wendel, Katharina Wimmer) (Naxos 2020)
(tiré du disque « Unerhörte Schätze, Musik von Komponistinnen », pas encore écouté)
→ Très vivant postromantisme, très réussi. Mais il faut surtout découvrir le Quatuor avec piano (et le Quintette) chez CPO !

*** Schmitt – La Tragédie de Salomé, version complète originale – Radio Francfort, Altinoglu (YT HRSO)
→ Version pour petit orchestre, qui contient deux fois plus de musique (notamment tout le liant dramatique entre les danses). Œuvre majeure, interprétée ici avec chaleur et couleur.
(Au disque, on n'a que la belle version Davin chez Marco Polo, mais avec le moins chatoyant Philharmonique de Rhénanie-Palatinat).
https://www.youtube.com/watch?v=fmRCZQ2vID4

Biber, Bernhard, JM Nicolai, Fux – Requiem, motets, Sonates – Vox Luminis, Freiburg Baroque Consort, Meunier (Alpha 2021)
→ Cordes rares et très étroites, ce n'est pas fabuleusement chaleureux à écouter, pour mon goût. Le contraste avec le beau chœur (pour autant pas dans son meilleur répertoire / jour) est un peu frustrant.

* Eklund:  Symphony No. 3, "Sinfonia rustica", 5 « Quadri », 11 « Piccola »  –Norrköping SO, H. Bäumer (CPO 2020)
→ 3 : Postromantisme sombre, quelque part entre entre les aplats simples de Schjelderup, les bizarres tintements de la Sixième de Nielsen, les menaces de Chostakovitch (on y entend très clairement le début et la fin de la Cinquième…). Il ne faut pas s'attendre à du pastoralisme ici
→ 5 : Sensiblement même esprit (avec des bouts de la folie d'Hérode chez R. Strauss, mêmes lignes ascendantes bancales de trompettes folles ).

Alfano – Risurrezione – (Dynamic)
→ Opéra vraiment peu exaltant, bâti de façon très prévisible, peu de contrastes ni de couleurs orchestrales. Quand on compare aux symphonies (et encore davantage à la musique de chambre d'Alfano), tout ceci paraît particulièrement incompréhensible.
→ Sans avoir jamais été convaincu qu'il s'agissait d'un chef-d'œuvre, je trouve cette dernière version, quoique très bien chantée, particulièrement peu colorée orchestralement.

Respighi – transcriptions de Bach (Prélude & Fugue, Passacaille & Fugue en utm, Chorals) et Rachmaninov (Études-tableaux) – OPR Liège, Neschling (BIS 2021)
→ Pas très subtilement orchestré, orchestre pas splendide non plus… mais le Choral du Veilleur fonctionne très bien.

** Hahn – Ô mon bel inconnu – Gens, Dubruque, Dolié ; ON Avignon-Provence, Samuel Jean (Bru Zane 2021)
→ Interprétation orchestrale pleine de d'élan, naturel général des interactions, prise de son extrêmement confortable… une œuvre-légère délicieuse qui fonctionne parfaitement ici, ravivée avec esprit.
→ Belles voix pas complètement idéales : l'émission de Gens paraît vraiment  molle pour le registre comique, Dubruque n'a pas énormément de séduction timbrale, Dolié couvre toujours beaucoup trop (toutes les voyelles sont modifiées, fermées, le timbre artificiellement assombri) – pour autant, c'est lui qui manifeste le plus de sensibilité dans l'incarnation de son texte, très réussie.

* MEYERBEER : Wirth und Gast, oder Aus Scherz Ernst [Opera] (Alimelek) (Kobow, Woldt, Stallmeister, Württembergische Philharmonie Reutlingen, Rudner) (Sterling 2021)
→ Un nouveau Meyerbeer en allemand, comme on n'en entend guère, par une superbe équipe (Reutlingen !) et le librettiste du Vampyr ! 
→ Sympathique Singspiel (dont l'ambiance a quelque chose d'une Zauberflöte ou d'un Oberon de Weber qui aurait entendu Rossini et Boïeldieu). C'est agréable, mais rien à voir, jusque dans la langue proprement musicale (les harmonies, les rythmes, l'orchestration, les mélodies, la prosodie…) avec ce qu'il produit pour l'Italie (qui est moins bien) et pour la France (qui est infiniment plus personnel).



Nouveautés : versions

* Liszt – Réminiscences de Norma
(+ Sonate en si + Sonnets des Années de Pélerinage, non écoutes) – Grosvenor (Decca 2021)
→ Très ferme toucher, traits très bien articulés… Capté avec un peu de dureté. Manque un peu de couleur pour mon goût. La maîtrise technique fait toutefois la différence dans le final, absolument flamboyant, où l'abondance de traits ne rallentit en rien l'énonciation de la mélodie du bûcher. Bravo.

*** Tauber, Hans May, Carste, Grothe, Ernst Fischer, Winkler, Cottrau, Stolz, Sieczynski, Kalman, De Curtis, Ralph Erwin, Spolianski, Karl Böhm, Marini, Tosti, Capua – « Heut' ist der schönste Tag - Tenor Hits of the 1930s »Martin Mitterrutzner, German Radio Saarbrücken-Kaiserslautern Philharmonic. C. Poppen (SWR Classic 2021)
→ Sobre (malgré tout) accompagnement de l'excellent Poppen, et voix splendide de cet élégant ténor ferme, plutôt léger mais assez glorieux, ne négligeant pas l'art (sacrilège) du fading !  Superbe album dans ce genre, si l'on n'a pas peur du sirop (moi un peu, on se lasse vite).

* Weber – Der Freischütz (extraits !) – van Oostrum, Barbeyrac, Baykov ; Skerath, Immler ; Insula Orchestra, Équilbey (Erato)
→ Quelle étrange chose, un disque de 80 minutes qui ne contient que les moments de bravoure (ouverture, pantomime de la fonderie, airs), pas de dialogues et très peu d'ensembles… mais complété par un DVD documentaire sur la production. Pourquoi faire ?
→ Dommage, production très réussie (incluant la magie, très adéquate ici), couleurs superbes (et individualités musiciennes !) de l'orchestre sur instruments, très beau plateau (Agathe en particulier). Cela méritait une diffusion de l'intégrale…

* MURCIA, S. de: Baroque Guitar Music (Entre dos almas) (Stefano Maiorana) (Arcana 2021)
→ Jeu très généreux et mélismatique, évoquant davantage une improvisation de flamenco. Accord surprenant (quel tempérament utilisé ?), jeux de distorsion, bruits de caisse…

** Verdi – Aida – Radvanovsky, Kaufmann, Tézier ; Opéra de Paris, Mariotti (Arte Concert 2021)
→ Amants absolument merveilleux, souples et nuancés tout en restant glorieux. Orchestre très bien mis en valeur par Mariotti. Entourage impeccable. Un plaisir.

** Rameau – Dardanus version de 1744 – Wanroij, Santon, Dubois, Christoyannis, Dolié ; Orfeo O, Vashegyi (Glossa 2021)
→ Vocalement, vraiment pas ce que je voudrais entendre ici (Dolié outrageusement couvert, Christoyannis en petite forme, peut-être à cause de la tessiture basse du rôle), à l'exception de Dubois qui, avec son timbre grêle et perçant, rayonne à sa façon.
→ Mais l'excellente surprise vient de Vashegyi qui, malgré des couleurs un peu grises, insuffle une véritable animation, même aux récitatifs plus convenus et aux airs longs. Contrairement à ses autres Rameau et aux pastorales un peu dénervées qu'il a faites ces dernières années, un véritable sens dramatique se déploie. Peut-être bien la meilleure version de Dardanus à ce jour, si l'on considère l'effet d'ensemble !

** Beethoven – Symphonie n°9 – Pittsburgh SO, Honeck (Reference Classics 2021)
→ Très allégé et informé, extrêmement vif dans le premier mouvement, interprétation très tendue, pleine de détails d'orchestration, d'explosions, de fièvre !  Du vrai Beethoven.
→ Le final est très beau, mais m'accroche moins, trop de timbre, de maîtrise peut-être.

* LULLY – Dies iræ, De Profundis, O Lachrymae – Les Épopées, Fuget (Château de Versailles)
→ Captation également disponible en vidéo chez Arte. → Son très profond d'un vaste orchestre, solistes ***** (Lefilliâtre, Auvity, Goubioud, Mauillon, Arnould, Brès…). Sur le choix esthétique, un peu difficile de passer après les mêmes motets l'an dernier par Millenium Orchestra et García Alarcón : chez Fuget tout est très fondu (et poisse un brin, acoustique de la Chapelle Royale aidant), là où la respiration, la discontinuité, l'éclat, la déclamation triomphante prévalaient de façon saisissante chez Alarcón (de loin le plus beau disque de grands motets de LULLY, il faut dire – qui avait marqué le millésime 2020).
→ La vidéo, très bien filmée, apporte un supplément en voyant tout ce monde frémis à l'unisson !




Nouveautés : rééditions

** Gazzaniga (DG), Bizet (Djamileh), Dvořák (Armida), Fibich (Šarká), Massenet (Thérèse), Leoncavallo (La Bohème) – « Opera Rarities » – (Orfeo)
→ Coffret contenant ces œuvres intégrales (passionnantes) dans de belles versions (pas les meilleures, certes). Il doit cependant manquer les livrets, certains se trouvent en ligne (mais pas sûr pour La Bohème et à peu près sûr que non, hors monolingue, pour Armida.





Autres nouvelles écoutes : œuvres

** PEJACEVIC, D.: Symphony in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield, Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche !  Pas du tout une musique galante.

* VIEUXTEMPS, H.: Violin Concerto No. 4 (Hahn, Bremen Deutsche Kammerphilharmonie, P. Järvi) (DGG 2015)
→ Final exceptionnellement virtuose. Un peu plus superficiel musicalement aussi, trouvé-je.

*** Pejačević – Quintette piano-cordes, Quatuor en ut, Quatuor piano-cordes  – Sine Nomine SQ, Triendl (CPO 2012)
→ Quintette : Belles modulations, beau lyrisme du mouvement lent, dernier mouvement virevoltant !  Postromantisme enrichi de recherches début XXe chez cette compositrice croate.
→ Beau quatuor à cordes apollinien.
→ Quatuor piano-cordes : très marqué par Debussy et Fauré, une petite merveille très frémissante et prenante, à rapprocher par exemple de ceux de Chausson et Fauré (n°1).
→ Cordes du Sine Nomine pas fabuleuses (manquent vraiment de fermeté et de mordant, grincent un peu).

*** Reyer – Sigurd (version intégrale) –  Bou ; Opéra National de Lorraine Nancy, Chaslin (bande pirate sur les genoux)
→ Première présentation de l'œuvre sans coupures ! 

* Cherubini:  Mass in A Major de 1825 pour le Couronnement de Charles X – Cologne Radio Chorus; Cappella Coloniensis; , Gabriele Ferro (Capriccio)

* Emilie Mayer – Quatuor piano-cordes – Mariani PiaQ (CPO 2017)
→ Chouette. Manque quand même d'un petit quelque chose de marquant.

* Foulds – Le cabaret Overture // Pasquinades symphoniques // April-England // Hellas // 3 Mantras – LPO, Wordsworth (Lyrita 2006)
→ Des choses sympathiques, mais globalement surtout marquant du côté des Mantras.

Rangström – Symphonies n°3 & 4  – Norrköping SO, Mikhaïl Jurowski (CPO)
→ La 3 : sombre ostinato et structure simple favorisant la mélodie simple, je pense à Libertas venit de Hendrik Andriessen, petite merveille… mais en moins prégnant.
→ La 4 : là encore de grands aplats pas très complexes structurellement malgré une harmonie travaillée. Pas totalement séduit par cette alternance de blocs en pleins et en creux, un brin sommaire (et en tout cas, dans ses effets de contraste, peu propice au disque).

* Rangström – Intermezzo Drammatico – Norrköping SO, Mikhaïl Jurowski (CPO)
→ Simple mais persuasif et personnel. Par moment un côté danses de Salomé chez Schmitt…

FOULDS, J.: Dynamic Triptych / April England / April England / The Song of Ram Dass (Donohoe, City of Birmingham Symphony, Oramo)
→ Aimable, galant, moins nourrissant que l'autre monographie.

** LECLAIR, J.-M.: Sonatas for 2 Violins (Complete) - Opp. 3 and 12 (Ewer, LaMotte) (Dorian Sono Luminus 2014)
→ L'opus 3 n°1 est celui qui figure, sur la gravure-portrait de Leclair tirée d'un pastel… Après avoir passé en revue ses partitions, j'ai fini par trouver l'extrait assez substantiel qui apparaissait dans ses mains…
→ Ce n'est pas la seule raison pour laquelle écouter ces duos qui font figure de sonates en trio sans basse continue !

LECLAIR,
J.-M.: Sonatas for 2 Violins, Op. 3, Nos. 1-6 (Hoebig, Stobbe) (Analekta 2018)
→ Un peu lourd.

* Rangström – Symphonie n°1 – Norrköping SO, MIkhaïl Jurowski

** FOULDS, J.: 3 Mantras / Mirage / Lyra Celtica / Apotheosis (City of Birmingham Symphony, Oramo)
→ Très varié et réussi. Les Mantras en particulier, ou la Lyra qui inclut un soprano sans texte. Même la concertante (avec violon) Apotheosis me touche beaucoup (l'élan majestueux au centre de son Andante !).

*** Foulds – World Requiem – BBC SO, Botstein (Chandos)
→ Très varié et expansif, remarquable écho (moins idiosyncrasique, certes) au War Requiem.



Autres nouvelles écoutes : interprétations

** Cherubini – Missa solemnis n°2 en ré mineur – Rilling (Hänssler)
→ Très bel ensemble remarquablement écrit, comparable au style de ses requiems (riches en prosodie, travaillés sur la déclamation et au besoin le contrepoint), mais avec des solistes très bien mis en valeur. Le tout joué avec la rondeur et la rhétorique dramatique formidable de Riling.
* Meyerbeer – « Meyerbeer in France » – Thébault, Pruvot, Sofia PO, Talpain (Brilliant 2016)
→ Très beau disque (cette précision d'articulation orchestrale dans du Meyerbeer, c'est pas tous les jours !). Pruvot magnifique, Thébault plus problématique (timbre peu dense, aigus un peu criaillés).
→ Les extraits choisis sont pour large part de l'ordre décoratif, pas nécessairement le meilleur du compositeur, mais joli voyage néanmoins, atypique !:

* Leroy Anderson, Typewriter Concerto
→ Dans le style Wolf-Ferrari…

* Vieuxtemps:  Violin Concerto No. 5 in A Minor, Op. 37, "Gretry": –  Corey Cerovsek ; Lausanne Chamber Orchestra :  Lintu, Hannu (Claves 2008)
→ L'Adagio cite le duo d'amour Isabelle-Alonze de l'acte II ?  D'où le nom ?
→ Superbe version pleine de vie.

* Sibelius 5, Radio Finlandaise, Lintu (DVD)
→ Très beau, remarquable progression, mais quelques moments qui manquent d'angle, d'ampleur, de relance épique – en particulier les appels de cor du dernier mouvement, étrangement allentis et lissés, ce qui ne manque pas de grâce, mais un peu d'apothéose comme ce l'est usuellement… Néanmoins, splendide final sur le bout des pieds, très étonnant.

* BIBER – Sonates du Rosaire – Manze, Egarr (HM 2004)
→ Superbement phrasé, version HIP sans trop d'acidité / aridité, assez confortable pour moi qui ne suis pas toujours à l'aise avec cette ensemble monumental que j'ai peut-être tort d'écouter d'une traite… Variations et traits de virtuosité (écrits par Biber) impressionnants.
→ La Présentation au Temple, le jeune Jésus préchant, le Christ au Pilier, Crucifixion me touchent tout particulièrement… Version ou maturation de ma part, l'impression d'enfin accéder à l'œuvre !
 
*** Sibelius:  Tapiola – Radio Finlandaise, Berlin, Rosbaud (Ondine)
 
* Sibelius:  Tapiola – Radio Finlandaise, Lintu (Ondine)

* Williams – Star Wars VII – CD de la BO
→ La qualité a bien baissé. Hors le thème de Rey, très réussi, vraiment de la tapisserie sage et de la fanfare pétaradante. Dommage, quelle distance avec l'art consommé des IV et V.

CHERUBINI, L.: Mass No. 2, "Messe Solennelle" en ré mineur (Wiebe, Jungwirth, Orrego, Friedrich, Munich Motet Choir, Munich Symphony, Zobeley)
 
** Sibelius:  Tapiola, Op. 112 – Royal Stockholm Philharmonic Orchestra; Davis, Andrew (Finlandia)
 → Très belle surprise, très belle couleur. Toujours un peu extérieur à l'œuvre répétitive et très cordée.

** Nielsen – Symphonie n°2 – Janáček PO Ostrava, Kuchar (Brilliant)
→ En réalité vraiment très bien, nerveux, belle finition, j'avais beaucoup sous-estimé cette intégrale je crois.

Nielsen
– Symphonie n°1 – Stockholm RPO, Tor Mann (fin 40s début 50s)
→ Pas en place, orchestre dépareillé, tout le monde joue comme il peut cette musique hautement inusuelle, sous l'étiquette « Nielsen's Prophet in Sweden »… Je ne suis pas sûr de détester complètement (quelle typicité des bois, tout de même !), mais c'est clairement très loin des standards professionnels qu'on attend désormais (voire des bons amateurs d'aujourd'hui…).

* Sibelius – Symphonie n°7, Tapiola – Atlanta SO, Spano (ASO Media)
→ Étonnante lecture frontale et voluptueuse, avec un sens dramatique primaire, un côté verdien – qui rappelle l'énergie communicative de ses incroyables récentes symphonies de Bruch. Dans Sibelius, c'est exotique mais pas du tout inopérant.

* Sibelius – Symphonie n°5 – Berliner Philharmoniker,  Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Très vivant. Un excellent souvenir de la version vidéo (assez ultime), assez étonné par les timbres plus étroits ici (cordes délibérément sèches, mais trompettes un peu nasillardes, étonnant). Bois toujours aussi vertigineux.
+ final Maazel Pittsburgh, Karajan Philharmonia, Karajan Berlin, Bernstein Vienne

* Sibelius – Symphonie n°4 – Berliner Philharmoniker,  Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Étrangement, je ressens un petit manque de soyeux des cordes ici. Mais l'ascétisme, la transparence, les couleurs, sont magnifiques.

* Sibelius – Symphonie n°7, Océanides, Symphonie n°5 – LSO, C. Davis (LSO Live)
→ Tiré de la troisième intégrale de Colin Davis, la seconde avec le LSO.
→ La Septième, malgré des cuivres un peu massifs par endroit, se distingue par sa remarquable suspension et sa cinétique permanente. Son large, typiquement du dernier Davis. La Cinquième manque un peu de folklore à mon gré, évidemment, mais sans comparaison avec ses deux précédentes intégrales plutôt conformistes et ternes.

* Sibelius – Symphonie n°6 – Berliner Philharmoniker,  Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Cordes droites, peu vibrées, étonnant début très résonant quoique soyeux. Manque un peu de tension sur la durée pour moi, j'en avais un meilleur souvenir (d'après la version vidéo : je découvre sa déclinaison CD).

Sibelius – Symphonies n°3 – Stockholm RPO, Ashkenazy (Exton)
→ Oh, un peu décevant ici, niveau plus juste de l'orchestre que ce qu'il est habituellement, ou que la concurrence.

Sibelius – Symphonies n°2,3 + Night Ride & Sunrise – Radio Finlandaise, Saraste (RCA)
→ Intégrale de studio antérieure à l'intégrale Finlandia, elle vient d'être rééditée après une longue indisponibilité.
→ Autant je trouvais la version Finlandia structurellement singulière, exaltant les transitions en une sorte de nuage permanent (plutôt que d'appuyer sur la mélodie), autant je trouve cette lecture beaucoup plus traditionnelle et assez peu grisante : comme pour Salonen, les timbres captés par RCA paraissent vraiment mats et sans résonance. À côté de l'explosion des couleurs dans les grandes versions récentes (Oramo, Rattle, Storgårds…), c'est un peu frustrant, et en tout cas pas vraiment indispensable.

* Lully – Dies iræ, Te Deaum – Allabastrina, E. Sartori (Brilliant)
→ Spectre sonore à l'italienne (peu de corps dans les parties intermédiaires, respiration du spectre), qui fonctionne très bien, avec beaucoup d'élan et de solennité.




Réécoutes : œuvres

** Kreutzer – La mort d'Abel – Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ trissé

*** Coles – Fra Giacomo…

*** HONEGGER, A. / IBERT, J.: Aiglon (L') [Operetta] (Gillet, Barrard, E. Dupuis, Guilmette, Lemieux, Sly, Montréal Symphony, Kent Nagano) (Decca 2016)

*** Foulds – World Requiem – Charbonnet, Wyn-Rodgers, Skelton, Finley ; Hickox (Chandos)

*** Auber – Les Diamants de la Couronne – Colomer (Mandala)
→ Sommet du livret haletant (merci Scribe) et d'une musique divertissante pourtant pleine de modulations, d'ensembles travaillés, de surprises… Un des plus beaux opéras comiques jamais écrits. (Peut-être même le plus beau en langue française…)  Distribution fabuleuse et orchestre audiblement passionné. Mise en scène tradi pleine de vie.

** Gaveaux – Léonore ou l'amour conjugal – Mc Laren, Richer, Côté, Lavoie ; Opéra Lafayette, Ryan Brown (bande-son du DVD Naxos 2019)

*** Grétry – Céphale & Procris (actes I & II) – van Waas (Ricercar)

** Madetoja – Symphonies 1 & 3 + Suite Okon Fuoko – Helsinki PO, Storgårds (Ondine)
→ Bissé.

*** Madetoja – Symphonie n°2 – Helsinki PO, Storgårds (Ondine)

** Atterberg – älven – Hanovre, rasilainen (CPO)



Réécoutes : versions

* Rameau – Dardanus – Edda-Pierre, Gautier, van Dam, Soyer ; Leppard (Erato)

* Rameau – Dardanus – Arquez, Richter, Buet, Fernandes, Devieilhe, De Negri ; Pygmalion, Pichon (Alpha)

*** Beethoven – Symphonie n°9 – Enlightenment Mackerras (Signum)

* Sibelius – Symphonie n°5 – NZSO, Inkinen (Naxos)
→ Vraiment une très belle exécution, le meilleur volume de cette excellente intégrale. Dernier mouvement très réussi (à part la perte de tension à la fin du mouvement), premier mouvement doté de très belles couleurs et de très beaux équilibres, même si certains accompagnements paraissent un peu plats et certaines syncopes un peu inconfortables.

* Nielsen – Symphonie n°3 – Ireland NSO, Leaper (Naxos 1995)
→ Intégrale que j'adore, parmi les moins luxueuses orchestralement, mais d'un esprit et d'une tension assez fous, parmi les meilleurs. Pas à son sommet dans la Troisième plus étale, qui appelle davantage la volupté sonore, mais toujours ces merveilleuses qualité.

Nielsen – Symphonie n°3 – BBCPO, Storgårds (Chandos)
→ Contrairement à son Sibelius, je trouve leur Nielsen beau mais assez froid, cherchant plus la maîtrise et la chatoyance que l'esprit. Même un peu frustré par cette Troisième.

** Nielsen – Symphonie n°1 – Radio Danoise, Jensen (Naxos, remastering 1952)
→ Splendide restauration pour une version remarquablement maîtrisée, au trait fin et nerveux, bâtie avec grande clarté et sens des progressions, pourvue de belles couleurs… parmi les plus convaincantes de la discographie, malgré son âge vénérable (sachant que les propositions réellement satisfaisantes pour Nielsen sont presques toutes arrivées à partir de la fin des années 90…).
→ Je n'en avais pas du tout un souvenir aussi enthousiaste !

Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, Ole Schmidt
→ Bien, mais vraiment en deçà du potentiel de cette musique.

*** LULLY – Dies iræ, De Profundis, Te Deum – Junker, Wanroij, Auvity, Lenaerts, Buet ; Millenium O, Alarcón (Alpha 2019)




Autres nouvelles parutions à écouter

→ GRAUPNER, C.: Easter Cantatas (Jerlitschka, S. Hübner, J. Hill, Capella Vocalis Boys Choir, Pulchra Musica Baroque Orchestra, Bonath)
→ Schulhoff Intégrale des Lieder. Sunhae Im, soprano ; Tanja Ariane Baumgartner, mezzo-soprano ; Hans Christoph Begemann, baryton ; Britta Stallmeister, soprano; Klaus Simon, piano ; Delphine Roche, flute ; Myvanwy Ella Penny, violon ; Filomena Felley, alto ; Philipp Schiemenz, violoncelle .
→ clarinette copland bernstein rozsa orchid
→ étienne richard fabien armengaud
→ Jake Heggie: Songs for Murdered Sisters Joshua Hopkins
→ HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt)
→ frid quintet
→ beethoven aquileia
→ breath angels
→ Stanchinsky: Piano Works Peter Jablonski
→ Antti Auvinen & Sampo Haapamäki: Choral Works Helsinki Chamber Choir 
→ Michael Jarrell: Orchestral Works Tabea Zimmermann
→ John Mayer & Jonathan Mayer: Orchestral Works Sasha Rozhdestvens
→ kontski piano sonatas anna parkita
→ daniel jones symphs 3 5 lyrita thomson
→ Bergson: Orchestral Works Jonathan Plowright
→ vlagiderov cctos
→ Holmboe quats vol. 1 nightingale SQ
→ carte postale royaumont bunel
→ tempesta di passaggio : solo pour cornetto
→ gál 'hidden treasures' lieder inédits immler deutsch
→ british music strings I pforzheim
→ schnittke daniel hope
→ kalafati piano
→ respighi transcriptions
→ eccles semele
→ maconchy , lefanu, swayne « relationships » violon piano
→ alex freemann, requiem (BIS)
→ Cesti, La Dori
→ hasse enea in caonia
→ ruders, nørgård, violoncelle solo
→ Grigory Krein piano
→ F.G. Scott piano
→ worgan harpsichord julian perkis chez toccata
→ Goldmark vol 2, mokranjac piano, the laundy grondahl legacy, graun orchestral, trattamento dell'harmonia, platti chamber, marx mosè
→ farkas chamber, braga santos, chamber 3, telemann christmas cantatas CPO, jenner piano
→ Johan Nepomuk David : intégrale des trios à cordes (David-Trio), chez CPO.
→ fra diavolo strade napoli
→ Schulhoff Flammen very vermillion billy
→ stikhina salomé  https://www.youtube.com/watch?v=YU0jlgd9Pas
→ clair-obscur piau
→ kopatchinskaja (plaisir illuminés)
→ ballades vinnitskaya
→ fanciulla foster
→ musicalische exequien
→ haydn 76 chiaroscuro
→ buxtehude par Les Timbres
→ locatelli concertos violon gringolts helsinki baroque
→ catoire chambre & concerto, triendl
→ messiaen 20 regards chen
→ beethoven solemnis jacobs
→ ariadne botha schmeckebecher
→ telemann ouvertures, orfeo barockorchester
→ telemann concerti camerata köln
→ josquin 7e livre, visse
→ weinberg 2,5,6 arcadia SQ
→ nouvel an 2021 muti
→ bagatelles beethoven feltsman
→ boffard beethoven berg boulez
→ krieger 12 sonates en trio
→ pettersson symph 12 lindberg



Projets d'écoutes ou réécoutes pour les semaines à venir

tout DUX, tout CPO

Jēkabs Jančevskis - Chœurs
Mäntyjärvi - Chœurs
Foulds - Quatuors
SEHS

heggie violins of hope
pejavevic symph réécoute

vieuxtemps cctos vcl CPO
vieuxtemps cctos vln davin

nielsen jensen
nielsen kuchar
nielsen bernstein

« Flury. Son quatuor No. 5 est bien ficelé dans une optique assez traditionnelle, le No. 6 possède un II d'une grande mélancolie et déploie un cœur suspendu dans le III à fondre. Le No. 7 est peut-être le plus intéressant, qui démarre en fugue à quatre voix avant de virer à une pièce romantique tout en pizzicatti. Ces deux derniers sont couplés avec une suite pour orchestre à cordes assez déconcertante (III), variée (Atterberg dans le II, marche instable dans le IV) qui ne manque pas de sel. Le quintette pour piano, bien que souvent d'un sentimentalisme parfois caricatural, n'aura pas dépareillé avec les pièces ultra-lyriques écoutées récemment. Plaisir sûrement coupable mais plaisir malgré tout. »

« Plus ancien et susceptible de te plaire, Bargiel. Le deux premiers quatuors évoquent Beethoven, respectivement opus 18 et 59, les troisièmes et quatrièmes sont plutôt d'obédience Schumann/Brahms/Mendelssohn (même si j'ai pensé aux gémissements utilisés par Onslow au début du No. 4). Plus sophistiqués, moins immédiats en ce qui me concerne, avec un pathos un peu forcé parfois, mon goût désordonné ne doit pas empêcher d'y trouver maintes satisfactions. Mais c'est bien son octuor, d'une noirceur incroyable, qui m'a cueilli et que j'enjoins d'essayer sans attendre. Sa symphonie est au menu prochainement, je ne saurais rien en dire à l'heure actuelle.  »

« Blackford, des choses passionnantes dans tous les registres. En musique de chambre, ses Hokusai Miniatures aux atmosphères variées et particulièrement évocatrices. À l'orchestre, outre sa réorchestration du Carnaval de Saint-Saëns et sa propre symphonie pour animaux qui mange à tous les râteliers (de Rautavaara à Williams), son concerto pour violon Niobe avec des vrais morceaux de Banks et de Szymanowski m'a fortement convaincu. »

(vous aurez reconnus les conseils personnalisés de Mefistofele)

hausegger, graener

cherubini messes

lintu

goetz quintette triendl

wolf-ferrari (segreto, etc.)

respighi vetrata, metamorphoseon
Den Utvalda rangström nylund schirmer

cctos violon : st-sns, godard, vieuxtemps, graener goetz, børresen

vieux temps hahn, vcl cctos

scriabine symph 1

FOULDS, J.: Dynamic Triptych (Shelley, Royal Philharmonic, Handley)

foulds chambre quartetto intimo

nielsen bo holten vocal

leclair

kirchner quatuor piano

CHAYNES, C.: Visions concertantes / 4 Poèmes de Sappho (Mesplé, Ponce, Trio à cordes Français, Toulouse Chamber Orchestra, Armand)
Rangström : Havet sjunger, Bön till natten, Partita

RANGSTRÖM, T.: Sånger (Hagegard, Scheja)

elisir : dalla benetta De Marchi, valletti bruscantini gavazzeni, bonney winbergh panerai ferro, gigli taddei gavazzeni,
Jules Massenet (1842-1912) :

Le Carillon, ballet ; Richard Bonynge, National Philharmonic Orchestra (Decca, avril 1983)

Opéra Oleg Prostitov "Ermak"
stanford R. Williams
gubaidulina quat 1
tichtchenko 4,3
schnittke rubackyte
Lokshin - Variations for piano - Maria Grinberg, piano
schoeck piano ritornelle
jacques mercier sony
adamek https://www.youtube.com/watch?v=xOPdjCxHJ8A
requiem verdi, gounod (+ mors et vita)
krug https://www.youtube.com/results?search_query=arnold+krug
lully alarcón
hartmann rickenbacher nimsgern n°2
bax avec pttn, rott avec pttn
Jekabs Jančevskis : Aeternum and other works (Jurģis Cābulis /Riga Cathedral Choir School Mixed Choir)
Jaakko Mäntyjärvi : Choral music (Stephen Layton / Choir of Trinity College Cambridge)
→ boutsko : i]Nuits blanches[/i] ([i]Белые ночи[/i]
lebendig begraben nagy
ina boyle
diamants couronne paul paray
zaderatski : sonates, préludes
→ keuris laudi, michelangelo, antologia…
→ roy harris symph 3, symph 5, ccto violon
→ Alexander KASTALSKY (1856-1926), Requiem for Fallen Brothers (1914-1917)
→ Musgrave Helios, ina boyle
Tournemire : Symphonie Sacrée (van der Ploeg)
→ børresen ccto vln par garaguly
→ weber : mélodies italiennes, lieder
diogenes SQ
CPO
kalliwoda 2, kalliwoda 5 spering
kallstenius 1
kozeluch moisè in egitto
Maconchy, compositrice Symphony for double string orchestra
Lajtha: Symphonie n°1/Pasquet
→ reinecke dornröschen
→ Let There Be Cello
→ Bainton 3, Ruth Gippz 4
→ consortium classicum (moscheles, tribensee)
→ DUSSEK, J.L.: Piano Sonata, Op. 43 / MOSCHELES, I. / CRAMER, J.B. / HUMMEL, J.N. / KALKBRENNER, F.: Variations on Rule Britannia (M. MacDonald)




(Notule réalisée les yeux pleins de roman auvergnat et provençal. Parce que la vie de certains a du style.)

mercredi 13 janvier 2021

Les 10 meilleurs orchestres symphoniques dans le monde


(Orchestres spécialisés dans le répertoire symphonique, considérés dans leurs compétences actuelles, à l'exclusion des orchestres de chambre – Chambre de Paris en force ! – et des orchestres de fosse.)


Entendus en salle
Entendus au disque ou en retransmission
1
Orchestre National d'Île-de-France Symphonique de Trondheim
2
Philharmonique de Slovénie Orchestre du Brandebourg à Frankfurt (Oder)
3
Philadelphia Orchestra Philharmonique de Duisburg
4
Philharmonique du Luxembourg Symphonique de Helsingborg
5
London Symphony Radiophilharmonie de Hanovre
6
Pittsburgh Symphony Museum de Frankfurt-am-Main
7
Philharmonique de La Scala Orkest van het Oosten (Enschede)
8
Brussels Philharmonic Philharmonique de Bergen
9
Gewandhaus Leipzig Philharmonique de Berlin
10
Deutsche Sinfonieorchester Berlin Symphonique de Bâle


[[]]
Borgstrøm, Thora på Rimol (ouverture).
Trondheim Symfoniorkester, Terje Boye Hansen.


La liste officielle doit être quelque chose comme :

Philharmonique de Berlin
Philharmonique de Vienne
Concertgebouworkest
Staatskapelle de Dresde
London Symphony
Boston Symphony
Chicago Symphony
Symphonique de la Radio Bavaroise
New York Philharmonic
Los Angeles Philharmonic
Gewandhaus Leipzig

Voilà, fin de notule… pensez à mettre un pouce bleu et à dire votre avis dans les commentaires.




olavshallen
L'Olavshallen, glorieuse résidence du Trondheim Symfoniorkester.




Ou bien.

C'est un début de notule.

Oh, mon classement est absolument sincère, ce n'était pas particulièrement un piège. Vous pouvez trouver une liste des orchestres que j'ai le plus appréciés – parfois sur la foi d'un seul concert (tous à part Île-de-France, Londres et Milan), ou d'une prise de son un peu flatteuse (Duisbourg bénéficie clairement de prises de son d'un réalisme miraculeux, au disque comme à la radio ; Hanovre sonne merveilleusement chez CPO, moins chez d'autres labels et moins en concert). Sur cette impression, nulle tricherie : c'est sincèrement la liste des orchestres qui m'ont donné les plus grandes satisfactions dernièrement – enfin, tel que j'y pense maintenant, je n'ai pas de fichiers à points que j'édite après chaque écoute.

Pourtant.

On ne peut s'empêcher de noter l'écart par rapport aux palmarès habituels reproduits par la critique et les grands magasins.

Alors, pourquoi cet écart ? 

J'ai bien évidemment raison (car il est incontestable que je préfère Trondheim au Concertgebouw, le petit Frankfurt de l'Est à la Radio Bavaroise…), mais on m'opposera que les titres de mes contradicteurs, leur abondance aussi plaide en leur faveur.

Comment faire dans ce cas ?




Je l'avoue donc à la fin, cette accroche était un piège à lecteurs : ces palmarès sont amusants entre amis, mais les publier et les reproduire comme des évidences pose de multiples problèmes. Je me suis rendu compte aujourd'hui, en conversant en bonne compagnie, que la croyance de la superiorité de certains orchestres – puisqu'il y a bien une raison si ce sont les plus appréciés – était assez ancrée.

Voici ma contribution.

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Czerny, Symphonie n°1, premier mouvement.
Brandeburgisches Staatsorchester Frankfurt (Oder), Nikos Athinäos.


1) Qu'est-ce qu'un bon orchestre ?

Dès le début, pour déterminer qui est le meilleur, on se heurte à des difficultés. Un bon / grand orchestre, qu'est-ce ? 

→ Un orchestre aux timbres agréables (cordes soyeuses comme Berlin ou Dresde ?  cuivres pas trop stridents à l'inverse de Allemagne de l'Est / Russie / France ?)… mais en quoi est-ce une supériorité ?  Et mesurable ?  Tout au plus l'appartenance à un groupe culturel et esthétique.

→ La capacité à ne pas faire de pains ?  Le niveau est tel aujourd'hui chez les orchestres professionnels qu'on peut embaucher Nashville, Buffalo, Indianapolis, Herford, Görlitz, Greifswald, Tampere, Oulu, Turku… leur donner un grand Mahler et se régaler sans avoir à supporter les approximations… On peut toujours chercher qui fait les gammes le plus vite, mais est-ce que cela a véritablement intérêt ?  On n'est pas dans un concours de piano…

→ La flexibilité aux options des chefs ?  Voilà un bon critère !  Mais comment le vérifier ?  On entend bien que certains, comme l'Orchestre de Paris ou le London Symphony, se métamorphosent immédiatement selon l'esthétique des chefs qui les dirigent… mais pour proportionner cela de façon quantifiable, on n'est pas rendus.
Autre corollaire gênant : ceci excluerait des orchestres réputés les meilleurs comme le Philharmonique de Vienne, qui « rabote » au contraire les options des chefs, qui paraissent toujours moins radicales avec cet orchestre, comme si leurs intentions étaient toujours un peu diluées dans l'idiosyncrasie vennoise…

→ Celui qui fait le meilleur travail avec le moins de répétitions ?  Intéressant pour les managers, les mécènes, les investisseurs, les chefs invités et les contribuables… mais pour le public, quelle différence ?  On veut du frisson, quel que soit le nombre de services, c'est pas notre problème.

→ Celui qui est bon dans tous les styles à la fois ?  Bonne idée, mais là encore, définissez bon… Et qui voudrait porter au pinacle l'orchestre qui certes, joue bien aussi la musique baroque, mais reste beaucoup moins exaltant que les meilleurs dans le répertoire romantique, disons. (Typiquement le profil de la Radio Bavaroise, à mon sens : capables de jouer Bach avec une conscience musicologique et une tension qui valent les meilleurs spécialistes, mais pas vraiment les plus colorés ni les plus électriques – ni les plus précis, d'ailleurs – lorsqu'il s'agit d'exécuter le grand répertoire. J'admire leur versatilité, mais de là à les considérer comme le meilleur orchestre du monde, ce serait contre-intuitif pour moi.)

Il faudrait donc, au minimum, étalonner cette supériorité selon les répertoires, et essayer de pondérer la part des chefs (la tension, la cohésion dans tel concert, c'est l'orchestre ou le chef ?). Bon courage.


2) Pourquoi ça n'a pas de sens

En somme, vouloir départager les meilleurs ne me paraît pas concrètement possible. (À supposer que lorsque c'est possible, ça ait le moindre sens en matière d'expression artistique et d'émotions…) 
Ce n'est pas du saut à la perche, ça ne se mesure pas avec un petit appareil calibrable. D'autant qu'aujourd'hui, le niveau professionnel est tel que dans quasiment n'importe quel pays doté d'une tradition, les orchestres sont d'une qualité invraisemblable encore il y a quelques décennies.

Étant d'abord intéressé par le répertoire, la question de qui est le meilleur est d'emblée secondaire pour moi, puisque l'enjeu est d'abord d'aller écouter ce qui existe de tel compositeur donné – pas forcément documenté par beaucoup de monde. Il y a mieux que Seattle (excellent orchestre au demeurant), probablement, mais en attendant que Boston, New York et Philadelphie fassent une intégrale David Diamond, j'écouterai plus souvent du côté de l'État de Washington que de la Côte Est.

Sinon, du point de vue strictement technique, prenons l'Allemagne : Philharmonique de Berlin et Staatskapelle de Dresde, bien sûr, mais tout autant le Museum de Frankfurt(-am-Main), Duisburg (d'une beauté invraisemblable cet orchestre, je trouve), Radio de Berlin (ex-Radio-Est)…

Tout cela pouvant être distordu par les conditions d'écoute : depuis quelle place dans quelle salle (de loin à la Philharmonie, je n'aurais probablement pas remarqué les mêmes petits défauts que de près au TCE, même si, exactement dans les mêmes conditions, Hanovre était mieux que la Radio Bavaroise…), par quelle captation radio, chez quel label, sur quel matériel de reproduction…

Et, une fois qu'on a posé tous ces préalables : chacun a des goûts très différents, donc ce ne sera pas le même paramètre mis en valeur.


3) Mais d'où vient le consensus ?

Car en fin de compte, tout le monde sait quels sont les grands orchestres, et il y a une raison.

Oh, il y en a une : la tradition. Et c'est une chose puissante la musique classique. On a pris l'habitude de présenter les Symphonies de Beethoven de Furtwängler, le Don Giovanni de Giulini, le Ring de Solti (quasiment les premiers disques disponibles au grand public pour ces œuvres…) comme des références, et malgré l'ensevelissement sous les meilleures références, on continue de les nommer comme tels. Par déference. Par habitude. Par l'effet « première version » sur les critiques âgés, qui conservent l'émotion de cette découverte phonographique achetée avec leur argent de poche économisé sur un an, en devant arbitrer avec le seul autre enregistrement concurrent chez le disquaire…
Je ne critique pas cela, tout le monde peut ressentir les effets du syndrome première version : nos émotions s'attachent à certains détails, on a appris à aimer l'œuvre avec certaines inflexions. Des fois on s'en détache parce qu'on trouve plus à notre goût, des fois l'œuvre et l'interprétation restent à tout jamais intriquées, même lorsqu'on se rend compte qu'il y a mieux en rayon.

Il y en a aussi une seconde : le prestige. La notoriété appelle la notoriété. Les chefs réputés apportent de la notoriété aux orchestres, qui deviennent à leur tour courtisés (qui ne voudrait avoir sous sa férule l'orchestre de Karajan et Abbado ?). Il existe dans le milieu des chefs d'orchestre une sorte de classement en divisions, et l'on voit bien qu'il faut atteindre un certain niveau de notoriété pour pouvoir avoir un poste de premier chef invité ou de directeur musical dans certains orchestres haut-de-gamme. De façon d'ailleurs totalement décorrélée avec la qualité intrinsèque et l'appréciation du public – je crois que globalement, professionnels et mélomanes considèrent Paavo Järvi comme bien plus intéressant qu'Andris Nelsons, mais on voit bien qu'il n'est pas au même niveau dans sa carrière (ça viendra très probablement dans pas très longtemps), et qu'on ne veut pas encore lui confier la même gamme de prestige. Nelsons a (de même que Maazel qui était accueilli partout et pourtant sans cesse conspué, de façon tout à fait outrée d'ailleurs, par la presse et les mélomanes) ses entrées dans n'importe lequel des « plus grands » orchestres, Boston, Lucerne, Berlin, Leipzig… Tandis que Järvi a fait Paris, Cincinnati, Zürich, Francfort (et encore, la Radio, pas le Museum…), Tokyo… ligue 2 pour ne pas dire ligue 3, en comparaison de notoriété. C'est ainsi.


4) Dans ce cas, pourquoi produire ces palmarès ?

Mon opinion (une intuition tout au plus, qui vaut ce qu'elle vaut) est qu'il est plus facile d'attirer l'attention et de vendre du papier avec « quels sont les 10 meilleurs orchestres du monde ?  » réactualisé tous les ans, qu'avec « voici quelques orchestres qu'on aime bien ».

Typiquement, cette notule sera plus lue en ayant proposé des tableaux classés – et attendez de voir les commentaires, où j'aurai forcément des remarques sur les incongruités de mes choix, les préférences de chacun, les orchestres connus imposteurs ou les inconnus méritants…

Tout simplement parce que cela rend une question complexe (les qualités de fond pour faire un bon orchestre, difficilement mesurables de l'extérieur) immédiatement accessible à chacun d'entre nous, à base d'un simple classement, soit traditionnel (celui qui commence par Berlin & Vienne), soit subjectif (comme celui, arbitraire, bouffon… mais sincère que j'ai proposé en début de notule). Immédiatement ludique… et chacun peut le faire s'il connaît dix orchestres, ainsi que contester le classement des autres.
Cela ouvre immédiatement le débat, attire la curiosité, favorise notre appétence pour les palmarès et les compétitions.

Il en va de même pour les tribunes de disque à la radio : on pourrait en profiter pour s'interroger sur les choix esthétiques différents (pourquoi Vienne met son diapason haut, utilise des instruments malcommodes, s'ouvre peu aux musiciens étrangers, pourquoi Berlin a totalement changé de son…), mais il est tout de suite plus facile / compréhensible / excitant de débattre à propos de qui est le meilleur. Et là, tout le monde peut suivre.

Ce n'est donc pas illégitime en définitive, puisque cela ouvre la conversation de façon très efficace.

Mais j'avais envie de rappeler et de souligner à quel point il est impossible de produire un classement, même approximatif, qui ait le moindre sens. Le concours pour être chef de pupitre à Berlin est sans nul doute plus difficile qu'à Bâle, mais il est à peu près impossible de démontrer que Berlin soit meilleur que Bâle, le niveau étant largement suffisant pour rendre justice aux œuvres dans les deux cas… et le résultat dépendant tellement des titulaires de ce soir-là, de l'intimité avec le répertoire abordé, de l'impulsion du chef, du temps de préparation… Sans même mentionner l'acoustique de la salle ou la qualité de la captation !



Autrement dit : un bon support de papotage, mais avancer la valeur d'un orchestre ou d'un chef sur la foi de ces hiérarchies traditionnelles me paraît dépourvu de tout fondement…

(Vous pouvez donc continuer à vous moquer de ma vénération pour Trondheim, Helsingborg ou Enschede… mais sachez qu'en réalité votre jugement repose sur du sable.)

Au demeurant, j'adore le nouveau son de Berlin depuis les années Rattle (déjà en mutation à la fin du mandat Abbado) et j'espère que le Concertgebouworkest aura un jour un directeur musical susceptible de lui botter le vénérable séant pour le tirer du beau son gratuit et en faire une phalange un peu plus aventureuse et échevelée, en répertoire comme en attitude… le matériau sonore en est tellement miraculeux…

Bonnes écoutes à vous, quels que soient vos goûts conformes ou déviants !

mardi 22 décembre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 16, l'ultime livraison : ferne Geliebte, Lysistrata, la relève du chant, CoViD fan tutte, symphonistes japonais, Kevlar


Je suppose peu de nouveautés le jour même de Noël, et elles sont donc pour cette dernière bordée, vendredi dernier, quasiment à l'arrêt hors quelques millièmes réenregistrements beethoveniens.

Du fait de l'enfermement et du délai un peu plus long de publication, la liste est devenue un peu épaisse. J'essaie de la subdiviser mais espère qu'elle demeurera lisible (suivez le rouge pour les nouveautés, les 2 ou 3 cœurs pour les albums exceptionnels).

winterreise_nawak.jpg

Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des .
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

En rouge, les nouveautés 2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les autres disques découverts.
En gris, les réécoutes de disques.




1. OPÉRA

nouveautés CD

OPÉRA ITALIEN


♥♥ Monteverdi – Orfeo – Boden, Pass à Amsterdam (YT)

♥♥ Monteverdi – Orfeo – Auvity, Wilder, Arts Flo, Agnew (YT)

♥♥♥ Rossi – Orfeo, acte I – Pichon
→ Tellement étonnant qu'en salle, Bridelli marque plus qu'Aspromonte !

Vivaldi – Farnace « Gelido in ogni vena » – Maggio Musicale, Sardelli (Dynamic)

♥♥ Graun – Cleopatra e Cesare (acte I) – Jacobs

Salieri – Armida (air) – Rousset (Aparté 2021)
→ En avant-première en flux… Juste deux pistes, l'Ouverture et un air. Jolie écriture dramatique. Évidemment loin du ravissement de ses opéras français… ou même de ses délicieux bouffes – mais pour du seria, on sent tout de même l'empreinte de Gluck et du goût français, ce qui est un avantage pour garantir un peu de ma patience. Exécution pleine d'ardeur des Talens Lyriques, tout de même bien hâte de découvrir cela (à défaut d'avoir entendu le concert de mai).

Mozart – Il Sogno di Scipione – Boncompagni, Fenice, Sardelli (Operavision 2020)
→ Mozart seria de jeunesse : statique et ennuyeux. Sardelli apporte un peu de tranchant à l'orchestre de la Fenice, qui reste toujours assez terne et à la peine, depuis tant d'années… (je ne l'ai jamais entendu vraiment bon, je crois)

Mozart – Le Nozze di Figaro – McLaughlin, Mattila, Gallo, Pertusi ; Mehta (Sony)
→ Tradi un peu lisse, mais duo comtal chouette.

Mozart – DG – Fuchs, Leonard, Sly, Nahuel Di Pierro ; Rhorer (YT)

♥♥ Mozart – Così – Behle, Priante, Lhote, Lyon, Montanari (YT)

Verdi – La Traviata, « Fragment » (acte III jusqu'à Addio del passato) – MusicAeterna, Currentzis
→ Tout à fait lunaire : récitatifs totalement étirés comme s'ils étaient des airs en largo, voix artificiellement réverbérées et gonflées, un délire très révélateur de sa conception purement musicale (et narcissique…) de l'opéra.
→ Ce n'est pas moche du tout, mais ça ne ressemble plus à grand'chose, en tout cas pas à un opéra de Verdi (mais j'aime assez).
→ Je ne comprends pas le quart d'heure (du moins bon passage de l'opéra, en plus). Vendu en dématérialisé ?  Teasing pour une intégrale qui prend son temps ?  Chute d'une intégrale avortée mais monétisable ? « Single long » ? Marché numérique ?

♥♥♥ Verdi – Simone Boccanegra – Homoki ; Rowley, Jorijikia, Nicholas Brownlee, Gerhaher, Fischesser ; Zürich, Luisi (Arte 2020)
→ Direction d'acteurs formidable, et l'usage de ce simple décor tournant qui nous mène de coursive en antichambre… Homoki à un sommet de maturité.
→ Orchestre mordant, N. Brownlee fabuleux. Rowley assez pharyngée mais expressive comme une actrice au temps du Code Hays.
→ Très content d'entendre chanter Verdi comme Gerhaher.

Verdi – Aida, début inédit de l'acte III – Scala, Chailly (euroradio)
→ 100 mesures coupées avant la création. Moment suspendu de prières douces aux registres étagés, très réussi, à comparer à l'ambiance du temple avant « Nume custode e vindice ». Méritait d'être entendu, et mériterait d'être systématiquement joué.
→ (en revanche, vocalement, quoique tout à fait honnête, ça laisse vraiment entendre la crise du chant verdien – alors que dans les autres répertoires, l'opéra se porte vraiment bien…)

♥♥ Verdi – Otello – Torsten Ralf & Stella Roman - Dio ti giocondi (Met, 1946)



OPÉRA FRANÇAIS

♥♥♥ Lully – Isis – Rousset

♥♥♥ Lully – Armide (acte I) – Herreweghe II (HM)

♥♥♥ Lully – Armide (actes I, III, IV & V) – Rousset (Aparté)


♥♥ Mozart – La Flûte enchantée en français – M. Vidal, Scoffoni, Lécroart, Lavoie ; Le Concert Spirituel, Niquet (France 5)
→ Très vivante version raccourcie et en français, dans une distribution française de très grand luxe.

Rossini – Le Barbier de Séville (en français) – Berton, Giraudeau, Dens, Lovano, Depraz, Betti, Pruvost ; Opéra-Comique, Gressier (EMI 1955)

♥♥ Boïeldieu – La Dame Blanche – Jestaedt, Buendia, Ratianarinaivo, Hyon, (Yannis) François, Les Siècles, Nicolas Simon (France 3)
→ Les qualités de charisme vocal de Buendia et Ratia souffrent de la retransmission (un peu proche des voix, on entend les aspérités, les micro-défauts), mais quand on les connaît, on mesure le bonheur incommensurable qu'aurait été cette série de représentations itinérantes… Voix franches (superbe découverte de Yannis François également, baryton-basse clair et avec de vrais graves riches !), chaleur des instruments d'époque… La mise en scène n'est pas passionnante, mais le bonbon est très apprécié !

♥♥ Offenbach – M. Choufleuri – Mesplé, Rosenthal (EMI)
→ Avec des citations de Nonnes qui reposez, de bouts de Verdi, thème du premier numéro du Freischütz…

♥♥ Offenbach – Ba-ta-clan – avec Corazza
→ Très bonne musique, même si d'une certaine façon sans texte !

♥♥♥ Bizet – Carmen – Angelici, Michel, Jobin, Dens ; Opéra-Comique, Cluytens (réédition The Art Of Singing 2014)
♥♥♥ Bizet – Carmen – Horne, McCracken Bernstein (DGG)



OPÉRA ALLEMAND

Mozart – Zauberflöte – Della Casa, Simoneau, Berry ; Opéra de Vienne, Szell
→ Orchestre très imprécis et hésitant, peu frémissant. Della Casa un peu surdimensionnée dans le legato. Berry alors très clair. 

♥♥♥ Wagner – Lohengrin – Bieito ; Miknevičiute, Gubanova, Alagna, Gantner, Pape, Berliner Staatsoper, Pintscher (Arte Concert)
→ Splendide orchestre et chœurs (et surpris par le lyrisme et la tension de Pintscher dont j'avais un très mauvais souvenir dans le « grand répertoire »), splendide distribution.
→ J'attendais évidemment Martin Gantner, l'une des voix les mieux projetées du marché (ça paraît nasal et étroit en captation, mais en salle, c'est une proximité et d'une expressivité miraculeuses). Telramund pas du tout noir, très clair et concentré, très convaincant dans un genre absolument pas canonique.
→ Roberto Alagna chante un allemand de grande qualité ; toutes les voyelles sont un peu trop ouvertes, mais ceci va de pair avec la clarté caractéristique de son timbre et la générosité jamais en défaut de son médium. Un régal de bout en bout, élocution limpide et splendeur vocale. Le second tableau de l'acte iII le voit se fatiguer, et les aigus deviennent vraiment blancs et métalliques, le médium un peu plus aigre. Tout le reste se montre à la fois original et très marquant.
→ La mise en scène de Bieito m'a paru laide, sans propos clair ni animation scénique, sans cohérence psychologique ni lien avec le sujet. Sans parler de son tic de faire trembler ses personnages pendant vingt minutes , récupéré de la pire idée de son Boccanegra… Dire que ce fut un si grand metteur en scène… Trop d'engagements. Trop d'empâtement.

Wagner – Götterdämmerung, Janowski I : prologue.
→ assez scolairement égrené, mais super prise de son. chanteurs valeureux mais déjà un côté « déclin ».

Schoeck – Vom Fischer un syner Fru, Op. 43 – Harnisch, Dürmüller, Shanaham , Winterthur, Venzago (Claves 2018)
Harnisch en-dessous de ses standards, Dürmüller un peu dépassé, Venzago un peu froid, version décevante d'une œuvre qui a déjà bien moins de saillances que le Schoeck habituel (son principal intérêt étant d'être composée directement sur le vieux dialecte allemand).La version Kempe-Nimsgern est à privilégier.

♥♥ Schoeck – Massimilia Doni – Edith Mathis, G. Albrecht
→ Décadentisme consonant dans le goût de Venus et Das Schloß Dürande, en plus lyrique et plus basiquement dramatique, comme mâtiné de Verdi.

Dusapin – Faustus – Nigl (extrait)



OPÉRAS D'AUTRES LANGUES

♥♥ Mozart & Minna Lindgren – Covid fan tutte – Mattila, Hakkala, Opéra de Helsinki, Salonen (Operavision 2020)
→ Così (plus Prélude de Walküre et air du Catalogue) en très condensé (1h30), sur un texte finnois inspiré de nos mésaventures pandémiques. Point de départ dramaturgique : Salonen vient diriger la Walkyrie et la situation sanitaire impose le changement de programme.
→ Tout y passe : les opinions rassurantes ou cataclysmiques, les avis contradictoires, les (inter)minables visios, la détresse de la mauvaise cuisinière, la doctrine des masques, les artistes désœuvrés… Parfois avec beaucoup d'esprit (« Bella vita militar » pour la mission papier hygiénique), par moment de façon confuse ou un peu plate (la vie des sopranos).
→ Les récitatifs sont changés en dialogues menés par « l'interface utilisateur », sorte de directrice de la communication hors sol.
→ Hakkala (Alfonso) fantastique, Mattila remarquablement sa propre caricature, avec toujours un sacré brin de voix (les poitrinés rauques en sus).
→ Globalement, un jalon de notre histoire s'est écrit – on aurait pu creuser davantage quelque chose de cohérent, avec les mêmes éléments, ménager une arche qui soit un peu moins une suite de moments dépareillés… Pour autant, le résultat est la plupart du temps très amusant, et marquera le souvenir artistique de la Grande Pandémie des années 2020 pour les archéologues du futur – du moins si notre éphémère technologie numérique n'a pas tout laissé disparaître…

Moniuszko – Halka – Paweł Passini ; Mych-Nowika, Piotr Fiebe, Golinski ; Poznan, Gabriel Chmura  (Operavision 2020)
→ Pas fabuleux vocalement (aigus blancs de la soprano et du ténor, bon baryton). Superbes scènes de ténor, mais œuvre vraiment ennuyeuse dramatiquement : Halka reste debout trahie, son comparse le lui explique longuement, et c'est l'essentiel, malgré le terrible condensé de tragédie contenu dans la pièce.
→ Musicalement peu fulgurant aussi, quoique moins gentillet que le Manoir hanté.

♥♥ Hatze – Adel i Mara – Zagreb 2009 (YT)

Britten – A Midsummer Night's Dream – M.-A. Henry, Montpellier (Operavision 2020)
→ Belle version d'une œuvre aux belles intuitions mais qui patine un peu, à mon sens, dans le formalisme de ses duos et ensembles intérieurs (livret très bavard, également).




2. MUSIQUE DE SCÈNE / BALLETS

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Marais – Suites à joüer d'Alcione – Savall (Alia Vox)
→ Bien mieux que le concert. (Mais ces suites ont-elle un grand intérêt isolées?)

♥♥♥ Rameau – Hippolyte (Prélude du III) dans « Tragédiennes » #1 – Talens, Rousset

Piron
– Vasta – Almazis (Maguelone 2020)
→ Pas très séduit, ni par le texte (vraiment plat, comparé aux pièces grivoises de Grandval qui m'amusent assez), ni par les musiques (pas passionnantes, et textes assez pesants aussi).
→ Musicalement, pas séduit non plus par les timbres instrumentaux. Dommage, c'était très intriguant.
→ Il existe une lecture très vivante de la Comtesse d'Olonne de Grandval en complément d'un disque de ses cantates, je recommande plutôt cela pour se frotter à ce type de théâtre leste.

Cannabich – Electra – Hofkapelle Stuttgart, Bernius (Hänssler 2020)
→ Mélodrame dans le style classique, très réussi et ici très bien joué et dit (par Sigrun Bornträger).

Wagner – Die Meistersinger, ouverture – Vienne, Solti

Tchaikovsky –  The Tempest, Op. 18 – Orchestra of St. Luke's; Heras-Casado (HM 2016)

♥♥ Humperdinck – « Music for the Stage » : Das Wunder, Kevlar, Lysistrata…  – Opéra de Malmö, Dario Salvi (Naxos)
→ Très belle sélection de scènes d'opéras et autres œuvres dramatiques, variées, pleines de la naïveté et de l'emphase pleine de simplicité propres à Humperdinck. Extrêmement persuasif, délicieux, très bien joué. Hâte de découvrir ces œuvres intégrales désormais, une très belle ouverture vers cet univers encore chichement documenté !  (Et la générosité accessible de cette musique plairait à un vaste public, a fortiori en Allemagne dont l'imaginaire populaire est une référence récurrente…)




3. RÉCITALS VOCAUX

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Haendel, Vivaldi… – « Queen of Baroque » – Cecilia Bartoli (Decca 2020)
→ Pot-pourri de différents disques. Très bons, mais autant profiter des programmes cohérents. Si jamais vous voulez comparer les orchestres et les répertoires, pourquoi pas.

Salieri, Strictly private, Heidelberg SO (Hänssler)
→ Lecture nerveuse d'airs et duos très spirituels, qui évoquent les Da Ponte mozartiens, un délice.

Rossini – « Amici e Rivali » – Brownlee, Spyres, I Virtuosi Italiani, Corrado Rovaris (Erato 2020)
→ Impressionnant Spyres en baryton et bien sûr en ténor (même si le coach d'italien devait être covidé, à en juger par certains titres). Brownlee a perdu de son insolence, mais pas de sa clarté et de son moelleux.
Superbe attelage, pour un répertoire purement glottique qui n'a pas forcément ma prédilection d'ordinaire, accompagné par un orchestre très fin (instruments d'époque ?) et discret, petit effectif, cordes sans vibrato.

Gounod, Bizet, Tchaïkovski, Puccini – « Hymnes of Love » – Dmytro Popov
→ Pas fini, ça a l'air bien. Mais la rondeur de la voix est davantage conçue pour le répertoire slave que pour l'éclat des spinti.

Massenet par ses créateurs (Malibran 2020)
→ Scindia par Jean Lasalle
→ Salomé par Emma Calvé
(ouille)





4. MUSIQUE SACRÉE

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Un disque mystérieux (Aparté 2021)…
… de cantates luthériennes du Schleswig, totalement inédites – pour lesquelles je viens d'écrire une notice le nez plongé dans des interpolations vétérotestamentaires tirées de la Bible de Luther, et qui devraient paraître en fin d'année prochaine. (Avec des textes d'époque très denses, des chanteurs très éloquents et un continuo imaginatif, pour ne rien gâcher.)

Pfleger – Cantates sacrées en latin & allemand – Bremen Weser-Renaissance, Cordes) (CPO)
→ Splendide !  Entre Monteverdi et Bach, un côté très Steffani… Airs quasiment tous à deux voix !

♥♥♥ Steffani – Duetti di camera – Mazzucato, Watkinson, Esswood, Elwes, Curtis… (Archiv)

Legrenzi  – Compiete con le letanie e antifone della Beata Vergine – Nova Ars Cantandi, Giovanni Acciai (Naxos 2020)
→ Un des plus grands compositeurs du XVIIe siècle, Legrenzi excelle dans toutes formes d'audace, un contrepoint riche et libre, une harmonie mouvante, une agilité qui préfigure le seria du XVIIIe siècle…
→ Première gravure discographique de ces Complies Op. 7, la dernière prière du jour. Superbes voix franches et articulées… sauf le soprano masculin, très engorgé, vacillant, inintelligible, qui tranche totalement avec le reste et distrait assez désagréablement. Étant la partie la plus exposée, le plaisir est hélas un peu gâché.

Bach – Cantates format chambre – Nigl

Haendel – Dixit Dominus – Scholars Baroque (Naxos)
→ Première fois cette version en entier. Génial 1PP.

Haendel – Dixit Dominus
Réécoutes et nouvelles écoutes : Gardiner-Erato, Scholars Baroque, haïm, Toll, Fasolis, Creed Alte Musik, Öhrwall Drottningholm, Zoroastre Rochefort, Meunier, Parrott, Minkowski, Chistophers-Chandos, Christophers-Coro, Rademann, Dijkstra, Gardiner-Decca, Bates, Preston.

du baroque à Satie – « War & Peace, 1618-1918 » – Lautten Compagney (DHM 2018)
→ Amusant mélange (avec la Gnossienne n°3 revisitée par cet ensemble baroque), plaisant et bien interprété (avec une soprano au fort accent britannique).

Pergolesi – Stabat Mater – Galli, Richardot ; Silete venti, Toni (La Bottega Discantica, 2016)

Borodine – Requiem (arr. Stokowski) – BBC Symphony Chorus, Philharmonia Orchestra, Geoffrey Simon (Signum 2020, réédition)
→ Cinq minutes de paraphrase sur le thème grégorien, avec des harmonies typiques de l'avant-garde russe du second XIXe. Les doublures pizz-bois alla Godounov sont incroyables !
+ Suite Prince Igor, Petite Suite…




5. CONCERTOS

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Rejcha – Symphonies concertantes flûte-violon, puis 2 violoncelles  – Kossenko, Stranossian, Coin, Melknonyan ; Gli Angeli Genève, MacLeod (Claves 2020)
→ Flûte-violon : aimable. Entre le son un peu aigrelet des solos sur instruments d'époque (pas faute d'aimer ces quatre artistes pourtant) et la progression harmonique très traditionnelle, les mélodies vraiment banales, je n'y trouve pas le grand Rejcha que j'aime. Joli mouvement lent tout de, qui débute par violon et flûte seuls.
→ La symphonie à deux violoncelles est bien plus intéressante, en particulier le premier mouvement inhabituellement varié (dont le premier fragment thématique est similaire à celui de Credeasi misera) et le final assez foisonnant. Mais pour cette œuvre, le disque Goebel-WDR (aux couplages passionnants) de cette même année 2020 m'avait davantage convaincu.

B. Romberg – Cello Concertos Nos. 1 and 5 (Melkonyan, Kölner Akademie, Willens) (CPO 2016)
→ Décevant, du gentil concerto décoratif et virtuose, rien à voir avec ses duos de violoncelle, très musicaux et variés !

Lalo, Ravel  – Symphonie espagnole ; La Valse, Tzigane & Bolero – Deborah Nemtanu, Pierre Cussac, La Symphonie de Poche, Nicolas Simon (Pavane 2017)
→ Sympathique, mais la partie concertante et le mixage permettent moins d'apprécier l'exercice que dans le disque Beethoven.

Elgar – Concerto pour violoncelle – Johannes Moser, Suisse Romande, Manze (PentaTone 2020)
→ Très sérieux et dense, nullement sirupeux, avec un orchestre à la belle finesse de touche, qui fait entendre le contrechant avec netteté.
→ Parution du seul concerto, uniquement en numérique (avant un futur couplage en disque physique ?).

♥♥♥ Schmidt, Stephan – Symphonie n°4, Musique pour violon & orchestre – Berlin PO, K. Petrenko (Berliner Philharmoniker 2020)
→ Interprétations très fluides et cursives, dans la veine transparente du nouveau Berlin issu de Rattle, vision assez lumineuse de ces œuvres à la taciturnité tourmentée.

Hisatada Otaka : Concerto pour flûte (version orchestre) – Cheryl Lim, Asian Cultural SO, Adrian Chiang (YT 2018)
→ Décevante orchestration : les harmonies sont noyées dans des jeux de cordes très traditionnels (et un peu mous), on perd beaucoup de la saveur de la verison Op.30b avec accompagnement de piano, à mon sens.

♥♥ Mossolov, Concerto pour harpe, Symphonie n°5 – Moscou SO (Naxos)
→ Très festif, très décoratif, très « Noël », cet étonnant concerto pour harpe que je n'aurais jamais imaginé une seconde attribuer à Mossolov !
→ Dans la Symphonie, on entend surtout des chants populaires traités en grands accords. Joli, mais pas très fulgurant par rapport à sa période futuriste.

♠ Lubor Barta – Concerto pour violon n°2 1969 – Ivan Straus, Otakar Trhlik (1969)




6. SYMPHONIES & POÈMES ORCHESTRAUX

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SYMPHONISTES GERMANIQUES

♥♥ Beethoven / Robin Melchior  – « Beethoven, si tu nous entends » – La Symphonie de Poche, Nicolas Simon (Klarthe 2020)
→ Jubilatoire blind-test pot-pourri dont les développements sont (très bien !) récrits. Le tout étant joué pour quatuor, contrebasse, flûte, clarinette, clarinette basse, saxhhorn baryton, accordéon, harpe et percussions… !
→ Il m'a fallu quelques secondes pour retrouver le fantastique mouvement lent du Concerto n°5 ainsi transfiguré… dont la cadence de harpe débouche sur les pointés du mouvement lent de la Quatrième Symphonie !  Mazette.
→ Ou encore la fin sur une boucle minimaliste autour du thème de l'Ode à la Joie.
→ Par des musiciens de très très haute volée, la densité sonore et l'engagement individuel comme collectifs sont exceptionnels.
→ La fièvre de la nouveauté s'empare de nous en réécoutant Beethoven pour la millième fois.

Haydn – les Symphonies Parisiennes – Orchestre de Chambre de Paris, Boyd (NoMadMusic 2020)
→ Petite frustration en première écoute : attentivement, j'y retrouve tout l'esprit (quel sens de la structure !) de cette association formidable, mille fois admirée en concert… Mais à l'écoute globale, j'entends plutôt l'épaisseur des timbres d'instruments modernes, comme une petite inertie – alors qu'ils jouent sans vibrato, et pas du tout selon le style tradi !
→ Quelque chose s'est perdu via le micro, la prise de son, l'ambiance du studio… Pincement au cœur, je les adore en concert, mais à côté des nombreuses autres propositions discographiques « musicologiques », ce n'est pas un premier choix.

A. Romberg – Symphony No. 4, "Alla turca" – Collegium Musicum Basel, K. Griffiths (CPO 2018)

♥♥♥ B. Romberg – Symphonies Nos. 2 and 3 / Trauer-Symphonie (Kolner Akademie, Willens) (Ars Produktion 2007)
→ Symphonies contemporaines de Beethoven (1811, 1813, 1830), qui en partagent les qualités motoriques et quelques principes d'orchestration (ballet des violoncelles, traitement thématique et en bloc de la petite harmonie, sonneries de cor qui excèdent Gluck et renvoient plutôt à la 7e…).
→ Je n'avais encore jamais entendu de symphonies de l'époque de Beethoven qui puissent lui être comparées, dans le style (et bien sûr dans l'aboutissement). En voici – en particulier la Troisième, suffocante de beethovenisme du meilleur aloi !

Brahms
– Symphonies – Pittsburgh SO, Janowski (PentaTone 2020)
→ Très tradi, sans doute impressionnant en vrai connaissant l'orchestre et le chef, mais pas très prenant au disque par rapport à la pléthore et à l'animation enthousiasmante des grandes versions. Assez massif, peu contrasté et coloré, pas très convaincu (vu l'offre) même si tout reste cohérent structurellement et inattaquable techniquement.
→ Tout de même très impressionné par la virtuosité de l'orchestre : rarement entendu des traits de violon aussi fluides, les cuivres sont glorieux, la flûte singulièrement déchirante…

Brahms – Symphonie n°3, lieder de Schubert orchestrés, Rhapsodies hongroises, Rhapsodie pour alto – Larsson, Johnson, SwChbO, Dausgaard (BIS)

Mahler – Totenfeier – ONDIF, Sinaisky (ONDIF live)
→ Cet entrain, ces cordes graves !

Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, Ole Schmidt (alto)
→ Très énergique, mais trait gras.

Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, C. Davis (LSO Live)

♥♥ Nielsen – Symphonie n°1 – BBC Scottish SO, Vänskä (BIS)

♥♥♥ Nielsen – Symphonie n°1 – Ireland NSO, Leaper  (Naxos)

♥♥♥ Nielsen – Symphonies n°1,2,3,4,5,6 – Stockholm RPO, Oramo (BIS)
→ Lyrisme, énergie mordante, couleurs, aération de la prise… une merveille, qui magnifie tout particulièrement la difficile Sixième Symphonie !

Mahler – Symphonie n°5 – Boulez Vienne (DGG)
→ Un peu terne et mou, du moins capté ainsi.

Schmidt – Symphonies – Frankfurt RSO, Paavo Järvi (DGG)
→ Au sein de ce corpus extraordinaire, voire majeur, le plaisir d'entendre une version qui s'impose d'emblée comme colorée, frémissante, captée avec profondeur et détails, par un orchestre de première classe, et surtout articulée avec ce sens incroyable des transitions qui caractérise l'art de Järvi. Chacune des symphonies en sort grandie. Indispensable.

Graener – Variations orchestrales sur « Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert (CPO 2013) → On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par ailleurs tout à fait personnels et réussis).




SYMPHONISTES SLAVES

Tchaïkovski – Symphonie n°5, Francesca da Rimini – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2020)
→ Ébloui en salle par le génial sens des transitions organiques de Järvi, où chaque thème semblait se verser dans l'autre (avec l'Orchestre de Paris), je le trouve ici plus corseté, plus raide. Je ne sais quelle est la part de la différence de culture des orchestres (Zürich a toujours eu un maintien assez ferme) et d'écoute un peu distraite au disque au lieu de l'attention indivisée en salle sur tous les détails splendides. Peut-être la prise de son un peu lointaine et mate, aussi ?  Mais ce fonctionnait très bien avec les Mahler de Bloch…
→ Très belle lecture pas du tout expansive, très sobre et détaillée, en tout état de cause.
→ Francesca da Rimini confirme cette impression d'interprétation très carrée – on y entend encore l'orchestre de Bringuier !

Borodine – Symphonie n°1 – URSS SO, Svetlanov
→ Là aussi, des thèmes populaires, quoique plus tourmentés. Pas très développé mais grand caractère.
→ bissé

Borodine – Symphonie n°2 – Royal PO, Ashkenazy (Decca 1994)

Balakirev, Kalinnikov – Symphonies n°1 – Moscou PO, Kondrachine (Melodiya)
→ Foisonnement de thèmes folkloriques !  Interprétation pas si typée…

Kalinnikov – Cedar and Palm - Bylina - Intermezzos - Serenade & Nymphs –
The Ussr Symphony Orchestra, Evgeniy Svetlanov, (Svetlanov 1988)

Novák – Suite de la Bohême méridionale + Toman & la Nymphe des Bois – Moravian PO Olomouc, Marek Štilec (Naxos 2020)
→ Généreux slavisme qui a entendu Wagner. Le grand poème Toman de 25 minutes est une très belle réussite, qui culmine dans des élans richardstraussiens irrésistibles.
→ Bissé.

Vladigerov – Symphonies 1 & 2 – Radio de Bulgarie, Vladigerov (Capriccio)
→ Le partenariat Capriccio avec les Bulgares se poursuit !  J'avais beaucoup aimé ses concertos pour piano…



SYMPHONISTES BRITANNIQUES & IRLANDAIS

Bax – Symphonie n°2 – LPO, Myer Fredman (Lyrita)

Scott – Symphonie n°3 « The Muses » – BBCPO, Brabbins (Chandos)
→ Debussyste en diable (le chœur de Sirènes…), de bout en bout, et très beau.
+ Neptune
→ Très debussyste aussi, remarquablement riche (un côté Daphnis moins contemplatif et plus tendu). Splendide.

Scott – Symphonie n°4 – BBCPO, Brabbins (Chandos)

Kinsella – Symphonies Nos. 3 and 4 – Ireland NSO, Duinn (Marco Polo 1997)
→ étagements brucknériens à certains endroits.

♥♥ Kinsella :
Symphony No. 5, "The 1916 Poets":  – Bill Golding, Gerard O'Connor, ; Ireland RTÉ National Symphony Orchestra; Colman Pearce
Symphony No. 10 – Irish ChbO, Gábor Takács-Nagy (Toccata Classics)
→ n°5 : avec basse et partie déclamée. Très vivant.
→ n°10 : Néoclassicisme avec pizz et percussions prédominantes, très dansant. Vrai caractère, très beaux mouvements mélodiques ni sirupeux ni cabossés.



SYMPHONISTES JAPONAIS

Hisatada Otaka – Sinfonietta pour cordes 1937 – Sendai PO, Yuzo Toyama
→ Assez lisse.

Hisatada Otaka – Suite japonaise (1936, orch. 1938) –  Shigenobu Yamaoka
→ Orchestration de la suite piano.

Hisatada Otaka – Midare pour orchestre – NHK, Niklaus Aeschbacher (1956)
→ Un peu néo, du xylophone, du romantique un peu univoque, avec un côté mauvaise imitation occidentale du japin, à la fin de la pièce. Mitigé.

Akira Ifukube - Symphonie concertante avec piano (1941)  –Izumi Tateno, Japon PO, Naoto Otomo
→ Du planant sirupeux fade, pas trop mon univers.

Akira Ifukube – Ballata Sinfonica (1943)  – Tokyo SO, Kazuo Yamada (1962)
→ Entre Turandot et l'Oiseau de feu, en plus simple (tire sur Orff).
→ (bissé par curiosité trois jours plus tard)

♥ Yasushi Akutagawa – Prima Sinfonia 1955 – Tokyo SO, Akutagawa
→ Étonnant, et très riche, pas du tout sirupeux (pas mal de Mahler et de Proko, mais dans un assortiment personnel). J'aime beaucoup.
→ Pas du tout dans le genre du symphonisme japonais post-debussyste ou, horresco referens, post-chopinien.




7. MUSIQUE DE CHAMBRE

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SONATES
♥♥♥ J. & H. Eccles, Matteis, Daniel Purcell – « The Mad Lover » – Langlois de Swarte, Dunford (HM 2020)
→ Les Matteis et (Henry) Eccles sont fulgurants !  Quelle musique rare, sophistiquée et jubilatoire ! Dunford improvise avec une richesse inouïe et la musicalité de Swarte emporte tout.

Rossini, Castelnuovo-Tedesco… – « Rossiniana » (pour violoncelle & piano) – Elena Antongirolami (Dynamic 2020)
→ Toutes sortes de variations & paraphrases, très sympa.

Mendelssohn – Les 3 Sonates violon-piano – Shlomo Mintz, Roberto Prosseda (Decca 2020)
→ Violon très baveux, dont le timbre s'altère au fil des phrasés, je n'aime pas du tout. Et conception générale assez figée… voyage dans le passé (et pas forcément chez les meilleurs). Pas du tout aimé.

♥♥♥ Gédalge, Marsick, Enescu – Sonate violon-piano n°1 / Poème d'été / Sonates 1 & 2 – Julien Szulman, Pierre-Yves Hodique
→ Œuvres très rares, incluant celles des professeurs d'Enescu, lui dédiant leurs nouvelles œuvres alors qu'il n'a que seize ans ! 
→ Martin-Pierre Marsick, son professeur de violon, écrit clairement de la « musique d'instrument ».
→ En revanche André Gedalge, assistant (et véritable professeur officieux) de la classe de composition de Massenet puis Fauré, nous livre un vrai bijou, écrit dans une veine mélodique un peu convenue, mais où tout effet est pesé – et pèse –, avec un sens de la structure remarquable (quels développements !). La superposition en décalé des thèmes, dans le faux scherzo, est un coup de maître assurément.
→ Pas très séduit par la Sonate n°2 d'Enescu : trop de complexités, une expression contournée qui déborde de partout dans l'harmonie ultra-enharmonique, le rythme (premier mouvement en 9/4, à quoi bon), sa fin nue anticlimactique. Plus de complexité pour moins d'effet…
→ Car la n°1, au contraire (à 16 ans !) manifeste une générosité mélodique et un lyrisme très emportés, certes pas du tout subversifs, mais focalisés dans une forme maîtrisée qui en accentue le caractère profusif, jusqu'aux bouts de contrepoint du final !
→ Interprètes de premier choix (Julien Szulman, qui finit une thèse sur Enescu au CNSM, vient d'être nommé violon solo au Philharmonique de Radio-France), avec un violon au son assez international, dense, d'une virtuosité immaculée et chaleureuse, sise sur la musicalité attentive, exacte et subtile de Pierre-Yves Hodique.

Dupuis  – Sonate violon-piano – Prouvost, Reyes (En Phases)

♥ Hisatada Otaka – Concerto pour flûte version avec piano – Miki Yanagida, Takenori Kawai (YT 2016)
→ Captation sèche qui ne fait pas épanouir toute la poésie de la pièce. Mais plus convaincant qu'à l'orchestre, clairement, avec ses très belles couleurs debussystes.



DUOS

♥♥ Rameau – Suites à deux clavecins tirées des Indes, Zoroastre… – Hantaï, Sempé (Mirare)

♥♥ A. Romberg & B. Romberg – Duos for violin and cello – Barnabás Kelemen, Kousay Kadduri (Hungaroton 2002)
→ Interprétation très tradi, pas très exaltante, de ces duos remarquablement écrits, quoique moins fascinants que ceux pour violoncelle.
→ Les variations finales du troisième duo Op.1 sont écrites sur le premier air d'Osmin de l'Enlèvement au Sérail !
→ Quant au premier duo d'Andreas Romberg, il se fonde sur « Se vuol ballare » des Noces de Figaro ; le second, sur « Bei Männerm », le duo Pamina-Papageno…

A. Romberg & B. Romberg – Duo for Violin and Cello in E Minor, Op. 3, No. 3 – Duo Tartini (Muso 2019)

Wagner – Götterdämmerung final par Tal & Groethuysen sur deux pianos (Sony)
→ Chouette initiative, mais manque un peu de fièvre.

Fauré, Widor, Dupré, D. Roth, Falcinelli, Mathieu Guillou, J.-B. Robin – « L'Orgue chambriste, du salon à la salle de concert » –Thibaut Reznicek, Quentin Guérillot (Initiale 2020)
→ Beau programme (en particulier Roth, intéressé aussi par l'inattendue Sonate de Dupré), beau projet, où je découvre un violoncelliste au grain extraordinaire, Thibaut Reznicek, sacré charisme sonore !

Hisatada Otaka – Midare capriccio pour deux pianos – Shoko Kawasaki, Jakub Cizmarović (YT 2015)



TRIOS

Beethoven – Trios Op.1 n°3 et Op.11, arrangement anonyme pour hautbois, basson et piano – Trio Cremeloque (Naxos, octobre 2019)
→ On perd clairement en conduite des lignes et en nuances, avec les bois. Mais très agréable de changer d'atmosphère.

♥♥ B. Romberg:  3 Trios, Op. 38:  – Dzwiza, Gerhard; Fukai, Hirofumi; Stoppel, Klaus (Christophorus 2007)
→ Étonnant effet symphonique de ces trois cordes graves !

Tchaïkovski-Goedicke – Les Saisons – Varupenne, Trio Zadig (Fuga Libera 2020)
→ La redistribution de la matière pour piano seul à trois instruments (dont le piano…) n'est pas la chose la plus exaltante du monde (mélodies au violon, piano simplifié…), mais c'est une occasion d'entendre un des meilleurs trios de l'histoire de l'enregistrement dans un répertoire qu'ils servent merveilleusement – hâte qu'ils gravent le Trio de Tchaïkovski, qu'ils jouent mieux que personne.
→ Et en effet, (Ian) Barber particulièrement en forme, Borgolotto toujours d'une présence sonore impérieuse, Girard-García un peu sous-servi par l'encloisonnement dans un disque, mais on sent toute son élégance néanmoins. D'immenses musiciens à l'œuvre, on l'entend.

Saint-Saëns – Violin Sonata No. 1, Cello Sonata No. 1 & Piano Trio No. 2 – Capuçon, Moreau, Chamayou (Erato 2020)
→ Surtout impressionné par le grain et la présence de Moreau, saisissants. Le son très rond / vibré de Capuçon convient un peu moins bien à Saint-Saëns (surtout la Sonate) qu'aux Brahms et Fauré où il a fait merveille avec sa bande !

♥♥ Magnard – Piano Trio in F Minor / Violin Sonata in G Major – Laurenceau, Hornung, Triendl (CPO) 
→ Merveille, et à quel niveau !  (lyrisme de Laurenceau, et comme Hornung rugit !)

♥♥♥ Clarke – 3 Mvts for 2 violins & piano / Sonates violon-piano : en ré, fragments en sol / Trio Dumka / Quatuor– Lorraine McAslan, Flesch SQ, David Juriz, Michael Ponder, Ian Jones… (Dutton Epoch 2003)
→ Le trio à deux violons et surtout la Sonate en ré sont des sommets de la musique de chambre mondiale, d'une générosité incroyable, et sises sur une très belle recherche harmonique qui doit tout à l'école française.

♥♥ Graener – Trios avec piano – Hyperion Trio (CPO 2011)
→ Lyrique et simple pour la musique aussi tardive, ce fait remarquablement mouche !  (Plus proche de Taneïev que des décadents allemands.)



QUATUORS À CORDES

Beethoven, Quatuor n°1 / Bridge, Novelettes / Chin, Parametastrings – « To Be Loved » – Esmé SQ (Alpha)
→ Très vivante version de l'excellent n°1 (enfin, dans l'ordre d'édition) de Beethoven. (Testées en salle : énergie folle dans le n°11.)
→ Pépiements sympas de Chin.

♥♥♥ Beethoven, Quatuor n°3, Orford SQ (Delos)
→ Superbe détail.
+ Cremona, Takács, Bartók, Jerusalem, Belcea

♥♥♥ Beethoven, Quatuor n°4, Orford SQ (Delos)
→ Pas très tendu, mais remarquablement articulé !
+ Quatuor n°15 : là aussi pas un sommet émotionnel, mais j'aime beaucoup certe individualisation extrême des voix !

♥♥ Arriaga – Quatuors – La Ritirata (Glossa 2014)
→ Très belle lecture sur instruments anciens. Reste un corpus bien plus mineur que ses œuvres orchestrales, d'un jeune romantisme encore assez poliment classique.
→ Le rare Tema variado en cuarteto est en revanche une petite merveille !

♥♥♥ Stenhammar : Quatuors 3 & 4 – Stenhammar SQ (BIS)

♥♥♥ d'Albert – Quatuors – Sarastro SQ (Christophorus)

♥♥ Weigl String Quartet No. 3 // Berg Op.3 – Artis SQ (Orfeo)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec les pâles symphonies !  Parmi les très grands quatuors du premier XXe siècle.
→ Le Berg est vraiment très beau, d'une tonalité tourmentée.

Weigl
– 5 Lieder pour soprano & quatuor Op.44, Quatuor n°5 – Patricia Brooks, Iowa SQ (NWCRI 2010)
→ Son ancien.

♥♥ Weigl String Quartets Nos. 1 and 5 (Artis Quartet) (Nimbus)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec les pâles symphonies !  Parmi les très grands quatuors du premier XXe siècle.

♥♥ Weigl – String Quartets Nos. 7 & 8 – Thomas Christian Ensemble (CPO 2017, parution en dématérialisé le 3 juillet 2020)
→ Weigl est donc un grand compositeur… mais certainement pas de symphonies !  Ces quatuors, plus sombres, mieux bâtis, d'une veine mélodique très supérieure et d'une belle recherche harmonique, s'inscrivent dans la veine d'un postromantisme dense, sombre, au lyrisme intense mais farouche, à l'harmonie mouvante et expressive. Des bijoux qui contredisent totalement ses jolies symphonies toutes fades. (On peut songer en bien des endroits au jeune Schönberg, à d'autres à un authentique postromantisme limpide mais sans platitude.)
→ Aspect original, le spectre général est assez décalé vers l'aigu : peu de lignes de basses graves, et les frottements harmoniques eux-mêmes sont très audibles aux violons, assez haut. avec pour résultat un aspect suspendu (le Quatuor de Barber dans le goût des décadents autrichiens…) qui n'est pas si habituel dans ce répertoire.

♥♥ Weingartner – Quatuor n°5, Quintette à cordes –  Sarastro SQ, Petra Vahle (CPO)
→ Rien trouvé de très saillant, à réessayer encore ?
→ trissé. toujours rien.

♥♥♥ Hahn – Quatuors à cordes, Quintette piano-cordes – Tchalik SQ, Dania Tchalik (Alkonost 2020)
→ Encore un coup de maître pour l'élargissement répertoire avec le Quatuor Tchalik !  La sophistication souriante de la musique de chambre de Hahn, où le compositeur a clairement laissé le meilleur de sa production (particulièrement dans ces œuvres, ainsi que dans le Quatuor piano-cordes qui manque ici), se trouve servie avec une ardeur communicative.
→ Le déséquilibre antérieurement noté entre violon I & violoncelle très solistes d'une part (les frères), petite harmonie très discrète d'autre part (les sœurs) s'estompe au fil des années vers un équilibre de plus en plus convaincant. Et toujours cette prise de risque maximale, au mépris des dangers.
→ Grandes œuvres serives de façon très différente des Parisii :(qui étaient plus étales et contemplatifs, plus voilés, moins solistes, très réussis aussi).
→ Saint-Saëns, Hahn, Escaich… en voilà qui ne perdent pas leur temps à rabâcher le tout-venant !  (Merci.)
→ Bissé.

Novák – Quatuor n°3 – Novák SQ (SWR Classic Archive, parution 2017)
→ Très folklorisant et en même temps pas mal de sorties de route harmoniques, sorte de Bartók gentil. On sent la préoccupation commune du temps.

♥♥♥ Scott – Quatuors 1,2,4 – Archeus SQ (Dutton Epoch 2019)
→ Très marqués par l'empreinte française (on y entend beaucoup Debussy, le Ravel de Daphnis également), des bijoux pudiques, d'une sophistication discrète et avenante. Un régal absolu !

♥♥ Bridge, Holst, Goossens, Howells, Holbrooke, Hurlstone –  « Phantasy » – Bridge SQ (EM Records)
→ Goossens impressionnant. Howells frémissant…



AUTRES QUATUORS

Ritter – Quatuors avec basson – Paolo Cartini, Virtuosi Italiani (Naxos 2007)
→ Très joliment mélodique. Moins riche et virtuose que Michl.

B. Romberg:  Variations and Rondo, Op. 18 – Mende, Trinks, Pank & piano (Raumklang 2012)
→  Très beau postclassique.



QUINTETTE

Bax – Quintette avec piano – Naxos

♥♥♥ Scott, Bridge – Quintette avec piano n°1 / en ré mineur – Bingham SQ, Raphael Terroni (Naxos 2015)
→ Beau Quintette de Bridge, splendide de Scott, avec son premier mouvement très… koechlinien-2 !
→ Bissé Scott.



SEXTUOR ET AU DELÀ

♥♥♥ Weingartner – Sextuor pour quatuor, contrebasse & piano / Octuor pour clarinette, cor, basson, quatuor & piano – Triendl (CPO)
→ Complètement fasciné par le Sextuor pour piano et cordes (la pochette dit Septuor à tort). Un lyrisme extraordinaire.
→ bissé

Chabrier – Souvenirs de Munich (arrangement David Matthews pour ensemble) – Membres du Berlin PO, Michael Hasel (Col Legno 2009)
→ Doublures étranges qui accentuent le côté foire de ces réminiscences de Tristan façon quadrille.

Roussel, Koechlin, Taffanel, d'Indy, Messager, Françaix, Chabrier, Bozza, Tansman – musique française pour vents et piano – V. Lucas, Gattet, Ph. Berrod, Trenel, Cazalet (solistes de l'Orcheste de Paris), Wagschal (Indésens 2020)
→ Joli ensemble, pas le meilleur de la production chambriste française (excepté les extraits de la Suite de d'Indy), avec des timbres assez blancs, il existe plus exaltant ailleurs même si le projet est très beau et mérite d'être salué !



HORS DES FRONTIÈRES

♥♥ de Mey – Musique de table – James Cromer, Corey Robinson, Gregory Messa (vidéo culte d'Evan Chapman)




8. SOLOS

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Froberger – Œuvres pour orgue – Temple Saint-Martin de Montbéliard, Coudurier (BNL)

Folías par Frédéric Muñoz à l'orgue de Guimiliau –  https://www.youtube.com/watch?v=EX8OSpPboz4 (YT 2017)
→ Superbe orgue XVIIe en état de jeu. Pourquoi ne s'en sert-on pas davantage pour les enregistrements, plutôt que des instruments contemporains de la composition (qu'il y avait moins de probabilité de pouvoir jouer à l'époque, car en petit nombre), voire postérieurs ?

Gabrielli, Biber, Young – « Jacob Stainers Instrumente » – Maria Bader-Kubizek, Anita Mitterer, Christophe Coin (Paladino 2020)
→ La Partita 6 de l'Harmonia artificiosa-ariosa est marquante par son vaste air à variations de 13 minutes et son langage un peu original.
→ La parenté des traits de (Domenico) Gabrielli avec les figures des Suites pour violoncelle de Bach reste toujours aussi frappante. (Coin fait merveille dans ce grand solo.)  Elles sont assez bien documentées au disque, ce sont des bijoux.

♥♥ Gabrielli – Œuvres complètes pour violoncelle – Hidemi Suzuki, Balssa, Otsuka (Arte dell'arco 2012)
→ Quels solos bachiens, en plus rayonnants !
→ Bissé.

♥♥ Giuliani – Le Rossiniane – Goran Krivokapić, guitare (Naxos 2020)
→ Réellement des arrangements (virtuoses) de grands airs rossiniens, en particulier comiques (Turco, Cenerentola…), très bien écrits (quel symphonisme !) et exécutés avec une rare qualité de timbre et de phrasé.

Bach, Chorals / Elgar, Sonate 1 / Lefébure-Wély Boléro / Karg-Elert 3 Impressions / John Williams, 3 arrangements de Star Wars – Nouvel orgue de la cathédrale Saint-Stéphane de Vienne, Konstantin Reymaier (DGG 2020)
→ Splendides Bach pudiques sur jeux de fonds, une transcription de Williams réussie, les frémissements du trop rare Karg-Elert, un joli Elgar sérieux inattendu… Superbe récital.





9. MADRIGAL, AIR DE COUR, LIED & MÉLODIE

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MADRIGAL & AIR DE COUR

♥♥♥ Monteverdi – Combattimento – Beasley & Regenc'hips en concert (YT)

Lanier, Ramsey, Jenkis, Banister, Lawes, Webb, Hilton… – « Perpetual Night » – Richardot, Correspondances, Daucé (HM 2018)
→ Ni les œuvres ni la manière ne me font dresser l'oreille, je l'avoue. Très rond, confortable, contemplatif, le tout manque vraiment d'arêtes, d'événements.

♥♥ Jacquet de La Guerre – Le Déluge – Poulenard, Verschaeve, Giardelli, Guillard (Arion)

Monteverdi, Purcell, Haendel – « Guerra amorosa » – Nigl, Pianco, Ghielmi (Passacaille 2012)

♥♥ Cerutti, Auletta, Tartini, Mayr, anonymes – « Il Gondoliere veneziano » – Holger Falk, Nuovo Aspetto (WDR 2020)
→ Varié et réjouissant, chanté avec verve !

Steffani, Vivaldi, Hahn, Satie… – « Eternity » Kermes & Gianluca Geremia, théorbe (Simone Kermes 2020)
→ Très joli album planant et délicat, sur son propre label. 30 minutes de musique, un format uniquement dématérialisé je suppose.



LIEDER ORCHESTRAUX

♥♥♥ Schubert – An Schwager Kronos (orchestration Brahms)
→ Monteverdi Choir ♥
→ Schroeder, AMSO, Botstein (horriblement engorgé)
→ Steffeb Lachenmann, Brandenburger Pkr, gernot Schulz (mou et pas ensemble)
→ Johan Reuter, SwChbO Dausgaard (orch en folie) ♥♥♥

♥♥♥ Schubert – «  Nacht und Träume » (orchestrations de Berlioz, Liszt, Reger, R. Strauss, Britten) – Lehmkuhl, Barbeyrac, Insula O, Equilbey (Warner 2017)
→ Splendidement chanté, accompagné sur instruments d'époque, un régal.
→ bissé

♥♥ Schubert – Lieder orchestrés par Max Reger – Ina Stachelhaus, Dietrich Henschel, Stuttgarter Kammerorchester, Dennis Russell Davies (MDG 1998)

Schubert – Lieder orchestrés (Liszt, Brahms, Offenbach, Reger, Webern, Britten…) – von Otter, Quasthoff, COE, Abbado (DGG 2003)
→ Orchestrations pas nécessairement passionnantes en tant que telles, même si entendre Schubert dans ce contexxte dramatisé fait plaisir. (Les Webern sont franchement décevants.) 
→ Splendide orchestre (même si direction un peu hédoniste), von Otter un peu fatiguée mais fine, Quashoff à son faîte.
→ Étonnement : les attaques de l'orchestre sont de façon récurrente désynchronisées des chanteurs (pas mal de retards, quelques-fois de l'avance). Typiquement, Die Forelle, Ellens Gesang…
On parle d'Abbado, du COE, de von Otter qui a chanté du R. Strauss à la scène, je ne sais pas trop comment / pourquoi c'est possible. (Je ne vois pas à quoi ça sert si c'est volontaire, pour moi ça ressemble au chef qui attend le phrasé de la chanteuse mais qui réagit un peu tard.)
Peut-être est-ce que l'attaque est au bon endroit mais que le gros du son parvient plus tard. (Mais justement, en principe c'est anticipé par les musiciens, les contrebasses attaquent toujours avec un peu d'avance pour cette raison.)

♥♥♥ Fried – Die verklärte Nacht – Ch. Rice, Skelton, BBCSO, Gardner (Chandos 2021)
Chef-d'œuvre absolu du lied orchestral décadent, tout en vapeurs, demi-teintes et éclats aveuglants, cette Nuit transfigurée bénéficie à présent d'une seconde version, aux voix très différentes (Rice plus charnue et timbrée, Skelton plus sombre) et à la direction très lyrique. Je conserve ma tendresse pour Foremny qui privilégie le mystère initiatique plutôt que les couleurs orchestrales (et la clarté éclatante de Rügamer dans la transfiguration est un bonheur sans exemple !), mais disposer d'un second enregistrement, et de niveau aussi superlatif, est absolument inespéré – et quoique dès longtemps attendu.
→ Parution en janvier 2021, mais les chanteurs ont déjà fait fuiter sur les comptes YouTube respectif la plupart des pistes vocales…
→ (déjà écouté une dizaine de fois)

♥♥♥ Fried – Die verklärte Nacht – Foremny
→ (réécouté à peu près autant de fois le mois passé…)

♥♥ Schoeck – Nachhall – Arthur Loosli, ChbEns Radio de Berne, Theo Loosli –  (Jecklin 2015)
→ Tout est plus clair, l'orchestre (moins dramatique, certes), le chant…

♥♥ Schoeck – Nachhall – Hancock, AmSO, Botstein (AmSO)
→ Splendide ambiance de fin du monde mélancolique.

♥♥♥  Fefeu & Gérard Demaizière – L'An 1999 – François Juno (RGR 1979)
→ et diverses parodies (version metal, version symphonique, version épique…), voire son interprétation imaginaire de Quelque chose en nous de Tennessee…



LIED & MÉLODIE

Schubert, Spohr, Weber, Giuliani – Lieder arrangés  avec guitare – Olaf Bär, Jan Začek (Musicaphon 2007)

♥♥ Beethoven – Lieder (An die ferne Geliebte) – Bär, Parsons (EMI 1993)

♥♥♥ Beethoven, Schubert, Britten… – « I Wonder as I Wander » – James Newby, Joseph Middleton (BIS 2020)
→ Splendide voix de baryton-basse, mordante, clairement dite, sensible aux enjeux dramatiques, aussi à l'aise dans la demi-teinte a cappella des Britten que dans la gloire mordante des poèmes les plus expansifs. Grand liedersänger très à son aise ici, et une fois de plus très bien capté par BIS.

♥♥♥ Beethoven ferne Geliebte, Schubert, Rihm – « Vanitas » – Nigl, Pashchenko (Alpha)
→ Accompagné sur piano d'époque.
→ Emporté d'emblée par les mots et le phrasé de cette ferne Geliebte ; splendeur de cette voix claire et souple, adroitement mixée et extraordinairement expressive (Beethoven !).
→ Concentration et la clarté de cette voix assez incroyables, on dirait un représentation de l'époque glorieuse des années 50-60, j'entends la concentration du son des très grands ténors d'autrefois (quelque part entre Cioni et Tino Rossi pour l'allègement délicat).
→ (Mais je ne comprends pas pourquoi il est noté baryton, c'est assez clairement un ténor pour moi, même s'il chante dans des tessitures centrales… Peut-être l'équilibre harmonique de la voix est-il différent en personnel.)
→ Et tout cela lui permet une finesse d'expression assez extraordinaire. (Rihm très réussis, je ne suis pas sûr que cet univers un peu raréfié m'aurait autant séduit sinon !)

♥♥ Schubert – Die junge Nonne
→ Ameling, Baldwin ♥♥
→ Ludwig, Gage

♥♥ Mahler – Wundherhorn – Gerhaher, Huber (RCA)

Mahler – Ruckert-Lieder / Des Knaben Wunderhorn– Bauer, Hielscher (Ars Musici 2003)
→ Voix vraiment claire, manque d'assise et d'incarnation pour une fois !

♥♥ Schoeck – Notturno – Gerhaher, Rosamunde SQ
→ Gerhaher très peu vibré, un peu sophistiqué, mais remarquable. Le grain du quatuor est fantastique.

Mitterer – Im Sturm – Nigl, Mitterer (col legno 2013)
→ Très mélodique (et le naturel de Nigl !), sur poèmes romantiques, avec bidouillages acousmatiques un peu stridents (trop proches dans la captation, on reçoit tout dans les oreilles sans distance) mais pas déplaisants.
→ Beaucoup de citations (Ungeduld de la Meunière), quasiment de l'a cappella avec des effets atmosphériques autour… Fonctionne très bien grâce à l'incarnation exceptionnelle de Nigl !




nouveautés CD

LISTE D'ÉCOUTES à faire – nouveautés

→ reich eight lines
→ philippe leroux : nous par delangle (BIS)
→ Ch Lindberg
→ kontogiorgos, kaleidoscope pour guitare
→ adiu la rota
→ australian music two pianos « the art of agony »
→ elisabetta brusa ulster O
→ rossini matilde di shabran passionart O
→ haydn messe st tolentini naxos

→ vivaldi argippo eura galante
→ fürchtet euch nicht
→ letters chamber choir ireland
→ stanford chamber somm
→ alcione Marais
→ arte scordatura
→ trios alayabiev glinka rubinstein, brahms Trio (naxos)
→ martynov : utopia
→ boesmans & cornet à bouquin

→ asperen louis couperin
→ tabarro puccini janowski jagde
→ quartetto cremona : italian postcards
→ dmytro popov hymns of love
→ gurrelieder thielemann
→ Schubert: Lieder (orchestrations de Mottl, Britten, Liszt, Brahms, Berlioz, Strauss, Reger, Webern...)/Barbeyrac, Lehmkuhl, Equilbey
→ mahler lied erde bloch

(plus tous les autres des listes précédentes…)



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LISTE D'ÉCOUTES à (re)faire – autres

→ Christie Combattimento
→ symphs Romberg
→ Bruch symphs
→ legrenzi sedecia
→ legrenzi missa lauretana
→ LEGRENZI, G.: Concerti musical per uso di chiesa, Op. 1 (Oficina Musicum Chorus, Favero)

→ GOOSENS, E.: Violin Sonata No. 1 / HURLSTONE, W.: Violin Sonata in D Major / TURNBULL, P.: Violin Sonata in E Minor (Mitchell, Ball)
→ Chamber Music - LALLIET, C.-T. / POULENC, F. / RACHMANINOV, S. / RAVEL, M. (Trio Cremeloque)
→ BACH, C.P.E.: Oboe Concerto, Wq. 164 and 165 / Solo, Wq. 135 (Ebbinge, Amsterdam Baroque Orchestra, Koopman)
→ wellesz symph 1
→ alwyn symph 3
→ křenek symph 2
→ oratorium fanny
→ farrenc sextuor & trio
→ schoeck notturno bär
→ froberger moroney org robert-dallam de lanvellec

→ lebendig begraben

→ bax 2 lloyd ou lyrita

→ rééd rückert minton boulez
→ coin
→ mosaïques SQ der Beeth

→ Blancrocher - L’Offrande. Pièces de Froberger, Couperin, Dufaut et Gaultier:
→ forqueray intégral devérité & friends, rannou…

→ schoeck nathan berg griffiths) + opéras
→ lalande laudate
→ bär gelibte

→ Lamia de Dorothy Howell

→ vivaldi baiano cctos clvcn
→ holger falk + nigl + newby

→ Lugansky franck debussy

→ Rawsthorne McCabe, Hoddinott,  Mathias.   Bate et Benjamin, coles. swayers.
→ Solemnis gardiner

→ A. Rawsthorne, Symphony No. 2
→ reutter op.58,56,jahreszeiten
→ Robert Simpson, Symphonie n°9, Bournemouth SO, Vernon Handley.
→ rubbra ccto pia
→ Coles : je réécoute les Four Verlaine Songs pour la dixième fois aujourd'hui, c'est véritablement renversant.
→ e préfère moi aussi la No. 2 de Boughton et pas qu'un peu,

→ stephan sieben saiteninstrumente, horenstein ensemble ( et suite pour quatuor de butterworth)
→ Michel dens
→ Goublier - Mélodies lyriques populaires (6) : baryton, choeurs, et Orchestre - Michel Dens - HD

→ The Primrose Piano Quartet : Hurlstone, Quilter, Dunhill, Bax
→ BRITISH PIANO QUARTETS : Mackenzie, Howells, Bridge, Howells, Stanford, Jacob, Walton (The Ames Piano Quartet)
→ Viola Sonatas, Idylls & Bacchanals : McEwen, Maconchy, Bax, Jacobs, Rawsthorne, Milford, Leighton (Williams/Norris)

(plus tous les autres des listes précédentes…)




… et voici pour la dernière livraison de l'année 2020, deux ans complets de traque aux pépites nouvelles – et il y en a beaucoup, même en mettant l'accent sur les répertoires délaissés ou les interprétations hors du commun !

Je n'ai pas encore décidé si je poursuivais l'aventure en 2021 : je fais ce repérage pour moi-même, mais la mise en forme lisible prend à chaque fois plusieurs heures, et j'ai plusieurs séries de notules que j'aimerais davantage achever, poursuivre ou débuter. Je me disais que ce pouvait être utile, puisque j'écoute beaucoup et laisse des traces écrites, mais en fin de compte, devant la masse, je crains de noyer mes lecteurs plus que de les éclairer. Et cela suppose aussi que mon agenda soit gouverné par les parutions plutôt que par ma fantaisie (ce qui n'est pas bien).

Ce qui est sûr, c'est que je n'aurai pas le temps de faire la remise des prix des disques de l'année. Ce serait absurde de toute façon : même en choisissant un disque par genre et par époque, je serais obligé de trancher de façon parfaitement arbitraire. Il y a beaucoup de choses à découvrir, avec leurs commentaires à chaque fois, aussi je vous invite, si vous souhaitez façonner votre propre bouquet, à remonter la piste du chapitre correspondant dans CSS, et à faire votre choix parmi les disques mentionnés en bleu-violet ou 2-3 cœurs !

Si jamais vous vous interrogiez sur la conclusion l'année Beethoven, j'ai ici commis une petite suite de tweets où je relève ce qui m'a paru marquant, en classant par genre – et en incluant les disques traitant des contemporains, puisqu'il y a eu beaucoup de parutions majeures autour de Salieri / Rejcha / B. Romberg / Hummel / Moscheles que vous seriez fort avisés de ne pas négliger… (En revanche, il y eut extrêmement peu de raretés du catalogue de Beethoven à proprement parler.)

Belles explorations à vous, et à bientôt, sous d'autres formats sans doute !

mardi 3 novembre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 14 : minorités – Israël, Satan, Philistins, piano japonais, lied arabe, Schubert en polonais, Dumas poète, Mahler pianiste, Goethe fendard


Le petit bilan des pépites récemment parues (et d'autres simplement récemment écoutées…).

winterreise_nawak.jpg

Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des .
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

En rouge, les nouveautés 2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les autres disques découverts.
En gris, les réécoutes de disques.



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OPÉRA


♥♥♥ Haendel – Samson – Millenium Orchestra, García-Alarcón (Ricercar)
→ Une merveille : Haendel à son plus haut sommet d'inspiration, quantité d'airs ineffables (ou de fureur impressionnante), de chœurs tuilés superbes (façon Israel in Egypt) ou, plus rare chez Haendel, d'action (l'effondrement du temple !), dans une interprétation versatile en atmosphères, rutilante de couleurs, servie par des chanteurs formidables (le charisme dévorant de Luigi De Donato !). Si vous cherchez l'équivalent du Messie en opéra, c'est par ici.
→ (bissé)

Kayser – Scherz, List und Rache – L'arte del mondo (DHM)
→ Comédie sur un livret de Goethe. La musique, typiquement XVIIIe, en est très réussie, mais tellement éloignée de l'imaginaire sonore qu'on relie à Goethe – la musique évoluant toujours plus lentement que les autres arts, elle en est encore à la galanterie et au seria quand la littérature est déjà romantique. Phénomène fascinant qui s'incarne ici dans une rencontre historique, réelle, mesurable !
→ Sur le plan strictement musical, quoique fort bien conçu, pas relevé de fulgurance particulière qui appelle l'écoute pour elle-même, dans l'immensité de l'offre. Mais excellente idée de documenter cela, d'autant quela vivacité de l'excellent Arte del mondo accueille des chanteurs aux voix et à l'abattage dignes de louanges.

♥♥♥ HahnL'Île du Rêve – Guilmette, Morel, Dubois, Dolié, Gombert, Sargsyan ; Chœur du Concert Spirituel, Radio de Munich, Niquet (Bru Zane)
→ Premier enregistrement pour cet opéra de Hahn. L'enregistrement luxueusement distribué et capté permet de confirmer mes impressions sur les bandes d'autres productions et sur scène : l'intrigue (l'impermanence des amours des îles, rebattue de Madama Butterfly au Pays de Ropartz) est assez peu prenante, mais l'acte II, où circule en permanence le même choral recueilli, pendant le chant et l'action, est un bijou absolu. Pour le tour de force structurel, mais aussi pour l'impression de plénitude que sa musique même dispense.
→ (bissé)



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CANTATES

Vaughan Williams – Five Tudor Portraits – LSO & Chorus, Hickox (Chandos)
→ Grande fresque chorale et orchestrale dans l'esprit de la Première Symphonie, avec un côté moins élancé, plus poétique. Très réussi.
Vaughan Williams – 5 Variants of Dives and Lazarus (même disque)
→ Grand choral pour cordes et harpe, très belle atmosphère à la fois archaïsante et très romantique. Grande réussite dans le goût de ses Tallis, en plus vibrant.

Jacobson: A Cotswold Romance (after R. Vaughan William's Hugh the Drover) – LSO, Hickox (un autre Chandos)
→ Délicieux chants d'inspiration populaire, en grande pompe, réjouissants !



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MUSIQUE DE SCÈNE / BALLETS

♥♥ Vaughan Williams – Job, Songs of Travel – Neil Davies, Hallé O, Elder (Hallé)
→ Inspiré par des gravures (de William Blake) illustrant une nouvelle édition biblique en 1826, Vaughan Williams écrit ce masque (il n'aime pas le mot de ballet, pour une raison que j'ignore) et le propose à Diaghilev – qui refuse. L'œuvre est ensuite bel et bien créée, mais réorchestrée par Constant Lambert pour faire tenir les musiciens dans une fosse de taille plus standard.
→ Je suis assez fasciné par le résultat : une musique assez étale, mais non sans tension (belles harmonies étranges), qui évoque remarquablement bien le désert – on dirait un Appalachian Spring de Copland,  quelques maigres poussées épiques en sus. Cette contemplation infinie et toujours mouvante s'incarne particulièrement bien dans la Sarabande des Fils de Dieu, au début, et la Pavane des Fils du Matin, vers la fin.
→ Tous les épisodes de tentation sont assez éludés musicalement, il ne se passe pas grand'chose dramatiquement, mais c'est cette évocation étale, immobile (un comble pour un ballet !) qui me touche ici.
→ Il est vrai que ce ballet peu marqué par la danse n'a qu'un rapport lâche à son programme narratif biblique… mais en écoutant la musique seule et en la reliant à un imaginaire, je trouve qu'il capte quelque chose de ce monde hors sol du début de la Genèse, où les premiers humains rencontrent d'autres tribus venues d'on ne sait où, le monde se crée dans un halo un peu nébuleux, de grandes étendues qu'on ne sait vierges ou déjà habitées…
→ Comme toujours, prise de son superlative pour Hallé, et conduite très frémissante par Elder – même si je trouve, cette fois-ci, les cuivres un peu durs et les cordes un peu envloppantes. [Et beaucoup de bien aussi à dire des Songs of Travel très bien orchestrées et servies !]

R. Strauss – Tanzsuite, Divertimento – New Zealand SO, Märkl (Naxos)
→ Suite de danses d'après des pièces pour clavecin de Couperin : rendez-nous Paillard ! Il existe de très beaux arrangements du genre par Rosenthal, mais mais cette réécriture lourde toute en doublures (même le clavecin double la mélodie des violons, ce qui est particulièrement laid…), en régularité, avec des basses de trois tonnes (il y a du trombone contrebasse là-dedans ou quoi ?), vraiment pénible quand on aime sincèrement la souplesse et la subtilité des phrasés nécessaire à ce répertoire d'une élégance suprême… (Et aucune surprise harmonique, ce sont vraiment des orchestrations, d'un grand compositeur mais d'une époque qui ne comprend plus rien à ce qu'était l'essence de cette musique…)
→ Sur les mêmes fondements, le Divertimento ménage davantage de surprise, avec des alliages instrumentaux plus originaux et dépaysants : il offre véritable une autre vision de ces pièces, les métamorphose en jouant avec l'instrumentation. Ce n'est pas forcément beau ou réussi (un peu l'impression qu'on a repeint un Poussin au surligneur fluo…), mais assez divertissant et plutôt à agréable à écouter, pas du tout la même lourdeur difforme que dans la Suite.
→ (Ce n'est absolument pas de la faute de ces interprètes d'excellence, que j'aime beacoup partout ailleurs, et même ici.)

Vaughan Williams – The Death of Tintagiles – LSO, Hickox (Chandos)
→ Début vraiment pelléassien. Comme les deux univers se sont contaminés ! Comme Job, assez étale, ici tout en grondements souterrains. À la réécoute, ce n'est pas si mal articulé à l'esprit, finalement, même si l'intensité retombe par rapport au texte qui, lui, ne lâche pas le spectateur.



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RÉCITALS VOCAUX (pouah)

Donizetti – Reines Tudor – Damrau, Santa Cecilia, Pappano (Warner)
→ Après avoir adulé une des voix les mieux focalisées et une des expressions les plus fines et charismatiques de notre temps (Marguerite de Valois, Susanna, la Reine de la Nuit, la Gymnaste de 1984…), puis déploré qu'elle se tourne exclusivement vers le belcanto, en en imitant des codes dévoyés (en essayant de rendre sa voix opaque et flottante, perdant au passage ses aigus, s'affligeant d'un vibrato large et disgracieux), j'avoue avoir écouté ce disque par acquit de conscience, prévoyant de le détester.
→ J'ai bien sûr beaucoup aimé la finesse de trait de l'accompagnement de Pappano, dans des œuvres de Donizetti qui de surcroît, me semblent dans la partie faible de son catalogue (j'ai conscience que les glottophiles ne partagent pas mon avis, mais je ne sais pas trop ce qu'on en penserait si ces œuvres ne disposaient pas de leur discographie imposante, par rapport au Diluvio universale autrement soigné, par exemple ?).
→ Très séduit aussi par Domenico Pellicola, ténor assez léger mais très fin, franc et charismatique dans Stuarda.
→ Et Damrau ?  Pas du tout le naufrage craint, plutôt une bonne surprise : la voix est émise en arrière, est devenue à la fois plus pâteuse et plus aigre, vibre trop… cependant le contrôle demeure réel, et on entend bel et bien l'artiste aux commandes dans la finition des phrasés. Pas à la hauteur de ce qu'elle aurait pu continuer d'être, pas non plus le chant que je soubhaite entendre dans ce répertoire, mais tout à fait respectable.

♥♥ Verdi – fin de Rigoletto – Panerai, Galliera (libre de droits)

♥♥♥ Tchaïkovski – Pikovaya Dama, II,2 (scène de Lisa) – Gorchakova Met, puis Serjan Jansons

Moniuszko, Smetana, Tchaïkovski, Dvořák, Rachmaninov – « Slavic Heroes » – Mariusz Kwiecień, Radio Polonaise de Varsovie, Łukasz Borowicz (HM 2012)
→ Oh, il s'empâte un peu russe par rapport à son polonais tellement franc ! Normal vu l'articulation de la langue, mais il perd en projection manifestement, et en franchise / éclat en tout cas. Reste magnifique : le mordant du timbre, l'expression très généreuse…

♥♥♥ Rachmaninov – cavatine d'Aleko (avec partition) – Kwiecień ♥♥, puis Leiferkus ♥♥♥, puis Gerello ♥



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MUSIQUE SACRÉE

traditionnels, Gade, Sullivan, Bruckner, Saint-Saëns, Holst, Rachmaninov, Nystedt, Chesnokov, ViðarChristmas in Europe – Balthasar-Neumann Ensemble, Hengelbrock (DHM)
→ Étoudissant tour d'Europe des Noëls, des chants traditionnels jusqu'aux compositeurs les plus établis, à travers les nations qui la composent. 
→ J'admets que le résultat n'est pas aussi électrisant, en première écoute, que les interprètes et le projet semblaient le promettre (tout l'inverse du disque de Noël du SWR Vokalensemble cette année, qui se révèle passionnant et aussi peu dépendant de Noël que possible). Néanmoins, parcours passionnant – où je retrouve, toutefois, surtout les semi-tubes attendus de chaque compositeur, lorsqu'il s'agit de Noël.
→ Pour autant, parcours remarquable que je recommande chaleureusement à tous ceux qui sont un peu moins blasés que moi – je rougis de faire la fine bouche sur cette proposition exaltante.

♥♥ Bruckner – Messe n°2, Te Deum – Herreweghe (Phi)
→ Enregistrement composite (Te Deum capté en 2012 à Lucerne, Messe à Essen en 2019) qui démontre la maturité croissante de l'ensemble et de Herreweghe (qui, certes, ne joue que la même poignée d'œuvres).
→ Délicatesse souveraine du chœur, frémissement des phrasés, une des très grandes lectures de cette messe, qui s'ajoute à celle, différente (notamment pour les timbres de vents, plus verts) parue chez Harmonia Mundi il y a un peu plus de dix ans.
→ (bissé)

Reger, 8 Geistliche Gesänger Op.138 – Rundfunkchor Berlin, Dietrich Knothe (Berlin Classics)
→ Ce sont de grands chorals saisissants (avec beaucoup de subdivisions ; le premier requiert même un double chœur), qui doivent vraiment beaucoup au modèle de Bach, peu au Reger le plus modulants, mais qui vont tout de même chercher de belles progressions harmoniques à la marge, colorant le tout, sinon de surprises, de progressions prenantes. L'ensemble, assez monumental, constitue un jalon essentiel du compositeur – même si je ne suis un peu moins saisi lors de cette enième réécoute partition et textes en main, je l'admets.
→ Seuls les 4 premiers figurent sur ce disque. Le chœur de la Radio berlinoise n'est pas encore aussi beau qu'aujourd'hui, davantage de rondeur, moins de contrastes et d'articulation, mais plutôt un moelleux remarque – la Radio de Leipzig proposait mieux, dans les mêmes années.

Reger
– 8 Geistliche Gesänge, op.138 – Chœur de la NDR ♠, Rademann (Carus 2013)
→ Chœur assez terne (polyphonie peu lisible, timbres mats anonymes, basses qui manquent beaucoup de graves), pour cette œuvre capitale du legs choral de Reger.



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CONCERTOS

Dvořák – Concerto pour violoncelle n°1 en la majeur (arr. J. Burghauser & M. Sadlo) – Milos Sádlo, CzPO, Neumann (Supraphon, réédition 2001)
→ Le premier concerto de Dvořák, évidemment moins saisissant que le le grand second, mais doté de belles chouleurs dans une interprétation typée, pleine de grain et de couleur !

Dvořák – Concerto pour violoncelle n°2 en si mineur (arrangement pour alto de Joseph Vieland & David Aaron Carpenter) – David Aaron Carpenter, London PO, Ono (Warner 2018)
→ Très amusant resserrement du timbre, l'impression d'entendre un 33 tours en avance rapide. La musique reste toujours aussi sublime, la majesté du résultat est évidemment davantage sujette à caution. Mais c'est très divertissant – j'ignore si c'était le but.



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SYMPHONIES & poèmes orchestraux

♥♥♥ Debussy – Première Suite – Les Siècles, Roth (Actes Sud)
→ Régal de la maîtrise de Debussy dans une forme chatoyante et accessible !

Debussy – La Mer – Les Siècles, Roth (même disque)
→ Son d'orchestre sec pour mon goût dans cette œuvre.

♥♥ Debussy : La Mer, le Faune // Ravel : Rhapsodie espagnole – LSO, Roth (LSO Live)
→ Net, limpide, élancé, couleurs impressionnantes, très bien capté (de près mais avec de l'espace), une grande version !

Casella: Pagine di guerra, Op. 25bis, Suite en ut Op.13, Concerto pour orchestre Op.61 – Rome SO, La Vecchia (Naxos 2012)
→ Marquant, le motorisme des chars tudesques, la désolation suspendue de la cathédrale ruinée de Reims ou des croix de bois des champs d'Alsace… mais beaucoup trop bref, oui, pour s'installer. Vraiment dommage, la musique est un art du temps, et il donne l'impression, d'une certaine façon, d'être dérobé ici.
→ Plus joli-archaïsant pour la Suite, moins personnel pour le Concerto.

Respighi – Vetrate di chiesa – PBPO, Ashkenazy ♥♥ (Exton 2006)
→ Ces chatoyantes (mais étonnamment sobres, à l'exception de la grandeur de saint Grégoire) pièces d'orchestre, décrivant chacune le vitrail d'un saint, trouvent ici une exécution remarquablement aérée et articulée par maître Ashkenazy !
→ Prêtez l'oreille tout particulièrement au superbe solo de trompette ménagé par Respighi dans le mouvement dévolu à saint Michel.

Ravel – Gaspard de la nuit (orchestration Marius Constant) – Lyon NO, Slatkin (Naxos)
→ Belle réussite.

♥♥ Georg Schumann – Symphony in F Minor / Ouvertüre zu einem Drama / Lebensfreude (Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Feddeck)
→ Un peu moins enthousiasmé lors de cette réécoute (pourtant pas la première), où je remarque davantage les aspects postromantiques plus standards que les (réelles) fulgurances richardstraussiennes, mais j'admire tout de même intensément cette capacité à mener la tension sur des pics maintenus. Très belle œuvre, à reprendre et creuser, assurément.
→ bissé

♥♥♥ Graener – Variations orchestrales sur « Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert (CPO 2013)
→ On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par ailleurs tout à fait personnels et réussis).

♥♥ Ben-Haim – Pan, Pastorale variée, Symphonie n°1 – Barainsky, John Bradbury, BBCPO, Omer Meir Wellber (Chandos)
→ Une nouvelle version de la Première Symphonie du syncrétique Paul Ben-Haim, mêlant beaucoup de caractéristiques des langages décadents germaniques ; moins magistrale que la Seconde, la Première demeure un petit régal, remarquablement magnifié par le directeur musical du Teatro Massimo de Palerme et la prise de son Chandos au service du radieux Philharmonique de la BBC.
→ Pan, enregistré pour la première fois, est une petite cantate remarquablement écrit dans ce postromantisme à la fois lyrique et vénéneux, tandis que la rare Pastoral variée pour clarinette, cordes et harpe, inspirée du final de son quintette pour clarinette et cordes, développe des atmosphères suspendues, mélancoliques, d'un charme (assez britannique) ineffable.
→ Superbes œuvres remarquablement servies ici.



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MUSIQUE DE CHAMBRE

Beethoven – Sonates violon-piano – F.P. Zimmermann, Helmchen (BIS)
→ Écouté beaucoup trop distraitement, je dois y revenir. (L'on m'en a dit le plus grand bien, et j'espère beaucoup de l'intelligence suprême de Zimmermann, ne cédant jamais rien à la joliesse.)

♥♥ Beethoven – Quatuor n°1 – Leipziger Streichquartett (MDG)
→ Toujours leur lumière singulière.

♥♥ Beethoven – Quatuors 4,6 – Jerusalem SQ (HM)

MendelssohnTrio n°1 (version avec flûte), Sonates violoncelle-piano – Root, de Hoog, Balyan (Vivat)
→ Ce disque confidentiel a l'intérêt de présenter (pour la première fois sur instruments d'époque) la version du premier trio de Mendelssohn arrangée par le compositeur lui-même pour flûte, violoncelle et piano. Après l'avoir publié chez Breitkopf, Mendelssohn sollicite Novello pour l'Angleterre, qui refuse craignant que ce ne se vendre très peu « chez notre public ignorant », et obtient l'accord de Buxton… qui lui réclame une partie alternative de flûte, « indispensable dans ce pays ». Mendelssohn précise que les mouvements extrêmes s'y prêtent très peu et suggère de ne proposer que les centraux dans cette version, mais tout est publié.
→ À l'écoute, très peu de modifications – Mendelssohn évite de trop solliciter le grave peu projeté de la flûte (où elle est en effet couverte par les autres instruments) et supprime évidemment les trémolos, mais l'ensemble demeure très proche. On peut se rendre compte que Mendelssohn avait très bien pressenti à la fois la difficulté et le manque de contraste permis par la flûte dans les mouvements extrêmes. C'est évidemment le mouvement lent l'ensemble sonne le mieux.
→ Sans être forcément convaincu par la transcription elle-même, une rare occasion d'entendre différemment ce chef-d'œuvre ultime, et aussi de mesurer ce que le violon apporte de conduite, de tension et de variété de textures. (J'aurais, par conséquent, été plus intéressé par une version pour hautbois (et basson ?), qui aurait certes nécessité davantage d'ajustements (et suscité moins de ventes en son temps).
→ On bénéficie d'une interprétation sur instruments du temps (et copies), très vivante et proposant de beaux équilibres et coloris, un autre avantage de ce disque, ainsi qu'ne notice bien détaillée sur les œuvres et la démarche. [Je n'ai pas encore écouté les sonates pour violoncelle.]

Duparc – Sonate violoncelle-piano en la mineur – Meunier, Le Bozec (Maguelone)
→ Intéressant ; pas majeur.

♥♥ Beach, Ives, Clarke – Trios piano-cordes – Gould Trio (Resonus Classics)
→ Trois trios très rares, par l'un des superbes ensembles qui fit longtemps les beaux jours des explorations Naxos.
Beach d'un romantisme assez peu singulier, comme toujours.
Ives plus que jamais dans la polytonalité et les jeux de superpositions, chaque instrument joue son propre thème dans sa propre tonalité, l'impression d'écouter, vraiment, plusieurs œuvres en même temps… intéressant quoique peut-être plus affirmatif (et un peu moins convaincant) que dans ses œuvres symphoniques, plus élusives dans leurs procédés.
Clarke dans une veine plus hardie qu'à son habitude, moins lyrique-univoque que dans sa Dumka pour trio, plus sophistiquée dans les harmonies, mais toujours aussi passionnée, héritière des fièvres romantiques.
→ L'ensemble très original et très bien servi mérite vraiment le détour !

Weber, Gaubert, Martinů, Damase – « Aquarelles », trios pour flûte, violoncelle & piano – Bonita Boyd, Doane, Snyder (Bridge)
→ Comme l'y pousse l'effectif, pièces rafraîchissantes et délicates, qui n'ont décidément pas l'envergure des trios avec violon, et ne constituent pas les sommets de compositeurs pourtant aussi subtiles que Weber, Gaubert ou Damase. (Je n'ai pas réécouté le Martinů, souvent enregistré, je n'en dis rien pour cette fois.)  La flûte ne permet pas de grands écarts de dynamique, sa tessiture aiguë (pour être suffisamment sonore) attire toute l'attention du côté de la mélodie, moins de possibilité d'équilibres, de demi-teintes, de contrates. En tout cas elle n'a ps tiré le meilleur de ces compositeurs.
→ Côté exécution, on trouve aussi plus beaux timbres, même si l'on ne peut faire que des éloges sur l'originalité du programme et l'investissement dans l'exécution. (J'aurais aimé en dire beaucoup plus de bien !)

Moussorgski – Tableau d'une exposition (arrangement Stephan Schottstadt pour 8 cors, & percussions) – (Genuin 2015)
→ Inclut également, pour le même effectif, Mont chauve, extraits du Roméo de Prokofiev et de Casse-Noisette. Fonctionne assez bien, la longue étendue des cors permettant de couvrir beaucoup de spectre et de textures.

♥♥ Moussorgski, Tableaux d'une exposition (arrangement Stephane Mooser) – Pentaèdre (ATMA 2012)
Stravinski, Le Sacre du Printemps (arrangement Michael Byerly) – Pentaèdre (même disque)
→ Très stimulant et élégant pour Moussorgski, vraiment insuffisant pour le Sacre, où le début ressemble au début (simplifié), et où la suite ne plus plus gagner en ampleur et en contraste.



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PIANO SOLO

Chopin: 4 Ballades & des Nocturnes – par Nelson Goerner (Institut Chopin)
→ Moins marquant : la limite des instruments s'entend dans les ambitieuses Ballades, moins de possibilités de contraste, d'étagement des strates, tout est davantage sur le même plan, on ne peut pas non plus jouer avec la longueur de résonance…
→ Par ailleurs Goerner, dans les moments moins exigeants, me paraît à un niveau de poésie moindre que dans ses meilleurs volumes – plus proche ici de ce qu'il fait, un peu blanc, dans ses enregistrements sur piano moderne.

♥♥ Scarlatti, Rameau, Ravel, Wiener, Le Flem, Ladmirault, Tharaud, etc. – « Le Poète du piano »  – Tharaud (Erato)
→ 3 CDs incluant rééditions, nouveautés, fragments d'albums confidentiels (comme celui publié pour accompagner le catalogue Ar Seiz Breur au Musée de Bretagne de Rennes, en 2000 !). On y trouve donc quelques-uns de ses enregistrements bien connus, dont ses magiques Rameau, mais aussi des pièces rares (un cycle de Le Flem), des arrangements (de la 5e de Mahler, de chansons…) et ses propres compositions, qui puisent avec talent à beaucoup de sources de la danse, pour un résultat à la fois dégingandé et lyrique (j'espère qu'il continuera à écrire et publier de la musique !).
→ Le caractère disparate du parcours laisse un peu dubitatif, mais son originalité suscite un réel intérêt, et son approche sinueuse du phrasé me séduit assez.


♥♥♥ Hisatada Otaka, Japan Suite (2 extraits) + Ibert, Histoires (3 extraits) + Debussy, L'Isle Joyeuse, Préludes livre I – Ryutaro Suzuki, album « Ce qu'a vu le vent d'Est  » (Hortus, janvier 2020)
→ Il existe évidemment, dans l'immense discographie de pianistes confirmés, spécialistes, charismatiques, Isle et Préludes plus saisissants, mais la filiation debussyste est magnifiquement mise en valeur avec les Histoires d'Ibert (inhabituellement denses et profondes chez lui !) ou la Suite japonaise d'Otaka (il existe quelques autres choses très dignes d'intérêt, comme une jolie Sonatine pour piano ou son splendide Concerto pour flûte, là aussi très debussysé), qui emploie certes des modes orientaux, mais d'une façon qui évoque totalement la Danse de Puck ou Et la Lune descend, vraiment construit dans le même langage harmonique, rythmique, pianistique.
→ Ces deux cycles ont de surcroît la particularité, je trouve, d'être aussi aboutis que leur modèle, ce qui n'est pas un mince hommage. Reste à graver ceci en entier !

♥♥♥ Otaka: Piano Sonatina // Terauchi: Hoodo to Uncho kuyo bosatsu hattai (The Phoenix Hall and 8 Putto-Figures worshipping the Sacrifice Ceremony in the Clouds) // Ichiyanagi: Cloud Atlas // Takemitsu : Litany, Uninterrupted Rests // Yashiro: Piano Sonata (1961 revised version) – Miwa Yuguchi (Thorofon 1996)
→ Parcours absolument passionnant, depuis le postdebussyste d'Otaka et Terauchi jusqu'aux langages défragmentés mais toujours éloquents d'Ichiyanagi, Takemitsu et Yashiro, comme un parcours progressif exposant l'évolution de la musique du Japon occidentalisé, à travers des cycles de toute beauté – et pourtant, les Otaka et Takemitsu figurent plutôt dans le spectre bas de leur qualité habituelle !  Une merveille de découvertes, indispensable pour qui veut s'échapper des habituelles propositions viennois classiques / germaniques romantiques / impressionnistes français.



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LIED & MÉLODIE

Schubert – Winterreise (en polonais sur des poèmes de Baranczak !) – Konieczny, Napierała (Institut Chopin)
→ Prosodie très naturelle et réussie, pour une voix qui sonne claire dans Wagner, mais riche, sombre et grave dans le lied. Néanmoins, même si cela entrave un peu sa mobilité expressive, rien de lourd ni de placidement homogène, une belle incarnation de ces lieder dans sa propre langue, très réussi, et accompagné de façon inhabituelle sur un piano ancien très chaleureux.

♥♥♥ Chopin: Songs – par Aleksandra Kurzak, Mariusz Kwiecień, Nelson Goerner (Institut Chopin)
→ Oui, cette intégrale tient vraiment sa promesse du Real Chopin : real au sens anglais, avec les sonorités totalement différentes de ces pianos anciens aux couleurs beaucoup plus vives, au médium bien plus exposé ; real au sens dialectal italien (ou espagnol), royalement servi par des artistes très inspirés qui ne se contentent pas de jouer ces vénérables antiquités mais en tirent réellement des propositions très originales, de véritables interprétations radicales et pensées qui magnifient le matériau.
Vraiment une expérience incomparable. (à écouter ici)

♥♥ Reber, Thomé, Duprez, Doche, Guion, Berlioz, Liszt, Duparc, Franck, Godard, Massenet, Chaminade, Messager, Varney – « Alexandre Dumas et la musique » – Garnier, Deshayes, Boché ; Jouan, Cemin (Alpha)
→ Splendide collection, très rare et de grande qualité, de mélodies, qui bénéficient du violoncelle chaleureux de Jouan, de la précision tranchante et spirituelle de Cemin, de la diction subtile de Boché, du charisme immédiat de Deshayes (qui mûrit décidément formidablement). Un peu plus de réserves sur Garnier : on entend l'artiste, mais l'instrument large demande encore à être domestiqué pour éviter l'impression d'émission en force et rendre le texte plus net. C'est difficile, et pour ce type de voix vient avec le temps ; elle a toujours eu la sensibilité d'une grande artiste (on le mesure ici encore, avec la tension des progressions qu'elle ménage !), on attend que cela s'incarne pleinement dans les années à venir.
→ (bissé)

♥♥ Mahler – extraits du Wunderhorn, lieder de jeunesse, cycle Rückert – Karg, Mahler (!), Martineau (HM)
→ Grâce à des rouleaux perforés, on peut entendre l'accompagnement de Mahler lui-même (beaucoup de tangage dans le rubato !) accompagner Christiane Karg.
→ La voix a beaucoup mûri, moins d'oscillations un peu grises, une pâte un peu plus épaisses, on y gagne et on y perd, mais l'artiste demeure toujours très musicale, attentive au texte, et le timbre agréable. Pureté de Martineau appréciable également. Très bel album.
→ (bissé)

♥♥ Berlioz, Bizet, Gaubert, Ravel, Falla, Serrano, Obradors, Lorca, chansons égyptiennes – « El Nour » – Fatma Saïd (Warner)
→ Sous l'apparence d'un usuel récital « Orient-Occident » par une jeune interprète à la mode, en réalité une collection de pièces remarquablement habitées (la qualité du français est digne d'éloges !), une technique très maîtrisée qui se prête avec souplesse aux divers styles (la grâce lascive de la mélodie française, la saveur corsée des mélodies espagnoles), incluant même un inédit (ce me semble) de Gaubert (Le Repos en Égypte). Et finissant par des chansons égyptiennes en émission vocale (partiellement) populaire, où frappent l'élégance et l'éloquence. Impressionnant ensemble – les Shéhérazade (avec piano… et ney !) de Ravel sont même très réussies, dotées d'un sens du texte précis.
→ (trissé)

chansons
diverses : Alagna « Le Chanteur »

→ Difficile à écouter pour moi : accompagnements assez caricaturaux (Casar, je suppose ?) avec couleurs de carte postale exagérées, mixage vraiment pénible (voix écrasée à l'avant, ploum-ploum gonflés).
→ Dommage, avec une guitare sèche (ou un archiluth !) et capté avec naturel, ce serait très beau, la diction est belle, le chanteur engagé (même s'il y a un rien trop d'épaisseur lyrique qui demeure par endroit).
→ En somme très bien chanté, mais dans un répertoire de chansons « pittoresques » qui n'a déjà pas ma faveur, les arrangements ambiance coloniale et le mixage agressif m'empêchent d'y prendre du plaisir…



nouveautés CD

LISTE D'ÉCOUTES à faire – nouveautés

THOMSON, V.: Portraits, Self-portraits and Songs (Tommasini, Leventhal, N. Armstrong, F. Smith)
rabhari compositeur
barry beethoven par adès
roland-manuel par akilli
bruckner 8 thielemann ( :( )
vivaldi tamerlano dantone

→ bach &fds corti
→ rvw job hallé elder songs travel neal davies
→ clyne

→ armand-louis couperin rousset
→ hammerschimidt, jesus stirbt, vox luminis
→ amirov, 1001 nuits
→ rubinstein le bal pour piano
→ zipoli in diamantina
→ "O! solitude, my sweetest choice" de Purcel/Britten (adaptation) sur le texte de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant.
→ toccata classics : mihalovici, proko by arrangement, szentpali, ruoff…
→ anima rara par jaho
→ mzt van kuijk
→ vienne 1905-1910, richter ensemble
→ bruch ccto é pias
→ bach sons controcorrent
→ london circa 1720
→ il genio inglese alice laferrière
→ rathaus & shota par stoupel
→ bruckner symph 0 hj albrecht orgue
→ weinberg symph 6 altenburg gera
→ turalngalila mannheim
→ nielsen œuvres violon-piano hasse borup naxos
→ fuchs sonates violon
→ fasch clavier
→ hithcock spinet : burney & others
→ venice and beyond concerti da camera sonate concertate pour vents
→ leclair complete sonatas 2 violons
→ Petite Renarde Rattle
→ respighi chailly
→ ysaÿe 6 sonates par niklas valentin
→ earth music cappella de la torre

→ novak piano ccto, wood nymph
→ titelouze messes retrouvées vol.2
→ bronsart Jery
→ Bo, Pstrokońska-Nawratil & Moss: Chamber Works
→Łukasz Długosz
→ vermeer bologna
→ standley et ens contrast schubt
→ nature whispering
→ Petite Renarde Rattle
→ chant de la Terre I.Fischer RDS
→ lamento (alpha)→ fasch
→ earth music capella de la torre
→ nielsen complete violin solo & piano, hasse borup
→ manén violon cc
→ quintette dubughon holst taffanel françaix
→ fuchs sonates vln
→ meyerbeer esule
→ bononcini polifemo
→ graund polydorus
→ polisu kaleidoscope ravel pia duo
→ aho symph 5 currie
→ anima gementem cano
→ purcell royal welcome songs
→ gombert messe beauty farm
mahler 4 turku segerstam
chosta 5 jansons bayrso
bruckner 4,5,6,7 munich PO gergiev
beethoven 7 saito kinen ozawa
beethoven sonates 8-11 giltburg
beethoven concertos piano sw chb bavouzet
ardeo SQ xiii
schwanengesang behle
→ bizet sans paroles gouin
→ respigni chailly scala
→ st-saêns chopin callaghan
→ Mülemann mztwohlhauser (neos)
john thomas duos harpe piano vol.1 (toccata)
arnold rosner requiem (toccata)
moszkowski orchestral vol 2
idenstam metal angel (toccata)
corigliano caravassius siegel pour guitare (orchid)
iannotta : earthing (wergo)
imaginary mirror hasselt (challenge)
lundquist symphonies (swedish society)
eklund symphs 3 5 11 norrköping (CPO)
peaceful choir
spisak works (dux)
zemlinsky, rabl : quatuors (Zimper, gramola)
goleminov SQ par sofia SQ
gombert masses beauty farm
rachma par babayan DGG

huelgas the magic of polyphony

debussy intégrale alessandra ammara

mozart arias II regula mühlemann

bells, album athony romaniuk

Rééditions :
♦ secrets live annie fischer
♦ brahms piano rafael orozco
♦ vierne 24 pièces de fantaisie litaize



nouveautés CD

LISTE D'ÉCOUTES à (re)faire – autres

ben haim chambre

chaconne schmidt (et org)

Vocal Recital (Baritone): Duncan, Tyler - HAHN, R. / MILHAUD, D. / POULENC, F. / SAINT-SAËNS, C. (English Songs à La Française)

Constant Turner : Orchestral Music - DANIEL-LESUR, J.Y. / CONSTANT, M. / ROUSSEL, A. / TOMASI, H. (Luxembourg Radio Orchestra, Froment)

Nordic Autumn rangström

réécoute chopin centre chopin (listing)

RÖNTGEN-MAIER, A. / SMYTH, E.: String Quartets (Rendezvous: Leipzig) (The Maier Quartet)

job Andrew Davis / Bergen

Debussy / Tôn-Thât Tiêt - Mélodies, musique de chambre et piano

ziesak wolf eisenlohr 1992

réécoute walton quatuors

khovanchtchina stravinski (et ravel?)

Mefisto
: « Rawsthorne est un des compositeurs que j'ai exploré de façon systématique et qui m'a procuré de nombreuses satisfactions. Pas le plus immédiatement séduisant, mais des choses fascinantes. Le concerto de chambre, Pierrette, son thème et variations pour 2 violons, ses Bagatelles pour piano et son premier concerto pour piano pour les choses qui m'ont ébourriffé. J'ai noté plein d'autres pièces pour y revenir aussi : les sonates, celle pour violon pas charmeuse pour un sou et pourtant étrangement attirante, ou celle pour alto avec son scherzo diabolique, certains quatuors, certaines symphonies... »

Mefisto
: « Blake, plus direct, a beaucoup de belles choses à son catalogue et offre un primat à la mélodie, avec parfois des choses plus retorses (musique de chambre). Pareillement, j'ai écouté pratiquement tout, beaucoup de satisfaction avec ses pièces pour quatuor (comme Spieltrieb, Walk in the Air ou Month in the County, quel bel adagio !) ou son trio à cordes avec cette introduction martiale. Également notables, un très beau concerto pour flûte, assez cinématographique, et un concerto pour piano qui se vautre dans la facilité (thème ronge-méninges, envolées lyriques franchement lourdes parfois, dédicace à Lady Di) et qui pourtant fonctionne admirablement si on accepte le postulat de départ. Les concertos pour clarinette et celui pour basson s'écoutent bien, les Diversions avec violoncelle ont de très beaux moments. »




… à vous de vous amuser à présent !

samedi 10 octobre 2020

Dandrieu, Ives, Terterian : quand les disques expliquent – thèmes traditionnels émergés


Je voulais mentionner ici une nouvelle tendance qui semble se dessiner au disque et au concert : la mise en relation entre les œuvres canoniques et leurs sources populaires.

Ce concept, qui peut paraître évident (tant cette filiation récurrente se trouve partout soulignée dans les commentaires musicologiques) me semble en réalité assez rare, considérant le nombre de concerts (200) et de disques (pas loin d'un millier) que je peux consommer (enfourner ?) en une année. Et c'est grand'pitié, car on passe facilement à côté de l'esprit qui a présidé à la création, si l'on ne repère pas que la plupart des Requiem adaptent simplement les mélodies grégoriennes, ou que les plus géniaux thèmes de Tchaïkovski (les symphonies, les opéras…), Moussorgski (Boris Godounov, La Khovanchtchina en sont saturés !) et Stravinski  (final de L'Oiseau de feu…) proviennent du folklore ukrainien.

Combien de fois ne m'a-t-on fait la remarque « tiens, Kharachosovietski emprunte tel thème à Tchaïkovski », alors qu'il s'agit d'un thème populaire – non seulement la référence pensée par le compositeur n'était pas à Tchaïkovski, mais de surcroît Tchaïkovski lui-même doit être pensé comme un emprunteur. Le sujet est même éclairant sur le champ d'une perception culturelle plus vaste : quand on constate la quantité de thèmes populaires essentiellement ukrainiens (quelques imports de la Volga également) qui innerve la grande musique russe, on mesure mieux en quoi les destinées politiques de l'Ukraine peuvent apparaître comme un sujet de politique interne, pour ne pas dire intime, aux yeux (et oreilles) d'un Russe.
[Les Français ont fait de même, sous l'impulsion de d'Indy, mais leurs œuvres n'atteignent pas un tel degré d'intrication, sont moins diffusées au concert et au disque… et les mélodies moins reconnaissables que les modes ukrainiens traditionnels.]

De même, lorsqu'on se rend compte du nombre de thèmes grégoriens présents partout dans la musique (le Dies iræ est loin d'être le seul !), on mesure aussi tout ce que l'on manque sans la conscience de ce matériau essentiel. Pas seulement dans la musique sacrée.

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Or, dans ces tous derniers mois, trois disques (et un concert) ont paru en épousant cet méthode : donner au public les clefs. En concert, ce peut être facile et interactif, comme l'a fait dès 2019 l'Ensemble Poséidon d'Arnaud Condé pour son programme de Noël – les noëls traditionnels du XVIIe étaient chantés avant de faire entendre la Messe de Minuit et le Noët sur les instruments de Charpentier, ce qui permettait de relier non seulement les mélodies, mais aussi l'implicite des textes (« Joseph est bien marié », « Mais où vont ces gais bergers », etc.), à l'œuvre d'arrivée.

Au disque, cela signifie occuper de la place pour des œuvres non nobles – beaucoup d'auditeurs vont, au fil de leurs écoutes, laisser le disque tourner sans nécessairement y chercher la dimension pédagogique, surtout après l'avoir découverte une première fois –, donc prendre le risque d'un support moins « écoutable » que ceux qui enfilent les œuvres « principales ». (Une des raisons également pour lesquelles on n'enregistre pas toujours les dialogues parlés des opéras, ce qui constitue une erreur considérable à mon sens.)

Et pourtant, le résultat en est réellement stimulant intellectuellement, enrichit l'écoute même pour des oreilles ingénues, et surtout l'on peut découvrir des œuvres du folklore dans des conditions absolument optimales, avec de nouveaux doudous qui peuvent s'ajouter à nos expériences d'écoutes passées…




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Shoger Jan, de l'emblématique Komitas. (Pour deux zukras.)
(Disque du 4 novembre 2019.)

Ainsi, lorsque Karabits publie chez Chandos une nouvelle version des symphonies de Terterian, dont la Troisième qui convoque une paire de duduks (hautbois caucasiens) ainsi qu'une paire de zurnas aiguës (hautbois anatoliens, en bois d'abricot), il insère après sa symphonie deux duos-improvisations traditionnels pour faire entendre les zurnas (ou plutôt zukras, en arménien) dans leur habitat modal naturel. On entend ainsi à nu ces timbres très spécifiques – utilisés en musique de film pour évoquer les univers archaïques, tels Gladiator ou Game of Thrones… –, et jouant les intervalles qui leur sont habituels. Témoignage intéressant, qui évite de tendre l'oreille pendant la symphonie, et de n'entendre que la bizarrerie de leur emploi, dans une œuvre soviétique ambitieuse de 1975…

Je ne suis pas certain de recommander les œuvres en tant que telles – j'ai détesté les aplats uniformes, longs, très bruyants, un côté Orff-à-l'usine assez peu subtil –, mais des amis de confiance ont beaucoup aimé… et la démarche méritait en tout cas ce coup de chapeau !  (Œuvre très rare – il existe seulement une autre version, beaucoup plus confidentielle, de ces deux symphonies au disque –, et accompagnée du matériau pour en comprendre certains aspects.)




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In the Sweet By and By, cantique composé par Joseph Philbrick WEBSTER.
(Disque du 8 novembre 2019.)


Cette fois tourné vers le matériau thématique et non vers l'instrumentarium, le San Francisco Symphony, fidèle à sa vocation de vulgarisation de haut niveau sous Michael Tilson-Thomas, produit sous sa propre étiquette un enregistrement (très réussi par ailleurs) des deux dernières symphonies de Charles Ives, précédé à chaque fois de plusieurs cantiques que le compositeur-colleur inclut dans les strates inextricables de ses œuvres. Cantiques présentés sans coquetterie, très bien exécutés par le Chœur de l'orchestre avec simple accompagnement d'orgue : on entend réellement le matériau nu tel qu'il est présenté lors des cultes auxquels Ives a pu assister.

Or, si tout le monde sait que ces chœurs représentent réellement une part capitale des contenus thématiques de ces symphonies, tous les auditeurs (et en particulier de pays de tradition catholique !) n'ont pas du tout dans l'oreille les mélodies (ni les textes) des cantiques de Mason, Marsh, Webster, Bradbury, Glaser, Converse, Stites ou Zeuner !

L'écoute n'en est pas passionnante musicalement à proprement parler, mais demeure très brève (pas de reprises, juste le premier couplet), et surtout nourrissante et éclairante pour redécouvrir ensuite les références d'Ives, cette fois en les ayant soi-même partagées dans sa chair (pavillonnaire).

Ce protocole pourrait être appliqué régulièrement pour beaucoup de disques (ou concerts) classiques : présenter les thèmes (même les thèmes originaux, par exemple pour les formes sonates ?) et faire entendre ensuite l'œuvre. Ce privilège se rapproche de la mise à disposition du texte pour du lied ou de l'opéra : cela change réellement, profondément l'expérience.




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Laissez paître vos bêtes, noël traditionnel tissé avec les variations pour orgue de Dandrieu sur ce thème célèbre.
(Disque du 15 novembre 2019.)


Enfin, le sommet de l'art : inclure musicalement les œuvres folkloriques dans le programme du disque. Ce disque du label extraordinaire du Château de Versailles (plutôt un label au service du répertoire musical qu'au service de la communication du lieu touristique), Gaëtan Jarry fait jouer simultanément les cantiques traditionnels du XVIIe et leurs grandes paraphrases pour orgue de Dandrieu, Corrette, Daquin et Balbastre, avec le chant en alternance entre les variations – et quelquefois accompagné par l'orgue.

Outre l'excellence du résultat (orgue idéal, registration savoureuse et agilité mordante de Jarry, meilleur chœur d'enfants au monde pour ce répertoire…), on est frappé par ce qu'il révèle : la juxtaposition permanente de l'original et de son altération permet de mesurer les parts respectives de la tradition et du compositeur : c'est-à-dire la façon de s'emparer d'une mélodie ou de ses diminutions, chez chacun d'eux.

Pour couronner le tout, l'alternance des timbres instrumentaux & vocaux évite grandement la lassitude (ou du moins l'anesthésie d'oreille) qui peut naître en n'écoutant qu'une suite de pièces solo – dont les logiques de composition, isolément, peut d'ailleurs sembler bien plus arbitraires.

Étrangement, même pour ces œuvres qui s'y prêtent de façon si évidente, leur filitation étant explicite et les originaux solidement documentés, ce n'est pas du tout la norme – plutôt l'exception.



Je me réjouis donc hautement de cette tendance, et espère qu'elle devienne de plus en plus courante : même pour les auditeurs aguerris, disposer des références (ou même des thèmes originaux) aide vraiment à se repérer dans la structure, et permet au plaisir de prendre une dimension moins superficiellement mélodique, de véritablement suivre les méandres de tout un discours dont la richesse, on le sait, peut être vertigineuse.

J'espère en voir d'autres. Car la pédagogie nous sauvera de l'obscurantisme – qui, comme chacun sait, consiste à écouter du Bach, du Beethoven ou du Mahler pour leurs mélodies. Si vous aussi, vous observez un changement de comportement chez un proche, qui se met brutalement à commenter les lignes vocales chez Wagner ou le génie mélodique de Schönberg, appelez le Numéro Vert gouvernemental de l'Observatoire de Prévention des Radicalités.

Vigilants. Ensemble.

dimanche 4 octobre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 12 : Carême, Boréades, Cœur de Lion, Solemnis, Ķeniņš, mini-Mahler, ballet moisi, mort aux Turcs


(… lesquels Turcs composent pourtant une musique qui vaut bien celle de Zajc, mais j'en ai déjà parlé dans une précédente notule.)

Longue période à préparer des notules – et à (beaucoup trop) aller au concert, 22 soirs sur les 30 de septembre… –, aussi les commentaires discographiques, quoique ralentis, se sont un peu accumulés. Je vous les livre avant qu'ils ne soient décidément trop nombreux. J'ai un peu rattrapé mon retard sur les nouveautés très appétissantes qui ont déferlé ces deux dernières semaines.

S'il faut choisir seulement trois disques, je dirai Les Méditations de Charpentier, Statuesque de Heggie et le Hummel-Beethoven de Visovan. Voilà, vous pouvez vaquer. (Ou lire le reste.)

Les nouveaux enregistrements les plus marquants de ces quelques dernières semaines.

BAROQUE
Méditations pour le Carême de Charpentier par Bestion de Camboulas, œuvres sublimissimes dans une interprétation très dramatique (et à un par partie).
Les Boréades de Rameau par Luks, enfin une version moderne au disque, dans une distribution superlative. (Gardiner, outre qu'il est aléatoirement trouvable, a vraiment vieilli dans les récitatifs. Christie n'est disponible qu'en DVD et moins abouti que Luks par ailleurs.)

CLASSIQUE ET POST-CLASSIQUE
Richard Cœur de Lion de Grétry par Niquet, résurrection tant attendue qui permet de réévaluer massivement l'œuvre.
¶ Fantastique Sonate de Hummel et transcription pour tout petit ensemble de la Première Symphonie de Beethoven, sur piano d'époque, des merveilles absolues.(Aurelia Visovan)
¶ Une belle Missa solemnis de Cherubini (Bernius).

SYMPHONIQUE
¶ Beethoven 1-9 par WDR-Janowski, au sommet de ce qui peut être fait en tradi.
¶ Brahms 1 par Gewandhaus-Blomstedt, où triomphe la décantation poétique.
¶ Mahler 7 par Lille-Bloch, furie, détails, mordant.
¶ Chant de la Terre réduit par De Leeuw, plus mahlérien que l'original.
¶ Sibelius par RPO-Hughes, timbres moyens mais conception galvanisante.
¶ Ķeniņš 1 & 2, belle personnalité à découvrir.

LIED
¶ Schumann (Kerner, ballades…) par Hasselhorn, dont quelques nouvelles références absolues (Die Löwenbraut).
¶ Schmitt, les mélodies très peu documentées et très bien chantées.
¶ Heggie, l'irrésistible Statuesque par Barton.

OPÉRAS DU MONDE
Nikola Šubić Zrinjski de Zajc, le tube culturel croate, dans une exécution de niveau exceptionnel.

Paraissent aussi deux histoires du quatuor, l'une du quatuor baroque, l'autre des contemporains de Beethoven. Pas forcément des disques superlatifs en eux-mêmes, mais le parcours est passionnant, en particulier le premier (de Musica Fiorita) qui révèle les origines mal connues (au disque) du quatuor à cordes sans basse continue, à une période qui précède Haydn et Boccherini.

Deux déceptions notables :
♠ les Schubert de Jacobs (sans surprise, certes, me concernant), très bien mais qui n'apportent rien de neuf (à quoi bon, alors, alors qu'il a tant à dire sur les siècles précédents ?), confirmant la sclérose de l'inspiration et du répertoire chez ce chef qui fit tant de merveilles (et exhuma tant de perles servies au plus haut niveau), hélas.
♠ Le nouveau ballet de Boismortier, ni une partition exaltante, ni une réalisation saillante – tant d'énergie et de fonds pour des ballets moyennement convaincants, alors qu'on dispose des interprètes formés pour monter les tragédies de première intérêt de Desmarest, Campra, Destouches, La Coste, et, si l'on veut vendre des exemplaires, du Régent !

¶ Hors nouveautés, enfin trouvé les Leçons de Ténèbres de Gilles (de forme atypique, avec soliste et chœur en antiphonie), mais dans une interprétation qui ne me satisfait pas totalement. Régal avec les mélodies françaises par Dumora et les lieder par von Otter. Superbe disque Saint-Saëns de Maazel également.

¶ Réécoute de Volo di notte de Dallapiccola dans sa version française (œuvre déjà très accessible, rien à voir avec l'hermétique Ulisse ou même avec l'expressionniste Il Priogioniero) et dans une distribution à faire tourner les têtes, toujours un délice ; du Quatuor avec clarinette de Hummel (si vous aimez le Quintette de Mozart, un des nombreux prolongements possibles), et du savoureux Moby-Dick de Heggie, de l'opéra épique d'aujourd'hui.

¶ Écoutes comparées pour Les Méditations pour le Carême de Charpentier (toute la discographie) et Die Löwenbraut de Schumann (l'essentiel de ce qui est actuellement disponible).

Les détails dans les tableaux ci-après.

Nikola Subic Zrinsjki Opéra - Ivan Zajc - CD album - Achat & prix | fnac

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)




commentaires nouveautés : œuvres commentaires nouveautés : versions


Dussek – Messe solennelle –  Academy of Ancient Music, Egarr (AAM)
→ Surtout célèbre pour son piano, et en particulier sa grande pièce rhapsodique et narrative autour de le mort de Marie-Antoinette, Dussek bénéficie ici d'un enregistrement d'une œuvre de grand format, et sur instruments anciens !
→ L'œuvre tient son contrat de densité, d'ampleur et de spectaculaire, elle s'écoute avec beaucoup de bonheur. L'écoute n'est pas achevée, j'en dirai davantage lors de la prochaine livraison.
Beethoven – Intégrale des Symphonies – WDR, Janowski (PentaTone)
→ J'ai déjà commenté les 5 & 6, sommets de la discographie des exécutions « traditionnelles » des symphonies de Beethoven.
→ L'intégrale me convainc plus diversement, beaucoup de chair d'orchestre (les cordes débordent un peu sur le reste du spectre), peu de contrastes de couleurs, on dispose de beaucoup d'autres propositions plus stimulantes désormais, même en laissant de côté les conceptions très affirmées de Hogwood ou Gardiner, avec des propositions de Dausgaard à Savall, par exemple.
Wellesz – Die Operfung des Gefangenen – ÖRF, Cerha (Capriccio) → Grands aplats et unissons avec tambours battants : essentiellement de la musique symphonique chorégraphique (pas du tout dansante) et des chœurs à l'unisson… peu exaltant.
→→ suite →→ 
→ Pour autant, l'énergie constante (voyez la 5, la Marche funère de la 3…) et la beauté impressionnante des phrases – la façon dont Janowski laisse toujours respirer la musique sans jamais la lâcher, ou dont il fait entendre le détail du contrechant dans la section des bois – en font une fréquentation particulièrement stimulante, satisfaisante et inspirante !
→ J'espérais qu'elle règle la question de l'intégrale « traditionnelle » (Dohnányi-Cleveland reste au firmament, mais Telarc a disparu, tout est épuisé), ce n'est pas forcément le cas, mais le résultat reste particulièrement exaltant.
Werner – Der gute Hirt – Orfeo Orchestra, Vashegyi (Accent)
→ Bel oratorio des années 1730, très statique, donc la langue musicale évoque l'univers de Haendel et surtout Bach, en bonne logique. Le livret en est très statique, peu de saillances musicales même si tout est beau (notamment les récitatifs) ; de même pour l'exécution, valeureuse mais sans personnalité proéminente. Intéressant pour cette période très peu documentée hors des grands noms.
Schubert – Winterreise – Benjamin Hewat-Craw, Yuhao Guo (Ars Produktion)
→ Chant vraiment couvert et cravaté, le baryton cherche à faire le plus grosse voix possible, et ce nuit à la diction et à l'expres​sion – il refuse résolument les résonances par le nez, pourtant le fondement d'une technique lyrique efficace.
→ Au demeurant, une belle étoffe de voix et une interprétation pleine de conviction. Pas indispensable du tout, mais pas déplaisant à la découverte.
Boismortier – Les Voyages de l'Amour – Santon, Watson, Wanroij, Dolié ; Orfeo Orchestra, Vashegyi (Glossa)
Don Quichotte chez la Duchesse est l'œuvre que je recommanderais en priorité pour faire découvrir l'opéra à un néophyte. Tellement condensé, fantaisiste,coloré  et immédiatement séduisant !  Aussi, un nouveau ballet de Boismortier suscitait toute mon attention.
→ Il s'avère que le livret témoigne du néant littéraire du ballet du temps (il ne se passe rien, une enfilade d'airs stéréotypés sur une action qui se limite à peu près au titre – une fausse fuite dans des jeux d'amants).
→ Par ailleurs, la distribution, malgré toute sa science du style, souffre de voix formées à une technique XIXe (et même XXIe) : diction lâche, timbres assez opaques, émission trop couverte, vibratos flottants… De même pour l'orchestre, qui réussit très bien dans les formules hiératiques post-gluckistes mais qui manque ici de l'élan et de la couleur qui caractérisent l'opéra français de troisième génération (époque Rameau).
→ Tout ce qui aurait pu compenser les faiblesses de l'œuvre, avec des voix fraîches, une diction au cordeau, un orchestre qui déborde d'invention et de coloris, manque pour renverser la tendance. Hors amateurs forcenés intégralistes, cette découverte me paraît dispensable.
Sibelius – Symphonies n°1 & 3 – Royal Philharmonic, Hughes (Rubicon)
→ Il y avait fort longtemps que je n'avais pas entendu le Royal Philharmonic, qui ne fut jamais l'orchestre le plus intéressant, le plus virtuose ou le plus engagé des royaumes unis… Les derniers enregistrements de lui qui ont passé par-devers moi doivent remonter à des captations des années 90… Il s'avère que nous n'avons toujours pas affaire au phénix des hôtes de ses bois.
→ J'aime beaucoup Hughes, qui parvient à animer des orchestres secondaires avec une certaine ardeur bien tenue et une belle aération, comme ici. Dans Sibelius, un peu de plus de structure et de chatoyance aurait sans doute été nécessaire pour rivaliser avec les grandes versions, mais je trouve les transitions très réussies, la mutation thématique s'y entend remarquablement. Je vais donc y revenir et le laisser maturer, peut-être que, malgré les timbres limités, j'en ferai un véritable compagnon de route !
anonymes, Eccles, Lawes, Oswald, Purcell – The Queen's Delight (English Songs and Country Dances of the 17th and 18th Centuries) – McGown, Musiciens de Saint-Julien, Lazarevitch (Alpha)
→ Délicieux ensemble de chansons délicates et entraînantes, avec les sonorités acides et vivantes des Musiciens de Saint-Julien et la savoureuse Fiona McGown.
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→ Et, de fait, la Troisième me passionne par son grain, ses transitions infinies, sa verve folklorisante qui ne masque jamais la complexité de conception… Une merveille de chef, alors même que l'orchestre n'a pas l'insolence des plus grandes formations – mais réagit très bien. Une grande version !
Tālivaldis Ķeniņš  –Symphonies : 1, 2, Concerto (de chambre) flûte, clarinette, piano & cordes ; Concerto piano, percussions & cordes – National de Lettonie, Poga (Ondine)
→ Concerto de chambre : belle prolifération babillarde de sons disparates au sein d'une langue assez romantique… on songe par exemple à Martinů.
→ Concerto piano-percus : ambiance lyrique très étale, avec jolies superpositions harmonies (on songe par endroit au Premier Concerto pour piano de Schnittke).
→ Très belles choses dans les symphonies, qui n'accrochent pas nécessairement l'oreille distraitement, mais le détail contient de belles tournures sibeliennes, et manifestement une structure soignée et stimulante. À laisser mûrir, je crois qu'on tient un disque de qualité !
Mozart – La Betulia liberata – Piau, Forsythe, Iervolino, Pablo Bemsch, Di Pierro ; Les Talens Lyriques, Rousset (Aparté)
→ Seul oratorio achevé de Mozart, commandé pour Padoue (et manifestement jamais représenté sur place, ce titre étant lié dans les archives à l'œuvre d'un compositeur local), c'est l'œuvre d'un compositeur de 15 ans, sur un livret de Métastase, où Holopherne a la particularité d'être totalement absent – sa mort est rapportée par Judith elle-même dans un long récitatif accompagné par les cordes, à la façon du viol raté de Donna Anna. Seule incarnation du camp ennemi, son allié Achior, prisonnier impuissant qui se convertit au judaïsme devant la puissance du Dieu hébraïque.
→ L'œuvre consiste uniquement en une suite de récitatifs et d'airs, quelques chœurs (peu marquants) mis à part ; à cette âge, on ne dispose pas encore du meilleur Mozart évidemment.
Klengel, Schumann – Concertos pour violoncelle – Gromes, Berlin RSO, Nicholas Carter (Sony)
→ Timbre moins impressionnant qu'en musique de chambre, moins rond, plus « poussé ».
→ Très belle composition généreuse de Klengel, quoique très conditionnée par les démonstrations de virtuosité (qui ne sont néanmoins pas banales ni laborieuses).
→ Beau Schumann, lecture expansive, très ronde (le spectre sonore est écrasé par les cordes) et lyrique, évoquant davantage les années 1890 que le style milieu-de-siècle, mais réalisé avec une force de conviction considérable !
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→ Je déplore que les Talens Lyriques mettent leur énergie (et leurs disques) au service d'une œuvre réellement mineure d'un compositeur-vedette, mais je dois admettre qu'ils en fournissent ce faisant de loin la meilleure version disponible au disque. L'Ouverture qu'ils colorent à la Gluck est tétanisante, tandis que la mobilité d'ensemble épargne l'ennui. Belle distribution également, en particulier Iervolino – Bemsch qui change de voyelle en cours de vocalisation et Di Pierro qui les hache rencontrent quelques limites dans les coloratures, mais déclament remarquablement. Dommage que la prise de son les mette très en avant, à l'ancienne – les chanteurs font plus de bruit dans un récitatif que l'orchestre entier dans l'Ouverture !
→ En effet, je n'ai pas écouté la version historique de Rossi ni la très tradi de Hager (mais je vois ce que c'est), et Gaigg (Orfeo Barockorchester) ou le très beau Favero (Oficina Musicum) ne sont pas aussi luxueusement aboutis.
→ C'est donc recommandé si vous souhaitez absolument écouter du seria de Mozart mineur mais bien servi.
Bononcini, Sonata da camera a 4 
A. Scarlatti, Sonate a 4 senza cembalo 
Maddalena Lombardini Sirmen, Quartetti
– Musica Fiorita (Pan Classics)
→ Véritables origines du quatuor à cordes que ces sonates pour 2 violons, alto et basse continue… sans clavecin ! Très beau projet.
→ Les œuvres demeurent dans la veine « décorative » de la musique de chambre baroque, sans l'ambition formelle de l'ère classique ni bien sûr émotionnelle des romantiques. Mais suivre la filiation dans une exécution aussi nette est passionnant !
→ La fugue lente de la Deuxième Sonate de Scarlatti est remarquable, dans un genre cependant très rétro, davantage évocateur du premier XVIIe, voire de la Renaissance, que de l'avenir du quatuor. Et pourtant les couleurs harmoniques obtenues évoquent le taciturne n°16 de Beethoven !
→ Lombardini Sirmen écrit déjà en revanche, une langue classique, sans formules toutes faites, vraiment stimulant – ce mériterait réécoute pour mesurer son apport au genre, mais ce ne me semble pas du tout anodin.
Charpentier – Méditations pour le Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas (Ambronay)
→ Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des textures hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine sacré français.
Bach Sons – Symphonies by J. C. Bach, J. C. F. Bach, W. F. Bach & C. P. E. Bach – Controcorrente Orchestra (Passacaille)
→ Écouté distraitement en travaillant, il faut que j'y revienne. Semblait très bien (exécution remarquable en tout cas).
Mahler – Symphonie n°7 – ON Lille, Bloch (Alpha)
→ Je n'aime pas trop la prise de son assez mate, cependant elle permet de profiter avec précision de cette lecture au plus haut niveau, marquée non seulement par la qualité technique, mais surtout par l'énergie inextinguible imprimée par Bloch – qui a décidément transfiguré cet orchestre en une phalange de classe mondiale !
→ Structure, tension permanente, il n'y a que sur la couleur où l'on puisse trouver plus luxueux chez des orchestres plus célèbres. Grande, grande version. J'attends avec impatience le prochain disque de Bloch, quel qu'il soit !
Bizet sans paroles : Chants du Rhin, transcriptions – Gouin (Mirare)
→ Quelle douceur de toucher !
→ La Romance de Nadir récrite par Gouin se mêle au « vent d'hiver » (Op.25 n°11) de Chopin, impressionnant.
→ Les colossales Variations chromatiques brillamment soutenues (avec plus d'éclat et peut-être moins d'intériorité que Wagschal, il me faudra réécouter les deux),
→ Transcription par Bizet du Concerto n°2 (déjà cyclopéen) de Saint-Saëns, qui en accroît encore les difficultés et les rend constantes, en exigeant d'autant plus de musicalités que tous les thèmes sont au pianiste, ainsi que le fondu. Gouin survole tout cela avec une aisance à peine concevable.
→ Pas nécessairement séduit par tous les choix de répertoire, mais panorama très original de Bizet pianiste, Bizet transcrit, Bizet transcripteur !
Bach – Motets – Pygmalion, Pichon (HM)
→ Après des Messes incomparables et une Saint-Jean très stimulante, j'avais été désappointé, sur le vif, par ces Motets. Au disque, on est tout de même ébloui par la beauté des timbres du chœur – même si les s'il est bien sûr difficile de retrouver la même mobilité expressive que dans les versions à « un par partie ».
→ Dans le domaine des versions à chœur, vraiment une belle version aux couleurs remarquablement généreuses, qui a manifestement mûri au fil des concerts de ces dernières années.
Gyrowetz 20-3, Haydn 77-1, Beethoven 1, Boccherini 90, Hansel 20-3, Beethoven 9, Donizetti 17, Beethoven 16, Schubert 14, Mendelssohn 2, Schumann 3, Czerny 28 Ab – Beethoven's World 1799-1851 : The Revolutionist & His Rivals – Casal SQ (Solo Musica)
→ Quelle brillante idée ! Par un quatuor très allant et légèrement acide, adéquat pour donner de l'élan à des œuvres de la période.
→ L'ajout des quatuors de Mendelssohn et Schumann laisse un peu dubitatif, la génération n'étant clairement plus la même, contrairement à Czerny qui était connu et estimé de Beethoven, quoique ses quatuors soient plus tardifs que les autres corpus présentés ici.
→ Pas véritablement de découverte fabuleuse dans les quatuors présentés ici. Même le Czerny, dont tous les autres quatuors m'ont jusqu'ici émerveillé – il est d'essence particulièrement classique par rapport aux autres écrits dans ces mêmes années 1840-1850, bien qu'en la bémol…
Brahms – Symphonie n°1 – Gewandhaus, Blomstedt (PentaTone)
→ Tempo assez modéré, pour une introduction pleine de majesté, un Brahms qui fascine par la clarté de sa structure plutôt que par la vaine séduction des timbres ou par sa rage. Pour autant, une version très animée, qui ne rugit pas mais qui interpelle sans cesse. Grande, grande lecture d'une décantation impressionnante.
Ivan Zajc (1832–1914) – Nikola Šubić Zrinjski – Rijeka SO, Matvejeff (CPO)
→ Parution de l'œuvre la plus célèbre de tout le répertoire croate (sur le versant semi-comique, CPO vient de publier Ero le farceur de Gotovac) dans une version moderne remarquablement chantée et captée avec une aération formidable, caractéristique des publications de CPO, qui permet de goûter l'épopée dans toute son ambition.
→ Même si musicalement, j'attends plutôt avec impatience la parution des opéras de Hatze (plus riches), il faut avouer que ce Zajc-ci, avec sa façon verdienne assez directe, réussit très bien à exalter son sujet – la résistance de Zrinjski à Vienne face aux Turcs, s'achevant dans le tableau vivant de la bataille finale !
→ Plaisir intense d'entendre un orchestre « provincial » d'un tel niveau, et surtout une école de chant encore assez typée, avec des émissions à la fois slaves et assez frontales (un peu à la tchèque, toutes proportions gardées).
Schubert – Symphonies 2 & 3 – B'Rock Orchestra, Jacobs (Pentatone)
→ Sous une pochette impersonnelle marquée des initiales RJ, se trouve effectivement la trace d'un parcours égotique dont le point d'arrivée me laisse sceptique. Pourquoi tous les anciens chefs d'ensembles baroques veulent-ils diriger du XIXe siècle ? Certains en ont réellement renouvelé l'approche, comme Gardiner ou le Freiburger Barockorchester, ou bien ont remis au goût du jour des répertoires peu courus, comme Niquet… mais René Jacobs semble se contenter de jouer dans son style un peu raide (que ne compensent plus la richesse et l'inventivité des ornements ou réorchestrations, dans ce répertoire…) les tubes déjà multi-enregistrés.
Heggie – Unexpected Shadows – Jamie Barton (PentaTone)
→ Très tonal, puisant à tout un imaginaire contemporain grand public, Heggie produit une musique à la fois sophistiquée et très accessible. Cet album ne fait pas exception et Jamie Barton s'y montre déchaînée, déployant de nombreuses facettes sonores de son talent – je ne l'avais jamais entendue aussi bien timbrée, et elle maîtrise fort bien, malgré le vibrato, le genre canaille de la chanson.
→ Hors contexte dramatique (Moby-Dick, Dead Man Walking !), la musique de Heggie ne bouleverse pas autant, mais ce reste un très bel album de musique tonale et vocale d'aujourd'hui, avec des atmosphères quasi-cabaretières tout à fait charmantes (Iconic Legacies autour des quatre First Ladies Roosevelt, Lincoln, Kennedy, Bush).
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→ Le résultat est bon, mais ressemble à tout ce qu'on a déjà entendu à ce jour, les attaques plus franches, les tempi plus vifs, les orchestres plus colorés… mais ici avec un systématisme (et dans les tutti un côté orphéon pas toujours très réussi) qui ne me passionne pas particulièrement.
→ C'est dans l'absolu un très bel enregistrement, mais il n'y a aucune raison, dans le genre « informé », d'écouter ce disque plutôt que d'aller du côté des intégrales de Goodman, De Vriend, Immerseel ou Minkowski, dont les qualités instrumentales et stylistiques sont comparables, mais avec un sens poétique bien plus développé. Symétriquement, une petite déception qu'un chef aussi talentueux que Jacobs fasse de bons Schubert plutôt que des résurrections magistrales d'œuvres inconnues, comme il le fit avec Conti ou Graun…
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→ Le tout culmine dans l'irrésistible Statuesque qui présente plaisamment des sculptures (Moore, Picasso, d'Hatchepsout, Giacometti, Victoire de Samothrace…)… qui s'expriment à la première personne ! Dans une harmonie riche, mais qui épouse uniquement l'expression et ne vole pas la vedette : drôle et persuasif, peut-être le grand cycle de Songs de ce début de XXIe siècle !
→ La Victoire de Samothrace : « You don't even know where I was raised » / « No interest in what I'm thinking or dreaming […], don't you notice anything you self-centered son of a […], don't you notice or care : I don't have a HEAD ! ».
Gossec, Symphonie à 17 parties ; Beethoven, Symphonie n°5 — Les Siècles, Roth (HM)
→ Interprétation vigoureuse et abrupte de la Cinquième, qui place le tranchant du trait avant la polyphonie – on entend assez peu les parties intermédiaires, les vents colorent les cordes, mais le geste général reste impressionnant. Le tout souligne davantage la filiation avec l'écriture très verticale de Gluck (grands accords dramatiques) que la personnalité de Beethoven (avec un soin de chaque contrechant, un étagement de chaque couleur au sein de l'orchestre) ou sa modernité (impression cinétique et linéaire, moins d'insistance sur le motif circulaire).
→ Dans le scherzo, les bassons et les cordes sul ponticello grincent d'une façon assez fantastique, très atmosphérique – même si la prise de son augmente articificiellement leur dynamique.
Grétry – Richard Cœur de Lion – de Hys, Mechelen, Loulédjian, Perbost, Boudet ; Le Concert Spirituel, Niquet (CVS)
→ Enfin une version moderne, informée – avec les dialogues conservés sur disque, Dieu merci ! – et remarquablement chantée, essentiellement par des chouchous (de Hys, Loulédjian, Perbost, Boudet), aux voix claires et expressives, le tout trépidé par Niquet. La production visuelle de Pynkoski, d'un traditionnel luxueux (et non sans un second degré salvateur), ajoutait à la splendeur, le DVD paraîtra peut-être.
→ Je comprends mieux, dans ce contexte, l'enthousiasme soulevé par la pièce ; avec les dialogues, l'intrigue complète paraît un peu plus trépidante ; avec une exécution informée, beaucoup de numéros qui semblaient ternes révèlent de véritables beautés. Ce n'est pas le grand opéra comique ni le plus grand Grétry, mais c'est un divertissement particulièrement rafraîchissant et séduisant !
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→ Très belle interprétation très aboutie de Beethoven, au grain superbe typique des Siècles (assez sombre pour un orchestre sur instruments d'époque), dans un genre qui n'est pas celui qui a ma faveur. Comme les Haydn par Guy van Waas, c'est l'occasion de découvrir comment pouvaient sonner ces œuvres telles que comprises et jouées par des artistes français de l'époque.
→ Le beau Gossec est ici joué, de même, avec une allure un peu militaire, très verticale et régulière, qui ne tire pas tant, là encore, le parti des lignes intermédiaires que de l'élan général.
Schmitt – Mélodies – Diethelm, Haug, Gmünder, Perler ; Romer, Rushton (Resonus Classics)
→ Massif complexe et varié, tantôt dans l'épure contemplative (Op.4), tantôt explorant des textures qui préfigurent quasiment les grandes superpositions trillées d'accords à la Messiaen (Kérob-Shal).
→ Superbes voix, en particulier masculines, et diction tout à fait décente dans l'ensemble malgré les accents forts (mais des camarades soutiennent au contraire que c'est trop peu articulé, divergence entre nous).
→ À connaître : singulier, évocateur, et bien servi.
Mozart – « Magic Mozart », airs d'opéra et de concert, pantomimes de Pantalon & Colombine – Devos, Piau, Desandre, Barbeyrac, Felix, Sempey ; Insula Orchestra, Équilbey (Erato)
→ Insula Orchestra, formé d'invidividualités extraordinaires, a ses bons jours et quelquefois, suivant le chef et la préparation, un petit manque de cohésion et/ou de vision. On entend un peu cette limite ici : la prise de son ne révèle complètement pas les beautés souveraines des timbres, et l'interprétation qu'imprime Équilbey ici paraît demeurer assez traditionnelle, sans prendre le parti de l'orchestre à cordes.
→ Jolis airs très courus, pas forcément dans des versions de référence, en dehors du second air de la Reine de la Nuit avec Jodie Devos, où les respirations orchestrales, la focalisation vocale extrême et le geste expressif des deux produisent l'une des plus belles interprétations jamais gravées de cette pièce rebattue !
Hummel – Sonate en fa mineur, arrangements de Mozart (Concerto n°24) et Beethoven (Symphonie n°1) pour piano, flûte, violon et violoncelle – Visovan, Besson, Bernardini, Munckhof (Ricercar)
→ Très belle interprétation, souple et frémissante, mettant en valeur les (toutes petites) tensions et les progressions par de minuscules ralentissements et détours de phrasé, dans une Sonate à la langue postclassique, mais qui ménage de forts contrastes entre les épisodes majeurs et mineurs, parcourues de fureurs soudaines qui sentent leur Beethoven. Quant au final, et en particulier à son grand fugato, il explose tout à fait la forme traditionnelle et évoque la démesure de la Hammerklavier !
Couperin, Leclair, Blavet, B. Gilles, Naudot… – « Versailles » – Gábor Boldoczki (Flügelhorn, trompette), Cappella Gabetta (Sony)
→ La Cappella Gabetta est toujours aussi frémissante, mais le cuivre moderne posé par-dessus (accentué par la prise de son qui le met à l'avant) tend à tout écraser, inévitablement, à rester déconnecté des timbres mats et chaleureux des cordes en boyaux.
→ On se retrouve ici, malgré le programme très original, devant une suite de jolies mélodies qui ne tiennent pas beaucoup au corps. Des extraits d'opéras auraient sans doute été plus pertinents, comme le montre la Contredanse finale des Boréades.
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→ Dans la Symphonie de Beethoven, malgré l'effectif très réduit, le piano d'époque (avec la douceur de ses aigus et la force de son médium, sur un Graf éblouissant de 1835) permet de dynamiser extraordinairement le discours, mieux qu'avec n'importe quel orchestre cinglant ! Les éléments d'origine sont tous présents car les parties sont réellement récrites et réattribuées (ce qui est rare dans ce type d'exercice : beaucoup plus de travail, un véritable travail de compositeur), de façon à éviter d'omettre des lignes intéressantes au profit de celles plus insignifiantes conservées pour les instruments qu'on a conservés. Grâce à cela, on n'a jamais mieux entendu toutes les lignes intermédiaires et contrechants de cette symphonie !
Single de Siobhán Stagg – Listen (feat. Paul Hankinson & Dermot Tutty). (Records DK)
→ Mignon. Pas trouvé l'album.
Mahler – Das Lied von der Erde (réduction De Leeuw) – Richardot, Saelens ; Het Collectif, De Leeuw (Alpha)
→ Très belle et moderne réduction au grain remarquable (l'harmonium remplit et colore très bien les espaces restants du spectre, le célesta aussi). Direction furieuse de Reinbert De Leeuw, décidément un immense chef, et instrumentistes absolument fulgurants et possédés !
Saelens et Richardot sont merveilleux, timbre et expression inclus ; il existe évidemment des diseurs plus précis, mais je ne crois pas, globalement, avoir entendu version aussi enthousiasmante !
Schumann – Kerner-Lieder, Ballades ('Stille Liebe') – Hasselhorn, Joseph Middleton (HM)
→ L'impression de l'accentuation de son côté « baryton » (alors que le matériau est potentiellement celui d'un baryton très aigu, voire d'un ténor), qui étouffe un peu la voix et diminue l'aspect direct de la voix (qui conserve ses problèmes de couverture inégale).
→ Pour autant, le charisme qu'il manifeste dans ce répertoire, qu'il chante depuis toujours (il allait loin dans les compétitions de lied, où il m'avait beaucoup impressionné, bien avant qu'il ne finisse ses études et ne remporte Reine Élisabeth !), demeure très persuasif, on sent la respiration poétique qui s'allie à la musique, même si la voix, de surcroît pas très phonogénique, conserve des lacunes techniques – il lui sera difficile de s'imposer à l'opéra, ne serait-ce que pour passer l'orchestre sans être happé ni s'épuiser.
→ Très bel album néanmoins, qui touche juste, et avec naturel ! On n'a pas beaucoup de versions aussi fluides des Kerner !
Melani – L'Empio Punito (1669) – Auser Musici (Glossa)
→ J'avais de meilleurs souvenirs de cette variante donjuanesque (Montpellier au début des années 2000 ?), tout de même un très hiératique drame façon recitar cantando ; il se passe beaucoup de choses par rapport à la concurrence des décennies antérieures, mais on est loin de la générosité mélodique et dramatique des meilleurs opus. Par ailleurs, l'accompagnement un peu chiche en couleurs et les voix pertinentes mais pas très séduisantes n'aident pas.
À réécouter en m'immergeant plus activement dans le livret (cette fois-ci, à l'oreille seule, ce n'est pas suffisant), il semble y avoir tout de même de bien belles choses.
Rameau, Les Boréades – Luks (CVS)
→ Contre toute attente peut-être, les Tchèques qui ont brillé intensément dans la musique italienne et habsbourgeoise se révèlent aussi remarquablement rompus au style français. Jusqu'aux chanteurs (émission claire, mixée, moelleuse et très projetée du baryton Tomáš Šelc en Borilée, on croirait entendre un élève de Courtis !), tous excellents – Cachet, Vidal, Kristjánsson, Brooymans… à couper le souffle.
→ Seule réserve, la prise de son que je trouve un peu frontale, très proche des micros, assez massive et agressive, manquant d'atmosphère où se déployer. Autrement, une interprétation d'opéra français comme on n'en a pas tous les jours, pour un opéra où l'on avait le choix entre Gardiner (distribution moins parfaite, récitatifs qui ont beaucoup vieilli) et Christie (très dynamique, mais avec peu de couleurs, et là aussi une distribution moins intéressante).
Cherubini – Missa solemnis en ré mineur – Bernius (Carus)
→ Très bel ensemble remarquablement écrit, comparable au style de ses requiems (riches en prosodie, travaillés sur la déclamation et au besoin le contrepoint), mais avec des solistes très bien mis en valeur. Le tout joué avec la finesse de trait et de style de Bernius.
Rameau, Pygmalion (air et danses), Suites de Dardanus ; Dahlin, Orfeo Barockorchester, Michi Gaigg (ints-1) (CPO)
→ Savoureuse interprétation très réussie (qui aurait mérité une intégrale, pour une oeuvre déjà remarquablement servie au disque).
« Su le sponde del Tebro » : Frescobaldi, Haendel, Verdi arrangés pour Quintette de cuivres – Stagg, membres du DSOB (Capriccio)
→ Chouette projet (cantate de Haendel qui donne sont nom à l'album, extraits des Vêpres Siciliennes…), mais franchement, les timbres d'un quintette de cuivres, ça manque de grâce – tout le monde s'accorde à dire que le tuba n'aurait jamais dû être inventé.

Montéclair – Cantates Ariane & Bacchus, Le Dépit Généreux, Concert n°1 pour flûte – Carrie Henneman Shaw, Leela Breithaupt, Les Ordinaires, Vinikour (Naxos)
→ Belles cantates, chantées par une voix très typée américaine (beaucoup de souffle dans la voix pour faire léger) à la diction moyenne. Superbe Concert pour flûte joué avec chaleur.

« Futurisme », la jeune école italienne  – Schleiermacher (MDG 2019)
→ Francesco Balilla Pratella (1880-1955) La Battaglia. (1913) // Très martelé.
Malipiero (1882-1973) Preludi autunnali (1914). Toujours cette galanterie un peu élusive chez Malipiero.
→ Alberto Savinio (1891-1952) Les chants de la Mi-Mort (1914) /// Mélange de masses menaçantes et d'échos de chants populaires, tellement futuriste et très convaincant.
Casella (1883-1947) La notte alta (1917) // 25 minutes en seul mouvement, dans des harmonies et des atmosphères qui évoquent les Clairs de lune de Decaux. Impressionnant.
→ Silvio Mix (1900-1927) Stati d’animo (1923), Profilo sintetico musicale di F.T. Marinetti (1924) // Belle solennité répétitive et aux échos étranges, pour le Profil de Marinetti.
→ Et toujours la fermeté de touche de Schleiermacher, démiurge du piano alternatif du premier XXe siècle. Son legs, incroyablement vaste, est capital pour notre compréhension de plusieurs mouvements musicaux fondamentaux.

BECK, F.I. / HAYDN, J. / GLUCK, C.W. / JOMMELLI, N. / TRAETTA, T. (Sturm und Drang, Vol. 1) - Symphonies and Opera Arias - (Skerath, The Mozartists, Iain Page) (SIgnum 2020)
→ Beau disqued dans la veine dramatique postgluckiste aux cavalcades régulières et au geste hiératique. Très réussi.







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Bouzignac – Motets – Pages de la Chapelle, Arts Florissants, Christie (HM)
→ Le hiératique précurseur Bouzignac mériterait de véritables versions d'élite, mais le disque ne le sert pas très bien. Cet enregistrement des jeunes Arts Flo ne fait pas exception : techniques vocales hésitantes, style encore empesé (le sens du rebond est plus celui de Paillard que des Arts Flo actuel), son général plus mou qu'incisif…
→ Version estimable, mais qui ne rend pas vraiment justice à ces œuvres déjà sévères, dont les beautés ne sont pas très bien mises en valeur.
lambert airs de cour arts flo

secrets live annie fischer

brahms piano rafael orozco

vierne 24 pièces de fantaisie litaize
Mahler – Symphonies 1,4,5,6,7,9 – SWR Baden-Baden, Rosbaud (SWR Classic)
→ Pour les symphonies que j'ai écoutées, des versions au spectre sonore un peu disjoint (pas de lissage des timbres), mais d'une hauteur de vue remarquable, profitant de l'aération pour donner sens et articulation au discours, sans du tout sonner dépareillé. De grandes lectures qui n'ont pas besoin du confort du studio avec un orchestre plus luxueux pour se révéler. Très hautement recommandé.







autres nouvelles écoutes : œuvres autres nouvelles écoutes : versions


Hummel – Quintette piano-cordes – Hausmusic (warner)
→ Belle version avec piano ancien, d'une œuvre un peu formelle, mais bien construite et dotée de mélodiques agréables, à défaut d'être le Hummel le plus irrésistible (on peut tout de même songer par endroit au Nonette de Czerny, ce qui n'est pas un mince compliment).
Zemlinsky – Der Traumgörge – J. Martin, Protschka, Welker ; Frankfurt RSO, G. Albrecht (Capriccio)
→ Le niveau au-dessus de Conlon (interprétation et captation), bien plus liquide et transparent… Je redécouvre un beau drame décadent. Pas le plus original ni paroxystique, mais tant de belles choses à écouter à l'orchestre (solos de hautbois, de trompette qui sont assez merveilleux…).
Vivaldi, Hummel – Concertos pour mandoline –Kruglov, Northern Crown Soloists Ensemble
→ Les Vivaldi, très bien documentés, ne sont pas leur version de référence (un peu lisse, quoique très valeureux), mais rayonnent toujours de leur veine mélodique hors du commun. Le Hummel met en valeur le même type d'atouts.

Saint-Saëns – Symphonie n°3, Phaëton, Danse Macabre, Bacchanale – Anthony Newman, Pittsburgh SO, Maazel (Sony)
→ Brillante exécution qui pétarade avec beaucoup de vigueur de trait et de structure !
Heggie – Dead Man Walking – DiDonato, Cutlip, von Stade, Brueggergosman, Mentzer ; Houston, P. Summers (Virgin 2012)
→ Agréable, dans un goût musical assez mainstream ; je ne suis peut-être pas assez saisi par l'histoire elle-même (prévisible dès le premier tableau) pour que la musique d'accompagnement m'emporte assez. À essayer à la scène.
Saint-Saëns – Africa, Symphonie n°2 – Laura Mikkola, Tapiola Sinfonietta, J.J. Kantorow (BIS)
→ Limpide et furieuse version de la sombre et vive Deuxième de Saint-Saëns !
Leila Huissoud, (Album) L'Ombre (Label 440)
→ Toujours cette difficulté de saisir au vol des chansons marquantes, mais un corpus général plus banal ou, comme ici, dans la même veine. Mais j'apprécie beaucoup cette voix pincée qui permet de focaliser avec dynamisme (et en décalage volontaire avec le propos parfois frontalement leste ou désabusé).

Le vendeur de paratonnerres de Huissoud /
L'Orage de Brassens
Gassenhauer : trio de Beethoven œuvres pour clarinette, contrebasse et piano : Vera Karner, Dominik Wagner, Aurelia Visovan, Matthias Schorn…
Charpentier – Miserere pour les Jésuites – Tubéry
Charpentier – Miserere pour les Jésuites – Daucé
- Belle œuvre dont l'aspect mouvant demeure caché dans ses plis internes, absolument pas ostentatoire.
- Tubéry me séduit davantage (plus vif, plus déhanché), mais Daucé, au diapason bien plus bas, dispose comme toujours de superbes couleurs (et d'un certain manque de rebond assez préjudiciable, à mon goût).
Haendel / Mozart – Der Messias – H. Max (EMI)
Leïla Huissoud : La Vieille, Infidèle… (bandes de concerts) Schumann – Lieder (Kerner, Ballades…) – von Otter, Forsberg (DGG)
→ Von Otter dans sa grande période, en pleine gloire et fruité, et toujours ce sens du texte extraordinaire, ce goût de phrasé hors du commun qu'elle n'a jamais perdus. Die Löwenbraut est à couper le souffle. (Couplé avec son formidable Frauenliebe que je n'ai pas réécouté.)
Viardot – Scène d'Hermione – Patricia Adkins Chiti, Gianpaolo Chiti (YT)
- Belle scène dramatique, d'un Viardot inhabituellement rempli d'emphase et de sérieux. Interprétation inintelligibles : joli chant dans les joues, mais diction étrangère au français.
Dumora dans Fauré, Haendel...
Wildhorn – Dracula (dans sa version anglaise cette fois) – représentation Broadway, puis studio
→ Impressionné, à Broadway maintenant les héroïnes finissent toutes nues (les deux). L'aspect allusif autour de l'attraction physique pas univoquement magique est devenu une assertion assez frontale… Pas fanatique non plus, dans le studio, des voix qui gémissent à chaque attaque, point trop n'en faut – tic stylistique très répandu aujourd'hui quel que soit le répertoire (en pop au sens très large).
→ Sinon, la partition et l'intrigue demeurent toujours très prenantes, l'ensemble fonctionne vraiment bien – moins, évidemment, quand on colle les jolies chansons planantes les unes à la suite des autres dans un enregistrement de studio, il faut vraiment avoir vu une production complète au préalable pour goûter l'objet.

Gilles – Toutes les leçons de Ténèbres pour le Mercredy – Boston Camerata
→ Un peu de rigidité pour ce chef-d'œuvre absolu (qui traite les Lamentations en antiphonie soliste-chœur, et où la déclamation est grande maîtresse), mais c'est au moins l'occasion de pouvoir l'entendre !
Première fois que je parviens à toutes les entendre.

Niedermeyer – Le Lac – Novelli
→ Étrange voix nasale, qui sonne peut-être bien avec plus de rayonnement en vrai. Diction très claire grâce à ce biais pas très gracieux.

Gluck, Symphonies ; Orfeo Barockorchester, Michi Gaigg (CPO)
→ On y retrouve le sens de la tension propre à Gluck, plutôt à son meilleur ici (même si le but n'est pas du tout d'atteindre le même pathétique et la même qualité mélodique que dans les opéras). Très réussi, exécution incluse ; il n'y a pas de raison de se priver de cette partie de son legs.

Holzbauer, Symphonies ; Orfeo Barockorchester, Michi Gaigg (CPO)
→ Belles œuvres qui ne frappent pas par leur originalité mais fonctionnent agréablement, dans le genre classique (et légèrement dramatique) qui est le leur. Belle interprétation énergique, quoique très peu colorée (on y entend surtout le tranchant des très belles cordes).
(Je recommande en revanche vivement les opéras.)







réécoutes œuvres (dans mêmes versions) réécoutes versions


Dallapiccola – Vol de nuit – Isabelle Vernet, soprano (Madame Fabien) Hélène Le Corre, soprano (Une voix intérieure) François Le Roux, baryton (Rivière) Jérôme Corréas, baryton-basse (Robineau) Yann Beuron, ténor (Pellerin) Guy Gabelle, ténor (Le radiotélégraphiste) Jean-Marc Salzmann, baryton (Leroux) Daniel Durand, Pierre Vaello, Patrick Radelet, Bernard Polisset, ténors, basses (quatre employés) Choeur de Radio France Orchestre Philharmonique de Radio France diretti da Marek Janowski. Registrazione live effettuata alla Cité de la musique, Parigi, il 12 gennaio 1999. Charpentier – Méditations pour le Carême
→ en chapelle, Les Arts Florissants, Christie (HM) ***
→ en chapelle, Le Concert Spirituel, Hervé Niquet (Glossa) **
→ en chapelle, M.-C. Alain (BNF) **
→ Beekman, Getchell, Robbert Muuse ; Bolton, Benjamin Perrot, Desenclos (Alpha) ****
→ García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas (Ambronay) *****
Hummel – Quatuor avec clarinette – Finotti (Naxos)
→ Veine très mozartienne (même début), la virtuosité des cordes en sus. Une petite merveille, comme il en existe un certain nombre dans la période pour la musique de chambre avec clarinette (Krommer, Cartellieri, Neukomm, Weber, Hoffmeister, Bachmann…).
Schumann, Die Löwenbraut : ****Hasselhorn-Middleton, ***DFD-Demus, ***Bauer-Eisenlohr, **Goerne-Schneider, ***Gerhaher-Huber, *Hotter-Raucheisen, ***J.Prégardien-Piau-LeSage, **Karg-Martineau, ****vonOtter-Forsberg
Heggie – Moby-Dick (EuroArts)




liste nouveautés : œuvres liste nouveautés : versions




Bollon orchestral works

walter kaufmann chamber ARC ensemble Chandos
goldberg harpe : ramsay

Xmas carols SWR vocal Ens

→ beeth sonates violon FP Zimmermann BIS

arod schubt 14
→ bach &fds corti
→ rvw job hallé elder songs travel neal davies

→ armand-louis couperin rousset
→ hammerschimidt, jesus stirbt, vox luminis
→ amirov, 1001 nuits
→ rubinstein le bal pour piano
→ zipoli in diamantina
→ "O! solitude, my sweetest choice" de Purcel/Britten (adaptation) sur le texte de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant.
→ toccata classics : mihalovici, proko by arrangement, szentpali, ruoff…
→ anima rara par jaho
→ mzt van kuijk
→ vienne 1905-1910, richter ensemble
→ bruch ccto é pias
→ bach sons controcorrent
→ london circa 1720
→ il genio inglese alice laferrière
→ rathaus & shota par stoupel
→ bruckner symph 0 hj albrecht orgue
→ weinberg symph 6 altenburg gera
→ turalngalila mannheim
→ nielsen œuvres violon-piano hasse borup naxos
→ fuchs sonates violon
→ fasch clavier
→ hithcock spinet : burney & others
→ venice and beyond concerti da camera sonate concertate pour vents
→ leclair complete sonatas 2 violons
→ Petite Renarde Rattle
→ deshayes haidan 2 mezzos sinon rien
→ respighi chailly
→ ysaÿe 6 sonates par niklas valentin
→ earth music cappella de la torre
→ jommelli requiem
→ novak piano ccto, wood nymph
→ titelouze messes retrouvées vol.2
→ bronsart Jery
→ Bo, Pstrokońska-Nawratil & Moss: Chamber Works
Łukasz Długosz
vermeer bologna
→ standley et ens contrast schubt
→ nature whispering
→ Petite Renarde Rattle
→ chant de la Terre I.Fischer RDS
→ lamento (alpha)
→ fasch
→ earth music capella de la torre
→ nielsen complete violin solo & piano, hasse borup
→ manén violon cc
→ quintette dubughon holst taffanel françaix
→ fuchs sonates vln
→ meyerbeer esule
→ bononcini polifemo
→ graund polydorus
→ polisu kaleidoscope ravel pia duo
→ aho symph 5 currie
→ anima gementem cano
→ purcell royal welcome songs
→ gombert messe beauty farm
mahler 4 turku segerstam
chosta 5 jansons bayrso
bruckner 4,5,6,7 munich PO gergiev
beethoven 7 saito kinen ozawa
beethoven sonates 8-11 giltburg
beethoven concertos piano sw chb bavouzet
ardeo SQ xiii
schwanengesang behle
→ bizet sans paroles gouin
→ respigni chailly scala
→ st-saêns chopin callaghan
→ Mülemann mzt
wohlhauser (neos)
john thomas duos harpe piano vol.1 (toccata)
arnold rosner requiem (toccata)
moszkowski orchestral vol 2
idenstam metal angel (toccata)
corigliano caravassius siegel pour guitare (orchid)
iannotta : earthing (wergo)
imaginary mirror hasselt (challenge)
lundquist symphonies (swedish society)
eklund symphs 3 5 11 norrköping (CPO)
peaceful choir
spisak works (dux)
zemlinsky, rabl : quatuors (Zimper, gramola)
goleminov SQ par sofia SQ
rachma par babayan DGG

huelgas the magic of polyphony

debussy intégrale alessandra ammara

mozart arias II regula mühlemann

bells, album athony romaniuk






écoutes à (re)faire

→ Krogulski/Nowakowski (Goerner)
→ Stolpe


HIGH ROAD TO KILKENNY (THE) - Gaelic Songs and Dances from the 17th and 18th Centuries (Getchell, Les Musiciens de Saint-Julien, Lazarevitch)
→ Lazzari, . Effet de Nuit fait son effet, par contre, la symphonie est interminable et les autres pièces symphoniques pas palpitantes (j'ai même trouvé la rhapsodie spécialement niaise). son trio pour piano et sa sonate pour violon ravi

→ Joubert (hors quatuors, je n'ai pas pris de notes), : la symphonie No. 2 (moment ineffable dans le II avant un finale diabolique), le concerto pour hautbois (sombre et véhément) et les pièces chambristes. Le cycle vocal Landscapes, le trio pour piano avec beaucoup d'atmosphères, ses sonates pour piano, surtout la No. 2,
→ tailleferre
→ final choral 2e partie Theodora
→ hummel
→ Marshall-Luck pour la Sonate violon d'Elgar
→ Requiem de Kastalsky par Slatkin
→ dallapiccola vol de nuit
→ Alla Pavlova musique de film sous étiquette symphonique. C’est très sucré
→ Stacey Garrop l’aspect narratif de ses pièces (sa symphonie Mythology collection de poèmes symphoniques
→ Ses quatuors
→ Lea Auerbach sa musique de chambre, souvent autour des variations, jeux de miroirs au sein de la même pièce ou entre les pièces (les mouettes du I dans son premier trio), ses motorismes, toutes ces choses et plus encore me transportent.
→→ Ses deux trios pour piano et ses 24 préludes (surtout ceux pour violoncelle et piano, même si violon et piano, un autre numéro d’opus, sont de haute volée) seraient mes premières recommandations.

→ Gloria Coates Noir, tourmenté, très râpeux
→ Rosalind Ellicott quelle verve mélodique ! Ses deux trios pour piano
→ En vitesse, Lucija Garuta a laissé un très beau concerto pour piano, Louise Héritte-Viardot 3 quatuors de belle facture, Rita Strohl un saisissant duo violoncelle/piano Titus et Bérénice. Elisabeth Lutyens m’a été très difficile d’approche, mais elle a définitivement des choses à dire.
→ Australiennes, comme Myriam Hyde, Elena Kats-Chernin et Margareth Sutherland (Women of Note, permet de se faire une idée des noms qui accrochent).
schleiermacher

moszkowski catalogue

hauer opéra

rubbra ccto pia, botstein

mephisto minnesota oue

callirhoe chaminade

tailleferre cc 2 pianos, hommage à rameau
barber sonata kenny
copland sonata

trauermusik haydn

voces8 marcello

compét' symphonistes brits

sawyer 4
vaccai sposa messina

polonia panufnik

cantates jacquet
kinkel
holmès
bosmans
sokolovic
kapralova
nowowiejski org

comala

tout gold MDG : leipziger (gade, sibelius, schoeck), consortium…

tout Hortus Gde guerre
opéras CPO : pfitzner, fibich, weingartner, feuersnot…

delius mass of life

DUX bacewicz vln-pia

saygun
moeran songs

Emile Jaques-Dalcroze: La Veillée
par Le Chant Sacré Genève, Orchestre de Chambre de Geneve, Romain Mayor

abraham, hollaender

… les lecteurs assidus reconnaîtront que cette dernière liste est largement constituée de copié-collés des explorations du seigneur Mefistofele, pilier des conversations interlopes de céans.




… de quoi vous occuper quelque temps au coin du feu tandis que le monde brûle.

lundi 14 septembre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 11 : contrebasse, Schmidt, Lang Lang, Smyth, vive les Turcs


La fin d'août et la rentrée… Avalanche de nouveautés (et de balades sans musique) : je suis loin d'avoir couvert, pour cette fois, ce qui m'intéressait prioritairement.

En train de découvrir les Schmidt de Paavo Järvi & Radio-Francfort (qui semblent être une véritable tuerie), pas encore essayé l'opéra de Bronsart, et encore tant de choses à essayer… Septembre (et la pause estivale dans la Grande Crise de la Fin du Monde ?) semble avoir déchaîné une avalanche de parutions, plus ambitieuses (plusieurs opéras, genre onéreux et plutôt moins représenté en nombre de parutions que les autres), alors même que l'été était resté suffisamment prodigue pour ne pas avoir le temps de tout découvrir.

À découvrir ce mois-ci ? 

¶ Le duo alto-contrebasse de Dittersdorf, l'arrangement de la Surprise de Haydn pour quintette, les beaux équilibres de Moszkowski, le premier concerto de Vladigerov, les trios à aspect français de compositeurs turcs (Ainar en tête), bien sûr la parution attendue du Timbre d'argent de Saint-Saëns.

¶ Si je n'ai pas été totalement emporté par l'intégrale Ives de Dudamel, la période fut riche en interprétations très marquantes : ainsi le disque d'arrangements d'opéras et pièces d'anches françaises de Jarry aux orgues royales, les Haydn du Chiaroscuro SQ, l'époustoubouriffante intégrale Schmidt par Paavo Järvi et… les Goldberg de Lang Lang. (J'en suis le premier surpris – je ne vais tout de même pas mentir pour vous extorquer votre confiance et ma bonne réputation.)

¶ Hors nouveautés, émerveillé de trouver de si belles formes sonates (mêlant science de construction et thèmes vifs très américano-folklorisants !) chez Ethel Smyth (sonates violon-piano et violoncelle-piano, Quintette à deux violoncelle…), que je n'admirais pas particulièrement dans ses œuvres orchestrales. Sinon, exploration de la discographie du Leipziger Streichquartett et du Chiaroscuro SQ, de grandes satisfactions de ce côté-là.

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)





commentaires nouveautés : œuvres commentaires nouveautés : versions



Schmidt – Symphonies – Frankfurt RSO, Paavo Järvi (DGG)
→ Au sein de ce corpus extraordinaire, voire majeur, le plaisir d'entendre une version qui s'impose d'emblée comme colorée, frémissante, captée avec profondeur et détails, par un orchestre de première classe, et surtout articulée avec ce sens incroyable des transitions qui caractérise l'art de Järvi. Chacune des symphonies en sort grandie. Indispensable.
Moszkowski – Suites 2 & 3 (œuvres orchestrales vol.2) – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics)
→ Superbe début en choral, aux vents seuls (on entend rugir le contrebasson), suite de progression très brahmsienne lorsque arrivent les cordes. Œuvres particulièrement éloquentes dans leur sobriété assez entraînante (mais non sans métier ni subtilités !).
Bach – Variations Goldberg – Lang Lang (DGG)
→ Admiratif de la force vitale qui émane de cet enregistrement : tout ce qu'on reproche d'ordinaire à Lang Lang (la virtuosité sans objet, l'amusement avec les touches plutôt que la recherche d'un propos musical) se canalise pour produire le meilleur, un Bach digitalement immaculé, mais qui palpite comme rarement, de surcroît servi par des ornementations variées et informées stylistiquement (quelques ajouts plus personnels également, très bienvenus dans les reprises).
→ Dans les parties plus lentes, il parvient simultanément à ménager une suspension plus romantisante, d'un genre plus perahiaïsant. Je ne comptais même pas écouter cette nouveauté (n'étant pas le plus grand amateur des Goldberg, ni de Lang Lang à quelques exceptions près), et j'en ressors électrisé.
What's Next Vivaldi ? (Vivaldi, Francesconi, Stroppa, Sollima, Bartók…) – Kopachinskaja, Giardino Armonico, Antonini (Alpha)
→ Tissage de concertos de Vivaldi avec des oeuvres contemporaines ; même les concertos sont contaminés par des cadences en forme de happenings (grincements, cris, sorties de route). Amusant, mais on ne reconnaît plus vraiment les oeuvres à force de distorsion, le jeu prend la place de la musique, comme lorsque le pianiste amateur s'amuse à jouer son Chopin façon boogy. Amusant une fois, mais ce ne donne pas nécessairement envie de réécouter (ni d'acheter).
Fauré, Debussy, Ravel, Poulenc – Mélodies célèbres – Devieilhe, Tharaud (Erato)
→ Belle lecture de ces pages courues, avec le retour d'une voix très focalisée, nette et brillante malgré les récentes maternités. J'avoue être plus sensible à des lectures où le texte est davantage mis en valeur, mais le résultat musical est assez somptueux ici. Selon votre sensibilité, donc.
Léopold Ier – Il Sagrifizio d'Abramo + Miserere – Weser-Renaissance (CPO)
→ Œuvres de l'empereur du Saint-Empire. Dans un style très premier-XVIIe (alors que son long règne s'étend sur la seconde moitié du siècle et le début du suivant), déclamation assez sèche sur accords, mais dotée d'une harmonie plutôt mobile et d'une belle collection de lignes mélodies expressives. Un peu formel quelquefois, peut-être, mais toute la palette du pathétique italien se trouve remarquablement convoquée.
→ Très vivante version d'Abramo, aux voix nettes, au continuo très épuré (peu de remplissage entre les accords) mais non sans poussée.
→ Moins convaincu par le Miserere, essentiellement traité comme une cantate sacréee monodique (malgré le choix de varier les tessitures), et jouée avec un statisme qui n'en tire pas le plus de tension possible (sur une musique aussi simple, la tension m'apparaît comme une bonne chose).
Britten, Peter Grimes – Skelton, Bergen PO, Gardner (Chandos)
→ Belle version, captée un peu trop vaporeusement (alors que les bandes vidéo du concert sur le vif étaient beaucoup présentes et tranchantes). Comme toujours, la tension n'est pas facile à créer passé le premier tableau, dans une œuvre très étale, et la prise de son accentue cette impression, malgré une diction des protagonistes plus intelligible qu'à l'accoutumée dans cette œuvre.
Pancho Vladigerov – Les 5 Concertos pour piano – Moussev, Drenikov, Gatev, Pancho Vladigerov ; Bulgarie NRSO, Xander Vladigerov
→ Étonnant corpus, débutant par un Premier au postromantisme vraiment personnel, un contour mélodique propre, des enchaînements audacieux. Mais variable selon les concertos et même les mouvements, avec des morceaux qui imitent Chopin (final du Première) et un Quatrième qui se tourne résolument vers Rachmaninov (et plutôt celui du n°2 !). Un peu moins intéressant dans ce cadre.
→ Ébloui par Moussev dans le n°1, avec une chair, une ampleur, une qualité de timbre que les non-slaves-orientaux ne parviennent que rarement à déployer.
Haydn: String Quartets Op. 76 Nos. 1-3 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ Une exécution aussi organique, charpentée dans la structure, légère dans la touche, dans les prises de son toujours extraordinaires de BIS pour le quatuor (on ne fait pas plus aéré, proche, réaliste, c'est comme écouter du premier rang !)… on dispose donc d'une nouvelle référence assez absolue pour cet opus-sommet !
→ Le jeu des Chiaroscuro se caractérise par une diminution du sostenuto (les tenues s'étiolent, s'éteignent après une entrée très charnue), qui offre de nouvelles perspectives d'équilibres, davantage appuyées sur la mobilité des entrées sur la permanence du son. (C'est donc particulièrement enthousiasmant sur les 1 et 2, plus étrange sur l'Empereur et son mouvement lent inhabituellement dégingandé.)
H. Andriessen: Miroir de peine - Berlioz: Symphonie fantastique – Stotijn, Zuidnederland PO, Dmitri Liss (Fuga Libera)
→ La plainte d'Andriessen sur ses grands aplats de cordes est très impressionnante, et jouée avec une présence vibrante par tous les interprètes.
→ La Fantastique a l'air très belle aussi, mais j'avoue ne pas avoir eu la fantaisie de l'explorer sérieusement cette fois-ci.
Mahler – Das Lied von der Erde – Connolly, R.D. Smith, RSO Berlin, V. Jurowski (Pentatone)
→ Très belles couleurs, le grain de chaque instrument bien mis en avant jusque dans les tutti. Chanteurs moins marquants, mais valeureux.
Rott – Symphonic Works vol.1 – Gürzenich, Christopher Ward (Capriccio)
→ Des œuvres où la jeunesse est audible ; on perçoit frémir, çà et là, les prémices de la Symphonie en mi, mais on reste globalement dans l'ordre de poèmes symphoniques au romantisme bien balisé, par un orchestre devenu de haute volée sous Stenz. Plaisant, en attendant les autres volets.
Ives – Les 4 Symphonies – Los Ángeles PO, Dudamel
→ Peu de versions disposent d'une prise de son lisible. Celle-ci, aérée et habitée, permet de goûter davantage de détails au sein de ces bijoux !
Lecture qui m'a paru, autrement, exalter assez peu les bigarrures de ces partitions étranges.
Moscheles – Complete Piano Sonatas – Michele Bolla (Piano Classics)
→ Premier romantisme remarquablement écrit et interprété, avec beaucoup de générosité mélodique qui sert une belle progression du discours, et une interprétation totalement enflammée. On sent les parentés avec Beethoven dans les alternances contemplatives et tempêtueuses de certains mouvements – la Romance de l'opus 41 !
→ Joué sur piano d'époque, avec prise de son un peu proche et dure.
Marchand, Couperin, Dandrieu, Corrette, arrangements de LULLY (Atys, Armide), Purcell (Dido), Charpentier (Te Deum) et Rameau (Indes, Boréades) – Orgue de la Chapelle Royale de Versailles, Gaëtan Jarry (CVS)
→ Stimulant et savoureux enchaînements de pièces spectaculaires, que ce soient les grands dialogues écrits pour l'instrument ou les danses issues d'opéras, où Jarry déploie un sens des déhanchements subtils (qui ne caractérise absolument pas sa manière de chef !) et un sens des contrastes de registration qui font de l'ensemble un régal particulièrement accessible à toutes les oreilles.
Sa version à la fois hautement symphonique et très contrapuntique des Sauvages parvient même à renouveler le bis le plus usé du répertoire baroque.
Busoni – Œuvres pour deux pianos : Fantasia contrappuntistica, arrangements de Schumann et Mozart… – Ciccolini, Orvietto, Rapetti (Naxos)
→ Arrangements vivifiantes, exécutés avec une très grande netteté. Et l'emblématique Fantaisie dans sa version encore plus démesurée, pour deux pianos !

Alnar, Tüzün, Baran, Balcı – Trios piano-cordes (turcs) – Bosphorus Trio (Naxos)
→ Alnar fait partie du « Groupe des Cinq » incluant les compositeurs turcs les plus célèbres (dont Saygun et Erkin). Il était le seul du groupe à disposer d'une formation sérieuse en musique traditionnelle, et après des études de composition auprès de Joseph Marx, il applique les modes et rythmes locaux dans ses œuvres – comme ce trio de 1929 révisé en 1966, aux couleurs assez françaises (type Koechlin-Ropartz-Cras) malgré son dépouillement. Très belle partition. Tüzün s'inscrit dans une esthétique comparable.
→ Baran évoque les moments les plus étales de Koechlin ou Decaux, alternant avec un lyrisme cabossé et inquiétant à la soviétique, comme on en a dans les mouvements lents de Chostakovitch et Prokofiev… et émerge soudain un bout d'ostinato de la Danse du Sabre de Gayaneh (Khatchatourian) !
→ Moins convaincu par le plus jeune, Balcı, dont le langage tonal vraiment simple semble traversés d'ostinati inspirés du riff, mais qui fonctionnent mal à mon sens, si l'on n'a pas la possibilité de jouer vraiment sur le beat. D'une manière générale, beaucoup de répétitions pour un discours qui n'est ni très original ni très passionnant.
→ Globalement, trois très beaux trios sur les quatre, dont l'excellent d'Alnar !

Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Les Siècles, Roth (Bru Zane)
→ On ne nous l'avait pas survendu, c'est ébouriffant ! Non seulement la partition est vraiment *différente* (alliages inédits avec doubles cors anglais par exemple, séquences fondées sur des ostinatos orchestraux), mais de surcroît, joué avec cette finesse et cette ardeur, Voilà du boudin paraîtrait subtil et passionnant ! Je ne croyais pas (après avoir entendu a peu ou prou tout son catalogue disponible) que Saint-Saëns fût aussi passionné d'orchestration : multiples moments sans premiers violons, ou aux bois seuls, ou quatre violoncelles solos… Jusqu'à la chanson populaire de bas étage, sorte de parodie d'Offenbach des Bouffes !
→ L'œuvre, de 1877 (et remaniée jusqu'en 1914), est assez indatable stylistiquement : des archaïsmes façon Rossini / Meyerbeer, des archaïsmes « hardis » façon d'Indy des Chansons & Danses, des scènes où l'orchestre a sa thématique autonome (sans être wagnérien), un style général qui reste très français-XIXe, avec des ruptures ou des couleurs orchestrales qui ressortiraient davantage à l'avant-garde… plus proche d'Étienne Marcel que de Samson ou des Barbares, assurément. (le premier duo évoque celui d'Henry VIII, autre chef-d'œuvre).

→→ suite →→
→ L'intrigue elle aussi paraît n'appartenir à aucune époque : on a le pacte faustien, la rédemption sulpicienne comme dans Robert (ou Gounod) et même la bonne Hélène-Alice qui intercède auprès de Dieu, les changements de décors dans des lieux naturels spectaculaires (Berlioz), le démon omniprésent et protéiforme, les identités féminines mouvantes des Contes d'Hoffmann, par les mêmes librettistes,mais l'abandon des siens pour la quête d'absolu qui s'enfange dans des orgies sans but, c'est tout à fait Der Ferne Klang de Schreker ! Alors que le livret est structurellement une variation sur le Christmas Tale de Dickens, alors qu'on a de jolies chansonnettes çà et là, ce qui domine est un climat très sombre, désespéré, sale, décadent. Celui du péché qu'on ne peut laver, du crime qui poisse sur votre peau. En cela, l'impression générale coïncide assez avec Schreker, vains espoirs de Ferne Klang ou Spielwerk, orgies de Ferne Klang ou Gezeichneten…
→ Le plateau est formidable également, la franchise de Devos, la clarté de Yu Shao, les tourments de Montvidas… Autre raison du succès : les instruments d'époque qui apportent une grande transparence, sur laquelle les voix se déposent sans forcer, et surtout l'amour de cette musique qui ruisselle de l'engagement incroyable des Siècles, à chaque seconde, comme si elle était la plus belle jamais écrite !

HAYDN,. Symph 94 pour quintette flûte & cordes / KRAUS / DITTERSDORF duo alto contrebasse – « Music for a Viennese Salon » ; Night Music (Avie)
→ Splendide interprétation pleine de saveur sur instruments d'époque de ces belles pièces chambristes de haute facture et de cet arrangement très convaincant de la Surprise de Haydn.

Gassmann – Airs – Ania Vegry, NDRPO Hanovre, David Stern (CPO)
→ Seria du milieu XVIIIe par une voix riche, nette, très timbrée (aux voyelles peut-être insuffisamment individualisées), avec un orchestre remarquablement informé. Les pièces ne m'ont pas bouleversé, mais l'exécution est admirable, et documentent une part obscure du répertoire (en dehors de son impayable Opera seria parodique, qui n'existe même pas au disque je crois, qu'avons-nous eu de Gassmann ?).






autres nouvelles écoutes : œuvres autres nouvelles écoutes : versions


Smyth – Sonate violon-piano – Little (Chandos)
→ Superbe œuvre (veine mélodique !), fantastique version (timbre et éloquence !).
Arriaga, Symphonie en ré – Galicía, López-Cobos (YT officiel)
Moszkowski (c-1) – Œuvres orchestrales (Prélude & Fugue, Concerto pour violon, 5 Danses espagnoles) – West Side Sinfonietta (NFM)
→ Concerto pour violon joli mais standard, 5 Danses très sympathiques (piano et petit ensemble), Prélude & Fugue est le plus intense et personnel.

Moszkowski (c-1) – Jeanne d'Arc, poème symphonique en 4 mouvements (œuvres orchestrales vol.1) – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics)
Arriaga, Symphonie en ré– Chambre de Suède, Zollmann (BIS 1997)
Hauer – Études pour piano, op. 22 – Schleiermacher (MDG 2010)
→ Quoique écrit dans son système dodécaphonique, impression d'une musique assez lisse, sorte de Chopin qui évite la mélodie et cherche les détours. Très belle musique profondément apaisée, à défaut d'être réellement déstabilisant / nouveau / stimulant.
J'aime assez (plus proche de Decaux que de Schönberg, clairement).
ARRIAGA, J.C. de: Overture, Op. 20 / Herminie / Agar dans le désert (Basque Music Collection, Vol. 10) (Basque National Orchestra, Mandeal) (claves 2006)

Beethoven – Sonate violoncelle-piano n°3 Op.69 – Gastinel, Guy (Naïve)

Haydn: String Quartets Op. 20 Nos. 4-6 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ Très belle lecture sèche et vivante, manifestement sur instruments modernes montés en boyaux (ou joués comme tels !). Très réussi.

Brahms – Sextuor 1, Quatuor en ut mineur Op.61 – Leipziger SQ (MDG)
→ Très lumineuses, claires et élancées versions. Articulation limpide particulièrement appréciable dans le quatuor.

Final italiana in Algieri : Abbado, Varviso, Scimone





réécoutes œuvres (dans mêmes versions) réécoutes versions

Arriaga, Symphonie en ré – Concert des NationsSavall (Alia Vox 1994) – bissé
Moscheles – Complete Piano Sonatas – Michele Bolla (Piano Classics)
→ (cf. nouveautés)
Beethoven – Sonate violoncelle-piano n°3 Op.69 – Du Pré, Barenboim (EMI)
Vaccai – Giulietta e Romeo – Trullu (Bongiovanni)
http://carnetsol.fr/css/index.php?2020/09/02/3162
(deux fois)
Haydn: String Quartets Op. 76 Nos. 1-3 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ (cf. nouveautés)
Fried – Die verklärte Nacht – Foremny

(deux fois)
Haydn – Quatuor Op.76 n°3 – St Lawrence SQ (vidéo dans université texane)

Wagner – Das Liebesverbot : air d'Isabella : Hass, Sawallisch (Orfeo)





liste nouveautés : œuvres
liste nouveautés : versions
liste nouveautés : rééditions



schmitt mélodies

MONTÉCLAIR, M.P. de: Beloved and Betrayed - Miniature dramas for Flute and Voice (C.H. Shaw, Breithaupt, Les Ordinaires)

The Queen's Delight (English Songs and Country Dances of the 17th and 18th Centuries) Les Musiciens de Saint-Julien

Bollon orchestral works

schumann hasselhorn bouzignac te deum motets arts flo

lambert airs de cour arts flo

secrets live annie fischer

brahms piano rafael orozco
→ jommelli requiem
→ novak piano ccto, wood nymph
→ titelouze messes retrouvées vol.2
→ bronsart Jery
→ quintette vent su le sponde del tebro
→ Bo, Pstrokońska-Nawratil & Moss: Chamber Works
Łukasz Długosz
boréades Luks

goldberg harpe : ramsay

Xmas carols SWR vocal Ens

→ beeth sonates violon FP Zimmermann BIS

→ rameau pygmalion (CPO)
DFD Edition Orfeo vol 2, 3
→ fasch
→ earth music capella de la torre
→ nielsen complete violin solo & piano, hasse borup
→ manén violon cc
→ quintette dubughon holst taffanel françaix
→ fuchs sonates vln
→ meyerbeer esule
→ bononcini polifemo
→ graund polydorus
→ polisu kaleidoscope ravel pia duo
→ aho symph 5 currie
→ anima gementem cano
→ purcell royal welcome songs
→ gombert messe beauty farm
vermeer bologna
→ standley et ens contrast schubt
→ nature whispering
→ Petite Renarde Rattle
→ chant de la Terre I.Fischer RDS
→ lamento (alpha)

wohlhauser (neos)
john thomas duos harpe piano vol.1 (toccata)
arnold rosner requiem (toccata)
moszkowski orchestral vol 2
idenstam metal angel (toccata)
corigliano caravassius siegel pour guitare (orchid)
iannotta : earthing (wergo)
imaginary mirror hasselt (challenge)
lundquist symphonies (swedish society)
eklund symphs 3 5 11 norrköping (CPO)
peaceful choir
spisak works (dux)
zemlinsky, rabl : quatuors (Zimper, gramola)
goleminov SQ par sofia SQ
gombert masses beauty farm
mahler 4 turku segerstam
chosta 5 jansons bayrso
bruckner 4,5,6,7 munich PO gergiev
beethoven 7 saito kinen ozawa
beethoven sonates 8-11 giltburg
beethoven concertos piano sw chb bavouzet
ardeo SQ xiii
schwanengesang behle
→ bizet sans paroles gouin
→ respigni chailly scala
→ st-saêns chopin callaghan
→ Mühlemann mzt






écoutes à (re)faire

→ Alla Pavlova musique de film sous étiquette symphonique. C’est très sucré
→ Stacey Garrop l’aspect narratif de ses pièces (sa symphonie Mythology collection de poèmes symphoniques
→ Ses quatuors
→ Lea Auerbach sa musique de chambre, souvent autour des variations, jeux de miroirs au sein de la même pièce ou entre les pièces (les mouettes du I dans son premier trio), ses motorismes, toutes ces choses et plus encore me transportent.
→→ Ses deux trios pour piano et ses 24 préludes (surtout ceux pour violoncelle et piano, même si violon et piano, un autre numéro d’opus, sont de haute volée) seraient mes premières recommandations.

→ Gloria Coates Noir, tourmenté, très râpeux
→ Rosalind Ellicott quelle verve mélodique ! Ses deux trios pour piano
→ En vitesse, Lucija Garuta a laissé un très beau concerto pour piano, Louise Héritte-Viardot 3 quatuors de belle facture, Rita Strohl un saisissant duo violoncelle/piano Titus et Bérénice. Elisabeth Lutyens m’a été très difficile d’approche, mais elle a définitivement des choses à dire.
→ Australiennes, comme Myriam Hyde, Elena Kats-Chernin et Margareth Sutherland (Women of Note, permet de se faire une idée des noms qui accrochent).
moszkowski catalogue

hauer opéra

rubbra ccto pia, botstein

mephisto minnesota oue

callirhoe chaminade

tailleferre cc 2 pianos, hommage à rameau
barber sonata kenny
copland sonata

trauermusik haydn

voces8 marcello

compét' symphonistes brits

sawyer 4
vaccai sposa messina

polonia panufnik

cantates jacquet
kinkel
holmès
bosmans
sokolovic
kapralova






Rendez-vous avant la (prochaine) Fin du Monde !

jeudi 13 août 2020

Une décennie, un disque – 1810 : le (premier) Requiem de Cherubini, les attentats, le bannissement des femmes et le triomphe de la prosodie


1810 (b)


cherubini requiem en ut mineur

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Dies irae de la version Spering.

Compositeur : Luigi CHERUBINI (1760-1842)
Œuvre : Requiem (n°1) en ut mineur – (1816)
Commentaire 1 :
        Écrit sans voix solistes (et sans flûtes ! – quant aux violons, ils sont exclus de l'Introitus, du Kyrie et du Pie Jesu), tout ce Requiem, commandé pour commémorer la mort de Louis XVI, met l'accent sur les appuis prosodiques de la messe des morts : chaque verset est mis en musique au plus près des inflexions du texte latin, et la musique semble découler de cette déclamation. On trouve bien quelques fugues (en particulier, comme c'est la tradition, dans l'Offertoire), mais l'expression reste majoritairement homorythmique, une exaltation de la prière très soigneuse – et cependant particulièrement éloquente, car ravivant le sens et la présence de mots qui sont en général très intégrés dans un exercice plus purement musical. C'est ce qui rend l'œuvre si touchante. Le Dies iræ, dans cette économie de moyens, est tout particulièrement saisissant par sa rage contenue.
       En 1820, à l'occasion de la cérémonie funèbre pour le duc de Berry, Cherubini adjoint un In Paradisum conclusif, particulièrement suspendu, tendre et vaporeux, très rarement enregistré (ce que fait Spering dans ce disque). [Ce Requiem, admiré jusqu'à Berlioz lui-même, peu suspect de complaisance… fut aussi donné aux funérailles de Beethoven !]

Interprètes : Chorus Musicus Köln, Das Neue Orchester, Christoph Spering
Label : Opus 111 (1999)
Commentaire 2 :
       
L'interprétation la plus articulée de toute la discographie, sur instruments d'époque, en latin gallican restitué, avec la Marche initiale et l'In Paradisum ajouté.
       
Pour plus de couleurs (et un peu moins de relief structurel et verbal), la proposition d'Hervé Niquet est passionnante pour son grain sonore (et son couplage avec l'assez beau Requiem de Plantade pour Marie-Antoinette, en regard de celui de Cherubini pour Louis XVI).
      
Si vous souhaitez davantage de fondu (il est vrai que ces deux versions manquent peut-être un peu de liant, d'enveloppement sonore d'église), je recommande très vivement la version de Matthias Grünert (Chœur de Chambre de la Frauenkirche de Dresde, Philharmonique d'Alterburg-Gera, chez Rondeau), couplé avec non seulement la Marche, mais aussi le Chant sur la mort de Haydn, où l'on entend plusieurs idées musicales que Verdi a réutilisées un demi-siècle plus tard (dans les actes I et V de Don Carlos notamment). Malgré les couleurs assez uniformes, cette version permet de profiter de l'ampleur et du fondu des instruments modernes, sans rien renier de la tension et de la présence des phrasés. Autre excellent choix possible !

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Introitus & Dies iræ de la version Grünert.

cherubini requiem en ut mineur




Un peu de contexte : a) Qui est Cherubini ?

Cherubini, en 1816, est arrivé au faîte de sa réputation : après avoir composé pour le roi d'Angleterre dans les années 1780, pour le Théâtre de Monsieur avant la Révolution, des opéras italiens, une tragédie en musique (Démophoon, sur le même sujet que Vogel, qui fut la dernière tragédie en musique représentée pour l'Ancien Régime), des hymnes et drames sous la Révolution (dont Lodoïska et Emma), puis sous l'Empire (Les deux Journées tant admiré par Goethe, Médée, les Abencérages), et même son dernier opéra, plus lyrique et ambitieux, marqué par le grand opéra, Ali-Baba ou les quarante voleurs. Il est aussi l'auteur de quatuors tout à fait remarquables dont je parlerai dans la suite de la série. Et bien sûr, à partir de 1822, directeur du Conservatoire, pour 20 ans.

L'Empire est en revanche une période difficile pour le compositeur, les commandes officielles étant plutôt confiées à Paisiello et Spontini – on rapporte même quelques échanges un peu vifs avec Bonaparte (dont je n'ai pas eu le loisir de vérifier la véracité). Cette relative disgrâce constitue une des raisons, semble-t-il, qui le poussent, lui le membre de loges maçonniques dès avant la Révolution (dont l'Olympique qui commanda les symphonies parisiennes de Hayn !), vers la musique sacrée officielle.

Depuis la Restauration, la coutume a été établie, chaque 21 janvier, de jouer dans un Requiem à la mémoire de Louis XVI. En 1815, c'est même dans plusieurs églises de Paris que se produit la manifestation. À Notre-Dame, on joue le Requiem de Jommelli. En 1816, à Saint-Denis, celui de Martini. Pour janvier 1817, on commande à Cherubini – qui vient d'être nommé surintendant de la Chapelle Royale – la composition d'une nouvelle œuvre : c'est ce Requiem en ut mineur, prévu pour la dévotion plutôt que le concert et, chose rare alors, écrit pour chœur seulement, sans soliste. [Ce qui témoigne sans doute de la vocation avant tout spirituelle, et dans une moindre mesure concertante, de la pièce.]

cherubini requiem en ut mineur
(Lithographie d'après un portrait peint.)



Un peu de contexte : b) Requiem officiel des monarchies restaurées

L'œuvre remporte un vif succès, aussi bien chez l'assistance, pour sa ferveur, que chez les musiciens. Schumann et plus tard Brahms disent leur admiration ; Beethoven écrit qu'il l'aurait volontiers signée ; Berlioz, qui n'est pas suspect de complaisance envers Cherubini, loue hautement « l'abondance des idées, l'ampleur des formes, la hauteur soutenue du style, [...] la constante vérité d'expression ».

Il devient même le Requiem de prédilection pour les grandes cérémonies funèbres officielles : duc de Berry en 1820 (le fameux assassinat qui provoque la destruction de l'Opéra de la rue Richelieu, suivi de l'édification dans l'année de l'Opéra de la rue Le Peletier), occasion pour laquelle Cherubini compose et adjoint une marche funèbre d'ouverture et un In Paradisum conclusif, un nouveau service à la mémoire de Louis XVI en 1824, les obsèques de Louis XVIII la même année, celles des victimes de l'attentat de Fieschi en 1835, puis celles du maréchal Lobau en 1838, et, à rebours de cette tradition, en 1840 pour les victimes des journées de 1830 !

Cependant, son usage (et son absence) sont aussi profondément révélateurs des débats qui agitent la capitale, et même toute la chrétienté, en matière de musique sacrée.

cherubini requiem en ut mineur
Détail de l'attentat de Fieschi vu par Eugène Lami.



Un peu de contexte : c) la redécouverte du plain-chant

Une fois créé, ce Requiem rythme donc la vie monarchique française de la Restauration, et survole tout un débat, particulièrement fondamental et intense, autour de ce que doit être la musique d'église.

Il faut bien concevoir que, dans les années 1820, on redécouvre le répertoire sacré de la Renaissance. À la Sorbonne, à partir de 1824, le Pr (Alexandre) Choron rejoue Josquin et Palestrina, pour la messe, puis en concert. Le succès en est tel qu'il concurrence les « concerts spirituels », d'un tout autre genre, donnés (jusqu'en 1828) par l'Opéra de Paris !
Le phénomène ne se limite pas à Paris : à partir de 1830, Spontini est chargé par le pape de renouveler le style palestrinien – Rome interdit même les instruments dans les églises en 1843 !  Mais pour le sujet restreint du Requiem qui nous concerne, je vais me limiter au périmètre parisien.

Il se produit du milieu des années 1820 jusqu'au début des années 1840, un véritable basculement des sensibilités, parfois chez les mêmes théoriciens : ainsi Fétis, qui considérait le Requiem de Mozart comme l'horizon indépassable et prônait en 1827 des exécutions en grands effectifs, pour atteindre la « majesté » requise dans l'expression sacrée, change-t-il totalement d'avis en considérant, en 1835, que les instruments servent à exprimer les passions humaines, et ne sont donc pas adéquats pour la prière. Le théoricien, pourtant hardi à ses heures (explorant la microtonalité !), se ravise tellement qu'il publie en 1843 une Méthode élémentaire de plain-chant.
Cette évolution, qui ne se voit pas chez la plupart des débatteurs de ces années, attachés à leur camp, reflète assez bien celle des termes du débat.

La figure emblématique du regain d'intérêt pour la sobriété musicale du culte fut Félix Danjou. Organiste (formé par François Benoist, le premier à avoir jamais enseigné l'orgue au Conservatoire de Paris) à Saint-Eustache à partir de 1834 puis Notre-Dame dans les années 1840, il n'est que dans sa vingtaine lorsqu'il prend le parti de s'opposer aux grandes messes musicales, reprochant leurs tournures d'opéra à Mozart, Beethoven et même Haydn (1839).
À partir de 1845, il fonde une revue qui fait la promotion de ses idées et du plaint-chant grégorien, mal connu alors, mais qui le passionne comme modèle, si bien qu'il part en voyage en Italie à la recherche de sources, et finit par découvrir en 1847, à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Montpellier, le Tonaire de Saint-Bénigne de Dijon. Cette découverte capitale permet de déchiffrer les neumes (dont on cherchait en vain le sens exact), et préside à la première édition moderne de chant grégorien dans le Graduel Romain de 1851.
Persuadé que ce mode d'expression austère touche au plus près du sacré et permet de servir au mieux le culte, Danjou compose lui-même des harmonisations destinées à permettre de donner ces chants pendant les offices (1835) – c'est ce que l'on appelle le plain-chant en faux-bourdon (qui n'a donc rien d'authentique, mais dont l'intention puise à la tradition, avant que n'advienne cette exhumation du Tonaire).

Il n'existe, à ma connaissance, aucun enregistrement de ces œuvres, sans doute pas particulièrement intéressantes pour le mélomane (du plain-chant médiéval sis sur de l'harmonie XIXe conservatrice…), mais qui marquent un réel tournant à la fois dans la compréhension et dans la réception du grégorien.
On perçoit aussi à quel point cette démarche, passionnante au demeurant, entre en contradiction avec les innovations musicales sophistiquées des messes à grand spectacle dans la lignée Mozart-Beethoven-Berlioz. Les débats du temps furent très vifs à ce sujet, entre les deux camps.

cherubini requiem en ut mineur
Le salutaire tonaire de Saint-Bénigne de Dijon découvert par Danjou !




Un peu de contexte : d) un Requiem au centre de la vie musicale

Cette opposition entre musique dépouillée « l'ancienne » pour le recueillement et musique de pompe où la musique s'exprime avec grandeur se retrouve en divers moments des années 1830, et culmine à plusieurs reprises autour de funérailles… où l'on utilisait le Requiem le plus à la mode avec celui de Mozart : celui de Cherubini en ut mineur.

En 1834, Boïeldieu, élève de Cherubini, meurt prématurément. Ses obsèques sont préparées à Saint-Roch, avec le Requiem du maître. Apprenant que des chanteuses professionnelles devaient se joindre au chœur, l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, interdit l'exécution de l'œuvre. La pompe est finalement organisée dans la chapelle des Invalides, qui dépendait du gouvernement et où l'interdiction de l'archevêque n'avait pas cours.

En réalité, ce n'est pas tant la présence de femmes que celle de femmes de théâtre, réputées (exagérément mais non sans fondement) de mauvaise vie, qui a motivé l'interdiction. Pourquoi ne pas avoir mandaté des dames pies (=pieuses) provenant des maîtrises d'autres paroisses ?  Je n'ai pas de réponse éclairée à fournir, mais je suppose que les paroisses ne prêtaient pas leurs chœurs, n'avaient pas nécessairement envie d'accueillir n'importe quelles funérailles, et surtout que les musiciens qui organisaient l'événement n'avaient pas nécessairement envie d'entendre des œuvres ambitieuses mal chantées, préférant recourir à des professionnelles. [Certaines remarques moqueuses d'époque laissent en effet supposer que les maîtrises ne chantaient pas aussi bien que les chœurs profanes de professionnels, et que les chanteurs souhaitaient participer à la cérémonie.]

Le 3 août 1835, la cérémonie officielle des 18 victimes mortelles (et 42 blessés) de l'attentat de Fieschi – Giuseppe Fieschi, ancien soldat de l'Empire, petit faussaire et indicateur pour la Monarchie de Juillet, était l'exécutant d'un complot républicain contre Louis-Philippe, mis en œuvre Boulevard du Temple, pendant un passage en revue des troupes – se déroule aux Invalides comme il se doit, avec le même Requiem de Cherubini, sans objection de l'archevêché. Il faut dire que la dimension politique de l'attentat imposait une unité sur l'essentiel (la monarchie), même de la part d'un archevêque légitimiste, peu favorable aux Orléans.

Mais lorsque vient le tour des funérailles de Bellini – Cherubini, Rossini, Paër et le Prince Carafa portaient le cercueil –, en octobre 1835, pourtant organisées dans le même lieu, ce même Requiem se voit à nouveau banni. Mgr Quélen utilise en effet une stratégie nouvelle : il n'a aucune autorité sur le lieu, mais commande haut et fort au clergé, qui dépend de lui, de se retirer de la cérémonie à la vue de la première chanteuse.
Il faut donc improviser en juxtaposant des pièces pour voix masculines constituant un RequiemPanseron (élève de Gossec et Salieri, violoncelliste, Prix de Rome, maître de chapelle d'Estherázy, professeur de chant…) avait arrangé, en guise de Lacrimosa, le final des Puritains (en fait de religiosité, c'est l'opéra qui s'invite, et même pas le chant religieux hors scène du début du I !), changé en quatuor pour deux ténors (dont Rubini), baryton (Tamburini) et basse (Lablache !) qui remporta un vif succès (manifestement en raison de la qualité du chant). Je suppose qu'un ténor tenait le rôle du soliste, l'autre remplaçait la soprano héroïque, et que le chœur (à quatre parties en réalité, mais assez peu dense, beaucoup d'unissons) était dévolu aux deux voix graves. J'ignore si toute la section concertante avait été conservée avec ses contrastes (5 minutes), ou seulement l'air réaménagé (3 minutes).

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« Credeasi misera » et son ensemble, dans les dernières minutes des Puritains de Bellini, version Bonynge 1973 (Sutherland, Pavarotti, Ghiaurov ; Chœur de Covent Garden, LSO – studio Decca). J'aime davantage Di Stefano, (Gianni) Raimondi, ou des choses hors commerce (Kunde, Groves…) là-dedans, mais cette version a l'avantage de sa netteté et de son exactitude. 



Un peu de contexte : e) un second Requiem de Cherubini

Il faut savoir que, par la suite, le Requiem de Berlioz peut être donné en 1837 (avec succès), peut-être, supposé-je, parce qu'il s'agit ici encore d'une commande gouvernementale (Gasparin, ministre de l'Intérieur), en commémoration de la Révolution de Juillet (cérémonie finalement annulée et création reportée pour les soldats tombés à Constantine).

Mais en 1842, aux funérailles du duc d'Orléans, alors qu'on planifie un grand Requiem de Mozart dirigé par Habeneck (250 exécutants), et que tout le faste des draperies et du tout-Paris est réuni (Louis-Philippe s'étant laissé convaincre, contre la volonté de son fils, d'organiser une cérémonie très officielle), la partie musicale de l'événement est subitement annulée, et n'en subsiste que… la messe en plain-chant grégorien, avec harmonisation en faux-bourdon de Félix Danjou !  La presse loue la richesse des ornements visuels et le recueillement véritable imposé par cette musique. Les musiciens établis sont beaucoup moins tendres (Liszt avait parlé en 1835, à propos de l'exécution du faux-bourdon Danjou, de chant de « braillards ivres »), et assez amers de se voir ainsi remplacés par des bricolages issus de rêves vaporeux sur la musique du passé – Danjou ne trouve la « pierre de Rosette » du grégorien qu'en 1847, en 1842 tout le monde fait du bricolage fantasmatique.

La querelle s'apaise au fil des années 1850, alors que s'établit une distinction entre la musique religieuse prévue pour les offices et la musique sacrée de concert, qui est appelée à connaître encore de très beaux jours du côté de l'oratorio, chez Gounod, Saint-Saëns ou Massenet…

Cependant dès 1836, décidé par cette double mésaventure de 1834 et et 1835, Cherubini publie un nouveau Requiem, en ré mineur, encore plus austère que le premier (qui ne comportait pourtant pas de solistes et suivait de très près la prosodie latine !), écrit pour un chœur masculin seulement (avec orchestre, à nouveau sans solistes), à destination de sa propre mise en terre. Il est toutefois joué de son vivant : pour les funérailles du maréchal Lobau en 1838, de Plantade en 1839 (compositeur du Requiem à la mémoire de la mort de Marie-Antoinette), pour la commémoration du dixième anniversaire des journées de Juillet 1830… et pour lui-même en 1842.
Il se coule réellement dans les exigences du temps, très peu spectaculaire (hors du Dies iræ, guère de grands contrastes), chœur à trois voix (deux de ténor, parfois trois, et une de basse), beaucoup de sections a cappella (Graduale, Pie Jesu), et un Introitus-Kyrie accompagné seulement aux violoncelles-contrebasses-bassons. Tout en recueillement austère, malgré sa réelle animation musicale souterraine.

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Le « Dies iræ » du second Requiem de Cherubini, par la Philharmonie Tchèque et Markevitch (studio DGG qui fouette remarquablement !), le seul mouvement vraiment animé de cette nouvelle composition encore plus décantée.




… pardon d'avoir tant fait patienter pour la suite de la série… Le sujet politco-esthétique était tellement passionnant, et ses ramifications si lointaines et diverses, que j'ai choisi, pour ma propre satisfaction personnelle, de prendre le temps de fouiner un peu sur le sujet – et plutôt que de poster une simple recommandation discographique, de l'habiller d'un peu de ce contexte insolite. Le mélomane connaît très bien le bannissement des femmes dans les églises romaines du XVIIe siècle ; beaucoup moins, j'ai l'impression, cette lutte de pouvoir parisienne qui exclua pendant quelques décennies les femmes (du moins les professionnelles du chant) des cérémonies religieuses, lorsque le clergé n'était pas entravé par des commandements royaux !

Soyez bien assurés de ma détermination à mener ce parcours, qui me paraît utile aux curieux, à bien !  Mais ayant décidé de dédoubler les recommandations pour couvrir au mieux les différents domaines (l'essor de la musique de chambre et de la musique symphoniqueambitieuses rend difficile de se limiter à un disque par décennie tout en variant les genres et les nations), nous sommes partis pour pas mal de mois encore. Ce qui vous laisse tout le loisir d'écouter le début du voyage !

samedi 1 août 2020

Pourquoi joue-t-on trop peu / trop les compositrices ? — La liste des grands noms


francesca caccini
Prologue de La Liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina (Francesca Caccini), chef-d'œuvre absolu de la déclamation en musique.


Dans le sillage de l'évolution des mœurs, nous assistons à un véritable changement de paradigme : d'abord la dénonciation (légitime) de l'occultation des compositrices dans le champ de nos programmes de concert, puis la surreprésentation désormais dans les programmes de concert et festivals – en termes de proportion entre le nombre de compositrices exerçant dans la période et le nombre de celles jouées.

D'où il émane plusieurs questions, auxquelles je vais tâcher de répondre d'un point de vue musical.

1 – Est-il légitime d'avoir écarté les femmes des programmes de concert ?
2 – Est-il explicable d'avoir écarté les femmes des programmes de concert autrement que par des représentations misogynes ?
3 – Ce retour en grâce massif est-il excessif ?
4 – Liste de compositeurs féminins avec la cote (nécessairement subjective) que je leur associe.

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Clara WIECK-SCHUMANN, Lorelei.
Une notule a été consacrée à la structure musicale très aboutie de ce lied.

Christina Högman, Roland Pöntinen (BIS 1996). Album incroyable qui regroupe, au plus haut niveau de poésie (interprètes !), les bijoux de Fanny Mendelssohn, Clara Wieck et Alma Schindler.




1. Les femmes bannies

Je laisse de côté toute la question de la généalogie du contrôle (mi-génétique, mi-sociétal, je suppose, contrôle de la filiation par les pères oblige) imposé sur les femmes, de la place qui leur a été imposée et explique leur peu de visibilité dans le domaine de la composition musicale. À présent que nous en sommes conscients, oui, il est mal d'exclure les femmes de domaines auxquels elles peuvent légitimement prétendre. Mais musicalement, ce bannissement a-t-il un sens ?

a) Il existe des corpus mal connus de femmes (la plupart élevées dans des familles de musiciens et découvertes presque accidentellement comme assez talentueuses pour composer, il était autrement quasiment impossible de s'orienter vers une carrière) qui sont absolument extraordinaires, fondamentaux, au minimum passionnants, voire majeurs dans l'histoire de la musique – alors même qu'elles n'ont pas pu avoir, du fait de leur statut, d'influence considérable. Francesca Caccini, Élisabeth Jacquet de La Guerre, Fanny Mendelssohn (épouse Hensel), Clara Wieck (épouse Schumann), Alma Schindler (épouse Mahler), Rebecca Clarke, Nadia & Lili Boulanger, Grażyna Bacewicz, Galina Ustvolskaya… proposent des corpus qui frappent par leur richesse et leur intérêt, il n'aurait pas de sens de s'en passer dans l'histoire de la musique.

b) Les femmes compositrices à l'époque contemporaine sont en revanche nombreuses et reconnues, même celles qui ne me paraissent pas exactement les phares musicaux de leur époque (Édit Canat de Chizy, Olga Neuwirth, Lucia Ronchetti dont je ne raffole vraiment pas mais qui sont littéralement couvertes d'honneur), avec un grand nombre de merveilles très bien diffusées chez Sofia Gubaidulina, Isabelle Aboulker, Sally Beamish, Michèle Reverdy, Sheila Silver, Anna Clyne… Il faut à mon sens (même s'il existe très possiblement toujours des discriminations) distinguer entre le patrimoine (où la relégation est indiscutable) et les compositrices en activité ces vingt ou trente dernières années (qui, peut-être au prix d'efforts supplémentaires, parviennent réellement à se faire diffuser).

Il n'y a donc pas de doute : il existe largement de quoi occuper les programmes avec des œuvres de qualité de femmes. Et il est donc injuste de les en exclure.

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Henriëtte BOSMANS, Sonate pour violoncelle et piano, l'altier premier mouvement.
Franz Bartolomey, Clemens Zeilinger (Gramola 2019).



2. Quelques bonnes (et mauvaises) raisons

Si l'on est tout à fait honnête, il existe tout de même quelques raisons objectives à cette occultation des compositrices.

a) Du fait de leur rôle social et des limitations de ce qu'il leur était permis de faire, les compositrices n'ont pas pu exercer avant le XXe, pour l'immense majorité d'entre elles, dans les mêmes genres que les hommes. Les œuvres qu'elles ont produites s'apparentent ainsi à des genres de salon, conçus pour l'agrément, et non à de grandes pièces ambitieuses sur le plan de la forme (peu de fugues hardies), de l'effectif (peu de symphonies et d'opéras), du langage (peu d'œuvres très hardies harmoniquement), du ton (très peu d'outrances et d'effets, en général).
On peut gloser tout ce qu'on veut sur le « moindre besoin peut-être inné ou acquis des femmes de se démarquer », mais en tout cas, concrètement, le contexte dans lequel elles évoluaient les empêchait de penser seulement au même type de relation à la musique.
D'où il découle que les œuvres qui nous parviennent ne sont que rarement des révélations fulgurantes d'originalité. Structurellement, non seulement il existe beaucoup moins de compositrices que de compositeurs, mais au sein même de ce corpus réduit, la proportions d'œuvres originales est encore inférieure. Ce qui accroît la difficulté, même a posteriori, de les programmes. (Ce n'est donc pas seulement de la mauvaise volonté.)

b) Tout cela nous amène à la logique des programmations : en général, les programmateurs jouent (de façon écrasante) ce qui est déjà connu. Les femmes ayant été structurellement moins nombreuses et davantage défavorisées en visibilité, il en figure moins parmi les compositeurs célèbres, et donc on en joue moins. Sans qu'il y ait le moindre mécanique de ségrégation volontaire là-dedans : les compositeurs qui sont déjà les plus célèbres sont tous des hommes, et il se produit pour les femmes (moins célèbres) exactement la même chose que pour les compositeurs blancs de bonne famille moins connus – on ne les joue pas.

Je crois que ces deux points sont importants à considérer sérieusement pour ne pas se laisser abuser par l'utopie d'un second répertoire (équivalent au « répertoire masculin ») qui dormirait dans les bibliothèques : ce répertoire existe, mais il est moins abondant, et consiste surtout – à ma connaissance – en musique de salon. Parfois de très bonne qualité, mais ce n'est pas le genre de chose qui est actuellement recherché par les mélomanes, et encore moins ce qu'on joue au concert ou enregistre au disque.
Par ailleurs, il est important de ne pas se méprendre sur les ressorts de la négligence envers ces corpus, de façon à bien choisir les batailles pertinentes : elles le sont pour les bonnes compositrices, mais vouloir mettre 50% de femmes dans les programmes, par exemple, n'aurait pas de sens (ni proportionnellement, ni qualitativement). C'est un héritage historique auquel on ne peut pas grand'chose. Ce serait beaucoup plus facile avec des compositrices vivantes, dont le legs est plus abondant et beaucoup plus varié.

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Nadia BOULANGER, Soleils couchants (Verlaine).
Nicole Cabell, Lucy Mauro (Delos 2017).



3. Indignation sélective

Pour ma part, aspirant à davantage de variété dans les programmes, je suis absolument ravi de l'engouement actuel pour les festivals de compositrices. Récent programme chambriste de l'ONDIF passionnant (Fanny Mendelssohn, Clara Wieck, Imogen Holst, Caroline Shaw), que des œuvres de très très grande qualité, festival du Château Rosa Bonheur dévolu aux compositrices (avec de grands hommages à Grandval ou Bosmans), c'est un plaisir !

Néanmoins, sur le plan du principe, j'avoue être un peu triste qu'on limite notre spectre de redécouvertes aux femmes parce que ce sont des femmes. J'ai envie d'entendre des musiques peu entendues, mais avant tout parce qu'elles sont intéressantes !  J'aime assez Mel Bonis (musique sacrée surtout), Amy Beach et Ethel Smyth, mais il existe tout de même beaucoup de compositeurs qui leur sont contemporains, qui ne sont pas joués, et qui sont d'un intérêt incomparablement supérieur.

De même, si l'on voulait jouer des compositeurs noirs (de « musique classique », hein), on serait vite limité, ne serait-ce que parce qu'ils sont peu nombreux. Et ceux qui sont parvenus à en vivre n'ont pas forcément eu accès aux meilleures formations, ce qui peut renforcer le côté « autodidacte / maladroit ». Typiquement, le Chevalier de Saint-George ou William Grant Still, c'est sympa, mais on les joue parce qu'on cherche des compositeurs noirs ou parce qu'ils ont eu une vie intéressante qui pique notre curiosité… à l'aveugle, il y aurait d'autres minorités (les Tchèques, pour les contemporains de Saint-George !) qui leur passeraient devant, en terme d'intérêt musical. Ce n'est pas grave, on n'est pas obligé de jouer seulement ce qui est le meilleur (sinon on ne jouerait que les symphonies de Beethoven toute l'année – comment ça, un peu comme on fait depuis deux siècles ?), mais quand une programmation s'impose la contrainte « rare = femme », on s'interdit un immense pan de compositions qui pourraient être passionnantes aussi (voire davantage).

Je sais bien qu'il faut vendre les concerts et les disques, et qu'on n'aime pas jouer devant des salles vides. Donc, choisir un compositeur qui aurait un patronyme peu distinctif et aurait été chouchou des nazis (coucou Franz Schmidt) est clairement, indépendamment de l'intérêt de sa musique, un choix moins pertinent en termes d'image, de communication, de remplissage, de subventions. Il n'est que de voir le nombre d'associations (pas forcément spécialisées dans la musique) qui louent les initiatives de mise en valeur des musiciennes. Une force de frappe non négligeable, qui aide simultanément à ouvrir le répertoire – même si ce n'est pas, en réalité, l'objectif.

Faute de mieux – c'est-à-dire d'un libre choix fondé sur l'intérêt des œuvres –, l'engouement actuel pour les compositrices me ravit. Avec la pointe de frustration quand j'ai l'impression que l'une prend la place d'un contemporain que j'aurais vraiment aimé voir mis à l'honneur, mais aussi avec le grand frisson lorsque je découvre un authentique génie étouffé… et quelquefois pas seulement en germe, avec un véritable corpus souterrain qui ne demandait qu'à être publié et joué !

C'est pourquoi, afin d'essayer de se retrouver un peu dans les propositions actuelles, qui mettent à disposition de plus en plus de compositrices, je propose une petite liste de noms en indiquant leur genre de prédilection (salon ou concert, disons) et l'intérêt de leur legs. Invitation à la découverte avec le but de faire la part des choses : car, en fin de compte, s'émerveiller parce que « c'est bien pour une femme » me paraît plus dégradant que de ne pas jouer une œuvre parce que c'est pas intéressant – même si c'est la faute, au départ, à la société. (Pour les femmes en activité, c'est différent, il peut y avoir un sens à être militant, à favoriser leur insertion de leur vivant. Pour les mortes, les jouer juste pour montrer qu'on est sensible à la notion d'égalité me paraît moins immédiatement utile, même si j'entends bien l'argument de la mise à disposition de modèles.)

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Vítězslava KAPRÁLOVÁ, dernière variation et coda sur le Carillon de Saint-Étienne-du-Mont.
Giorgio Koukl, pour sa très belle intégrale (Grand Piano 2017).




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Alma Schindler, déjà simple et accessible.

4. Liste de compositrices

… où je donne mon opinion sans fard : pour certaines, j'ai l'mpression qu'on a cherché un nom féminin pour la période et qu'on a pris ce qu'on a pu trouver, pour d'autres, leur place comme « femme de » ou « compositrice intéressante » me révolte, tant leur apport au patrimoine me paraît fondamental. Je n'ai pas cherché à lisser ces impressions.

Par ailleurs vous le verrez, quand on cherche à caractériser leur parcours, on se retrouve inévitablement – la société ayant été ce qu'elle a été – à mentionner leurs maris libéraux ou tyranniques !

Liste évidemment incomplète. J'ai essayé de penser à celles que je connaissais / qui me paraissaient notables. Sentez-vous très libres de compléter !

Cotation :
♥♥♥ capital
♥♥ passionnant
♥ très réussi
♠ sans intérêt (pour moi)
♠♠ vraiment pénible

J'ai laissé de côté Hildegard von Bingen et Beatriz de Dia (pour ne rien dire de Psapphô !), n'étant pas assez instruit en musique pré-XIVe pour  en sentir les spécificités – le corpus écrit en compositeurs nommés est aussi assez réduit, ce qui facilite encore moins l'affaire pour distinguer les particularités qui tiennent du lieu d'apprentissage ou d'exercice… et la singularité du compositeur (compositrice en l'occurrence).

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Alma SCHINDLER-MAHLER, Hymne (sur le poème mystico-érotique de Novalis).
Ruth Ziesak, Cord Garben (CPO 2000).


XVIIe (première moitié)

Francesca Caccini : fille de compositeur (co-détenteur de la prétention au premier opéra jamais composé), on lui doit La Liberazione de Ruggiero dall'isola d'Alcina (1625), sur un livret magnifique, l'un des plus beaux opéras de tout le XVIIe siècle italien. Personnellement, il n'y a que L'Orfeo que Monteverdi que je place aussi haut. Un naturel de déclamation remarquable, sans les raideurs de Cavalli, les tunnels qu'on peut trouver entre deux tubes chez Landi ou Rossi. Pas nécessairement beaucoup de mélodies, mais une véritable pensée dramatique en musique, pleine de poésie.

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Francesca CACCINI, La Liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina.
Melissa (Gabrilla Martellacci) vient réveiller Ruggiero (Mauro Borgioni) de son sommeil enchanté au pouvoir d'Alcine. (Version Elena Sartori chez Glossa.)


XVIIe (seconde moitié)

Barbara Strozzi : De beaux airs chez elle, mais à mon sens en-dessous des meilleurs représentants du milieu du XVIIe.

Élisabeth Jacquet de La Guerre : Claveciniste originale (des chaconnes remarquables dans le style de Louis Couperin), autrice de Sonates pour violon d'une veine mélodique altière et prégnante, de cantates aux contrastes saisissants (les fameux Passage de la Mer Rouge ou Sommeil d'Ulysse) et d'un opéra particulièrement réussi (là aussi sur un très beau livret), Céphale et Procris, rempli de modulations inhabituelles, et d'une grande liberté formelle.

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Élisabeth Claude JACQUET DE LA GUERRE, Le Sommeil d'Ulysse. La tempête instrumentale et vocale.
Isabelle Desrochers, Les Voix Humaines (Alpha 2000).


XIXe (première moitié)

Hélène de Montgeroult : Le piano de Montgeroult est de premier intérêt ; il ne faut pas en attendre de rupture, mais la romantisation de la grammaire classique s'y fait avec une grande élégance, et l'on profite, ce qui n'était pas forcément la norme chez des compositeurs plus courus, même ultérieurs (Hummel, Kalkbrenner…), de belles modulations aux effets poétiques. On y sent l'écriture non pas automatique, mais où chaque élément, même simple, même les formules figées, ont été pesés pour obtenir la grâce particulier qui sied au style du tournant du XIXe.

Maria Szymanowska : Influente figure comme concertiste, compositrice et maîtresse de salon, Szymanowska écrit tôt Nocturnes, Préludes, Mazurkas où l'on sent une partie de la grammaire utilisée ensuite par Chopin. Sa musique reste plaisante et plutôt décorative, dans le style brillant de la plupart des pianistes d'alors (même chez les compositeurs de grand intérêt comme Hummel ou Czerny, une partie du catalogue en est garni), mais recherchant moins la virtuosité que le caractère. Un jalon impressionnant dans la mesure où il s'agit de porter un véritable discours musical, des affects affirmés, nettement au-dessus de la plupart de la concurrence des pianistes d'alors.

Fanny Mendelssohn : Une des rares compositrices à avoir eu accès à un peu de grandes formes. Musique de chambre très belle, lieder de qualité, et oratorios tout à fait saisissant par leur ampleur et leur ambition. Le fond du langage reste moins hardi que chez (Felix) Mendelssohn ou (Robert) Schumann, mais il y a dans l'exploration formelle des éléments assez personnels.

Clara Wieck : L'un des plus grands compositeurs de lied du XIXe siècle, à mettre aux côtés de Schubert et Schumann, à mon sens (bien plus passionnante que Mendelssohn, Loewe ou Brahms). Atmosphère, veine mélodique, façon très astucieuse de mobiliser la structure musicale pour rendre les enjeux des poèmes, du très grand art. (Peut-être même mon corpus liederistique préféré de tout le XIXe…)
Le chopino-schumannien Concerto pour piano est beau, le Trio formellement assez peu aventureux mais d'une grande grâce. Les pièces pour piano (et violon) sont, à quelques exceptions près, plutôt marquées par une écriture « domestique », pas forcément de premier intérêt.

Louise Bertin : Fille du directeur du Journal des débats, pour laquelle Hugo a écrit son seul livret (pas fabuleux), La Esmeralda. La musique n'en est pas très marquante, mais le seul enregistrement n'est pas très bon. Rumeurs invérifiables sur la part de son maître Berlioz dans la composition (orchestration, paraît-il, ce qui ne s'entend en tout cas absolument pas).

Louise Farrenc : Grande figure de la musique instrumentale XIXe, avec, chose rare, des symphonies. Pour ma part, je n'en ai jamais trouvé la saveur particulièrement prégnante : du Rejcha en moins roboratif.

Johanna Kinkel : Une des meilleures plumes pour les lieder, dans un goût essentiellement strophique et mélodique, mais avec une grâce persuasive rare. (Vie incroyable au demeurant, finançant le ménage tandis que son mari qui la trompait se ruinait en projets politiques… qui conduisirent à son bannissement !)

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Johanna KINKEL, Vorüberfahrt (sur son propre poème !).
Verena Rein, Axel Brauni (Dreyer Gaido).


XIXe (seconde moitié)

Emilie Mayer : La première femme, à ce qu'il semble, à vivre de son métier de compositrice. De la génération Verdi-Wagner, le langage n'est pas très hardi dans les Symphonies mais manifeste de jolies délicatesses. Je n'ai pas été convaincu par l'interprétation qui en est disponible, j'aimerais vraiment pouvoir comparer pour me faire un avis plus étayé.

Pauline Viardot : D'abord chanteuse (créatrice de Fidès dans Le Prophète), elle laisse de charmantes mélodies de caractère, bien faites et pleines d'esprit, dont la vocation est de servir un texte piquant plutôt que d'explorer des aspects inhabituels de la composition musicale. Réussi.

Clémence de Grandval : On ne dispose hélas de presque rien au disque (un peu de musique de chambre), alorsque Grandval a écrit de grandes pièces sacrées (Stabat Mater, Sainte Agnès), une poème lyrique avec orchestre, solistes et chœurs (La Forêt) et plusieurs opéras (dont un Mazeppa alléchant). La musique de chambre est plutôt dans le genre du salon, très bien écrite mais sans ambition sur le plan de la personnalité ou du langage, alors que la musique sacrée m'a frappé par la simplicité de ses lignes mélodiques très persuasives, qui évoquent Verdi.

Augusta Holmès : Très marquée par Wagner, elle écrit une musique pour de vastes ensembles inscrite dans une geste très Seconde République, avec de grands chœurs ou de grands sujets dramatiques, comme sa Lutèce qui célèbre la défaite glorieuse de 1870 avec un panache époustouflant.

Agathe Backer-Grøndahl : Du plein romantisme, avec de beaux élans au piano, plus mesuré dans ses mélodies ; la prégnance mélodique y est diverse, mais on trouve beaucoup de belles pièces qui vont au delà de la simple élégance de salon dans ses œuvres pour piano solo. Particularité : non seulement elle conserva son nom de jeune fille, Backer, mais leur fils Fridtjof, compositeur lui aussi, portait le nom composé de ses deux parents.

Cécile Chaminade : Pour le coup, de la musique purement décorative, « de caractère », de salon. Même dans ce contexte, je n'y ai jamais rien entendu de saillant. Typiquement, à mes yeux, une musique qu'on ne jouerait pas s'il n'y avait l'histoire de la femme à raconter – ce qui est légitime aussi, au demeurant, on peut aimer raconter des histoires. Même dans ce répertoire léger, il existe infiniment mieux (Hans von Bülow !).

Marie Jaëll : Legs essentiellement de piano, ambiance plutôt salon, mais aussi des cycles vraiment ambitieux, vastes et virtuoses, comme la série d'études autour de la Divine Comédie. Le langage n'en est pas très personnel ni subversif, mais le geste compositionnel est assez intéressant en général.

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Augusta HOLMÈS, Ludus pro Patria (interlude « La Nuit et l'Amour », dans un goût tristano-berliozien !).
Philharmonique de Rhénanie-Palatinat, Patrick Davin (Naxos Patrimoine 1994).


XXe (première moitié)

Mel Bonis : Pièces de musique de chambre de salon très aimables (sans être particulièrement saillantes), en revanche très impressionné par le métier de sa musique chorale, où l'équilibre des voix et la simplicité très maîtrisée de la progression harmonique font réellement mouche !  Il existe aussi des œuvres pour chanteur soliste et orchestre, qui n'ont bien sûr jamais été enregistrées.

Amy Beach : Assez souvent citée parmi les compositrices, car la première femme américaine (semble-t-il) à s'imposer comme une compositrice de concert – on notera que pour elle comme pour Wieck ou Schindler, le mari a été un obstacle à la carrière (bien qu'elle ait eu tendance à signer ses œuvres avec Mrs + les initiales de son mari !), exigeant explicitement qu'elle « tienne son rang » de maîtresse de maison, en n'enseignant pas le piano, et en limitant ses concerts à deux par an. Néanmoins, elle pouvait composer, et s'y dédia d'autant plus. Le résultat ne m'a jamais frappé par son intensité (musique très consonante, agréable, sans relief très notable), plutôt un jalon historique qu'une œuvre qui doive absolument s'imposer au concert – mais je n'ai pas exploré tout son fonds, des pépites s'y trouvent peut-être.

Rebecca Clarke : Surtout célèbre pour sa sonate alto-piano, dans un goût qui doit beaucoup à Chausson et Debussy, mais traversé aussi par les autres influences du siècle, une belle personnalité pas nécessairement originale, mais aboutie.

Alma Schindler : Admiratrice forcenée de Wagner (elle se serait cassé la voix en chantant tout Siegfried à son piano), Alma Schindler est surtout passée à la postérité, paradoxalement, sous le nom d'épouse de celui qui lui a interdit de composer (en substance « un seul génie à la fois sous mon toit, et toi ton rôle est de me dorloter »), Gustav Mahler. Almschi a cependant repris la composition plus tard (et même édité un premier groupe avec le soutien de son mari). Malgré le fait (lié à la qualité réellement épouvantable de sa graphie ?) que très peu de ses œuvres aient été éditées (moins de 20 lieder à ce jour), son legs demeure absolument exceptionnel, on y rencontre une liberté de geste impressionnant, en particulier dans les enchaînements harmoniques. Elle est le parfait miroir de son mari : chez elle, la structure est au contraire très libre, épousant le texte ou sa fantaisie sans suivre de grands patrons formels, mais l'harmonie se libère tout à fait des parcours communs pour creuser un sillon profondément original et toujours surprenant. Un des compositeurs majeurs du premier XXe, malgré son minuscule catalogue – à l'image d'Abel Decaux et de ses Clairs de lune, par exemple. Hélas, ses biographes ne parlent quasiment que de ses maris et de ses affaires de cœur, ce qui constitue un scandale assez éhonté – imagine-t-on une biographie de Beethoven qui se centre uniquement sur ses amis et ne parle jamais de ses œuvres ?

Nadia Boulanger : Quoique ayant cessé la composition à la mort de sa sœur, soit très tôt dans sa carrière, Nadia Boulanger a laissé des bijoux en musique de chambre et surtout en mélodie, où se fait à mon sens sentir l'influence du format lied, avec une manière moins évanescente ou galante que ce que produisait la filiation Debussy-Cras ou Fauré-Dupont. Jusqu'à ces deux dernières années, nous ne disposions même que d'un seul disque (totalement épuisé depuis 20 ou 30 ans) contenant ses œuvres. Nous en sommes à quatre albums désormais, dont un double.

Lili Boulanger : Prix de Rome (ex-æquo avec Delvincourt) pour sa cantate Faust & Hélène, un talent précoce qui, en disparaissant à 24 ans, a sans doute alimenté une légende qui repose sur un solide fond de vérité – une figure reconnue comme importante par ses pairs de son vivant, et, de fait, un langage original, qui ose des harmonies très personnelles. Si j'aime moins son univers que celui de la grande sœur, on peut admettre que Lili la surpasse en audace dans les quelques œuvres qu'elle a laissées, notamment ses trois Psaumes orchestraux, son étrange cycle de mélodies Les Clairières dans le ciel. Elle a aussi ébauché, regret des regrets, une Princesse Maleine d'après le drame de Maeterlinck. (Nous n'aurons donc jamais la tirade de la Salade de sa main !) Pour autant, malgré sa notoriété considérable et le fait qu'elle soit désormais plutôt régulièrement programmée, ses œuvres avec orchestre ne sont presque jamais données en concert, et certaines autres (notamment ses deux premières cantates pour Rome, Maïa et Frédégonde), n'ont jamais été enregistrées.

Imogen Holst : Fille de Gustav. Je ne connais d'elle que le Phantasy Quartet, en réalité un véritable quatuor à cordes complet (où les mouvements ne sont pas segmentés), qui puise beaucoup aux influences françaises de la musique britannique, une œuvre tout à fait remarquable.

Vítězslava Kaprálová : Peut-être le meilleur compositeur de mélodies tchèques, riches et expressives, là où Smetana, Dvořák, Janáček et Martinů ne paraissent pas toujours à leur faîte d'inspiration. Des merveilles à goûter (en piano aussi).

Germaine Tailleferre : Avec Louis Durey, elle incarne le « mauvais tiers » du Groupe des Six, celui qu'on joue le moins (et qui, de fait, a le moins d'intérêt). Je n'ai toujours pas, à ce jour, rencontré d'œuvre intéressante sous sa plume, d'un néoclassicisme livide, aux harmonies souvent pauvres / répétitives / prévisibles, aux effets rares et peu efficace. De mon point de vue d'auditeur, je n'ai pu m'expliquer qu'on la diffuse quelquefois qu'en raison de sa société avec d'autres compositeurs de très haute volée – et peut-être même un bonus pour constituer l'une des rares figures féminines visibles chez les compositeurs de sa génération, car le pauvre Durey, qui vaut à peine mieux (quelques jolies mélodies, mais aussi des œuvres orchestrales pires que du Tailleferre…), n'a pas obtenu le même bénéfice du doute.

Henriëtte Bosmans : Excellente compositrice néerlandaise, dont le disque (et quelquefois le concert, comme en ce moment même le Festival Rosa Bonheur à Thomery, qui la programme pour deux grandes œuvres dans deux concerts distincts) permet d'entendre une musique de chambre écrite avec beaucoup de densité et de sophistication, comparable aux grands compositeurs français (Ropartz, Cras) ou britanniques (Bowen, Ireland, Bridge) d'alors.

Grażyna Bacewicz : Grande figure de la musique de chambre, qui épousa les évolutions de langage de ses contemporains. L'écoute des sept Quatuors, toujours dans son idiome propre, reflète la modification de l'esprit du temps, depuis un postromantisme sophistiqué jusqu'aux influences (externes) de l'atonalité et de l'épure, toujours de façon très aboutie – je trouve particulièrement remarquables les 1 & 4. Il existe aussi un Quatuor pour quatre violons qui soutient l'enjeu (et, moins étonnant, un Quatuor pour quatre violoncelles). Le disque, à défaut du concert en Europe occidentale, l'a plutôt bien servie ces dernières années.

Zara Levina : Facette soviétique plus aimable d'un postromantisme qui doit beaucoup à Tchaïkovski et Rachmaninov, en en conservant le souffle et les richesses. Elle a la particularité d'être mariée à un compositeur moins célèbre qu'elle, Chemberdzhi… et d'être la grand-mère de l'actuelle vedette du piano Alexander Melnikov !

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Grażyna BACEWICZ, Andante central du Quatuor n°4.
Lutosławski SQ (Naxos 2015).


XXe (seconde moitié)


Galina Ustvolskaya : Héritière des futuristes et de leurs figuralismes motorisques forcenés (Lyatoshynsky !), Ustvolskaya écrit une musique radicale, sans concession à la joliesse, à base de brutalités enchaînées avec beaucoup de relief et d'atmosphère, ou de fugatos désolés, d'aplats décimés. Ses Sonates constituent l'un des plus intéressants corpus pour piano soviétiques, où la concurrence est pourtant vaste et rude.

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Galina USTVOLSKAYA, Sonate n°6. Bouclez vos ceintures.
Markus Hinterhäuser (Col Legno 2012).


Compositrices vivantes

Austriņa (?) : Je ne connais d'elle qu'un Salve Regina, absolument remarquable, à placer aux côtés grandes réussites des autres compositeurs choraux lettons : Skulte, I. Kalniņs, Amoliņs, Ešenvalds, Dubra, Zaļupe…

Betsy Jolas (1926) : Très implantée dans la création française, elle écrit dans une tonalité non fonctionnelle ou une atonalité très tonalisante, à la limite des deux mondes. En général assez plaisant – pas forcément tendu.

Sofia Gubaidulina (1931) : Puisant à une tradition renouvelée en utilisant des formes connues et parfois de grands formats, un univers qui a été célébré partout dans le monde et les salles de concert.

Isabelle Aboulker (1938) : Souveraine de la musique légère ultratonale, Aboulker dispose d'un esprit ravageur (voyez son Douce et Barbe-Bleue), toujours associée à des textes très vifs. Beaucoup de compositions à destination des enfants – commandes multiples de la glorieuse Maîtrise de Radio-France.

Michèle Reverdy (1943) : Grande figure de l'écriture atonale polarisée, rendant accessible un langage pourtant complexe. En particulier un bel opéra autour de Médée, qui tient sa courbe dramatique.

Sheila Silver (1946) : Héritière de la tradition (on entend pas mal de Chopin dans son concerto notamment), l'évoquant aussi dans ses titres (son trio avec cor, To the Spirit Unconquered…), elle propose une musique accessible où miroitent beaucoup de belles influences.

Édith Canat de Chizy (1950) : De l'atonalité « gentille », un peu formelle. Je ne suis pas très séduit, j'y entends beaucoup d'effets, de recherches de modes de jeu, de couleurs, mais le discours échappe – et ce n'est pas clair non plus quand elle donne des masterclasses, laissant les artistes s'approprier à leur façon le matériau sans trancher elle-même.

Kaija Saariaho (1952) : Passant des nappes orchestrales (au besoin à électronique ajouté) à la stabilité néotonale de ses œuvres vocales, plusieurs univers à la fois. Très en cour elle aussi, elle dispose de l'avantage d'être à la fois dans l'esthétique « officielle » qui peut obtenir des crédits en France… et assez accessible pour ne pas épouvanter le public. Hors ses mélodies, je ne suis pas vraiment bouleversé ni par les brumes planantes de son orchestre, ni par la lenteur plus tonalisante de L'Amour de loin. Mais tout cela se laisse très bien écouter.

Sally Beamish (1956) : Compositrice de l'un des meilleurs concertos pour alto du répertoire (son premier, je n'ai pas écouté le second), dans une tonalité un peu élargie, très lyrique, avec des réponses et des vides orchestraux assez saisissants.

Unsuk Chin (1961) : Atonalité profusive, qui a l'avantage de ses chatoyances exubérantes. Très bien insérée dans le milieu, elle reçoit beaucoup de commandes, je suis loin d'avoir tout écouté. C'est plutôt convaincant.

Suzanne Giraud (1958) : Dans la lignée du spectralisme français. De beaux poèmes-minute Renaissance avec trompette, bien habillés. Moins enthousiasmé par sa musique purement instrumentale – mais je n'aime pas du tout les spectraux en général.

Jennifer Higdon (1961) : Héritière des recherches minimalistes, elle en tire le meilleur en travaillant la variation, en exploitant la beauté d'aplats d'accords enrichis, mais avec une mobilité discursive plus grande (plus traditionnelle aussi). Intéressant !

Lucia Ronchetti (1963) : Quoique titulaire d'une thèse sur l'influence de Wagner sur le style orchestral de Chausson, Ronchetti écrit des pièces tout à fait atonales, marquées par l'influence du spectralisme, et en certains endroits assistées par ordinateur. Je n'aime rien de ce que j'ai entendu, toujours assez moche dans les couleurs et très peu captivant dans le discours distendu, même lorsque des jeux de référence pourraient permettre de se raccrocher à des événements.

Olga Neuwirth (1968) : Typiquement l'atonalité-moche qui ne me touche pas. Un univers qui de plus, à en juger par ses sujets (elle avait projeté un opéra, avec Jelinek, parlant d'un médecin pédophile), n'illumine pas vraiment l'imaginaire. Il existe vraiment très peu de compositeurs dont je pourrais dire avec simplicité que je ne les aime pas, mais si Glass est premier, Neuwirth et quelques spectraux sont de très sérieux candidats à la seconde marche.

Ana Sokolović (1968) : Je n'ai à ce jour sérieusement écouté que Svadba, son opéra sans orchestre et sans texte, simplement des glossolalies par six femmes. Une merveille absolue, dansante, incantatoire, jubilatoire, très personnel, absolument pas engluée dans un langage prédéfini. Une liberté et une poésie merveilleuses. Il semble par ailleurs y avoir de jolies choses en musique de chambre, en survolant distraitement son catalogue sonore.

Elena Langer (1974) : Je n'ai écouté que son Figaro Gets a Divorce, dont je n'ai pas compris l'intérêt. L'intrigue ne fait pas vraiment référence aux épisodes précédents (les noms sont là, mais le fan service est en vacances), et la musique vraiment pas non plus, une atonalité linéaire et grise, avec des lignes vocales de surcroît très ternes. J'étais assez gêné en essayant d'écouter cela, j'espère qu'elle a produit mieux.

Anna Clyne (1980) : Au disque, le principe des grandes forces paraît un peu sommaire. Écoutée en concert, à la fois très accessible et utilisant les outils peaufinés par les hardiesses du second XXe siècle, très bien orchestré, structurellement intelligible, complètement pensé pour l'impact physique en salle… une voix que j'ai hâte de réentendre !  Sa carrière semble vraiment lancée, avec des commandes du London Philharmonic et du Chicago Symphony.

Caroline Shaw (1982) : Un des compositeurs d'aujourd'hui qui parviennent à jouer du clin d'œil, de la référence, de la tradition, avec un résultat très accessible et séduisant, sans ressembler à la musique du passé. De quelles choses dans le domaine du quatuor.

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Ana SOKOLOVIĆ, Sirènes. Sur un principe proche de Svadba.
Queen of Puddings Music Theatre Vocal Ensemble, Dáirine Ní Mheadhra  (ATMA 2019).




caroline shaw
Caroline Shaw, benjamine de la liste.


5. Envoi

La liste, bien sûr partielle, laisse assez bien voir, je trouve, les deux aspects de la question : beaucoup de femmes, même talentueuses, ont effectivement été limitées à de petits formats et à des genres « de caractère ». Il ne leur est sans doute même pas venu à l'esprit d'explorer les frontières du langage, de le subvertir, de chercher l'originalité – et l'on peut supposer que cela aurait été fort mal vu de Mr Beach, peut-être même de M. Schumann.
Pour autant, il existe des figures singulières qui vous saisissent tout de suite par le bras et vous font sentir avec la dernière vigueur qu'elles ont quelque chose d'important à dire. Je vous laisse les découvrir.

Ainis je crois que cette liste illustre, mieux que n'importe quel discours de principe, combien il est indispensable de jouer les compositrices. Néanmoins il serait davantage loisible d'entendre les compositrices intéressantes (et qui sont, de fait, fort peu / pas jouées pour la plupart) que des compositrices en tant que telles, parce que femmes ; il y a donc des noms qu'on pourrait avantageusement remplacer par des hommes (de n'importe quelle autre minorité opprimée si l'on veut : milieu modeste, pays dont on ne parle jamais, handicapés, etc.). Isang Yun, Coréen victime de la torture ; Waltershausen, amputé de la moitié des membres et volontairement retiré de la vie publique à l'arrivée des nazis…

J'avoue hésiter, par pure provocation, à constituer sur ce modèle une liste des compositeurs méconnus ayant pratiqué le vélo ou le point-de-croix. Peu importe l'angle, il y a tellement à exhumer que, quelle que soit la figure imposée, on trouvera de quoi se remplir (de découvertes) la panse auditive – et les femmes n'y font pas exception !  Ce serait l'occasion d'essayer un sillon moins à la mode. Car, vu le faible nombre de femmes compositrices, on est limité dans ses choix – du côté du symphonique et de l'opéra, il n'y a à peu près rien avant le XXe siècle, et étrangement, je n'ai pas de noms illustres à citer au XVIIIe !  [Il serait sans doute plus intéressant, à la vérité, de procéder par aire géographique et de proposer une histoire de la musique tchèque ou de la musique suédoise, par exemple. Mais ce serait moins ouvertement du mauvais esprit, donc moins amusant.]

Ensuite, encore une fois, je comprends bien le sens de la démarche d'affirmer massivement, par une programmation spécialisée, l'existence de ce corpus largement occulté dans les histoires de la musique, de célébrer la persévérance de ces individu.e.s, bien entendu. C'est un choix d'ordre politique et sociétal, auquel on peut soumettre la programmation, de façon par ailleurs légitime. Mais en tant qu'auditeur, ce qui intéresse demeure avant tout la musique elle-même, sans quoi l'on ne jouerait pas Wagner ou Orff – et c'est sur ce critère musical que j'aimerais entendre les programmations des concerts.
Ce serait d'autant plus utile à la cause, au demeurant : on ne courrait pas le risque de nourrir les préjugés (historiquement partiellement fondés, mais partiellement seulement) « musique de femme = musique de salon ».

Quoi qu'il en soit, et quelle que soit la position (de principe / de mélomane) qu'on souhaite adopter, il faut découvrir impérativement certains de ces jalons de l'histoire musicale. Peu, du fait de leur faible diffusion à l'époque, ont pu influencer leurs successeurs – en tant que professeur éventuellement, mais pas en tant que modèle de composition ; en revanche un certain nombre marquent réellement leur temps, à l'instant T, de leur empreinte singulière.

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Isabelle ABOULKER, 1918, L'homme qui titubait dans la guerre (« Prologue : La guerre au Luxembourg » ; texte d'Arielle Augry).
Chœur Capriccio, Orchestre de la Musique de la Police Nationale, Jérôme Hilaire (Hortus 2018).

mercredi 24 juin 2020

L'Athénée Louis Jouvet : élu meilleure saison et meilleur plan 2020-2021


normandie_misraki.png

Extrait vidéo de Normandie joué par les Frivolités.

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L'Athénée a dévoilé sa nouvelle saison.

L'exemple de la maison qui fait varié – théâtre (dont musical ou en langue étrangère),  opérette, recoins inexplorés du répertoire (seria de langue allemande, opéra comique dodéphonique…), opéra contemporain, récitals de lied (Wolf !) et mélodie (Messiaen !) –, qui fait ambitieux, qui propose du neuf dans les meilleures conditions d'exécution… En termes de mise en scène, on y fait toujours très animé, même avec des moyens limités – véritables directions d'acteur, pensée de l'espace scénique au delà des automatismes…

Je ne compte plus les découvertes ou expériences extraordinaires en ces murs : Les Bains macabres de Connesson, The Lighthouse de P.M. Davies, The Importance of Being Earnest de Gerald Barry, Trouble in Tahiti de Bernstein, Le Testament de la Tante Caroline de Roussel… Si bien que j'ai fini par appliquer la règle : « l'Athénée fait une création, je cherche pas à deviner si ça vaut la peine, je viens ». Je m'en suis toujours félicité depuis.

De surcroît, cette saison, la salle est en tarif unique (on était à un double tarif 32/26€, je crois), à 26€ la place, déjà raisonnable… mais en abonnement, on peut avoir 50% de réduction, sachant que les places sont déplaçables et même remboursables sans justification. 13€ en première catégorie pour de l'inédit toujours original et servi avec soin… de quoi prendre le goût du risque !
Il faut ajouter à cela qu'il s'agit d'un des plus jolis théâtres de Paris, qu'on y est proche des artistes, y voit bien et entend bien de partout… et que le personnel est le plus aimable de toute la capitale, toujours prévenants et adorables – d'ailleurs beaucoup de ces petits jeunes assistent au spectacle, on les sent vraiment intéressés par ce qu'ils font.

Pour entendre de l'opéra à Paris, c'est avec l'Opéra-Comique (dans un autre genre), l'adresse où l'on peut vraiment se lancer aller écouter un opéra en toute confiance : on sera bien servi.

(C'est tout de même plus agréable à écrire – mais peut-être moins amusant à lire – que mon opinion sur l'Opéra de Paris, qui constitue à peu près le miroir parfait de l'Athénée : hors de prix, inconfortable pour les fesses, les yeux, les oreilles, accueil standardisé, répertoire rabâché, mises en scène paresseuses, orchestre d'une désinvolture sidérante…)

En théâtre, je ne goûte en général pas trop la dominante, des pièces pour initiés (un peu du théâtre méta-, beaucoup de Tchekhov et de Beckett) jouées parfois en langue étrangère, mais dans des approches assez austères / abstraites qui ne m'ont pas beaucoup touché. Non que ce soit fait à la légère, mais pas du tout mon genre, je ne suis pas le public cible.

Je puis donc seulement conseiller à propos de leur saison musicale, particulièrement avenante cette année !

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Déjà, les soirées de lied.
Pass-Cemin dans des ballades hugoliennes, Ives et les Australiens ;
Röschmann-Martineau ;
Kleiter-Drake dans Wolf ;
Boché-Cemin.

Et puis les opéras. Ma sélection :

1) Normandie de Misraki par les Frivolités Parisiennes. Hilarant, interprété au plus haut niveau (l'humour grivois à la française, tout dans l'innuendo jubilatoire, même pour moi dont ce n'est pas le fonds de commerce), avec de beaux numéros musicaux. J'ai déjà vu la production, c'est un moment assez grisant. ·

2) Pour les Fêtes, Le diable à Paris de Lattès avec les Frivolités à nouveau, mis en scène par l'excellent Édouard Signolet (qui fait énormément avec très peu !). Dans le domaine du léger, Yes ! la saison dernière avec la même équipe était un enchantement.

3) Von Heute auf Morgen de Schönberg (scène maritale assez intense, de loin son meilleur opéra) en réduction pour 5 instrumentistes par l'excellent Némoto (notamment auteur d'un Winterreise pour ensemble très opérant), couplé avec un Offenbach diabolique rare.
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4) L'eau-péra de Lavandier ; je ne sais ce que ça vaut, mais Lavandier a les qualités de caméléon nécessaires pour éviter l'ennui à l'opéra. Il écrit aussi correctement pour la voix, même si je n'avais pas été ébloui par son dernier cycle de mélodies, et orchestre redoutablement bien.

5) Mr Shi and his Lover, théâtre chinois avec musique de scène, me tente beaucoup. Mais expériences pas toujours probantes dans cette salle du théâtre étranger – Strindberg en italien – ou musical – Ismène de Rítsos avec la musique d'Aperghis, subjectivement la pire expérience en salle depuis 10 ans (ce n'était objectivement pas mal réalisé du tout, mais musicalement peu dense, et la pièce se contentait de ressasser le mythe d'Antigone dans un dispositif visuel qui me mettait mal à l'aise).

6) Les Sept Péchés capitaux de Weill & Brecht : un ballet chanté (écrit pour Balanchine), organisé autour d'Anna qui tente de faire fortune aux USA, commentée par la voix moralisatrice de sa sœur et un quatuor vocal masculin…  Beaucoup plus lyrique que le Weill cabaretier, à peine si l'on peut comparer.

7) Powder Her Face d'Adès : sorte de remix un peu jazzy de l'histoire de Lulu, célèbre dans la presse pour la faveur buccale qui y est représentée, mais ici le fond de sauce brittenien du langage d'Adès est vraiment teinté d'irrémédiable déréliction – ambiance Wozzeck dans la solitude de l'hôtel-lupanar désert.
(Pas très réjouissant, je le trouve aussi moins prenant que The Tempest, ni que ses jeux chambristes ou orchestraux… mais indéniablement bien écrit musicalement, et théâtralement assez marquant.)

8) Croesus de Keiser (auteur de la Passion selon saint Marc un temps attribuée à Bach, que je trouve bien plus intense que la Matthieu et aime peut-être même davantage que la Jean – quels chorals !), du seria hambourgeois (l'exception écrite en allemand, donc), très bien fait. Ce restent des récitatifs secs entrecoupant des airs clos, mais la qualité musicale en est réelle et séduisante.

9) 10) Je suis moins optimiste sur le mash-up Salomé (ce peut être jubilatoire comme laborieux, à tester) et sur le Mélisande & Pelléas revu par Stücklin avec musique pour claviers électroniques (je crains que ça ne rejoigne pas le Maerterlinck taiseux, évanescent et parfois grotesque que l'on aime). Mais je n'ai pas vraiment d'éléments pour m'en faire une opinion.

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Voilà une maison qui mérite de franchir le pas… en particulier si votre budget est mince et votre curiosité étendue !

[Dois-je préciser que je n'ai aucun partenariat, aucune invitation avec l'institution, et n'y connais même personne, malgré les aspects de publi-reportage de cette notule : éloge sincère.]

jeudi 14 mai 2020

[Défi 2020] – Un jour, un opéra – n°2


Le télétravail gourmand et les indispensables balades (dans Paris déserté ou dans la nature retrouvée) épuisent le plus clair de mon temps et font tourner CSS à plus petite cadence qu'à l'accoutumée.

Pour autant, on prépare quelques nouveautés piquantes, comme un panorama des arrangements des symphonies de Beethoven (certains savoureux !), ainsi que la suite de la série Une décennie, un disque – qui contiendra une étrange aventure, à savoir le bannissement des femmes (pour des raisons à la fois morales, liturgiques, politiques et musicales) des cérémonies funèbres officielles parisiennes pendant la Monarchie de Juillet !

En attendant, je continue de reporter ici le parcours « Un jour, un opéra », qui devrait vous apporter, en ces temps de restrictions spatiales, un peu de dépaysement légal et bienvenu.



Durant la saison 2017-2018, je m'étais lancé le défi d'éplucher la programmation lyrique mondiale et d'en proposer un catalogue (organisé par langues), en présentant les opéras rares qui, au milieu des milliers de soirs de Carmen(s) et Traviate, permettaient en réalité d'élargir réellement notre vision du genre, dans des styles extraordinairement divers. Les sujets des opéras contemporains (il y en a tant d'étonnants… que je ne pus finir) étaient particulièrement éclairants sur l'époque… et tout à fait intrigants, quand ce n'était pas résolument appétissants !  Le résultat est lisible ici.

Exploration passionnante mais extrêmement gourmande en temps (lecture de chaque saison, relevé, écoute, documentation, écriture, recherche d'illustrations, mise en forme, chaque notule représentait quelques dizaines d'heures), à laquelle je ne me suis pas prêté pendant la saison 2018-2019 – 2019 étant l'année du défi de l'écoute des nouveautés discographiques, comme vous avez vu.

Pour débuter 2020, la fantaisie m'a pris de reprendre l'exploration (quel fascinant biais de découverte de lieux, de compositeurs, de langues, d'histoire locale !), mais cette fois sans accumuler ni hiérarchiser : sous forme d'éphéméride, chaque jour un opéra (rare / révélateur / insolite si c'est possible) dans une ville du monde. Avec des liens vers des extraits. L'occasion de découvrir des maisons d'opéra, l'état réel du répertoire dans des pays dont nous connaissons mal la programmation, des figures musicales locales, des langages sonores sinon nouveaux, du moins différents. Un panorama de l'état du répertoire mondial par la bande des particularismes patrimoniaux et de la création contemporaine…

À suivre là.

Comme l'ensemble du parcours peut finir par intéresser les lecteurs de CSS, je reproduis ici le début de l'aventure.




🔵 Ce 26 janvier, à Greifswald en Poméranie Occidentale (tout au Nord-Est de l'Allemagne, sur la côte baltique, quasiment dans l'axe Sud de Malmö), on donne Snödrottningen (« La Reine des Neiges ») de Benjamin Staern, probablement dans sa version allemande Die Schneekönigin.

maisons d'opéra du monde


Le théâtre, inauguré en 1915 pour remplacer le précédent qui avait, comme c'est la tradition, raisonnablement été réduit en cendres quelques années plus tôt, dispose d'une salle – ainsi que vous le voyez – d'architecture assez originale.

maisons d'opéra du monde

La ville a la particularité d'avoir été sous domination suédoise de 1630 à 1815. Sous l'influence de la Réforme, son abbaye a été attribuée aux ducs locaux et ses briques réutilisées pour d'autres constructions.
(Beaucoup de bâtiments locaux, comme sur toute la côte Sud de la Baltique, sont érigés en Backsteingotik, en « gothique de briques ». Outre l'abbaye, il reste trois églises de ce style dans la ville.)

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L'intrigue peut-être ? D'après le conte d'Andersen. L'ami de Gerda, Kaj, est frappé par un éclat du miroir de la (méchante) Reige des Neiges, ce qui lui fait un cœur de glace. Gerda brave tous les dangers et tous les sortilèges pour atteindre le palais où il est retenu, mais… elle demeure impuissante face au pouvoir de la Reine. Elle fond en pleurs, ce qui fait dégeler le cœur de Kaj.
Quelques citations ici.

L'œuvre ne dure qu'1h15, mais peut se destiner à un plus vaste public que les enfants : écriture tonale, certes, mais enrichie d'un grand nombre d'effets du XXe siècle, avec des sections assez intenses et impressionnantes. Très belle réussite !

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=a2J7ggsjdWk .




🔵  Aujourd'hui, 27 janvier, la Komische Oper de Berlin donne Jim Knopf und Lukas der Lokomotivführer d'Elena Kats-Chernin (1957-). Opéra pour enfants d'1h40, créé l'année dernière, d'après le best-seller de 1960 (depuis adapté au cinéma) de Michael Ende – l'auteur de L'Histoire sans fin.

maisons d'opéra du monde

Jim, Lukas et Emma la locomotive à vapeur quittent leur village de l'île de Lummerland, et mènent un voyage initiatique où ils gagnent finalement, des mains de l'Empereur de Chine, une île pour eux-mêmes.

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Langue musicale simple et jouissive, aux jolies mélodies bien faites et sans facilité. La production est de surcroît un enchantement pour les yeux, le plein d'aventures et de dépaysement.

maisons d'opéra du monde


Dans ce théâtre inauguré en 1892, ayant servi à l'opérette et aux variétés, la compagnie (incluant un très bon orchestre permanent !) peut aujourd'hui se comparer à notre Opéra-Comique : œuvres légères, créations ambitieuses jeune public, œuvres contemporaines radicales.

Trois différences importantes néanmoins :
¶ la Komische Oper est moins portée sur le service du patrimoine spécialisé ;
¶ elle dispose d'un orchestre résident ;
¶ les mises en scène sont très orientées Regietheater-bidouille, pas du tout le tradi soigné de Favart.

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=8R8S5ZrGr0Y .




🔵 Aujourd'hui, 28 janvier, au Théâtre National de Weimar, on joue Die Königin der Farben d'André Kassel – dont le style, même dans ses œuvres pour la jeunesse, appartient plutôt à une atonalité aux matériaux épurés, laissant libre cours à la déclamation.

maisons d'opéra du monde

Tiré d'un conte pour enfants conçu pour la télévision, cette Reine des Couleurs est aussi un livre de Jutta Bauer, illustré et interactif, bilingue allemand-anglais, dont on peut colorier la dernière page et où l'on peut découvrir le processus des couleurs complémentaires.

Malwida, reine des Couleurs, abuse de son pouvoir, si bien que les couleurs lui désobéissent et que le gris, qui échappe à son contrôle, remplace tout. Les couleurs finissent par revenir de leur plein gré.

maisons d'opéra du monde


J'ai aussi choisi cette production à cause de son lieu : si la Staatskapelle de Weimar n'est plus l'un des orchestres les plus virtuoses de d'Europe, le lieu demeure un centre culturel important ; centre culturel goethéen, évidemment, mais aussi un creuset musical séculaire.

Patrons : Schein, Bach, Hummel, Liszt (qui y créa *Lohengrin*, et *Der Barbier von Bagdad* de Cornelius), R. Strauss (création de son *Guntram*, et de *Hänsel und Gretel*)… *Samson et Dalila* y connut sa première mondiale, et Abendroth en fut le directeur musical après 1945… !




🔵 Aujourd'hui, 29 janvier, l'Opéra de Vilnius (re)donne Kornetas d'Onutė Narbutaitė (1956-), mélange assez stimulant de nappes atonales assez nues et de lignes mélodiques lyriques & marquées par le folklore – chœurs hors scène très évocateurs !

maisons d'opéra du monde

Ce Cornette s'inspire de celui de Rilke – où son ancêtre du XVIIe siècle est supposé, après une nuit d'amour avec une comtesse autrichienne, chercher une mort héroïque face aux Turcs.

Le livret exploite, dans les derniers instants du porte-drapeau, l'aller-retour entre son présent et ses souvenirs, ce à quoi font écho le langage musical aux sources multiples et les réminiscences folkloriques, dans une mise en scène assez traditionnelle, mais transposée au XXe s.

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0FlKNgJV49k .

maisons d'opéra du monde

Depuis quelques années que je surveille la programmation mondiale, je suis frappé par la vivacité de la production lyrique lithuanienne : par saison, plusieurs titres de divers compositeurs inconnus ailleurs, dans la langue nationale.

Une exception tandis que beaucoup de pays, quelle que soit leur langue officielle, commandent leurs créations largement en anglais ou en allemand.

maisons d'opéra du monde

Et la qualité du fonds (notamment parce qu'il puise à la tradition et respecte les contraintes vocales) se révèle très stimulante !

Pourtant il n'y eut une maison d'opéra nationale qu'à partir de 1920, comme on s'en doute (et le bâtiment actuel date de 1976).

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Un des hits récents semble Lokys de Bronius Kutavičius, d'après la nouvelle fantastique d'ours-garou de Mérimée, située dans la région.




🔵 Aujourd'hui, 30 janvier, on donne à l'Opernloft de Hambourg, ancien entrepôt portuaire, un Krimioper (Opéra policier), Mord auf Backbord (« Meurtre à babord ») de Susan Oberacker (autrice).

maisons d'opéra du monde


Je n'ai pas pu entendre l'œuvre ; je devine qu'il s'agit d'un pot-pourri de pièces célèbres ou pittoresques : une cantatrice et une touriste (en réalité enquêtrice) s'allient sur la trace d'un criminel pendant la croisière.. Avec de la chanson napolitaine et de la habanera…

maisons d'opéra du monde




🔵 Ce 30 janvier, l'Opéra de Riga donne I Played, I Danced (en réalité chanté en letton) d'Imants Kalniņš, d'après la pièce de Rainis, conte scénique épique rempli de folklore.

maisons d'opéra du monde

Kalniņš est une figure particulièrement emblématique (et inhabituelle) en Lettonie : d'abord compositeur de rock, il écrit de la musique symphonique hybride, de la chanson, mais aussi des pièces de concert tout à fait 'conformes'.

Un festival, entièrement consacré à sa musique, avait même été interdit par les Soviétiques – qui redoutaient l'affirmation culturelle des Lettons, transmise par la musique et la poésie, les dainas notamment.

maisons d'opéra du monde
(Photo de Chris Belsten.)

Dans cet opéra, on retrouve sa manière hybride d'utiliser l'orchestre en grandes masses verticales, comme des riffs, tout en utilisant de nombreuses techniques de composition selon ses besoins.

Le livret déborde d'action, comme dans un vrai conte développé : à la suite d'une vilaine prédiction, le château s'embrase lors du mariage et la mariée meurt. Un joueur de kokle (sorte de cithare-psaltérion lettonne), Tots, descend dans l'autre monde pour accomplir les rituels qui sauveront la jeune épousée (pas la sienne, vous avez trop cru la vie c'est un opéra de Monteverdi).
Cependant à la dernière étape, la Terre absorbe le sang de sa résurrection et (attention PLOT TWIST) Tots donne le sien (fin du SPOILER) pour la faire revivre, ce qu'elle fait en reprenant ses chants.

maisons d'opéra du monde

Chose amusante, il se trouve que ma pièce favorite de tout Kalniņš (une merveille de simplicité dansante) est une mise en musique du Psaume 80/81 : « Jouez des instruments, frappez le tambourin, jouez de la douce cithare et de la harpe ! », ce qui produit en letton Mostieties, stabules un kokles !

La maison d'Opéra de Riga existe depuis 1782 (théâtre alors de langue allemande), et le bâtiment date de 1863, rouvert en 1995 après rénovations post-soviétiques. Pour un opéra composé en langue lettonne, il faut attendre 1893 (Spoku stunda de Jēkabs Ozolsl).

Et le merveilleux Operavision.eu propose la vidéo sous-titrée intégrale pour six mois !
https://www.youtube.com/watch?v=gVCCGV0OxKY




La série a duré une bonne partie du mois de février, avant que la vie microscopique ne menace celle des gros (et bons) sons. Il reste encore un bon petit nombre de titres à vous faire découvrir !

Portez-vous bien, vous et vos oreilles.

dimanche 3 mai 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 6


L'enfermement (partiel) facilitant les écoutes, voici déjà une sixième livraison assez copieuse.

Nouveautés écoutées et commentées de ces dernières semaines.

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques. Dans les cas où je ne recommande pas forcément l'écoute, je place le texte en italique.)

Quelques albums vraiment incroyables ont paru ces derniers jours, notamment les motets allemands du XVIIe par Clematis, les concertos pour basson (dont l'excellentissime de du Puy !) par Sambeek, la Phèdre de Lemoyne, les arrangements pour nonette de Dvořák, Puccini & R.Strauss, côté interprétation d'œuvres connues les R. Strauss de Lan Shui avec Singapour (mais j'ai bien aimé aussi le concerto pour contrebasson de Beethoven par Currentzis), et bien sûr la réédition en coffret des R. Strauss (décidément !) du Museum de Francfort et Weigle.




Commentaires nouveautés : œuvres

Hermann Goetz & Hans Huber – Piano Trios (Music from the Zentralbibliothek Zürich) – Trio Fontane (Solo Musica)
→ Le final du Huber est scherzo-brahmsien en diable ! Le reste est très plaisant, du simili-Brahms un peu moins ambitieux.
Flosman, Feld & Bodorová - Czech Viola Concertos ; Jitka Hosprová, Prague Radio Symphony Orchestra (Supraphon)
→ Atonal doux ou tonal élargi, un spectre très intéressant de la composition au XXe siècle – pas repéré de chef-d'œuvre vertigineux, mais tout est très bien écrit et se suit avec beaucoup d'intérêt.
Michl, quatuors basson-cordes – Ben Hoadley, The Hall String Trio (Naxos)
→ Effectif original, traité comme un gentil concerto pour piano plus mélodique que virtuose. Pas de l'immense musique, mais un point de vue différent sur les nomenclatures du temps, disons.
Anonymes, Walter, Cracoviensis, Rein, Buchner, Finck, des Prés – Orgue de Rysum – Ghielmi, Biscantores (Passacaille)
→ Belle évocation d'un répertoire pérbaroque à l'orgue et au chant d'église, sous forme d'un service de messe imaginaire. Très réussi et vivant.
Magnard – Ouverture, Chant funèbre, Hymnes Justice & Vénus, Suite dans le style ancien – Fribourg PO, Bollon (Naxos)
→ Quel élan nouveau, quelle pâte limpide apportées à ce corpus qui était certes un peu mieux servi (Timpani !), mais qui méritait cette mise en lumière ! Une partie du programme a été très peu enregistrée.
→ Les appels pointés du début du grand duo de Tristan dans l'Hymne à Vénus (et sa fin ressemble carrément à un final de poème symphonique de Strauss, ou à celui de la Femme sans ombre !).
Martini, requiem pour Louis XVI, Niquet (CVS)
→ Très lumineux et même léger, avec cette Séquence du Dies iræ en majeur, accompagnée de douces batteries de cordes et de trompettes plus triomphales que menaçantes, et parcourue d'une grande douceur… Vision consolatrice, à moins que ce ne soient les limites intrinsèques du langage lui-même de Martini.
Intéressant, encore un aspect manquant au répertoire du temps !
Reger, Trios à cordes, ensemble Il Furibondo (Solo Musica)
→ Pas trop sévère pour du Reger, mais évidemment essentiellement contrapuntique et quasiment pas mélodique, il faut aimer l'abstraction musicale germanique à son plus haut degré, voire avoir quelques notions d'écriture pour apprécier l'originalité des emprunts et modulations, la beauté de la conduite des voix simultanées… Un peu aride autrement, mais pas dépourvu de beauté.
Čiurlionis: The Sea, In the Forest & Kęstutis ; Lithuanian NSO, Modestas Pitrenas (Ondine)
→ Grand postpostromantisme assez franc, et bien fait, exécuté avec beaucoup d'élan et comme toujours remarquablement capté.
Rebel & Boismortier : Les caractères d'Ulysse. Suites pour deux clavecins ; Loris Barrucand, Clément Geoffroy (CVS)
→ Programme très original (Ulisse, Les Élémens, Ballets de Village, Daphnis, Les Plaisirs Champeſtres) à deux clavecins, par deux artistes majeurs (en particulier fan de Clément Goeffroy, l'un des clavecinistes les plus éloquents de notre temps, jusque dans les répertoires germaniques les plus sévères).
→ Le résultat sonore n'est que partiellement convaincant, capté de près, la richesse des deux clavecins mêlés paraît un peu agressive, alors qu'il n'y a rien de plus physiquement harmonieux lorsque leurs harmoniques se mêlent dans l'espace d'une pièce…
Pour autant, superbe voyage, qu'il faut s'imaginer écouter avec un peu de recul, à l'autre bout du salon ou à quelques rangs d'intervalle dans l'église.
Antheil : Serenades 1 & 2, Württembergische Philharmonie Reutlingen, Fawzi Haimor (CPO)
→ Musique bigarrée américaine, assez réussie, bien jouée et captée. Pas perçu de pépite particulière néanmoins : mériterait réécoute.
Adams – Must the Devil Have All the Good Tunes ? – Wang, LAP, Dudamel (DGG)
→ Plus planant que profond, pas du grand Adams. (Et sans le potentiel ravissant et jubilatoire de Grand Pianola Music !
Rosenmüller, Buxtehude, Pfleger, Hammerschmidt, Scheidemann, Monteverdi, Bernhard – Nun danket alle Gott – Clematis (Ricercar)
→ Motets allemands à voix seule influencés par l'Italie, trouvés dans une bibliothèque suédoise : un témoignage passionnant, des œuvres sobres et poignantes, une exécution au cordeau, frémissante et généreuse. Et des découvertes en pagaille (jamais entendu Bernhard pour ma part, pas sûr pour Pfleger et Hammerschmidt).
Gerald Barry : « Beethoven » & Concerto pour piano – Britten Sinfonia, Adès
→ Couplé avec les trois premières symphonies de Beethoven (la Troisième rebondit bien, très belle réussite), une cantate en anglais dans le style de Barry (avec sa tonalité dégingandée et ses chorals de cuivres issus de l'univers mental de Copland). Concerto pour piano qui joue avec les codes, en proposant des bouts d'exercices de Hanon-Déliateur au milieu d'un orchestre déhanché et martelant, jazzy et très amusant. Très rafraîchissant !
Różycki: Orchestral Works – Olga Zado, Lower Silesia PS Orchestra (DUX)
→ Du grand postromantisme expansif, pas la part la plus aventureuse de son catalogue, en particulier le très néo-chopinien Concerto pour piano (et sur des instruments plus limités que ceux des grands orchestres de l'Europe riche), mais beaucoup d'élan, d'atmosphère, de belles mélodies – ce n'est pas neuf, mais ce reste très abouti.
(Je recommande plutôt d'écouter son opéra Psyché, par exemple, qui tire davantage sur Szymanowski, en moins retors et davantage debussysé.)
Albena Petrović, Bridges of Love, Mangova (Solo Musica)
Daniel-Lesur, Messiaen, Pfitzner, Ives, Bernstein, Crumb, Eisler, Schumann, Ravel, Debussy, Fauré, Stravinski, Wolf, Brahms, Britten… – Paradise Lost – Prohaska, Drake (alpha)
→ Programme assez peu festif (contemplatif-mélancolique, voire carrément désolé), la voix de Prohaska a un peu mûri aussi (large pour du lied), mais on retrouve la même intelligence de la constitution thématique et musicale des pièces, la même finesse d'interprétation (on peut discuter sur l'accent français, mais l'ensemble reste tout à fait convaincant), qui font de chacun de ses nouveaux récitals un événement.
Lemoyne: Phèdre – Vashegyi (Bru Zane)
→ « Les murs de mon palais semblent crier vengeance / Je cherchais le bonheur, je trouve des forfaits »
→ (Dans ce livret, c'est Œnone qui fait le choix de la calomnie.)
→ La version complète de cette très belle tragédie du contemporain de Sacchini, Vogel et Cherubini. Son Électre était réputée d'une hystérie à peine soutenable, Bru Zane a retenu ce drame plus équilibré, dont la fluidité naturelle et la beauté de langue séduisent plus que l'éclat de moments isolés. À découvrir absolument pour compléter notre perception du répertoire classique de la tragédie en musique, par l'un des très rares compositeurs français à l'avoir exercée dans les années 1770-1780 – Gossec et Grétry (si on ne le tient pas pour belge) étant les deux autres grandes figures.
→ Moments forts : les trois grands airs, inhabituellement développés, des personnages principaux, très fouillés (celui de Phèdre aux confins du silence, celui de Thésée terrible…), et la mort d'Hippolyte, véritablement terrifiante, qui avec ses trombones furieux annonce le style de la mort de Sémiramis chez Catel.
→ Superbe distribution (Wanroij et Behr dans la soirée de leur vie, Christoyannis toujours aussi fascinant), Vashegyi très engagé !
« Unknown Debussy » (réductions & compléments par Orledge, versions originelles…) – Nicolas Horvàth (Grand Piano)
→ À part les étonnants chromatismes du Toomai des éléphants, , l'essentiel est assez bien connu (des réductions de musiques scéniques, des versions alternatives de tubes…) et sa nouveauté peut échapper, mais l'atmosphère de l'ensemble reste délicieuse, et je suis frappé par la beauté de timbre obtenue par Nicolas Horvàth (alors que Grand Piano ne flatte pas forcément de ce point de vue), chaque attaque chante avec rondeur, sans empêcher une belle variété de textures.
De quoi renouveler son Debussy avec délices.
Je n'ai pas encore pu me plonger dans la note de programme très complète écrite par l'artiste – qui a encore bien des inédits sous le coude.
Strauss, Puccini, Dvořák, Opera Suites for Nonet : Rosenkavalier, Tosca, Rusalka ; ensemble minui (Ars Produktin)
→ Jubilatoire sélection, qui comprend aussi bien interludes que parties vocales (le duo d'amour du I de Tosca, la Présentation et le Trio final du Chevalier, le duo du Cuistot et l'entrée du Prince de Rusalka…). Les arrangements restent relativement prévisibles (beaucoup de violon solo), mais le niveau de réalisation est tel ! Le corniste est hallucinant, tellement sûr et glorieux, aussi bien chez Strauss que Puccini…
Indispensable pour tous les amoureux de transcription, d'autant que contrairement à Mozart, on est là dans un terrain peu fréquenté !
J.S. Bach: Complete Keyboard Vol. 3 « à la française » ; Benjamin Alard (HM)
→ Une Suite anglaise, deux Suites isolées, une Partita… trois disques, essentiellement des suites à la française (en dépit de leurs dénominations),
pour un programme à la fois thématique et transversal vraiment stimulant, jouées avec la maîtrise habituelle d'Alard, mais qui me paraît dans ce répertoire de danses un peu rigide et sérieuse, où j'espérais davantage d'élan, d'inégalité, de déhanché.
J'aime pourtant bien ces pièces d'ordinaire (sans être un des grands admirateurs de Bach), et me suis un peu ennuyé ici.
Bortnianski, Berezovski – « Nuits Blanches » : Le Faucon, Alcide, Demofoonte – Gauvin, Pacific Baroque (ATMA)
→ Opéras en français et italien de compositeurs russes (célèbres pour leur contribution liturgique au fonds de l'Obikhod !), dans un style postgluckiste ou classique-allemand. Très étonnant, passionnant.
(Le français de Karina Gauvin est ce qu'il est, son émission un peu molle pas la plus adéquate non plus, mais on ne peut lui dénier le feu !)
du Puy, Weber, Mozart : Bassoon Concertos ; van Sambeek, SwChbO, Ogrintchouk (BIS)
→ On peut donc faire ça avec un basson ! Cette finesse (changeante) de timbre, cette netteté des piqués, cette perfection du legato, j'ai l'impression de découvrir un nouvel instrument. J'aurais aimé la Chambre de Suède un peu moins tradi de son (comme avec Dausgaard), mais je suppose que le chef russe a été formé à un Mozart plus lisse (ça ploum-ploume un peu dans les basses…).
Quand au du Puy, c'est une petite merveille mélodique et dramatique qui sent encore l'influence du dramatique gluckiste dans ses tutti trépidants en mineur, une très grande œuvre qui se compare sans peine aux deux autres !
Ropartz, La Tombelle, Widor, Louigny… ; Nuits ; I Giardini, Véronique Gens (Alpha)
→ La voix mûrit doucement, et la rondeur du timbre, la saveur de la diction demeurent souverains. Parcours assez original où l'on gagne notamment une Chanson perpétuelle d'anthologie.
Jommelli : Requiem & Miserere, Il Giardellino
→ Très jolie musique baroque-classique, agréable, avec du verbe et des atmosphères.
Vivaldi / Tarkmann ; Concerto Köln, Martin Fröst (Sony)
→ Le grand arrangemeur Tarkmann, qui a transcrit magistralement tant d'opéras de Mozart, Beethoven ou Schubert pour petits ensembles à vent, a aussi proposé sa version pour clarinette de concertos de Vivaldi… ici joués sur l'un des meilleurs ensembles sur instruments anciens (quel grain sonore !) et par la clarinette la plus naturelle, fluide et transparente (quel son flûté !) de la scène actuelle.

Un régal absolu, où l'on retrouve en outre quelques thèmes récupérés d'oratorios (le grand air de bravoure de Giudita Triumphans) et opéras (le figuralisme pluvial d'Il Giustino).
Pēteris Vasks: Viola Concerto & Symphony No. 1 "Voices" ; Maxim Rysanov (BIS)
→ Planant et délicat, TB, et quel altiste toujours incroyable !
Naoumoff: Cinq valses pour piano quatre mains, par Soojin Joo, Emile Naoumoff (Melism)
Aimables valses de salon au langage à peine enrichi. Très mignon, comme certaines pièces de caractère un peu subverties du début du XXe siècle.
N. Boulanger / Pugno : La Ville morte (d'après D'Annunzio et non Rodenbach), Göteborg 2020 (vidéo du théâtre)
→ Dans l'esprit d'Uscher de Debussy, du français très sombre et un peu germanisé… mais difficile de se rendre compte avec la diction épouvantable de la distribution – on ne comprend rien, on ne voit pas trop où ça va…
Dommage, quel inédit exaltant ! (celui qui me tentait le plus de toute la saison!)
Firenze 1350
→ Interprétation et sélection extrêmement directes, qui évoquent le naturel des plus grandes œuvres de la période suivante (Dufay !).






commentaires nouveautés : versions

R. Strauss – Macbeth, suite du Rosenkavalier, Tod und Verklärung – Singapore SO, Lan Shui (BIS)
→ L'orchestre n'est clairement pas auix mêmes standards que les plus beaux d'Europe (cordes peu douces ni fondues, bois assez acides et durs, cuivres peu ronds), mais l'aération toujours fabuleuse des captations BIS et la tension imprimée par Lan Shui en font peut-être le plus beau disque symphonique Strauss que j'aie entendu…
→ Macbeth extraordinairement tendu, toujours tempêtueux, qui échappe à son habituel aspect aimable (j'y entends beaucoup le compositeur d'Aus Italien !).
→ Rosenkavalier d'une grâce ineffable malgré l'enfilade de tubes – chaque frottement dans chaque tuilage est tenu, si bien que tout semble d'une progression infinie (Hab mir's gelobt semble s'étendre à l'infini comme un final de Mahler, ne jamais se reprocher sur sa séduction mélodique, toujours aller chercher la beauté de l'harmonie et du contrepoint en rebfort).
→ Tod und Verklärung, tant de fois entendu en concert avec une vague indifférence, devient ici véritablement une question de vie ou de mort, donc l'élan ne se limite pas aux quelques tutti plus mélodiques.
Verdi – Attila – Monatyrska, Stefano La Colla, Petean, D'Arcangelo ; Munich RSO, Ivan Repušić (BR Klassik)
→ Ouille. La Colla (malgré quelques aigus en arrière), Petean et D'Arcangelo sont séduisants, quoiqu'on les devine peu sonores en vrai, et qu'ils ne brûlent pas exactement les planches par leur intensité dramatique ; mais Monatyrska qui crie tout ce qu'elle peut (que lui est-il arrivé ? méforme, usure prématurée par le stress de la carrière ?), et Repušić éteint l'orchestre sous une mollesse digne des studios de Gardelli…
Décidément impossible pour moi de trouver un disque BR Klassik un peu exaltant (excepté ceux de Dijkstra, tous superlatif), la captation froide n'aidant pas non plus.
Chausson « le littéraire » – Chanson perpétuelle, La Tempête (arr. Némoto), Concert – Pancrazi, Musica Nigella (Klarthe)
→ Très belle version de la Chanson perpétuelle, instrumentalement très vivante, nette et aérée – moins enthousiaste sur le chant trop en arrière, pas assez mordant et intelligible (la tournure que prend E. Pancrazi, une chouchoute, me préoccupe un peu), surtout pour de la mélodie aussi délicate – et sans enjeu de couleur ni de puissance.
Les deux autres pièces sont très réussies, mais disposent de versions plus animées (Kantorow est assez formidable pour la véritable version de la Tempête, et la discographie du Concert est large).
Widor: Organ Symphonies, Vol. 2 (s3 & s4) – Rübsam (Naxos)
→ Incroyable les points communs de la Troisième Symphonie avec les pièces de circonstance de Théodore Dubois ! Je n'avais jamais remarqué à ce point.
Belle interprétation habitée de Rübsam, aux belles respirations, dans les prises de son toujours assez peu physiques et un peu blanches de Naxos (pas le meilleur label d'orgue, clairement).
Shostakovich / Schnittke / Lutosławski – Concertos chambristes – Kammerorchester Wien-Berlin, Denis Matsuev (DGG)
→ Superbe lecture du concerto piano-cordes de Schnittke, avec un orchestre au grain plus fin qu'à l'accoutumée, et Matsuev qui sonne ici ample et majestueux (ce qui ne m'a jamais frappé au concert ni dans ses autres disques).
Programme par ailleurs assez ambitieux pour un disque de concertos !
Haendel: Messiah, HWV 56 (1742 Version) ; Gaechinger Cantorey, Rademann
→ Grosse déception : tout semble retenu vers l'arrière, comme si chaque note était arrachée à la glaise, impression désagréable d'un retard permanent sur son propre tempo – sans doute lié aux choix d'attaque des cordes ? Solistes et chœur plaisants mais assez lisses, on est vraiment loin du grand Rademann d'il y a quelques années. (J'avais eu cette impression aussi en concert, depuis qu'il varie les ensembles avec lesquels il travaille…)
Gesualdo – Tenebræ – Graindelavoix
→ Lecture archaïsante qui met en valeur le plain-chant et lent contrepoint plutôt que la déclamation théâtrale, en tirant l'esthétique vers le XVIe siècle. Toutes choses qui se défendent, mais les timbres assez blancs de l'ensemble m'empêchent d'y prendre le même plaisir. Beaucoup plus séduit par la lecture résolument XVIIe, beaucoup plus incarnée, de l'ensemble Tenebræ – parue deux semaines plus tôt.
Monsieur de Sainte-Colombe, Pierlot, Lucile Boulanger, Rignol, Lislevand (Mirare)
→ Superbes versions, vivantes et lumineuses, du catalogue de Sainte-Colombe.
Bach: Sonatas for Violin and Basso Continuo, BWV 1021-1024 – La Divina Armonia (Hirasaki, Camporini, Lorenzo Ghielmi)
→ Sensiblement plus rares au disque, me semble-t-il, que les sonates violon-clavecin (BWV 1014-1020+1022) qui sont un rare cas de partition d'accompagnement clavier entièrement écrite. Celles avec basse continue (BWV 1020-1-3-4) évoquent davantage la tradition italienne, paraissent moins sorties d'un univers parallèle, mais regorgent de beautés.
→ Beau son de violon très fin, aux phrasés courts, belle gambe délicate, et clavecin un peu timide, tout cela est fort joli.
Dvořák, Smetana & Suk : Piano Trios (intégrale) ; Irnberger, Geringas, Kaspar (Gramola)
→ Beaucoup de grain et d'engagement dans ce très bel ensemble, qui comprend les quatre trios de Dvořák servis au plus haut niveau, ainsi que les plus rares bijoux de Smetana et Suk.
Comme d'habitude Gramola se révèle une référence à suivre les yeux fermés en matière de musique de chambre.
Beethoven – Complete Trios : Triple concerto, « Septuor » ; Van Baerle Trio, De Vriend (Challenge Classics)
→ Par le trio qui a magnifié la version originale du Premier Trio de Mendelssohn, une intégrale Beethoven qui approche ici deux formats insolites : la transcription du Septuor et le Triple Concerto ! Avec un brio (et un orchestre bien-dialoguant et tranchant !) qui reste comparable à la réussite du Mendelssohn !
Schumann: Overture, Scherzo & Finale ; LSO, Gardiner (LSO live)
→ Toujours cette pâte très légère de Gardiner-LSO (le petit volume était même très surprenant en concert). Beau travail fin, qui perd un peu en puissance épique.
Vu la durée (20 minutes), je suppose que ce n'est disponible qu'en dématérialisé.
Couperin / Gesualdo : Tenebræ, par Tenebræ & Nigel Short (Signum)
→ Très belles versions, sobres et habitées, de deux des plus belles compositions pour la Semaine Sainte. On admire vivement la maîtrise conjointe de ces deux esthétiques très différentes.
Beethoven: String Quartets, Opp. 132, 130 & 133 ; Tetzlaff Quartett
→ Très belle interprétation, forcément, de ces quatuors de maturité – avec un ringraziamento du Quinzième entièrement en diamant, sans vibrato.
Pour autant, dans ce corpus saturé, il y a encore plus inventif / cohérent / absolu à mon avis chez des ensembles constitués (Italiano, Pražák, Takács, New Orford, Leipziger, Belcea, Brentano, Cremona…).
La Grande Fugue est tout de même stupéfiante d'aisance technique, comme à peu près nulle autre je crois bien.
Couperin, Leçons de Ténèbres – Mutel, Deshayes, Martin Bauer, d'Hérin (Glossa)
→ Continuo extraordinaire, Bauer éloquent à la gambe, et surtout les réalisations au clavecin riches, mélodiques, élancées, originales de Sébastien d'Hérin, pleines de dynamisme et de couleurs !
Vocalement, c'est moins idyllique : Deshayes reste très « globale » mais plie sa grande voix avec grâce à l'exercice, tandis que Mutel reste toujours aussi floue, et la voix vieillissant, le blanchiment et le vibrato sur le timbre deviennent assez désagréables, a fortiori dans ce type d'orfèvrerie – or sa technique l'empêche de dire précisément le texte pour compenser…
Mérite néanmoins grandement l'écoute pour l'intérêt tout particulier de l'accompagnement instrumental, parmi les plus aboutis de la vaste discographie ! (et le meilleur de ceux avec clavecin, Christie inclus)
Vivaldi: Concerti per flauto ; Antonini (Alpha)
→ Très vivace interprétation de concertos largement documentés… Reste la limite de l'instrument, en particulier le flautino pépiant (et pas toujours juste), qui n'est pas l'instrument le plus admirable ni le moins agaçant qui soit.
Zemlinsky — Sinfonietta, , 6 Songs, Op. 13 & Der König Kandaules — ÖRF (Capriccio)

→ Très belles versions (en particulier les extraits du Roi Candaule avec Siegfried Lorenz !). Je n'ai pas vérifié si les Maeterlinck avec Petra Lang sont aussi une réédition.
Beethoven: Symphony No. 5 ; MusicAeterna, Teodor Currentzis (Sony)
→ Excessivement rapide, tendue comme un arc, une version qui ose le tempo extrême suggéré par Beethoven, qui fait par endroit exploser le col legno et les timbales, avec des cuivres plus capiteux qu'à son ordinaire, et un véritable concerto pour contrebasson final !
Il existe versions plus construites (de Markevitch à Janowski, en passant par Dohnányi, Hogwood et le dernier Harnoncourt), moins fondées sur la seule énergie cinétique, mais le résultat demeure assez irrésistible, et pour une fois particulièrement neuf – ce qui était beaucoup moins patent dans leur tournée l'an passé.




commentaires nouveautés : rééditions

Strauss – les grands poèmes symphoniques – Museum de Francfort, Weigle (Oehms)
→ Rééditions sous forme de coffret contenant tous les volumes précédents.
On dit toujours que Kempe-Dresde constitue l'horizon indépassable de ces poèmes, et c'est tout à fait vrai, mais Zinman-Tonhalle et désormais Weigle-Museum peuvent tout à fait prétendre au titre.
→ Cette fluidité et cet élan miraculeux, servies par ce qui est possiblement l'orchestre le plus déraisonnablement virtuose d'Allemagne (et donc du monde), en font un jalon discographique capital – comme tous les Wagner-Strauss-Berg de Weigle, au demeurant.
→ Parmi les œuvres rares, une Deuxième Symphonie d'un romantisme flamboyant, pas du tout décadent, servie avec un feu étourdissant.
Beethoven – Symphonies – Sk Dresden, Blomstedt (Edel Kultur)
→ Remasterisation de ce beau cycle tradi mais habité, qui a connu une diffusion large grâce à la reparution sous licence chez Brilliant (déjà dans un son excellent).





Hors nouveautés, beaucoup de jolies découvertes pour moi !  (Les Hummel, je ne les avais pas écoutés depuis tellement longtemps…)

Voici les découvertes hors nouveautés :

Suite de la notule.

jeudi 2 avril 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 5


Et voici la cinquième livraison de l'année ! 

Nouveautés écoutées et commentées de ces dernières semaines (mises à jour au fur et à mesure dans ce tableau – il contient même la planification d'écoutes à faire ou refaire, que je vous ai épargnées ici).

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques. Dans les cas où je ne recommande pas forcément l'écoute, je place le texte en italique.)

Voici :

Suite de la notule.

samedi 18 janvier 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 2


Le tableau a été mis à jour toute la semaine. Le voici augmenté également des nouveautés parues en masse hier.

clément goebel

Les codes restent les mêmes :
gras pour ce qui est attirant (prometteur avant / réussi après / intéressant dans l'absolu) ;
souligné pour les disques très attendus (qu'ils aient été réussis ou non) ;
italique pour les parutions dispensables (peu attirantes avant ou décevantes après).
(Et pour les recommandations les plus vives, le même code couleur que pour les concerts : vert pour particulièrement-intéressant, bleu pour très-remarquable, violet pour la douce-hystérie.)

Je précise que, par défaut, les disques où rien n'est noté sont très convaincants : comme précisé dans la dernière notule, très peu de déceptions, et en général assez relatives, sur la quantité phénoménale de disques produits.

Chose que j'avais omis de préciser : il ne s'agit évidemment ni de critiques, ni de jugements d'aucune sorte : juste de premières impressions (après une première écoute), des jalons pour suggérer ce à quoi ressemblent les albums, ce qu'on peut éventuellement écouter en priorité. J'ai conscience de la somme de travail derrière chaque parution, et il va de soi que, n'ayant pas forcément lu les notices et pas encore réécouté ces disques, je suis loin d'appréhender toute leur richesse au premier coup d'oreille. Il ne faut voir ces commentaires que pour ce qu'ils sont : de premières réactions candides, que je partage car tout le monde (moi le premier) n'a pas le temps d'écouter toutes les nouveautés avant de décider sur lesquelles insister. Un travail de tri qui est justement nécessaire en raison de l'avalanche de parutions de très haute qualité…

[Je m'imagine à chaque fois l'effroi de l'artiste de qualité qui tombe sur deux lignes mentionnant « n'apporte rien de neuf », « gentil mais à quoi bon » ou quelque chose du genre. Je me place du point de vue de l'auditeur qui doit absolument hiérarchiser a priori pour décider quoi écouter. Mon idée est plutôt que ce petit parcours permette d'oser des compositeurs inconnus, des interprètes plus discrets, que de dire qui est un véritable artiste ou un faux musicien – Dieu me garde de pareilles intentions !  À la rigueur, je devrais peut-être taire mon avis sur les disques bien diffusés, ou qui m'ont moins plu, mais comme je fais cette recension également pour moi-même, je la partage à titre indicatif, sans induire le moins du monde qu'il ne faut pas écouter ni aimer ce qui m'a moins convaincu.]


granados



Je reproduis ici les nouvelles entrées du tableau :

écouté œuvres
Handel: Almira, HWV 1 Boston Early Music Festival Orchestra (CPO) Baráth, Wilder, Immler…
→ Opéra allemand de Haendel intégrant beaucoup de tournures françaises (récitatifs riches, cadences harmoniques caractéristiques), dans une distribution spécialiste aussi bien de l'italien que de l'allemand et du français de la période !
Goossens: Orchestral Works, Vol. 3 (Symphony 2, Phantasy Concerto) Tasmin Little, Melbourne SO, A. Davis (Chandos)
→ Sombre, assez britannique mais lisible.
Pettersson: Vox Humana & 6 Sånger ; Anna Greelius, Musicæ Vitæ, Daniel Hansson (CPO)
→ Pettersson beaucoup moins sombre et paroxystique dans cette cantate, très doux et uni, belle prosodie. (En revanche les chanteurs de la version BIS diposent d'une saveur vocale et idiomatique sans comparaison !)
Gould, Gulda : Acies Quartett (Gramola)
→ Par un des meilleurs
quatuors en activité (son de diamant !), deux quatuors de pianistes-vedettes excentriques. Celui de Gould assez sombre, celui de Gulda davantage tourné vers une plénitude mélancolique quelque part entre Schoeck et Copland.
Franz Joseph CLEMENT : Violin Concertos Nos. 1 & 2. Comtzen, WDR, Goebel (Sony)
→ Délicieux concertos classiques, remarquablement écrits et exécutés, pas du tout interchangeables ni platement galants – en somme une favorable alternative aux Mozart.
PILATI, M. : Preludio, aria e tarantella / 4 canzoni popolari italiane / Divertimento / Bagatelles ; Moscow Symphony, Adriano (Naxos)
→ Cordes bien moches. Jolie musique du XXe néo, plaisante mais pas très marquante à mon gré.
Tullochgorum : Haydn, Scottish Songs, par The Poker Club Band (BIS)
→ Chants écossais de Haydn pour harpe et voix naturelle (avec des bouts de symphonie transcrits pour harpe !). Voix un peu grêle, mais tout à fait charmant et dépaysant, avec de beaux thèmes musicaux (qui préfigurent les essais de Beethoven autour des folklores des Îles Britanniques !).
Cimarosa : Overtures, Vol. 6 ; Czech Chamber Philharmonic Orchestra Pardubice, Patrick Gallois (Naxos)
=> Jolies pièces semblables mises bout à bout, dans exécution très tradi ni très colorée, ni très tendue, ni très palpitante. Même pour les amateurs d'ouvertures, on doit pouvoir trouver mieux ailleurs.
Reger : Organ Works, Vol. 6. Passacaille Op.127, Chorals… (CPO) Gerhard Weinberger (orgues de Mannheim 1911 et Belingries 1913)
=> Jeu clairement étagé dans un répertoire exigeant et assez abstrait (références à Bach, modulations et emprunts propres à Reger assez sophistiqués).
Leclair: Violin Concertos, Vol. 2, Leila Schayegh, La Cetra (Glossa)
=> Les Italiens peuvent donc surpasser les Français en musique ! (dans les petits genres décoratifs)
Pas les sommets du concerto pour violon, La Cetra étrangement peu en relief, et je n'aime pas beaucoup ce type de violon qui semble toujours au bord du grincement. Pas ébloui.
Mayr: Piano Concertos Nos. 1 & 2 - Haydn: Symphony No. 25 in C Major, Hob.I:25 - (Live) Edna Stern, Georgisches Kammerorchester Ingolstadt (Ars)
→ Bonne surprise, concertos dans un goût mozartien (assez lyrique, sans surprise pour ce compositeur de - mauvais - opéras) même si peu de surprises harmoniques comparables. Interprétation sur instruments modernes assez traditionnelle, mais raisonnablement vive.
Nielsen, Ibert & Arnold: Flute Concertos Clara Andrada, Radio de Francfort, Jaime Martín (Ondine)
→ Pièces qui ne sont pas les plus profondes de leurs auteurs, interprétées avec conviction (pas forcément l'orchestre le plus coloré du monde, mais le
Nielsen est remarquablement vif et élancé, très belle référence !). J'aime bien, mais l'univers des concertos pour flûte est si loin de moi… Andrada a beau être ma chouchoute du Chamber Orchestra of Europe, ce n'a pas transfiguré les œuvres d'Ibert et Arnold (de compositeurs que j'estime pourtant énormément dans le reste de leur catalogue).
Rota : Piano Vol. 1 : Préludes, Fantaisie, Pièces Difficiles pour enfant Eleanor Hodgkinson (Grand Piano)
→ D'une tonalité parfaitement stable, qui sent à peine son XXe siècle, des pièces ravissantes, culminant dans une ambitieuse Fantaisie post-chopinienne. Cependant non sans personnalité ni charme très réel. <3 Rota en ses œuvres.
Francesco Bottigliero, Portraits ; Christian Danowicz, Giovanni Punzi (DUX)
→ Musique de chambre contemporaine qui emprunte totalement à une tradition franchement paisible (et y adjoint parfois un peu de klezmer). Clarinette et piano. Pas du tout neuf, mais écrit avec cohérence, très agréable.
C.P.E. Bach: The Solo Keyboard Music, Vol. 39 Miklós Spányi (BIS)
→ Suite de la somme immense de Spányi, avec des pièces pour clavecin d'une très grande qualité (le Concerto en ut, quoique coulé dans le style classique, conserve la densité harmonique du paternel).
Granados, Extraits Libro de horas, Valses intimos, Valses poéticos, Escenas poéticas, Allegro de concierto, Danzas españolas… Myriam Barbaux-Cohen (Ars)
→ Poésie délicate d'une grande sobriété, servie par une interprète aux qualités similaires, un beau son doux qui s'épanouit sans chercher l'éclat ni le contour sophistiqué. Un régal que je me suis immédiatement bissé.
NMB : 3 Songs from Ethiopia Boy (Live), Roderick Williams (NML)
→ Sur des textes évoquant la vie quotidienne. Très accessible et tout à fait sympathique, dans l'anglais miraculeux de R. Williams. (Juste un single)


écouté versions
Beethoven, Late String Quartets, Brodsky SQ (Chandos)
→ très réussi, pas aussi pur et saisissant que les Brodsky habituels
Schumann ccto violon & Brahms double ccto. Weithaas, Hanovre, Manze (CPO)
→ Lectures claires et nerveuses.
Rodion Shchedrin: Carmen Suite – Respighi: Pini di Roma (Live) Symphonieorchester Des Bayerischen Rundfunks, Jansons
→ Une œuvre qui se caractérise par son insolence tourmentée était difficile à se figurer dans les mains de ces paisibles compères-là… Mais grande beauté plastique et de grain, qui apporte une certaine atmosphère et réussit l'ambiance incantatoire !
Beethoven: Symphonies Nos. 5 & 7 Radio de Hanovre, Manze (Pentatone)
→ Ardent et net, avec un véritable orchestre allemand. Miam. La Septième
est même assez neuve et ravivée : beaucoup de détachés et de respiration dans les trois derniers mouvements qui s'envolent avec un emportement réjouissant ! Très grandes versions.
Beethoven: String Quintets Op. 29 and 104, Fugue Op. 137, solistes WDR (Alpha)
→ Très belles œuvres à redécouvrir, écrites très différemment des quatuors. (Prise de son étrangement vaporeuse, comme si ancienne.)
Fauré et ses poètes, Mauillon, Le Bozec (HM)
→ Diction miraculeuse par la meilleure technique vocale du marché. Lignes simples qui lui correspondent bien mieux que les contours plus sophistiqués de Poulenc. Accompagné par la souplesse et l'élégance personnifiées.

Saint-Saëns: Piano Concertos Nos. 3, 5 & Rhapsodie d'Auvergne ; Lortie, BBCPO, Gardner (Chandos)
→ Très vif, presque précipité, grande aisance et ampleur générales. Très beau second volume d'intégrale !
Romance (tubes de Mozart, Rusalka…) ; Naforniță, Münchner Rundfunkorchester, Keri-Lynn Wilson (OMF)
→ Rôles de lyrique-léger par une voix plus dense (et un peu empâtée, quoique dynamique). Ce n'est pas un problème pour la caractérisation, mais la diction en souffre à mon gré. (Et déjà beaucoup de sons
émis en arrière et en force.)
Widor: Organ Symphonies 1 & 2, Rübsam (Naxos)
→ À peine survolé. Captation et registration ont l'air chouettes. (Et l'organiste est une valeur sûre.)
Mahler: Symphony No. 8 ; Wall, Meade, Fujimura, Griffey, Werba, Relyea ; Philadelphia, Yannick Nézet-Séguin (DGG)
→ Grande fluidité très naturelle où l'on retrouve les qualités d'évidence de Nézet-Séguin, solistes formidables (Wall, Meade, Griffey), chœur limpide et élancé (Westminster Symphonic), et le tissu chaleureux et lumineux très singulier de Philadelphia. Splendide version d'une symphonie où tous les paramètres sont difficiles à réunir.
Beethoven: Complete Piano Sonatas ; Fazil Say (Warner)
(pour l'instant écouté les 1-2-29-30-31)
→ Outre l'aisance de Say dans les plus redoutables défi techniques, on bénéficie aussi d'une riche palette harmonique, où la résonance remplit réellement les interstices de la musique, tout en restant d'une limpidité exemplaire (à laquelle la prise de son rend justice).
Une grande intégrale moderne (sur un instrument peut-être un peu froid), à comparer aux sobres accomplissements de Kovacevich.


écouté rééditions
Liszt: Portrait historiques hongrois, Jandó (Naxos)


beethoven manze


Et à présent, les parutions non (encore) écoutées :

parutions œuvres
Tansman: Complete Works for Solo Guitar, Vol. 2 Andrea De Vitis
Harsányi: Complete Piano Works, Vol. 1 Giorgio Koukl (Grand Piano)
Hundsnes: Clavinatas Nos. 1-7, Piano Sonata No. 1 & Downtoned Beats Laura Mikkola (Grand Piano)
HiKAYE, Isil Bengi (Fuga Libera) ??
Rossini: Zelmira (Live) Joshua Stewart (Naxos)
Losy : Note d’oro Jakob Lindberg (luth, BIS)
Ravi Shankar: Sukanya, LPO, David Murphy
Morel Mouret Corelli Haendel Vivaldi, Concerti a quattro, Ensemble Bradamante
Castérède: Complete Works for Flute, Vol. 2 Cobus Du Toit
Whither Must I Wander, Will Liverman → ?
William Mathias: Choral Music, St John's Voices (Naxos)
Caboclo ; Quinta Essentia
D'Amor mormora il vento ; La Boz Galana
Ninna nanna: Lullabies from Baroque Italy ; Pino de Vittorio
Suoni amorosi ; Duo Gioco di Salterio (DHM)
J.S. Bach & C.P.E. Bach: Works ; Orfeus Barock Stockholm
C.P.E. Bach: Oboe Concertos ; Akademie für Alte Musik Berlin (HM)
Decades: A Century of Song, Vol. 4 (1840-1850) ; Florian Boesch
Stanford: String Quartets, Vol. 3 ; Dante Quartet (Somm)
Compositrices : À l'aube du XXe siècle ; Juliette Hurel (Alpha)
Clairières: Songs by Lili & Nadia Boulanger ; Nicholas Phan, Myra Huang
Memories from Home (Scriabine, Prokofiev, Weinberg, Frid, Kancheli) ; Elisaveta Blumina
Henri Pousseur: Works for Flute ; Roberto Fabbriciani
Pesson, Abrahamsen & Strasnoy: Piano Concertos ; Alexandre Tharaud (Erato)
Glanert : Oceane (Live) ; Chor Der Deutschen Oper Berlin (Oehms)
Franck Bedrossian: Twist, Edges & Epigram ; SWR Symphonieorchester
Bentzon, Scriabin a.o. ; Niels Viggo Bentzon
NMB : 365 (Live), James Robertson (NML)
NMB : Brit-Ish (Live), Spike Orchestra (NML)
NMB : Music for Seven Ice Cream Vans (Live) ; Dan Jones (NML)
Spark Catchers ; Chineke! Orchestra (NML)
Where to Build in Stone (Live) ; Numb Mob (NML)
Young Composers Scheme ; National Youth Choirs of Great Britain (NML)
Tis too late to be wise ; Kitgut Quartet → ?
Novoselye • Housewarming ; ROctet → ?


parutions versions
Neujahrskonzert 2020 Nelsons
Elgar Concerto Sheku Kanneh-Mason
Charpentier: Orphée aux enfers, Vox Luminis, A Nocte Temporis (Alpha)
R. Schumann, C. Schumann & Brahms: Sonatas & Songs Poltéra, Stott (BIS)
Vivaldi: Violin Sonatas & Concerto Isabella Bison
Mozart: Divertimenti & Eine kleine Nachtmusik, Archi di Santa Cecilia
Complices Queyras Tharaud
Buxtehude: Membra Jesu nostri, BuxWV 75 (Live), Ensemble Marc'Antonio Ingegneri di Cremona
Light & Darkness Martina Filjak (Hänssler) → ?
Handel: 12 Concerti grossi, Op. 6 Nos. 7-12 ; Akademie für Alte Musik Berlin (Pentatone)
Handel Arias ; Christophe Dumaux
The Melancholic Bach: Music for Viola da braccio and Harpsichord ; Emilio Moreno
Haydn 2032, Vol. 8: La Roxolana ; Giovanni Antonini
Schubert: 4 Impromptus, Op. 90, D. 899 & Piano Sonata in B-Flat Major, D. 960 ; Alexander Kobrin
A Schubertiade with Arpeggione ; L'Amoroso (Ricercar)
Beethoven: Sonates pour violon et piano ; Olivier Charlier
Beethoven: Variations ; Sélim Mazari
Beethoven: The Complete Piano Sonatas Played on Period Instruments ; Paul Badura-Skoda
Schubert & Liszt: Impromptus, Songs & Consolations ; Viacheslav Apostel-Pankratowsky
Liszt: Dante Symphony, Tasso, Künstlerfestzug & Vor hundert Jahren ; Weimar Staatskapelle, Karabits (Audite)
Bruckner: Symphony No. 1 in C Minor, WAB 101 (1891 Vienna Version) [Live] ; Philharmonie Festiva, Gerd Schaller (Hänssler)
Brahms: Fantasien, Op. 116, Intermezzi, Op. 117 & Klavierstücke, Op. 118 ; Hortense Cartier-Bresson (Aparté)
Granados, Goyescas ; J.Ph. Collard (La Dolce Volta)
Mahler Symphony No. 6 in A Minor "Tragic" ; Essen Philharmonic Orchestra, Netopil (Oehms)
Mahler: Symphony No. 8 (Live) ; Münchner Philharmoniker, Valery Gergiev (Münchner Philharmoniker)
Rachmaninov: Piano Concerto No. 3 Behzod Abduraimov, Concertgebouw (RGO Live)
« Morgen » Elsa Dreisig (Erato)
Chostakovitch: Symphony No. 13 (Live) ; Chicago SO, Riccardo Muti (CSO-sound)


parutions rééditions
Ravel: Miroirs, Sonatine & Valses nobles et sentimentales ; Emile Naoumoff
Mozart Recital : Emile Naoumoff
Bach: Quodlibet, Canons, Songs, Chorales & Keyboard Pieces ; Gustav Leonhardt (Warner)
Chabrier: L'œuvre pour piano ; Pierre Barbizet


fauré poètes mauillon le bozec



… belle semaine de découvertes à vous !

(et à bientôt pour de nouvelles notules un peu plus ambitieuses, dès que mes commandes « officielles » autour de Mlle Wieck et M. Gaubert seront honorées… quelques échos par ici, peut-être)

jeudi 9 janvier 2020

Le défi 2020 des nouveautés


2020 débute… Nous sommes le 9 janvier, et j'ai déjà relevé 61 disques ou coffrets à écouter parus cette année 2020 !  Je n'en ai écouté que 9 pour l'instant, ce qui n'est pas si mal, n'ayant pas fréquenté de musique du 1er au 5… mais je suis loin, loin du compte.

Je me propose donc de tenir, cette année encore, un petit répertoire des sorties, accessible par le lien en haut à gauche de CSS – j'ai ajouté un onglet '2020' au tableau. Voici.

Pour plus d'efficacité, je vais tenter cette année d'ajouter les commentaires en temps réel, directement dans le tableau. Nous verrons si cela aide.

http://operacritiques.free.fr/css/images/ben-haim_2020.png

rom Les codes restent les mêmes :
gras pour ce qui est attirant (prometteur avant et réussi après) ;
souligné pour les disques très attendus (qu'ils aient été réussis ou non) ;
italique pour les parutions dispensables (peu attirantes avant ou décevantes après).
(Pour les disques absolument exceptionnels, je mettrai sans doute un peu de couleur comme l'an passé, peut-être plutôt avec le code couleur des concerts : bleu pour très-remarquable, violet pour la douce-hystérie.)

Je précise que, par défaut, les disques où rien n'est noté sont très convaincants : comme précisé dans la dernière notule, très peu de déceptions, et en général assez relatives, sur la quantité phénoménale de disques produits.

http://operacritiques.free.fr/css/images/abert_ekkehard.png



Je reproduis ici les premières parties du tableau :


écouté œuvres
BEETHOVEN, L. van: Fugues and Rarities for String Quartet (Fine Arts Quartet) Naxos
petites fugues très intéressantes
BEETHOVEN, L. van: König Stephan / Leonore Prohaska (excerpts) (The Key Ensemble, Chorus Cathedralis Aboensis, Turku Philharmonic, Segerstam) Naxos
→ lecture tradi assez monochrome, un peu molle, mais belles musiques de scène avec récitant (König Stephan intégral)
Ben-Haim, Bloch & Korngold: Works for Cello & Orchestra ; Raphael Wallfisch, The BBC National Orchestra Of Wales, Orchestra, Łukasz Borowicz (CPO)
→ L'éclectisme de Ben-Haim se tourne cette fois dans vers les tournures mélodiques du folklore juif (de même pour le concerto pour trombone de Bloch arrangé pour violoncelle, étourdissant !). Grand sens de l'orchestration, servi par des interprètes et une prise de son démentiels.




écouté versions
Beethoven, Late String Quartets, Brodsky SQ (Chandos)
→ très réussi, pas aussi pur et saisissant que les Brodsky habituels




écouté rééditions
Debussy: Préludes I Arturo Benedetti Michelangeli DGG
→ glacé
Busoni: Turandot & Arlecchino Radio-Symphonie-Orchester Berlin (Capriccio)
→ Œuvres puissamment personnelles, aux couleurs fort peu italiennes, à découvrir !
Abert: Ekkehard (Live) Kelling, Kaufmann, Gerhaher, Reiter ; SWR Rundfunkorchester Kaiserslautern, Falk (Capriccio) → Très bel opéra du pur romantisme (contrastes, récitatifs très animés, mais globalement dans des tonalités majeures), sorte de Martha ambitieuse ou de Genoveva réussie. Bénéficie d'une prise de son aérée très favorable ! Et avec quelle distribution…
Auber: Le cheval de bronze (Sung in German) Grosses Wiener Runfunkorchester, avec R. Schock et K. Richter (Orfeo)
Zemlinksy: Der Traumgörge, Op. 11 (Live) Josef Protschka (Capriccio)
→ Pas le meilleur Zemlinsky, mais toujours un plaisir.




parutions œuvres
Lines Written During a Sleeplesss Night: The Russian Connection ; Louise Alder
Leclair: Violin Concertos, Vol. 2 Leila Schayegh (Glossa)
Tõnu Kõrvits: Hymns to the Nordic Lights & Other Works Estonian National Symphony Orchestra
Pettersson: Vox Humana & 6 Sanger Anna Greelius
→ Paraît-il du Pettersson pas désespéré !
Goossens: Orchestral Works, Vol. 3 Tasmin Little
Tullochgorum: Haydn – Scottish Songs, par
The Poker Club Band (BIS)
Moniuszko: Cantates Milda & Nijoła Poznan Philharmonic Orchestra
Skalkottas: Piano Concerto No. 3 (Live) Daan Vandewalle
Handel: Almira, HWV 1 Boston Early Music Festival Orchestra (CPO) Baráth, Wilder, Immler…
Michelangelo Rossi: Toccate e correnti Lorenzo Feder
Dussek: Piano Works Marek Toporowski
Detry, Dall'Abaco, Porpora, Vivaldi, Scarlatti : flûte Alma intrepida Céline Pasche
Rhian Samuel Clytemnestra: Orchestral Songs Max Puttmann + Mahler Rückert, Altenberg Berg (BIS)
José Serebrier: Orchestral Works Alexandre Kantorow (BIS)
Kancheli: 33 Miniatures George Vatchnadze
New Nordic Piano Music played by Elisabeth Klein Elisabeth Klein
Tiersen Meets Chopin Leva Dudaite → ?
Mayr: Piano Concertos Nos. 1 & 2 - Haydn: Symphony No. 25 in C Major, Hob.I:25 - (Live) Georgisches Kammerorchester Ingolstadt (Ars)
Alle Menschen werden Brüder Uwaga! (transcriptions)
The High Horse: Best of the Worst, Vol. 1 Stephanie Szanto → ?
Taneyev: Romances & Poems for Voice & Piano Christian Elser (Centaur)
Raff: Benedetto Marcello Joachim Raff (Sterling)
Kreutzer: Violin Concertos Nos. 1, 6 & 7 Laurent Albrecht Breuninger (CPO)
Coke: Cello Sonatas Raphael Wallfischn Callaghan (Lyrita)
Poul Ruders Edition, Vol. 15 Anne-Marie McDermott
→ Je découvre l'existence de cette appétissante série !
Francesco Bottigliero, Portraits Christian Danowicz (DUX)
→ Je fais confiance à DUX !
Miguel Farías: Up & Down Laurent Bruttin (Kairos)
Joly Braga Santos: Complete Chamber Music, Vol. 1 Quarteto Lopes-Graca (Toccata)
Alexander Brincken: Orchestral Music, Vol. 1 The Royal Scottish National Orchestra (Toccata)
Buxtehude by Arrangement Meilin Ai (Toccata)
→ Bux au piano, je suppose
Kalkbrenner: 25 Grandes Etudes de Style et de Perfectionnement, Op. 143 Tyler Hay
→ La grande figure jouée par Chopin et Clara Wieck à leurs débuts… Les Études sont-elles le plus intéressant, probablement pas, mais un document !
Music for My Love, Vol. 3 (œuvres nouvelles pour orchestre à cordes) Ukrainian Festival Orchestra
→ Sans doute très sucré, mais intriguant !




parutions versions
Beethoven: Complete Piano Sonatas, Vol. 1 Konstantin Scherbakov
Saint-Saëns: Piano Concertos Nos. 3, 5 & Other Works Louis Lortie (Chandos)
Beethoven: Piano Trios Nos. 1 & 3 George Malcolm Piano Trio
Schumann & Brahms cctos violon. Weithaas, Hanovre, Manze (CPO)
Reger: Organ Works, Vol. 6 Gerhard Weinberger
Rodion Shchedrin: Carmen Suite – Respighi: Pini di Roma (Live) Symphonieorchester Des Bayerischen Rundfunks
→ Une œuvre qui se caractérise par son insolence tourmentée est difficile à se figurer dans les mains de ces paisibles compères-là… Pas sûr de tenter pour ma part.
Schubert: Piano Sonatas Vol. 6 Vladimir Feltsman
→ Par l'un des grands interprètes actuels du futurisme russe.
Nielsen, Ibert & Arnold: Flute Concertos Clara Andrada (Ondine)
İdil Biret Archive Edition, Vol. 19 Idil Biret
César Franck, Biret Concerto Edition, Vol. 9 Idil Biret
Mendelssohn, Schubert & Chopin: Piano Works Carl Wolf
Dietrich Buxtehude - Works for harpsichord Ulla Kappel
Mozart: Clarinet Works Dirk Altmann
J.S. Bach, Beethoven & Others: Piano Works Arash Rokni
Granados: Piano Works Myriam Barbaux-Cohen
Tosti : Romanza da salotto italiana Stanisław Daniel Kotliński
Ockeghem: Masses, Vol. 2 Beauty Farm




parutions rééditions
Debussy: Images 1 & 2; Children's Corner Arturo Benedetti Michelangeli 1971 DGG
Mozart & Debussy: Works Lily Laskine
Berlin Radio Recordings, Vol.III (Beethoven, Chopin, Debussy, Schumann, Franck, Grieg, Godowsky, Liszt & Dello Joio) Jorge Bolet





… et une belle année de découvertes à vous !

mercredi 25 décembre 2019

Défi 2019 : Une année de nouveautés discographiques


1) Le défi

On parle sans cesse de la crise du disque – et c'est tout sauf un mensonge, si l'on parle des recettes – ; cependant, du point de vue de l'auditeur, l'offre n'a jamais été, d'année en année, aussi riche, aussi variée – ni, ai-je envie d'ajouter, d'aussi haut niveau. Des pans entiers qui restaient à découvrir sont révélés – quantité de compositeurs dont on ne soupçonnait pas l'existence, même –, et servis dans des interprétations et des prises de son fantastiques.

J'ai ainsi tenté, pour l'année passée, le principe d'écouter les sorties qui se font chaque semaine, le vendredi, de façon en particulier à ne pas laisser passer les raretés des labels spécialistes.

Résultat : 385 nouveautés effectivement écoutées – soit en moyenne plus d'un nouveau disque par jour, en comptant pour 1 les opéras à 3 CDs et les coffrets divers… sur 817 albums relevés pour ma liste d'écoute. Loin de tout avoir éclusé, malgré le sacerdoce de donner la priorité aux nouveautés indépendamment de mes avis de découverte ailleurs (ou de réécoutes d'œuvres déjà aimées). [Conséquence logique : j'ai découvert moins d'opéras diffusés en ligne comme le fait Operavision.eu, par exemple.]

J'ai tenté de tenir un journal des écoutes, avec un peu plus de 120 disques commentés… mais il n'est pas possible d'empiler 1 heure d'écoute + 20 minutes de recherches / rédaction en plus de tenir CSS, d'aller au concert, de mener une vie à peu près normale… Ce serait un travail à temps plein (mécènes bienvenus).

Qu'en tirer ?  L'écrasante majorité de disques très réussis, et une confortable part d'extrêmement aboutis et jubilatoires. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, énormément de raretés relatives ou absolues. J'admets que c'est aussi l'effet de mon filtre personnel (il y a eu facilement 3 fois plus de parutions classiques que mon décompte limité à ce qui m'intéresse), les millièmes versions des Sonates de Schubert par des pianistes vieillissants ou à la mode ne figurent pas dans mon relevé… Pour autant, ces disques existent, et l'existence de plates-formes de musique dématérialisée les rend beaucoup plus accessibles que lorsqu'il fallait qu'ils soient sélectionnés par le disquaire. On peut par ailleurs les essayer sans (davantage) bourse délier.

Je vous invite, si circonspects, à essayer les disques dont il va être question sur les sites concernés : Deezer ou Spotify en gratuit, Qobuz ou Naxos Music Library en payant (mais avec accès aux notices)… Bon moyen de mesurer sa motivation avant achat, ou d'élargir le spectre de ses écoutes.

Profitons de l'Âge d'or.



2) Les Putti d'incarnat : Les albums incontournables de 2019

Récompense suprême, attendue par tout ce que la musique compte de plus éminents représentants, le putto d'incarnat est remis par l'ensemble de la rédaction de Carnets sur sol, réunie en collège extraordinaire. Certains (mon oncle et moi) considèrent qu'il est un peu au Diapason d'or ce qu'est une remise de Nobel à un passage chez Ruquier.
Il récompense un accomplissement hors du commun, et garantit l'absence de complaisance envers l'avis général ou le bon goût : c'est la seule récompense au monde qui rende fidèlement compte de ce que j'ai aimé. Et ça, c'est important (pour moi).

Les récipiendaires de ce prix convoité reçoivent l'assurance qu'ils bouleversent la discographie, voire notre connaissance du répertoire, apportent un éclairage nouveau, nous ravissent sous tous les angles possibles.



À part et tout en priorité, les parutions de Das Schloß Dürande (même dans sa version ridiculement censurée) et Tarare marquent notre vision de l'histoire de la musique. Ce ne sont pas les deux parutions de l'année, mais de la décennie, pour ne pas dire de l'histoire du disque. On les espérait depuis des années, sans même en rêver la réalisation de ce niveau. Incontournables.

(Voir descriptions infra.)

dürande tarare

Les autres étapes de cette sélection sont aussi des disques immenses.
 


Musique vocale :
gade elverskud


ŒUVRES : PIÈCES DRAMATIQUES

LULLY IsisTalens Lyriques, Rousset (Aparté) → Suite de l'intégrale LULLY, que personne ne maîtrise mieux à présent que les Talens Lyriques ; dans les prises de son Aparté, c'est plus encore qu'au concert une explosion de couleurs, un frémissement permanent qui permet de réévaluer considérablement l'intérêt d'une œuvre qui passe (et qui l'est, probablement) pour l'une des plus faibles de son auteur. L'enfilade de tubes irrésistibles aux actes III et IV (« Liberté », « L'Hiver qui nous tourmente », « Tôt tôt tôt »…) fait réviser ce jugement, surtout dans une version aussi éloquemment dite et aussi sonorement avenante.
Gervais – Hypermnestre – Orfeo Orchestra, Vashegyi (Glossa) → Encore un maillon manquant de la tragédie en musique révélé par Vashegyi. Gervais, maître de la musique du Régent, sensible aux apports italiens, est pour la première fois documenté au disque comme compositeur d'opéra. Fresque haletante où l'on admire en particulier la mobilité expressive des récitatifs (et l'élan de la matière musicale). Très agréablement impressionné par Watson et Dolié, que je n'apprécie guère dans ce répertoire d'ordinaire, mais qui fendent remarquablement l'armure et leurs habitudes pour servir leurs personnages terrifiants.
Salieri – Tarare – Talens Lyriques, Rousset (Aparté) → L'unique livret de Beaumarchais, adapté au fil des régimes politiques de l'Ancien Régime à la Restauration, une forme très originale d'opéra fluidement durchkomponiert, au sens du texte assez incroyable, parcouru de rebondissements et de tubes irrésisitbles. Dans une exécution et distribution idéales. (commentaire ici)  Série de notules à lire à partir d'ici.
Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Orkester Nord, Wåhlberg (Aparté) → J'ai hésité à inclure celui-ci, l'œuvre n'étant pas un jalon de même importance dans le panorama musical, et mon jugement étant peut-être biaisé par mon goût pour le genre, ma participation à la marge du projet. Cependant, est-ce parce que j'ai passé beaucoup de temps à l'étudier, indépendamment de sa place historique assez fascinante, j'y trouve certains moments irrésistibles musicalement – toutes les interventions de Raoul sont d'une rare prégnance. Et la découverte de cette première version discographique a été un choc par la qualité suprême de sa réalisation. (Notule sur l'œuvre et le disque.)
Vaccaj (Vaccai) – Giulietta e Romeo – Scala, Quatrini (Dynamic) → Pas du même niveau que les autres recommandations, mais à l'échelle de l'opéra italien du XIXe siècle, une nouvelle parution (bien chantée, et avec un orchestre en rythme cette fois !) de ce chef-d'œuvre du belcanto est assez considérable. Assez peu donné alors qu'il vaut, à mon sens, les meilleurs Donizetti et Bellini (et surpasse même ses Capulets sur le même sujet !), Vaccaj fait preuve d'un sens dramatique inhabituel dans ce répertoire, avec un véritable rythme dans l'action, sans être avare de génie mélodique. Prise de son très supérieure aux habitudes de Dynamic.
Gade – Elverskud / Erlkönigs Tochter – Concerto Copenhagen, Mortensen (Da Capo)→ Grande cantate dramatique d'après la ballade sur Herr Oluf. Version (allemande par des Danois) à couper le souffle, pleine de tension et de fraîcheur tout à la fois. (Notule sur l'œuvre et la discographie.)
Ölander – Blenda – Radio Suédoise, Bartosch (Sterling) → Un témoignage important du romantisme suédois, de la très belle musique lyrique et riche, très bien servie. Beaucoup d'opéras de ce genre (dont un Solhaug d'après Ibsen !) sont à découvrir chez Sterling.
Schoeck – Das Schloß Dürande – Bern SO, Venzago (Claves) → Parution tellement attendue d'un chef-d'œuvre lyrique du temps, d'une générosité décadente incroyable – même si le livret en a été complètement récrit (!) pour des raisons idéologiques discutables (suspicions vaporeuses de références éventuellement compatibles avec le nazisme). Reste une expérience très forte, pour la musique – par ailleurs le nouveau livret n'est pas mal, indépendamment du caractère débattable de cette récriture du passé. Interprétation d'une générosité folle. (commentaire ici)


ŒUVRES : MUSIQUE VOCALE SACRÉE

Werrecore, Josquin, Gaffurius, Weerbeke – « Music for Milan Cathedral » – Siglo de Oro, Patrick Allies (Delphian) → De belles découvertes, et dans des musiques en principe assez formelles et uniment contrapuntiques, l'impression d'une vie organique qui fascine de bout en bout.
Dowland, Dering, de Monte, P. Philips, Watkins, R. White  – « In a Strange Land » – Stile Antico (HM) → Outre le propos stimulant (compositeurs élisabéthains en exil), une exécution qui magnétise par la netteté (frémissante) de ses timbres et de ses phrasés. Un autre album à recommander à tous ceux qui craignent l'ennui dans la musique pré-1600. (commentaire ici)
Pękiel – intégrale – Octava Ensemble (DUX) → Témoignage capital d'une musique sacrée encore marquée par la pensée polyphonique de la Renaissance, mais bénéficiant de toute la rhétorique verbale et musicale baroque, un très grand choc. (commentaire ici)
« The Musical Treasures of Leufsta Bruk » vol.3 (BIS) → Série débutée en 2011 autour de la bibliothèque d'anciens patrons miniers du fer à Lövstabruk, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le volume 3 se consacre à la musique sacrée, vocale ou avec orgue. Pièces de grande qualité et interprétation saisissante de fraîcheur.
Leopold Mozart – Missa Solemnis – De Marchi (Aparté) → Prégnance mélodique, orchestration riche et tournures personnelles, un petit bijou qui sort pour de bon Leopold de son image (entretenue par ce qui était jusqu'ici disponible au disque !) de précepteur et Pygmalion. (commentaire ici)
Stanford – Messe « Via Victrix » – BBC Wales, Partington (Lyrita) → Un Stanford inhabituellement contrasté, doté de belles modulations et atmosphères originales. (commentaire ici)


ŒUVRES : MUSIQUE VOCALE PROFANE

Ph. Lefebvre / Clérambault / Montéclair – extraits de cantates – Zaïcik, Le Consort (Alpha) → Redécouverte d'un compositeur tardif de cantates, interprété avec un feu et une hauteur de vue saisissants. (commentaire ici)
« Dubhlinn Gardens » – A. Besson, A Nocte Temporis, R. Van Mechelen (Alpha) → À la frontière entre les chansons à la mode d'époque et l'air de cour, un disque qui enchante par sa variété et le naturel de ses enchaînements. Un des disques que j'ai le plus écoutés cette année ! (commentaire ici)
Mozart – extraits orchestrés d'inachevés (Lo Sposo deluso) + Salieri, Cimarosa, Martín y Soler… – Pygmalion, Pichon (HM) → Deux musicologues (Dutron et Manac'h) ont orchestré des esquisses de Mozart (dont un opéra très similaire à l'esprit de Così fan tutte et aux tournures de Don Giovanni et La Clemenza di Tito), que le programme mêle avec ses canons vocaux, des airs de concert et des œuvres de contemporains (superbe scène d'ensemble de Salieri, évidemment). L'impression d'entendre pour la première fois de nouveaux Mozart du niveau des grands chefs-d'œuvre…
« Soleils couchants » Fauré, Wolf, N. Boulanger & autres – E. Lefebvre, Bestion de Camboulas (Harmonia Mundi) → Récital sur orgue Cavaillé-Coll de salon riche en invités et transcriptions. Petite merveille pleine de surprises. (commentaire ici)
 


Musique instrumentale :
gade elverskud


ŒUVRES : MUSIQUE CONCERTANTE

Offenbach – Concerto pour violoncelle – Edgar Moreau, Les Forces Majeures, Raphaël Merlin (Erato) → L'équivalent des concertos de Paganini, une grande virtuosité à la veine mélodique jubilatoire. Et assez nourrissant musicalement. Aussi évident que sa musique vocale, mais dans une forme et une continuité qui ne cèdent pas à la facilité. (commentaire ici)
Bruch – Doubles concertos (2 pianos ; clarinette & alto) – ÖRF, Griffiths (Sony)→ D'un intérêt inattendu, ces doubles concertos se révèlent non seulement d'une veine mélodique généreuse mais aussi d'une richesse musicale certaine, très au delà du simple exercice de virtuosité ou essai de dispositifs nouveaux. Griffiths a toujours un côté confortable, mais l'ÖRF plus rêche et les solistes très élancés tirent ce disque vers le meilleur !
Graener – Œuvres orchestrales vol.4 : Concertos (flûte, violon, violoncelle) – Radio de Munich, Schirmer (CPO) → Dans divers styles, tirant plutôt sur le décadent, le postromantique, le moderne ou le néo-, des concertos très aboutis et originaux, davantage musicaux que purement virtuoses. (Il faut absolument écouter les autres volumes, notamment la Symphonie et les Variations sur Prinz Eugen !)


ŒUVRES : MUSIQUE SYMPHONIQUE

Rösler – Symphonie en ut + Concerto pour piano en mi bémol – Hönigová, Orchester Eisenberg, Sycha (Koramant) → Des œuvres d'un premier romantisme postclassique pleines de saveur, de mélodies, de beaux effets… L'Orchester d'Eisenberg, sur instruments anciens, délivre de merveilleux sons capiteux, plein de grain et d'ardeur.
Hallberg, Dente – Symphonies – Malmö SO, Radio Suédoise (Sterling) → Du romantisme du second XIXe qui sonne plutôt comme un maillon intermédiaire entre Beethoven et Mendelssohn… mais regorge de beautés, malgré l'interprétation sur instruments modernes aux contours pas toujours parfaitement fermes (nullement molle cependant !). De très belles symphonies qui ajouteront aux plaisirs de tous ceux qui aiment déjà le romantisme optimiste, conservateur et séduisant qui s'étend de Mendelssohn jusqu'à Sinding.
Volbach – Es waren zwei Königskinder, Symphonie en si mineur – Münster SO, Golo Berg (CPO) → Très belle symphonie d'un postromantisme sophistiqué, mais disque surtout marquant pour son poème symphonique liminaire, des atmosphères extrêmement variées et une progression construites, dans une recherche harmonique et une veine mélodique généreuses. Très belle découverte.
Magnard – Symphonies 3 & 4 – Freiburg PO, Bollon (Naxos) → Coup de tonnerre, qui tire enfin Magnard de l'opacité germanique pour le faire dialoguer avec tout ce qu'il doit au folklore français. De la danse et de la couleur qu'on percevait difficilement dans les versions antérieures, et qui révèlent un corpus passionnant. (commentaire ici)
Liatochynsky (Lyatoshynsky) – Symphonie n°3 – Bournemouth SO, Karabits (Chandos) → Comme la Deuxième de Chtcherbatchov, une symphonie expansive aux dimensions et ambitions mahlériennes, immense flux très impressionnant et généreux, loin des martèlements motoriques de sa musique pour piano, bien plus proche de l'esprit généreux et troublé des décadents germaniques, dans une interprétation très ample et aérée.


ŒUVRES : MUSIQUE DE CHAMBRE

Offenbach – Musique pour violoncelle – Rafaela Gromes, Wen-Sinn Yang, Julian Riem (Sony) → Legs chambriste à deux violoncelles ou avec piano, des merveilles interprétées de façon tout à fait superlative. (commentaire ici)
La Tombelle  – Musique de chambre (+ chœurs + musique symphonique) – (Bru Zane) → En complément des délectables mélodies parues en 2017 chez Aparté, un coffret Bru Zane vient préciser la figure de Fernanad de La Tombelle, révélant en particulier de belles qualités de chambriste (quelques très beaux chœurs aussi), dans une veine traditionnelle / académique, mais non sans talent – la Suite pour trois violoncelles ou le Quatuor piano-cordes en témoignent !
Kovařović – Quatuors – Stamitz SQ (Supraphon) → Du romantisme schubertien à la fin du XIXe siècle, mais de très belle facture… comment faire le difficile ? (commentaire ici)
Labor – Quatuor piano-cordes, Quintette piano-cordes – Triendl (Capriccio)→ Un romantisme tardif remarquablement construit, qui s'adjoint en outre des aspects folkloriques tout à fait délicieux. Mériterait d'être aussi régulièrement enregistré que les Taneïev et Suk, à défaut de pouvoir espérer les entendre quelquefois en concert…
Martinů – Sonates violoncelle-piano – Nouzovský, Wyss (Arco Diva) → Des œuvres où se réalisent le potentiel réel de compositeur de Martinů (toujours perceptible, pas systématiquement accompli), dans une interprétation de toute première classe, à la plastique splendide et au propos profond. (commentaire ici)
Baculewski – Quatuors – Tana SQ (DUX) → Épousant au fil des années les styles du XXe siècle avec beaucoup de bonheur, un ensemble qui ravit par sa densité musicale et son caractère accessible, tout en servant de guide, en quelque sorte, à travers l'évolution des goûts et des écoles. Très belle exécution du Quatuor Tana qui joue aussi, en concert, des programmes véritablement originaux.



Interprétations hors du commun :
gade elverskud


VERSIONS : MUSIQUE VOCALE PROFANE

Schubert – Die schöne Müllerin – Roderick Williams, Iain Burnside (Chandos) → Le meilleur interprète (de tous les temps) des songs britanniques (Ireland, Butterworth, Finzi, Britten, Vaughan Williams…) est aussi un prince du lied – le quatrième mousquetaire des grands spécialistes actuels, avec Goerne, Gerhaher et Bauer. Cette Belle Meunière, avec son excellent complice habituel, tient même davantage que ses promesses, tant l'expression y est limpide et directe, sise sur un timbre toujours délicatement mordant et délicieux. Une des très très grandes lectures du cycle.


VERSIONS : MUSIQUE CONCERTANTE

Elgar  – Concerto pour violoncelle – Gary Hoffman, OPR Liège, Arming  (La Dolce Volta) → Disque de novembre 2018, mais tellement exceptionnel que je l'ai inclus dans la sélection de l'année 2019. Le meilleur violoncelliste concertiste actuel y déploie une infinité d'attaques, de textures, de timbres… au sein d'une conception totalement continue et cohérente. Grand. (commentaire ici)


VERSIONS : MUSIQUE SYMPHONIQUE

Beethoven – Symphonies 5 & 6  – WDR, Janowski (PentaTone) → Il est donc possible de graver encore des références pour ces symphonies !  Janowski, arrivé en sa pleine maturité, de commet plus que des miracles. Ici, la quadrature du cercle, un Beethoven qui a la chair de la tradition mais un nerf fou, et surtout une qualité d'articulation… tous les détails d'orchestration chantent et font sens, tenus par une tension ininterrompue – de nature très différente dans la 5 et la 6, évidemment.
Brahms – 4 Symphonies – Zehetmair (Claves) → Un Brahms vif, souple, aux phrasés de cordes très travaillés et justes – on y sent, plus encore que le violoniste, le quartettiste ! (commentaire ici)
Mahler – Symphonie n°4 – London PO, Vladimir Jurowski (LPO Live) → Une lecture d'une verdeur incroyable… cette symphonie chambriste et modérée est parée d'éclats nouveaux, des chalumeaux vous crient dans les oreilles, chaque instant le plus contemplatif est articulé et tendu… des strates de vie se révèlent, jusque dans la grande réussite de son sommet, le Ruhevoll, qui au lieu d'être simplement construit vers son climax, fascine à chaque instant par sa progression et ses détails. À mon sens la plus belle Quatrième jamais publiée, tout simplement.
Sibelius – Symphonie n°1 – Göterborg SO, Rouvali (Alpha) → Traiter les transitions de Sibelius comme si elles étaient les thèmes, Rouvali le fait dans les symphonies de Sibelius… et dans la Première, le résultat est réellement impressionnant et renouvelle totalement la façon d'écouter ces œuvres. (commentaire ici)
Roussel, Dukas – Le Festin de l'Araignée, L'apprenti Sorcier – ONPL, Rophé (BIS) → Grâce à la captation BIS (toujours aussi claire et colorée) et à l'augmentation considérable du niveau de l'Orchestre National des Pays de la Loire avec Pascal Rophé, une grande référence pour le chef-d'œuvre de Roussel, incroyablement détaillé, vivant, et chaleureux, avec un son aussi aéré que la toile qui lui sert de scène, aussi joyeusement bigarré que les habitants qui la traversent !
Holst – The Planets – Bergen PO, Litton (BIS) → Litton, dans sa fructueuse association avec Bergen, livre ici une vision originale des Planètes, et peut-être la plus aboutie de toutes : plutôt que d'y chercher le figuralisme déjà évident, il en exalte la musique pure, la beauté des alliages timbraux, et on y entend passer tout le Debussy qui inspire Venus, toutes les recherches harmoniques ou tous les effets d'orchestration, au service d'un élan mélodique et tout simplement d'une musique, qui, en tant que telle, ravit. Avec les timbres du plus bel orchestre du monde et les meilleurs preneurs de son en exercice, le résultat est d'autant plus gratifiant pour l'auditeur.


VERSIONS : MUSIQUE DE CHAMBRE

Schubert – Quatuor n°14 – Quatuor Novus (Aparté) → Lisibilité absolue de chaque ligne, accents, bonds, un grand coup de frais comme on n'en avait pas vécu depuis les Jerusalem. (commentaire ici)
Schubert – Quatuor n°14, Quintette à cordes – Quartetto di Cremona (Audite) → … et il y avait encore de la place pour une autre grande version, remarquablement construite et tout en clair-obscurs. (commentaire ici)



Rééditions :

RÉÉDITIONS

Guédron, Belli, Castaldi… – airs de cour du XVIIe s. – Poème Harmonique, Dumestre (Alpha) → Réunion de la plupart des grands albums de l'ensemble, à la fois des découvertes et des interprétations suprêmement inspirées (Cœur !).
Bach – Passion selon saint Jean – Radio Bavaroise, Dijkstra (BR Klassik) → Une des plus mobiles et intenses interprétations de l'œuvre – l'Orchestre de la Radio est crédité, mais tout est réalisé de façon extrêmement informée, une version pour petit ensemble et modes de jeu anciens.
Mozart – Don Giovanni – RIAS, Fricsay (DGG) → Une des grandes versions de l'œuvre, avec des solistes aux caractères extraordinairement marquants. Seule petite faiblesse, les ensembles où les timbres sonnent un peu disparates.
Kraus – Anthologie – divers interprètes → Réunion de disques de cette très grande figure de la fin du classicisme. Indispensable si on ne les a pas déjà.
Berlioz – La Damnation de Faust – O. Lamoureux, Markevitch (DGG) → L'interprétation orchestrale de référence où chaque détail instrumental prend immédiablement sens. Et plateau splendide.
Miaskovski – Intégrale des Quatuors – Taneyev SQ (Northern Flowers) → Corpus soviétique majeur qui évolue du postromantisme sobre (les 4 & 5 sont extraordinaires) à l'épure plus abstraites, comme ses Sonates pour piano.
Liebermann – Penelope – Opéra de Vienne, Szell (Orfeo) → Dans la lignée des grands opéras allemands décadents, Liebermann écrit un opéra qui soutient la comparaison avec les réussites de R. Strauss, Schreker ou Schoeck. Là aussi, à découvrir absolument. (Reparaît aussi l'École des femmes qui porte un peu plus, à mon sens, la marque des limites du langage de son temps.)



3) Autres albums magnifiques de 2019

Je ne puis tous les nommer… Voyez les titres en gras dans le tableau (sauf la colonne en vert, où le gras indique mon souhait particulier d'écouter).

Les titres soulignés sont ceux que j'attendais impatiemment – s'ils ne sont pas en gras, c'est qu'ils ne m'ont pas forcément autant impressionné que je le souhaitais, sans démériter par ailleurs. Car ceux qui ne figurent pas en gras sont aussi des disques réussis ! Comme vous le voyez, il y en a beaucoup, rien qu'avec les splendides réussis en gras, c'est déjà plus que je ne puis présenter…



4) Les déceptions

Car sans la liberté de blâmer il n'est point d'éloge flatteur, comme le clame le frontispice d'un journal connu pour sa liberté de disconvenir avec ceux qui ne sont pas d'accord avec lui, un petit mot tout de même de disques qui n'ont pas tenu leurs promesses. Il y en a finalement assez peu.

D'abord de bons disques pas tout à fait à la hauteur de leur programme annoncé :
La morte della Ragione du Giardino Armonico rassemblant de jolies pièces pour flûte (peu passionné par les œuvres, je n'ai pas lu la notice, mais à l'écoute du programme, le concept est peu évident),
les Tchaikovsky Treasures de Guy Braunstein (quelques arrangements joliets de ballet en plus du très rare Concerto pour violon, en plus dans une interprétation qui ne me séduit pas, commentaire ici),
l'Opéra des opéras de Niquet (je sais que ça se vend mieux, mais les programmateurs devraient accepter une fois pour toute que les cantates ou opéras constitués en pot-pourri, sauf à en récrire en profondeur le texte et les récitatifs, ne fonctionnent jamais – commentaire ici). Parcours passionnant au demeurant dans des raretés, mais le résultat n'accroche pas bien – il faut dire que je n'en aime pas trop les chanteurs non plus…

Ensuite des versions qui ne sont pas du tout prioritaires à mon sens : quand ce sont des œuvres rares, on peut quand même tenter (K.-A. Hartmann par l'Airis SQ, Hillborg par le Calder SQ) même si je recommande d'écouter plutôt d'autres versions, mais sinon, pas vraiment d'intérêt de se jeter sur ces nouveautés. Dans cette catégorie, le Trio de Lekeu chez Brilliant (timbres assez acides), le dernier Goerne (assez empâté pour le léger et mordant Liederkreis Op.24, question de correspondance quasiment physiologique), les Vier letzte Lieder de Lise Davidsen (plus épais qu'impressionnant, très global, discutablement chanté) et des interprétations très tranquilles de Gielen (réédition de Mahler 6), Noseda (Tchaïkovski 4 avec le LSO), Ozawa (Beethoven 9 avec son Mito).

Quelques disques qui ont un peu plus agacé aussi :
♠ L'album de tragédie en musique de Katherine Watson. Programme passionnant, mais confier cela à une seule voix, aussi peu tournée vers la déclamation, aussi peu variée en couleurs… assez frustrant. Elle progresse et s'est montrée superbe en Hypemnestre chez Gervais, mais d'autres profils étaient mieux adaptés pour en servir le texte. Pourtant, dans le domaine des voix que je n'aime pas, Van Mechelen propose un récital consacré au répertoire du chanteur historique Dumesny où le programme s'incarne bien davantage, y compris dans l'interprétation ; très convaincant et écouté plusieurs fois avec beaucoup de plaisir, une réelle réussite (alors que la matière vocale me déplaît plus a priori que celle de Watson).
Coïncidence, autre membre de la distribution d'Hypermnestre, Thomas Dolié publie un Schwanengesang. Cuisante déception à l'écoute (après avoir beaucoup aimé, il y a plus de dix ans, ses Wolf en salle), entre la voix pâteuse et l'allemand pas très beau. Là aussi, on sait qu'il peut mieux et ce récital ne le met pas en valeur.
Rinaldo dans sa refonte napolitaire par Leonardo Leo. Peu de changements par rapport à l'original, Fabio Luisi dirige cela d'une façon assez peu informée (ou même seulement intéressante, pour un chef de sa trempe), la captation Dynamic est hideuse, les chanteurs, excellents dans d'autres répertoires, pas très brillants ici. Je ne comprends pas bien pourquoi diffuser un état assez peu différent d'une partition connue capté dans de mauvaises conditions avec des interprètes dans un mauvais soir. (commentaire ici)

Et puis, quelquefois, ce sont les œuvres :
♠ Say, Concerto pour violon. Sa musique respire ici encore la bonne intention, magnifier les ponts entre les cultures, mais le résultat paraît vraiment sommaire.
♠ Terterian, Symphonies 3 & 4 par Bournemouth et Karabits. Beaucoup de copains adorent ça, donc ce doit avoir un intérêt. Mais si je dis honnêtement mon sentiment, j'attends toute la symphonie que la musique commence. Des aplats d'à peu près rien (ainsi les percussions liminaires, qui durent, durent…) qui se prolongent et se succèdent. Je voulais l'essayer dans les bonnes conditions de son et d'interprétation, considérant la réussite de leur Liatochinsky n°3 (Lyatoshynsky) paru plus tôt cette année, l'interprétation n'a pas causé de révélation, tant pis.

Tout cela non pour le plaisir de médire, mais pour montrer (que j'aie raison ou tort dans mes dédains) :
    1) que je n'entends pas tout placer sur le même plan (reproche parfois lu) ;
    2) qu'il y a finalement très peu de disques décevants dans cette fournée 2019 (j'ai cité presque tous ceux qui l'ont été !) ;
    3) qu'aucun n'est scandaleusement mauvais. Pas convaincant tout au plus – même le Rinaldo tout moche de Naples n'est pas un naufrage.

Il se bal(l)ade sans doute des disques absolument sans intérêt dans les trop-ièmes gravures de Chopin chez les Majors par des pianistes essentiellement distingués pour leur coiffure, ou décidément trop mal captés par des labels à compte d'auteur, mais je n'arrive pas à citer un disque, dans les 385 écoutés parmi les 857 relevés pour moi-même, qui serait profondément mauvais. Quelques-uns n'atteignent pas leurs objectifs, mais tout cela s'écoute fort bien (sauf Terterian, certes, mais pour d'autres raisons).



… Voilà de quoi vous occuper, déjà, pour une partie de 2020 !  Je ne suis pas sûr de reconduire l'expérience l'an prochain : le principe a l'avantage d'obliger à écouter hors de sa zone de confort et à faire de splendides découvertes lorsque les parutions ralentissent, mais il faut aussi renoncer à réécouter les genres ou œuvres qu'on aime, au gré de ce qui est publié, et ne pas trop s'attarder sur les disques merveilleux qu'on vient de découvrir. À reprendre en assouplissant sans doute (200 plutôt que 400 disques à écouter, par exemple) ; peut-être en se dispensant des versions nouvelles – mais elles réclament moins d'attention que les œuvres nouvelles, il faut être honnête, et nourrissent les papotages entre mélomanes…

N'hésitez pas à partager vos propres coups de cœur ou vos divergences !

(Ne m'en veuillez pas si je ne puis publier ni répondre à vos commentaires dans les prochains jours, je serai jusqu'au 6 janvier en chasse d'églises interlopes dans un lieu lointain où ma disponibilité sur le réseau sera incertaine. Tout sera évidemment mis en ligne au bout du compte, et recevra réponse. Belle année nouvelle à vous !)

dimanche 15 décembre 2019

Agenda de CSS 2020


L'agenda de CSS pour les concerts franciliens a été mis à jour jusqu'à mi-juillet 2020 !  Il manque bien sûr les petits concerts les plus intéressants à dénicher, de l'atelier de Reinhardt van Nagel aux petits ensembles baroques dans les églises, aux concerts intimes des meilleurs chambristes du moment, aux orchestres et chœurs amateurs avec programmes originaux, en passant par les programmes précis des manifestations gratuites du CRR et du CNSM… mais pour une grande structure de la saison dans les salles principales (et quelques jolis à-côtés : Ariane & Bacchus de Marais au CRR, Prologue de Scanderberg de Francœur & Rebel, Holmès par L'Oiseleur, nordiques a cappella par Calligrammes…), vous avez déjà de quoi vous occuper.

Toujours le même code couleur :
¶ violet : indispensable (signifie en général que l'œuvre est rare et l'interprétation prometteuse) ;
¶ bleu : très signalé (œuvre et/ou interprétation) ;
¶ vert : appétissant ;
¶ rouge : j'ai une place pas chère à vendre (donc en principe ce n'est pas mal).

[Vous pouvez accéder à cet agenda (et aux commentaires des spectacles vus) depuis n'importe quelle page du site par les liens situés tout en haut à gauche. Bonnes découvertes 2020 à vous !]

vendredi 29 novembre 2019

« N'aimez-vous pas les œuvres davantage pour leur rareté que pour leur qualité ? »


Variante un peu plus intimement intrusive (mais sensiblement plus courtoise) que « Parce que deux écoutes de L'Art de la Fugue, ça vous a suffi ? ».
CSS avait déjà abordé cette question, notamment sous l'angle du concert.

Cette fois, je réponds plutôt à l'enjeu, non pas de la répétition du répertoire et de la largeur de choix, mais de ce qui fait la qualité d'une œuvre, de ce qui la rend indispensable à enregistrer ou à connaître.

langgaard musique des sphères partition
Page choisie dans la Musique des Sphères de Rued Langgaard, pièce particulièrement originale écrite en nuages alla Ligeti… et composée avant sa naissance !
Est-elle importante car novatrice, car personnelle, car bien écrite, ou au contraire une curiosité non prioritaire, c'est ce à quoi cette notule (ni grand monde) ne peut répondre.




Selon les attentes intimes de chacun, il existe plusieurs lignes de fracture possibles au moment du choix d'une œuvre à écouter.


a) L'importance historique

J'ai toujours reconnu que les compositeurs les plus célèbres étaient tous parfaitement à leur place. On peut excepter les plus récents, où le tri ne s'est pas encore fait, où la notoriété conjoncturelle joue son rôle, comme pour Boulez et Glass, qui sont fort célèbres l'un en raison de son importance comme fondateur d'institutions, chef d'orchestre et polémiste, l'autre parce qu'accessible et rassurant bien que pauvre ; ils occupent vraisemblablement (je peux me tromper) une place disproportionnée dans les concerts, disques et conversations par rapport à leur importance réelle dans l'histoire de la musique.

Monteverdi, Bach, Beethoven, Wagner, Debussy sont des géants, des génies dont l'histoire a peu d'exemples. Ils ont de surcroît servi de modèle aux suivants et constituent donc, en plus de leur mérite propre, des matrices dont on peut difficilement se passer pour comprendre l'évolution musicale.
D'autant plus que la musique, par rapport aux autres arts, suit une grammaire stricte (un accord mal écrit est une catastrophe qui ruine tout, pas du tout comparable à une main ratée ou un bout de perspective contradictoire dans un tableau), et évolue lentement – voyez par exemple le décalage entre la langue du roman Werther et de sa première adaptation musicale dans un style très XVIIIe… L'impact des modèles sur la substance même du langage y est beaucoup plus fondamental que pour n'importe quelle autre forme d'expression, à ce qu'il m'en semble.



b) La qualité d'écriture

Pour autant, dès qu'on observe dans le détail leur production, on peut trouver meilleur chez des compositeurs moins célèbres. Tout Mozart n'est pas au même degré de génie, et Vranický, Cannabich, Vaňhal ou Baermann ont leurs très grands moments.



c) La tournure d'esprit individuelle

Le débat s'est développé sur Classik à partir de la liste de proposition réduite de 10 disques de piano également proposée sur CSS : n'y a-t-il pas, chez les mélomanes un peu goulus, une prime indue à la rareté ?

Je crois qu'il peut y avoir, lorsqu'on a beaucoup écouté les grands classiques, une sensibilité particulière à la nouveauté (c'est clairement mon cas), à la découverte d'univers nouveaux, de façons différentes de penser le piano. Et inversement, pour d'autres personnes, le fait de pouvoir revenir à une œuvre-doudou, d'avoir baigné dedans depuis toujours, de se sentir approuvé par des siècles d'exégèse, va apporter davantage de plaisir. D'où les différents types d'attitude, ceux qui vont réécouter l'Opus 111 chaque dimanche soir, et ceux qui vont faire la moue sur un disque Chopin non parce qu'ils ne l'aiment pas (moi en tout cas, j'adore et admire Chopin, pas de doute !), mais parce qu'ils ont un peu épuisé leurs émotions en sa compagnie, ou souhaitent simplement être encore surpris et séduits par de nouvelles propositions aussi singulières que les siennes.

Donc à intérêt égal, ou même inférieur, oui, certains mélomanes peuvent avoir envie d'insister sur ce qui est plus rare. Parce que ces œuvres ont davantage besoin d'être distinguées que Vivaldi, Brahms ou Mahler, parce qu'on peut aussi ressentir qu'elles font davantage partie de notre identité que ces grands compositeurs que tout le monde a écouté, sur lesquels les grands esprits ont déjà écrit tant de choses essentielles jusqu'à en lessiver la matière…
Cela ne veut évidemment pas dire que ces représentants obscurs soient négligeables ni mêmes secondaires ; tout le monde s'accordera à dire que si l'on débute ou qu'on a peu de temps à y consacrer, il faut commencer par Beethoven 5 et le Sacre du Printemps plutôt que par les publications de CPO – du moins si l'on n'a pas d'indices sur les goûts de la personne, cf. d infra. En revanche chez certains mélomanes une découverte d'une œuvre moindre peut procurer de plus intenses émotions que la réitération d'un chef-d'œuvre déjà familier.

Cela dépend vraiment, je crois, de la structure interne des individus, et ne me semble pas appeler de jugement particulier. (Moi je trouve plus intéressant d'élargir son horizon, mais c'est aussi parce que ça me procure des satisfactions… et tout le monde n'a pas le temps de le faire !)



d) La sensibilité personnelle

Peut-être le plus intéressant : le corpus canonique ne couvre pas toutes les nations ni toutes les esthétiques !  Or chaque individu peut être sensible, c'est un truisme, à des écoles différentes… pas toutes représentées dans le panthéon officiel.

Dans cette liste de piano, j'ai proposé ce qui était le plus proche de ma sensibilité, et qui couvre un répertoire totalement distinct de la musique formelle à l'allemande, des Sonates disons. Si l'on n'est pas touché par le piano de Beethoven, Chopin ou Brahms, il existe d'autres univers qui peuvent nous satisfaire davantage – et qui échappent d'ailleurs à la comparaison, leur projet n'étant pas du tout le même.
On peut toujours se demander si les Nocturnes de Mossolov sont moins bons que ceux de Chopin, mais je crois qu'on peut s'accorder pour dire qu'il est difficile de trouver des critères communs pour évaluer ces deux musiques.

La quête du rare peut donc aussi débloquer l'accès à certains genres. On n'aime pas l'opéra parce qu'on croit que c'est Haendel-Donizetti-Verdi-Puccini, et l'on découvre LULLY / Rimski / Debussy… c'est une tout autre histoire. Il en va de même pour les répertoires dont la face célèbre est plus étroite, comme le piano, l'orgue, les concertos, les symphonies…



Conclusion morale

La hiérarchie en art est de toute façon à peu près impossible. On peut quantifier à la rigueur l'originalité (Mozart « nous fait des trucs que les autres ne font pas pour nous », dans Don Giovanni ou même La Clemenza), la nouveauté (Beethoven, Wagner et Stravinski ont bien mis le bazar dans la conception du geste créateur, clairement), mais pour ce qui est de l'intérêt, de la valeur… Chacun a ses critères – même au delà de l'émotion brute, est-ce la mélodie qui prime ? l'harmonie ? la forme ?

En ce qui me concerne, je m'en moque un peu : j'écoute ce qui me plaît. Et aussi ce qui ne me plaît pas, pour connaître. Et lorsque je découvre des choses étonnantes, stimulantes, ou simplement belles, j'essaie de partager.

J'adore les compositeurs les plus célèbres (un peu moins Bach, quand même, mais je ne peux nier qu'il est fortiche), je les écoute très souvent… mais je n'éprouve pas le besoin d'affirmer qu'ils sont plus ou moins grands que d'autres ; les jours où j'ai envie de les écouter alternent avec ceux où d'autres moins cotés me tentent davantage. Si je conteste la récurrence abusive des grands noms, c'est que j'aime avoir le choix. Quand je ne vois que les 15 mêmes pianistes-compositeurs germaniques donnés en concert, je n'ai pas le sentiment qu'on me laisse libre. (Ce qui n'enlève rien au fait qu'on ne jouera jamais trop Beethoven !  Mais on pourrait le faire un peu moins et ouvrir la place à d'autres modes de pensée.)

--

Il existe donc possiblement, oui, un biais du rare et du bizarre. Pour autant, je ne vois pas l'intérêt de se poser la question d'une hiérarchie absolue : la musique reste là pour apporter un supplément à nos vies, elle n'est pas une bataille, et la coexistence de styles différents ne retranche rien à ceux qui ne veulent pas les écouter. Si je suis partisan de la variété et du renouvellement, c'est pour laisser une liberté de choix, une possibilité de continuer toujours à découvrir, ou bien de trouver le genre avec lequel nous entrons le mieux en résonance. De ne pas passer à côté de la musique classique parce qu'on n'en voit qu'une face, certes considérable, mais absolument pas unique.

Tout cela pour livrer cette clausule profonde : je vous enjoins fermement à écouter… ce qui vous chante.
(Navré, CSS est gratuit, je ne puis vous rembourser.)

samedi 2 novembre 2019

[Sélection lutins] Dix disques de piano – nouvelle édition


Il y a presque sept ans, j'avais proposé une liste restreinte à dix disques de piano, invitant à la découverte à travers de grandes interprétations : Bach par Perahia, Rameau par Tharaud, Bruckner par Shiraga, Debussy par Thiollier, Koechlin par Henck, Hahn par Wild, Tournemire par Delvallée, Decaux par Hamelin, Roslavets par Lazareva, Takemitsu par Crossley, Boulez par Frey). J'y avais adjoint quelques conseils incluant notamment P. Serkin, Ohlsson, Vásáry, Bavouzet pour les interprètes, Pierné, Sibelius, Schmitt, Barber, Wolpe, Messiaen, Ligeti, Lieberson pour les compositeurs…

Je profite du temps qui a passé pour proposer une nouvelle liste où, de la même façon, je tricherai en proposant onze disques – et quelques compléments.

Non pas que je renie l'ancienne : il n'y a guère que pour le Rossignol Éperdu qu'ont paru deux versions que je trouve plus adéquates, Ariagno et Eidi. Ces disques me demeurent indispensables, en particulier Decaux, Takemitsu et Boulez. C'est simplement manière, au fil de nouvelles découvertes et de nouvelles parutions, de proposer un autre paysage. (Je pressens qu'on y perçoit un peu ma dilection pianistique prioritaire pour les Français tournant-de-siècle et les Soviétiques…)

Les disques sont présentés par âge des compositeurs, du plus vieux au plus jeune (mais seul Rzewski est encore vivant).



ligeti biret
[[]] (fugue de la Hammerklavier)
Beethoven – Sonates 27 à 32 – Peter Serkin, sur piano Graf (Musical Concepts, 2007)
Parmi les étranges aphorismes (n°27 de 12 minutes) et les monuments démiurgiquement architecturés de ces dernières sonates, on croule sous les versions les plus robustes et abouties. Mais pour moi, la lecture la plus aboutie (à laquelle j'ai déjà consacré une notule) est celle-ci. Peter Serkin (le fils du Rudolf qui jouait tout staccato et avec une seule nuance) n'est pourtant pas le pianiste le plus fulgurant de sa génération, malgré son répertoire par ailleurs passionnant (j'ai déjà mentionné son album The Ocean that has no West and no East) – ses Beethoven sur piano moderne sont d'ailleurs particulièrement lisses, blancs, mortifères.
Mais en jouant sur ce piano Conrad Graf (les plus beaux de l'époque, qui ont une certaine profondeur, de très belles couleurs, pas du tout les casseroles infâmes de la génération précédente), il touche soudain à l'essentiel – et au sublime.
D'abord, on y gagne beaucoup de lisibilité (on ne peut pas tout écraser sous la pédale, et chaque registre dispose d'un timbre très distinct). Ensuite, les couleurs obtenues sont extraordinaires, d'une diversité qu'on ne peut pas imaginer sur les instruments modernes, tellement chaleureuses et variées, qui sentent à la fois le bois, le salon, la rêverie, la création. Et par-dessus tout, leurs limites donnent le grand frisson de l'authenticité, de l'œuvre qui excède l'instrument. P. Serkin joue le plus fort qu'il peut sur ce pauvre piano limité dont la table d'harmonie semble vaciller dans la fugue de la Hammerklavier, les cordes crient, on croirait entendre la mécanique ployer et le bois craquer, la rage de la création s'est emparée du pianiste qui, sans rogner sur l'exactitude (l'exécution en est réellement parfaite), pousse l'instrument jusqu'au point de rupture.
En plus de la beauté du résultat, de la facilité d'approche grâce à l'étagement naturel des timbres, la démesure de ces œuvres n'a jamais été aussi palpables, jusque dans la chair de l'instrument. Même si l'on n'aime pas le piano ancien, c'est à tout le moins une expérience quasiment spirituelle à vivre aux côtés de Beethoven.


ligeti biret
[[]] (Variations & Fugue sur un thème de J.P.E. Hartmann)
RöntgenSonate en ut# mineur, Variations & Fugue d'après J.P.E. Hartmann, Ballades… (vol.4) –  Mark Anderson (Nimbus, 2019)
Assez mal connu mais de mieux en mieux documenté au disque, Julius Röntgen (1855-1932) a laissé d'assez nombreuses symphonies (25) d'un romantisme assez naïf, presque néo- (la Troisième n'est pas mal, mais beaucoup sont assez dispensables), 7 concertos pour piano (assez brahmsiens et réussis, en particulier le n°3 !), 13 trios avec piano (dont un avec clarinette) très persuasifs (et brahmsiens également !), 3 concertos pour violoncelle dans un esprit proch de Dvořák, et bien évidemment un assez grands fonds pour piano, dont ce volume n°4 réunit à mon sens, les meilleures œuvres, en particulier l'atypique Sonate en ut# mineur de 9 minutes et ces Varations & Fugue sur un thème de l'emblématique compositeur danois J.P.E. Hartmann (avec une citation de l'Agnus Dei en exergue), de 17 minutes, très diverses et élancées, de la tendresse à l'héroïsme. La fermeté du style évoque un second XIXe siècle qui se souvent encore avec vivacité du dernier Beethoven.
Outre la qualité du corpus, donc, cl'exécution remarquablement aboutie de Mark Anderson force l'admiration : limpide et précis, élancé et sobre, fougueux et profond, du très grand piano (et un très beau son).


ligeti biret
[[]] (Prélude dominical)
Ropartz – Un Prélude dominical & Six pièces à danser pour chaque jour de la semaine, Dans l'ombre de la montagne… – Stephanie McCallum (Toccata Classics, 2015)
Une merveille de simplicité et de grâce. Sobriété absolue, mais puissance évocatrice de ces miniatures. Une révélation pour moi.
Déjà présenté sur CSS.


ligeti biret
[[]] n°5 : soir d'été
Koechlin – Paysages et Marines (piano vol.1) – Michael Korstick (Hänssler, 2008)
J'ai déjà cité, dans la précédente série, d'un tout autre genre (plutôt dans l'entrelac et le mystère oriental), Les Heures persanes par Herbert Henck. Dans la grande entreprise de Michael Korstick d'immortaliser le legs pour piano de Koechlin, et qui bénéficie à la fois d'une grande maîtrise technique, d'un beau toucher, d'un sens de la suspension poétique (malgré, semble-t-il, quelques fautes éparses de lecture), j'aime tout particulièrement L'Ancienne Maison de Campagne (vol.3), dont les archaïsmes sont rendus à nus… et ces Paysages et Marines, qui existent par ailleurs dans une version ultérieure développée pour sextuor (violon, alto, violoncelle, flûte, clarinette et piano), sommet de l'écriture harmonique et contemplative, aux couleurs sans cesse changeantes comme depuis un promontoire à la fin du jour.


ligeti biret
[[]] (« Usines »)
Mariotte – Impressions urbaines & Kakémonos – Daniel Blumenthal (Timpani, 2015)
Deux des cycles les plus intéressants de toute la littérature française, à l'égal des grands Dupont ou Koechlin, dans des genres aussi contrastés qu'il est possible. Les Impressions urbaines (1914-1919) font entendre les bruits de la ville (« Usines », « Faubourgs », « Guinguettes », « Décombres », « Gares » ; bien que le son se rapproche des pièces mécanistes de Meisel ou Mossolov, le programme écrit par le compositeur insiste plutôt sur la misère humaine, dans une veine naturaliste) restructurés en musique – très impressionnant et fascinant.
Kakémonos (1924), c'est au contraire l'orient sino-japonais rêvé, abîmé dans une contemplation dépouillée aux harmonies surprenantes et profondes.
Et la souplesse de Blumenthal, grand chef de chant et accompagnateur, laisse aussi percevoir d'autres qualités plus purement instrumentales et musicales. La grand parution discographique de piano français de la dernière décennie. (Possiblement mon disque de piano de l'île déserte.)
Déjà présenté sur CSS.


ligeti biret
[[]] (larghetto de la Sonate n°7)
Feinberg – Sonates 7 à 12 – Christophe Sirodeau & Nikolaos Samaltanos (BIS, 2204)
Scriabine nouveau, Feinberg s'enfonce dans un langage dont la logique romantique repousse les limites des cadres de tonalité et de forme. Très riche et profusif, particulièrement passionnant dans les 3, 7 et 12, des univers entiers à parcourir au milieu des abîmes suggérés par une virtuosité totalement intégrée au langage. La limpidité de Sirodeau (mélodies très timbrées, élan palpable malgré la pédale généreuse) fait merveille.


ligeti biret
[[]] (nocturne n°2)
Mossolov – Intégrale pour piano – Olga Andryushchenko (Grand Piano, 2016)
Parmi les œuvres les plus paradoxalement poétiques du répertoire pour piano, ces 2 Nocturnes à la construction minérale – écrits en strates, lents mais agités par des ramifications intérieures très riches –, les 3 Petites pièces, les Sonates sont servis ici avec une souplesse plastique qui permet à la fois l'expansion temporelle et la beauté des timbres. (Pour situer, on est encore assez au delà de la maîtrise de Henck, qui en a gravé la moitié.)


ligeti biret
[[]] n°2 : le loriot
Messiaen – Catalogue d'oiseaux – Håkon Austbø (Naxos, 1997)
Pour moi le sommet de toute la production de Messiaen, avec L'Ascension pour orgue et les 24 Regards – contrairement à sa mauvaise réputation, on y sent particulièrement bien l'articulation d'un discours musical assez traditionnel, reposant sur des progressions harmoniques, des tensions-détente, coulé dans le moule de modes nouveaux. Sous cette apparente dissonance sourd au contraire une logique très harmonieuse et familière, habillé en sus par l'inventivité fantasque des chants d'oiseaux transcrits.
Muraro est à juste titre cité en référence, très incisif, aux respirations et fluctuations agogiques travaillées, mais la prise de son chez Accord, dure, lasse vite. Austbø, avec une conduite un peu plus molle, permet davantage de se couler dans la longue durée, avec beaucoup d'élégance et de présence.


ligeti biret
[[]] n°13 « L'escalier du diable »
Ligeti – Études (livres I & II) – Idil Biret (Naxos, 2003)
Un des corpus les plus originaux et divertissants du répertoire : au lieu de partir de figures techniques, comme le font en général les Études, Ligeti prend une idée proprement musicale (souvent fondée sur la superposition, le décalage…) et en écrit la réalisation inconfortable à destination du pianiste, comme un jeu. Avec pour résultats de véritables œuvres musicales très abouties, typées et amusantes, loin des purs exercices de virtuosité (certaines ne sont d'ailleurs pas inaccessibles du tout techniquement).
Le choix est difficile au disque : seul Kei Takumi (Sheva Collection), je crois, en a gravé les trois cahiers (il s'agit par ailleurs d'une des meilleures versions disponibles, mais l'attitude reste un peu bûcheronnante, quoique ne manquant pas d'électricité). Par ailleurs l'interprétation ne leur rend pas toujours justice : noyée dans la pédale (Thomas Hell chez Wergo), très lyrique et fondue au détriment du détail des plans (Fredrik Ullen chez BIS, Laurent Aimard chez Sony), détachée quitte à perdre au contraire les qualités mélodiques (Jeremy Denk chez Nonesuch). Idil Biret, qui n'est pas parfaite (un peu prudente par rapport aux plus échevelés), a l'avantage de présenter avec beaucoup de clarté les logiques internes de chaque pièce, de façon presque pédagogique.


ligeti biret
[[]] (variation n°26 « in a militant way »)
Rzewski – 36 Variations sur « El Pueblo unido » – Christopher Hinterhuber (Paladino Music, 2012)
Le classique ultime des Variations du second XXe. Hinterhuber a le grand avantage, en plus de sa netteté, de proposer une lecture qui rend aussi bien justice aux poussées de lyrisme qu'à la logique de l'écriture plus défragmentées de certaines variations, contrairement à d'autres qui exaltent plutôt l'une (Hamelin) ou l'autre (Rzewski lui-même). Je crois les avoir à peu près toutes essayées, celle-ci est vraiment celle dont l'aisance, la variété et l'évidence me frappe le plus. Hinterhuber est par ailleurs un très grand interprète, il n'y en a pas beaucoup, de la musique pour piano du XVIIIe siècle (ses C.P.E. Bach sont à découvrir !).


ligeti biret
[[]] (Sonate n°10 Eurêka, V « Doutes »)
Tichtchenko – Sonate n°10 & Variations Op.1 (vol.2) – Dinara Mazitova (Northern Flowers, 2013)
Témoignage d'un Tichtchenko aux extrêmes de sa vie (1956 pour les Variations, 2008 pour la Onzième Sonate). Les Variations Op.1 et la Sonate n°10 (« Eurêka » : chaque mouvement illustrant une étape de la démarche scientifique, de l'hypothèse jusqu'à la réfutation) marquent par leur style limpide (quoique déjà complexe), une expression directe (et élégante) rare sous cette forme dans le patrimoine soviétique, dont on retrouve cependant les types mécanistes, les mélodies simples qui se cabossent ou qui modulent brutalement sans crier gare.



Mais j'aurais aussi pu mentionner :

Chopin – intégrale pour piano solo – Nikita Magaloff (Philips, 1997)
Évidemment, Chopin reste un massif où sourdent des couleurs incroyables (quelles surprises harmoniques, et encore davantage en regardant les dates !), et avec la souveraineté mélodique qu'on connaît. Cette intégrale a l'avantage de ne regrouper que des interprétations de première classe : Magaloff a à la fois pour lui l'agilité, l'emphase, le sens du coloris, la netteté du trait (la pédale étant utilisée pour des effets d'irisations, jamais pour donner du fondu à des fusées qui restent très pures) et même la poésie. Pour la plupart des œuvres, ce sont des interprétations qu'on peut déjà considérer comme assez ultimes, alors dans une intégrale, l'aubaine !

von Bülow – Ballade Op.11 – Mark Anderson (Nimbus, 2011)
Dans une veine lisztienne, et à nouveau formidablement réalisée par Mark Anderson,  un témoignage inattendu de l'art de ce chef d'orchestre emblamétique, et membre de la confrérie des cocus de Wagner. Passé ce presque quart d'heure, le reste est plus conventionnel, couplage avec l'aimable Carnaval de Milan (suite de danses au parfum de salon : polonaise, valse, polka, 6 quadrilles, mazurka, tarentelle, galop…).

Pierné – Variations en ut mineur – Laurent Wagschal (Timpani, 2010)
Monumentales et hautement virtuoses, elles sont l'œuvre d'un compositeur qui n'a pas écrit pour le piano depuis quinze années, tout en dirigeant les principales nouveautés de son temps : sans être avant-gardiste, la décantation de cette vie musicale riche est audible dans les atmosphères successives de ces 8 variations & final, pour un 25 minutes. connu (dans le même registre, il faut absolument remonter l'assez moderne Saint François d'Assise !), on s'inscrit ici dans l'héritage du piano romantique, mais avec une maîtrise de tous les paramètres d'écriture à un degré qui n'est permis que par le recul temporel. Wagschal y est, comme toujours, d'une aisance complète.

Magnard – Promenades Op.7 – Philippe Guillhon-Herbert (WW1 Music, 2014)
Premier volume de l'incroyable et indispensable documentation de fond du label Hortus à l'occasion du centenaire de la guerre de 14-18, celui-ci, autour de l'exemple célèbre du défi de Magnard (protégeant son manoir au pistolet, et manquant de peu de faire fusiller tout le village). Le disque propose notamment une claire version des Promenades, un délice dans le genre un peu naïf-archaïque qui a cours dans le Versailles de Reynaldo Hahn, dans la Suite dans le style ancien de d'Indy, dans la Nursery d'Inghelbercht, etc., et qui a sans doute encore plus de prix lorsqu'on a accoutumé de se promener dans les lieux pittoresques du Sud-Ouest de l'Île-de-France – Bois de Boulogne, Villebon, Saint-Cloud, Saint-Germain, Trianon et Rambouillet !

Dupont – La Maison dans les dunes – François Kerdoncuff (Timpani, 2003)
Dupont – Les Heures dolentes – Émile Naoumoff (Saphir, 2009)
Deux séries d'évocations à la française, constituant une arche très réussie, puissamment lumineuse pour la première, beaucoup plus tourmentée et contrastée pour la seconde. La netteté incisive de Kerdoncuff et les irisations sombres de Naoumoff sont des truchements assez fabuleux pour aborder ces corpus (assez bien servis au disque – Blumenthal, Girod, Eckardstein…).

Zaderatski, Protopopov, Deshevov, Feinberg, Roslavets, RevutskiSonates, Rails, Préludes, Poèmes, PiècesFikret Amirov, Nikita Mndoyants, Yuri Favorin, Tikhon Khrennikov Jr.  (Melodiya, 2012)
Anthologie qui a le mérite de regrouper un panorama de quelques-unes des meilleures pièces sociétiques, dont une sonate (n°3, « à la mémoire de Léonard de Vinci » !) de Protopopov, une (n°2) de Zaderatski, les Rails de Deshevov, et même le luxe des Préludes de Roslavets de la Sonate n°5 de Feinberg par Favorin (Amirov est clairement plus terne, mais comme il est le seul à jouer ces œuvres !).

Protopopov, Mossolov, Roslavets, Feinberg, Stanchinski, Obukhov, Lourié – « Forgotten Russians » :  Sonate n°2, 2 Nocturnes & 2 Danses, 5 Préludes, Berceuse, Formes en l'air – Vladimir Feltsman (Nimbus Alliance, 2019)
Un programme remarquablement dense et complet sur les grandes œuvres héritières du courant futuriste. En dehors de la Sonate de Protopopov, ce sont des œuvres sinon documentées par des personnalités plus saillantes, ou bien mineures, mais la cohérence du panorama invite à la découverte !

… Et sans doute les strates grisantes des Klavierstücke de Stockhausen et la poésie aphoristique des Játékok de Kurtág, mais j'ai écouté les premiers dans des versions séparées (pas forcément éditées au disque), et essentiellement joué les seconds… je n'ai donc pas de disque à proposer comme cela, sans quoi, oui, ce seraient des corpus à recommander.

Parmi tant d'autres choix possibles. Évidemment.

On peut notamment compléter par cette liste de grands cycles figuratifs de piano français de la première partie du XXe siècle, ou bien par cette sélection subjective des plus belles pièces pour piano solo.



À l'issue de ce petit parcours, je m'aperçois du caractère tout à fait déséquilibré de mes propositions, à rebours des listes que j'aime donner, parcourant diverses esthétiques. Mais je n'en suis pas mécontent : ceci témoigne d'un autre piano que celui qu'on joue et enregistre abondamment, le piano des épanchements romantiques, de la virtuosité formelle, des quelques compositeurs bien en cour. Ici, ce sont d'autres paysages qu'on parcourt, le piano atmosphérique français (qui cherche la couleur, l'évocation visuelle plus que la beauté formelle), le piano futuriste russe et soviétique (avec ses recherches de textures et d'harmonies assez radicales, sans renoncer aux formes anciennes ni à la tonalité).

J'espère que ce sera l'occasion de quelques découvertes (Mariotte, impérativement !), voire de redonner confiance dans quelques corpus mal-aimés (le Catalogue d'oiseaux), d'éclairer différemment des tubes (Beethoven sur Graf)… puissiez-vous y trouver, çà ou là, et sans tout partager bien sûr, votre compte !

mardi 17 septembre 2019

Une décennie, un disque – 1810 – Salieri, l'inventeur de l'orchestration


1810


salieri folia

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Variation n°4 : traits de harpe d'une liquidité lumineuse et ponctuations récitative de l'orchestre en accords.


☼ Je m'interroge, après le précédent essai, pour dédoubler les propositions discographiques à partir de 1800… cela permettrait d'oser bien davantage de genres différent, sans trop alourdir la série.


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Variation n°10 : trombones mystérieux, dramatiques et romantiques en diable, auxquels répondent des roulements de timbales (et de caisse claire), puis des arpèges brisés de flûte (comme dans les figurations d'orage, plutôt plus tard chez Verdi que chez ses contemporains Beethoven et Rossini !)


Un peu de contexte : les trois postérités de Salieri
    ◊ Salieri fut vedette en son temps, figure incontournable de la musique viennoise, joué et accablé d'honneurs à travers l'Europe : il triomphe auprès de l'impitoyable public parisien qui ne jurait que par Gluck et Piccinni, il devient membre de l'Académie de Suède, de l'Institut de France, reçoit même la Légion d'Honneur !  Pourtant, par la suite, sa perception par le public évolue considérablement…


Compositeur : Antonio SALIERI (1750-1825)
Œuvre : 26 Variations d'orchestre sur le thème de la « Folia di Spagna » – (1815)
Commentaire 1 : Ces Variations .
    Contient aussi deux ouvertures (au matériau largement commun) dont c'était alors le premier enregistrement mondial (les trépidantes Semiramide de 1782 et Les Horaces de 1786), ainsi que deux concertos pour piano de 1773 dont les traits d'une vigueur plus beethovénienne que mozartienne peuvent étonner (dans le Concerto en ut uniquement, et peut-être parce que le tempo lent choisi par Spada incite au martèlement des figures de virtuosité).
    Ces variations orchestrales reposent sur un véritable paradoxe : écrites à une époque où la forme de la variation renvoie plutôt au passé, progressivement supplantée par la forme-sonate (opposition et mélange de thèmes plutôt que répétition ornée d'un même thème), utilisant un thème qui n'est plus très à la mode (utilisé par Frescobaldi, LULLY, d'Anglebert, Corelli, A. Scarlatti, Couperin, Marais, Vivaldi et quantité d'autres compositeurs baroques, il l'est ensuite plus épisodiquement par C.P.E. Bach, Cherubini, Liszt, Sor, Nielsen, Rachmaninov, non sans une certaine distance ludique…), elles proposent pourtant une série d'études orchestrales aux alliages assez neufs.
    Plus encore, l'idée même de varier l'orchestration pour changer le caractère d'une pièce (et de l'inclure comme élément principal d'une suite de variations) est elle-même tout à fait insolite : en l'état de ma connaissance (évidemment parcellaire) du répertoire, c'est la première œuvre qui affirme de façon aussi nette l'importance de l'orchestration et la liberté du compositeur en la matière, au delà des traditions (à l'ère classique, on met des cors et trompettes exclusivement pour renforcer les forti des mouvements extrêmes, par exemple). En dehors des symphonies de Beethoven, qui proposaient déjà des effets originaux (solos de basson, de timbales…), les autres approches relevaient davantage de l'instrumentation, du choix de tel instrument solo, sur un patron globalement comparable d'un compositeur à l'autre. Ces Variations proposent au contraire un catalogue d'essais, parfois particulièrement expressifs ou plutôt hardis.
    Avec une nomenclature de symphonie (vents par 2, sauf les trombones – 3 –, timbales, et en sus harpe, caisse claire & tambour de basque), Salieri offre des procédés, couleurs et climats très variés. Comme il n'est pas possible de présenter tout, j'ai choisi quatre variations.
           ♣ n°4 : traits de harpe d'une liquidité lumineuse et ponctuations récitative de l'orchestre en accords ;
         n°10 : trombones mystérieux, dramatiques et romantiques en diable, auxquels répondent des roulements de timbales (et de caisse claire), puis des arpèges brisés de flûte (comme dans les figurations d'orage, plutôt plus tard chez Verdi que chez ses contemporains Beethoven et Rossini !) ;
         n°22 : dialogue de hautbois et clarinette entrelacés, sur fond de cordes ;
         n°25 : violon et harpe solos sur tapis de cordes, avec interventions des premières chaises de bois, assez suspendu, mais avec une progression dramatique.


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Variation n°22 : dialogue de hautbois et clarinette entrelacés, sur fond de cordes.


Un peu de contexte : Salieri, l'assassin compositeur
    ◊ Sa réputation a ensuite, très vite après sa mort (en 1830, cinq ans après icelle, paraît la pièce de Pouchkine), pâti du hasard des nécessités dramaturgiques de quelques auteurs qui l'ont, hélas pour lui, distingué comme un nom suffisamment célèbre pour servir de miroir (et de repoussoir) leur Mozart.
    ◊ En voulant faire de Mozart le parangon du génie naturel (et presque inconscient de lui-même), Pouchkine a besoin d'un personnage qui incarne au contraire le travail minutieux, laborieux – ce qui n'est pas nécessairement faux, Salieri était un garçon très appliqué, qui composait vite mais n'avait peut-être pas la facilité d'invention déconcertante de Mozart (je doute cependant que Pouchkine en ait su quoi que ce soit, ce type d'information ne nourrissait pas les journaux). Et le ressort dramatique devient : l'étonnement, l'envie, la jalousie, le crime. Pouchkine a tant de succès que sa pièce (loin d'être sa meilleure, vraiment), se nourrissant sans doute aussi, comme son Convive de Pierre, de l'engouement exceptionnel de sa génération pour Mozart, connaît un large succès et répand, auprès d'un public sans doute moins musicien – ou qui n'a, contrairement aux derniers Mozart, sans doute plus très souvent l'occasion d'écouter des œuvres de Salieri –, la légende urbaine de l'assassinat de Mozart, par un confrère ; par ce confrère.
    ◊ La cause de la mort de Mozart reste sans explication à ce jour, ce qui nourrit les spéculations les plus diverses, de l'accident par procuration à la rencontre hofburgeoise avec Lucifer. Celle-ci, simple et romanesque, a survécu, entretenue par le statut tutélaire de Pouchkine sur la littérature mondiale, avec un renouveau en 1979 lors des représentations de la pièce Amadeus de Peter Shaffer (et surtout en 1984, avec le film de Miloš Forman qui en est directement inspiré), qui réactive la légende fantaisiste de la rivalité entre les deux hommes, avec pour cause la médiocrité et la vilenie de Salieri.
    ◊ Dans la réalité, Salieri a au contraire aidé Mozart, l'appuyant pour composer la Clémence de Titus qu'on lui avait d'abord proposée, formant son fils Franz Xaver à sa mort… Par ailleurs, en matière d'honneurs et de charges, Salieri ne boxait pas dans la même catégorie, et n'était nullement menacé par Mozart – on dispose de surcroît d'assez nombreux témoignages illustrant une certaine bonté chez lui, aidant volontiers les compositeurs désargentés ou moins bien installés dans les honneurs et les commandes que lui-même. (Le hasard des injustices littéraires fait qu'il s'agit d'un des fort rares compositeurs à sembler, dans le privé, assez sympathique !)


Interprètes : Philharmonia Orchestra, Pietro Spada
Label : ASV (1994)
Commentaire 2 : Le tempo de l'Ouverture des Horaces permet de bien mesurer la distance avec une exécution conforme aux pratiques d'époque : on dispose des minutages de Tarare tel que représenté à l'Académie Royale de Musique, et ils sont sensiblement identiques (à peine moins rapides) que ceux employés par Rousset dans son enregistrement. Or ici, le tempo de Spada se révèle vraiment plus lent, ce qui ôte leur efficacité à un certain nombre de figures qui deviennent mélodiques alors qu'elles étaient conçues pour créer un sentiment d'agitation et de danger. On est davantage habitué à ce traitement dans les concertos de Mozart, et ceux de Salieri sont proposés ici assez amples et romantisants ; Pietro Spada (lui-même au piano) y joue au demeurant avec une jolie rondeur assez délicate.
    Le même problème se pose pour les Variations : nous n'avons clairement pas affaire à une exécution musicologique. Cependant Spada et le Philharmonia restent engagés et nous font profiter d'un véritable grain, intéressant dans la perspective de ces études d'orchestration. Les autres choix, Peskó avec le LSO (tout aussi monumental, mais vraiment pas propre) et Bamert avec les London Mozart Players (très lisses, orchestre de chambre tradi même si la pâte est sensiblement plus légère – on perd beaucoup sur les effets de rythme et de timbre) – qui a beaucoup fait pour ce répertoire sans toujours le servir avec l'acuité qu'on pouvait espérer pour ces pages – se révèlent moins satisfaisants.
    Oui, ce n'est peut-être pas le disque le plus accompli de cette série, mais en l'absence de version musicologique (le Freiburger Barockorchester le jouait pendant la tournée de l'album Salieri de Bartoli… mais sur le disque, il fallait laisser la place aux airs), cela reste un témoignage indispensable si l'on s'intéresse un peu à l'histoire de l'orchestration et à l'évolution des formes musicales.


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Variation n°25 : violon et harpe solos sur tapis de cordes, avec interventions des premières chaises de bois, assez suspendu, mais avec une progression dramatique.


Un peu de contexte : Salieri, l'homme de l'avenir
    ◊ Troisième étape de sa postérité : depuis la fin des années 1980, le regain d'intérêt pour le répertoire ancien (i.e. pré-1800) dans des interprétations « informées » permet, en les exécutant correctement, de rendre leur lustre à des corpus qui n'étaient pas restés au répertoire comme les Mozart. Le disque documente ainsi progressivement de plus en plus de ses œuvres : musique pour vents, concertos, Requiem, oratorios, lieder, ouvertures d'opéras (vraiment pas le meilleur de son œuvre, c'est sûr qu'il ne faut pas comparer ça avec les Mozart…), airs d'opéra (Bartoli, Damrau) et opéras intégraux (dans des conditions d'enregistrement de plus en plus luxueuses, témoin les trois opéras français chez Aparté et les derniers bouffes parus chez Deutsche Harmonia Mundi), il en existe de plus en plus (plusieurs dizaines si l'on compte les disques non-monographiques). Et parfois en plusieurs versions (pas toujours bonnes, comme en attestent justement ces Variations sur la Follia) ; on commence à se pouvoir se représenter, en tout cas, certaines des (nombreuses) raisons du succès de Salieri en son temps et au delà – les strophes du raccourcissement génital de Calpigi ont ainsi servi à de d'illustres chansonniers dans les décennies suivantes (dont Béranger, par trois fois !).
    ◊ Lorsque, ainsi que les colons anglais de Delibes réunis en quintette, on raisonne froidement : l'observation du corpus disponible de Salieri révèle un legs inégal (celui de Mozart l'est aussi), avec des œuvres qui sont réellement d'un intérêt mineur (des opéras italiens en général plutôt bons, mais pas tous pourvus du même relief, et aucun d'un niveau comparable aux Da Ponte de Mozart) mais aussi et surtout des gemmes d'une valeur inestimable, qui traversent les époques et annoncent le drame durchkomponiert (Tarare), osent des pas de côté étonnants dans la gestion dramaturgique et musicale (La Grotta di Trofonio, Les Horaces), ou bien instaurent une conception de l'orchestration moderne qui apparaît, telles ces 26 Variations orchestrales. Véritablement l'un des compositeurs majeurs de son temps, ni plus ni moins que Gossec, Haydn, Mozart ou (Pavel) Vranický.

lundi 1 juillet 2019

Saison 2018-2019 : bilan de l'année concertante & grande remise des Putti d'incarnat


La saison passée, après avoir passé de nombreuses heures à essayer de faire une jolie présentation, je n'en suis pas venu à bout et n'ai rien publié…
Cette saison-ci, du fait des… 193 spectacles vus depuis le 1er septembre (et cela se poursuit en juillet), j'adopte une autre stratégie : un grand tableau qui contient toutes les données statistiques, avec les distributions, les lieux, les époques, les remises de putti d'incarnat, le prix de revient…

Tant de beautés, parfois un peu secrètes, méritent un petit tour d'horizon, que voici.



1. Les putti d'incarnat

Voici donc venu l'instant de la grande remise annuelle de la récompense suprême pour tout artiste informé, le putto d'incarnat – qui est au diapason d'or ce qu'est la médaille olympique de lancer de poids à la compétition de pétanque de la félibrée.
Seule la rédaction de Carnets sur sol réunie en collège extraordinaire est habilitée à le décerner, ce qui garantit la clairvoyance de son attribution, et l'absence absolue de collusion maligne.

Hautement respecté, il se matérialise par un putto de van Dyck, remis directement à chaque lauréat sous forme d'un précieux carré de pixels.


les putti d'incarnat

Au delà du jeu des breloques, c'est aussi et surtout l'occasion de mettre en valeur des œuvres, concerts ou interprètes qui n'ont pas toujours été très exposés. Il est vrai que le travail de recherche de ces concerts est un poste de dépense, en temps, assez considérable à lui seul !



2. Spectacles vus

Tout a donc été placé et organisé dans ce grand tableau.

Quelques précisions utiles pour sa lecture :
♦ en gris, les découvertes personnelles ;
♦ l'astérisque sur un nom signifie que j'entends l'interprète pour la première fois en salle (deux astérisques, que je le découvre complètement) ;
♦ dans la colonne « recension », tw signifie Twitter (cliquez sur « lire la discussion » pour accéder au commentaire complet), clk Classik (forum de référence), CSS Carnets sur sol (évidemment). Certains concerts n'ont pas été commentés (ou ont pu l'être sans que je remplisse la case, d'ailleurs).

Après hésitation, j'ai conservé la cotation des spectacles, pour permettre de lire plus clairement. Elle est sur cinq et ne relève que ma propre satisfaction : elle ne mesure pas l'intérêt des œuvres, ni même le niveau ou l'engagement des artistes… simplement l'état de ma subjectivité (qui peut varier selon le moment évidemment). D'une certaine façon, la seule cotation objective possible : celle de mes émotions plutôt qu'une qualité générale hypothétiquement universalisable.
D'une manière générale, on peut tout de même remarquer que jouent très fortement la rareté des œuvres (et leur intérêt, bien sûr ; cependant plus il y a découverte, plus l'émotion est forte, par exemple une opérette inédite par rapport à Tosca qui est un coup de poing, mais dont on a l'habitude), ainsi que certains paramètres d'interprétation (engagement, plaisir de jouer, qualité linguistique notamment).

À la louche, il faut le lire comme suit :
* : très bonne exécution, mais je n'ai pas vraiment été emporté, pas sensible aux choix, ou j'étais dans un mauvais soir (Couperin par Jarry, Mahler 3 par l'Opéra de Paris)
** : très bien, mais pas forcément sensible aux œuvres (Manon, Concerto pour violon de Weill, The Rake's Progress…) ou joué de façon terne (Boccanegra) ;
(à partir de ***, on est vraiment très haut)
*** : excellente soirée, très intéressante, très bien jouée ;
****  : assez parfait (mais ce n'est pas rare, ou bien il m'est arrivé d'entendre mieux), ou proposition imparfaite mais extrêmement stimulante (Les Démons à Berthier…) ;
***** : bonheur absolu

Je me suis même réservé, pour les grands soirs qui marquent une vie de spectateur, d'excéder les *****.

Je le redis ici, il ne faut pas le lire comme une « note » /5, ce n'est pas l'esprit de la chose.

Trois spectacles seulement sur les 193 ont une note « négative », où je me suis permis de partager mes doutes.
Bérénice de Jarrell. Je n'ai jamais autant regardé ma montre au spectacle. Jarrell est un très grand compositeur, les interprètes étaient excellents… cette fois-ci ça n'a pas pris, le rapport à Racine, la prosodie, même la musique ne s'articulaient pas ensemble. Une production où tout le monde était de bonne foi, mais une œuvre ratée à mon sens. Cela arrive. Il faut réécouter son opéra Galilée, son mélodrame Cassandre et sa musique symphonique.
Pelléas avec piano à l'Opéra-Comique. Les interprètes (pourtant tous très valeureux) ne possédaient pas bien leur rôle (pas techniquement, mais il ne se passait rien dramatiquement) : proposer le résultat d'une semaine de travail sur une œuvre aussi spécifique que Pelléas, avec un plateau où tout le monde faisait sa prise de rôle, dans un contexte aussi solennel qu'une grande salle de spectacle (pour ce qui aurait dû se donner dans une salle de répétition entouré des proches), ça ne pouvait pas fonctionner. Fausse bonne idée – là encore, ce n'était pas vraiment la faute des artistes, et ça aurait pu fonctionner, vu leur niveau, avec n'importe quel autre opéra… mais pas celui-ci avec tout le monde le nez dans la partition à compter les temps. Et surtout pas vendu comme un vrai concert, à Paris où l'on a en moyenne un Pelléas extraordinaire par an.
Le Procès de Krystian Lupa d'après Kafka, le seul pour lequel je n'ai pas beaucoup d'indulgence : atrocement lent, mal ficelé, délibérément laid… Tout était plat, démonétisé… et j'ai été mis un peu de mauvaise humeur aussi par ce qu'on voyait sur scène (de longues minutes pendant lesquelles un homme nu se touchait), alors qu'aucun avertissement envers le jeune public n'avait été émis (beaucoup de lycéens dans la salle). Un mauvais spectacle, c'est une chose, mais un spectacle nuisible…

Tout le reste, même pour les * où je ne suis pas convaincu sur les choix opérés, était de haute volée. Avec quelques sommets à peine imaginables dont je parlerai.



3. Statistiques

a) Lieux

193 soirées dans 91 salles différentes, dont 50 jamais testées !
Plus d'1/4 de salles nouvelles, après dix ans de concerts à Paris, je suis plutôt content de moi.

Les lieux les plus visités ?  Ils ne surprendront pas les habitués.
1. Philharmonie
2. CNSM
3. TCE
4. Bastille
5. Favart / Château de Versailles
6. CRR de Paris
7. Athénée / Odéon / Garnier
8. Marigny

Détail des salles où je suis allé plusieurs fois cette saison :
total Philharmonie (47)
Philharmonie (36)
total CNSM (24)
total Opéra de Paris (13)
CNSM – Fleuret (11)
CiMu (10)
TCE (10)
Bastille (9)
CNSM – salle d'orgue (6)
Favart (6)
total Château de Versailles (6)
total CRR (5)
CNSM – Pfimlin (4)
Athénée (4)
total Odéon (4)
Garnier (4)
CRR – auditorium Landowski (3)
Opéra Royal (3)
Versailles, Grande Écuries (3)
Odéon (3)
total Marigny (3)
CRR – salle Alain (2)
Temple du Luxembourg (2)
Saint-Gervais (2)
Marigny grande salle (2)

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b) Genres

Opéra (55), dont scénique (32) et concert (23)
Symphonique (39)
Sacré (20), dont oratorio (4)
Théâtre (18)
Musique de chambre (17)
Lieder & mélodies hors orchestre (13)
Instrument solo (7), dont piano solo (5)
Ciné-concert (5)
Chœur solo (8), dont a cappella (6)
Comédie musicale (4)
Théâtre & musique (4)
Orgue (4)
Cantates profanes (3)
Théâtre en langue étrangère (2)
Improvisation (2)
Airs de cour (2)
Traditionnel / Folklorique (2)
Ballet (2)
Récital d'airs d'opéras (2)
Chanson / Cabaret (1)

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c) Époques

Trop compliqué à compter, mais comme d'habitude, le déséquilibre de l'offre fait que triomphent très nettement les XIXe2 et XXe1, périodes que j'aime beaucoup, mais pas forcément à ce degré de différence.




4. Remise de prix

Les œuvres et interprètes remarquables sont déjà indiqués dans le fichier général, mais quelques précisions et éclairages.

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a) Accueil

On est bien accueilli en de multiples endroits, mais deux salles proposent une expérience extraordinaire, où vous êtes à chaque pas accueilli avec bienveillance ; on vous conseille même sur les prix moins chers (quand on ne vous accorde pas de réductions indues), on vous aide à vous replacer sans que vous ne demandiez rien, et toujours le sourire, le plaisir d'être au contact du public… Un plaisir d'y aller, rien que  pour se sentir bien.

Pour cela, L'Athénée à Paris (rue Boudreau) et le Théâtre Roger Barat d'Herblay.

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b) Lieux extraordinaires

Cette itinérance francilière m'a aussi permis d'accéder à des lieux incroyables. Il y a bien sûr les églises, avec les fresques XVIe du plein ceintre de Saint-Basile (Étampes), les culs-de-lampe drôles de Saint-Sévère (à Bourron-Marlotte), l'étrange cagibi qu'est la nouvelle Cathédrale orthodoxe de la Trinité à Paris, les splendides époques juxtaposées (XIe-XVIIe) de Saint-Aubin (Ennery).

Mais aussi d'autres lieux moins attendus, moins spécialisés : découvrir pour la première fois l'Orangerie de Sceaux, son volume et ses moulages, retrouver le grand théâtre de bois de l'amphi Richelieu de la Sorbonne (pour un programme Hensel-Wieck-Reverdy incroyable, de surcroît), être accueilli en invité dans les salons chamarrés du palais de la Fondation Polignac (très intimidant, l'impression d'entrer par effraction dans un monde parallèle), et sommet des sommets, la plus belle salle que j'aie vue sans doute, le Manège de la Grande Écurie face au château de Versailles, pour du LULLY ! – aux murs d'Hardouin-Mansart s'ajoutent les gradins et tourelles de bois de Patrick Buchain… ce lieu est d'une singularité et d'une poésie qui n'ont pas d'équivalent.

Quantité de théâtres charmants aussi (le Théâtre Michel par exemple), et des lieux qui, sans être toujours spectaculaires, marquent : la Fondation Pathé où les salles spécialisées peuvent accueillir de l'improvisation au piano devant les muets fraîchement restaurés, La Nouvelle Ève dans le quartier des cabarets, avec sa décoration totalement dépourvue de pudeur et de bon goût (ambiance lupanar avec des couloirs froides, déstabilisant), Les Rendez-vous d'ailleurs (un cabaret de quartier où les lavabos sont dans le m² de l'entrée, où le hall est aussi la salle… tout un théâtre de plain-pied contenu dans l'espace d'une grande salle à manger), La Passerelle (une sorte de microcantine-bibliothèque, un petit lieu de convivialité de quartier sous pierres apparentes, délicieux)…

Et bien sûr, souvenir particulier de la Salle du Dôme, grand demi-cercle au sommet du Conservatoire de Puteaux, où j'ai pu assister, tandis que le couchant embrasait Paris à travers les grandes baies panoramiques, à la répétition générale de Tarare de Salieri, littéralement contre les musiciens et chanteurs. Lieu fort beau, mais dont la jauge ne permet pas de donner de spectacles (nous étions quatre spectateurs).

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c) Opéra scénique

Les Huguenots : contre toute attente, une production de l'Opéra de Paris. La qualité de la partition est telle que, bien servie (j'ai attendu qu'on soit en place, en toute fin de série…), elle procure une jubilation ininterrompue assez incroyable… tant de qualité mélodique, de modulations de relance adroites, de tuilages et ensembles… le vertige.

Normandie de Misraki (La Nouvelle Ève) : festival de jeux de mots lestes, musique généreuse servie avec un entrain formidable. Production assez géniale de ce qui aurait dû être une aimable curiosité.

Into the Woods de Sondheim (Massy) : jubilatoire jeu de contes, peut-être aussi le Sondheim mélodiquement le plus irrésistible.

Rusalka de Dvořák (mise en scène Carsen) : le wagnérisme dans un creuset mélodique slave, et une mise en scène à la fois si belle et fine (peut-être ce que j'ai vu de mieux sur une scène d'opéra), vraiment fabuleux (musicalement, on baigne dans la plus belle des riches voluptés).

Et beaucoup d'autres moments fabuleux : la décantation de Iolanta, The Importance of Being Earnest (Gerald Barry) et sa fantaisie, Véronique de Messager (version quintette piano-cordes), Le Testament de la tante Caroline (Roussel !), Madame Favart (le meilleur Offenbach peut-être), Le Jugement de Midas de Grétry, Le Retour d'Ulysse d'Hervé, Donnerstag de Stockhausen (quelle poésie !)…

Aussi le plaisir de la découverte en salle d'ouvrages que je savais plus mineurs mais qui, en vrai, demeuraient charmants : Galuppi-Goldoni (Il Mondo alla roversa), Korngold (Die stumme Serenade), Loesser (Guys & Dolls), Berio-Monteverdi (Orfeo III) Sondheim (Marry Me A Little).

Quelques belles retrouvailles aussi : L'Elisir d'amore (ça ne manque jamais), Otello (Kurzak et Alagna époustouflants, on verra cette soirée avec nostalgie avant peu), Hamlet, Tristan (Serafin m'a beaucoup touché !), Ariadne auf Naxos…

Très peu de mauvaises surprises : j'ai trouvé Mam'zelle Nitouche faible, mais les artistes se donnaient ; je n'aime toujours pas Manon mais la production était remarquable en tout point ; reste surtout la frustration de ce Boccanegra à l'économie du côté mise en scène et orchestre, vraiment pas au niveau d'une telle maison ni de l'œuvre… mais le niveau vocal était suffisamment très-bon pour sortir content.

Étrangement, cette saison, plus d'opérette et de comédie musicale, revenant en force à Paris, que de baroque français !  Je ne m'en plains pas, j'ai fait bombance de ce genre alors que les autres étaient jusqu'ici un peu négligés.

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d) Opéra en concert

La Pskovitaine de Rimski-Korsakov : une œuvre d'une densité et d'un feu extraordinaire (le meilleur Rimski, à mon gré), alors servie par le Bolchoï, on crève de bonheur.

Paul & Virginie de Victor Massé : Massé n'est pas seulement l'immortel auteur des légers Les Noces de Jeannette ou Galathée, il a aussi donné dans le grand genre, et cet opéra est d'une richesse assez incroyable. Il comporte en ouvre de très grands morceaux de bravoure (un grand solo d'un quart d'heure pour le ténor, la lecture de la lettre de Virginie par Paul et son apparition fantomatique…), au service d'un roman qu'on ne considère plus guère et qui retrouve réadapté sans niaiserie, comme son modèle, au goût du second XIXe siècle. C'était en outre dans une distribution à crever de bonheur, que des très très grands : Sahy Ratianarinaivo (vous le retrouverez la saison prochaine dans plusieurs premiers rôles en France), Halidou Nombre, Tosca Rousseau, Qiaochu Li, L'Oiseleur des Longchamps (quel récitant hors de pair !), Guillemette Laurens…
Il faudrait vraiment d'une maison pourvue de moyens reprenne cela avec ou sans orchestre, et la même équipe.

Tarare de Salieri : je vous épargne pourquoi. Unique livret de Beaumarchais, une œuvre virevoltante et piquante, dans le langage français de l'époque mais plus riche, et écrit dans une continuité déjà wagnérienne… un hapax incroyablement jubilatoire, et par la meilleure équipe possible.

Léonore de Gaveaux : la source de Fidelio, dont beaucoup de l'esprit musical a été repris (et totalement transcendé) dans la partition de Beethoven. Un ravissement de fraîcheur, et non sans ambition, par de jeunes artistes de très, très haute volée (chefs de chant de la classe d'Erika Guiomar, et très grands chanteurs Ricart, Pouderoux, Poguet, Athanase…).

Le Roi Pausole d'Honegger : un des rares livrets loufoques réellement drôles. Récital d'examen (direction de chant) de Cécile Sagnier plein de vie.

Tristan und Isolde : un petit condensé Récital d'examen (direction de chant) de KIM Yedam. Avec Marion Gomar et Léo Vermot-Desroches, un duo d'amour incroyable, sur le tapis mouvement d'un orchestre enfermé dans un piano. Très, très grande lecture.

Tarass Boulba de Lysenko : le grand compositeur national ukrainien, contemporain de Tchaïkovski (et revenu à l'honneur dans l'Ouest du pays dernièrement, tandis qu'on joue La Fiancée du Tsar dans les opéras du Donbass – je n'invente rien !). De la musique très tranquillement consonante, dont les mélodies sont teintées de folklore. Passionnant de pouvoir le découvrir enfin en salle, dans de très bonnes conditions. Récital d'examen (direction de chant) d'Olga Dubynska.

Et beaucoup d'autres très grands moments : Idylle sur la Paix de LULLY (dans le style d'Armide), Arabella par l'Opéra de Munich, Salome (version piano condensée Théodore Lambert), Euridice de Peri (le premier opéra conservé, et dans une version expérimentale de recitar cantando), Candide de Bernstein (Rivenq en récitant dans un si bel anglais !)…

Par ailleurs, plaisir de découvrir Le Roi Pinard Ier de Déodat de Séverac (réputé perdu), l'étrange comédie tonale un peu sinueuse de Pierre Wissmer (Léonidas ou la torture mentale), Maître Péronilla d'Offenbach, d'être enfin convaincu par Isouard (Cendrillon par la Compagnie de L'Oiseleur), d'entendre enfin Issé de Destouches (même si déçu par la partition et l'interprétation). Et bien sûr, on ne se plaindra jamais de retrouver des doudous comme Serse (par Il Pomo d'oro en feu), Nabucco (Rustioni à fond et distribution folle), La Damnation (Antonacci, Vidal, Courjal, Roth !), Siegfried (avec Stikhina au sommet) et Götterdämmerung (Sergeyeva…) par le Mariinsky…


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… la suite un peu plus tard avec les remises de prix symphoniques, chambristes, d'oratorio, de mélolied… et les distinctions concernant les artistes (autant cajoler aussi les vivants).




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e) Musique symphonique

Sibelius 2 par l'orchestre Ut Cinquième, direction William Le Sage. Dans une église insupportablement glaciale (10°C, pas plus), la plus grande interprétation que j'aie entendue de cette symphonies. Bien qu'ensemble amateur, on est saisi par l'aisance et l'aplomb incroyable de cette formation, le plaisir évident de jouer aussi. William Le Sage (alors encore étudiant en direction au CNSM, il vient d'obtenir son prix il y a deux semaines !) parvient avec eux à sculpter la structure élusive des symphonies sibéliennes : l'impression de comprendre, comme jamais, les transmutations de la matière thématique, et avec quel relief et quelle gourmandise. Une expérience d'orchestre où les musiciens vous donnent l'impression de connaître si bien la composition que vous auriez pu l'écrire, un de ces voyages qui peuvent marquer une vie de mélomane.

Star Wars IV,V,VI,VII par l'ONDIF : musique géniale, du niveau des grands Wagner (en tout cas les IV & V), une forêt de leitmotive incroyables, habituellement couverts par les dialogues et bruitages, qui peuvent enfin, en condition de concert, s'épanouir (on entend mal sur les disques, qui ne sont d'ailleurs pas complets, et qui souffrent de manquer de l'ancrage de l'image évidemment, comme du Wagner écouté en fond…). A fortiori avec l'investissement toujours exceptionnel de l'ONDIF, qui n'a d'ailleurs rien mis à côté dans ces courses très intenses (où il faut absolument tenir le tempo) et malgré des traits d'orchestre absolument redoutables (et très exposés). Incroyablement jubilatoire en termes de musique pure, même indépendamment de l'intérêt des films.

Mendelssohn 3 par l'OCP et Boyd : À la fois charnue et acérée, la lecture la plus complète que je n'aurais pu rêver de cette symphonie… je découvre au moment de son départ que, tout en sobriété et finesse, Boyd est un très grand chef. Et l'engagement de l'OCP, comme d'habitude, combiné à leur hallucinant niveau individuel, a battu à plates coutures toutes mes références discographiques (Vienne-Dohnányi, HerasCasado-FreiburgerBO, Fey-Heidelberg…), émotionsubmergeante.

Bruckner 6 par l'OPRF et Chung (que j'entendais diriger pour la première fois, étrangement !). Je tenais la symphonie pour la plus faible de Bruckner – la seule que je n'aime pas vraiment, avec la 8 –, et j'ai au contraire été absolument passionné de bout en bout par cette lecture peut-être facialement traditionnelle, mais qui empoigne le matériau avec une telle intensité, une telle qualité d'articulation, que tout paraît, pour une musique aussi formelle et abstraite, incroyablement présent.

Polaris de Thomas Adès (Orchestre de Paris, Harding), pièce contemporaine au sujet astral, qui exploite l'espace d'une salle de concert de la façon la plus persuasive et agréable. Ce ne doit pas être très opérant au disque, mais c'est un ravissement en contexte.

Chostakovitch 5 par Toulouse et Sokhiev : Après avoir vénéré Chostakovitch et puis (très rare cas en ce qui me concerne) avoir réévalué mon intérêt sensiblement à la baisse ; après une mauvaise expérience en salle de cette symphonie (OPRF / Kuokman, vraiment pas un bon soir), l'une des rares que j'aime vraiment chez lui (avec la 10)… une révélation. Lecture ronde mais dense et intense, portée par l'engagement toujours sans faille de l'orchestre. La lumière douce et aveuglante à la fois du Largo m'a terrassé.

Quelques autres grandes expériences, comme le Beethoven (1,2,4) totalement ravivé et jubilatoire du Concert des Nations, ou Mendelssohn 4 & Schumann 2 par Leipzig (quel orchestre somptueux, charpenté à l'allemande mais d'une rare chaleur).

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f) Musique de chambre

Le Cuarteto Quiroga, mon chouchou de tous les quatuors en activité, dans un incroyable programme Turina (Oración del Torero), Ginastera 1, Helffter (Ocho Tientos), Chostakovitch 8 !  La fine acidité fruité du son, le feu, la lisibilité sont poussés à des degrés inégalés dans des pièces dont la rareté n'a d'égale que la richesse (les modulations de Turina, les danses folles de Ginastera…).

Quintette piano-cordes de Jean Cras (Sine Nomine, Ferey). Farci de folklore breton et de chants de marins, mais d'une sophistication digne de son goût postdebussyste, une œuvre considérable, rarissime au concert (il s'agissait de célébrer la parution d'un second enregistrement de ce quintette).

Trios piano-cordes de Mmes Mendelssohn-Hensel, Wieck-Schumannk, Reverdy et K.M. Murphy par le Trio Sōra (là aussi, dans le tout petit groupe des meilleurs trios du monde, avec avec les Zadig, les Grieg et les ATOS…). Œuvres de grand intérêt, de véritables bijoux structurés avec sérieux et mélodiques avec générosité, servies avec l'évidence de ces artistes de haute volée (qui font sonner, sans exagérer, Kagel comme s'il était aussi accessible et génial que Mozart).

Réentendre, à deux ans d'intervalle (!) l'immense Quintette piano-cordes de Koechlin, cette fois par Léo Marillier et ses spectaculaires amis. Un des sommets de toute la musique de chambre.

Mouvements tirés de Haydn 72-2, Schubert 14, Grieg, Fauré, et deux quatuors de Brahms (3, par les Voce) Leilei (figuralismes d'arbre) par les étudiants du Quatuor Voce dans le 93 (CRR Aubervilliers, CRD Courneuve, CRM Fontaine-sous-Bois…). Niveau quasiment professionnel, même pour les quatuors issus de conservatoires municipaux, une homogénéité de son, une aisance, et même une réelle maturité musicale… Les présents (très peu nombreux dans la Mairie du IVe) furent très impressionnés. Un vrai moment intime et très intense de musique de chambre.

Sonates anglaises violon-clavecin (rien que des opus 1 !) du premier XVIIIe, d'Eccles, Stanley, Shield, Gibbs, Festing… par Martin Davids & Davitt Moroney. Outre les talents exceptionnels de conteur (et en français !) de Moroney, très surpris par l'intérêt de ce répertoire (étant peu friand de musique de chambre baroque, en général surtout décorative), et découverte de Martin Davids, un violoniste qui joue avec la même facilité que s'il traçait négligemment un trait de crayon dans le spectre sonore…

Pièces avec flûte, notamment de Rolande Falcinelli. Découverte de la compositrice, encore une figure, comme Henriette Puig-Roget par exemple, qui représente avec beaucoup de valeur la succession de la grande tradition française du début du XXe, et que le disque, les concerts ont totalement occultée.

Et quantité d'autres grandes aventures… les Quatuors de Gasmann et Pleyel sur instruments d'époque (Quatuor Pleyel), l'arrangement de la Symphonie 104 de Haydn pour Quintette flûte-cordes, un après-midi consacré à Louis Aubert par Stéphanie Moraly, la Première Symphonie de Mendelssohn pour violon, violoncelle (Quatuor Akilone) et piano quatre mains, le même Turina pour quatre guitares, l'intégrale des Trios de Brahms par Capuçon-Moreau-Angelich, le beau quatuor de Jean-Paul Dessy (Quatuor Tana), du clavecin à quatre mains (avec même au menu Saint-Saëns et Dvořák !)… bombance !

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g) Musique solo

Franck, Saint-Saëns, Samuel Rousseau, Tournemire, Demessieux à la Madeleine par Matthew Searles. Quel programme de raretés !  Et exécutées avec une grande générosité, malgré l'instrument et l'acoustique vraiment difficiles. Les improvisations transcrites de Tournemire vous foudroient par l'ampleur des possibles qui s'ouvraient instantément sous les doigts de l'auteur des Préludes-Poèmes (on est plutôt dans cet esprit très complet, virtuose et nourrissant que dans les contemplations poétiques grégoriennes de l'Orgue Mystique).
Pas vu beaucoup de récitals d'orgue de cet intérêt et aussi bien soutenus !

Boyvin, Marchand & Bach sur le tout jeune orgue de Saint-Gilles d'Étampes (2018 !). Les deux Français splendides… en particulier Boyvin, lyrisme d'opéra si prégnant transposé (mais sans creux, répétitions ni longueurs, contrairement aux transcriptions d'opéras réels) dans le langage organistique. Si peu documenté au disque, et si persuasif.

Bach, Intégrale des Sonates & Partitas pour violon, Isabelle Faust. Comme le disque en témoigne, l'équilibre absolu entre les traditions, ni épaisseur du trait ni acidité du timbre, le meilleur de tous les mondes à la fois, tout en sobriété.

Beethoven, Sonates 6-14-16-31 par Daniel Barenboim. Autant j'ai de très grandes réserves sur le chef, autant le pianiste m'intéresse toujours. On pourrait trouver des petits jeunes encore plus fiables, mais il demeure bien préparé et très bien articulé comme toujours. Si ce concert m'a marqué (et davantage que celui avec les 7,13,21), c'est que j'ai redécouvert à l'occasion les sonates 6 et 16, de formidables bijoux d'invention qui ne m'avaient jamais autant frappé au disque.

Moi qui n'avais vu qu'un seul récital de piano solo en dix ans de concerts parisiens (et encore, un concert uniquement constitué de transcriptions d'opéras, d'oratorios et de symphonies par les élèves en direction de chant d'Erika Guiomar !), je les ai multipliés cette saison, avec la confirmation de l'évidence que les plus célèbres, même les artistes sérieux décantés par la carrière, ne sont pas nécessairement les plus intéressants.
Barenboim a tenu son rang, mais Pollini dépassé par des programmes que son âge ne lui permettent plus d'assumer, ou Zimerman excellent (mais pas virtuose ou singulier au point d'accéder aux demandes invraisemblables qu'il adresse à la Philharmonie pour accepter de venir) n'ont pas été mes plus grands moments d'éblouissement. Très agréable néanmoins, et belle expérience d'entendre tout ce monde en vrai, de se faire une représentation de la réalité de leur son (pareil pour Martha Argerich, que j'entendais pour la seconde fois – elle ne m'a pas déçu, absolument splendide et habitée dans le Concerto de Schumann, en revanche sa supériorité absolue me paraît une vue de l'esprit).

vendredi 7 juin 2019

Nouveautés du vendredi


Très grosse brassée de nouveautés ce vendredi. Le fichier des nouveautés 2019 a été mis à jour. (En gras, les recommandations, en italique, ce qui me paraît dispensable. Les deux, lorsque l'œuvre vaut le détour, mais qu'on trouve interprétations sensiblement plus abouties dans la discographie préexistante.)

Bien sûr, il y a Tarare, le seul livret écrit par Beaumarchais, le meilleur opéra de Salieri, le meilleur opéra français du second XVIIIe, une des œuvres les plus étranges et hapaxiques de l'histoire du genre, toute de jubilations imprévues. Le disque de la décennie, avec Das Schloß Dürande, rapidement présenté ici, et qui devrait aussi recevoir sa notule ou sa série de notules dans les semaines à venir.

Mais c'est une avalanche de plusieurs dizaines de disques très attirants qui déboule aujourd'hui :
¶ anthologie De Lymburgia (XVe),
¶ luth de Marco Dall'Aquila (XVIe),
¶ musique sacrée composée pour Leufsta Bruk (en suédois, et avec l'un des plus beaux orgues du monde, un Cahman aux fonds merveilleux),
¶ œuvres pour flûte et cordes de Telemann par Reyne,
¶ un oratorio-passion de Graupner, une messe de Telemann, des cantates de Telemann, Graun ou Bach, chez CPO,
¶ duos rares (Galuppi, Wagenseil, Lampugnani, Porpora, Traetta) par Genaux & Zazzo,
¶ Adam & Ève (oratorio serio en italien de Mysliveček),
¶ album autour de la harpe à l'époque de Haydn,
¶ concerto pour piano (sur pianoforte) et symphonie en ut de Rösler,
¶ Le Manoir hanté de Moniuszko dans une nouvelle version chez DUX (dont tous les disques sont merveilleux, quel que soit le répertoire),
¶ pièces pour violoncelle de Robert Kahn (par Thedéen !),
¶ concerto pour violoncelle et messe de Howells (grand mélodiste britannique, peu exploité comme symphoniste),
¶ Symphonie n°3 (« Bateau ») de Holbrooke,
¶ les symphonies de Hanson par Hanson
¶ des arrangements d'Arensky, Prokofiev (Visions fugitives) et Scriabine (Préludes) par Oramo la Chambre ostrobothnienne,
¶ album de quatuors composés par des compositeurs (obscurs !) de Leningrad par le meilleur spécialiste (Quatuor Taneyev),
¶ un album de piano largement constitué de soviétiques tardifs (Schnittke, Chtchédrine, Kancheli… et du Rihm, par Gourari),
¶ un nouvel album de musique sacrée de MacMillan (musique d'aujourd'hui, mais aux fondements tonals très accessibles),
¶ de bizarres originaux et arrangements de Martynov (Bach notamment) pour violon par Mari Samuelsen,
¶ un disque de pièces de Gurdjieff avec Günter Herbig à la guitare électrique (le kapellmeister supersérieux, le même ?),
¶ un récital de piano tout-Skalkottas, par Ramou…

Ainsi que quelques versions nouvelles qui semblent attirantes :
¶ les Goldberg version trio par le Trio Zimmermann,
¶ divertimenti de Mozart et arrangements de tuibes par la Camerata Alma Viva,
¶ Schubert 3 et Schumann 1 par la Radio bavaroise et Jansons (ça ne me tente pas du tout, mais ça en intéressant sans doute parmi vous),
¶ Siegfried par le Hallé Orchestra & Elder (bonne distribution et surtout prise de son démente, d'une ampleur et d'une clarté incroyables),
¶ quatuors piano-cordes de Mozart, Brahms, Mahler, avec Lise Berthaud et les sœurs Skride,
¶ Mahler 9 par Blomstedt & Bamberg,
¶ les Nocturnes de Debussy par Singapour,
¶ Le Prince de Bois de Bartók par Mälkki & Helsinki,
¶ arrangements pour marimba et clarinette (Stoltzmann).

Reste à écouter tout ça, ajouté aux brassées des autres jours, et à tous ceux que je n'ai pas voulu relever ou pas vu passer…

Ma sélection ? Outre TARARE, outre ce que je vais écouter pour m'amuser (Herbig !) et ceux que je ne connais pas et auront donc la priorité (Rösler, Kahn, Skalkottas), je crois que Leufsta Bruk, Howells, Oramo et par-dessus tout les quatuors de Leningrad promettent beaucoup. Vous retrouverez les échos de ceux que j'aurai le temps de commenter par là.

A caccia, a caccia !

vendredi 4 janvier 2019

Star Wars à l'épreuve du concert / La grande table des leitmotive de John Williams


Les fidèles de longue date de CSS connaissent l'intérêt porté ici à la musique de Star Wars.

Je profite donc du cycle de ciné-concerts consacrés au cycle (épisodes IV à VII), joués à la Philharmonie de Paris par l'ONDIF, l'orchestre permanent le plus passionné que je connaisse, toujours à fond et sourire aux lèvres, quel que soit le répertoire, et quel que soit le prestige de la salle (beaucoup de dates dans les villes moyennes d'Île-de-France). Je trouve ça d'autant plus admirable que, contrairement aux orchestres les plus prestigieux, ils n'ont pas d'enjeu de presse : les publics de Saint-Quentin, Créteil ou Montereau n'ont pas sur place une offre alternative en matière d'orchestre, et ces soirées ne sont pas couvertes par la presse, si bien qu'il pourraient jouer à l'économie sans en être réprimandés. Et pourtant, personne ne joue avec le même zèle, j'en suis à chaque fois surpris.

Cette fois-ci, c'est donc l'occasion d'entendre, enfin, la musique intégrale de ces bijoux, pas juste des segments juxtaposés en Suite : souvent, ces parties sous les dialogues ou les batailles sont à peine audibles. Et donc, si l'on perçoit distinctement ce que John Williams emprunte à Richard Strauss, Holst ou Stravinski, on n'entend en revanche pas tout le détail du traitement wagnérien de ses véritables leitmotive, ni précisément ce qui se passe dans les atmosphères davantage Bartók et Prokofiev des batailles interstellaires.



Pourquoi cette notule ?  Le musicologue Frank Lehman, de la Tufts University (Massachussetts), a réalisé et mis à disposition une grille contenant tous les leitmotive qu'il a pu trouver, la mettant à jour à chaque nouvel épisode : voici donc son remarquable travail incluant jusqu'à l'épisode VIII (de nouveaux motifs arrivent, d'anciens se renouvellent). [Si jamais le lien officiel que j'ai donné venait à ne plus fonctionner, en voici le double hébergé sur mon serveur.)

Je ne reviens pas de ne jamais en avoir entendu parler, Google me l'a révélé alors que je voulais réviser certains motifs moins évidents (les robots par exemple), je partage donc l'information. D'autant que ce PDF a le double avantage de présenter la partition pour la précision du propos (comme dans les tables de leitmotive wagnériens) et d'insérer des liens vers les instants exacts concernés, sur YouTube, un exemple par épisode concerné !  Ce qui le rend accessible à tous.

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Not so proud now, sith-chancellor Palpatine, Macehaher is here !

Rien qu'en les survolant, on peut aussi apercevoir les parentés (Williams crée une atmosphère absolument singulière, qu'il ne réutilise dans aucun de ses films, mais c'est à base de langages préexistants, il n'invente rien et emprunte beaucoup), parfois frappantes, des motifs avec les grandes figures du passé.

Ils ont en commun d'être très simples, aisément superposables, renversables, transformables, souvent un peu parents ou fusionnables, ce qui ouvre la voie à énormément de possibles, comme les motifs écrits par Wagner dans L'Or du Rhin et La Walkyrie :

╩ les motifs de Luke et de la Force, aisément superposables, doivent beaucoup à celui de Siegfried ;
╩ celui des soldats de l'Empire, sur cet ostinato trépidant, doit tout, évidemment à Mars de Holst ;
╩ le motif de l'apparition des vaisseaux et stations astrales impériales proposent un effet de sidération à la façon du début d'Elektra (l'harmonie aussi est assez proko-straussienne) ;
╩ les fusées élusives de Jabba sont typiquement straussiennes (on en trouve des tas aussi bien dans les poèmes symphoniques que dans des opéras aussi opposés qu'Hélène l'Égyptienne et Arabella…), dans une logique du motif bavard que Wagner inaugure dans le Crépuscule des Dieux ;
╩ le glissement grave des tierces de Palpatine est sans doute inspiré des lents portamenti (surlié, port-de-voix) de Fafner ;
╩ la marche des Ewoks doit bien davantage aux surprises de Prokofiev (la marche dégingandée de L'Amour des Trois Oranges, bien sûr)…

Mais ce manuel précis doit permettre de tisser, rien qu'à la lecture, bien d'autres liens, entre l'image, le texte et la musique, entre les motifs eux-mêmes, entre les épisodes… J'ai hâte de me plonger ainsi plus aisément dans la musique des épisodes plus récents.



Depuis 2011 se sont empilées quelques autres notules autour de la musique des Star Wars :

☼ des compositions dérivées des originaux pour deux pianos (de la vraie grande musique) par le duo Anderson & Roe, les meilleurs spécialistes de l'Univers pour les compositions-arrangements ;
☼ des pot-pourris pour piano (et en costumes) diversement virtuoses et complets (suites étendues, mise en scène des personnages, grande pièce de concert néo-lisztienne, etc.) ;
les meilleures versions des Suites symphoniques (dans leurs versions très étendues, incluant les nouveaux thèmes) ;
☼ des rêveries autour du potentiel à l'opéra d'un tel sujet, du renouvellement possible du genre vers une direction sensiblement différente de l'opéra-d'artiste (où l'on raconte dans un langage sonore difficile la vie sans intérêt d'un poète, compositeur ou peintre) ;
☼ des recommandations vers des arrangements irrésistibles, comme cet arrangement choral de Moosebutter qui a fait les beaux jours des bis des chœurs universitaires américains, impossible d'y résister ;
☼ et bien sûr des rapprochements inopinés inspirés de Pelléas – comment y échapper ?

Pour information, les BOs qui n'existent pas sous leur forme intégrale dans le commerce (comme celles des épisodes I-II-III) existent sur Internet en cherchant un peu, agencées et mises à disposition par des fans.

Bons concerts aux franciliens, bons revisionnages / réécoutes aux autres !

dimanche 2 décembre 2018

Indécent décembre


Encore une fois, sélection personnelle dont le ressort est souvent la rareté ou la bizarrerie. Pour une sélection plus transversale et moins triée, l'Offi et Cadences sont assez complets (tout en ratant certaines de mes propositions, considérant les recoins où je râcle des pépites et ma veille généralisée des clubs interlopes). Et bien sûr France Orgue pour les concerts de pouêt-pouêts à tuyaux, ce n'est pas exhaustif, mais de très loin ce qu'on trouve de plus complet !



1. Rétroviseur & remise de prix

Faute de temps, repoussé à une prochaine notule qui les rassemblera dès que possible, peut-être simultanément avec les concerts de décembre. La publication de cette notule ayant pris une semaine de retard par rapport aux prévisions, voici venu le temps des ris, des chants, de la… :



2. Sélection officielle

Cette fois, j'ai tout mis, plus commode pour vous je suppose, sur un PDF avec des pastilles de couleur.

En violet : immanquable.
En bleu : très rare et/ou prévisiblement exaltant.
En vert : tentant (distribution ou rareté).

Et comme je n'ai relevé que ce qui m'intéressait personnellement (et pas tout ce qui m'intéressait, d'ailleurs), le reste aussi est conseillé / conseillable. Comme d'habitude : issu de mon agenda personnel, n'hésitez pas à demander le
sens des abréviations ou les programmes complets.

http://operacritiques.free.fr/css/images/2018_decembre.pdf


26 (novembre)
Bacilly : second XVIIe, auteur d'un traité de chant. Le seul auteur dont nous soient parvenues, je crois, les diminutions écrites pour les reprises des airs. Et elles sont très abondantes et rapides, à un point qu'on n'imagine pas – il faut se figurer Bartoli qui aurait un peu trop forcé sur le Romanée Conti. Une notule lui avait été consacrée à l'occasion d'un précédent concert, en 2010 (un disque a paru depuis).


28 (novembre)
Tarare. Multiples notules, donc celle de mercredi. N'y revenons pas, mais allez-y.

29 (novembre)
Bernstein, Songfest. Recueil de mélodies orchestrales assez lyriques (un brin sirupeuses sans doute, très sympathiques). Couplage avec le Concerto pour violon n°1 de Martinů (pas aussi fondamental que son Premier Concerto pour violoncelle dans ses deux états, mais toujours du bel orchestre à entendre) et un peu de Barber.
Lotti, Giove in Argo. Mieux connu (si l'on peut dire) pour sa musique sacrée (un Requiem en majeur…), plus archaïsante et sophistiquée, c'est ici un opéra seria tendance pastorale. Cela ressemble à du Haendel pastoral ( donc pas le plus grand Haendel). Mais dirigé par García-Alarcón avec les chanteurs du CNSM, ce peut être très bien dans le cadre original du Grand-Palais. C'est gratuit mais ce doit être complet. (Sinon il vous reste la possibilité de solliciter mon intercession. Mandats cash international acceptés,  offres en nature envisageables.)

30 (novembre)
Les Leçons de Couperin par Lombard, Champion et Correas. Très rarement donné pour ténors, et par quels ténors, deux spécialistes, dont Jean-François Lombard, qui n'a pas d'égal dans la musique sacrée française – un vrai ténor, mais qui monte avec souplesse dans des registres habituellement tenus par des contre-ténors (comme s'il bâtissait sa voix pleine à partir du mécanisme léger et non l'inverse).
Déjà entendus dans un programme similaire (avec Poulenard à la place de Champion). C'est un peu loin, mais c'est l'occasion de visiter l'une des extraordinaires églises d'Étampes (même c'est c'est en priorité Notre-Dame et Saint-Basile qu'il faut voir, et qu'aucune église n'est ouverte à la visite le même jour !!).

1er
Musique baroque mexicaine : beaucoup de compositeurs espagnols, tels qu'ils ont pu être joués pour les festivités de l'inauguration de la cathédrale de Mexico en 1667.
→ Inspiré de la pièce d'origine, une version pour un seul acteur du Procès de Monsieur Banquet, dans le château d'Écouen. Gratuit sur réservation (ce doit être complet à présent, j'aurais dû prévenir le mois précédent).
→ Un peu cher pour une œuvre pas si rare (45€ en dernière catégorie, où l'on voit cependant fort bien), mais Pygmalion de Rameau est une merveille absolue, l'Atelier de Toronto de très bonne tenue, le metteur en scène Pynkoski fait de très belles choses avec peu de moyens. Si vous ne connaissez pas, ça se tente.

2
Symphonie n°1 de Zeegant « Chemin des Dames », également une Messe co-écrite avec Karol Kurpiński (dont on donne aussi un poème symphonique « varsovien »), diverses œuvres polonaises et françaises des XIXe & XXe très rares. Pas de la musique très saillante en revanche, de jolies choses très traditionnelles, malgré les sous-titres. Dans l'acoustique infâme de la cathédrale des Invalides, pas persuadé du caractère indispensable de l'expérience.
Marin Marais au théorbe seul. Buraglia a des difficultés de projection, mais c'est un fin musicien, et il n'y aura aucun enjeu de ce genre dans cette petite cave. Réservation indispensable en revanche, microscopique jauge (une trentaine de personnes musiciens compris).

4
Hofstetter fait des miracles hors des répertoires habituels de ce spécialiste du baroque : ses Verdi sont passionnants (très peu de rubato, droit au but, très fins), je suis très curieux de ses Haydn, en plus une symphonie peu donnée.

5
Bernstein & Copland. Très original, avec en particulier la Missa brevis de l'un, le Lincoln Portrait de l'autre (avec Lambert Wilson, qui excelle dans ces exercices de récitant, contrairement à la plupart des autres vedettes qui s'y frottent). Radio-France n'a vraiment pas proposé grand'chose d'original cette saison, mais pour Bernstein, les choses ont été faites très sérieusement.

6
Antigone en ukrainien & russe. Je me méfie assez du théâtre à l'Athénée, où je n'ai jamais eu de bonnes expériences (en général assez statique et expérimental), mais il y a là une réelle motivation à réentendre cette intrigue rebattue sous des apprêts sonores nouveaux !

7
Symphonie n°1 de Méhul par Insula Orchestra & l'Akademie für alte Musik Berlin, sans chef. (Couplé avec la Cinquième de Beethoven). Méhul est souvent désigné comme le Beethoven français, non sans fondement, même si le langage de ses symphonies demeure à la fois plus français (mélodies galantes, ruptures d'une logique plus dramatique que musicale) et plus typé classique. Rarissime en concert, des œuvres assez abouties et qui seront indubitablement très bien servies !
Extraits du Grand Macabre. Pas forcément avenant, discutable san sdoute, mais incontestablement original et déstabilisant.

12
Mélodies finlandaises (Kuula, O. Merikanto, Melartin, Sibelius !), par Galitzine et Dubé (excellents musiciens). Programme rodé depuis plus de six mois, troisième ou quatrième fois qu'il est donné dans cette salle au fil des mois.

13
Rilke-Lieder de Clemens Krauss, le chef d'orchestre créateur d'opéras de Richard Strauss, co-auteur du livret de Capriccio… Il écrivait donc aussi des lieder orchestraux. Certes, reste de programme plus traditionnel, et Petra Lang n'incarne pas forcément la grâce la plus absolue qu'on peut espérer dans ce type de page, mais comme j'ignorais même que cela existât jusqu'à la publication du programme, je me garderai bien de bouder (et j'irai !).
13 & 15
→ Programme de noëls espagnols (Guastavino, etc.) qui n'attire peut-être pas l'attention, mais par le Chœur Calligrammes, putto d'incarnat du meilleur concert deux saisons de suite (!), il faut faire confiance au goût musical très sûr des chefs pour le choix des pièces, ainsi qu'à la qualité de la réalisation des choristes.
13 au 16
Pratthana, spectacle de Toshiki Okada (auteur-metteur en scène de Five Days in March), en thaïlandais. Évocation de l'histoire de la Thaïlande au XXe siècle à travers des scènes sensuelles entre couples devisant. Assez intriguant, mais après avoir trouvé Five Days assez décevant sur l'arrière-plan censé transcender les détails du quotidien (certes, ça parlait de la guerre en Irak, mais juste parce qu'ils traversaient une manifestation pour aller jusqu'au train, sans s'y mêler). Par ailleurs, je trouve que le thaïlandais n'a pas l'empire immédiatement physique du japonais sur des corps d'acteurs, et les extraits disponibles laissent percevoir que ce n'est pas très impérieusement déclamé non plus. Pas sûr que ce soit bien, donc, mais avouer que c'est terriblement tentant.

14
Quintettes de Koechlin et de Caplet aux Invalides… mais à 12h15, donc réservé à ceux qui travaillent à proximité et ont des horaires flexibles, ou aux retraités, ou aux étudiants qui sèchent. Je me demande aussi si le programme copieux annoncé sous-entend l'exécution d'une partie seulement du Quintette du grand Charles.
Le Nozze di Figaro à Massy, par une équipe de jeunes chanteurs de qualité. Rien d'immanquable (pas de chouchous absolus hors Matthieu Lecroart, mais en Bartolo seulement), mais un beau spectacle en perspective. Il y a trois dates. Je n'ai pas vérifié, mais il me semble qu'il s'agit de la production de Saint-Céré, où les récitatifs sont remplacés par des dialogues issus de la pièce de Beaumarchais.
14 & 15
→ Sibelius 2 et Nuit sur le Mont Chauve par l'excellent orchestre Ut Cinquième.
14,15,16
→ « Carnaval baroque » à Versailles, par le duo de géniaux metteurs en scène Cécile Roussat et Julien Lubeck. Pot-pourri de musiques du XVIIe (italiennes surtout, je crois – au moment où cette notule a été préparée, il y a plus d'une semaine, je ne disposais pas d'informations précises sur le programme) par le Poème Harmonique.

15
Quatuor n°1 de Jadin (je n'ai pas noté lequel des deux, mais du classicisme sophistiqué, plutôt hardin, mérite le détour). L'Orchestre de Chambre de Paris est l'un des rares orchestres permanents (probablement le seul en France, en tout cas) à avoir une réelle culture de la musique de chambre, et à tenir son rang dans l'exercice extraordinairement exigeant du quatuor à cordes, très différent de la culture d'orchestre (j'ai toujours été très déçu, comparé à des formations considérées moyennes de quatuor, par le résultat vraiment global des quatuors issus d'orchestres, que ce soit l'Opéra, le National de France, l'Orchestre de Paris…).

16 à 27
Hamlet de Thomas. Chef-d'œuvre qui réussit la conversation d'un matériau spécifique (le drame emblématique de Shakespeare) en un opéra à la française très cohérent et réussi. Il existe une série autour de l'œuvre sur CSS, réunie dans ce chapitre. Distribution au cordeau, comme toujours à l'Opéra-Comique.

19
Cendrillon d'Isouard, suite de la série des contes lyriques explorés par la Compagnie de l'Oiseleur (Le petit Chaperon rouge de Boïeldieu, La Colombe de Bouddha de R. Hahn, Brocéliande de Bloch, La Belle au bois dormant de Lioncourt). Des découvertes fulgurantes (André Bloch !) et à chaque fois des surprises devant des œuvres qui changent notre perception de ce qui était réellement joué à une époque, et qui se limitent, même en sollicitant abondamment le disque, à quelques titres épars, pas forcément représentatifs – car on garde, évidemment, ceux qui sont parmi les meilleurs et/ou ont une certaine personnalité. En exhumant d'autres bijoux qui, pour diverses raisons (conditions de création défavorables, évolution du goût…) n'ont pas pu se maintenir à l'affiche jusqu'à nous, la Compagnie de L'Oiseleur effectue un travail salutaire, d'intérêt public.
    [Ils sont par ailleurs à la recherche de partenariats avec des collectivités, prêts à explorer le répertoire propre à une ville, à une région, à un auteur, à une thématiques… Ils ne bénéficient d'aucune subvention, donc tout contact, tout donateur permettrait, vu les miracles qu'ils font sans aucun financement, outre de vivre un peu plus décemment de leur art, de décupler leur potentiel de défrichage. Denk' es, o Seele.]
    Ce que j'ai entendu d'Isouard, le grand compositeur emblématique de Malte, ne m'a jamais paru jusqu'ici excéder l'ordinaire de l'opéra comique tardif… Mais je n'ai pas lu cette partition, et ce ne serait pas la première fois que je serais surpris par les trouvailles de L'Oiseleur (témoin le récent Massé, un coup de tonnerre dont je parlerai très prochainement, dès que j'aurai pu en enregistrer quelques extraits).
    Distribution de voix amples et sonores, assez différentes des voix plus fines présentes dans les dernières productions ; pas mon esthétique, mais enfin, de grandes professionnelles (Marie Kalinine !) à qui l'ont peut faire confiance pour la maîtrise technique… et évidemment l'engagement, toute cette entreprise philantropique étant largement, pour les interprètes, à fonds perdus.
Programme de Noël baroque français avec l'ensemble de Reinoud van Mechelen. Ce qui est un peu rond et homogène pour moi à l'opéra ou dans les cantates peut bien fonctionner, surtout dans l'acoustique diffuse de la Chapelle Royale. (N'hésitez pas à regarder les tarifs, Versailles n'est pas hors de prix – 25€ en dernière catégorie, qui reste décente, ici, et il existe même moins cher pour d'autres concerts.)

20
→ Aliénor Feix, voix peu ample mais très adroite dans le lied, dans un programme original et grisant : Donizetti, Tchaïkovski, Cilea, Zemlinsky, Hahn, Schreker, Lili Boulanger, Séverac, au milieu de choses plus traditionnelles, Mozart, Schubert, Duparc, Fauré, Poulenc… Le midi.
→ Déambulation dans Orsay avec des micro-concerts des lauréats de la Fondation Royaumont… des valeurs extrêmement sûres.
Les Fâcheux de Molière avec musique de scène à la Sorbonne.
→ Un nouveau concert du duo Gens-Manoff. Très, très hautement recommandable pour le programme comme l'interprétation – c'est en revanche un peu cher pour du récital de mélodies. Enfin, pas cher si on a l'habitude des premières catégories dans les grandes salles, mais cher si on a l'habitude de prendre de l'entrée de gamme… 35€ tarif unique.
20 jusqu'à janvier
Opérettte Azor de Gabaroche. De l'opérette très légère, avec accompagnement façon mickeymousing, ce devrait être parfait pour les fêtes de fin d'année.

21,22,23
Marivaux, Le Triomphe de l'Amour mis en scène par Podalydès. La recommandation tient au fait que c'est Christophe Coin qui assure la musique, et que ses montages dans La mort de Tintagiles étaient l'une des choses musiques les plus bouleversantes que j'aie entendues… Évidemment, ici, il ne pourra pas se reposer sur la beauté du répertoire Bartók-Kurtág pour violon-violoncelle, mais on peut lui faire confiance pour laisser beaucoup de place à la musique, et de façon intelligente.

4-5 janvier
Star Wars IV & V en ciné-concert, c'est-à-dire l'intégralité de la musique jouée, par l'ONDIF en plus !  L'occasion de s'immerger complètement dans les inspirations prokovio-richardstraussiennes de John Williams, et d'entendre enfin tous ces détails masqués par le bruit des dialogues et bruitages, et pas reproduits sur disque (enfin, cela dépend des épisodes). J'aurais bien signé pour une version avec le film en muet, craignant que la sono ne concurrence un peu trop l'orchestre – moi je serais venu, même et plus encore sans la projection !  Mais en attendant une proposition conforme à mes souhaits, une grande symphonie sur les motifs de Star Wars, voire un opéra, ou simplement des portions musicales qui excèdent les tubes et les Suites d'orchestre existantes… je m'en satisferai très bien.

… et toutes les autres choses qui apparaissent sur l'agenda. Remplissez votre fin d'année, ainsi qu'on en fait sur l'Avon, comme il vous plaira. 

dimanche 18 novembre 2018

[Carnet d'écoutes n°122] – les hits de la rentrée : Marx, Diepenbrock, Schjelderup, Alpaerts, Ascanio, de Boeck, Popov…


Comme c'est désormais l'usage régulier et périodique, vous trouverez ici quelques impressions éparses, laissées en vrac, tirées d'expériences d'écoute depuis trois mois, et livrées sans apprêt. Simplement manière d'avoir trace de certains compositeurs dont je n'ai pas le temps de parler dans une notule à part, mais qui méritent peut-être votre attention… Évidemment, quand c'est pour confesser que j'ai écouté un opéra de Vivaldi ou une symphonie de Brahms, ça revêt un intérêt qui se limite au mieux au people, mais je n'ai pas ébarbé, j'ai mis pêle-mêle toutes les choses que j'ai pu trouver de vaguement rédigées.

À propos de la cotation :
Les binettes se lisent comme les tartelettes au citron ou les putti : elles ne concernent que les œuvres, pas les interprétations (en général choisies avec soin, et détaillées le cas échéant dans le commentaire). Ces souriards ne constituent en rien une note, et encore moins un jugement sur la qualité des œuvres : ils indiquent simplement, à titre purement informatif, le plaisir que j'ai pris à leur écoute. Je peux avoir modérément goûté l'écoute de chefs-d'œuvre et jubilé en découvrant des bluettes, rien de normatif là-dedans.
1 => agréable, réécoute non indispensable
2 => à réécouter de temps en temps
3 => à réécouter souvent
4 => œuvre de chevet
5 => satisfaction absolue
Un 2 est donc déjà une bien bonne note, il ne s'agit pas de le lire comme une « moyenne » atteinte ou non.

Pour cette livraison, vous trouverez en outre quelques sélections discographiques.

A. Suggestions discographiques

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Suite de la notule.

samedi 29 septembre 2018

Une saison japonaise en Île-de-France : octobre bouge


Encore une fois, sélection personnelle dont le ressort est souvent la rareté ou la bizarrerie. Pour une sélection plus transversale et moins triée, l'Offi et Cadences sont assez complets (tout en ratant certaines de mes propositions, considérant les recoins où je râcle des pépites et ma veille généralisée des clubs interlopes).

N'hésitez pas à réclamer plus ample information si les abréviations (tirées de mon planning personnel, destiné au maximum de compacité) ou les détails vous manquent.
(Même si j'y ai apporté un soin plus grand pour cette saison, les horaires indiqués le sont parfois par défaut par le logiciel, vérifiez toujours !)



1. Rétroviseur

Auparavant, les spectacles de septembre (il manque seulement celui de demain, que j'ai hésité à chroniquer au futur, mais il paraît que ça ne se fait pas).

Les ♥ mesurent mon émotion (depuis « ça va, c'est joli » jusqu'à l'extase), non la qualité des spectacles. Le Couperin était très bon, par exemple, mais je ne suis pas fanatique de ce versant de Couperin, j'entendais mal de là où j'étais placé, et Jarry jouait dans une esthétique assez distante de ce que j'aime) : je n'ai pas été passionné. Inversement, le trio a cappella Les Sortilèges n'était pas complètement au point, mais le choix des pièces et la fraîcheur de l'approche m'ont fait passer un excellent moment, indépendamment de sa valeur objectivable sur le marché de l'emploi lyrique. De même pour le programme Schumann dont l'exécution était un peu en pilote automatique, mais ces œuvres, même simplement bien jouées, sont si fortes… Pour Les Démons aussi c'est étrange : j'ai fini par me laisser totalement emporter, alors même que la production a accumulé les maladresses dans sa captatio benevolentiæ marrecistæ.
Quant à ♠ : j'ai pas du tout aimé.

► #1 Appalachian Spring de Copland : création française du ballet original de Martha Graham (+ Le Sacre du Printemps), à Garnier. ♥♥♥
► #2 Pièces médiévales et XXe pour trois voix a cappella, à l'Archipel. ♥♥♥
► #3 Bruckner 5 (et le Psaume 129 de Lili Boulanger) pour la rentrée de l'Orchestre de Paris, de son directeur musical Harding et de son chœur, à la Philharmonie. ♥♥♥♥
► #4 Airs politiques progressistes fin XVIIIe-début XIXe à Boston, par la Boston Camerata. ♥♥♥♥♥
► #5 Intégrale des motets de Couperin, volume n°3 (ensemble Marguerite Louise, à Saint-Gervais). ♥
► #6 Programme sudaméricain de l'Orchestre de jeunes Neojiba (et le Concerto de Schumann par Argerich), à la Philharmonie.  ♥♥♥♥
► #7 Les Démons d'après Dostoïevski, par Creuzevault aux Ateliers Berthier. ♥♥♥♥
► #8 Siegfried par le Mariinsky, à la Philharmonie. ♥♥♥♥
► #8 Der Götterdämmerung par le Mariisnky, à la Philharmonie. ♥♥♥♥
► #9 Liederkreise de Schumann Op.24 & 39, Quintette & Quatuor piano-cordes, avec Roman Trekel et Elena Bashkirova, à la Cité de la Musique. ♥♥♥♥♥
► #10 Le Procès d'après Kafka en polonais dans la vision de Krystian Lupa, à l'Odéon. ♠

Alerte, j'ai déjà plus d'échecs que dans toute la saison dernière !

Il faut dire que pour les adaptations théâtrales, on ne peut pas lire la partition ou écouter le disque, on se rend compte de ce que devient le texte uniquement une fois dans la salle. Et puis, au théâtre, si on n'est pas emporté, on ne peut pas se contenter d'écouter la musique, il faut vraiment endurer les silences et l'ennui.)

Et quelques déambulations illustrées de septembre :
Le Haut-Brun : villages , prairies, champs et bois de Seugy à Viarmes.

Ancien Hôpital Laennec.
Hôtel de Rothelin-Charolais.

† La chapelle Saint-Vincent-de-Paul et son reliquaire khmerisant.
Cathédrale arménienne.
Chapelle de l'Humanité, siège de l'église fondée par Auguste Comte.

Expo Cartes du Musée Guimet (pas-content)
Portraits de cour en pastel au XVIIIe siècle au Louvre.

Vous trouverez aussi quelques clichés épars et commentés sur cette page.



2. Conseils

Avec le théâtre exotique, l'offre est devenue particulièrement dense ce mois-là. Outre la capture en images, voici ce que j'ai remarqué.

Côté théâtre, se poursuivent Avidya (dont on m'a dit le plus grand bien : aphoristique, physique, à la fois tradi et singulier, magnifié et magnifiant la langue japonaise), Révélation (adaptation japonaise d'une pièce italienne, dans un univers mythologique), Les Démons (adapté de Dostoïevski – tous les stéréotypes du théâtre branchouille et intrusif y passent, mais ça fonctionne plutôt bien en définitive, réussissant à rendre la polyphonie particulière des narrations  « sales » de Dosto), Le Procès (d'après Kafka, en polonais – lourdement sexualisé et pourtant vraiment pas palpitant, à mon sens), L'heureux stratagème de Marivaux (dans un dispositif bifrontal au Vieux-Colombier). Arrivent aussi La Princesse Maleine de Maeterlinck (son chef d'œuvre de jeunesse, qu'on ne voit jamais sur scène), Un fils formidable (un jeune homme reclus dans son appartement voit des réfugiés débarquer chez lui – c'est en japonais) et Five Days in March à Pompidou, en japonais autour de la dernière guerre d'Irak.

Je ne reviens pas sur tout cela, et d'autant moins que je n'en ai vu que deux pour l'instant.

Côté musique, donc.

29 : Pièces pour violon solo de Bach et Biber, la violoniste s'accompagnant lorsque nécessaire au pédalier du grand orgue, pour tenir la basse continue !  Retransmis sur un écran pour le public.  Ce doit être assez sympa (même si ce pourrait être fait par un second musicien, pour plus de convivialité), et pour voir un peu ce qu'est un crincrin et un pédalier, deux gestes particulièrement peu intuitifs à combiner, surtout dans ces prestes pièces !
29… : Bérénice de Jarrell, opéra fondé sur Racine, commandé pour Garnier. Jarrell écrit très bien pour le théâtre  (Cassandre) et même pour l'opéra (témoin les ensembles et le lyrisme de Galileo). À voir ce qu'il en sera pour cette commande en français.

30 : Tragédies en musique (Armide, Médée, Callirhoé, Zoroastre) pour soprano (l'excellent spécialiste Eugénie Lefebvre) et deux clavecins !  Dispositif rare qui permet mille richesses !

2 : Airs rares et inédits de tragédie en musique. Hélas, c'est Katherine Watson qui officie – même si elle s'améliore doucettement, elle reste un peu translucide et molle pour rendre justice à cette musique où il faut du verbe et du relief. Sans quoi je m'y serais précipité toutes affaires cessantes.

3 : Un Rigoletto qui alarme un peu par ses rôles principaux (la pépiante Siurina, qui a dû s'élargir significativement je suppose, et surtout Keenlyside, qui depuis ses problèmes de santé ne peut plus guère chanter d'aigus – je l'avais entendu, grand artiste mais vraiment en difficulté dans un récital de lied il y a un an, alors Rigoletto ?), mais qui promet le meilleur pour tout l'entourage : le très franc Pirgu (peu phonogénique, mais très marquant en salle), la brûlante Kolosova, l'abyssal Trofimov (la grande basse profonde du Bolchoï, une voix incommensurable), l'épatant Orchestre du Luxembourg.

5 : Cantates françaises au Foyer de l'Âme. Le niveau instrumental de l'ensemble est moyen, mais Sophie Landy a un côté mûr-éloquent qui n'est pas sans évoquer Françoise Masset, et ce sont tous de valeureux spécialistes.

6 : Rarissime, un programme tout Stanford !  Certes, pas le meilleur Stanford (le Stabat Mater, les premières symphonies), la Septième Symphonie étant possiblement sa plus lisse (quoique fort mignonne !), mais son Concerto pour clarinette caressant est très réussi. Et on ne le joue jamais en France.
6 : Mélodies de Fauré, Debussy, Britten, Vellones, Sacre !  Avec le grand accompagnateur spécialiste Billy Eidi.
6 : Fidelio sur crincrins d'époque par le Kammerorchester Basel, un des meilleurs orchestres au monde pour jouer l'opéra seria. Avec Michael Spyres pour se jouer de Florestan. Tout cela rend très curieux.
6 : 20 ans de Jeunes Talents dans la Cour d'honneur de l'Hôtel de Soubise, avec La Mer en quatre mains, un Trio de Weinberg par les Sōra, la Petite Suite pour quatre mains… toute la soirée, et gratuit.
6 : Nuit du piano de Satie.
6 : Ensemble Les Passagères (musique baroque italienne, vocale et instrumentale).

8 : Alerte glottophilie !  Devos & Bou à l'Éléphant Paname (c'est cher).
8 : Ensemble de clarinettes aux Invalides.

12 : Classe de direction du CNSM, ouvertures d'opéras.
12 : Issé, tragédie-ballet de Destouches, à Pontoise. Grand succès d'alors, qui marque un regain d'intérêt éphémère de Louis XIV vieillissant et détourné de la musique. Une recréation indispensable.

13 : Issé, tragédie-ballet de Destouches, à Versailles.
13 : Le Jugement de Midas de Grétry par les jeunes spécialistes des CRR franciliens (et du PSPBB).
13 : Concert de tournée du CD d'Elsa Dreisig, incluant la scène finale de Salomé de Strauss en français, qu'elle réalise remarquablement. Le disque montre aussi Schønwandt et Montpellier à leur faîte, débauche de couleurs.

14 : Pièces pour orgue françaises de Franck, Saint-Saëns, Tournemire et, plus rare, Rousseau (l'auteur de du bel opéra Kerkeb, qui n'a plus dû être rejoué depuis la RTF des années 60…), et la grande organiste Demessieux. Hélas sur l'orgue de la Madeleine, testé récemment, où, je trouve, l'on n'entend rien – ce qui est particulièrement frustrant dans un répertoire où le contrepoint et le raffinement harmonique sont les premiers postes d'intérêt ; on se contenterait fort bien du même flou pour cacher la pauvreté d'un méchant opéra de Donizetti !
14 : Étude pour piano de Hosokawa (et Debussy), par Momo Kodama (qui ne m'apparaît pas particulièrement extraordinaire, mais complètement compensé par l'intérêt du programme).
14… : Buyô, danse pantomime pour le kabuki (qui est le genre japonais que je trouve le plus directement éloquent, mais c'est tout personnel, je suppose).
14 : Programme Brahms certes complètement conventionnel, mais associant les chefs-d'œuvre, Quintette piano-cordes, Trio avec clarinette, Sonate alto-piano, par une équipe exceptionnelle (incluant Freire et Braunstein !).

16 : Beethoven, Symphonie n°5 par l'ONDIF et Mazzola. S'il y a bien quelques têtes brûlées par lesquelles je voudrais enfin entendre pour la première fois cette symphonie en concert !  (mais je ne pourrai probablement pas).

17 : Le jubilatoire et malicieux Candide de Bernstein dans une distribution à faire tourner la tête (très bien vu, Rivenq en Pangloss, vraiment !).
17 : Kusa et Egüez reviennent évoquer la musique baroque jésuitique espagnole et la veine semi-folklorique, ce qu'ils font très bien.
17 : Le Chant du Rossignol de Stravinski, pièce symphonique tirée de l'opéra, mais la direction de Pintscher ne fait pas du tout envie – le seul chef que j'aie vu capable de couper les ailes à l'Oiseau de feu !

18 : Nouvelle séance des Inédits de la BNF, centrée autour de sa correspondance. Seuls sont mentionnés les membres d'un trio flûte-alto-harpe, vont-ils faire le tour de ce qui existe chez les contemporains ?  Je vais à la pêche aux infos et je vous raconte.

19 : Récital de Célia Oneto-Bensaïd, une jeune pianiste à peine sortie du CNSM et parmi les plus éloquents accompagnateurs que j'ai jamais entendus. Elle vient de sortir son premier disque solo dont elle jouera ses propres arrangements de Bernstein (Candide, West Side Story ; très réussis), et ce soir-là à Cortot, ce sera aussi du violon de Bach arrangé par Rachmaninov et la Cinquième Sonate de Prokofiev. Oui.
19 : Masterclass sur Pelléas à l'Opéra-Comique.

20 : Un Quatuor de Gassmann – vous savez, le compositeur de cet opéra seria appelé L'Opera seria qui y parodie de façon réjouissante l'opéra seria dans le langage de l'opéra seria – par le Quatuor Pleyel, qui joue sur instruments d'époque. Le son est parfois fruste (on est vraiment sur des pionnières, parfois âgées, dont les doigts répondent diversement), mais la petite harmonie centrale est très belle (Charbonnier, Cavagnac) et leur contribution pionnière inestimable. Hélas (si l'on peut dire) couplé avec du Mozart, ce qui est moins informatif que d'autres programmes où elles osaient Pleyel-Auber-Haensel !  (d'autant que, malgré leur caractère attachant, d'autres l'auront joué mieux qu'elles)
20 : Follie par Beyer & Gli Incogniti à Notre-Dame de Pontoise.

23 : Pelléas dans sa version publiée pour piano, avec Jean-Christophe Lanièce, déjà un chanteur miraculeux et un Pelléas très accompli dont j'ai déjà pu entendre plusieurs tableaux totalement saisissants (les deux scènes de la Fontaine des Aveugles).
23 : Début de l'intégrale des madrigaux de Gesualdo par Les Arts Florissants. Il faudra s'y précipiter pour les derniers livres.

24 : Le Prince de Bois en version courte + la très attachante Kopachinskaja (certes dans un concerto de Eötvös, dont j'ai fini par abandonner l'espoir de découvrir un jour les qualités de compositeur), qui a attiré l'attention par son habitude de jouer pieds nus. Excellent différenciation marketting me direz-vous, mais le personnage semble tellement authentique. À l'aveugle, j'avoue que ce n'est pas la violoniste qui me bouleverse le plus, mais son évidente joie de jouer, avec l'image, est tellement communicative qu'elle hausse tout ce qu'on entend.
24 : Serse de Haendel avec, certes, Fagioli (petite voix pâteuse, mal projetée et dans un italien épouvantable, pas mon genre), mais aussi le meilleur de ce qu'offre la scène seria d'aujourd'hui – Kalna, Genaux, Galou, Il Pomo d'oro, et même deux lauréats des putti d'incarnat, A. Wolf et Aspromonte, n'en jetez plus !

25 : M.-L. Garnier et Oneto-Bensaïd dans du lied (et Stravinski !). Une grande voix pas très discrète mais qui a l'habitude de la mélodie et doit savoir se discipliner un minimum ; et surtout une très, très grande accompagnatrice, d'une finesse (aussi bien dans la communication des structures que dans le détail ; très beau son également) rare.

27 : Violoncelle-piano avec une pièce rarissime d'Alexandre Guéroult (1822-1913), lui-même violoncelliste. Je ne peux pas vous dire si c'est bien, je n'ai pas encore trouvé ses œuvres, à supposer qu'elles aient été gravées un jour – ce peut aussi bien être un fauréen sophistiqué qu'un plat gribouiller de pièces de concours…
27 : Mélodies par Fiona McGown (toute petite voix de mezzo, mais interprète très informée et juste) et à nouveau Célia Oneto-Bensaïd. Mozart, Rossini, Bizet, Bonis, Poulenc, Bernstein à l'Atelier de la Main d'Or.

Bien sûr, à tout cela, il faudrait ajouter les séries des grandes maisons, comme ces Huguenots qui sont bien accueillis (je ne suis pas complètement satisfait de tous les choix de distribution ni convaincu qu'on puisse rendre justice à l'intérieur de l'immensité de Bastille, mais bien sûr impatient et ravi d'avoir la possibilité de les entendre même imparfaits !), les soirées Berlioz sur de Gardiner & Richardot, ou cette reprise d'Elixir où se retrouveront en fin de série la très dense Naforniţa et la vedette Grigolo !



3. Agenda imagé

Vous verrez peut-être quelques blancs où j'ai occulté certains événéments plus personnels – mes répétitions et les cinq à sept chez ma grisette, qu'est-ce que ça peut vous faire…

Vous pouvez ouvrir les images en cliquant dessus, pour les ajuster à la taille de votre choix :

octobre 2018
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Je vous souhaite un excellent octobre : si les premiers frimas vous accablent, vous saurez où vous mettre au chaud et dans des lieux animés. Car, avec Carnets sur sol, la poursuite d'octobre bouge.

jeudi 23 août 2018

Une décennie, un disque – 1610


1610


gesualdo madrigaux


[[]]
Tu piangi, o Filli mia
(où l'on entend à la fois chromatismes et volutes)

Compositeur : Carlo GESUALDO
Œuvre : Sixième Livre de Madrigaux à cinq voix (1611)
Commentaire 1 : Gesualdo est l'auteur de six livres de madrigaux, publiés de 1591 à 1611. Les deux derniers le sont la même année, soit dans la période tardive du genre et constituent, de l'avis général, un sommet dans ce type de production. Lors de la redécouverte de sa musique au XXe siècle (il était resté connu, mais pour d'autres raisons, sur lesquelles je reviens en annexe), ce sont la richesse et l'audace de ses chromatismes, cette capacité à la soudaine sortie de route qui l'ont immédiatement rendu très sympathique – peut-être aussi parce que ce relief immédiat le fait accessible indépendamment de notre familiarité avec la forme du madrigal. On trouvera de nombreux hommages (déclarations ou œuvres) de la part de compositeuirs de notre temps.
    Outre ces soudains emprunts très violents d'accords étrangers, ces changements de direction inopinés (qui amplifient évidemment la force des contrastes lors de changements de strophes et/ou d'émotions), on peut aussi apprécier les harmonies assez sophistiquées (avec des notes étrangères osées) ou les volutes agiles qui tourbillonnent de façon très spectaculaire et figurative. Une sorte d'expressionnisme de la fin de la Renaissance, qui rend le rapport au texte d'autant plus évident, et l'écoute d'autant moins lassante.
    Sa musique sacrée est sensiblement différente, beaucoup plus conforme à la norme – même si ses Répons de Ténèbres demeurent de splendides modèles.

Interprètes : La Compagnia del Madrigale
Label : Glossa
Commentaire 2 :  Même remarque que pour leurs Marenzio, on est à la fois frappé par la lisibilité extrême de chaque ligne, la cohésion d'ensemble, la coloration individuelle et collective, l'intelligibilité du texte et le sens du mouvement, et tout cela sans souligner les effets, déjà rendus avec une grande vivacité. Grande lecture d'un grand corpus.
    Avec des qualités semblables (mais un peu plus de rondeur, un peu moins de mots), La Venexiana, chez le même label, propose un très, très beau Cinquième Livre, également indispensable.

Anecdotes :
    La mémoire de Gesualdo a d'abord survécu, à une époque où on ne le jouait même pas, grâce à l'exotisme de sa vie. Prince napolitain parmi les meilleures familles de toute l'Italie, apparenté aux rois normands et à deux papes (dont un saint – Charles Borromée), il surprend sa femme avec son amant, et exerce si bien sa vengeance qu'il doit se retirer dans ses terres à l'écart de Naples pour éviter le scandale. Contrairement à la légende noire qui a de beaucoup excédé la réalité, il semble que ses problèmes n'étaient pas tant dus à l'exercice de son droit de justice (le droit espagnol en vigueur à Naples permettait l'exécution des deux coupables), qu'au fait qu'il l'ait partiellement délégué à des valets ou hommes d'armes (les achevant lui-même, tout de même, on a sa fierté), ce qui était infamant pour des rejetons de nobles familles.
    Toujours est-il que le nom de Gesualdo, à la fois aristocrate, cocu assez peu empreint de charité, meurtrier et compositeur-expérimentateur le plus saisissant de son époque, résonne assez fortement au delà même de ceux qui en écoutent la musique – qui vaut pourtant la peine, ce Sixième Livre étant possiblement la porte d'entrée à la fois la plus accessible et la plus spectaculaire au genre du madrigal.

mardi 7 août 2018

[Carnet d'écoutes n°121] – les tubes de l'été : Volkmann, Kalinnikov, Andriessen, quatuors, Kitayenko, Currentzis…


Contrairement aux apparences, Carnets sur sol est en pleine effervescence, accaparé par la préparation de quelques notules qui s'élaborent doucettement depuis des mois.

Cependant, comme il ne s'agit pas de vous laisser sans soutien à votre bon goût naturel, en cette période de Grand Désœuvrement, vous trouverez ici quelques impressions, laissées en vrac, sur certaines de mes écoutes de ces derniers mois. Manière d'avoir trace, pour celles à qui je n'ai pas encore eu le loisir de consacrer une notule bien méritée (Andriessen !), de certaines figures intéressantes. Évidemment, quand c'est pour dire que j'ai écouté les quatuors de Mendelssohn ou les symphonies de Beethoven, ça revêt un peu moins d'intérêt – mais précisément, c'est du vrac.

À propos de la cotation :
Les binettes se lisent comme les tartelettes au citron ou les putti : elles ne concernent que les œuvres, pas les interprétations (en général choisies avec soin, et détaillées le cas échéant dans le commentaire). Ces souriards ne constituent en rien une note, et encore moins un jugement sur la qualité des œuvres : ils indiquent simplement, à titre purement informatif, le plaisir que j'ai pris à leur écoute. Je peux avoir modérément goûté l'écoute de chefs-d'œuvre et jubilé en découvrant des bluettes, rien de normatif là-dedans.
1 => agréable, réécoute non indispensable
2 => à réécouter de temps en temps
3 => à réécouter souvent
4 => œuvre de chevet
5 => satisfaction absolue
Un 2 est donc déjà une bien bonne note, il ne s'agit pas de le lire comme une « moyenne » atteinte ou non.



Lundi

¶ Méhul, La Chasse du jeune Henri, ouverture 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Tamberg, Symphonie n°1 Very Happy Very Happy 
¶ Tamberg, Symphonie n°2 Very Happy Very Happy 
Du soviétisme gentil associé d'églogues façon Comodo-de-la-3-de-Mahler. Mignon.

¶ Offenbach, Grande-Duchesse, version Lafaye 
Very Happy
(mais le Trio des Conspirateurs, c'est Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy )


Mardi

¶ Schoeck, Venus, Venzago (Musiques Suisses) 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 

¶ Zavaro, Manga-Café, Les Apaches, Masmondet 
Very Happy Very Happy
Livret qui peine à trouver son ton (et sans tension), mais ambiance sympa.

¶ Bernstein, Trouble in Tahiti, Les Apaches, Masmondet 
Very Happy Very Happy Smile


Mercredi

¶ Trios de Mendelssohn, Estrio (Decca) 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Bonne version. J'ai eu une épiphanie récente avec le final du 2 dans la version J.Fischer/Müller-Schott.

¶ Trios 1 & 2 de Schumann, Trio Karénine (Mirare, je crois) 
Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Petits jeunes, appréciés en vrai en juillet dernier. Apparemment ils font leur trou même au disque. 

¶ Autres Trios de Schumann, Trio Brahms de Vienne (Naxos) 
Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Dont les transcriptions des pièces pour piano-pédalier !

¶ Nocturnes de Fauré, intégrale Jean-Michel Damase (Accord)
Very Happy Very Happy
Assez sec, vraiment scolaire au niveau des articulations. Pas la même auteur de vue qu'en tant que compositeur.


Jeudi

¶ Stenhammar, Quatuor 3 (intégrale Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Stenhammar, Quatuor 2 (intégrale Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ Stenhammar, Quatuor 4 (intégrale Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
L'intégrale du Quatuor Stenhammar est meilleure, mais j'ai celle-ci (très bien aussi) sous la main. Quelles œuvres, bon sang !


Vendredi

¶ Szymanowski, Concerto pour violon n°1 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Steinbacher / Radio Berlin ex-Est / Janowski, chez PentaTone.
Superbe orchestre, mais Steinbacher sonne vraiment tirée dans cet enregistrement.

¶ Szymanowski, Concerto pour violon n°1 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Anna Akiko Meyers, Philharmonia, Kristjan Järvi (chez Avie)
Orchestre logiquement plus vif, mais là aussi, l'œuvre met à l'épreuve la violoniste, son pas très agréable.

¶ Szymanowski, Concerto pour violon n°1 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Tasmin Little, BBCSO, Gardner (chez Chandos)
Bien mieux côté violon, et belle direction, mais même s'il s'agit d'un Chandos relativement récent, je trouve la prise de son de l'orchestre un peu trop lointaine et floue pour l'œuvre.

Il faudra que j'essaie, dans ce cas, Skride-V.Petrenko et Jansen-Gergiev, les deux adorés en salle, mais pas testé le rendu sur disque. Il faut dire que c'est l'une des œuvres que j'adore en vrai (peut-être parce qu'elle m'épargne l'écoute d'un véritable concerto ?), mais que je vais spontanément moins écouter en choisissant un disque.


Samedi

¶ Gounod, Faust, version originale et traditionnelle, Rousset et annexes chez Plasson 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Beethoven, intégrale symphonique 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
1,2,3,4, Ouvertures par Solti 74.
5,9, Musiques de scène, Wellington par Dausgaard & Chambre de Suède. 
Le reste est en cours.

¶ Nowowiejski, Symphonie n°2, OP Poznań, Borowicz (chez DUX) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Nowowiejski, Symphonie n°3, OP Poznań, Borowicz (chez DUX) Very Happy Very Happy Very Happy
Tradi, quelque part entre du postromantisme à ostinatos et du présoviétisme gentil. Sympa.

¶ Grigori Frid, Das Tagebuch von Anne Frank 
Very Happy Very Happy Very Happy Smile
L'opéra d'une heure de Grigori Frid mélange de façon très étonnante les styles du XXe siècle… le Prélude est d'une atonalité acide, avec des stridences et des agrégats hostiles, tandis que le chant s'apparente bien davantage à l'univers des lieder de Max Reger, du jazz, en tout cas de la tradition. Tout cela se mélange, alterne, avec un résultat qui peut ressembler à du Berg de jeunesse comme à de l'atonalité libre du second XXe… assez séduisant en réalité, d'autant que dans la représentation que j'ai vue, Nina Maria Edelmann chante avec un timbre, une diction et une éloquence magnétisants.

¶ George Stephănescu, Cântecul fluierașului, Gheorghiu, Jeff Cohen. 
Very Happy Very Happy
Très naïf, typé jeune romantique même si plus tardif (Flotow…).
¶ Tiberiu Brediceanu, Cine m-aude cântând, Ruxandra Cioranu, Ecaterina Barano  
Very Happy Very Happy Smile

 David DiChieraCyrano ; Opéra de Detroit Very Happy Very Happy
→ Il s'agit du véritable texte (coupé et parfois arrangé – « hanap » devient « coupole »), mis en musique par David DiChiera (né en 1935) dans une langue complètement tonale, et simple (beaucoup d'aplats, pas particulièrement virtuose). L'accent porte évidemment davantage sur le texte (d'ailleurs les facéties de l'acte I sont conservées, pas seulement l'histoire d'amour), mais je trouve cependant le résultat moins prégnant musicalement que chez Tamberg, clairement.

¶ Battistelli, Richard III ; Opéra de Genève Very Happy Very Happy Very Happy
→ Dans un langage quelque part entre l'atonalité polarisée et la tonalité élargie, Battistelli écrit dans une langue non dépourvue de lyrisme… Il fait un grand usage des chœurs, notamment dans la scène finale, où ils flottent en beaux agrégats, impalpables, au-dessus de la scène jonchée des cadavres que foule le nouveau roi. Mérite d'être entendu.

¶ Schoeck, Besuch in Urach ; Harnisch, Berne, Venzago Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Corigliano, The Ghost of Versailles, air du Ver ; Brenton Ryan, Plácido Domingo Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
https://www.youtube.com/watch?v=AhebF07M4lY (page de l'artiste)

¶ Rihm, Das Gehege Very Happy
Très monotone pour du monodrame. C'est tiré de Botho Strauß : une femme rêve de se faire déchirer [sic] par un aigle, ouvre sa cage, mais comme il est vieux et impuissant, elle le tue. 
Cool.
Mais la musique est tout sauf vénéneuse et tourmentée ou paroxystique, assez poliment ennuyeux. 

Et à présent, une petite pause légèreté : 

¶ Langgaard, Fortabelsen ; Dausgaard Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
bounce

¶ Liszt, La Légende de la sainte Élisabeth ; Opéra de Budapest, Joó Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Très étonnant tout de même : surtout orchestral, des aspects wagnériens, et quand le chœur arrive ça ressemble à du Elgar. scratch

¶ Reimann, L'Invisible, sur trois pièces de Maeterlinck Very Happy Smile
L'opéra réunit trois courtes pièces de Maeterlinck, L'Intruse, Intérieur et La mort de Tintagiles ; on y retrouve la langue postberguienne de Reimann, peut-être moins aride que dans Lear. Je trouve personnellement la langue musicale de Reimann (à la fois grise et très dramatique) assez incompatible avec l'univers de Maeterlinck, mais les critiques ont été dithyrambiques. Il faut dire que la distribution, réunissant le délicieux Thomas Blondelle et la miraculeuse Rachel Harnisch, magnifie tout ce qui peut l'être dans cette partition.

¶ Riisager, Études (ballet) ; National du Danemark, Rozhdestvensky Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Des orchestrations de pièces pédagogiques de Czerny. Contre toute attente, c'est réjouissant ; quel sens de la couleur ce Knudåge !

¶ Gordon Getty, Usher House ; Elsner, É. Dupuis, L. Foster (PentaTone) Very Happy Very Happy Smile
Dans un langage qui évoque l'atonalité romantique (héritage revendiqué de Schönberg), un peu gris, mais avec un certain sentiment de naturel et de liberté, une variation autour de la nouvelle de Poe. Getty parle de la prévalence de sa propre nécessité intérieure sur le fait de faire de la nouveauté. (pour autant, cela ressemble bien à de l'opéra du second XXe)

¶ Beethoven, Missa Solemnis ; Popp, Minton, Mallory Walker, Howell, Chicago, Solti Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Je n'aurais jamais cru que Solti ni Decca puissent commettre ça. Ce chœur pléthorique semi-amateur, cette prise de son solide… pale (j'en parle plus en détail dans le fil)

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J'ai entendu la semaine passée la première exécution de l'Ode à la France, la dernière œuvre de Debussy – inachevée, certes, la dernière achevée restant Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon (remerciement à son fournisseur en 1918).

Il s'agit d'une cantate avec soprane et chœurs (laissée à l'état d'accompagnement avec piano), représentation des derniers moments de Jeanne d'Arc, sur un assez méchant poème de Louis Laloy.

La musique hésite entre le dépouillement du Debussy « national » qui regarde vers Couperin et Rameau et les harmonies complexes d'Usher… 
Je ne trouve pas le résultat très heureux, quelque chose du Noël des enfants qui n'ont plus de maison, mais qui se prendrait très au sérieux (et sans du tout le même caractère direct des mélodies : je parle de l'esprit, pas du style musical à proprement parler très différent). Plutôt Jeanne d'Honegger-Claudel, le prosaïsme en moins.

Il n'empêche qu'entendre un Debussy de maturité aussi ambitieux (il nous en reste un quart d'heure, sauvé par Emma après la mort de Claude Achille), qui n'a jamais été gravé (et guère représenté hors de la soirée de création, en 1928), voilà qui constitue une réelle expérience !

(Le reste du concert, avec des inédits de Caby, Ladmirault, Cartan, Auric, Ropartz… était autrement plus nourrissant musicalement, ai-je trouvé. Mais celui-ci occupe une place particulière, puisqu'on pourrait croire tout avoir entendu de Debussy…)

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Cette semaine.

¶ Riisager, Études, ballet d'après des orchestrations de Czerny. 
Beaucoup plus intéressant que supposé, grâce au talent de coloriste de Riisager. A ses faiblesses bien sûr, sur 40 minutes.

Quelques opéras donnés cette saison.

¶ (David) Little, JFK
→ Reprise d'une commande pour Fort Worth et l'American Lyric Theater. Assez étrange matériau musical : des boucles d'arpèges en accompagnement (qui évoquent presque plus les musiques de séries DC Comics que l'influence minimaliste, d'ailleurs), et une écriture mélodique qui sent l'influence du musical, sans être particulièrement évidente. Toutefois, ça a l'air de fonctionner avec une certaine fluidité, en tout cas musicalement – je n'ai pas réussi à bien suivre en audio seul (et je n'ai pas le livret).

¶ (Avner) Dorman, Wahnfried 
→ Opéra satirique protéiforme, tantôt atonal post-bergien, tantôt cabaret grinçant, qui met en scène l'univers domestique des Wagner. Chamberlain (le théoricien racialiste) y fait un discours sur fond de défilé de walkyries, et à l'exception du Maêêêêêtre, tous sont là : Cosima, Siegfried, Winifred, Isolde, Bakounine, Hermann Levi, l'Empereur… et même un Wagnerdämon !

¶ Bryars, Marilyn Forever 
→ Créé à au Long Beach Opera il y a deux ans, je crois – en tout cas pas une création. Le projet est de montrer Monroe dans l'intimité plutôt que dans la gloire publique, et utilise des styles musicaux assez variés, ça se déhanche comme du jazz blanc, les voix ne sont pas toujours purement lyriques. Joli (malgré le sujet qui m'intéresse très peu), mais je n'en ai entendu que des extraits.

¶ Reimann, L'Invisible 
→ L'opéra réunit trois courtes pièces de Maeterlinck, L'Intruse, Intérieur et La mort de Tintagiles ; on y retrouve la langue postberguienne de Reimann, peut-être moins aride que dans Lear. Je trouve personnellement la langue musicale de Reimann (à la fois grise et très dramatique) assez incompatible avec l'univers de Maeterlinck (ici traduit en allemand), mais les critiques ont été dithyrambiques. Il faut dire que la distribution, réunissant le délicieux Thomas Blondelle et la miraculeuse Rachel Harnisch, magnifie tout ce qui peut l'être dans cette partition.

(Jack) Heggie, Moby-Dick 
→ L'opéra de Jack Heggie est manifestement un succès (puisqu'il aussi été donné, ces dernières années, à San Francisco et Adelaide, au minimum), et il faut dire que sa veine tonale mais riche, lyrique mais variée ne manque pas de séduction. Le texte du livret, simple et sans façon, la place efficace des chœurs, permettent d'entrer aisément dans cette veine épique, très directe.

Puis grosse crise quatuors.

Schumann 3, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Voilà qui me rajeunit… je les avais entendus dans cette œuvre au début des années 2000 (2004, 2005 ?) la donner en concours (où ils avaient terminé deuxièmes ex æquo avec le Quatuor Aviv, pas de premier prix cette année-là…), et je n'avais pas alors adoré ce qu'ils faisaient (assez rugueux). Ils ont combien affiné leur discours (ou moi éduqué mon oreille, possible aussi) depuis cette époque ! Vraiment devenu un quatuor important, indépendamment de leur place médiatique privilégiée (Mathieu Herzog est incroyable dans ses solos).

Mendelssohn 1, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 2, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 2, Ébène SQ (studio Virgin) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 6, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Fanny Mendelssohn, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 1, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 2, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 4, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 5, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 6, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

Dvořák 12, Escher SQ (BIS) Very Happy Very Happy Smile
Tchaïkovski 1, Escher SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy
Tchaïkovski 1, Atrium SQ (Sony) Very Happy Very Happy Very Happy

Stenhammar 2, København SQ (Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Stenhammar 3, Gotland SQ (Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 4, Gotland SQ (Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 1, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 2, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Stenhammar 3, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 4, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 5, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Stenhammar 6, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

Schubert 14, Haas SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

Et pour élargir : 

Schubert, Quintette à cordes, Haas SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Schubert, Quintette avec piano, bande amateur Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile

Haydn, Trio n°44, Trio Sōra Very Happy Very Happy Very Happy
Brahms, Trio n°1, Trio Sōra Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
(actuellement en résidence à Verbier, dont elles ont remporté le prix spécial… j'en ai dit à plusieurs reprises le plus grand bien, vraiment un des symptômes du dynamisme musical dans le domaine chambriste, où l'on fait aujourd'hui infiniment mieux, techniquement, stylistiquement, et même en matière d'ardeur, qu'hier.

Mozart, La Clemenza di Tito, Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
J'ai commencé à écouter ce matin (le premier tiers). C'est bien sûr excellent, avec quelques réserves par rapport à la discographie (qui de sinistrée dans les années 90, où les seules versions réellement convaincantes étaient Hogwood et Harnoncourt, est devenue pléthorique en grandes versions, avec Wentz, Mackerras, Steinberg, Jacobs, De Marchi, Rhorer !) : malgré toute l'animation et la poésie dont Nézet est capable, ça reste un peu tradi, il me manque le grain des orchestres sur instruments d'époque, ou alors fouettés par Harnoncourt, Mackerras ou Steinberg, les violons sont vraiment lisses. Sinon, vents superbes et très belle distribution.

En audio seul, ce n'est pas non plus la version la plus incarnée – Villazón paraît tellement chanter autre chose qu'un empereur romain… on dirait plutôt Aleko en version ténor… (pas tant au niveau du style à proprement parler que du caractère de la voix, des inflexions de la diction)

Bref, excellent, mais pour l'instant pas une version à laquelle j'aurai envie de beaucoup revenir, considérant l'offre hallucinante de ces dernières années.

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Cinq œuvres à recommander ?

Cinq œuvres parmi d'autres, de genres différents, dont j'entends peu parler, et qui me paraissent tellement grisantes. 

Buonaventura RUBINO, Vespro per lo Stellario della Beata Vergine di Palermo
Milieu du XVIIe, une sorte de récapitulation générale de tous les genres du siècle dans cette cérémonie d'une heure, constituée d'une multitude de cantates, de cinq à dix minutes, dont de nombreuses chaconnes (certaines à 4 temps !). Jubilatoire en diable, si j'ose dire.

Antonio Casimir CARTELLIERI, Symphonie n°1
Au tournant du XIXe siècle, un compositeur qui tire toutes les conséquences de Mozart tout en absorbant les tempêtes romantisantes du dernier Haydn, d'une séduction mélodique et dramatique hors du commune – il faut aussi entendre la Troisième, ou les nombreux concertos pour clarinette.

Antonín DVOŘÁK, Armida
Alors qu'il s'agit du grand Dvořák de maturité, on ne le donne jamais (mais on le trouve au disque, avec Šubrtová et Blachut) ; le compositeur y tempère son style habituel par échos de fanfares archaïsantes qui changent assez radicalement l'équilibre général de sa musique par rapport à ses œuvres folklorisantes (ou plus wagnérisantes, comme Rusalka). Et une très belle réussite, d'un style différent.

Hermann von WALTERSHAUSEN, Oberst Chabert
Compositeur au destin singulier, amputé de ses deux membres droits pour le sauver d'un cancer dans son enfance, mais pianiste-gaucher virtuose, chef d'orchestre loué et, avons-nous pu découvrir récemment, compositeur éminent. 
Sur le sujet hautement porteur du Colonel Chabert de Balzac, un opéra plein de réminiscences et de poésie, dans un langage à la fois sensible à la simplicité des élans romantiques et à la complexité de l'écriture « décadente ». Un grand bijou, remonté récemment par Jacques Lacombe, documenté par CPO, et qui sera repris à Bonn le 13 juillet.
Plus d'infos : http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2018/01/10/2991-waltershausen-la-difformite-et-la-gloire .

Robert STILL, Quatuors 1,2,3,4
Les quatuors de Still évoluent au fil du des styles du XXe siècle, et, ce qui est très fort, chacun présente un visage très abouti et avenant à la fois des langages successifs qu'il y aborde. (Un peu comme Bacewicz, mais ici chaque quatuor ne constitue pas une évolution, vraiment un style distinct).

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Dichterliebe et Karłowicz par Beczała à Garnier

Le ballet est 
sold out à Garnier toute la semaine, mais pour le lied, ça ne se bouscule pas !

Pourtant, Piotr Beczała y chantait Dichterliebe de Schumann-Heine, et des mélodies délicieuses de Dvořák, Rachmaninov, même Karłowicz ! I love you

Grosse glotte et raretés.

Le cas de Beczała est très intéressant : la voix est à la fois en arrière (placement polonais, malgré ses études autrichiennes) et riche en résonances hautes (surtout dans les aigus). 

De même, pas très expressif, mais sa sobriété met en valeur les mots et les langues. Je n'en attendais rien et j'ai été bouleversé par son (sa) Dichterliebe : rien de singulier, d'une grande sobriété, et justement il ne fait jamais primer la ligne sur le naturel de la diction… Dans « Hör' ich das Liedchen » ou « Allnächtlich », c'est toute la saveur brute de l'œuvre de Heine-Schumann qui nous frappe, sans truchement d'interprète… l'œuvre toute nue (et quels beaux graves, très timbrés !).

J'ai moins aimé le reste : le timbre reste très blanc, et les œuvres sont moins marquantes. Le gentil romantisme du jeune Karłowicz de fin d'études, le folklore tsigane convenu de Dvořák
Les Rachmaninov (en particulier les stances de « Ne poj, krasavica » et les figuralismes fluviaux de « Vesennije vodi ») sont beaucoup plus entraînants, pour finir !

Un véritable festival linguistique ; 1h30 de récital, 4 bis très expansifs (zarzuela, Zueignung de Strauss, Werther, Catarì) et… 7 langues ! Allemand (très bon, malgré des « -en » pas tout à fait exacts), polonais (savoureux), tchèque (très en arrière et… polonais), russe (polonais aussi, asséché, sans les mouillures…), espagnol (avec une belle gouaille !), français (blanchâtre, mais c'était son emblématique Werther !), italien (généreux et expansif, avec Catarì)…

Impressionnés (avec mon accompagnateur, lecteur occasionnel de ce forum), dans Werther, par sa capacité (la voix était un peu prise dans le centre de gravité plus bas et la moindre projection des lieder) à changer totalement le placement *en cours d'émission* pour faire sortir glorieusement les aigus lorsqu'ils semblaient bloqués…

Amusant : rien qu'à l'entendre jouer, je me doutais que Sarah Tysman n'était pas principalement une cheffe de chant (plus de doigts, moins de logique) ni une soliste (peu de relief). De fait, elle semble beaucoup faire carrière comme accompagnatrice. Très agréablement fluide, mais sans grand relief aussi. Souplesse réelle, sans être totalement à son aise : sans être passionnant, c'était suffisant au plaisir de la soirée.

En fin de compte, outre le parcours original, on en retire un Dichterliebe très émouvant, et une générosité remarquable pour un artiste qui est en cours de répétitions au pied levé pour son second Lohengrin et son premier Bayreuth !

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Hjalmar BORGSTRØM, Thora Paa Rimol – Stene, Bjørkøy, Moe, Trondheim SO, Terje Boye Hansen

Un de mes opéras fétiches. I love you C'est le même langage que le Vaisseau fantôme (avec quand même quelques harmonies tout à fait locales), sur un sujet inspiré de Sturluson et Oehlenschläger, certes écrit un demi-siècle plus tard, mais d'une maîtrise incroyable. Écoutez au moins l'ouverture, même si vous n'aimez pas l'opéra en général, il faudrait donner ça au concert, ça vaut (largement) les Weber ! Cette vague d'imitations savoureuses…

Pour ne rien gâcher, c'est joué par le Symphonique de Trondheim, le plus bel orchestre du monde connu. bounce


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Cycle opéra contemporain (suite) 

=> Battistelli, Richard III, bande vénitienne de cette année Very Happy Very Happy Very Happy 
Dans un langage quelque part entre l'atonalité polarisée et la tonalité élargie, Battistelli écrit dans une langue non dépourvue de lyrisme… Il fait un grand usage des chœurs, notamment dans la scène finale, où ils flottent en beaux agrégats, impalpables, au-dessus de la scène jonchée des cadavres que foule le nouveau roi. Mérite d'être entendu. 

=> (Gordon) Getty, Usher House ; Elsner, É. Dupuis, Foster (PentaTone) Very Happy Very Happy 
Évoque l'atonalité romantique (héritage revendiqué de Schönberg), un peu gris, mais avec un certain sentiment de naturel et de liberté, une variation autour de la nouvelle de Poe. Getty parle de la prévalence de sa propre nécessité intérieure sur le fait de faire de la nouveauté. (pour autant, cela ressemble bien à de l'opéra du second XXe) 

=> (Gordon) Getty, The Canterville Ghost ; Gewandhaus, Foremny (PentaTone) Very Happy Very Happy 
Ce versant plus comique du legs de Wilde a aussi été capté chez PentaTone, avec le Gewandhaus de Leipzig (direction Foremny, le chef de la monographie Oskar Fried). La déclamation est évidemment plus à nu, sans être particulièrement savoureuse, mais cela s'écoute sans grand effort, même si l'absence de séduction particulière du langage renforce un peu le côté braillard inhérent à l'opéra post-1800 en général. 

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Cycle Kalinnikov

=> Kalinnikov, Symphonie n°1, O de l'URSS, Kuchar (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Je découvre à ma honte l'existence de Kalinnikov, protégé de Tchaïkovski à la santé fragile (réfugié vers le climat de Crimée alors que sa carrière portait ses premiers fruits…), et cette Première Symphonie, baignant dans les grands espaces et le folklore, splendide. Un mouvement lent avec cor anglais et cordes suspendues qui scintillent. Le final ressasse certes son thème (modérément) varié, mais les relances harmoniques de la coda sont splendides (on songe vraiment au Tchaïkovski de la Première Symphonie !). 
=> Kalinnikov, Symphonie n°1, Philharmonique de Moscou, Kondrachine (Melodiya) 
Interprétation lourdement cuivrée, on passe vraiment à côté des subtilités que j'ai entendues dans ma découverte avec Kuchar. 
=> Kalinnikov, Symphonie n°1, Philharmonique de Malaisie, Bakels (BIS)
Bonne lecture, très occidentale.
=> Kalinnikov, Symphonie n°1, Symphonique de Russie (lequel ?), Veronika Dudarova (Olympia)
Là tout le contraire, un son et une verve tellement russe ! I love you

=> Kalinnikov, Symphonie n°2, Écosse RNO, N. Järvi (Chandos) Very Happy Very Happy 
=> Kalinnikov, Symphonie n°2, O de l'URSS, Kuchar (Naxos) 
Järvi est vraiment mou et Kuchar toujours remarquable là-dedans, mais la symphonie m'a paru d'un romantisme plus convenu, sans les saillances de la première. 

=> Kalinnikov, Suite orchestrale, Orchestre d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya) Very Happy Very Happy Smile
Quelque part entre la suite de caractère et la grande pièce plus ambitieuse… je suis partagé, dépend vraiment de langle sous lequel on le regarde. 

=> Kalinnikov, Tsar Boris (musique de scène), Budapest SO, Jancsovics (Marco Polo) Very Happy Very Happy Very Happy 
Très réussi, vraiment de l'atmosphère. 
=> Kalinnikov, Poème épique, Budapest SO, Jancsovics (Marco Polo) Very Happy Very Happy Smile 
=> Kalinnikov, Le Cèdre et le Palmier, Budapest SO, Jancsovics (Marco Polo) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Kalinnikov, Le Cèdre et le Palmier, Orchestre d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya)
=> Kalinnikov, Bilina , Orchestre d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy

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Cycle (Friedrich Robert) Volkmann 

=> Volkmann, Richard III (ouverture), Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO)  Very Happy Very Happy    Very Happy Smile 
Oh, intense !
=> Volkmann, Symphonie n°1 en ré mineur, Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) 
Final étrangement naïf en comparaison du reste. Very Happy Very Happy Smile
=> Volkmann, Symphonie n°2 , Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) 
Tout de suite en majeur, globalement plus cohérent avec son style. Very Happy Very Happy Smile
=> Volkmann, Concerto pour violoncelle, Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) 
Très beau (quoique bref, 16'), dans le goût des concertos de Dvořák ou Röntgen. Very Happy Very Happy Very Happy
=> Volkmann, Ouverture posthume en ut majeur, Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) Very Happy Very Happy Smile

=> Volkmann, Quatuor à cordes n°1, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy
=> Volkmann, Quatuor à cordes n°4, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy Smile
=> Volkmann, Quatuor à cordes n°2, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy
=> Volkmann, Quatuor à cordes n°5, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy Smile
J'étais peut-être trop occupé lorsque je les ai découverts. Du bon romantisme du rang, rien de particulièrement saillant de remarqué, même si quelques moments retiennent l'attention dans le 4 et le 5. 

=> Volkmann, Trio piano-cordes n°1, Ravensburg Beethoven Trio (CPO)  Very Happy Smile
=> Volkmann, Trio piano-cordes n°2, Ravensburg Beethoven Trio (CPO)  Very Happy Very Happy
Sympa, pas très marquant non plus, même si le final du deuxième est assez dense et réjouissant. 

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Cycle Cras (et assimilés)

=> Cras, Quatuor n°1, Louvigny SQ (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Je n'avais jamais mesuré à quel point c'est un bijou, plus encore que le trio ou le quintette, je crois. 

=> Cras, Quintette piano-cordes, Louvigny SQ, Jacquon (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Cras, Sonate violoncelle-piano, Khramouchin, Jacquon (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Cras, Trio piano-cordes (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Cras, Largo violoncelle-piano, Khramouchin, Jacquon (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 

=> Cras, Chœurs sacrés a cappella ou avec orgue (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy 
Délibérément archaïsant, très agréable, mais pas son sommet. 

=> Lekeu, Quatuor en sol, Camerata SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
=> Lekeu, Molto adagio, Camerata SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
Chefs-d'œuvre. 

=> Fauré-Messager, Messe des Pêcheurs de Villerville, Herreweghe Very Happy Very Happy Very Happy 
Adorable, très touchant. 

=> Chausson, Concert, Jansen, Stott & friends (bande de la radio néerlandaise) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 

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Cycle transcriptions d'orgue (suite)

=> Vivaldi, Les 4 Saisons, Hansjörg Albrecht Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
=> Wagner, extraits du Crépuscule des dieux, Hansjörg Albrecht Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Très chouette, même si Albrecht demeure toujours d'un maintien assez raide pour ce type d'exercice. 

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Cycle Kitayenko 

=> Grieg, Holberg, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> Respighi, Antiche danse ed arie per liuto, Suite n°3, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Smile
=> Puccini, Missa di Gloria, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
=> Brahms, Deutsches Requiem, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> Chostakovitch, Symphonie n°10, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> Donizetti, Miserere, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy
=> Rachmaninov, Cloches, Larin, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy
=> Prokofiev, Symphonie n°1, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> R. Strauss, Suites de danses d'après Couperin, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy
=> Tchaïkovski, Fantaisie de concert, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy

Tout est intéressant, évidemment les pièces archaïsantes traitées avec un gros son paraissent un peu à côté du sujet. Étrange Miserere de Donizetti aussi, qui veut manifestement imiter le grégorien et qui est chanté comme l'Obikhod. Mais partout, quelle verve des timbres (ces bassons !).
Deutsches Requiem insolite, très belles Cloches, Missa di Gloria parmi les plus intenses (au disque, j'ai une faiblesse pour Morandi-Palombi, Pappano-Alagna et Scimone-Carreras, mais celle-ci est du même tonnel, quoique pas du tout dans le même univers), tandis que la Dixième de Chosta est au contraire remplie d'une étrange plénitude. Très beau coffret.

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Symphonies 

=> Mendelssohn, Symphonie n°3 ; COE, Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
=> Mendelssohn, Symphonie n°4 ; COE, Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Splendide, limpide, cursif, vraiment parfait. 

=> Holst, Symphonie en fa « Cotswolds » (1900), Ulster O, Falletta. Very Happy Very Happy Very Happy 
Très mignon, avec un effet très rétro des trompettes. 

=> Sgambati, Symphonie n°1, La Vecchia (1880) Very Happy Smile 
Rien à faire, ça ne me passionne pas. Orchestration chiche, pas de mélodies, je m'ennuie assez, surtout qu'elle est longue. Un peu marri que ce soit Benedictus qui me fasse la leçon sur les symphonies gentilles pour cette fois. Confused 

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Opéra légers 

=> Mozart, Clemenza ; Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Confirme les impressions de l'acte I : très bien, mais reste tradi, on est habitué à mieux dans cette œuvre désormais, ainsi que de la part de Nézet. 

=> Donizetti, Don Pasquale, Opéra de Paris, Pidò 2018 (CultureBox) Very Happy 
J'ai tenu un quart d'heure en avance rapide, qui m'a confirmé qu'hors de l'air « Pura siccome un'angelo » au tout début, cet opéra m'ennuie atrocement. Au passage, Sempey continue de progresser, il devient réellement intéressant. Et Pidò tire comme toujours le meilleur de ces partitions en les faisant claquer avec esprit. I love you (pas trop aimé le reste, Sierra et Pertusi assez gris, Brownlee manifestement un peu fatigué) 

=> Boito, Mefistofele (tout), Marinov avec Ghiuselev (Capriccio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Que de trouvailles mélodiques, et puis ces simples chœurs célestes bien conjoints mais progressant par chromatismes, quel régal !

=> Boito, Mefistofele (prologue), Poggi, Neri, Capuana 
=> Boito, Mefistofele (prologue), Del Monaco, Siepi, Serafin 
=> Boito, Mefistofele (prologue), Poggi, Siepi, Votto 
=> Boito, Mefistofele (prologue), Pavarotti, Ghiaurov, De Fabritiis 
=> Boito, Mefistofele (prologue), La Scola, Ramey, Muti 

=> Boito, Mefistofele (épilogue), Poggi, Neri, Capuana 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Christoff, Gui 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Del Monaco, Siepi, Serafin 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Pavarotti, Ghiaurov, De Fabritiis 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Vargas, Abdrazakov, Luisotti 

=> Offenbach, Grande-Duchesse, trio des conspirateurs, Minkowski Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Tout le reste de l'opéra, je m'en passe très volontiers, mais ce moment est délectable. Very Happy 

=> Wagner, Rheingold, Nimsgern, Soffel, Jung, Wlashiha, Jerusalem ; Bayreuth, Solti 83 (bande radio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Cette version est absolument parfaite en plus, comme sa Walkyrie-surœ. 

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Divers 

=> Spohr, Messe en ut mineur Op.54, Radio de Berlin (CPO) Very Happy Very Happy
Agréable.
=> Spohr, Psaumes Op.85, Radio de Berlin (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Là, beaucoup plus sérieux, avec de beaux mouvements fugués, une ambition musicale autrement intéressante !

=> Puccini, Missa di Gloria, Morandi (Naxos). Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
Avec Palombi en solo. Une des toutes meilleures versions (avec Pappano et Scimone), pour ne pas dire la meilleure, fonctionne très bien, chœurs d'opérette (!) hongrois inclus. 

=> Puccini, Preludio sinfonica, Morandi (Naxos). Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
Très réussi dans son genre planant ! 

=> Szymanowski, Demeter, Ewa Marciniec, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy
Profusion d'une chatoyance paradoxalement grise, pas vraiment touché, vraiment le Szyma qui ne m'est pas très accessible. 

=> Szymanowski, Penthesilea, Iwona Hossa, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
=> Szymanowski, Penthesilea, Iwona Hossa, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) 
=> Szymanowski, Penthesilea, Iwona Hossa, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) 
Trissé. bounce Un Szyma étonnant, différent de l'ordinaire, d'un lyrisme plus franc, beaucoup plus proche de l'élan des décadents germaniques – ce ressemble beaucoup à Besuch in Urach de Schoeck, en réalité ! Et Iwona Hossa est d'une plénitude merveilleuse ici.

=> Szymanowski, Stabat Mater, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy
Un des Szymanowski auxquels je reviens le plus volontiers (avec les concertos pour violon, les trois premières symphonies, le Roi Roger, les Mythes…), ce qui veut dire pas si souvent, en réalité…

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Je réécoute Le Bourgeois gentilhomme (avec la musique de scène de LULLY. Il y a beaucoup d'allusions aux genres d'époque (on explique à Jourdain ce qu'il faut pour faire de la musique de chambre, notamment, côté évident drolatique, comme si on expliquait à quelqu'un qu'il faut des violons et des trompettes dans un orchestre), et même des choses assez subtiles pour l'oreille d'aujourd'hui.

Lorsque Jourdain dit à ses maîtres « il y a du mouton là-dedans » (sa ridicule chansonnette qui contient une comparaison ovine), on joue évidemment pour les spectateurs d'époque sur l'équivoque avec « il y a du Mouton là-dedans » (donc l'inspiration d'une grande figure de la musique de cour).

Pour une fois que la musique permet de frimer dans les dîners en ville, ne croyez surtout pas que je vais m'en priver.
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Joseph Ermend BONNAL – 1860-1944


Un compositeur bordelais (mais monté à Paris) qui a étudié avec les grandes figures du temps : Bériot au piano, Fauré en composition, Guilmant-Tournemire-Vierne à l'orgue (il a même fait des remplacements de Widor à la tribune !), successeur des plus grands (il prend la suite d'Ollone et de Tournemire), bardé de prix (même plus grand public, comme le Grand Prix du Disque pour son trio à cordes). Il composait également des chansons populaires (sous le pseudonyme de Guy Marylis).

J'ai compté deux disques chez Pavane (musique de chambre, orgue), un disque chez Arion (Quatuors).

Les Quatuors (1927 et 1938) sont vraiment écrits dans un langage ravélien, c'en est frappant. Avec moins de facéties rythmiques et d'effets, un Ravel proche de celui du Quatuor, en plus mou. C'est vraiment bien écrit. 

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=> Debussy, Faune / extraits de Saint Sébastien / Mer, Philharmonia, Heras-Casado
On entend vraiment l'ardeur et la finesse du chef qui affleure, le rendu est splendide, le Philharmonia a rarement aussi bellement et finement joué. Superbes versions de ces pages. (On me signale en revanche une hénaurme erreur de lecture : il y a une erreur de clef pour les violoncelles sur le matériel d'orchestre, qui déplace leur ligne d'une quinte, et Heras-Casado ne bronche pas malgré les dissonances.)
La Mer m'a beaucoup moins impressionné : très bien, mais plus épais et terne que ce qui précède, on retrouve ici davantage le son du Philharmonia que les fulgurances du chef…

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Francesco Malipiero : Impressions d'après nature (1914-1922)

Pas vraiment bouleversé, mais effectivement, on est dans le haut de la production de Malipiero, avec quelques très beaux alliages (
Mélomaniac n'a pas parlé au hasard d'impressionnisme, un vrai sens du coloris). 

De vrais beaux moments, étonnants comme les superpositions de cloches (figurées d'une façon assez différente de ce que j'ai entendu chez les autres musiciens, plus une recherche de reproduction de l'effet musical que timbrale), réjouissants comme le bal champêtre ; d'autres plus platement illustratifs, voire pénibles comme le Festival du Va d'Enfer qui est une boucle quasi-minimaliste pas vraiment inspirée.

Toujours pas convaincu que Malipiero soit un compositeur de première farine (dans le genre chatoyant, Riisager m'étonne et me réjouit davantage), mais ce sont de belles pièces qui méritaient en effet d'être distinguées et découvertes !

(le couplage avec les Pause del silenzio, assez redoutablement ennuyeuses, met encore plus en lumière l'inspiration de Malipiero dans ce cycle !)

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Erkki Melartin : Symphonie N°5 "Sinfonia brevis" (1915-1916) 


Donc, écoute de cette Symphonie n°5 (tirée de l'intégrale Tampere PO / Leonid Grin). Très séduit par le début : thème très identifiable, ton très lumineux, fugato dès l'exposition… Jusqu'au début de l'Andante (II), néanmoins, je trouve que les cordes dominent beaucoup, dans un goût lyrique-romantique qui m'a évoqué (certes, avec une veine mélodique plus marquante) ses autres symphonies. 

Et puis, au milieu de l'andante, d'étranges interventions babillardes de bois, comme un plot twist… j'attends de voir si ça va effectivement évoluer, c'est en cours d'écoute.

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¶ Caplet – Épiphanie
Je me demande s'il n'y a pas erreur d'étiquetage sur mon disque… j'avais plus l'impression d'entendre les Strophes de Sacher que du Caplet, vraiment très hardi m'a-t-il semblé… (Pourtant, j'ai passé les plages Dutilleux. Il faudra que je survole à nouveau tout le disque pour en avoir le cœur net.)

¶ RVW – Songs pour ensemble (dont les 4 Hymnes) – Partridge Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Quel mélodiste, décidément !
¶ Warlock – Capriol Suite Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Que j'aime cet archaïsme sans façon ! bounce
¶ Warlock – Songs pour ensemble (dont The Curlew) – Partridge Very Happy Very Happy Very Happy 

¶ Caplet – Le Miroir de Jésus – version Saphir Very Happy Very Happy Smile
Le chœur n'est pas très joli.
¶ Caplet – Le Miroir de Jésus – version Accord (avec Schaer) Very Happy Very Happy Smile
Moins précisément articulé, mais beaucoup plus agréable (et Hanna Schaer, quoi).
¶ Caplet – Mélodies (Le vieux Coffret, Paul Fort, etc.) – Schaer Very Happy Very Happy 

¶ Dvořák – Rusalka – Neumann, Vienne live (Orfeo) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Ils ont coupé des choses, dont le délectable cuistot. Surprised
¶ Dvořák – Rusalka – Neumann, Philharmonie Tchèque studio Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Nettement plus proprement joué (Vienne en mode routine, hein…) et plutôt mieux chanté, en outre. Super version, immense œuvre.

¶ Tchaïkovski – Onéguine – Levine (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Quelle version enthousiasmante ! Levine joue sa vie à chaque mesure, avec une impétuosité rare (et jamais clinquante), tout le plateau parle un russe fort décent, avec des timbres tellement savoureux ; même Ghiaurov est plus en mots que jamais, avec un russe aux mouillures très gourmandes. bounce 

¶ Tchaïkovski – Pikovaya Dama (extraits) – Orbelian (Delos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
De loin la meilleure version, sauf que ce ne sont que des extraits. Regrets d'autant plus éternels que certains des protagonistes sont morts maintenant…
¶ Tchaïkovski – Pikovaya Dama (tout) – Opéra de Belgrade, Baranovich (Classical Moments) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
En intégrale, la version que j'aime le plus, de loin. Pourtant, l'Opéra de Belgrade en 1955, ça ne fait pas rêver. Il n'y a pas beaucoup de Lisa pas trop pénibles, pour commencer, et puis la typicité de l'orchestre (avec ces vents pincés à la tchèque, ces cordes tranchantes et un brin acides) ajoute au relief. Très propre pour l'époque aussi, son comme exécution, et chanteurs sans faiblesses.

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¶ Toch – Symphonie n°3 – Pittsburgh SO, Steinberg Very Happy

¶ Hindemith – « Symphonie » Mathis der Maler – Pittsburgh SO, Steinberg Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Bloch – Concerto Grosso n°1 – Pittsburgh SO, Steinberg

C'était ma contribution au cycle « musiques sinistres ». Bon bon bon bon… Le Toch m'a assez ennuyé (pas vraiment de qualité, mais que c'est gris), le report très filtré que j'écoute massacre assez le grain et les couleurs (certes des dégradés de gris) de Mathis, et je ne sais pas si j'aurai la force de réécouter le Bloch, que je n'avais pas adoré la dernière fois, après ça…
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¶ Wildhorn – Dracula – Graz 2017 Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
J'aime décidément beaucoup. L'intrigue suit de très près le roman, à ceci près que le nœud des enjeux ne réside pas dans la conquête du monde par Dracula, mais dans son amour pour Mina – et une certaine réciprocité de la part de ses victimes. Wildhorn a de toute évidence beaucoup écouté les Miz, on y retrouve beaucoup de points communs musicaux. Très chouette.

¶ Büsser – Marche de Fête – Paradell Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Boëllmann – Toccata (de la Suite Gothique) – Paradell Very Happy Very Happy
¶ Usandizaga – Pieza sinfónica (tripartite) – Paradell Very Happy Very Happy Smile
¶ Bélier – Toccata – Paradell Very Happy Very Happy Smile
Qu'est-ce que ça emprunte à Bach (les marches harmoniques assez vivaldiennes…). Mais du coup c'est joli.
¶ Torres – Impresión teresiana – Paradell Very Happy Very Happy
Inclut des thèmes tirés de chants d'enfants donnés à Avila en l'honneur de Thérèse.
¶ Franck – Choral en la mineur – Paradell Very Happy Very Happy Very Happy
Vraiment pas celui que j'aime le plus des trois derniers chorals (je suis devenu fou du premier), mais ça se tient quand même plutôt bien, il n'y a pas à dire.

¶ Tchaïkovski – Le Voïévode – Kozhukar Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Encore une merveille de jeunesse, quelque part entre l'épopée permanente d'Opritchnik et les grands numéros de Mazeppa (mais plus palpitant que ce dernier, je trouve). Du niveau de ses grandes œuvres de maturité, pour moi. (Quelle partie écrasante de ténor, au passage…)

¶ (Ronald) Corp – The Ice Mountain (Naxos) Very Happy Smile
Gentiment planant et plein de petits braillards. Instrumentation et harmonique de musical theatre, étrange.

¶ Bach – Prélude & Fugue BWV 546 – Hurford (Decca) Very Happy Very Happy
Le jeu, quoique un peu droit, n'est pas inintéressant, mais ces prises sèches et ce plein-jeu blanc et strident, c'est pas possible pour moi. (Déjà que je fais l'effort d'écouter du Bach, le moins est de m'offrir un peu de couleur.) Je retourne écouter mes Hinsz des Bovenkerk et Martinikerk…    

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¶ La Tombelle – Toccata en mi mineur – Willem van Twillert (Hinsz de Bolsward) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Oh, il y a vraiment de la matière musicale pour une toccata (pourtant sur le patron Widor / Dubois / Boëllmann) !
¶ Stanford – Postlude en ré mineur – Willem van Twillert (Hinsz de Bolsward) Very Happy
Très fade, pas le grand Stanford du Stabat Mater.
¶ Bach-Dupré – Sinfonia de la Cantate BWV 29 – Willem van Twillert (Hinsz de Kampen) Very Happy Very Happy
¶ Reger – Ein feste Burg Op.27 – Willem van Twillert (Deakons-Marcussen de Goes) Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Suppé – Requiem– Corboz Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Vraiment étonnant, même les chœurs sont assez vindicatifs !

¶ Pierné – Étude de concert – Wagschal (Timpani) Very Happy Very Happy Smile
(C'est la Passacaille qui est géniale, là c'est sympa mais pas indispensable.)

¶ Messiaen – Ascension – Hakim (Trinité) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ Messiaen – Ascension – Katowice, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Messiaen – Turangalîla – Katowice, Wit (Naxos) Very Happy Smile
(Tout de même, autant de complexité harmonique et contrapuntique pour obtenir un résultat comparable au jazz blanc des années 50, ça me laisse sacrément admiratif.)

¶ Gossec, La Marseillaise, Garde Républicaine, Dondeyne (BNF) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Version très boisée, mais clairement pas le meilleur arrangement.

¶ traditionnel, Légendes sacrées, Les Têtes de Chien Very Happy
J'aime pas les arrangements, ça cherche à faire un truc cool et ça ressemble pas à grand'chose au bout du compte. Déçu.

¶ van Gilse, Symphonie n°2, Symphonique des Pays-Bas, Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Brahms, Concerto n°2, Egorov, Symphonique des Pays-Bas Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Croyez-le si vous voulez, je l'écoutais pour l'orchestre (très bien), mais alors Egorov, quel aplomb incroyable ! Je crois que c'est pianistiquement la meilleure version que j'aie entendue, loin devant Pollini, Barenboim, Richter ou Gilels… Shocked

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 [Proms] – Beethoven 2 & 5, MusicAeterna, Currentzis (28 juillet)

C'était donné hier, on peut le réécouter aujourd'hui.
https://www.bbc.co.uk/radio/play/b0bck31y

C'est du pur Currentzis, pour le meilleur (tous ces contrechants électrisants qu'on n'entend jamais comme dans son DG, bien sûr l'énergie) et pour le pire (son d'orchestre assez blanc – où sont les bois ? –, sorte de hâte un peu impavide comme dans son Sacre…).

La 2 m'a paru assez fade : rapide mais très peu dramatique. En revanche la 5 fonctionne très bien, même si le final est tout sauf grandiose / exaltant / triomphal / tragique, avec d'étonnantes baisses de tension.

Le plus amusant reste que ça me paraît une lecture assez peu originale (proche de ce que faisait Hogwood dans son intégrale pour l'Oiseau-Lyre, un label que je suis trop jeune pour avoir connu dans les bacs…), vraiment dans le (beau) standard des baroqueux percussifs / secs.

Et je vois que ça s'écharpe d'un peu partout sur la question du génie de l'imposture… Moi ça me paraît juste une très belle version (un peu hystérisante mais) pas très originale. Qui me plaît beaucoup au demeurant, parce que le baroqueux qui claque, ça sied très bien à Beethoven.

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¶ (Roger) Boutry – Variations sur un thème imaginaire, pour piano et orchestre d'harmonie – Handelsman (bande vidéo) Very Happy Very Happy Very Happy
Très bien écrit, comme toujours avec Boutry – quel dommage qu'on ne le joue pas plus (son très beau quatuor ravélo-berguien – en beaucoup plus simple, hein ! – en particulier.) Et que son legs soit assez largement des solos pour vents ou des pièces pour orchestre d'harmonie.

¶ Bellini – Norma, « Casta diva » – Sumi Jo (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Entendu ça en fond d'un reportage… Je me demandais qui cela pouvait être : voix très franche, assez peu converte, tout en conservant un moelleux magnifique… J'ai assez vite trouvé, parce qu'il y a assez peu d'artistes avec ces caractéristiques (Scotto, à côté, c'est Polaski : la voix n'est pas lourde mais toujours très couverte). Tiré d'un de ses récitals tardifs, où elle essaie des choses plus larges. J'ai adoré ça, et bien que je sois conscient, pour l'avoir entendue en scène, qu'on ne l'y entendrait guère, le résultat sur disque est absolument merveilleux.

¶ Beethoven – Symphonie n°2 – MusicAeterna, Currentzis (bande BBC3) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Beethoven – Symphonie n°5 – MusicAeterna, Currentzis (bande BBC3) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Interprétation pas très originale en réalité, mais pleine de vigueur, et quelles œuvres ! (voir le fil dédié en rubrique « Concerts », Adalbéron y était)

¶ Magnard – Guercœur – Donostiarra, Toulouse, Plasson (EMI) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Belle révélation à la réécoute. (cf. fil concerné)

 Bruckner – Symphonie n°4 – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), van Zweden (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Version très cursive, ce qui fonctionne très bien dans leurs Brahms, mais vraiment trop peu tendue pour Bruckner. Un peu lisse et pas passionnant. À chaque fois que je réécoute, j'ai un espoir (troisième tentative, au moins), mais non.

¶ Britten – War Requiem – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), van Zweden (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Version très sobre et lumineuse, un peu à rebours, mais très réussie !

¶ Respighi – Belfagor – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), Ashkenazy (Exton) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Respighi – Belkis, reine de Saba – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), Ashkenazy (Exton) Very Happy Very Happy Smile
¶ Respighi – Vetrate di chiesa – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), Ashkenazy (Exton) Very Happy Very Happy Very Happy
Mélange de choses spectaculaires et colorées et d'autres moins marquantes. Mais globalement l'une des œuvres les plus intéressantes de Respighi.
¶ Respighi – Metamorphoseon modi XII – Philharmonia, Goeffrey Simon (Chandos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
… Mais son chef-d'œuvre absolu, ce sont ces Métamorphoses symphoniques… Soudain mâtiné de Hindemith (pour la richesse musicale, parce que pour les couleurs et la chaleur, ce sont celles du triptyque romain, un côté folklorisant de pâtre des Abruzzes et archaïsant néo-monteverdien en sus. I love you ), avec des touches orchestrales du meilleur Korngold !
Cette version a plus de couleurs et d'élan que Rome SO & La Vecchia qui plus studieuse, je trouve.

¶ Gurlitt – Wozzeck, le meurtre et le couteau – Scharinger, DSO Berlin, G. Albrecht (Capriccio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Berg – Wozzeck, le meurtre et le couteau – Schwanewilms, Trekel, Graf (Naxos) Very Happy Very Happy Smile
Un des meilleurs moments de l'œuvre, chez les deux (et superbe version Graf, contre toute attente – je n'avais pas adoré sa version avec l'ONBA et déjà Schwanewilms, vue en salle en 1999).

Cycle Hendrik Andriessen

¶ H. Andriessen – Symphonie n°1 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO forever) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Suite de ballet – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Étude symphonique – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Variations et Fugue sur Kuhnau – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Smile
L'Étude est vraiment superbe. Quel orchestre, quel chef, quelle prise de son, aussi. (Sinon c'est la Symphonie Concertante qui m'impressionne le plus chez Andriessen.)

¶ Joline (Dolly Parton) 

¶ H. Andriessen – Symphonie n°2 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Ricercare – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Mascherata – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Rhapsodie Wilhelmus – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Le Prisonnier de Hollande (Olivia Chaney) 

¶ H. Andriessen – Ricercare – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Mascherata – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Rhapsodie Wilhelmus – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Nénufar, t'as du r'tard (chanson raciste pour l'exposition coloniale de 1931) 

¶ H. Andriessen – Ricercare – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Mascherata – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Rhapsodie Wilhelmus – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Ce n'est pas une erreur, j'ai trissé les trois pièces. Non pas que ce soient des œuvres à ce point exceptionnelles, mais je les ai beaucoup aimées cette fois, j'avais envie de m'en imprégner. Les mouvements contraires rétro du Ricercare me font craquer ; et le doux côté épique de Wilhelmus…

¶ Something Just Like This (adaptations multiples des Chainsmokers)

¶ H. Andriessen – Symphonie n°3 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Quant à la Troisième Symphonie, c'est la meilleure des quatre à mon sens, beaucoup plus directe, jubilant plus ouvertement de sa propre musique au lieu de s'astreindre à une sorte de sérieux presque sinistre. Plus proche de van Gilse 2 que de Pijper, en somme.


¶ H. Andriessen – Symphonie Concertante – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy
Finalement, j'aime davantage les symphonies 3 & 4 : un petit côté pastiche par endroit, plus accessible mais un peu moins nourrissant. Très chouette néanmoins, ce n'est pas comme s'il existait par ailleurs des symphonies concertantes intéressantes (Szymanowski à la rigueur, mais Mozart, Langgaard ou Prokofiev, bof quand même).
¶ H. Andriessen – Chantecler – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile

¶ H. Andriessen – Symphonie n°4 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Début sombre, mais de beaux moments de lyrisme ensuite !
 H. Andriessen – Libertas venit – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Commande de l'Orchestre du Brabant pour célébrer les dix ans de la libération de la province. Une lente marche, qui se pare d'échos menaçants (Dies iræ inclus), se charge de chants de guerre, et exprime avec lyrisme la fin de l'oppression. Quelque part entre le 1812 de Tchaïkovski et le Chant funéraire de Magnard, mais beaucoup moins spectaculaire que l'un et l'autre.
¶ H. Andriessen – Capriccio – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Canzona – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile

¶ H. Andriessen – Intégrale pour orgue – Benjamin Saunders (Brilliant) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Corpus très homogène, pas forcément à écouter d'une traite comme je l'ai fait, mais de toute beauté : d'une subtilité sans ostentation, sorte de Tournemire batave. I love you

Et réécoutes : 

¶ H. Andriessen – Symphonie n°4 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Libertas venit – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Capriccio – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Canzona – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Libertas venit – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

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Cycle Holst

¶ Holst – Les Planètes– Chicago SO, Levine (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Oh !  Après tant de tentatives infructueuses, j'y ai enfin pris du plaisir !  Ce n'est pas très subtil, mais extrêmement neuf (et vraiment pillé par la musique de film épique américaine, de Williams à Horner).
¶ RVW – Fantaisie Greensleeves– Chicago SO, Levine (DGG) Very Happy Very Happy
¶ RVW – Fantaisie Tallis– Chicago SO, Levine (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
J'aime bien ces œuvres, mais c'est juste parce que j'étais trop occupé pour changer le disque que je les ai entendues aujourd'hui. Mr. Green

¶ Holst – Mars pour orgue– arrangement et exécution par Stangier (Acousence) Very Happy Very Happy
Beaucoup plus raide, forcément.
¶ Holst – Les Planètes pour quatre mains– ZOFO Duet (Dorian Sono Luminus) Very Happy Very Happy Very Happy
Change totalement le visage de ces pièces, et on y entend le lien direct avec Debussy, dans Venus ; ainsi que d'autres filiations ailleurs.

¶ Holst – Symphonie en fa– Ulter O, Falletta (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Vraiment très sympathique, couleurs locales et médiévalisantes !  Pas un chef d'œuvre, mais roboratif !

¶ Holst – A Fugal Overture– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Profusif (mais assez peu fugué), très sympathique.
¶ Holst – A Somerset Rhapsody– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy
Jolie cantilène.
¶ Holst – Beni Mora– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Smile
Hit absolu dans l'histoire de se forum. Très sympa dans le genre de la caricature coloniale (moi j'aime bien ces trucs bigarrés qui ne ressemblent à rien). Sa caractéristique majeure est son final, avec le motif de flûte qui se répète en boucle sans moduler, pendant toute la pièce !
¶ Holst – Hammersmith– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Très méditatif, ample et sombre, puis pépiant de façon farouche, assez riche.


¶ Holst – Scherzo – LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Smile
¶ Holst – Japanese Suite – LSO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy


Cycle orchestres de Radio des Pays-Bas


¶ (Yves) Ramette –Symphonie n°5– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Jan Stulen (Navona) Very Happy Very Happy Very Happy 
♪♪ Quoique du second XXe, complètement tonal – c'était un organiste… –, et on y entend beaucoup d'effets reçus de Beethoven et Mahler, quoique l'harmonie soit clairement du (début du…) XXe siècle. Anachronique, mais assez bien fait.


¶ Diepenbrock – Lieder orchestraux (anniversaire vol.3) – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, London Promenade O, Residentie Den Haag, Otterloo, van der Berg et autres Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Diepenbrock – Lieder orchestraux (bissé)
♪♪ De très belles mises en musique de poèmes célèbres en néerlandais, allemand (Heine, Brentano, Novalis) et français (Baudelaire, Verlaine), d'un beau lyrisme calme, de beaux miroitements orchestraux, et une très belle poésie, français inclus – on peut songer, en particulier dans la Bonne Chanson, à une sorte de Fauré qui aurait un talent d'orchestrateur beaucoup plus diaphane et irisé, plus rural aussi.
♪♪ Évidemment, Otterloo procure un relief tout particulier à ses participations, et pour ne rien gâcher, les poèmes français sont interprétés par Bernard Kruysen ! Vraiment un disque à entendre.

¶ (Benjamin) Wallfisch – Speed – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, B. Wallfisch (Quartz) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
♪♪ L'occasion de vérifier la considérable maîtrise technique de l'orchestre (j'en vois de plus haute renommée, comme la Radio du Danemark ou le Royal Philharmonic, qui auraient probablement un peu plus de peine à tenir ce type de stress test), avec des sur-suraigus impeccablement justes, des articulations rythmiques complexes parfaitement nettes, des timbres inaltérés par l'effort.
♪♪ Cette pièce de 13 minutes explore des atmosphères très différentes et assez figuratives. Rien d'original, on retrouve les cliquetis en nuage, les rafales de cuivres varésiens, des suspensions plus chostakovitcho-herrmannien… car tout en utilisant les outils de l'orchestre du XXe siècle, Wallfisch écrit une musique complètement tonale, une sorte de Connesson qui aurait pris en compte Ligeti et Murail. Et cela fonctionne assez bien, à défaut de révolutionner quoi que ce soit.

¶ Michael Torke (1961-) – Livre des Proverbes – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Ecstatic Records & Decca) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
♪♪ Quelque part entre l'atmosphère déhanchée de Bernstein et quelque chose de plus minimalisme, pas si éloigné des harmonies pures de Gregory Spears (Fellow Travelers, pour ceux qui ont le tort de ne pas lire CSS), très simple, très agréable, doucement dansant.

¶ Wagner-Vlieger – Suite des Meistersinger– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Challenge Records) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Wagner-Vlieger – Deux entractes tragiques– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Otto Tausk(Challenge Records) Very Happy Very Happy Very HappySmile
Ça ressemble beaucoup à Rosamunde de Schubert…

¶ Wagner-Vlieger – Suite des Meistersinger – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Bissé.
¶ Wagner-Vlieger – Suite de Tristan– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Smile
Déçu en réécoutant : franchement, les Appels sans la ligne mélodique, et cet enchaînement d'accompagnements, bof. Mais je crois que j'aime moins Tristan, aussi, tout simplement.

¶ Herman Strategier – Rapsodia elegiaca – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Haitink (Etcetera) Very Happy Smile
¶ Herman Strategier – Musique pour faire plaisir – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Krol (Etcetera) Very Happy Very Happy
¶ Herman Strategier – Concerto pour accordéon – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Krol (Etcetera) Very Happy Very Happy
¶ Herman Strategier – Sextuor – Hexagon Ensemble (Etcetera) Very Happy Very Happy 
¶ Herman Strategier – Partita in modi antichi – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Spruit (Etcetera) Very Happy Very Happy Smile
¶ Herman Strategier – Præludium en Fuga – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Fournet (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy
Ces deux orchestres ont une histoire totalement distincte (le premier est celui de Hilversum, jamais fusionné, le second le fruit de nombreuses fusions et dissout depuis 2014). Pour l'anecdote, le Philharmonique est le premier orchestre que Haitink ait dirigé en concert public, en 1954 (il en a pris la tête en 1957, avant que Fournet ne lui succède, ce qui ne le rajeunit pas exactement).
Sinon, des pièces assez délibérément archaïsantes de ce compositeur local ; je n'ai rien trouvé de bouleversant là-dedans, sauf le Prélude & Fugue très sympathique.

¶ Joep Franssens – Roaring Rotterdam – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, G. Albrecht (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Tonal mais d'une écriture « globale », par blocs, atmosphérique, alla Corigliano. Très séduisant au demeurant.
¶ Joep Franssens – Harmony of the Spheres – Chœur de la Radio des Pays-Bas, G. Albrecht (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Splendide écriture planante, dans la veine de ce que font les meilleurs nordiques.
¶ Joep Franssens – Magnificat – Chœur & Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, G. Albrecht (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy
Très réussi aussi, dans ce genre.

¶ Badings – Scherzo symphonique – Orchestre de la Radio des Pays-Bas, Henrik Schaefer (Etcetera) Very Happy Smile
¶ Badings – Concerto pour violoncelle n°2 – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Michael Müller, Henrik Schaefer (Etcetera) Very Happy Smile
¶ Badings – Symphonie n°2 – Orchestre de la Radio des Pays-Bas, Henrik Schaefer (Etcetera) Very Happy Very Happy
L'Orchestre de la Radio des Pays-Bas a lui été fusionné (lui-même fruit de fusions), dans le Philharmonique de la Radio que vous voyez dans le reste de la playlist. Il n'est pas directement lié non plus à la Chambre Philharmonique de la Radio. Je vous ferai un petit schéma dans le bon fil le moment venu, car le Philharmonique des Pays-Bas, le Symphonique des Pays-Bas, le Phliharmonique de la Radio des Pays-Bas, le Philharmonique de Chambre des Pays-Bas, l'Orchestre de la Radio des Pays-Bas, l'Orchestre de l'Omreop (Radio des Pays-Bas) et le Symphonique de la Radio des Pays-Bas sont tous des orchestres différents, même pas tous dans les mêmes villes. hehe 
Sinon, Badings ? Du Badings : du postromantisme XXe tardif bien fait, mais pas particulièrement palpitant.

¶ Per August Ölander – Symphonie en mi bémol – Symphonique de Västerås, Harry Damgaard (Sterling) Very Happy Very Happy 
¶ Bengtsson – Vettern – Symphonique de Gävle, Liljefors (Sterling) Very Happy Very Happy
¶ Weyse – Sovedrikken (Ouverture) – Orchestre Royal Danois, Hye-Knudsen (Sterling) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Du beau classicisme tardif, plein d'entrain !
¶ Olsson – Symphonie en sol mineur – Symphonique de Gävle, Liljefors (Sterling) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Tellement Alfvén, dans le début de l'adagio !

¶ R. Strauss – Salome (entrée de Salomé jusqu'à sortie de Jibé) – Bumbry, Wixell, RAI Torino 1979, Dohnányi (bande radio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Le son est vraiment défavorable, on entend surtout les défauts de l'orchestre, et assez mal les chanteurs ; par ailleurs peu de mots chez Bumbry, et Wixell qui essaie d'épaissir de façon absurde, un peu décevant par rapport à l'idéal promis par l'affiche. 

¶ Lyapunov – Symphonie n°1 Very Happy Smile
Très gentil, plutôt agréable, mais absolument inoffensif ; on retrouve les thèmes russisants qui affleurent chez Tchaïkovski, sauf qu'ici il ne se passe à peu près rien. 

¶ Schumann – Genoveva – G. Albrecht (Orfeo) Very Happy Very Happy Smile
Autant cette œuvre me grise avec Masur, autant à chaque fois dans les autres contextes, même en concert, j'y entends surtout sa faible veine mélodique, son statisme, ce qu'elle veut tenter sans y réussir. 

¶ James Carr – The Dark End of the Street (& album) Very Happy Very Happy Very Happy

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Cycle Engegård SQ

Je découvre cet ensemble récent (fondé en 2006) et le mets à l'épreuve. Arvid Engegård, le premier violon, lui donne son nom, et il arrive, de fait, après une carrière particulièrement accomplie : nombreux enregistrements comme soliste, ancien konzertmeister de la Camerata de Salzbourg sous Végh, ancien premier violon du Quatuor Orlando…

¶ Schumann – Quatuor n°3 (scherzo) – Engegård SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Ce scherzo est un bon test, et BIS y confirme sa clairvoyance en matière de choix de quatuors à cordes : non seulement personne ne les capte mieux, mais comme pour le Stenhammar SQ, on a ici du tout premier choix. J'ai rarement entendu un son aussi fin et un discours aussi étagé et engagé dans du Schumann. Le scherzo a proprement parlé est encore plus ardent chez d'autres, mais l'ensemble du corpus de Schumann est en revanche porté à un degré d'intelligence rare, alors qu'il n'est pas forcément très avenant ni coloré. 

¶ Haydn – Quatuor Op.77 n°1 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Finesse, énergie, hauteur de vue… encore plus fort que les Alcan, avec un son splendide (très typé norgévien, on croirait entendre Trondheim, où Engegård a étudié et débuté !).
¶ Haydn – Quatuor Op.76 n°3 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Et ici, ça égale tout à fait les Takács, soit l'absolu absolu de ce qu'il est possible de faire en structure et en chaleur. Grand, grand ; et ceux qui y parviennent dans Haydn sont excessivement rares.

¶ Bartók – Quatuor n°5 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy 
Vraiment pas celui que j'aime le plus, mais joué avec cette finesse de trait, cette aération, cette lisibilité, on sent davantage la jubilation musicale que les affects oppressants qui s'y bousculent !

¶ Haydn – Quatuor Op.76 n°5 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Grieg – Quatuor – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Smile

¶ Schumann – Quatuor n°1 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Schumann – Quatuor n°2 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Schumann – Quatuor n°3 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Grande, grande référence ! 

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¶ Weingartner – Septuor pour piano et cordes – Ensemble Acht, Triendl (CPO) Very HappyVery Happy Very Happy
¶ Weingartner – Octuor pour piano, vents et cordes – Ensemble Acht, Triendl (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Très agréable, sans qu'il y a là d'exceptionnellement marquant. Autant j'ai adoré le pastoralisme trop classique pour ne pas être un peu décadent (sorte de Mozart romantique qui sait secrètement que Schreker existe) de la Première Symphonie, et beaucoup goûté la sobriété des guatuors, autant je n'ai pas complètement senti la nécessité de l'exhaustivité des publications (j'ai écouté les six symphonies parues, et elles se ressemblent vraiment beaucoup, sans apporter de couleurs nouvelles).
Il en va un peu de même avec ces pièces de chambre, surtout le Septuor : beau mouvement lent, belle Danza funebre (pas du tout solenelle ni terrible ni funèbre) finale, mais mobiliser un septuor pour tenir le propos d'un trio du milieu du XIXe siècle, pourquoi ? L'Octuor va chercher des alliages de couleurs un peu plus originaux grâce aux vents (grosse place de la clarinette et du cor) ; on a un peu l'impression d'entendre du post-Czerny, mais comme pour la Première Symphonie, l'œuvre conserve sa verve et son charme propres.




À bientôt pour de nouvelles aventures – tout aussi exotiques, mais je l'espère plus ordonnées et consistantes !

dimanche 15 juillet 2018

Les chanteurs et le rythme – ou pourquoi diriger l'opéra italien est un métier


Non, cette notule ne consistera pas en un infâme persiflage autour des aptitudes des chanteurs (aigus et italiens en particuliers) à respecter les rythmes écrits – elle essaiera, pour cette fois, de s'interroger un peu plus avant sur le rapport au texte musical. Je m'en tiendrai donc aux rapports licites et non aux grosses vautrades (très amusantes par ailleurs) qu'on peut trouver en abondance en ligne, et qui sont plus aisées à s'expliquer.

Je vais même faire mieux, je vais tâcher de vous montrer ce que produit la maîtrise du rubato en dehors des aigus allongés – comme d'habitude, extraits sonores à l'appui.

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« Giunto sul passo estremo » de Mefistofele, chanté par Giuseppe Di Stefano et accompagné par Bruno Bartoletti (tiré d'un récital DGG).



A. Un exemple commun

Tiré de Mefistofele de Boito, le très verdien opéra à succès qui se voulait wagnérien, je vous propose le dernier air de Faust, dans l'Épilogue (« Giunto sul passo estremo »). Son texte correspond de très près à la scène de Minuit du Faust II (on la trouve aussi, mot pour mot cette fois, chez Schumann) : Faust, après toutes ses aventures méphistophéliques, revenu au soir de sa vie, médite enfin pour le bien de l'humanité, et a la vision d'un monde meilleur, où les pouvoirs immenses conférés par l'Enfer lui permettraient d'assainir les marais pour y bâtir ville et champs. (Après quoi, il est saisi par la beauté de la chose, dit à l'instant de s'arrêter, et au moment où Méphisto veut se saisir de lui, les Chérubins célestent l'emportent comme un saint.)

Schumann traite ce moment de façon assez variée et complexe (parce qu'il utilise le texte de Goethe d'origine, très riche), le tourment laissant la place à l'illumination, puis à la fanfare épique des pioches et des pelles. Boito le concentre dans un air, mélancolique (le temps a passé, il n'a rien accompli) et extatique à la fois (la vision d'avenir).

C'est, du point de vu formel, une simple alternance de type ABB'A', avec une mélodie principale très prégnante dont la seconde est issue.

L'accompagnement aussi est particulièrement sobre, des accords de cordes (souvent alternés basse / accord). Mis à part de brefs mouvements conjoints de la basse (moins une mélodie qu'un procédé basique d'harmonie), quasiment aucun contrechant d'accompagnement, aucun effet. Parfait pour notre petite expérience.

Si vous ne lisez pas la musique, il est tout à fait possible de suivre les effets relevés : avec le texte sur la partition.

giunto sul passo mefistofele boito
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giunto sul passo mefistofele boito
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B. Gianni Poggi : come scritto

La lecture proposée par Gianni Poggi est largement traditionnelle : elle respecte globalement les indications, avec quelques divergences mineures comme la place des ports de voix (qui peuvent être dues à des différences de tradition, de goût stylistique, mais aussi tout simplement d'édition).

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Gianni Poggi chante l'air accompagné par la Scala dirigée par Franco Capuana. (Tiré de l'intégrale avec Giulio Neri.)

giunto sul passo mefistofele boito
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J'attire votre attention sur quatre éléments surtout :

→ Poggi chante la scène de façon très ronde et liée (legato), avec beaucoup de moelleux (morbidezza), vraiment comme la cantilène d'un air. Il supprime même quelques accentuations, le propos est quasiment belcantiste dans cet opéra qui se revendiquait postwagnérien (mais ne l'était pas au bout du compte, cela dit !).

→ Il accorde un soin tout particulier à la réalisation des voyelles doubles – en italien, elles ont beau ne compter que pour une syllabe (I-ta-lia), on les prononce de façon séparée (I-ta-liya), de même pour l'hiatus, lorsqu'elles se rencontrent entre deux mots distincts, fussent-elles identiques : on les prononce.
C'est une difficulté en musique : on a une seule note (donc une seule émission de voix, une seule durée) et deux voyelles distinctes à placer.  Elle est souvent résolue à la louche par les chanteurs, qui les placent lorsque cela les arrange, ou tendent à les escamoter – il existe d'ailleurs des élisions officielles en italien poétique (core ingrato > cor ingrato, comme dans le seria) ou dialectal (core ingrato > core 'ngrato, comme dans la chanson napolitaine).
Poggi, lui, les place très exactement sur des subdivisions de la durée attachée à la note (double pointée + triple pour le premier « bea », deux doubles pour le second), on entend bien le côté « carré » de la réalisation, comme si c'était écrit et non  improvisé. (Cette rigueur, qui permet une articulation très audible des mots, a beaucoup de charme en ce qui me concerne, aussi bien pour l'attitude que pour le résultat.)

→ Poggi est néanmoins un spécialiste de musique italienne, et un chanteur de son temps : les rythmes ne sont pas toujours exactement réalisés, indépendamment des effets délibérés de ralentissiment. J'en ai souligné quelques exemples dans la reprise du thème A : des pointés qui sont un peu dépointés (rapport 2/3 plutôt 3/4 sur la durée de la note principale), des croches qui n'ont pas la même durée… Ce peut être le fait d'une volonté expressive, de suivre la prosodie ou de seconder le sens du mot, mais c'est aussi assez souvent le fruit d'une certaine indifférence à la lettre, le chanteur exécutant globalement la phrase, sans chercher, comme un instrumentiste, à la placer exactement. On peut discuter de la justification (naturel) et des limites (cela peut rendre des mesures ou des accords faux), même de la posture morale, mais c'est la norme à cette époque, et encore assez largement dans le répertoire romantique italien, de nos jours.

→ Autre particularité effleurée ci-dessus, qu'il partage avec la quasi-totalité des interprètes de Verdi, la tendance au fort ralentissement en fin de phrase, et encore davantage s'il s'agit d'émettre des aigus. Mise en valeur d'un galbe de phrase, et plus encore ronds-de-jambe-de-voix. Ils ne sont pas tous marqués, et certains élargissements prévus du tempo deviennent de véritables points d'orgue… c'est le style qui veut ça – je m'en passe sans frustration, mais ce n'est pas gênant pour autant.
Songez tout de même que cela suppose, même à ce petit degré, une réelle flexibilité de la part des musiciens, tous les chanteurs ne réalisant pas ces ralentis de la même façon, ni même tous les soirs de façon identique !  (en particulier les tenues, qui ne sont que rarement des multiples de la valeur écrite, souvent uniquement définies par la quantité d'air disponible pour émettre une note timbrée… il faut être réactif et disposer de belles qualités d'anticipation !)



C. Mario Del Monaco : l'ivresse du rythme

Ce que je trouve le plus remarquable, chez Mario Del Monaco, ce n'est pas l'airain de la voix, la hardiesse de l'aigu, le volume sonore, l'éclat du timbre… c'est bel et bien le musicien. Cet air en donne un bon exemple : hors un début d'épanchement très logique à la fin, il n'impose pas de contorsions à l'accompagnateur, la pulsation est très régulière, les rythmes très exactement réalisés.

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Toutefois, Del Monaco est tout le contraire d'un chanteur scolaire, car la netteté de ces attaques rythmiques, la propreté de ses détachés lui permettent de créer une sorte d'effet d'agitation, qui procure l'impression que le tempo, pour ne pas dire le rythme cardiaque, s'accélère. Une illusion saisissante que vous entendrez mieux dans cet extrait du Trouvère :
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Cette sûreté du parcours et son caractère habité sur un plan non seulement vocal mais musical, même au niveau le plus fondamental de l'exactitude solfégique, est assez rare chez les chanteurs, particulièrement dans le répertoire romantique italien, et le place un peu à part. Mais elle convoque une forme très particulière d'éloquence et d'émotion, qui a en outre l'avantage de libérer totalement les musiciens accompagnateurs de la charge de suivre les fantaisies de la scène au risque de sacrifier la musique. Dans un air simple comme celui-ci, ce n'est pas un problème, mais dans les grands ensembles à tuilages, lorsque le ténor ou la soprane commencent à prendre leurs aises, l'orchestre finit par ne plus chercher qu'à tomber à peu près sur les mêmes temps déformés qu'eux, et à ne plus trop se préoccuper de l'inspiration musicale…

On peut par ailleurs trouver la voix un peu dure, les nuances un peu fortes, le timbre un rien monochrome, mais cette sécurité rhétorique fait de Del Monaco un chanteur infiniment plus intéressant, à mon gré, que la plupart de ses contemporains dotés de timbres plus flatteurs.



D. Luciano Pavarotti : le grand équilibriste

À l'opposé de la rigueur delmonacienne, il y a la science vaporeuse du rubato – c'est-à-dire de l'écart (savant) que l'on prend délibérément avec le rythme écrit, et qui excède la quantité mathématique de la mesure. Il serait facile de collectionner les exemples où le chanteur met l'orchestre dans le décor, oublie un temps, manque son entrée, tient un aigu sans décompte juste, change sans cesse le tempo selon son humeur expressive ou son confort vocal… mais je me suis limité, dans cette notule, à l'aspect positif de cette question, à sa maîtrise.

Et dans cet air, je crois que Pavarotti nous montre le point jusqu'auquel on peut aller dans l'extrême du tempo flexible, toujours légèrement en-dehors.

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giunto sul passo mefistofele boito
giunto sul passo mefistofele boito

Il convient de préciser à ce moment que Pavarotti n'est pas, contrairement à la légende, un illettré solfégique : il n'était sans doute pas un prince de la dictée musicale à sept voix, mais il lisait bel et bien la musique (de multiples vidéos, pendant des masterclasses ou des concerts, le montrent en train de lire très soigneusement la partition). Je ne serais pas étonné qu'il ait laissé prospérer cette rumeur qui le décrit, finalement, comme une sorte de naturel absolu ; ou bien est-ce l'Envie qui a parlé, cherchant à le dépeindre comme un rustre à joli timbre.

[Pour ma part, je me sens assez à rebours de ce qu'on lit habituellement sur Pavarotti : ses jeunes années m'ennuient, avec une voix tellement parfaite qu'elle est monochrome, et un chanteur qui n'exprime rien ; à partir des années 80, les [a] s'ouvrent, la couverture se fait plus raisonnable, l'artiste met bien plus en avant le texte. Et chez lui aussi, ce n'est pas tant le timbre que la clarté absolue du texte et la science de la ligne qui forcent le respect – même si la perfection du timbrage tout en haut de sa voix fascineront violemment l'amateur de chant.]

Il est difficile de relever précisément des effets spectaculaires : en plus de le prendre très lentement (Del Monaco étant lui assez rapide par rapport à l'usage), Pavarotti tend à élargir les fins de mesure, un effet assez courant dans les adagios orchestraux. La combinaison des deux facteurs procure une impression de suspension et d'éternité très congruente avec le sujet de l'air, mélange de sentiment mélancolique du temps qui passe et d'aspiration à l'immortalité.

Si vous essayez de battre la mesure, vous verrez que Pavarotti est toujours très légèrement en-dehors, le tempo ne bouge que très peu, mais il fait toujours traîner l'attaque du temps suivant, accroissant cette impression d'immobilité assez extraordinaire.
Cela s'entend aussi très bien en se concentrant sur l'accompagnement : on perçoit sans équivoque qu'il n'est pas régulier mais reprend son souffle pour attendre le chanteur.



E. Ce qu'on en retire

À quoi bon avoir usé mon temps et votre patience à ce petit jeu ? 

On parle beaucoup de timbre, de justesse, de volume lorsqu'on devise de technique vocale (et j'y ai moi-même contribué ma part) ; plus rarement de solfège et de rythme.
Alors qu'il est un parent pauvre des formations (à telle enseigne qu'il existe une matière nommée « solfège chanteurs », contrairement à ce qu'on pourrait attendre plus sommaire que pour les instrumentistes qui n'ont pourtant pas besoin de chanter juste !), même si le niveau en la matière s'est énormément élevé dans le dernier demi-siècle, je crois qu'on néglige l'importance qu'il peut avoir dans l'expression.

Une voyelle proprement placée sur une subdivision du temps (comme Penno), un détaché propre qui transmet les agitations de l'âme (comme Del Monaco), une allongement des valeurs à des endroits stratégiques qui suspendent le temps perçu (comme Pavarotti), cela peut changer un beau tour de chant en moment ineffable, d'une puissance expressive sans comparaison.

C'était aussi l'occasion de rendre hommage aux chefs et musiciens de fosse, qu'on critique volontiers pour leur impavidité ou leurs décalages… Vous avez vu le nombre de paramètres, pas toujours concertés, qu'il faut anticiper, et je n'ai choisi que de très bons élèves !
Alors avec les chanteurs moins aguerris, ou qui se moquent assez de la musique et des accompagnateurs, je vous laisse vous figurer la panique permanente qu'il faut gérer – car le public ne reprochera jamais à un chanteur d'avoir tenu un aigu sur une durée qui n'est pas une subdivision rigoureuseuse de la mesure, ou de se mettre soudain à faire tel effet non prévu… en revanche une débandade en fosse parce qu'il faut supprimer deux temps coupés sans prévenir par la soprane, ou le caractère très scolaire d'un accompagnement parce que tous les musiciens ont les yeux rivés sur le chef, lui-même tremblant de manquer la prochaine erreur de rythme du ténor… cela ne sera pas de même pardonné.

Il existe aussi, j'en suis conscient, un certain nombre d'orchestres de fosse qui laissent percevoir leur ennui lorsqu'ils dirigent des musiques moins intéressantes pour eux (typiquement Rossini-Donizetti-Verdi)… pourtant quoi qu'il en soit, suivre des chanteurs dans le répertoire romantique italien, il là s'agit d'un véritable métier, et l'on voit bien pourquoi ces chefs qui ne sont peut-être pas de grands bâtisseurs de son mènent une carrière exclusivement en fosse et dans ce répertoire, parce qu'il y faut des qualités musicales très particulières… celles qu'on enseigne au suggeritore !

Rappelez-vous de l'expulsion du Met de Leonard Slatkin, grand chef capable de diriger les œuvres les plus subtiles, parce qu'il avait été incapable de suivre les improvisations fantaisistes d'Angela Gheorghiu. (Je n'ai pas entendu la bande, donc je n'ai pas d'avis sur qui est réellement responsable, mais combiner la rigueur rythmique et l'écoute relatives de Gheorghiu à un chef qui a l'habitude de diriger des symphonies réglées au cordeau était manifestement un pari malavisé.)
Les deux s'étaient renvoyé la faute dans la presse… mais qui de la soprane ou du chef croyez-vous qu'on bannît pour jamais du théâtre ?

dimanche 10 juin 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #7 : espagnols, celtiques, scandinaves, finno-ougriens


Précédents épisodes :
 principe général du parcours ; 
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ; 
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français ;
#5 programmation en anglais ;
#6 programmation en polonais, tchèque, slovaque, slovène et croate ;
#7 programmation (ci-présente) en espagnol, gaélique irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien, hongrois.

À venir : il ne reste plus que la grosse notule sur les les opéras contemporains ; pas tous, seulement ceux intriguants, amusants (ou même réussis, car cela arrive quelquefois).



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La salle du Teatro Solis, une des scènes d'opéra de Montevideo.



Opéras en espagnol

Les raretés sont essentiellement des zarzuelas, évidemment – c'est-à-dire des opéras espagnols d'essence légère. Légèreté qui est plus théorique qu'absolue, de même que l'opéra comique en France… on y trouve aussi bien des fantaisies loufoques comme El dúo de La Africana de Fernández Caballero (histoire de préparation dysfonctionnelle d'une représentation de Meyerbeer) que des histoires d'amour plus traditionnelles et sérieuses. Néanmoins, il ne faut pas se laisser abuser par l'utilisation générique du titre hors d'Espagne pour désigner quasiment tous les opéras espagnols qu'on ne joue pas ailleurs : les opéras à sujet véritablement sérieux, comme Marina d'Arrieta ou El gato montés de Penella Moreno, ne sont pas des zarzuelas.

Les quatre pièces que j'ai retenues comme raretés sont en réalité des standards du répertoire hispanohablante, largement et luxueusement enregistrées ; régulièrement données malgré leur peu de notoriété à l'échelle mondiale.

Bretón, La verbena de la paloma à Montevideo (Uruguay)
→ Le grand standard de la musique légère (género chico). Le livret a abouti dans les mains de Bretón à la suite d'une série de défections, et bien que moins expérimenté que les premiers pressentis, ce fut un grand succès dès la première de 1894.
La musique, malgré la date, demeure très simple, surtout au service des scènes pittoresques et piquantes, de morceaux de chansons, de personnages de caractère, tout cela pendant une fête de la Vierge à Madrid.
→ [vidéo]

Penella Moreno, El gato montés (Zarzuela de Madrid, Kaiserslautern)
→ L'un des titres les plus célèbres (alors qu'on serait souvent bien en peine de citer le compositeur), en particulier à cause du paso doble qui a acquis sa célébrité propre hors du contexte de l'opéra.
→ Juanillo, un hors-la-loi, aime et est aimé de Soleá, gitane protégée de Rafael, le torero (qui l'aime également, que croyiez-vous). Les deux hommes s'affrontent à coup de navaja mais sont séparés par la fille de bohème. Tout cela m'évoque confusément quelque chose de familier, mais quoi ?  (Spoiler : ça ne finit pas très bien.)
→ L'œuvre, quoique de 1917, est écrite dans un romantisme tout à fait traditionnel (post-verdien, disons), qui prend simplement en compte certaines avancées de l'orchestration et de l'harmonie (de jolies doublures de bois qu'on ne trouve pas en 1850 et des enchaînements un peu plus variés) – les doublures de lignes chantées par les cordes, typiques de Puccini, sont aussi adoptées par Moreno comme Sorozábal. Du point de vue de la composition, ce n'est pas un chef-d'œuvre particulièrement singulier, mais l'œuvre est robustément écrite et, parmi les œuvres de langue espagnole, fait figure de modèle dans ce genre lyrique et pathétique.
→ [écouter]

Sorozábal, La tabernera del puerto (Zarzuela de Madrid)
→ Alors que nous sommes en 1936, Sorozábal écrit un opéra qui s'apparente davantage à du Delibes. Là aussi, du véritable romantisme, mais il s'agit d'une zarzuela, donc pas du tout dans le même esprit pathétique qu'El gato montés : la musique demeure toujours intensément lyrique et lumineuse, dotée d'une veine mélodique évidente et généreuse qui a fait son succès. Là non plus, on ne révolutionne rien, mais le résultat est très séduisant, quelque part entre l'Élixir d'amour et le postromantisme puccinien.
Le livret se déroule, à une époque contemporaine de la composition, dans un port imaginaire de la côte Nord de l'Espagne, où la tavernière Marola fait tourner toutes les têtes sans rien demander. Pour se débarrasser de Leandro (qu'elle aime), le père de Marola l'envoie s'occuper d'un chargement de cocaïne (!). Leandro est englouti dans les mers et réapparaît miraculeusement à la fin, ce qui entraîne la confession du père sur le piège tendu (il finit en prison).
→ L'air de Leandro (le soupirant cocaïné) « Non puede ser » reste donné quelquefois en récital par les ténors de langue espagnole.
→ [écouter]

Piazzolla
, María de Buenos Aires (Staatsoperette de Dresde, Halle, Graz, Nashville, San Diego, Eugene dans l'Oregon)
→ Est-ce réellement un opéra, ou une comédie musicale écrite dans le style tango, difficile à dire. L'œuvre, qui n'est pourtant pas célèbre en soi, connaît en tout cas une fortune impressionnante à travers le monde, forte de la notoriété de Piazzolla… Et de fait, ça ressemble à un concerto pour bandonéon et voix, sis sur des textes d'Horacio Ferrer… Il faut dire que le résultat est réjouissant et véritablement accessible à quiconque n'a pas en horreur le tango – une sorte de version étoffée et complexifiée des chansons et danses habituelles.
→ [écouter]



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La grande salle de concert de Dublin, où Eithne a été donné cette saison.



Opéras gaéliques

Le gaélique irlandais est institutionnellement la première langue officielle de la République d'Irlande, devant l'anglais (quoique beaucoup moins parlée et comprise). Elle est indo-européenne, mais d'un groupe qui n'a beaucoup de locuteurs et n'est adossé à aucun état. Elle est parente du gaulois ou, plus proche, du gallois et du breton. À l'opéra, elle est essentiellement présente par Eithne d'O'Dwyer, encore régulièrement donnée.

O'Dwyer, Eithne en irlandais (Dublin)
→ Militant de la mise en valeur de la culture gaélique, O'Dwyer est le premier à proposer un opéra représenté en gaélique, et cela explique le caractère emblématique d'Eithne, régulièrement redonné en Irlande ces dernières années, après une période d'éclipse… à chaque fois une sorte de célébration nationale, quelque chose que les locuteurs de langues plus dominantes que menacées, comme l'anglais ou le français, ne peuvent pas pleinement appréhender.
→ La première tentative remontait à 1903 (un opéra de Thomas O'Brien Butler), mais l'opéra Muirgheis avait finalement été représenté en anglais !
→ Son style demeure très romantique, et m'évoque beaucoup celui des opéras anglais du milieu du XIXe siècle (même vocalement, on pourrait croire, en entendant les timbres anglophones et les accentuations, qu'il s'agit d'anglais mal articulé, alors que la langue parlée n'a véritablement aucun rapport) : on songe vraiment à Macfarren (Robin Hood), voire Balfe (Satanella) ou Wallace (Maritana, Lurline…) – ces deux derniers nés irlandais, au demeurant – avec un orchestre (un peu) plus riche.
→ Rien de très singulier, donc, mais agréablement écrit, et sans doute émouvant quand on connaît la langue – sinon, à l'oreille, la différence n'éclate pas, et à tout prendre j'aime davantage les fantaisies de Macfarren.
→ [vidéo]… du concert de cette saison !



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L'intérieur du célèbre Opéra de Copenhague.



Opéras danois

Kuhlau, Lulu (Copenhague)

→ Grand succès national, ce n'est évidemment pas la Lulu de Wedekind en 1824, mais le Prince Lulu, emprunté au conte de Weiland qui servit également de source à la Flûte enchantée de Schickaneder et Mozart. Opéra très vivant, nombreux dialogues entre solistes et chœurs, flux très animé, comparable aux opéras de Spohr et de Schubert, avec quelques airs vocalisants qui se rapprochent davantage du Rossini seria. La fin inclut même du mélodrame (voix parlée accompagnée), et le chœur final navigue quelque part entre Mozart et Hérold. Mérite vraiment d'être connu : le nombre de parentés qu'on est obligé de cité montre bien sa singularité, car le langage en est très cohérent et personnel, d'une grande plasticité dramatique.

→ La vie de Kuhlau est peut-être plus célèbre que son œuvre : reconnaissable sur les portraits à son œil manquant (il est tombé sur la glace à sept ans), il a quitté Hambourg en 1810 (six ans après le début de sa carrière locale) pour fuir la conscription napoléonienne. L'essentiel de sa production de maturité est donc danoise, au point de devenir l'emblème de l'opéra de ce pays et dans cette langue.

→ Son premier opéra danois se fondait sur son équivalent littéraire qui fait la bascule vers le romantisme, Oehlenschläger. Quant à son opéra le plus glorieux en son temps, une comédie (ElverhøjLa Colline aux Elfes), il n'est plus guère joué, alors qu'il inclut des thèmes (sonores) folkloriques et un hymne à la royauté… c'est aujourd'hui Lulu, un drame plus pur, qui occupe la place de principal opéra national danois.

[Vidéo tirée de la production de cette saison.]



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La grande salle de concert d'Oslo – où l'on se rend compte que, dans ces villes du Nord, l'absence d'enjeu du nombre permet de réaliser de belles salles sans doute très satisfaisantes acoustiquement et visuellement.



Opéras en bokmål

Il existe en réalité deux langues qu'on nomme norvégien en français ; apparues toutes deux de façon délibérée au milieu du XIXe siècle, elles ont suivi une logique exactement inverse. Le nynorsk (néo-norvégien, 20% des locuteurs) se fonde sur l'unification de vieux dialectes du fonds nordique commun, plus proches de l'islandais et du féroïen ; à l'inverse, le bokmål, la langue des villes (80% des locuteurs), est une adaptation du danois à la prononciation et au vocabulaire spécifique de la Norvège. Les deux ont leur littérature, mais le bokmål est celui des deux norvégiens qui est connu à l'étranger : c'est la langue d'Ibsen, la langue des opéras de Borgstrøm, celle dans laquelle on chante Les Miz, celle aussi des fictions télévisuelles (comme la remarquable série Okkupert de Nesbø… on y entend du bokmål, du russe, de l'anglais, du suédois… mais pas un pouce de nynorsk, même dans les parties qui se déroulent à la frontière Nord).
J'avais retracé rapidement cette bizarrerie dans cette ancienne notule.

Irgens-Jensen, Heimferd en bokmål, à Oslo
→ Un postromantique norvégien de valeur (sa Symphonie vaut le détour), ici c'est un oratorio qui est donné, au caractère très évocateur, dans la tradition de la grande cantate symphonique et épique qui court de Schumann (La Malédiction du Chanteur, Le Page et la Fille du Roi) et Gade (Comala) à Mahler (Klagende Lied) et Schönberg (Gurrelieder).
→ [extraits] tirés du disque Ruud avec Stene, Bjørkøj et le plus bel orchestre du monde…




opéra göteborg
Couleur locale de l'Opéra de Göterborg.



Opéras en suédois

Menotti, Le Téléphone en suédois (Göteborg)
→ Un des titres les plus charmants de tout le répertoire, musique très accessible (mais plus en conversationnel qu'en sirop flonflonnisant), une saynète sur l'intrusion des technologies dans la vie sociale et amoureuse. Il est souvent traduit en langue vernaculaire (je l'ai vu sur scène en français il y a quelques années), et c'est un moment délicieux dont je me sens encore imprégné.




opéra tallinn
Architecture ecclésiale (et blancheur russisante) à l'Opéra de Tallinn.
Le bâtiment extérieur est pourtant immense, mais la salle de taille réduite.



Opéras estoniens

L'estonien n'est pas une langue balte, mais ouralienne, très proche du finnois. On l'entend bien, même à l'Opéra, à la répétition de syllabes, en fin de mot… Les techniques de chant aussi, souvent un peu rocailleuses (pas totalement en avant, avec des timbres un peu râpeux), sont très comparables.

Tamberg, Cyrano de Bergerac (Tallinn)
→ Compositeur estonien contemporain (mort en 2010). Cyrano (1974) est écrit dans une langue sonore délibérément archaïsante, que je trouve assez irrésistiblement charmante – un peu à la façon du Henry VIII de Saint-Saëns ou du Panurge de Massenet, pour situer. Cela sied si bien au ton à la fois lointain et badin, épique et familier qui parcourt l'ouvrage. Contrairement à Alfano (à mon sens plus loin de l'esprit, même si l'acte V est une merveille), ici Cyrano est baryton et non ténor – ce qui paraît beaucoup plus cohérent avec toute sa dimension d'anti-jeune-premier.
→ L'écriture manque peut-être de contrastes (et les épisodes sont réellement très raccourcis, peu de discours !), mais elle recèle aussi de belles trouvailles, comme la délicieuse cavatine de Christian qui ouvre la pièce (tout l'acte I est supprimé étrangement, point de tirade du nez ni de ballade du duel, on débute au II avec les « ah ! » de l'aveu manqué). Le personnage de Roxane est remarquablement servi : Tamberg lui attache une harmonie plus archaïque et une orchestration spécifique (qui ne se limitent pas à son leitmotiv, mais accompagnent ses interventions tout au long de l'ouvrage), qui traduit de façon particulièrement persuasive l'empire et la fascination qu'elle exerce sur les protagonistes qui l'entourent.
→ [extraits vidéos] ; on peut aussi voir l'intégrale dans une production filmée que j'ai dénichée sur le replay de la télé estonienne (on a les passe-temps qu'on peut). L'opéra est aussi disponible chez le label ♥CPO!



theater basel
Le Theater Basel, qui donne Hubay cette saison.



Opéras en hongrois

Erkel, Hunyadi László (Budapest)
Hunyadi est le second opéra romantique hongrois le plus célèbre, après Bánk Bán du même compositeur. Le sujet est, de même, inspiré de l'histoire politique des rois hongrois. Ici, épisode du XVe siècle : le successeur du roi Hunyadi János (qui appartient à un parti adverse) veut tuer le fils de son prédécesseur, pourtant un brillant général de l'armée ; multipliant les tentatives, tombant amoureux de sa fiancée, le tout culminant dans l'horreur d'une mort injuste que rien ne peut suspendre – quatre coups de hache pour séparer le la tête du corps de László.
→ On décrit en général Erkel comme l'équivalent de Verdi en Hongrie. Et, de fait, le modèle est totalement verdien (avec des touches de valses rythmées de triangle, plus à la façon des opéras légers germaniques). Mais sans la même évidence mélodique, sans la même urgence dramatique. Je ne le trouve pas particulièrement savoureux – dans le genre simili-verdien, Foroni, Faccio ou Catalani me paraissent beaucoup plus excitants.
→ [vidéo]

HubayAnna Karenina (Bâle)
→ L'œuvre est originellement écrite en hongrois, mais il est très possible, comme cela se fait souvent dans les pays germanophones pour les œuvres rares tchèques ou hongroises (voire les opéras comiques français, pour lesquels il existe toujours une tradition vivace d'interprétation en traduction), qu'elle soit jouée en allemand.
→ HUBAY Jenő (né Eugen Huber) est surtout célèbre comme violoniste ; virtuose, ami de Vieuxtemps, pédagogue, la discographie le documente essentiellement comme compositeur de pièces pour crincrin. Néanmoins, cet opéra, fondé sur une pièce française (Edmond Guiraud), lorsqu'il est écrit en 1914 (mais représenté seulement en 1923), appartient plutôt à la frange moderne, d'un postromantisme assez tourmenté et rugueux. Très intéressante et intense.
→ Hubay a écrit neuf opéras, dont certain sur des livrets assez intriguants : Alienor en 1885 (traduction d'un livret d'Edmond Haraucourt), Le Luthier de Crémone en 1888 (traduction d'un livret de François Coppée et Henri Beauclair), La Vénus de Milo en 1909 (d'après Louis d'Assas et Paul Lindau) et plusieurs inspirés de contes et récits populaires hongrois.
→ [extrait]



Et ensuite ?

Ne reste plus que l'ultime notule, sur les opéras contemporains (rien qu'avec les titres, c'est assez passionnant).

Il aura donc fallu une saison pour faire le tour de… la saison !  Mais que de richesses à découvrir au fil des épisodes… je vous recommande vraiment, puisque beaucoup sont disponibles en ligne dans de bonnes conditions (vidéos, parfois sous-titrées…), de vous laisser amuser ou surprendre par cette diversité qu'on ne se figure pas, lorsqu'on a ses habitudes dans une maison ou un pays, ou qu'on feuillette simplement la programmation mondiale.

Des gemmes tout à fait inhabituelles et stimulantes sont disséminées, et si on ne peut y aller, on peut cependant aisément les découvrir, ou simplement s'interroger sur ce que ces différences disent des identités (ou des identifications) locales. Puisse CSS avoir contribué à votre émerveillement !

mardi 8 mai 2018

L'aventure du plus gros pain de l'histoire du disque


1. Ontologie de la panistique

Le pain est central dans la relation du mélomane à l'exécution musicale. Il est très difficile, pour un auditeur, même éclairé, et même pratiquant l'instrument en question, de véritablement discerner l'amateur de très haut niveau, le professionnel moyen, le professionnel exceptionnel ; encore plus lorsqu'il s'agit de distribuer le mérite et le blâme dans une exécution réunissant un orchestre complet, avec un chef dont le travail est quasiment invisible le soir du concert (que leur a-t-il dit ?  que leur a-t-il fait travailler ?). Comment savoir si cette intention est le fruit de la mémoire collective de l'orchestre ou une volonté du chef, si ce dérapage est une erreur individuelle, un ricochet pour rattraper un voisin, un mauvais départ donné (par le chef d'attaque, le chef d'orchestre ?) qui a déstabilisé l'orchestre… ? 

Les mélomanes (j'y inclus les critiques, et même pour partie les professionnels lorsqu'ils sont en position d'auditeur), quand ils commentent une interprétation, désignent souvent tel ou tel comme le responsable de l'erreur, ou la source de la belle intention, mais c'est à peu près impossible à déterminer sans être réellement au cœur de l'action – d'où la grande difficulté de juger des chefs, ou des musiciens d'orchestre individuellement. [Je ne dis pas du tout que ce soit impossible, et dans certains cas ce peut même être assez évident… mais relier un instant précis à un individu, dans une exécution de symphonie ou d'opéra, est assez délicat.]

Pourtant le pain, lui, constitue précisément cet événement, ce moment où un lien tangible, objectif, se crée entre le public et les exécutants — soudain, dans cette multitude de paramètres insaissables, a fortiori pour tous les mortels qui ne connaissent pas par cœur chaque entrée, chaque harmonie, chaque valeur dans la partition, la croûte sonore se déchire, et laisse paraître une béance indubitable : les dieux invincibles ont fait une erreur, et nous pouvons prendre la mesure de leur humanité. Mieux, nous pouvons remonter à qui a commis le péché.

Même pour le plus modeste des néophytes, un pain, ça se perçoit immédiatement, ça se vit, ça se commente. Et chez les plus aguerris, on les guette : c'est Où est Charlie ?, on prouve ainsi sa valeur au monde en dénichant le petit décalage, le son un peu peu voilé… et bien sûr le bon gros pain très exposé du solo. Il permet d'appuyer sa démonstration, de prouver sa qualité de mélomane et sa clairvoyance de critique : la trompette a passé le concert à pigner, ou encore leur hautbois solo est merveilleux, même s'il a un peu pétri ce soir.
Ce n'en est ni la manifestation la plus intéressante (un pain gâche rarement une exécution, et même pas si souvent un trait ou une mélodie), ni la plus glorieuse de l'art du commentaire musical, mais il est toujours difficile de ne pas le mentionner, y compris si l'on n'en tient pas compte ni rigueur aux fautifs. À l'entracte, il y a forcément une remarque du type « et tu as entendu le trombone ténor sur la malédiction de l'anneau ? le pauvre… ».



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L'ami de tous les boulangers.
(à cause de son embouchure conique qui lui confère toute sa beauté sonore, le cor est l'un des instruments les plus rebelles et imprévisibles)



2. Qu'est-ce qu'un pain ?

Le pain est un canard pour les profanes ; toutefois les musiciens semblent lui préférer ce nom un peu moins carné et davantage gluten-friendly.

Le continuum va de l'erreur de lecture dans les musiques complexes – chez Fauré, Scriabine, Szymanowski, Koechlin, Mossolov, il est aisé d'oublier qu'un dièse n'est pas répété, ou qu'un bécarre est survenu un peu plus tôt, les harmonies étant tellement sophistiquées que l'oreille ou même le raisonnement ne permettent pas toujours, surtout si le pianiste n'a pas une formation d'écriture très aboutie en sus de sa formation instrumentale, de détecter l'erreur (il en existe en réalité beaucoup dans les disques de piano, même en studio) – à la note frippée par erreur (détimbrée, un peu basse, pas tout à fait sur le temps), jusqu'à la franche sortie de route de l'énorme fausse note au point culminant d'un solo fortissimo. Les glottophiles nomment ce dernier cas les perle nere (perles noires), et ces gourmandises, parfois drôles, s'échangent sous le manteau depuis une période qui précède même la démocratisation de l'Internet.



3. Qui fait le pain ?

(attention, il ne faut jamais donner de pain aux canards, c'est très mauvais pour eux)

Dans une représentation d'orchestre, et particulièrement avec des chanteurs en liberté, il n'est pas toujours aussi évident qu'il y paraît de saisir la source (par exemple la mystérieure disparition des cuivres dans un climax majeur de la Neuvième Symphonie de Mahler à Berlin par Bernstein… personne ne part, incroyable pour des musiciens de ce niveau dans une partition aussi courue… que s'est-il passé ?  chef d'orchestre, chef de pupitre, erreur de pagination…).

Les chanteurs sont en effet le pire facteur d'entropie possible : d'un niveau solfégique inférieur aux musiciens (il existe très officiellement, dans les Conservatoires, des modules « solfège pour chanteurs » qui ne servent pas, comme on pourrait croire, à développer une oreille plus exigeante pour pouvoir tout chanter à vue et réaliser des intervalles parfaits, mais au contraire à proposer une version allégée de la discipline, plus accessible aux cerveaux des ténors et sopranes – ne dites pas solfège pour simplets, mais solfège chanteur), ils sont aussi élevés dans l'idée que l'accompagnement, comme l'intendance, suivra (leurs intuitions géniales).
Dans le répertoire allemand, ils sont un peu obligés de se discipliner pour ne pas se perdre totalement (et le niveau solfégique empêcherait quiconque de moyennement aguerri de s'y frotter sans se ridiculiser très vite), mais chez les Italiens, ils font vraiment ce qu'ils veulent, et parviennent à se décaler ou à tromper la vigilance des pauvres musiciens de fosse, même dans du Donizetti…

Aussi, lorsque les musiciens sont dans le décor, ce peut être un effet de ricochet, prenant sa source dans une longueur écourtée (le pire à gérer), un ralentissement non prévu, un aigu tenu selon le souffle disponible et non selon des subdivisions mathématiquement justes de la mesure…



4. Démonstration : le pire pain enregistré

Soyons honnête : je dis le pire parce qu'il faut bien vendre du pixel, mais je n'en sais rien – d'autant que c'est une prise sur le vif, donc des plantages en temps réel susceptibles d'être un jour mis sur le marché, parce que la distribution est belle ou le reste de la soirée exaltant, ne sont pas si rares.

Disons seulement qu'en l'entendant, je n'en revenais pas, l'une plus spectaculaires plantades que j'aie entendues. Je vous propose de vous en amuser avec moi… et d'essayer de remonter à sa source. Prêts ?

Terrain : Arabella de Strauss, dans l'un de ses rares moments assez simples, le duo du Richtige, où l'héroïne, en compagnie de sa sœur (travestie), parle de sa vision de l'homme qu'elle veut rencontrer et épouser. Une belle mélodie régulière ; et au milieu du duo, ce moment (que je trouve extraordinaire) où la sœurette, Zdenka, explore à la fois le haut lumineux de sa tessiture de soprano lyrique léger (chanté par des coloratures, typologie de Sophie dans le Rosenkavalier), et des sentiments et couleurs beaucoup plus sombres (témoin le mi bémol mineur, et les arpèges descendantes des doublures de clarinette basse, trombones et tuba !).

Acteurs : Montserrat Caballé (Arabella), Oliviera Miljaković (Zdenka), la RAI Roma (l'orchestre romain – il en existe au moins un autre à Turin – de la Radio Italienne), Wolfgang Rennert. Captés le 1er décembre 1973.

Ce qui se passe normalement :

[[]]
Pamela Coburn, Regina Klepper (oui, celle des Faust de Wagner et des duos de Reger…), Manfred Honeck… choisi parce qu'on entend bien le détail, mais on ne fait pas significativement plus beau que ça – hélas seulement des extraits, chez Capriccio.

Ici tout est en place. Observez particulièrement ces deux moments, à 1'00'' et à 1'08''. Tout est beau.

so-hat-ja-die-prophetin.png und-ich-hinab-ins-dunkel


À présent, la version qui pane :

[[]]
Ici, l'endroit où Olivera Miljaković chante – Montserrat Caballé était réputée pour (sa paresse et) son exactitude solfégique, elle n'est pas prise en défaut ici.

Ça pique, n'est-ce pas ?  Et cela dure pendant la reprise du thème d'Arabella, assez longtemps…

Ce qui paraît incroyable, c'est qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils sont totalement hors de l'harmonie, et continuent à jouer, alors même que leur partie n'est pas indispensable dans ce qui suit. (Ils n'ont en revanche pas le conducteur complet sous leurs yeux pour vérifier où ils en sont, c'est vrai.)


Que s'est-il passé ?

Oh, bien sûr, la RAI Roma n'a jamais été réputée pour sa virtuosité, et vu le peu d'habitude de cette musique chez les orchestres italiens, dans les années 1970 (au début de l'augmentation vertigineuse du niveau des orchestres mondiaux à la fin du XXe siècle), on peut supposer que les quelques services de répétition, dans une œuvre aussi prodigue en tuilages et contrechants, laissait les musiciens un peu fébriles. Mais à l'écoute de la bande, on peut sentir d'autres causes.

Dès son entrée, on sent que Miljaković hésite sur les rythmes, jamais tout à fait exacts (pourtant, elle est très bien dans des récitatifs beaucoup plus compliqués à pulser, ailleurs dans l'œuvre, que se passe-t-il à ce moment ?  distraction quelconque ?  problème vocal ?), avec une forte tendance à raccourcir les durées – ce qui est beaucou plus périlleux pour les musiciens que l'inverse. Et à 0'55'' (« Und heifen will ich dir dazu »), alors qu'elle est doublée par les clarinettes, voyez comme elle chante les noires de façon irrégulière, les accélérant soudain ; et pas irrégulière pour faire du rubato, donner du style, plutôt cahotante, comme si elle hésitait sur l'attitude à tenir.

[à lire avec une voix de JT :] Et là, c'est le drame.

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Peut-être déstabilisés par ces fluctuations de valeurs, les trombones entrent trop tard. On entend bien que juste à la fin de la réplique (à 1'10'' ils sont doublés par la clarinette basse, le motif se perçoit très bien), ils accélèrent pour rattraper la chanteuse.

Et ils ne se remettent pas. Pour la phrase suivante, les trombones (et le tuba) forment un petit accompagnement pp en choral… ils entrent une mesure trop tard.

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und-ich-hinab-ins-dunkel

C'est pour cela que sur « Dunkel », où ils sont censés jouer ce petit contrechant, le spectre orchestral est soudain vide (et pas dans la bonne tonalité).

Donc toute la fin du thème de transition, les noires plus rapides, se trouve joué (pas du tout dans la bonne tonalité !) pendant la reprise de la première mélodie du duo, chantée par Caballé !  Les la bémol qui chevauchent les la naturels, dans une mélodie simple de ce genre : bobo.

La fin du duo est par ailleurs assez nébuleuse (la suite de l'acte est bien meilleure), comme si tout le monde avait été saisi d'effroi devant la monumentalité du sabotage – mais les cors (les trombones se taisent, le tapis sonore de la reprise est assuré par les cors) sont manifestement en rythme, je ne suis pas sûr qu'il y ait d'erreur à proprement parler. Mais la partition est touffue, même à ce moment ; je peux rater quelque chose en jonglant avec ma copie numérique (il faudrait vraiment un conducteur papier pour pouvoir tout observer à la fois sur la page).

Pauvre Strauss, lui qui avait accepté la charge de superintendant de la musique du IIIe Reich, alors qu'il n'était pas favorable à la politique d'épuration raciale, essentiellement dans la perspective d'interdire aux orchestres de stations thermales (ceux moqués par Hindemith dans sa pièce pour quatuor qui figure l'ouverture du Vaisseau fantôme jouée très faux) de – mal – jouer Wagner ! Les musiciens italiens de la RAI lui ont bien rendu la monnaie de cette erreur de jugement.


Pourquoi cette sortie de route ?

C'est la question que tout le monde se posera : qu'est-ce qui leur a pris ?

À la première écoute, on se dit que les trombones sont vraiment des gougnafiers, ils devaient lire Playboy caché sur leur pupitre au lieu de compter leurs temps. Et puis, en remontant le temps, on s'aperçoit que Miljaković peine réellement à rester en rythme (et pas pendant tout l'opéra, vraiment en particulier à ce moment), en voulant compenser, ils ont pu se tromper. Le visuel, s'il existe, aiderait peut-être : mauvais départ donné par le chef, méforme passagère d'un exécutant, distraction à cause d'un événement dans le public…

Ce qui est étonnant, c'est qu'ils continuent, imperturbables, à planter leurs fausses notes – mais cela se joue sur cinq mesures, le temps de se rendre compte de ce qui ne va pas, c'est déjà fini.



5. Et pourquoi cette notule ?

Cette notule, supposément une brève de quelques lignes, avait plusieurs buts. En attendant une présentation (plus ambitieuse) de l'agencement particulier des motifs chez Richard Strauss, exemples visuels et sonores à l'appui, c'était une petite amusette introductive.

Mais elle est aussi un hommage à la poésie de l'incertitude, à la fragilité de l'exécution musicale, même par des professionnels aguerris. [Certes, dans des répertoires plus simples digitalement et moins extrêmes glottiquement, comme le baroque, on n'entend que très exceptionnellement pigner – mais c'est aussi parce que les ensembles répètent leur programme pendant plusieurs semaines, font des tournées, alors que les orchestres permanents comme ceux de radio doivent assurer un nouveau programme quasiment toutes les semaines. Par ailleurs, les tournures y sont plus prévisibles, ce qui donne, avec l'expérience, moins de possibilité de se laisser surprendre que dans un Strauss.]

Ce canard rend les musiciens humains, et on a tort de toujours le mettre en avant ; il fait partie de l'exécution, et certes, on peut l'entendre plus facilement qu'un petit décalage ou qu'un travail un peu superficiel sur les articulations et les appuis des phrasés de sa partie par tel ou tel musicien… mais la cause en est tellement élusive (et l'effet rarement gênant comme ici), parfois simplement mécanique (température du cor !), d'autres liées au rattrapage de l'erreur d'un collègue, et si peu liées à l'intérêt de l'interprétation… qu'il est bien injuste de les retenir contre les musiciens.

Au demeurant, ceux-ci sont très chatouilleux là-dessus, et certains même, contre l'évidence, soutiennent qu'ils n'en ont jamais fait – souvenir ému de Philippe Aïche (violon solo de l'Orchestre de Paris), André Cazalet (cor solo) et Jérôme Rouillard (autre corniste) se ridiculisant de la sorte en se faisant passer (pour deux d'entre eux) pour des spectateurs anonymes qui attestaient l'absence de pain (facilement grillés par leur adresse de courriel servant à l'inscription sur les forums en question). L'affaire était tout de même allée, sans qu'on sache précisément qui en était à l'origine, jusqu'aux coups de fil anonymes menaçants passés depuis le CNSM !  C'est que le pain, surtout dans l'esprit du public – et la presse ne leur avait pas fait de cadeau, malgré le tempo lentissime sans doute assez intenable pour les souffleurs, imposé par Eschenbach –, peut être infamant, et occulter leur valeur d'interprète. Un point d'honneur, en somme.

Et ils doivent être irrités, en effet, par les mélomanes qui tempêtent contre des notes « manquantes » (en particulier les aigus interpolés par les chanteurs) qui n'ont jamais été écrites, en reprochant à un interprète de ne pas être capable de les chanter, ou de mutiler la partition. Quelquefois, un son un peu voilé sur une trompette ou un cor suffit pour se faire accuser de pain – l'impression valorisante d'avoir une bonne oreille est un puissant moteur d'autosuggestion.

Ainsi, critiques pros, de webzine, en herbe, bossez vos partitions ou soyez prudents dans vos anathèmes. [Les deux simultanément, c'est encore mieux, parce que les critiques semi-érudits et tout à fait méchants sont, je crois, les plus déplaisants de tous.]
Pour le respect des artistes innocents, mais aussi pour votre propre sécurité, comme vous avez vu.



En somme, c'est beau la musique : même lorsqu'elle est fausse, elle est belle / intriguante / drôle !

Les musiciens et mélomanes la valent-ils toujours, c'est une autre question.

mercredi 25 avril 2018

[Carnet d'écoutes n°120] – Lassus, Crusell, Vranický, Le Prophète, Sinding, Reger, van Gilse, Bartók, Różycki, Mârouf…


Quelques écoutes très rapidement commentées et compilées sans ordre.

Découvertes intrépides

Nordheim – Quatuor– Norwegian SQ
Assez transparent, s'écoute bien, mais ne se passe pas grand'chose.

Lazzari, Symphonie en mi bémol.
(bon, en fait j'avais déjà écouté, mais il ne m'en restait aucune impression)
Entre Bizet (le scherzo) et Franck (le final, vraiment proche !). Chouette.

Tina Charles – I Love to Love
Croyez-le si vous voulez, mais je découvre. Ça ne se renouvelle pas beaucoup, mais l'alternance refrain / couplet (unique) est assez marquante !


Classiques éprouvés

Dvořák – Rusalka (acte II) – Neumann

Pavel Vranický – Symphonie en ut, « Pour la Paix avec la République Française » – Radio de Hanovre, Griffiths (CPO)
Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.52 – Radio de Hanovre, Griffiths (CPO)
Tradi et animé, mais un peu rond et flou.
Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.52 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Là aussi, tradi, mais ça claque !
Pavel Vranický – Symphonie en ut mineur Op.11 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.36 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Pavel Vranický – Symphonie en ut « Joie de la Nation Hongroise » – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Les deux symphonies en ré (sans programme) sont merveilleuses, le babillage des clarinettes dans le premier mouvement de l'opus 36, on est vraiment entre Don Giovanni et Fidelio.
À cette époque, vraiment difficile de trouver un concurrent à Mozart, mais les frères Vranický sont justement ceux qui peuvent se comparer à ses accomplissements.

Lalande – Regina Cœli – Ex Cathedra, Skidmore

Lalande – Cantate Domino – Ex Cathedra, Skidmore
Lalande – Cantate Domino – Ex Cathedra, Skidmore
Le Cantate Domino ménage des airs magnifiques, d'une ampleur rare à cette époque. L'ensemble Ex Cathedra est formidable (et je crois reconnaître la voix d'Andrew Tortise en haute-contre solo, ou de quelqu'un qui lui ressemble énormément I love you ). Bissé.


La minute glotto

O. Merikanto – Laula, tyttö – Galitzine, Dubé (bande)
Bach – « Seele deine Spezereien » –  Obalski (bande)


Sous mauvaise influence

Lassus – 9 Leçons de Ténèbres – Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Beauté ineffable, complète. Encore plus beau qu'à mon dernier passage.
Bissé :
Lassus – 9 Leçons de Ténèbres – Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Puis :
Lassus – Prophetiæ Sibyllarum– Dædalus (Alpha)
Lassus – Prophetiæ Sibyllarum– De Labyrintho (Stradivarius)
Moins enthousiasmé par l'œuvre. Dædalus un peu sec, impression d'uniformité accrue entre les pièces ; De Labyrintho plus souple (très léger accent anglais ?  voix de femme fine enfantine…).
Lassus – Motets pour le dimanche de Pâques– Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Lassus – Requiem – Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Pour les motets de Pâques, c'est peut-être l'interprétation qui les hausse, mais pour le Requiem, vraiment un bijou !

Je ne suis pas un très grand consommateur de musiques de la Renaissance, mais Dufay, Brumel et Lassus, voilà qui me laisse par terre à chaque fois.

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Un petit cycle Ludomir Różycki.

Eros i Psyche. Cet opéra de de 1916 constitue un bijou d'aspect étonnant : on peut y entendre, sans aucun effet hétéroclite, l'influence de nombreux courants. On entend passer des tournures qui font penser à Lalo (Le roi d'Ys), Massenet (Panurge), Debussy, Puccini (les moments comiques de Tosca), R. Strauss (grandes poussées lyriques, ou la fin quelque part entre Daphne, avec l'harmonie plus slave des chœurs patriotiques de Guerre et Paix de Prokofiev…). Tout cela dans une belle unité, un sens de la poussée, vraiment de la très belle musique, une synthèse de l'art européen.

¶ Air tiré de Beatrice Cenci.

¶ Poème symphonique Mona Lisa (très richardstraussien), par Wojciech Czepiel.
¶ Poème symphonique Le roi Cophetua, par Janusz Przybylski.
¶ Poème symphonique Anhelli (très richardstraussien), par Satanowski.

Et puis je vais me lancer dans les seules autres choses qu'on ait, les concertos.

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Vaughan Williams – Symphonie n°5 – Liverpool RPO, Manze (Onyx)
Vaughan Williams – Symphonie n°6 – Liverpool RPO, Manze (Onyx)
Flatte plutôt le côté étale que l'originalité de ces symphonies. Pas passionné, un peu frustré que Manze n'y déploie pas sa meilleure netteté de trait.

Mireille / Nohain – Mais pourquoi t'es-tu teinte ? – Pills & Tabet
http://youtube.com/watch?v=RkhdzmNkwY8

Larsson – Symphonie n°1 – Helsingborg SO, Manze (CPO)
Une semaine n'est pas complète sans son petit shoot CPO. Même si la poésie fonctionne moins avec orchestre qu'en quatuor, chez Larsson.

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 Massenet, Thaïs. Marseille 91 : Veltri avec Cassello, Sirera et van Dam. Très belle version (il n'y en a pas tant où l'on entend bien l'orchestre tout en restant plutôt bien chantées). 

 Massenet, Thaïs. Au Stanislavski, en russe. (acte I seulement) 
Les chœurs des cénobites par des Russes, c'est quelque chose. Shocked Sinon, l'adaptation est assez peu réussie prosodiquement (beaucoup de rythmes changés, et ça ne tombe pas toujours bien dans la langue).

 Massenet, Marie-Magdeleine. Version Loré : Command, Sebron, Lamy, Courtis. Bien sûr très lisse et gentiment sucré, mais tout est beau, et les moments de lumière sont très exaltants. (Évidemment, ce n'est pas prioritaire, mais j'y reviens de temps en temps, ne serait-ce que pour la réussite du Noli me tangere.)

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Różycki – Eros i Psyche (Operavision)
Tient toutes ses promesses. Même la naïveté du livret fonctionne très bien. I love you

Tchaïkovski – Manfred – Opéra de Munich, K. Petrenko (bande de la radio WQXR)
Lecture de feu – si on augmente bien le son, on sent le grain des cordes, et la réverbération sur les murs de la salle ! I love you
https://www.wqxr.org/story/kirill-petrenko-conducts-bayerisches-staatsorchester-live-carnegie-hall/

C.-M. Schoenberg – Miss Saigon – Salonga

Kodály – Duo violon-violoncelle – J. Fischer, Müller-Schott
Schulhoff – Duo violon-violoncelle – J. Fischer, Müller-Schott
Ravel – Sonate violon-violoncelle – J. Fischer, Müller-Schott
Halvorsen – Passacaglia, d'après Haendel– J. Fischer, Müller-Schott

Legrenzi, La Divisione del Mondo, extraits

Wagner – Das Rheingold, deuxième tableau – Solti Bayreuth 1983

Stravinski – Le Sacre du Printemps – Atlanta SO, Levi (Telarc)
J'aime beaucoup leur association, mais ce n'est pas dans le Sacre qu'elle fonctionne le mieux.

Brahms – Quatuor avec piano n°2 – Capuçon, Caussé, Capuçon, Angelich (Virgin)
Rarement donné hors des intégrales Brahms, car long (presque une heure à lui tout seul), mais le meilleur des trois, même si j'aime beaucoup le Troisième !

Crusell – Concerto pour clarinette n°1 – Kriikku, Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Crusell – Concerto pour clarinette n°2 – Kriikku, Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Crusell – Concerto pour clarinette n°3 – Kriikku, Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Des mélodies de Mozart avec du ploum-ploum de ballet façon Boïeldieu-Adam-Hérold, vraiment délicieux, surtout le 2 !

Bartók – Concerto pour piano n°1 – Kocsis, Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Bartók – Concerto pour piano n°2 – Kocsis, Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Bartók – Concerto pour piano n°3 – Kocsis, Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Le Deuxième, le Deuxième… quelle orgie !
(en termes de versions, il y a plus grisant, sinon)

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Prokofiev – Symphonie n°5 – Radio Finlandaise, Oramo
Oh, à la fin du deuxième mouvement, exactement les mêmes intervalles et rythmes que le début de « I could have danced all night » !

Beethoven – Duo avec lunettes obligées
Le Duo avec lunettes obligées de Beethoven, pas du tout une œuvre anecdotique : la qualité mélodique de Mozart, l'animation des figures d'accompagnement des derniers quatuors de Haydn, et une fougue qui n'est qu'à lui.
Remarquable version en concert dans une église lusophone par ici.

van Gilse – Symphonie n°2 – Symphonique des Pays-Bas (sis à Enschede), Porcelijn
Comme quelqu'un a commis l'imprudence de nommer Jan van Gilse devant moi, me voilà reparti pour une intégrale de sa musique disponible, en débutant par la Symphonie n°2 (ce début qui innerve tout !).

van Gilse – Thijl
Par un orchestre aujourd'hui dissout, ou plus exactement fusionné, le Philharmonique d'Amsterdam (beaucoup de cas aux Pays-Bas, comme Utrecht, la Chambre de la Radio…). Pourtant, qu'est-ce qu'il était bon…
Œuvre assez radicale et étrange (le sprechgesang en néerlandais, voilà qui dépayse), plutôt sombre, pas du tout chatoyante comme le reste du van Gilse disponible, ni conformément à ce que son sujet pouvait laisser supposer. Ses contemporains néerlandais, pourtant en général plus tourmentés dans leurs symphonies, avaient pour certains une veine bien plus lyrique et lumineuse à l'Opéra. Étonnant !

Berlioz – Symphonie fantastique – Orchestre d'État de l'URSS, Oskar Fried
Après avoir (beaucoup) écouté ses compositions, je découvre Oskar Fried là où il est célèbre, comme chef.
Ourgh.
Ce n'est vraiment pas bon : cela ressemble aux orchestres de conservatoires régionaux dont les musiciens sont bons mais dont les effectifs tournent sans cesse (et manquent d'expérience).  Tout est si mou et vaguement précis…  Le niveau a incroyablement monté, et on ne peut pas parler ici d'effet Seconde guerre mondiale… qu'était-ce donc au XIXe ?  Il est vrai qu'il n'avait sans doute pas l'habitude de collaborer avec l'Orchestre d'État de l'URSS.

Mahler – Symphonie n°2 – Sk Berlin, Oskar Fried
C'est certes mieux (enfin, pour ce qu'on peut percevoir des tuilages inaudibles), mais lorsque je vois ce qu'on lit dans les critiques sur les orchestres actuels (tout en se pâmant sur l'Âge d'or perdu…), il faut vraiment se fier à son imagination plus qu'à l'écoute rigoureuse des enregistrements. Même chez ces orchestres de première ligue, on se trouve assez loin de la simple mise en place qu'on attendrait d'un orchestre pro de ville moyenne, aujourd'hui.

Beethoven – Sonates et variations pour violoncelle et piano – Karttunen
Sur crin-crin et plong-plong ; et la meilleure version du marché !

Sinding – Symphonie n°1 – Philharmonie de la Radio de Hanovre, Dausgaard
Pour ceux qui aiment la symphonie de Rott, la Symphonie n°1 de Sinding n'est pas sans point commun – l'Andante qui préfigure Parsifal et Fafner, merveilleux de surcroît, ses appels de cor du scherzo…  Je la trouvais jusqu'ici gentiment lyrique, mais non : du niveau des trois autres.
Il est vrai qu'elle est écrite assez tard, toute Première qu'elle est : 1892 – pour un compositeur né en 1856 !  Donc Parsifal est bel et bien dans l'oreille, pas une parenté fortuite d'air du temps.

Sinding – Symphonies 2,3,4 – Philharmonie de la Radio de Hanovre, Dausgaard / Porcelijn
Quelles merveilles élancées du romantisme tardif !  Une autre voie que celles de Brahms, Raff, Tchaïkovski ou Mahler.
On croit souvent que je parle de raretés pour la (ma) gloire ou par simple curiosité ; pourtant le fait est que j'écoute plus souvent les symphonies de Hamerik et Sinding que de Mendelssohn et Brahms (que j'adore), ces dernières années. Plaisir différent et renouvelé : on peut y entendre des choses qui n'existent pas dans le corpus réduit des grands compositeurs célèbres… ou même, sans ambitionner davantage, simplement y trouver des personnalités qui s'accordent mieux à la nôtre, fussent-elles moins déterminantes sur le plan de l'Histoire de la Musique.

Mozart – Symphonies 39,40,41 – CMW, Harnoncourt
Incroyable comme il parvient (et de façon cohérente) à renverser totalement le spectre (les vents priment), à mettre en avant les trouvailles d'accompagnement, à tirer tout cela vers Gluck !

Boulez – Domaines, pour clarinette et ensemble – Portal
 En 1968, c'était la création des deux versions de Domaines de Boulez (clarinette seule, puis avec ensemble sollicité dans un ordre libre). Ça n'a rien de très exaltant sur le papier, mais j'adore ce truc : babillard mais très vivant, et comme des retours audibles de matière.

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Et quelques impressions un peu plus développées.

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Meyerbeer – Le Prophète – Philharmonique d'Essen, Carella (Oehms)



Donc écouté la production d'Essen, très bonne, mais je ne suis pas très enthousiaste pour autant.

¶ Sur le plan de l'interprétation, tout le monde est impeccable, mais ça manque un peu de saveur, tout est très bien chanté (Cornetti peine quand même un peu dans son grand air du V, mais c'est très difficile). Ça suffit pour faire décoller un Verdi ; pour Meyerbeer c'est un peu plus frustrant, il faut des personnages aussi.
Et puis Carella n'était pas franchement un bon choix : il fait le même Carella voluptueux qui fonctionne très bien dans le belcanto (tout est rond et agréablemet coloré), mais là encore, on attendrait un peu plus de drame.

¶ Surtout, ce n'est pas le grand Meyerbeer des Huguenots, du III de Robert, des épisodes masculins de Dinorah… peu de sourires là-dedans, il reste surtout la pompe, et comme les interprètes ne tirent pas parti de la saveur des personnages (ce qui est à peu près impossible dans l'Africaine, mais pas dans le Prophète, où les ridicules ne sont pas absents), tout ça correspond un peu à la grande choucroute décrite par les détracteurs de Meyerbeer.

Le studio de Lewis parvient, par sa flamme particulère et son plateau de folie (McCracken, Horne, Scotto, Bastin…), à rendre l'opéra fascinant, mais par un orchestre allemand un peu gris avec un chef italien un peu contemplatif et des chanteurs valeureux mais pas très savoureux, je m'ennuie un peu. Ce n'est pas vraiment leur faute, c'est juste que j'ai besoin de davantage pour adhérer. Meyerbeer est à la fois très exigeant en termes de technique vocale (assez grands formats, grande agilité, bonne projection, grande endurance…) et très délicat quant à la juste expression et à l'épaisseur des incarnations par les chanteurs. C'est ainsi.

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Liszt – Eine Faust-Symphonie

Je vais réessayer pour la millième fois moi aussi : je n'arrive pas à y trouver d'aspérité (certes, peu de mise en valeur par l'orchestration), même dans le discours. Autant les poèmes symphoniques sont au moins rigolos et expansifs, autant là…

Si je trouve une version déviante et illuminante, je vous dis. (Sinopoli y est dans sa veine très homogène, vraiment pas ce qu'il faut ici, essayé de multiples fois ; Bernstein, il me semble aussi que ça ne m'avait pas trop impressionné.)

J'hésite entre Häselbock pour les crincrins (mais je le trouve raremen exaltant) et Chailly pour la lisibilité.

Donc, Chailly-Concertgebouworkest : ça a l'air très bien, tendu, transparent, mais trop de fondu, ça ressemble trop aux autres versions, ça ne va pas fonctionner pour moi.

Donc je suis parti sur Haselböck sur crincrins : Dieu que le son d'orchestre est hideux ! Ça grince de partout, même les bois. Mais on entend parfaitement chaque entrée, chaque détail d'orchestration, comme jamais je ne l'ai entendu dans un disque : ce qu'il me faut.

Hé bien, c'est uniformément mélodique, et pas très marquant de ce point de vue : de longues lignes étales, dont je me demande toujours à quoi elles servent. Effectivement, comme souligné par Benedictus, quelques coquetteries harmoniques surprenantes dans le mouvement de Gretchen, avec ces harpes qui jouent une harmonie étrange, parente du Binary Sunset dans A New Hope

En revanche, on peut y entendre des choses dérobées (et magnifiées) par Wagner, comme cette longue descente chromatique d'accords, comme pour le sommeil de Brünnhilde.

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Max Reger – Eine Ballettsuite.

Stupéfaction (et émerveillement) en découvrant cette Suite de ballet.

Cela ne ressemble ni vraiment à du ballet (hors la valse bien dansable), ni même à de la musique germanique…

Malgré toutes les titres pittoresques incluant Arlequin ou Pierrot & Pierrette, j'y entends beaucoup l'Oiseau de feu de Stravinski. Aussi du ballet plus léger, plus français (à la façon de ceux de Poulenc).

Impossible d'y reconnaître l'auteur un peu monumental (et assez gris) de la Suite Romantique ou des épais Böcklin !

Il y a quand même un peu de Wagner, plus furtivement, dans les harmonies ou les effets d'orchestration : retour vers les Ases dans le dernier tableau de Rheingold, duos de Walküre ou de Tristan…

Je recommande très vivement (plutôt par Suitner / Sk Berlin que par C. Davis / Radio Bavaroise ou même Zender / SWR, la différence d'animation est assez considérable). Si vous aimez Reger, bien sûr ; mais aussi si vous le détestez, puisque ça n'y ressemble en à peu près rien !


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Henri Rabaud – Mârouf, savetier du Caire

Revu à l'Opéra-Comique : Minkowski et l'ONBA, avec Bou, Santoni, Teitgen, Leguérinel, Peintre, Legay, Contaldo, Yu Shao, Bertin-Hugault…

Un extraordinaire babillage sous forme de pastiche orientalisant exubérant et complexe, ravélien en 1914, harmoniquement aussi avancé que Schreker à la même époque. Toujours stupéfiant.

Distribution de feu (Bou a encore gagné en vaillance, et quel acteur !), production Deschamps qui reste aussi réjouissante, et grande et belle surprise de l'ONBA, rajeuni et féminisé, tendu à bloc, d'une acidité si française !
(Certes, toujours la même tendance à ne pas faire la même longueur d'archet, et à finir par ne plus vibrer les notes, sur les dernières chaises… mais ça ne se percevait pas à l'oreille)

Le reste de la distribution est très adéquat, en particulier la haute stature de Teitgen qui s'acquitte parfaitement de la lourde tâche de succéder à Courjal (le timbre est un peu moins immédiatement séduisant, mais le résultat est tout aussi convaincant, comme toujours), et Lionel Peintre, avec son émission de baryton ténorisant complètement ouverte, en grande forme hier soir.


Il y a clairement un vivier à faire renaître, des œuvres beaucoup plus audacieuses et personnelles qu'il n'y paraît, dans ce début de siècle français. A. Bloch, Dupont, Hirchmann, Nouguès, Gunsbourg, Salvayre
On se trompe en le limitant à debussystes vs. tradis.

Parmi les grands moments :
∆ la folle embardée de la bastonnade (à la façon de la reprise hystérisée de Robert le Diable par Korngold (voir ici : http://carnetsol.fr/css/index.php?2010/08/20/1587-fortune-de-robert-le-diable ),
∆ les doublures exaltantes de la marche du Sultan,
∆ le grand numéro polytonal au III, façon Aladin de Nielsen,
∆ la magie de la Caravane,
∆ les pizz et staccatos omniprésents,
∆ les rythmes complexes, les harmonies surprenantes qui outrepassent de très loin le prétexte de la couleur orientale outrée,
∆ le concerto pour harpe permanent (jamais vu autant), dans opéra ou symphonie !

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[Rappel : les tartelettes sont toujours positives. Une tartelette n'appelle pas forcément la réécoute, mais leur présence indique que j'ai (subjectivement) apprécié, ce n'est pas une note sur cinq, rien à voir. Elles ne concernent que les compositions, pas les interprétations.]

À bientôt pour de nouvelles aventures !

mercredi 4 avril 2018

Avril périls fertiles


(Me voilà prêt à écrire un livret de Wagner – ou un titre de Boulez.)

Comme naguère, vous trouverez ici le planning PDF où apparaissent tous les dates et lieux sélectionnés, quantité de petits concerts (ou au contraire de concerts très en vue) dont je ne parle pas ci-dessous.

N'hésitez pas à réclamer plus ample information si les abréviations (tirées de mon planning personnel, destiné au maximum de compacité) ou les détails vous manquent.
(Les horaires indiqués le sont parfois par défaut par le logiciel, vérifiez toujours !)



0. Rétroviseur

Auparavant, les impressions de mars, cliquez pour lire les impressions succinctes sur les œuvres et les interprètes :

►#68 L'Amour africain de Paladilhe. Première mondiale, une Ariadne à la française autour du personnage d'un vieux Prix de Rome déprimé, farci d'ensembles facétieux. Notule complète.
►#69 Le défi (relevé) de My Fair Lady de Loewe par la Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique.
►#70 Pelléas, la pièce de Maeterlinck.
►#71 La Symphonie de Franck et Mahler n°1 sur instruments anciens français et viennois.
►#72 La Symphonie Fantastique dans les murs (égyptiens) de sa création !
►#73 La Princesse légère de Violeta Cruz, un problème d'étiquetage.
►#74 Ives et Mendelssohn (n°3) au CNSM.
►#75 Programme Schumann du LSO et Gardiner.
►#76 Rikako Watanabe, Improvisations sur de vieux poèmes japonais. Par le remarquable pianiste Tsubasa Tatsuno, également inspiré dans les Études de Debussy.
►#77 Suite algérienne de Saint-Saëns, Symphonie afro-américaine de Still, Passacaille de Tan Dun… par les étudiants de la Sorbonne.
►#78 La Messe de Bernstein, un dépaysement.
►#79 Das Rheingold par le Mariinsky. Quels chanteurs miraculeux…
►#80 Die Walküre par le Mariinsky (déjà abordé certains détails de l'œuvre à cette occasion dans la dernière notule)
►#81 Schumann 1 et le Divertimento de Bernstein par la Radio Bavaroise et Jansons (pas vraiment impressionné, étrangement).
►#82 Tchaïkovski 2 & 4 ébouriffants par l'Orchestre de l'Opéra.
►#83 Lauréats de la Fondation de France (et présentation du compositeur Eugène Bozza, Prix de Rome).
►#84 Mahler 4 par Hengelbrock.
►#85 Classe de direction de chant (opéra français XIXe, ici), d'Erika Guiomar, toujours un grand moment. Pas encore commenté en détail, c'est en cours.
►#86 Auber, Le Domino noir (Hecq-Davin)

Et quelques déambulations illustrées :
☼ balade de printemps, de Luzarches à la Malmaison (en cours de narration).



00. Manqué !

En raison de l'expiration de mon Pass UbiQui'T, je n'ai pu tout voir, tout entendre. Voici, à titre purement indicatif, quelques autres soirées qui ont attiré mon attention, à titre de curiosité.

Opéra / ballet
● Gluck, Orphée et Eurydice traduit en allemand (version Bausch, avec Hengelbrock et son ensemble).

Musique chorale ou sacrée
● Leçons de Ténèbres de Couperin à l'Oratoire du Louvre (Les Ombres, avec un duo plus équilibré que dans leur disque : Warnier, Margouët). Mais comme du fond on n'y voit rien (et que c'est cher sinon), j'ai dû m'en passer.
● Chœurs français de Paladilhe à Ravel par le Palais-Royal.
● Chœurs russes par le COSU (notamment Schnittke !).

Musique symphonique
● Musiques de plein air de Haendel par les Folies Françoises.
● Schumann n°2, Hindemith Kammermusik n°4, OP-Harding.
● Intégrale Brahms par Brême et P. Järvi au TCE.
● Sibelius n°3 par l'OPRF.
● Copland, Barber, Bernstein, Márquez, J. Williams pour cuivres aux Invalides.
● Weinberg n°4 par le Philharmonique de Varsovie et Kaspszyk (!), à la Seine Musicale. (Ça s'est contre toute attente trop bien vendu, il ne restait plus de places abordables… La Quatrième n'est certes pas la meilleure de Vainberg, loin s'en faut, mais tout de même, entendre cet orchestre en vrai dans un répertoire aussi spécialisé !)

Musique de chambre
● Récital à deux clavecins, dont du Couperin (Cuiller), à Soubise. Gratuit en plus.
● Intégrale du violon solo de Bach par K.W. Chung au TCE (annulé).
● Quatuors avec piano de Schumann et Chausson au CNSM (et étudiants de Manchester).
● Anniversaire Debussy au Ministère de la Culture.
● Trio et soprano : Wagner, Debussy, L. Boulanger, au Musée d'Orsay.
● Debussy et Durosoir pour violoncelle et harpe, CNSAD.

Airs de cour, lieder & mélodies
● Monteverdi par Desandre et Dunford, salle Cortot.
● Purcell accompagné par Achten au Théâtre Grévin.
● Purcell et Haendel par Zaïcik et le Taylor Consort.
● Lieder de Spohr avec clarinette et piano (et Cécile Achille !) au CNSM.
● Mélodies symphoniques françaises (dont du Théodore Dubois) par Piau et Chauvin à la Seine Musicale, là encore hors de prix sur les places restantes.
● Soldats musiciens (classe d'Anne Le Bozec et étudiants du Conservatoire de Manchester).
● LeMarois, musique de chambre de Franck, Chausson, Debussy, M. Emmanuel, Rochberg.

Ciné-concert
● Muets de la Première guerre accompagnés par des étudiants du CNSM

Masterclasses
● Quatuor Modigliani au CNSM.
● Gary Hoffman au CNSM.

Théâtre
● Lecture d'Empereur et Galiléen d'Ibsen au Théâtre du Nord-Ouest.



À présent, la prospective.

J'attire en particulier votre attention sur quelques perles.

(En rouge, les œuvres rarement données – et intéressantes !)
(En bleu, les interprètes à qui je ferais confiance, indépendamment du seul programme.)



A. Opéras & cantates

Gluck, Orphée & Eurydice(version de Paris traduite en allemand – apparemment version de Paris avec orchestration Berlioz aussi, les indications que je lis ne sont pas toutes cohérentes). Si jamais vous n'avez pas attentivement regardé la saison de ballet (version Pina Bausch), vous êtes peut-être passé à côté d'une version de cet opéra avec, selon les dates, Wesseling et Hengelbrock (avec son ensemble radical sur instruments anciens et non avec l'Orchestre de l'Opéra). Les extraits entendus, en revanche (série de 2014, mêmes Orphée & Eurydice, même orchestre, même chef), ne paraissent vraiment pas très tendus – plutôt le côté étique du son du Balthasar-Neumann Ensemble, et une distanciation liée au dispositif du ballet, qui semblent l'emporter en fin de compte.

Auber, Le Domino noir. Une de ses œuvres les plus célèbres – possiblement parce qu'une des plus accessibles au disque, le studio Bonynge avait été largement distribué –, et incontestablement parmi les bons Auber, une intrigue vive, une musique toujours agréable et élégante. Ce n'est pas délirant comme Les Diamants de la Couronne, ni enjôleur comme Haÿdée, cependant on demeure dans cet esprit français de quiproquos charmants. Nettement plus dense musicalement que La Muette de Portici (malgré son ambition, et son importance historique), ou que Fra Diavolo. À partir du 26 à Favart – splendide plateau, comme c'est devenu la règle dans cette maison. Jusqu'au 5.

Berlioz, Benvenuto Cellini. Le seul opéra un peu normal de Berlioz, et pourvu de fulgurances incroyables pour autant, surtout dans sa version avec récitatifs. Quels ensembles virtuoses !  L'accueil de la production Gilliam a été moins unanime à Paris qu'à Londres, mais c'est un très beau plateau, et apparemment une scène assez vivante (que ce soit trop ou bien a été sujet à débat). Je ne vais qu'à la dernière, pour que l'Orchestre de l'Opéra commence à jouer de façon un peu intéressante, donc ne m'attendez pas pour vous décider… Jusqu'au 14.

Lehár, Die lustige Witwe. Spectacle donné dans le cadre des cours de pratique scénique d'Emmanuelle Cordoliani au CNSM (accompagnement au piano par de remarquables chefs de chant), en général très féconds et agréables à voir. Sans moyens, souvent tout à fait captivant – ce qui n'est pas toujours le cas des productions dispendieuses où les vedettes de la mise en scène font joujou avec leur dispositif au lieu de s'occuper des acteurs et du texte. Et bien chanté. Et gratuit. (Les 12 et 13.)

Rabaud, Mârouf, Savetier du Caire. Une fantaisie picaresque orientalisante, un Peer Gynt des sables, dans une musique elle aussi luxuriante, hardie, assez indéfinissable, étrange sans être dépourvue de familiarité… Reprise, dans une distribution similaire, de la production qui avait été un grand succès de l'Opéra-Comique nouvelle manière (mais y a-t-il eu autre chose que de grandes réussites, dernièrement dans cette maison ?).

Atelier lyrique de Vincent Vittoz au CNSM les 5 et 6. Spectacle complet de forme variée, où le chant et le jeu sont sollicités, accompagnement au piano. Je n'ai pas encore pu obtenir le détail, mais j'ai réservé la date, toujours stimulant… Gratuit.
Mise à jour, voici. Inspiré de tableaux (dont la Nuit étoilée et la Grande Jatte), 8 petits récitals incluant Haendel, Mozart, Schubert, Loewe, Wagner, Massenet, Offenbach, Puccini, Berg, L. Aubert, Respighi, Barbara, Kosma, Messiaen, Berio, Sondheim, C.-M. Schoenberg… et Sardou (non, pas le dramaturge) !



B. Musique chorale

Motets de la famille Bach et de Kuhnau (le 3). Le meilleur de la production sacrée de Bach, riche en tuilages, mais aussi en mots et en émotions, moins formel que d'autres partitions… celle de ses ascendants et contemporains est de la même farine, vraiment réjouissante.

Mendelssohn, Elias, comme la saison passée à la Philharmonie et sur instruments anciens, cette fois avec le très capiteux Freiburger Barockorchester et Pablo Heras-Casado, qui avaient totalement renouvelé le spectre sonore des symphonies. Avec le RIAS-Kammerchor, Sophie Karthäuser, Matthias Goerne… voilà qui promet !

Clémence de Grandval, Stabat Mater. Compositrice prolifique, autrice de plusieurs opéras (dont un Mazeppa !), elle a consacré sa vie d'épouse de la bonne société à la composition. Élève de Saint-Saëns (et brièvement de Chopin pour le piano…), elle est même tardivement lauréate de plusieurs prix de composition (ce qui, en 1880 et 1890, n'est pas rien pour une femme). La Compagnie de L'Oiseleur redonne son Stabat Mater (en le chantant à un par partie avec accompagnement d'orgue, miam), après une première audition il y a quelques mois. Je n'ai pas été ébloui à la lecture de la partition, mais je leur fais confiance pour bien la servir, et pour avoir perçu des beautés simples qui m'auraient échappé – car ce n'est pas un discours hypermodulant, pour sûr, on se situe vraiment dans la veine majoritaire du style français du second XIXe, un peu lisse.

Jeunes chœurs (aguerris) de l'Orfeón Donostiarra et de l'Orchestre de Paris dans un programme essentiellement basque (mais pas de chants traditionnels), le 8.



C. Musique symphonique

La Symphonie en mi de Rott (car il en existe une autre, en la bémol, bonne mais senseiblement moins marquante), une merveille dont il a souvent été question dans ces pages (et une des œuvres les plus jubilatoires du répertoire, pour qui aime le formalisme de Brahms-Bruckner-Mahler), par Constantin Trinks, qui vient d'en enregistrer une bonne version.
Couplé astucieusement avec la Totentanz et le Premier Concerto de Liszt par Berezovsky pour assurer le remplissage. Tant que ça me permet d'avoir du Rott programmé, je marche – même si je n'aurais pas rechigné, à entendre le Quatuor en première partie (ou une petite suite de Klami…). Le 13.

Suite de Ballet de Reger, Sérénade de Glazounov, Second concerto pour violon de Chostakovitch, par l'excellent ensemble orchestral (qu'il faudra bien baptiser un jour !) d'Éric van Lauwe. À Saint-Joseph-Artisan, le 21. Libre participation.

Maiblumen blühten überall, courte mélodie (ineffable) pour sextuor et soprano, puis la Symphonie Lyrique, de Zemlinsky (une œuvre à laquelle je tâche activement de me convertir, assez convaincu en orchestration de chambre, à rester cette fois grandeur nature), avec Aga Mikolaj (une gloire du chant slave, impressionnants moyens et grande générosité) et Christopher Maltman.

Concerto pour violoncelle n°1 de Martinů (Sol Gabetta, OPRF, Franck). Une petite merveille aux accents américains, mais très différent de Dvořák évidemment, plus expérimental, presque néo- par endroit. Peu souvent donné et très beau (il n'y a pas tant de concertos pour violoncelle pas lourds-pateux, finalement). Couplé avec les Pins de Rome et les plus rares (et roboratives) Fontaines de Rome de Respighi, dans une veine moins élégante – mais paraît-il assez spectaculaire en salle. Le 6.

♦ Au sein d'un programme de tubes absolus, un extrait de Qsar Ghilâne de Florentz, un monument de chatoyance. Par les Lamoureux et Deroyer, en espérant que ce soit la minutie (pas très exubérante) de Deroyer qui prenne le pas sur la somnolence des Lamoureux devant le public du dimanche après-midi…



D. Musique solo et chambriste

Duo de guitares : Couperin, Scarlatti, Haydn (Op.2 n°2), Sor, Granados, Castelnuovo-Tedesco. La guitare polyphonique (et a fortiori à deux) est l'une des plus belles choses qui soient. Le 11.

6 Sonates pour clavecin de C.P.E. Bach, le 25. Gratuit.

Un quintette avec hautbois de Kreutzer et une pièce violon-piano de Baillot (avec Mozart et Beethoven), mais dans la cathédrale des Invalides, annonçait la brochure de début de saison (on ne devrait à peu près rien entendre). À vérifier, le 13.

♦ Le violoncelle français par Raphaël Pidoux : Duport, Franchomme, Bréval… pour une somme très modique, mais c'est le midi (le 13).

Trios de Beethoven arrangés pour alto, violoncelle et piano. Voilà qui doit donner du grain !  Le 9.

Arrangements de lieder par Liszt, pour piano solo : mélodies de Chopin, lieder de Schumann, Parsifal… et les 12 Études. Bertrand Chamayou, le 6.

Orgue : Mendelssohn (Sonate n°6), Peeters, Guillou, choral de Bach à Saint-Louis-en-l'Île.Le 8. (Gratuit, je crois.)

Till l'Espiègle de Strauss réduit pour quintette à vent (et l'Octuor de Schubert). Le 23, Bouffes-du-Nord.

♦ Œuvres pour ensemble de violoncelles : Second chant de Nyandura de Florentz, Bachianas 1 & 5 de Villa-Lobos, le classique Messagesquisse de Boulez, et une création de Nicolas Charron, à l'Amphi Bastille, le 16.

24 Préludes pour violon solo de Weinberg, et du Pärt, de Pelécsis, du Čiurlionis, et 5 pièces de Pushkarev qui accompagne au vibraphone Gidon Kremer. Désormais trop cher pour moi au Musée d'Orsay (40€ pour un concert de musique de chambre), mais programme aventureux très intriguant (d'autant que j'aime bien Vainberg et Čiurlionis).

Œuvres de Nguyen Thien Dao jouées en hommage à la Médiathèque du CNSM. Gratuit.



E. Lieder, mélodies & airs de cour

Monteverdi, Rovetta et Cavallli avec accompagnement de guitare baroque… et Zachary Wilder (ténor spécialiste passé par le Jardin des Voix, doté d'une très belle projection), le 9.

Musiques jésuites baroques latino-américaines par Kusa, Mancini et Egüez. Bárbara Kusa excelle dans ce exercice d'airs baroques aux confins du populaire, avec une technique lyrique qu'elle coule très avisément dans les autres styles. Le 4.

Airs et cantates de LULLY (Ballet royal de la Raillerie, Grotte de Versailles, Bourgeois gentilhomme, Atys), Jacquet de la Guerre, Mouret, Steffani, Caldara, Vinci… par Cécile Madelin et Paul-Antoine Bénos, deux des tout meilleurs truchements du répertoire baroque français. Le 28.

Mélodies françaises de Berlioz, Fauré, Chausson, Debussy, Hahn (dont rare Charles d'Orléans), Séverac, par Léa Desandre. Petit volume et bonne diction faits pour ce répertoire. Le 26.

Mélodies françaises célèbres, accompagnées par le piano, la flûte et le violoncelle dans diverses configurations. Beaucoup de tubes à mon gré (il a fallu acheter ça à l'aveugle), et de pièces instrumentales dont la plus-value me paraît discutable dans ce contexte (Isle joyeuse, Clair de lune piano-flûte, Gnossienne 1, Sicilienne et Élégie de Fauré en flûte/violoncelle-piano). Néanmoins, le plaisir d'entendre Anne-Catherine Gillet dans l'exercice de la mélodie me convaincra peut-être d'aller entendre ces standards (Invitation au voyage, Berceaux, Après un rêve, Heure exquise, Je te veux, Les Chemins de l'amour… à part un Massenet, un Saint-Saëns et un Dell'Acqua, rien que du très célèbre). Le 26

Lieder de Pfitzner, Wesendonck-Lieder pour baryton, par Matthias Goerne. (Et puis du Wolf et du Strauss.)  Le 22.

Canciones, notamment de Granados, par Adriana González, grande curieuse de la mélodie (et ancienne de l'Atelier Lyrique de l'Opéra). Une bonne voix par ailleurs. Le 12.

Mélodies de Čiurlionis, Tormis, Pärt et mélodies françaises, alternant avec des contes Baltes (Anne Baquet et Isabelle Grandet). Le 14.




F. Autres répertoires

♦ Nuit de l'oûd à la Cité de la Musique, du 6 au 7.



G. Pour le plaisir de retrouver quelques chouchous

♦ Trio Sōra dans Haydn 43 et Schubert 2, au Château d'Écouen. Gratuit mais déjà complet depuis un moment.

♦ Stanislas de Barbeyrac à l'Éléphant-Paname. (C'est cher, mais on vous offre la coupe de champagne. Bon.) Je ne disposais pas du programme, mais il vient d'en donner un superbe à l'Athénée (Nuits d'été et Ferne Geliebte).

♦ Paavo Järvi dans une intégrale Brahms au TCE, sans doute plutôt allégée, avec la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen. (Les 4 & 5.)



H. Cours publics et masterclasses

♦ L'immense violoncelliste Gary Hoffman au CNSM de 10h à 17h30 les 3 et 4. Gratuit.





I. Théâtre

Phèdre de Sénèque à partir du 29 avril, au Studio de la Comédie-Française (galerie du Carrousel du Louvre). Malgré l'horaire difficile (18h30), c'est déjà complet depuis longtemps sur toutes les dates.

Shakespeare, As You Like It jusqu'au 13 avril à Malakoff (en français).

Faust de Goethe au Vieux-Colombier à partir du 21. Pas vérifié quel état du texte, ni quelle traduction.

Hugo, Mille francs de récompense, tiré du théâtre en prose et « en liberté ». Pas là qu'on trouve le plus grand Hugo, mais il demeure toujours de solides charpentes, même dans les plus légères. À la Cartoucherie, jusqu'au 8.

L'intégrale Ibsen au Théâtre du Nord-Ouest (TNO sur le calendrier), de maintenant jusqu'à juin ! Certaines pièces sont simplement lues (par une ou deux personnes, selon les cas), mais beaucoup de très rares sur les scènes françaises sont représentées, notamment en ce mois d'avril Brand, La Ligue des Jeunes, Un ennemi du peuple… Téléchargez le calendrier de l'alternance sur leur site pour vérifier.
♦♦ J'avertis tout de même sur les conditions, que vous ne soyez pas surpris comme je l'ai été : très petits moyens (quasiment pas de décors ni d'accessoires), textes débités rapidement (une séance à 19h et une à 20h45, dans la même salle !), en général des coupures. Et surtout, des conditions sanitaires délicates : tenace odeur de tabac froid incrustée, ménage fait tous les six mois (ce n'est pas une image, on a demandé…), donc il peut y avoir, en soulevant les décors, de très importantes quantités de poussières dans l'air (suivant la date du dernier ménage). En principe, ils le font au début de chaque nouvelle série, ce doit donc être le bon moment pour y aller !
♦♦ Le TNO se décrit lui-même comme un phalanstère (qui doit plus coûter que rapporter !), il faut le voir comme une volonté militante de mettre en valeur un auteur dans son entièreté, pas en attendre la plus grande expérience de théâtre de votre vie.

Wedekind, L'Éveil du Printemps, une pièce pleine de sève, à la Comédie-Française à partir du 14.

Adaptation de Kristin Lavrandsdatter de Sigrid Undset (au TNO) – un roman à l'origine ; au Moyen-Âge, une femme déchirée entre sa liberté et sa religion.

Ménagerie de verre de Tennessee Williams au T2G (Gennevilliers), jusqu'au 2. Et à Saint-Quentin-en-Yvelines le 7. (On m'a dit que c'était bien.)



J. Expositions

Ultima Thulé, photographies du Groenland à la Maison du Danemark sur les Champs-Élysées. Gratuit, je crois.

♦ Je ne fais pas la liste de ce qui passe au Louvre, à Guimet et dans les autres grandes maisons, Exponaute le fait très bien, et aprèsle renouvellement de printemps, je n'ai encore vu à peu près aucune des nouvelles.



K. Biz & bicrave

Toutes l'année, suite à des ajustements d'emploi du temps (et quelquefois simplement pour aller à un autre concert !) je revends des places, bien placées, pas chères.

Par ici.

(En ce moment, Ives 4, Zemlinsky Lyrique, Parsifal…)



Bon défis d'avril !

dimanche 18 février 2018

[Carnet d'écoutes n°119] – depuis novembre… I. Pleyel, Chopin, Herzogenberg, Stanford, Zemlinsky, Weingartner, Zhurbin, Connesson…


Quelques écoutes faites, impressions laissées çà et là depuis novembre. Image très partielle d'écoutes diverses, et commentaires parfaitement désinvoltes et informels. Si ce peut suciter des envies d'écoute…

(Rappel du code tartelettes : purement une mesure de mon intérêt personnel, sans prendre en compte les interprétations. 1 : agréable. 2 : à réécouter de temps à autre. 3 : à réécouter souvent. 4 : œuvre de chevet. 5 : parmi les grandes émotions. Et quand c'est meringué, c'est que je suis grognon.)

Hahn – Le Rossignol éperdu (II, Orient) – Ariagno
Hahn – Le Rossignol éperdu (III, Carnets de voyage) – Ariagno
Hahn – Le Rossignol éperdu (III, Carnets de voyage) – Eidi
Hahn – Le Rossignol éperdu (IV, Versailles) – Eidi
Deux lectures très différentes et complémentaires, Ariagno plus pédalée, Eidi plus sec (et il y a aussi Wild plus pianistique, ainsi qu'un quatrième que je n'ai pas encore testé). Les moments archaïsants (Noces de Joyeuse !) sont particulièrement délicieux, et d'une manière générale, on voyage sacrément dans ce cycle pudique mais ambitieux.

Ligeti – Études (livre I) – Banfield
Insupportablement métallique.
Ligeti – Études (livre I) – Aimard
Ligeti – Études (livre II) – Aimard
Rien à voir : un son très rond de soliste, une hiérarchisation des informations (là où tout était sur le même plan chez Banfield), mais aussi quelque chose de très éduqué et mesuré… pas très profusif ni débraillé pour du Ligeti. Finalement, Idil Biret reste ma référence ici.

Southam – Rivers (III-8) – Godlowska
Ça me lasse étonnamment cette fois-ci. Pourtant j'avais contre toute attente adoré ces boucles minimalistes et figuratives (accumulation de péchés mortels), lors de mes précédentes écoutes.


Charpentier – Messe de Minuit – Minkowski
Charpentier – Te Deum – Minkowski
Charpentier – Te Deum – Niquet
Qu'on ne me dise pas que j'ai des goûts inaccessibles après ça. Un peu de français gallican pêchu sur du 2-5-1, et je fonds comme Elphaba.

(Nicola) De Giosa – Don Checco (final) – San Carlo de Naples
Écrire du pré-Rossini en étant né après Verdi, c'est un peu honteux, mais ce n'est pas vilain non plus.

Nowowiejski – Legenda Bałtyku (air) – Beczała
Là aussi, au milieu du vingtième, ressemble à un opéra du milieu du dix-neuvième, glockenspiel en sus.

Sokolović – Svadba – bande d'Aix 2016
« Opéra » pour voix de femmes a cappella. Je n'ai pas trouvé la bande complète, mais j'ai adoré ça. Des frottements harmoniques très expressifs, ça évoque le meilleur de la musique chorale nordique.

Nowowiejski – Quo Vadis (scène III)
Bien mieux que la Légende balte, un romantisme bon teint tout à fait agréable.

Kuhlau Lulu (actes I & II)
Tiré du même conte de Weiland que la Flûte Enchantée (Lulu est le nom de « Tamino »), le grand opéra national danois ; on est du côté des opéras de Spohr et de Schubert, avec des tentations d'airs rossiniens, mais globalement tout palpite en grands dialogues avec chœurs et instruments, une petite merveille.

KuhlauLulu (actes II & III)
Ça baisse en intérêt dans la seconde moitié, mais tout de même remarquablement chouette, et puis cette fin avec mélodrame, puis chœur de réjouissances qui hésite entre Mozart et Hérold !

Kuhlau Elverhøj (trouvé que l'ouverture)
Son œuvre réputée la mieux accueillie, qui lui a ouvert les postes d'enseignement officiels (il n'était pas danois de naissance) ; comédie largement fondée sur des thèmes musicaux folkloriques, en réalité !

SokolovićSvadba – bande d'Aix 2016
Réécoute complète. Vraiment un petit bijou, et une œuvre vraiment différente (six femmes, pas de personnages, pas d'orchestre, que des glossolalies). C'est Machinations avec de la musique (façon chœurs nordiques).

¶ (Brett) DeanHamlet– Glyndebourne 2017
Très bien écrit.

¶ (Jay) ReiseRasputin – Helikon de Moscou
Version traduite en russe. Pas déplaisant, sans être très marquant non plus.

Vainberg – La Passagère – Francfort
Je ne l'avais jamais écouté en entier. Le dispositif double est vraiment intéressant ; dans le genre parlez-moi-des-camps-sur-mes-soirs-de-loisir, c'est autrement plus captivant que la Maison des morts de Janáček !

Tchaïkovski – Optritchnik – Provatorov
Vraiment l'un des tout plus beaux Tchaïkovski (je veux dire par là du niveau d'Onéguine et de Pikovaya Dama), qui décoiffe dans une veine plus typiquement russe !

Tous ces opéras (sauf Elverhøj) sont donnés quelque part cette saison ! 



Chopin – Valses – Ott
Comme dit dans le fil, pas du grand son, mais très finement habité, avec beaucoup de délicatesse, d'épure, d'élégance.

Chopin – Sonate n°1 – Magaloff
Chopin – Sonate n°2 – Magaloff
Chopin – Sonate n°3 – Magaloff
Chopin – Sonate n°3 – Mertanen
Chopin – Sonate n°3 – Pires
Chopin – Sonate n°1 – Magaloff
Chopin – Sonate n°2 – Magaloff
Chopin – Sonate n°3 – Magaloff
Mertanen est complètement invraisemblable de densité… Les autres aussi. J'adore les trois sonates de Chopin, finalement parmi ses œuvres auxquelles je reviens le plus désormais, peut-être aussi parce que ce sont les seules œuvres de Chopin (avec les pièces concertantes hors concertos) que je n'ai pas jouées.

Chopin – Scherzo n°1 – Magaloff (Philips)
Chopin – Scherzo n°2 – Magaloff (Philips)
Chopin – Scherzo n°3 – Magaloff (Philips)
Chopin – Scherzo n°4 – Magaloff (Philips)
Sacré corpus… et Magaloff réussit des plans et des irisations harmoniques assez incroyables.

Chopin – Rondeau à la Krakowiak – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Chopin – Polonaise brillante – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Chopin – Fantaisie sur des airs polonais – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Chopin – Variations sur Là ci darem la mano – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Remarquablement joué, mais les œuvres ne sont évidemment pas du même tonnel, même si j'aime beaucoup le joli rondeau !

Chopin – Études Op.10 – Magaloff
Chopin – Études Op.25 – Magaloff
Pareil que précédemment, quel massif et quels doigts !

Dupont – Les Heures dolentes– Lemelin
Dupont – La Maison dans les dunes – Kerdoncuff
Lemelin est un peu rond pour moi, Kerdoncuff, tranchant et étagé, parfait. J'aime énormément les tourments des heures de délire du malade, ou le le début lumineux et le final venteux de la Maison.

Zhurbin, Symphonie n°2 « Giocosa », Musica Viva ChbO, Ponkin
Du soviétisme, mais léger. La Première est sympa aussi, plein d'effets, assez linéaire et rhapsodique, mais pas sans charme.

Manoury, Kein Licht
Le livret n'est pas très édifiant, plutôt une pochade qu'autre chose, mais la musique est comme toujours très belle !

Mascagni, Iris (avec Mazzola-Gavazzeni et Cura)
Réputé son meilleur opéra, et une sacrée punition !

Casella, La Donna serpente, Noseda à Turin (2016)
Ça emprunte beaucoup à Boris Godounov et à Prokofiev, mais c'est assez plat.



Haendel – Silla – Biondi
Haendel – Serse – (Chandos)
Haendel – Giulio Cesare – Minkowski (Arkiv)
Haendel – Serse – Malgoire (Sony)

I. Pleyel – Quatuor Ben.337 – Pleyel SQ Köln (CPO)
I. Pleyel – Quatuor Ben.338 – Pleyel SQ Köln (CPO)
I. Pleyel – Quatuor Ben.339 – Pleyel SQ Köln (CPO)
Mérite vraiment le détour, et excellente interprétation des Pleyel de Cologne (il y a aussi un Quatuor du même nom, également sur instruments anciens, à Paris).

Mazzoni – Antigono – Onofri (Dynamic)
Du seria classique finissant, assez réussi ; pas mal de contiguïtés avec la Clémence de Titus, musicalement.
Rossini – La Donna del Lago – Zedda (Naxos)
Assez sympa quand même, dans son genre. Au moins il y a de l'action, c'est pas comme dans Semiramide où on décompte les heures qui séparent de la folie d'Assur…

Chopin – Études Op.10 – Geniušas (DUX)
Chopin – Études Op.25 – Geniušas (DUX)
Je découvre Geniušas. On en parle de plus en plus, et depuis assez longtemps ; par ailleurs il donne régulièrement des concerts du Čiurlionis ou du Szymanowski, il méritait donc l'essai.
Et je suis très impressionné, aussi bien techniquement (le legato absolu, la hiérarchisation des sons) que sur la construction générale, très sûre. Indéniablement des moyens et une personnalité qui sortent du rang – et pourtant, je venais de me les écouter par Magaloff, qui irise en même temps qu'il construit, mon horizon à peu près indépassable… et c'est à peu près aussi bien !

Herzogenberg – Geburt Christi – (chez CPO)
Herzogenberg – Geburt Christi – Grube (chez Hänssler)
Le chœur audiblement amateur chez CPO fait un peu mal, tandis que les petits braillards de Grube sont très aguerris et fonctionnent très bien dans une œuvre qui sent plus la liturgie que le chef-d'œuvre musical. Dans ce cadre, elle fonctionne très bien.

Herzogenberg – Liturgische Gesänge – Cantissimo, Utz (Carus)
Herzogenberg – Zum Totensonntag – Cantissimo, Utz (Carus)
Herzogenberg – 4 Motette – Cantissimo, Utz (Carus)
Quand un compagnon de Brahms se met à composer avec la ferveur de l'Obikhod russe. Hallucinant. Le disque de musique a cappella que je me suis le plus passé depuis un an.

Hahn – Quintette avec piano – Orchestre de Chambre de Paris
Les thèmes, les thèmes !  Rien que les pointés exaltant du premier…

Moeran – Symphonie en sol mineur – Lloyd-Jones (Naxos)

Weingartner – Symphonie n°1 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°2 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°3 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°4 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°5 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Je dois dire que je suis moins enthousiaste au fil des réécoutes : quelque d'un chose d'un peu gentil. Je découvrais ce type de postromantisme alternatif à l'époque où j'ai été ébloui, mais maintenant que je peux plutôt écouter Atterberg 1 & 2 ou d'Albert, je suis sans doute moins sensible à Weingartner – qui se renouvelle très peu, j'ai eu l'impression d'entendre cinq fois le même esprit, pas loin de m'impatienter sur la Cinquième…

Vaughan Williams – Symphonie n°3 – Hallé O, Elder (label Hallé)
La prise de son est toujours spectaculaire pour ce label, mais peut-être un peu trop : on finit par profiter du molleux et des timbres, et le discours n'est pas aussi urgent. Pas du niveau des meilleurs volumes de la collection (dans les Sibelius et les Wagner, il y a des tueries).

Schulhoff – Cinq pièces pour quatuor – Orchestre de Chambre de Paris
Schulhoff – Quatuor n°2 – Orchestre de Chambre de Paris

Schmitt – Dionysiaques – Norwegian Wind Band

Scappucci – 3 Canti da Rilke
Compositeur vivant, protéiforme et d'une sensibilité très directe, quoique sophistiquée. Ici, du très bon richardstraussisme… ce n'est pas la face que j'aime le moins de lui.
https://www.youtube.com/watch?v=Xp0O_StS0e8

Scott – Symphonie n°3 – BBCPO, Brabbins (Chandos)


Nielsen – Symphonie n°2 – Festival de Pärnu, P. Järvi (YouTube)
Œuvre de chevet.
Bien mieux que sa version avec Francfort, d'ailleurs.

Martinů – Symphonie n°4 – Radio de Hesse, Ozrozco-Estrada (Chaîne officielle)
Grande version limpide et vive (les superpositions bois-piano si particulières !).

Mozart – Quintette n°3 – Berthaud, Voce SQ (Alpha)
Toujours pas trop compris l'intérêt du truc (mélodie pas très marquante accompagnée en batteries…), mais joué comme ça, avec ce grain et cette netteté, ça passe très bien.
Brahms – Quintette n°2 – Berthaud, Voce SQ (Alpha)

Stanford – Symphonie n°1 – Bournemouth SO, Lloyd-Jones (Naxos)
Stanford – Symphonie n°2 – Bournemouth SO, Lloyd-Jones (Naxos)
Stanford – Symphonie n°5 – Bournemouth SO, Lloyd-Jones (Naxos)
Quelle musique apaisée. Et puis un très beau scherzo dans la 1.

ფალიაშვილი (Paliaşvili), Daisi
Une sorte de Tchaïkovski géorgien… ça fonctionne vraiment très bien, un grand plaisir à tout écouter, mais j'ai l'impression que ça parle plutôt russe sur ma bande… C'est étiqueté Tbilissi, mais comme ça a aussi été donné à Odessa et Moscou, je m'interroge.


WilliamsSuite de Star Wars – Philharmonique de Bergen, Litton
La meilleure version de tous les temps.
Williams – Grande Suite de Star Wars (d'une heure, de I à VI) – Radio Danoise
Version très longue, avec beaucoup de suppléments rarement donnés en concert (Duel of the Fates, Anakin Theme, Love on the Balcony…).
Williams – Suite renouvelée de Star Wars (thème de Rey au lieu de Leïa) – Philharmonique de Bergen, Gardner
Prévu de consacrer une notule à ces bonnes adresses.

Tout ça se trouve en vidéo en ligne (Bachtrack pour le premier, YouTube pour les deux autres).

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Mahler, Symphonie n°3

Tennstedt avec le LPO, sur le vif en 1986 (ICA).
Très habité, évidemment, sans être non plus le Tennstedt le plus extraverti. Dans le dernier mouvement, par exemple, les temps sont beaucoup plus réguliers que d'ordinaire (où beaucoup de chefs allongent la levée du quatrième temps). Mais c'est une des très belles versions, où la tension se tient très bien, sans emphase d'ailleurs.

Levine avec Chicago (1975).
Probablement la version qui colle le mieux au programme : je n'avais jamais entendu les deux premiers mouvements sonner aussi joyeux, c'est assez déstabilisant.
Pour le reste, du vrai Levine : très direct, cuivres assez en avant, pas de circonvolutions, très net. Ce n'est pasle plus mystérieux, certes, mais pour ce qui est de la technique d'orchestre, on ne fait pas vraiment mieux, et tout coule de source.
Le dernier mouvement est une merveille de dosage… même les ruptures de tempo bâtissent la tension, tout paraît d'une telle évidence…

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Spears, Fellow Travelers, Cincinnati SO (Fanfare Cincinnati)
Coup de cœur, voir là : http://carnetsol.fr/css/index.php?2017/11/22/2978--opera-amours-uranistes-chez-mccarthy.
Spears, The Bear and the Dove, par Inscape (Dorian Sono Luminus)
Spears, Requiem, dirigé par le compositeur (New Amsterdam)
Un collage étonnant (ordinaire de la messe mélangé, un poème religieux français mis en musique par Le Jeune, stratifié, puis harmonisé comme du Whitacre…). Assez sympa.

Charpentier, David & Jonathas, Antipodes O & A. Walker, avec Dahlin (ABC)
Très belle version, fin remarquablement réussie. (Moins froid et « blanc » que les versions Christie.)

Debussy, Deux Danses, Nordmann & Debussy SQ (Timpani)
Caplet, Trois Prières, Masset, Nordmann & Debussy SQ (Timpani)
Caplet, Conte Fantastique, Nordmann & Debussy SQ (Timpani)

Zemlinsky, Sinfonietta (arrangement de chambre), Storgårds (Ondine)
Zemlinsky, Sinfonietta, Philharmonie Tchèque & Beaumont (Chandos)
Zemlinsky, Symphonie en si bémol, Philharmonie Tchèque & Beaumont (Chandos)
Zemlinsky, Psaume 23, Radio de Berlin & Chailly (Decca)
Zemlinsky, Symphonie en si bémol, Radio de Berlin & Chailly (Decca)

Ropartz, Petite Symphonie, Orchestre de Bretagne (Timpani)
Ropartz, Pastorales, Orchestre de Bretagne (Timpani)
Côté assez milhaldien dans tout ça, mais sympa.

¶ récital français d'Arquez avec l'ONBA
Plus chouette que ce que j'en avais vu avec piano en récital, sans doute plus longtemps mûri aussi.

Berlioz, Les Troyens, Nelson.
Référence assez absolue, à commencer par l'orchestre.

Duruflé, Danses pour orchestre, RTF.
Duruflé, Intégrale pour orgue, Flamme.
Beau renouvellement de l'image de Duruflé, pas uniquement contemplatif similigrégorianisant.

Charpentier, Pastorale de Noël, Christie.
C'est pour ça que ça m'avait peu marqué avant Daucé : vraiment moins atmosphérique, malgré la distribution très affriolante.

Kodály, Sonate Op.8 pour violoncelle seul, Weilerstein.
Très belle interprétation, toujours pas convaincu par l'aspect très surchargé (et long !) de ce patchwork d'airs folkloriques d'aspect très sombre.

Veress, Sonate pour violoncelle seul, Queyras.
J'aime bien Veress, mais ça j'aime pas. Assez pénible dans le genre violoncelle virtuose un peu creux.

Fried, Die verklärte Nacht, Foremny
Même si l'enregistrement ne les met pas très en valeur, j'écoute de plus en plus les détails d'orchestration – la prise de parole du ténor sur la seule section de vents, ce doit être assez extraordinaire en concert. Et il faudrait le jouer au moins deux fois, l'une pour l'ivresse des paroles, des voix, du poème, l'autre pour écouter toutes les petites finesses qui jalonnent la pièce.

Beethoven, Sonate n°28, Backhaus
Beethoven, Sonate n°29, Backhaus
Beethoven, Sonate n°30, Backhaus
Beethoven, Sonate n°32, Backhaus
Dans le genre un peu dur et sans aucun effet de manche une vraie valeur sûre véritable.

Berlioz, La Damnation de Faust, Ozawa
J'avais adoré la bande de Paris (2001, avec Larmore, Sabbatini et van Dam !), mais ici, malgré la qualité du détail, c'est un peu sérieux, et McIntyre en Méphisto, non, ce n'est pas possible : sérieux, uniforme, moche, ça ne fonctionne même pas à rebours comme son Golaud. Dommage, il y a Burrows en face (et Mathis).

Steffani, Duos de chambre, Stubbs & O'Dette (avec Baráth et Forsythe).
Steffani, Cantates, Fons Musicæ (avec Zanetti et Bertin).
Vraiment très personnel comme univers, surtout les duos, et ineffable. Le disque de duos de chambre de Curtis (avec Watkinson, Esswood, Elwes, etc.) est une tuerie d'une prégnance inestimable.
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Mahler, Symphonie n°8, Nagano.
Version attirante même si Nagano arrondit comme toujours les angles, un peu tranquille ; elle additionne Dawson dans des parties très instrumentales, Matthews, Roth dans de la belle déclamation, Rootering, le DSO Berlin et le Chœur de la Radio de Berlin…
… et j'écoute Gambill ruiner tout ça avec ça voix qui pleure (et pas toujours sur la note).
Au demeurant, ce n'est pas pire que bien des ténors dans cette partie impossible, même Jovanovich n'est pas à son aise ici !  (Finalement j'y aime bien le crâne Riegel !)

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Schumann, Symphonies 1-2-3, Gewandhaus, Chailly
Assez déçu à la réécoute… et vraiment, ce que fait Mahler, en « normalisant » Schumann, est tout à fait sans intérêt : c'est aussi mal orchestré qu'avant, mais ça correspond moins à l'équilibre général. Ce n'est plus bizarre ou défectif, juste mal fait.

Schumann, Symphonies 1 & 3, WDR, Vonk
Une des très grandes intégrales (comme Zinman, Barenboim-SkBerlin, Sawallisch, Rattle, Solti…), très vive, poétique, tendue vers son but. La Radio de Cologne a déjà atteint son niveau exceptionnel actuel.

Schoeck, œuvres chorales avec ou sans orchestre, MDR Leipzig
Grosse et magnifique surprise que ces bouts d'opéra (où de Mahler, comme ce Dithyrambe !).

Un peu de glotte : Ariodante de Haendel (« Dopo notte » par Hallenberg et Curtis, lors d'un concert roumain), Prince Igor de Borodine (l'air du Prince : Putilin au Mariinsky, Azizov au Bolshoï dans la récente version révisée de Liubimov).

Schoeck, Notturno, Rosamunde SQ, Gerhaher
Merveille, dans une version très parlée, très étonnante.

Protopopov, Sonate n°3, Fikret Amirov
Zaderatski, Sonate n°2, Fikret Amirov
J'aime davantage la Première de Popov. En revanche, dans le genre erratique mais familier, la 2 de Zaderatski est très réussie !

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Cihanov, Cälil, Opéra National Tatar de Kazan
→ Musa Cälil, poète kazakh, par ailleurs auteur d'un livret d'opéra, est fait prisonnier en Pologne en 1942. Il rejoint alors la « légion nationale » Volga-Tatar formée par les prisonniers des allemands pour combattre les soviétiques sur leur propre sol. Enrôlé sous un faux nom, il infiltre l'unité de propagande, utilise ses moyens pour diffuser des tracts séditieux, prépare la rébellion, jusqu'à ce que le premier bataillon tatar parte sur le front… et abatte tous ses officiers nazis. Les mutins sont arrêtés par la Gestapo en Biélorussie, et Cälil (âgé de 38 ans) et ses compagnons, non sans laisser des carnets (Le Serment de l'Artilleur), sont guillotinés à Berlin. Dans l'opéra, tout se passe dans un camp… à côté, la Passagère de Vainberg ou Ismaïlova de Chosta, c'est bigarré comme Pinder.
→ Musicalement, ce n'est vraiment pas bon : alternance de marches simplissimes, de danses folkloriques et de mélodies lyriques à couleur locale, le tout juxtaposé, de la grosse fanfare purement au service du sujet patriotique : le poète est d'abord torturé, puis maudit par les siens lorsqu'il feint de se nazifier, puis glorifié. Bref, rien à voir avec la superbe découverte de ფალიაშვილი (Paliaşvili), pour en rester dans le domaine d'influence russe sur des langues non indo-européennes.

Prévu de redire tout cela dans une notule à part (mais la présentation a déjà été postée d

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Boris Tichtchenko

Comme les concertos pour clarinette sont à peu près les seuls que j'aime vraiment, j'ai voulu écouter.

Trois œuvres sur le disque.

Concerto pour piano.
Épouvantable : du minimalisme à base d'accords martelés (au moins, Glass, ça plane). Et long en plus, cinq mouvements.

Concerto pour clarinette.
D'une délicatesse infinie. Un délice pastoral, il n'y en a pas beaucoup d'aussi beaux dans le répertoire.

Signes du Zodiaque, pour soprano et orchestre à cordes.
À tomber. Une beauté simple, une évidence mélodique sans façon, et pour ne rien gâcher Yana Ivanilova est assez miraculeuse.

Comme Gricha, voilà que je me mets à crier « Boris, Boris ! ».
(non, je ne parle pas des Bogdanov, grands nigauds que vous êtes)

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Grisélidis de Massenet. Peut-être le meilleur Massenet, en tout cas le plus naturellement dramatique (ce qui n'est pas peu dire !).

Tchaïkovski, la Sixième de Kampen & Concertgebouw. Il y a quand même eu mieux depuis (les cordes ne sont pas très agiles comparées aux standards d'aujourd'hui), mais terriblement intense, quoique assez vif (les râles des cordes graves, brrrrr).
Je me suis bissé l'Ouverture 1812 sur le même disque, d'une énergie et d'une précision d'articulation proprement inouïes.

¶ Puis poursuivi avec les limpides poèmes symphoniques par Oslo-Jansons (les trompettes acidulées à la norvégienne dans Roméo) et Royal Philharmonic-Ashkenazy (avec la rare Élégie à Samarine).

¶ Et puis tout de même, vous devez entendre ça, les Rückert de Mahler par Norman à son sommet, à se coller à son siège.

Massenet, Grisélidis, version de la RTF avec Moizan, Mallabrera, Betti, Depraz… Quelle merveille, oui, le meilleur Massenet, je maintiens (Thaïs et Amadis sont en embuscade derrière).

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Magnard, Symphonie n°1, Malmø SO, Th. Sanderling (chez BIS).
Vraiment le type de musique dont on ne se demande pas pourquoi ce n'est pas plus joué. Non pas que ce soit mauvais, mais si austère, si peu de mélodies saillantes, de moments ou d'effets qui accrochent l'oreille…

Magnard, Symphonie n°3, Malmø SO, Th. Sanderling (chez BIS).
Bien meilleure (la meilleure des quatre, m'a-t-il toujours semblé, mais j'aime bien aussi la lumière de la 2), un beau mouvement lent, de vrais effets de progression prenants, dans le final en particulier. Version vraiment pas mal d'ailleurs, merci Malmø d'alléger la pâte (car pas trop le genre de Th. Sanderling !).

Magnard, Chant Funèbre (et le reste du disque Timpani : Hymne à la Justice, à Vénus, terne Suite dans le style ancien…). Commence vraiment de façon simple, sinistre, répétitive, mais la façon dont le même motif obstiné s'illumine peu à peu, c'est saisissant !

À mon grand désarroi, je crois que j'aime désormais les Symphonies de Magnard.

La rhétorique de la 3, la lumière de la 2, le mouvement lent complètement épuré et rétro de la 4… il n'y que la 1 où je n'aie rien trouvé de saillant. Je me suis même bissé les 2 & 3 immédiatement après écoute.

Il faut dire que la version de Thomas Sanderling (pourtant pas un modèle de clarté dans ses jeunes années) avec Malmö enlève toute l'épaisseur superflue. C'est toujours assez massif et sévère, mais pour la première fois (après avoir testé pas mal de versions, assez régulièrement), j'en perçois les beautés… et je crois que j'aime beaucoup.

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d'Indy, Fervaal. Vraiment du Wagner partout, jusque dans le livret avec les blocs de narrations rétrospectives insupportables. (Et puis la malédiction de l'amour, les appels hors scène, etc.) Des bouts entier de la Walkyrie et de Siegfried là-dedans.
Mais musique ineffable (et très bien servie, en particulier par Sophie Fournier, Philippe Rouillon et le Symphonique de Berne).

¶ Beethoven – Chansons galloises, écossaises, irlandaises – Daneman, Agnew, Harvey, J. Hantaï… (Naïve)
Que c'est frais et réjouissant ! On devrait jouer ça tout le temps…

Mendelssohn – Symphonie n°3
Harnoncourt-COE, puis Jansons-BayRSO. Le second est vraiment impressionnant, plus proche du jeune Jansons en fait : clarté des plans, et souci de la danse (le mouvement final est ralenti pour pouvoir mieux rebondir dans les articulations de ce qui est, nous disent les indications, bel et bien une danse, ce qu'on perçoit rarement).

Connesson – Flammenschrift – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Connesson – Concerto pour flûte – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Connesson – È chiaro nella valle il fiume appare – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Connesson – Maslenitsa – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Merci à Benedictus d'avoir mentionné Flammenschrift, j'étais passé à côté du disque. Cette pièce-ci n'a pas grand intérêt (quel est le lien avec Beethoven ? sans lire la notice, pas vraiment évident), mais le reste du disque est assez formidable ; pour commencer le plus beau Concerto pour flûte du répertoire (il est vrai plutôt sinistré), et puis ce poème symphonique richardstraussien en mieux, È chiaro nella valle il fiume appare (sorte d'Alpestre en inspiré, à rapprocher d'Älven d'Atterberg).
Un délice que je me suis bissé.

Connesson – Aleph – Scottish RNO, Denève (Chandos)
Connesson – Une lueur dans l'âge sombre – Scottish RNO, Denève (Chandos)
Connesson – Supernova – Scottish RNO, Denève (Chandos)
Et puis j'ai passé le reste de mon temps d'écoute depuis à écouter du Connesson symphonique (encore déçu à la réécoute de Supernova, mais Aleph est superbe…).

Beethoven – Quatuor n°13 – Pražák SQ
Beethoven – Quatuor n°12 – Pražák SQ
Beethoven – Quatuor n°14 – Pražák SQ
D'assez bonnes œuvres plutôt bien interprétées. Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven

Haendel – Concerto à double chœur n°1 – Freiburger Barockorchester
Haendel – Concerto à double chœur n°2 – Freiburger Barockorchester
Haendel – Concerto à double chœur n°3 – Freiburger Barockorchester
Nouveauté. Sympathique, en, particulier And the Glory of the Lord dans le 1 et Glory to God dans le 2, thèmes du Messiah. Trèsbelles couleurs, sinon.

Ruders –Haendel Variations – Aarhus SO, Andreas Delfs (Da Capo)
Ruders – Concerto pour alto – Lars Anders Tomter, Aarhus SO, Marc Soustrot (Da Capo)
Ruders – Bel Canto pour violon solo – Rune Tonsgaard Sørensen (Bridge)
Ruders – Serenade on the Shores of the Cosmic Ocean – Mikko Luoma (accordéon), iO SQ
Un thème court de Water Music très vite méconnaissable, mais vraiment agréablement écrit pour l'orchestre. Le concerto pour alto s'écoute très bien, de même que le solo de violon, sans que l'un ni l'autre ne soient non plus des sommets absolus ni des nouveautés particulières (le disque Da Capo vient cependant de sortir, et le volume 6 de l'édition Bridge ne doit pas être trop vieux non plus).
En revanche, l'Océan cosmique est une addition de stridences (certes calmes) de quatuor surmontées de celles de l'accordéon. Ça fait un peu bobo, malgré les plaisantes épigraphes qui citent du Darwin ou le nom botswanais de la Voie Lactée…).

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Gounod – Le Tribut de Zamora

Écouté hier sur la Radio Danoise P2 qui le diffusait. On peut le réécouter pendant quelque temps : https://www.dr.dk/radio/p2/p2-operaaften/p2-operaaften-zamoras-hyldest .

Pas pu attraper le début, mais ça m'a semblé du niveau de Roméo, meilleur que la Reine de Saba, un grand Gounod… veine mélodique pas aussi évidente que Faust (qui est à part pour le meilleur et pour le pire…), mais un lyrisme remarquable en revanche, peut-être son œuvre la plus lyrique d'ailleurs.

Et c'est vraiment un flux de beautés, sur une intrigue de serments trahis plutôt bien faite, quelque part entre la Force du Destin, les Pêcheurs de Perles et le Trouvère…

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Schoeck – Besuch in Urach
La version orchestrale est une tuerie de chatoyances verbales, vocales, orchestrales. On devrait interdire de faire des trucs aussi beaux, ce n'est pas chrétien.
Surtout qu'avec Rachel Harnisch et Venzago à la tête du Symphonique de Berne, rien ne manque à l'orgie transfiguratoire (car, oui, c'est encore une transfiguration que ça raconte).

samedi 20 janvier 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #5 : en anglais




opera house
L'opéra de Debrecen et l'étrange géométrie de son plafond.
On y donne Acis and Galatea de Haendel.




Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français.

À venir : polonais, slaves occidentaux (tchèques, slovaques) & méridionaux (slovène, croate), celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



opera house
La salle du Pinchgut Opera a un plan en « boîte à chaussures » inhabituel pour une salle prévue pour le scénique, surtout avec ses sièges latéraux orientés à 90°.
Pinchgut est une île qui fait face à Sydney, presque entièrement occupée par son Fort Denison, à l'image d'If à Marseille. La compagnie qui a pris son nom se situe dans la ville, bien sûr, et est spécialisée dans l'exécution d'opéras du XVIIe et XVIIIe siècle sur opéra d'époque, de très bon niveau ainsi qu'en témoignent quelques disques.

On y donne Athalia de Haendel.



Opéras baroques

Pas d'Arne, rien que du Haendel, désolé – mais quelqu'un doit bien faire Blow quelque part, au moins une version de concert dans une petite salle.

Haendel, Acis and Galatea (Debrecen)
Haendel, Athalia (Pinchgut de Sydney)
Haendel, Saul (Mainz, an der Wien)
Haendel, Apollo e Dafne (Graz)
→ Trois « oratorios » (en réalité des opéras en anglais, même pas toujours sur sujet religieux) et une cantate, Apollo e Dafne – il a aussi existé une Daphne, son quatrième opéra et le dernier de sa période hambourgeoise, mais la musique en est perdue.
Acis contient des airs assez marquants et hors de l'ordinaire (les graves profonds de Polyphème ont leur célébrité chez les basses), tandis que Saul est beaucoup plus varié et mobile qu'un seriastandard,mais je trouve, étrangement, que cela ne se ressent quasiment que dans l'antique studio Harnoncourt, là où les plus informés, fût-ce Jacobs, ne parviennent pas tout à fait à rendre cette force du verbe biblique et cette atmosphère très singulière. Je ne puis donc préjuger du rendu en salle.

opera house
La salle de l'Opéra d'Edmonton, en Alberta.
On y donne HMS Pinafore de Sullivan.




Opéras romantiques

Là aussi, on aurait pu espérer les bijoux (mélanges de belcanto, de fantastique weberien et de numéros assouplis à la française…) comme Robin Hood de Macfarren, Satanella de Balfe ou Lurline (Loreleï…) de Wallace. Mais je n'ai rien vu, et il est vrai que même dans les Îles Britanniques, cette part du patrimoine reste tout à fait occultée, hélas – ceux que j'ai pu entendre valent largement les opéras d'Adam et Auber, dans un style similaire (mais plus ambitieux qu'eux, ils ont de toute évidence respiré Weber et Marschner).

Sullivan, The Pirates of Penzance (Leipzig, Ulm, Meiningen, San Diego)
Sullivan, HMS Pinafore (Edmonton en Alberta)
Sullivan, Trial by Jury (Leeds)
→ Répertoire léger mais prégnant qu'on ne joue guère hors des îles britanniques et de l'Amérique anglophone… la musique en est très consonante et formellement tout à fait simple, mais pas sans séductions mélodiques ; les livrets originaux et piquants ; l'ensemble virevoltant avec beaucoup de finesse en fin de compte – moins virtuose que Rossini, sans doute, mais aussi beaucoup moins souligné que les Offenbach : le meilleur du comique anglais.
→ À présent qu'il est ordinaire de jouer des opéras, même dotés d'une veine comique verbale significative, en langue originale – sans mentionner la généralisation de l'usage de l'anglais dans la population –, il n'y a pas vraiment de raison de ne pas en donner au moins les titres emblématiques : Penzance (qui existe en français, d'ailleurs), Pinafore, Mikado, Yeoman… en ce qui me concerne, je les trouve plus stimulants à tout point de vue (musicalement, mais surtout beaucoup plus amusants) que les petits Offenbach qu'on redonne ici et là. J'avoue cependant ne pas en être assez familier pour disposer d'une opinion sur les petits Gilbert & Sullivan, qui ne valent peut-être pas mieux !

Chadwick, Burlesque Opera of Tabasco (New Orleans)
→ George Whitefield Chadwick est un des plus beaux représentants du romantisme musical américain, à la fin du XIXe siècle (1854-1931) – de la Second New England School, comme Amy Beach. Sa Deuxième Symphonie témoigne d'une belle maîtrise de tous les aspects d'écriture, dans une veine simple et lumineuse. Mais les Symphonic Sketches sont encore plus intéressants, plus personnels – culminant dans le mouvement lent, « Noel », tout à fait dans l'esprit folklorique de la Neuvième de Dvořák !
→ Son opéra Tabasco de 1894 en témoigne. (Oui, Tabasco comme la sauce.) Intrigue minimale : : Hot-Heddam Pasha menace de décapiter son cuisinier français (en réalité un imposteur irlandais) si celui-ci ne relève pas davantage ses plats. Après une recherche désespérée à travers la ville, c'est la mystérieure fiole d'un mendiant aveugle qui fait l'affaire, en réalité une bouteille de sauce au piment Tabasco.
→ C'était au départ une simple commande locale d'une milice de Boston, à l'occasion d'une levée de fonds pour une nouvelle armurerie. Mais le succès fut grand, les droits rachetés par un producteur ambitieux, un accord passé avec l'entreprise créatrice de la sauce, ce qui a transformé la petite pièce légère en grand événement traversant le continent dans une forme de cirque extraverti (distribution de produits, immense bouteille en carton-pâte sur scène).
→ Musicalement, nous avons affaire à de la pure veine légère anglophone, quelque part entre Sullivan et Candide de Bernstein, très agréablement réussi. [Je ne crois pas qu'il en existe d'intégrale officielle, mais YouTube en fournit plusieurs extraits.]



opera house
L'Opéra de Tel Aviv évoque de l'extérieur un de ces hôtels de luxe de la côte.
On y donne A Midsummer Night's Dream de Britten.




Opéras du XXe siècle

On y trouve essentiellement des compositeurs dans une veine tout à fait tonale, artisans d'un héritage raisonnable du passé, à exceptions près (qui ne sont pas du tout de l'opéra d'ailleurs, mais figuraient dans les saisons de respectables maisons).

Je les ai laissés dans l'ordre suggéré par leurs dates de naissance.

Barber
, Vanessa (Frankfurt-am-Main)
→ Je tiens Vanessa pour l'un des opéras les plus aboutis de tout le répertoire, sa cohérence entre livret et musique, sa fluidité, sa façon de toucher simplement à la vérité du théâtre et à la beauté de la musique n'ayant que peu d'égales.
→ Une notule le présente plus amplement (ainsi que les contraintes de distribution et circostances de création).

Britten
, The Rape of Lucretia (Cologne)
→ L'opéra (le troisième de ses quinze) a l'originalité de convoquer des coryphées, mais j'aurais peu de bien à en dire. Langage sonore très gris, livret très lent (et qui fait du viol de Lucrèce un semi-rêve assez déplaisant dans ses insinuations – comme la jeune mère de Merlin, elle fait un rêve érotique, bien fait pour sa tronche), où même la scène-titre se déroule très lentement, habillé d'échanges bavards et flous… Et tout ce qui précède et suit a finalement un rapport dramatique assez lâche avec ce que devrait être l'histoire de Lucrèce – tout l'apparat romain a disparu, en tout cas. Même la prosodie, parfois le point fort de Britten, est ici noyée dans un semi-lyrisme récitatif sans grand relief. Bof.

Britten
, Gloriana (Madrid)
→ Commande de Covent Garden pour le Couronnement d'Elizabeth II, en 1953, Gloriana est une variation sur l'épisode des amours et de la mort de Robert Devereux, amant d'Elizabeth Ière. Chez Britten, Devereux est moins perdu par ses ennemis à la Cour que par ses propres faiblesses à la guerre, voire par ses propres partisans – sa mort est signée devant l'aplomb de ses soutiens, le considérant indispensable au gouvernement du royaume. Et tout cela sert de support à une méditation sur l'âge (Elizabeth est déjà mûre), sur la solitude de l'individu, sur l'avenir de tout amour et de toute vie…
→ Musicalement, le sujet est bien sûr l'occasion pour Britten d'écrire dans une langue assez claire, au besoin néoclassique, et plutôt en aplats d'accords, comme accompagné sur orgue positif. Pas forcément très saillant, mais d'une belle sobriété ; peut-être un peu régulier pour se montrer efficacement dramatique.
→ Le sujet n'est finalement pas très révérencieux, présentant cette reine déclinante, hésitante, sensible aux morsures de l'amour-propre. Mais, au demeurant, Elizabeth II n'a pas choisi son nom de règne (un souverain d'Angleterre peut changer son prénom, comme les papes) en référence à son inégalable devancière, simplement décidé de conserver son nom de baptême – peut-être plus de la modestie que de l'ambition, mais je ne suis pas assez familier des biographes de ladite majesté pour m'avancer sur le sujet.
→ Il existe une bande de la création – avec Peter Pears en jeune galant (!), mais aussi Geraint Evans en Lord (!) et Monica Sinclair en Lady (!!). Mais le son un brin ouaté accentue plutôt les limites du style de Britten, à mon sens.

Britten, A Midsummer Night's Dream (an der Wien, Tel Aviv)
→ Même si les parties amoureuses sont plus grises, le Songe de Britten, au milieu de sa carrière (1960) est l'un de ses opéras les plus coloré et inventifs, en particulier dans toutes les parties féeriques : le contre-ténor inhabituel d'Oberon, écrit pour Deller, les fanfares grêles des Elfes, les interventions parlées savoureuses de Puck… Vraiment du Britten inhabituellement bigarré, et très inspiré par endroit.

Britten, The Prodigal Son (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Antépénultième opéra (ou assimilé) et troisième de ses paraboles pour représentation d'église, c'est aussi la moins convaincante (Noye's Fludde dispose d'un certain impact dramatique ; The Burning Fiery Furnace s'essaie à une modernité un peu plus radicale), très peu saillante à mon gré – un peu comme du mauvais Billy Budd.

Britten, Death in Venice (Stuttgart, Linz)
→ Un cas étonnant de Britten beaucoup plus germanisant, décadent même, d'un langage plus hardi (enfin, de la tonalité avec de légères touches un peu plus berguiennes, pour les années 70…) et plus romantique à la fois. Bien sûr, la déclamation très en avant et un peu indifférenciée reste toujours la sienne, mais le changement de couleur est patent, et ce n'est pas si souvent donné.

Menotti, The Medium (Berne, Chicago, New Orleans)
Menotti, The Consul (Dayton, Lawndale en Californie)
Menotti, Amahl and the Night's Visitors (Lausanne, Sofia)
Menotti, célèbre pour avoir été le librettiste (et compagnon) de Barber, a produit un grand nombre d'œuvres scéniques (2 ballets-pantomimes, 18 opéras dans tous les genres, de la piécette bouffe d'une demi-heure à l'opéra historique néo-romantique, en passant par toute une gamme de sujets et langages intermédiaires). D'un langage tout à fait tonal, mais puisant à de très nombreuses écoles, le résultat n'en est pas musicalement unique, mais toujours très opérant en tant qu'objet de théâtre musical.
Amahl est un gentil opéra pour enfants, qui existe, comme The Telephone ou The Medium, en plusieurs langues dont le français. Mais aussi en allemand, comme The Consul – qui sera donné en allemand en Allemagne et en Autriche pendant cette saison.
→ Les deux autres sont plus dramatiques, quoique intégrant des éléments plaisants, en particulier dans The Consul, son opéra le plus sombre (du moins parmi ceux enregistrés), où pourtant le comique absurde abonde, culminant dans d'improbables tours de magie (au départ minables, à la fin presque surnaturels) au sein même du Consulat.
The Consul est une histoire terrible, une tragédie bureaucratique kafkaïenne épouvantable, écrite dans un langage qui emprunte à la déclamation et aux atmosphères oppressantes de Britten, au lyrisme de Puccini, à l'harmonie de Poulenc, et pourtant traitée avec une vivacité particulière et une prédominance de l'humour. Une notule lui est consacrée.
The Medium, son œuvre la plus jouée, est probablement la plus travaillée sur le plan musical, avec une variété de textures, un travail sur l'orchestration, sur les contrastes entre scènes, sans rien céder à ses qualités prosodiques et théâtrales habituelles. C'est un rôle où ont brillé les grands mezzos déclinants mais glorieux – Mödl, Crespin, Gorr… [Vous pouvez par exemple l'aborder avec cette version en français – Metz 1994 avec Gorr, Raphanel, Zanetti !]
→ Assez peu donné sur les grandes scènes, Menotti est en revanche très régulièrement programmé dans des théâtres de taille moyenne – car, je suppose, ne réclamant pas d'orchestres immenses, n'obligeant pas à des pyrotechnies invraisemblables, et toujours très payant scéniquement. Il doit, en fin de compte, figurer parmi les compositeurs nés au XXe dont les opéras sont le plus joués. Et ce n'est que justice : sans être un compositeur majeur, chaque œuvre, prise comme un tout, fonctionne à la perfection, pas de longueurs, pas de faiblesses, surtout dans sa première période – The Saint of Bleecker Street et bien plus tard Goya, plus sérieux, ont moins de saillances. [Mon chouchou reste la courte conversation en musique The Telephone.]

opera house
À la Taschenoper (« Opéra de poche ») de Vienne.
On y donne A House Full of Music de John Cage.


Partch, Barstow: Eight Hitchhikers' Inscriptions (Buenos Aires)
→ Je l'ai vu classé dans un saison d'opéra, mais Barstow est loin de répondre à la définition stricte, ni même élargie de l'opéra : il s'agit d'inscriptions d'auto-stoppeurs lus sur une rambarde routière à Barstow, en Californie (1841).
→ Harry Partch est resté célèbre pour ses créations d'instruments ; pendant la Grande Dépression, il a vécu comme vagabond auto-stoppeur / intérimaire itinérant (hobo), et a réalisé quantité d'instruments nouveaux à partir de matériaux sommaires.
→ Cette œuvre, originellement écrite pour voix guitare adaptée, a aussi été révisée (en 1954 et 1968) pour deux voix, et des instruments propres à Partch que même la base de l'IRCAM ne nomme qu'en anglais : surrogate kithara (cithare de substitution, je dirais), chromelodeon, marimba diamant et boo. Très accessible et sympathique, mais cela ne dure que dix minutes.

Cage, A House Full of Music (Taschenoper de Vienne)
→ Je l'ai vu, de même, mentionné dans des saisons d'opéra, mais enfin, malgré quelques glossolalies (et explications parlées surimprimées), c'est plutôt une forme de poème symphonique de chambre (produit notamment avec des batteries de cuisine…). Du vrai Cage, très ludique, pas forcément intéressant musicalement.

opera house
Le Noah Liff Opera Center accueille l'Opéra de Nashville (Tennessee).
On y donne Susannah de Floyd.
(Et on y propose aussi, dès le 27 ce mois, j'en parlerai dans la notule consacrée aux créations, un très prometteur et subtil Hercules vs. Vampires !)


Floyd, Susannah (Nashville)
→ Le grand classique du patrimoine américain (avec A Streetcar Named Desire, dans le genre très différent de la conversation en musique et du théâtre d'auteur). Susannah est au contraire une histoire où les enjeux moraux et sociétaux sont très conservateurs, écrite dans un langage hors de son temps, complètement romantique, très lyrique.
→ Musique pas du tout neuve (le livret davantage, puisqu'il fait écho à une culture qui n'est pas directement européenne, mais il n'est pas fabuleux), mais très beau si on aime l'opéra dans ce qu'il peut avoir d'élancé, de simplement lyrique – un Puccini sans sophistication post-wagnérienne et sans sirop, si vous voulez. J'aime assez, je dois dire. Je l'ai déjà dit : je suis un garçon simple.

opera house
Le pittoresque orientalisant de l'Opera North, marque qui s'est imposée pour désigner l'Opéra de Leeds (phtographie de Don McPhee pour le Guardian).
On y donne Trouble in Tahihi de Bernstein.

Bernstein, Trouble in Tahiti (Amsterdam, Leeds, Semperoper de Dresde, Boston, Opera Parallèle de San Francisco… et l'Athénée à Paris)
Bernstein, On the Town (Saint-Gall)
Bernstein, A Quiet Place (Kammeroper de Vienne)
→ Trois comédies musicales : les premières, et puis la dernière, qui reprend Trouble in Tahiti en y adjoignant de nouveaux actes. Les trois sont de la très bonne comédie musical, dans un style de… comédie musicale. Ne surtout pas y chercher de l'opéra (ni même l'éclectisme de la Messe).



opera house
Intérieur coloré de du Théâtre de Saint-Gall (Sankt Gallen) en Suisse.
On y donne On the Town de Bernstein.




Ce n'est pas une année de redécouvertes particulièrement fastes en langue anglaise, mais à l'échelle du monde, il y a tout de même de quoi admirer quelques beautés.

En revanche, hors patrimoine, on verra beaucoup de créations et de reprises d'œuvres récentes (certaines intriguantes, voire terrifiantes), que je traiterai dans une notule à part… (mais d'ici à ce que je la publie, je pourrai sans doute en écouter certaines qui auront été jouées !)

mercredi 15 novembre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #3 : en allemand





landestheater detmold
Le Landestheater de Detmold (Rhénanie du Nord – Westphalie, 73000 habitants, la taille de Cannes hors saison, moins peuplé que Champigny-sur-Marne ou Béziers…), où l'on jouera l'Élégie pour jeunes épris de Henze.
Comme il est d'usage dans les villes moyennes d'Allemagne, il existe non seulement un opéra (650 places…) mais aussi un orchestre permanent (Orchester des Landestheater Detmold, tout simplement) et une programmation assez ambitieuse : Henze, Adès, Wagner, et le Dracula de Wildhorn (dont je parlerai dans la notule sur les rassemblant les œuvres récentes). Bien sûr Mozart, Puccini et Kálmán, comme partout ailleurs.
Malgré son aspect XVIIIe-pragois, le théâtre, détruit par un incendie en 1912, a été conçu à partir de 1914 et inauguré en 1919 (oui, parfaitement, ça ravage la France et ça se contruit des théâtres néoclassiques).




Avant de lire cette notule :
principe général du parcours ;
¶ programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
¶ programmation en langues italienne et latine.

Une surprise frappante, en observant la programmation du centre de l'Europe (et jusqu'aux franges les plus slaves comme la Bulgarie, l'Ukraine ou la Moldavie) : les opéras les plus donnés dans le monde, si l'on excepte la poignée d'ultra-tubes évidents (Don Giovanni, La Flûte enchantée, La Traviata, Carmen, La Bohème) sont manifestement Comtesse Maritza et Princesse Czardas de Kálmán !  Car l'opérette de langue allemande (éventuellement traduite) est réellement omniprésente à l'Est, de façon extrêmement massive, l'impression d'avoir lu ces titres dans tous les pays de cette région (jusqu'en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine) !

Par ailleurs, cette saison est remarquablement riche en véritables raretés de très haute qualité, et l'avoir épluchée me donne moi-même quelques envies de voyage…

J'ai tâché d'ajouter des liens vers les œuvres, lorsque c'était possible, afin de satisfaire davantage votre immédiate curiosité.



landestheater detmold
Intérieur du Théâtre National Antonín Dvořák d'Ostrava, seconde ville de Moravie et troisième du pays. On y donnera Iphigénie en Aulide de Gluck, manifestement en allemand.



1. Opéras baroques et classiques

Telemann, Pimpinone (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Intermezzo comique destiné à occuper l'entracte d'un opéra seria, comme c'était l'usage – et, selon la mode hambourgeoise, à la fois en italien et en allemand. Une intrigue de femme rouée qui veut se faire épouser par un riche vieillard, tout à fait standard. La musique n'en est pas vilaine, sans en être spectaculairement originale.
Extrait.

Gluck, Iphigénie en Aulide, en allemand (Ostrava en Moravie)
→ L'œuvre écrite pour Paris, la première présentée par Gluck. Dauvergne raconte dans ses mémoires qu'à la lecture de la partition, les directeurs étaient persuadés que, s'ils donnaient l'œuvre, ils allaient immédiatement ringardiser tout leur répertoire – ce qui advint, d'où la frénésie d'œuvres nouvelles et d'invitation de compositeurs italiens (Piccinni, Sacchini, Salieri, Cherubini…). C'est évidemment une vision rétrospective (et Gossec utilisait le même langage dans Sabinus donné quelques mois avant), mais elle marque bien l'importance de cet ouvrage dans l'esthétique lyrique française.
→ C'est la première partie de la légende d'Iphigénie (son sacrifice), la plus baroque-française des œuvres de Gluck, avec un aspect beaucoup plus galant, moins hiératique que ses tragédies ultérieures. Cela avait tellement touché la sensibilité du temps que les chroniqueurs rapportent que la salle était en pleurs pour les adieux d'Iphigénie (supposée aller épouser son fiancé Achille, mais que son père livre en réalité au sacrifice pour que les Grecs puissent retrouver des vents et partir pour Troie).
→ Il n'est pas inhabituel, même si moins fréquent qu'autrefois, de traduire Gluck en allemand, sans doute considérant ses origines linguistiques.

Mozart, Die Schuldigkeit des ersten Gebots (an der Wien)
Le Devoir du Premier Commandement, la première œuvre lyrique scénique de Mozart (D.35, à onze ans), est un « singspiel spirituel », c'est-à-dire une pièce de théâtre musical à sujet religieux, pas exactement un opéra.  Un oratorio allégorique où discutent l'Esprit du Christianisme, la Miséricorde et la Justice, occupés à secouer les chrétiens tièdes hors de l'Esprit du monde. Mozart n'a écrit que l'acte I, les deux autres – aujourd'hui perdus – étant confiés à (Michael) Haydn et Adlgasser, ses professeurs.
→ Je n'ai pas de données sur la quantité d'aide reçue de son père et de ses professeurs, mais il s'agit déjà de très belle musique, plutôt le haut du panier de son temps, avec déjà des couleurs harmoniques qui caractériseront Mozart toute sa vie. (Évidemment, musique très vocale et décorative, comme on peut s'y attendre avec le sujet et l'époque. Le Mozart dramaturge de génie n'éclot que plus tard.)

Mozart, La finta giardiniera, en allemand (Baden-Baden)
→ Déjà présenté dans la partie italienne, une œuvre qui revient à la mode, vraiment de la structure à numéro bien faite, mais très décorative. À tout prendre, j'aime davantage la Schuldigkeit !

Mozart & co., Der Stein der Weisen oder Die Zauberinsel (Innsbruck)
→ Œuvre collective (Henneberg largement, mais aussi Schak, Gerl et Schikaneder) sur un livret de Schikaneder, avec une équipe d'interprètes similaire à la Flûte. La partition a été retrouvée en 1996 et enregistrée pour la première fois en 1999.



landestheater detmold
Les Fées de Wagner seront seulement donnée, cette année dans le monde, au Théâtre d'État (bâti de 1879 à 1899) de Cassovie (Košice), deuxième ville de Slovaquie. Ici, la vue enchanteresse des parterres d'eau qui le séparent de la cathédrale.



2. Opéras romantiques

Spontini, Agnes von Hohenstaufen (Erfurt)
→ Rareté des raretés, un Spontini qui figure parmi ses plus importants, mais qui n'existe au disque, sauf erreur, que dans des versions italiennes (mal captées et très molles).
→ Manifestement assez influencé par le genre spectaculaire français pré-grand opéra (beaucoup de points communs avec l'économie d'Olympie), à la fois vocalisant et recourant aux effets dramatiques issus de l'héritage Gluck (trémolos de cordes), avec un goût pour les grands ensembles, les effets de foule, les trompettes solennelles, mais aussi de très beaux élans vocaux…
→ Lien vers la meilleure bande disponible à ce jour.

Weber, Oberon (Budapest)
→ Bien que Weber se soit mis à l'anglais pour pouvoir mettre en musique Oberon, on s'obstine à le donner encore assez souvent en allemand. (Je crois que c'est le cas pour cette production.) Sans hésitation son meilleur opéra de mon point de vue, avec un sens de l'évocation du merveilleux tout à fait remarquable, sensiblement moins bon enfant et formel que le conte du Freischütz. Le quatuor de l'embarquement (le thème le plus virevoltant de l'Ouverture) ou l'invocation des démons marins par Puck sont des moments qui n'ont pas réellement d'équivalent dans l'histoire de l'opéra.
→ Privilégiez le studio Gardiner plutôt que les vieilles versions visqueuses en allemand (ou, si vous la trouvez, la bande de Minkowski à Anvers !).

Schubert, Fierrabras (Milan)

→ Bien qu'on insiste surtout sur l'image d'un Schubert en butte aux échecs lyriques (et, de fait, il le fut – c'est même la source d'autres théories fantaisistes le concernant), Schubert n'était pas du tout un mauvais compositeur d'opéra, au contraire. Tous ses singspiele ne sont pas d'égal intérêt, mais l'opéra avec récitatifs musicaux Alfonso und Estrella (qui débute par l'un des plus beaux airs de baryton jamais écrits, et dont l'un des thèmes est repris dans le Winterreise – n°16, « Täuschung ») est un bijou absolu.
→ Il en va de même pour Fierrabras, véritable pépite : livret étrange mais original (les amours secrètes de la fille de Charlemagne d'une part ; ceux de Roland avec une mauresque dont le père l'a traîtreusement fait prisonnier d'autre part), où le personnage éponyme ne tient que les utilités. Et surtout, une musique qui déborde de beautés comme Schubert seul sait les concevoir, tel le chœur a cappella ineffable des chevaliers prisonniers, la cabalette sauvage de la mauresque courant sauver Roland, de superbes ensembles, plusieurs mélodrames trépidants (car oui, Schubert est un prince du ton épique )…
→ Pourtant, ses opéras sont finalement assez peu donnés (une production d'un d'entre eux de loin en loin…).

Marschner
, Der Vampyr (Budapest)
→ Une des grandes séries estivales de CSS explorait le détail de l'adaptation depuis les soirées littéraires de Byron jusqu'au livret de cet opéra. Musicalement, c'est une œuvre très marquante (Wagner en a décalqué à la fois l'Ouverture et la Ballade d'Emmy pour son Hollandais Volant), à la fois terrible (spoiler : beaucoup d'innocents meurent) et dotée d'étranges sections comiques (les buveurs persécutés par la matrone).
→ L'œuvre est rarement respectée (son mélodrame au clair de lune, où Ruthven guérit de sa blessure mortelle accompagné par une monodie de cor, est rarement donné avec le texte… certaines versions coupent le texte parlé, etc.), pas beaucoup bien jouée (Rieger et surtout Neuhold sont à écouter au disque), mais elle est à connaître, aussi bien pour son importance sur la scène lyrique du temps que pour ses sommets, dont certains inégalés : le grand récitatif où le vampire raconte son sort, comment il est revenu dévorer la petite dernière qui le suppliait (« Tu vois son visage innocent s'incliner, / Tu voudrais au loin fuir, tu ne peux l'épargner ! / Ton démon t'entraîne, ta soif te possède : / Tu dois verser ce trop cher sang ! »). D'un impact, musical comme théâtral, assez inégalé. Et quel texte au cordeau !

Flotow
, Martha à Annaberg (Saxe) et Innsbruck
→ Martha est restée un classique sur les scènes germanophones et, bien qu'on l'ait jouée en France en français, a surtout connu sa fortune là. Une partition assez riche sur un sujet à la Véronique, où une aristocrate joue à la servante ; l'harmonie n'en est pas pauvre, et les ensembles y sont omniprésents (même s'ils tendent à être écrits uniformément en homophonie, chacun débitant sa ligne de croches). Résultat plein de douceur, d'élégance et de jovialité, qui explique sans doute, avec son livret espiègle et familial, aux héros austeniens un peu tombés de leur piédestal.
→ La version Wallberg vaut le détour chez EMI, aisément disponible, superbement captée, belles rondeurs orchestrale et plateau vertigineux : Popp, Soffel, Jerusalem, Nimsgern, Ridderbusch. Que des chouchous. [ par exemple.]


Verdi, I Masnadieri (Volksoper de Vienne)
→ Également donné, en italien, à Monaco, Bilbao et Rome. Présenté dans la notule consacrée à la programmation italienne mondiale.

Wagner, Die Feen à Košice (Slovaquie)
→ Premier essai (achevé, du moins), et un bijou, qui puise à toutes les écoles du temps, aussi bien Weber que Bellini, avec un certain humour et un savoir-faire très impressionnant. Très beaux airs récitatifs ou quasiment belcantistes, superbes ensembles très densément écrits. J'y avais consacré une série au moment de son passage à Paris : place dans le catalogue, livret, influences musicales, innovations majeures, et la mise en scène d'Emilio Sagi.

Wagner, Rienzi (Innsbruck)
→ Le seul ratage lyrique de Wagner. On le décrit souvent comme du mauvais grand opéra, n'en croyez rien : Rienzi ressemble à un seria de Rossini, en deux fois plus long, et sans aucune mélodie (excepté la jolie Prière, mais ça fait pas bien long). Une sorte de pudding très vertical (n'y cherchez pas des trouvailles de contrepoint !), très long, très fade – mais aussi très lourd. Je ne le dirai pas souvent, mais je ne vois pas trop l'intérêt de se forcer à écouter ça.

Offenbach, Die Rheinnixen (Budapest)
→ Ouvrage sérieux en allemand complètement éclipé d'Offenbach, redevenu à la mode en vingt ans, et qui, sans être devenu un standard, est joué quasiment tous les ans quelque part (et plusieurs fois en France). C'est de là que provient la Barcarolle des Contes d'Hoffmann, certes, néanmoins le reste de l'ouvrage est également d'une très belle qualité (pas seulement mélodique).

Suppé, Die schöne Galathée (Plauen-Zwickau)
→ « Opéra comique mythologique » d'après le livret de Barbier & Carré pour la Galathée de Massé. Une jolie opérette.



landestheater detmold
Pour voir Tiefland d'Eugen d'Albert cette année, il faut aller au vaste Opéra de Budapest ou découvrir l'étonnant Opéra de Sarasota, sur la côte Ouest de la Floride. C'est un ancien théâtre de vaudeville, également utilisé comme cinéma, contruit en 1925 dans ce style néo-mexicain, très hacienda-La-Vega – de l'extérieur également.



3. Opéras postromantiques et « décadents »

Cornelius, Der Barbier von Bagdad (Plauen-Zwickau)
→ Toujours donné de loin en loin en Allemagne, même s'il n'est plus autant à la mode (je voix au moin six enregistrements, tous avant 1975 !), supposé dans la veine comique, mais très soigné musicalement, avec des effets orientalisants assez marqués. Pas sans points commun avec Mârouf de Rabaud, dans son genre plus lyrique et plus… allemand.
→ Une vieille version de référence par ici.

Wolf, Der Corregidor (Budapest)
→ Une sacrée rareté. La partition est foisonnante, abstraite, difficile comme du Wolf. Figurez-vous l'harmonie retorse du maître plongée dans un moule dramatique et contrapuntique plus wagnérien, où Wolf aurait mis toute son application. Comme la Pénélope de Fauré, je ne suis pas complètement sûr, à la lumière du seul enregistrement (ancien) trouvéet de la partition piano, que ce soit tout à fait digeste, mais c'est à coup sûr riche et fascinant. Et je ne crois pas que ça ait été donné depuis fort longtemps – ni que ce devienne jamais un hit européen.
→ Une gravure très attirante (Donath, Soffel, Fischer-Dieska) que je n'ai pas encore essayée.

d'Albert, Tiefland (Budapest, Sarasota en Floride)
→ Retour en grâce progressif pour Les Terres basses (même donné à Toulouse en début de saison !), d'un postromantisme aux élans irrésistibles – la descente vers les Terres Basses, c'est de l'ordre de celle chez les Hommes dans Die Frau ohne Schatten de Strauss, à ceci près que le livret est totalement réaliste / vériste, une histoire sordide de berger simplet envoyé épouser la maîtresse (plus ou moins forcée) du potentat local. [Évidemment, ça finit en La maîtresse du roi !  Tout leur sang et le mien ! en mode berger-tueur-de-loups-à-mains-nues.]
→ Plusieurs très belles versions au disque (Zanotelli, Schmitz, Janowski…), au moins dix de disponibles, dont un DVD. Présentation rapide par le passé dans cette notule. Le reste du legs d'Eugen d'Albert n'est pas à négliger, en particulier la formidable Symphonie en fa, qui n'est jamais exécutée en concert, mais a elle aussi été plusieurs fois gravée (au moins trois bonnes versions).

Janáček, Das schlaue Füchslein, version allemande de la Petite Renarde rusée (Aix-la-Chapelle, Hagen, Koblenz)
→ Le meilleur Janáček à mon sens (je ne suis pas le seul), d'assez loin. Probablement le plus coloré, assurément le plus poétique. Celui où l'on entend moins ce côté Puccini chic mais sans mélodies. Et une jolie histoire atypique, qui, issue de vignettes (plus ou moins une bande dessinée, me semble-t-il) parues dans la presse, interroge l'essence de la vie.
→ Assez fréquemment donné en tchèque (y compris sous forme de réductions et arrangements divers – versions de chambre, version en dessin animé…), plus rarement en allemand.

Schreker, Der ferne Klang (Lübeck)
Schreker, Die Gezeichneten (Munich, Komische de Berlin, Saint-Gall)
→ Deux œuvres centrées autour de paraboles artistiques, sur de très beaux livrets du compositeur (surtout la seconde, désormais régulièrement donnée, presque chaque saison, dans les trois principaux pays d'Europe germanophone) qui explorent des formules musicales très riches (contrepoint complexe permanent, superposition d'accords, modulations sophistiquées, etc.) tout en exaltantle détail du texte et sans refuser un lyrisme assez irrésistible. L'écho entre les différents niveaux de lecture et d'écoute les rend tout à fait passionnants, parmi les fleurons de leur époque (années 1910), et Schreker était ainsi perçu jusqu'à sa mise à l'écart par les nazis – qui goûtaient peu le trouble de sa musique et de ses livrets. Ses figures d'artistes errants, criminels et impuissants documentaient assez exactement la société amollie et dégénérée contre laquelle toute leur rhétorique était bâtie.
→ Ce sont ses deux meilleurs opéras. Die Gezeichneten est inapprochable, mais Der ferne Klang reste assez rarement donné, il faut en profiter.
→ Et il en est abondamment question dans le chapitre dédié de Carnets sur sol.

Busoni, Doktor Faust (Osnabrück)
→ Parmi les compositeurs innovants de sa génération, ce Doktor Faust fait partie des rares titres d'opéra à rester peu ou prou à l'affiche au fil des ans. Sans doute grâce au sujet, mais cette vision héritée de Marlowe sans passer par Goethe, sise sur une musique tonale mais qui sent le voisinage de Berg, cherchant de nouvelles possibilités musicales sans renverser la table (Busoni avait théorisé des développements possibles en microtonalité, allant jusqu'à proposer des schémas d'aménagement sur les pianos pour les rendre confcrètement réalisables), ne manque pas de matière ni de qualités. Son principal défaut et que le rythme dramatique n'est pas très effréné, évoluant dans un mystère qui évoque davantage les Scènes de Faust de Schumann que la tension théâtrale la plus spectaculaire du temps. Pour autant, dans ces couleurs ramassées, sombres et discrètes, il se passe réellement quelque chose.

Hubay, Anna Karenina (Bâle)
→ L'œuvre est originellement écrite en hongrois, mais il est très possible, comme cela se fait souvent dans les pays germanophones pour les œuvres rares tchèques ou hongroises (voire les opéras comiques français, pour lesquels il existe toujours une tradition vivace d'interprétation en traduction), qu'elle soit jouée en allemand.
→ HUBAY Jenő (né Eugen Huber) est surtout célèbre comme violoniste ; virtuose, ami de Vieuxtemps, pédagogue, la discographie le documente essentiellement comme compositeur de pièces pour crincrin. Néanmoins, cet opéra, fondé sur une pièce française (Edmond Guiraud), lorsqu'il est écrit en 1914 (mais représenté seulement en 1923), appartient plutôt à la frange moderne, d'un postromantisme assez tourmenté et rugueux. Très intéressante et intense.
→ Hubay a écrit neuf opéras, dont certain sur des livrets assez intriguants : Alienor en 1885 (traduction d'un livret d'Edmond Haraucourt), Le Luthier de Crémone en 1888 (traduction d'un livret de François Coppée et Henri Beauclair), La Vénus de Milo en 1909 (d'après Louis d'Assas et Paul Lindau) et plusieurs inspirés de contes et récits populaires hongrois.
→ Extrait de la version originale ici.

Řezníček, Benzin à Bielefeld (Westphalie)
→ Řezníček appartient à la mouvance des décadents mais sa musique s'apparente souvent à un postromantisme assez formel et opaque, pas très chaleureux. Benzin (pas été donné depuis 2010 à Chemnitz, me semble-t-il) échappe à cela, avec des couleurs orchestrales et des grincements plus caractéristiques, mais j'attends toujours d'être réellement saisi par ce grand représentant du temps, ami de R. Strauss, partagé entre sa formation à Graz et ses succès à Prague et à Berlin.
Court extrait de la production de Chemnitz.

Krása
, Brundibár (Sassari, Linz)
→ Opéra pour enfants (le protagoniste étant un chœur d'enfants), récrit dans les camps pour les prisonniers du camp, où est mis en scène une sorte de croquemitaine dérisoire, de tyranneau vaincu par l'union des enfants et des animaux. Plus simple que le Krása habituel, pas vraiment passionnant en soi, plutôt un témoignage culturel de l'art (et de l'humanité) qui pouvaient survivre dans les camps. La première version en 1938 exalte plus le patriotisme, ai-je lu, que la version de 1943 habituellement donnée, plus tournée vers le retour d'une forme de justice.

Waltershausen
, Oberst Chabert (Bonn)
→ Une merveille. Du postromantisme à la fois généreusement lyrique et très complexe ; très chantant et accompagné d'un orchestre très disert ; à la fois profusif et assez lumineux. Et tout à fait personnel : ce n'est ni du Strauss versant lyrique, ni du Schreker gentil, ni du Puccini germanisé… vraiment un équilibre que je n'ai pas entendu ailleurs, quelque part entre le commentaire orchestral wagnérien et une gestion beaucoup plus directe (italienne ?) de l'action, un lien plus évident entre mélodie vocale et déclamation.
→ Il existe un très beau disque CPO capté à la Deutsche Oper, merveilleusement dirigé par Jacques Lacombe et impeccablement chanté (M. Uhl, Very, Skovhus, tous trois dans un très bon jour) – extrait ici.

Hindemith, Mathis der Maler (Gelsenkirchen)
→ Resté très célèbre grâce à sa suite, une des œuvres les plus enregistrées de Hindemith, et toujours donné de temps à autre, Mathis trace le portrait de la société qui entoure un peintre (anachroniquement) visionnaire, forcément esseulé au milieu des enjeux de la politique – et même de l'amour. Le langage y est riche, mais homogène, sans recherche du spectaculaire, fondé essentiellement sur la recherche harmonique. Sans être complètement austère non plus, un opéra assez regerien, ce que ne dévoile pas complètement la Suite, qui en regroupe les passagesles plus chatoyants (pas forcément les meilleurs, au demeurant, l'opéra me paraît autrement intéressant !).
Hindemith, Cardillac (Florence, Salzbourg, Tallinn)
→ Mâtiné d'enquête policière, ici encore écrit dans une logique qui reste postromantique, un lyrisme réel mais peu expansif, et largement tourné vers la recherche harmonique interne. Déjà donné et même repris à Paris par Gérard Mortier qui avait vivement milité pour cette œuvre…
Hindemith, Neues vom Tage (Schwerin)
→ Opéra « joyeux » (lustige Oper) mettant en scène un couple qui (essaie de) divorcer. Créé en 1929 au Kroll-Oper de Berlin par Klemperer (les wagnériens de l'Âge d'Or seront intéressés de savoir la présence de Dezső Ernster dans la distribution), et retravaillé pour une première napolitaine en 1954 en italien, avec Giuseppe Valdengo dans le rôle du mari, mais aussi Plinio Clabassi… et qui faisait le Quatrième Chef de cuisine (c'est-à-dire le dernier des ténors chantant un chef de cuisine), à votre avis ?  Piero De Palma. Je n'invente rien.
→ L'œuvre est écrite dans un langage étrange, mélange de couleurs néoclassiques, de tonalité sans direction nette influencée par Schönberg… Elle s'ouvre par un magnifique échange de noms d'oiseaux (dans le sens le moins ornithologique possible).

Schoeck, Penthesilea (Bonn)
→ Le Schoeck le plus vindicatif qui soit. Un drame de 1925, d'une heure et quart, qui claque et qui tranche terriblement, très loin du Schoeck poétique des lieder ou des pièces orchestrales, un bel équivalent d'Elektra dans un langage plus intériorisé mais tout aussi dramatique. Un chef-d'œuvre bien connu des amateurs de musiques décadentes, et trop peu représenté sur les scènes.
→ À écouter ici.
Schoeck, Das Schloß Durande (Bonn)
→ Son dernier opéra, de 1943, fondé sur Eichendorff. Rarissime. Et il y a de ces poussées lyriques là-dedans, comme ce duo emblématique !  L'œuvre a peu été redonnée pour des raisons politiques/éthiques évidentes – son association (quoique purement artistique, semble-t-il) avec les artistes nazis avait été assez mal perçue dans sa Suisse natale.

Korngold, Der Ring des Polycrates (Dallas)
→ Premier opéra de Korngold (achevé en 1914, créé en 1916) – c'est-à-dire  avant Violanta et Die tote Stadt. On y entend déjà le lyrisme débordant et l'orchestration rutilante qui font sa marque, même dans cette virvoltante conversation en musique : glissandi de harpe et fonds de célesta et glockenspiel y sont la norme. Un bijou.
→ [Une seule version, chez CPO, superbement distribuée et interprétée par le DSO Berlin, qu'on peut préécouter ici.]
Korngold, Das Wunder der Heliane (Anvers, Berlin)
→ L'opéra qui suit La ville morte (et précède son dernier sérieux, Die Kathrin), nettement plus vénéneux, et au sujet parfaitement décadent, à base d'expériences cruelles, de nudité et de surnaturel. Beaucoup plus tourmenté, moins franchement lyrique que ses autres pièces. La série d'Anvers est finie à présent.
→ [Voyez ici une vidéo certes imparfaitement exécutée, mais mise gracieusement en ligne par le chef.]

Orff, Der Mond (Prague)
Orff, Die Kluge (Prague)
→ Quelle n'est pas la surprise lorsqu'on souhaite découvrir Orff, se disant qu'après tout il avait bien saisi une forme d'essence archaïsante dans ses chansons à boire de moines… et qu'on s'aperçoit qu'il a en réalité tout écrit dans le style des Carmina Burana !  Que ce soient des textes de Catulle ou des actions dramatiques, on y retrouve les mêmes mélodies naïves, les mêmes harmonies brutes, les mêmes grosses doublures orchestrales à coups de cors…
Der Mond (« La Lune ») laisse vraiment affleurer ces répétitions assez pauvres, quasiment pré-minimalistes (sans du tout le même projet de renouvellement, évidemment), tandis que Die Kluge (« La jeune fille avisée »), peut-être grâce à son sujet, réussit un peu plus de légèreté populaire, sans s'abstraire non plus de ces formules. [La jeune fille prévient son père de ne pas remettre le trésor au roi pour ne pas être emprisonné, répond à trois énigmes pour sauver sa propre vie, réussit un jugement de Salomon pour attribuer un petit âne et enferme finalement le roi qu'elle a épousé… Mais l'opéra n'est pas très mobile pour autant. Disons que la musique sied bien aux enfants.]
→ En principe, ce devrait être chanté en langue originale, comme c'est l'usage au Théâtre National de Prague ; néanmoins, je l'ai entendu, donné en ukrainien à Kharkiv en 2015… tout reste envisageable. On peut écouter ici et .


von Einem, Dantons Tod à Magdebourg et Vienne (Staatsoper)
von Einem, Der Besuch der alten Dame à Vienne (an der Wien)
→ Étrange chose que le legs de von Einem. Beaucoup de patrimoine littéraire, déjà  : son Proceß a déjà été remonté et capté, on pourrait faire de même avec Kabale und Liebe ou Jesu Hochzeit – Noces de Jésus avec la Mort (« Tödin »), si j'ai bien suivi, rien de trop blasphématoire.
→ Pour Der Besuch, Friedrich Dürrenmatt a lui-même adapté sa tragi-comédie restée très célèbre (toujours représentée, et il existe même une assez jolie comédie musicale dessus…) ; la musique en est assez conforme aux modèles de Gottfried von Einem (Bruckner et Reger, bien qu'on soit en 1971 !), plutôt traditionnelle mais assez grise – une sorte de Hindemith plus conservateur et plus lyrique.
Dantons Tod, son premier opéra et le plus représenté ou (à l'occasion) enregistré, se fonde (avec l'aide de Boris Blacher) sur le drame de Büchner, et est à mon sens plus réussi – mais encore plus troublant. Au Festival de Salzbourg de 1947, il propose ainsi cet opéra hindemithien, où l'on s'exprime par de grandes tirades lyriques (sur ce texte détaillant parfois la Constitution ou les formes juridiques du procès…) proche des véristes (les lignes vocales n'y sont pas si éloignées d'Umberto Giordano…), tandis que l'orchestre semble parfois partir en ponctuations modernistes autonomes, issues de l'écoute des dodécaphonistes. Certains endroits paraissent très traditionnels quoique peu chaleureux, d'autres touchent à une certaine grâce (le Prélude du procès, et d'une manière générale les interludes). Quelle bizarrerie, entendre des comptes-rendus de réunion du Parti Communiste chantés comme Turandot avec des accompagnements qui s'ébrouent comme du Schönberg dernière manière mais dans un langage qui reste fidèle à Reger !  [Sans parler de Robespierre tenu par un ténor de caractère, quelle fantaisie…]
→ Aucune des éditions que j'ai consultées ne contiennent de livret traduit (uniquement monolingue), aussi cette vidéo d'une mise en scène d'Otto Schenk (remarquablement dirigée par Leitner), qui comporte les sous-titres anglais, pourrait-elle sauver quelques-uns d'entre vous.



landestheater detmold
Le Schleswig-Holsteinisches Landestheater (théâtre du Land du Schleswig-Holstein) de Flensburg – une des villes majeures de la région, même si elle rayonne moins à l'international que Kiel ou Lübeck. Le seul endroit où sera donné Le Grand Macabre de Ligeti cette saison. Parmi les autres théâtres de la ville, il en existe notamment un spécialisé dans les pièces données en danois.



4. Opéras du second vingtième siècle

Menotti, The Consul en allemand (Bremerhaven, Goerlitz, Krefeld, Innsbruck)
→ Un sujet original, qui mêle le sort de la famille d'un opposant politique traqué et l'attente dans le consulat — qui est à la fois le lieu d'une indifférence cruelle, et le terrain propice à toutes les facéties librettistiques. Mélange musical de conversation en musique, de Puccini, de Britten et de plusieurs des veines de Poulenc…
→ Un opéra qui n'est pas majeur sans doute, mais très payant scéniquement. Plus de détail (et des sons) par ici.

B. A. Zimmermann
, Die Soldaten (Madrid, Cologne, Nuremberg)
→ Considéré comme le second Wozzeck du XXe siècle, pour un orchestre encore plus démesuré et un sujet tout aussi sordide, dans un langage similaire d'une atonalité à la fois apparemment sèche et extraordinairement riche en détails. Donné ponctuellement dans les pays d'Europe qui valorisent ce répertoire (de langue allemande essentiellement, en plus du microclimat madrilène, où fut tout de même donné l'autre Wozzeck, celui de Gurlitt).

Ligeti
, Le Grand Macabre à Flensburg (Schleswig-Holstein)
→ L'opéra où triomphent le burlesque et l'absurde. Ça rugit de partout. Grand classique dont l'impact dépend surtout, je crois, des affinités littéraires. Mais on ne fait pas plus vivant et bigarré, du véritable théâtre musical.

Henze, Das Floß der Medusa (Amsterdam)
Henze, Elegie für junge Liebende (Detmold)
Henze, Der junge Lord (Hanovre)
Henze, Pollicino (Cologne)
→ Trois opéras des années 60. Le Radeau de la Méduse (écoutez) explore une atonalité avec des pôles très audibles, comme les quatre premières symphonies du compositeur, beaucoup de parties parlées en sus. Très séduisant dans ce genre-là. L'Élégie (écoutez) s'en rapproche, mais surtout chanté, sans doute moins facile d'accès, et plus intéressé par les agrégats, les volutes vocales : moins direct et dramatique. Le Jeune Lord est écrit dans une atonalité plus libre, plus horizontale, avec des touches orchestrales qui évoquent le cabaret expressionniste – j'aime moins, mais c'est purement une affaire de goût individuel.
Pollicino, plus tardif (1980), est totalement différent, opéra pour enfants, sorte de patchwork alliant l'archaïsme baroqueux, le piano, le xylophone et le célesta.



 
landestheater detmold  landestheater detmold
Le Landtheater de Bremerhaven (le port en aval de Brême) propose seulement un immense parterre et un petit balcon, uniquement de face, dans une boîte capitonnée (qui doit être assez satisfaisante acoustiquement si les matériaux sont à la hauteur). On y jouera Le Consul de Menotti en allemand, tout comme à Krefeld (entre Düsseldorf et Duisburg), qui adopte le même principe, en moins luxueux. Ce patron semble avoir été assez en vogue en Allemagne – c'est aussi celui de la Volksbühne de Berlin, voyez vous-même.



Une saison germanophone extrêmement riche en découvertes, à la fois particulièrement rares et de qualité éprouvés, donc. Peut-être est-ce lié à des impulsions mémorielles pour mettre en valeur les artistes classés comme sous l'étiquette entartete, ou bien à l'abondance de l'offre (et au public, un des plus avertis au monde, il n'y a voir comme le moindre étudiant allemand devient konzertmeister dès qu'il atterrit dans un orchestre universitaire français…). En tout cas, de quoi goûter les plus hauts régals.

Il existe sans doute quantité d'opéras et oratorios baroques en langue allemande, donnés dans des salles qui ne sont pas spécialisées dans l'opéra (je n'ai regardé que les maisons d'opéra, quasiment pas les salles de concert symphoniques), ainsi que bien d'autres productions peut-être données en format radio… La liste des réjouissances était en tout cas fournie !

Une grande quantité d'opéras contemporains est écrite en allemand (l'autre langue massivement utilisée étant de plus en plus l'anglais). J'en parlerai dans la notule consacrée précisément aux œuvres (choisies, car nombreuses, et toutes rares par définition, puisque neuves) de compositeurs vivants. Il y a beaucoup à dire là-dessus, et cette liste est assez révélatrice des tendances à l'œuvre. À bientôt !

jeudi 26 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #2 : italiens (ou en latin)


L'opéra italien, en plus de constituer à la fois l'origine et l'étendard du genre, est bien sûr majoritaire à l'échelle mondiale ; surtout grâce à Mozart-Verdi-Puccini, mais cela n'exclut pas la présence de raretés parfois assez stimulantes.

En rouge, les recommandations personnelles – non pas qu'il soit conseillé de prendre l'avion pour un seria (possiblement interchangeable), mais disons que si on les apprécie, dans le genre rare et abouti, on peut au moins trouver son compte en allant en écouter un disque ou une bande !

Avant de commencer, pour une vue plus globale de l'histoire de l'opéra italien, et de ses enjeux à travers ses différentes périodes et esthétiques, vous pouvez vous reporter à cette notule.



salle opéra
Opernhaus de Wuppertal (Est de Düsseldorf, sur la route de Dortmund), où l'on jouera Francesca Caccini. Moche, mais un théâtre à l'italienne où l'on est partout de face (et capitonné bois) est une si belle utopie !



1. Opéras baroques de première génération

De' Cavalieri : La Rappresentazione di Anima, e di Corpo (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Oratorio en réalité ; ces dialogues allégoriques (et même prosopopéisants) sont restés en vogue jusqu'au début du XVIIIe siècle dans les compositions (semi-)religieuses – pas exécutées pour un office, mais ce ne sont pas fictions conçuespour le divertissement.
→ L'œuvre a connu ces dernières années une certaine fortune (Savall, Pluhar, Jacobs en ont proposé des versions très élaborées)

F. Caccini : La liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina (Wuppertal)
→ Donnée en tournée par l'ensemble Huelgas (qui doit le publier), et récemment documenté pour la première fois au disque par Sartori (chez Glossa). D'assez loin un des opéras les plus réussis de la période, avec un des livrets les plus littéraires de tout l'opéra italien, des psychologies détaillées dans une belle langue, un très beau sens musical des flux de parole, des harmonies simples mais plus colorées que chez la plupart des contemporains.



salle opéra
Teatro Rossini de Lugo (Est de Bologne, Ouest de Ravenne), où l'on donnera Orlandini.



2. Opéras baroques d'esthétique seria


♦ On peut commencer par lire ces anciennes notules autour des principes de l'opéra seria et des néo-chapons, qui expliquent certaines des réticences que je ne vais pas manquer d'exprimer çà et là. Que cela ne vous décourage nullement, tout dépend évidemment des composantes auxquelles vous êtes le plus sensible à l'opéra !  [Par ailleurs, c'est l'opéra baroque – et d'abord le seria – qui m'a fait aimer l'opéra, aussi ne voyez rien de rédhibitoire dans ces réserves…]


Albinoni
, Zenobia, regina de' Palmireni (Venise)
→ Considérant que l'Adagio en si mineur n'a jamais été réellement cru de lui, seuls les mélomanes baroqueux un peu chevronnés ont vraiment entendu Albinoni. Il y a de jolies choses, plus typiquement baroques que les compositions de Remo Giazotto, forcément – pas toujours sans parenté au demeurant (et pour cause: l' Adagio part d'emprunts de mélodies et de basses à Albinoni, même si son orientation est néo-baroque un peu romantisante, à la façon des pastiches des Casadesus).
Zenobia est un témoignage très intéressant de la période intermédiaire qui emmène l'opéra purement déclamatoire de Monteverdi puis Cavalli à l'opéra seria. On sent qu'on est déjà après la période Legrenzi (1694), et les lignes vocales sont déjà très ornementées, mais on y trouvera aussi quelques beaux récitatifs assez mélodiques, des accompagnements qui dialoguent avec les chanteurs (plutôt que la compétition simultanée de virtuosité comme c'est ensuite l'usage). Par ailleurs, une jolie inspiration mélodique : ce n'est pas toutà fait le seria du XVIIIe, et c'est plutôt plus sobre et plus libre.

Haendel, Almira (Boston)
Haendel, Scipione (an der Wien)
Haendel, Riccardo Primo (Madgebourg)
Haendel, Berenice (Halle)
Quatre opéras peu donnés, pas nécessairement des chefs-d'œuvre néanmoins – j'ai ainsi été fort peu impressionné par Richard Ier (Cœur de Lion), malgré le sujet original (histoire médiévale, et même pas par le biais littéraire du Tasse ou de l'Arioste). La réalisation musicale m'en paraît assez peu exaltante, peu d'airs saillants, pas vraiment de tension dramatique non plus – il est vrai que la version discographique longtemps unique, de Rousset, expose ses manques habituels dans ce répertoire (vraiment mou et translucide).
→  Almira, Königin von Castilien est tout de même son premier opéra, mêlant allemand et italien, où figure déjà la fameuse sarabande (d'abord instrumentale) qui sert de base à « Lascia la spina » du Trionfo del Tempo et « Lascia ch'io pianga » de Rinaldo.
(→ Les oratorios-opéras anglais seront traités dans la partie anglophone du parcours.)

Orlandini, Serpilla e Bacocco (Lugo)
→ Refonte de 1730 d'un intermezzo comique de 1715, par un contemporain exact de Haendel (1676-1760). Pourtant, la musique n'en est pas du tout comparable aux opéras bouffes connus du temps : la langue paraît déjà tout à fait classique, avec ses récitatifs secs truculents à la façon de Mozart et Rossini, ses airs de caractère avec notes répétées (là aussi, on songe plutôt à Paisiello et Rossini). Ce n'est pas du tout un chef-d'œuvre ultime, mais sa langue musicale est en avance d'une façon troublante que je ne me suis jamais bien expliqué – sans doute est-ce une affaire de région (il est florentin, on en a peu de célèbres à cette époque), ou d'illusion d'optique en considérant les œuvres comiques célèbres contemporaines, pas nécessairement représentatives.

Vivaldi
, Motezuma (Ulm)
→ L'un des tout meilleurs opéras seria et le haut de la production de Vivaldi. Pas tant pour les airs, au demeurant, que pour l'élan général en lien avec le livret, une façon de tout articuler de façon inhabituellement fluide pour ce répertoire.[Attention, au disque, Malgoire a enregistré un pasticcio avant la redécouverte de la partition ; c'est Curtis qu'il faut écouter pour entendre la musique d'origine.]

Zelenka, Il serpente di bronzo (Frankfurt-am-Main)
→ Un oratorio en réalité. Dieu envoie une plaie – aux Hébreux qui se plaignent dans le désert – sous la forme de hordes de serpents, puis son remède (la recette pour un serpent de bronze qui sert d'antidote). Le langage en est typique de la période (1730), et plutôt sombre et dense comme souvent dans le baroque allemand de ces années. Ça ne me bouleverse pas, mais si on aime Bach ou les airs les plus mélancoliques de Haendel, c'est assez réussi – et en tout cas fort bien écrit.
→ Particularité : Dieu intervient en personne, sous la forme d'une voix de basse. Assez déstabilisant d'entendre Jéhovah répéter en boucle les mêmes mots tout en exécutant des vocalises en escalier. Mais indubitablement divertissant.


Vinci, Siroe (Naples)
Leo, L'Olimpiade (Naples)
→ Les deux Léonard napolitains écrivaient des opéras d'un postvivaldisme particulièrement virtuoses ; je n'ai rien entendu chez eux qui égale les meilleurs Haendel et Vivaldi (en revanche, qui surpasse les mauvais, oui, sans difficulté), mais je n'ai pas trop insisté : ce sont vraiment des archétypes du seria. Si l'on aime ce type de virtuosité brillante un brin extérieure au drame, ce sont des compositeurs au talent très sûr.


Ristori, Fidalba e Artabano (Lugo)
Pergolesi, La serva padrona (Helikon de Moscou)
→ Deux intermezzi comiques. La Serva padrona, peut-être plus célèbre pour la controverse involontaire dont elle fut le point de départ (la « Querelle des Bouffons » de 1752…) que pour sa musique, au demeurant délicieuse. Le sujet est comparable à Serpilla d'Orlandini, trois ans plus tôt, avec un peu plus de comique d'intrigue en sus des caractères (une servante opiniâtre prend le dessus sur un maître faible, au sein d'un enjeu amoureux).
→ Ici aussi, la musique est déjà d'une grammaire pour partie assez classique pour 1733 (sans parler des onomatopées qui feront le sel de Rossini !), on sent très bien tout ce que lui doivent Cimarosa et Paisiello. Au demeurant, une œuvre réjouissante où se manifestent un très beau sens mélodique, une véritable originalité dans la structuration des thèmes, l'aspect général de la musique, et une jovialité particulièrement délectable.


Hasse, Siroe (Amsterdam, Mainz)
Hasse, Artaserse (Pinchgut de Sydney)
→ Le grand successeur de Haendel, sensiblement sur les mêmes bases ; un peu plus virtuose que frisonnant, sans doute, même il existe bien des pépites dans le legs – je voudrais réentendre Cleofide dans une belle interprétation, par exemple (le disque de Christie est assez sec et terne).
→ N.B. : C'est l'excellent ensemble spécialiste Orchestra of the Antipodes (à l'origine de superbes Rameau, notamment) qui officie au Pinchgut.



salle opéra
Le Théâtre Académique d'Opéra et de Ballet de Saratov, à quelques mètres de la Volga – équidistant d'Oulianovsk (au Sud de Kazan) et de Volgograd. On y jouera le Mariage secret de Cimarosa – dans des conditions probablement pas très musicologiques.Mais quelle allure de temple grec – un petit côté Lincoln Memorial !



3. Opéras classiques

On a beau passer dans l'ère classique (progressivement à partir des années 1750, et façon claire dans les années 1770), dont les contours ne sont pas si faciles à définir (les improvisations de basse continue persistent jusqu'à assez tard, et les genres canoniques inchangés…), les opéras sérieux sont toujours écrits sous le format de l'opéra seria, avec ses numéros clos longs et très virtuoses. Seule la langue musicale évolue.

Gluck, Le Cinesi (Valencia).
→ Œuvre quasiment mythique dans la communauté lyrique numérique francophone, à l'origine de la scission et de l'effondrement de plusieurs vieilles maisons.
→ Pour le reste, l'étonnant témoignage d'un Gluck aux accents plus guillerets, dans lequel demeurent encore des traits de la période précédente (on est en 1754, et les traits de basson ramistes de l'Ouverture !). Les récitatifs secs en sont très longs (et peu passionnants), les accompagnements « affectifs » plus tournés vers le style classique, les tapis de trémolos et les pointés de cor déjà fréquents, mais ce reste une œuvre d'ambition limitée.

Traetta
, Antigona (Osnabrück, Oldenburg)
Antigona (1772) est déjà marquée par les innovations gluckistes qui se manifestent dans des opéras italiens dès les années soixante, avec Orfeo ed Euridice (1762) et Alceste (1767), bien avant la réforme musicale française qui advient avec Sabinus de Gossec (1773) et Iphigénie en Aulide de Gluck  (1772). [Pour les détails sur ces questions, voir la notule L'Imposture Gluck.]
→ Malgré son hiératisme, Antigona tire aussi assez, dans les mélodies des récitatifs et dans l'harmonie, vers le Mozart des Da Ponte (en particulier Nozze et Don Giovanni). On y rencontre également de grands récitatifs accompagnés par des accords d'orchestre. L'œuvre est vraiment intéressante, et la musique en vraiment inspirée [davantage que les Gluck, à mon gré]. Assez proche du style de la Chimène de Sacchini, sensiblement plus tardive (1783, après dix ans de bouleversements musicaux).

Gassmann, Gli uccellatori (Kassel)
→ Gassmann est d'abord célèbre pour sa très amusante parodie, L'Opera seria, écrite dans le style exact d'un genre qui était encore plein de vitalité, mais dans l'envers du décor d'une troupe aux personnalités dysfonctionnelles. D'une modernité librettistique étonnante, tout en sonnant réellement comme ses modèles.
Les Oiseleurs sont une autre œuvre comique (sur un livret de Goldoni!), elle aussi encore très nettement baroque malgré sa date de naissance tardive (1729) ; mais après tout, on n'est qu'en 1759 et à Venise !


Haydn, Orlando paladino (Munich, Hagen)
Haydn, Armida (an der Wien)
→ Le Haydn seria n'est pas très mystérieux (ses opéras légers non plus), mais Armida contient de beaux airs héroïques qui exploitent très bien le sujet médiévalisant. On peut difficilement le considérer comme un progrès après LULLY (déjà que celle de Gluck…), mais en tant que seria classique, il a sa réelle personnalité, et est agréable à écouter, à défaut de constituer un drame intéressant.


Piccinni, Il regno della luna (Venise)
Piccinni, La Cecchina (Trévise)
→ Respectivement opera buffa (c'est-à-dire une comédie) et dramma giocoso (c'est-à-dire pas seria, que ce soit comique ou d'un genre plus mêlé comme Don Giovanni), deux œuvres où se manifeste une tout autre veine que celle du Piccinni français, où domine vraiment la fluidité mélodique (non sans truculence au besoin) – ce qui explique les divergences de composition pour le répertoire français d'avec le modèle gluckiste. Pas fanatique de ce confort sans angle très saillants, personnellement, mais c'est au minimum tout un pan d'histoire !

Cimarosa, Il matrimonio segreto (Théâtre Musical des Enfants à Moscou, Saratov)
→ Là aussi, je diverge assez de l'appréciation des contemporains. Pas d'imagination musicale très hardie, cette jolie musique demeure tout le temps assez polie (quoique d'une tournure personnelle), et tout cela dure fort longtemps pour une intrigue aussi prévisible, même pour l'époque (secrètement mariée à Paolo, la bourgeoise Carolina devrait épouser le Comte désigné par son père, s'attirant la jalousie de sa sœur). Pourtant, succès gigantesque à l'époque. J'aime beaucoup, mais l'époque a fourni sensiblement mieux (à commencer par Cimarosa, témoin son irrésistible Maestro di cappella où la basse bouffe appelle un à un les instrumentistes, les félicitant ou les gourmandant).

Mozart, La finta giardiniera (Milan, Saint-Pétersbourg)
→ Un Mozart de prime jeunesse que je trouve assez gentillet (et assez long pour son sujet), mais qui dispose de quelques jolis airs. Bien en cour en ce moment, redonné sur un assez grand nombre de scènes de premier plan.

Zingarelli
, Giulietta e Romeo (an der Wien)
→ 1796, en pleine transition. L'orchestration, le langage demeurent classique, mais les récitatifs secs sont très rossiniens, les duos s'alanguissent en s'infléchissant progressivement de Mozart vers le belcanto romantique. Très intéressant, sans être non plus trop profondément prégnant.



salle opéra
Le Teatro Donizetti de Bergame (au pied des Alpes, Nord-Est de Milan, entre Côme et Salò), où l'on donnera un opéra bouffe de Mayr, et un autre de Donizetti (évidemment), tous deux rarissimes.



4. Opéras romantiques belcantistes

Cherubini, Ali-Baba ou les Quarante Voleurs – en français ou en italien ? (Milan)
→ Cherubini se situe à cheval sur toute la série d'esthétiques franco-italiennes du temps : opéra sérieux sur les livrets à la mode (Armida abbadonata, Adriano in Siria, L'Allessandro nell'India…), opéras bouffes (Lo sporo di tre et marito di nessuna, La finta principessa), l'opéra-comique ambitieux  (Les deux journées), la tragédie en musique (Démophoon), l'opéra-ballet (Anacréon), les commandes révolutionnaires (collaboration au Congrès des Rois), et tout un tas de choses intermédiaires, comédies héroïques (Lodoïska), drames lyriques (Pygmalion), l'étrange Médée (tragédie en musique dans un moule formel d'opéra-comique), avant de verser dans l'esthétique romantique (Les Abencérages en 1813), comme en témoigne tout à fait ce dernier opéras, créé à l'Opéra de Paris, entièrement mis en musique (sans dialogues), dans une veine très continue italienne un peu lisse. La seule version discographique à ce jour, me semble-t-il, en est d'ailleurs une traduction italienne, fort peu soucieuse du style musicale (très lent et épais).

Mayr, Che originali ! (Bergame)
→ Opéra-bouffe d'un des compositeurs importants du temps, assez bien documenté au disque, rarement bien servi (versions très lentes et molles, pas mal de choses mal captées aussi). Ce qu'on peut en percevoir n'est vraiment pas exaltant, une sorte de Donizetti archaïque, aucune invention musicale ni même mélodique, du sous-sous-Piccinni romantisé. J'avoue être passé tout à fait à côté – sont succès doit bien avoir quelque cause. Mais je ne connais que ses œuvres sérieuses, pas celle-ci.

Spontini, Le Metamorfosi di Pasquale (Venise)
→ Je ne connais pas spécifiquement ses opéras bouffes. Ses opéras-comiques contiennent très peu de musique (en quantité), pas très marquants non plus, mais l'esthétique n'est pas la même qu'en italien, il faut donc tenter.


Rossini, La Donna del Lago (Lausanne)
Rossini, Mosè in Egitto (Hanovre)
Rossini, La Scala di Seta (Lausanne)
Rossini, La Gazza ladra (Saint-Pétersbourg)
Rossini, Il Viaggio a Reims (Hanovre)
Rossini, Il Turco in Italia (Sydney)
→ Du Rossini sérieux (la fresque animée sur Walter Scott de la Donna del Lago est à mon sens le meilleur seria de Rossini – et cette fois donnée par un « baroqueux » très animé, Petrou), du Rossini léger, parfois anecdotique (la Pie voleuse est charmante, sans atouts majeurs sorti de l'ouverture), parfois grisant (les typologies endiablées du Voyage à Reims, assez en vogue ces dernières années).
→ Quant au Turc, je le distingue non pas en raison de sa suprême rareté – il est relativement peu donné, et bien moins que son pendant L'Italienne, mais donné tout de même –, mais parce qu'il constitue, à mon sens, un sommet assez absolu du genre comique à l'opéra. Le livret autoréférentiel de Felice Romani (le Poète est un membre majeur de l'action), les ensembles endiablés, le sens mélodique, les récitatifs éloquents, les personnages à la serpe mais touchants, la couleur locale, et une douce nostalgie qui baigne parfois tout cela (le trio final) quand ce n'est pas la franche rigolade (le trio de la bastonnade du poète interventionniste)… tout concourt au succès final. Inexplicable pour moi que ce soit le Barbier qu'on joue autant, en comparaison. En somme, écoutez-le au disque, au minimum (Conti chez Naxos ou Chailly chez Decca).


Donizetti, Poliuto (Barcelone)
Donizetti, Pia de' Tolomei (Pise, Lucques, Livourne)
Donizetti, Maria di Rohan (Washington)
Donizetti, Pigmalione (Chicago)
Donizetti, Adelia (Hildesheim, Nienburg, Fulda)
Donizetti, Rita (Chicago)
Donizetti, Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Prague, Krasnoïarsk)
Donizetti, Il borgomastro di Saardam (Bergame)
→ Beaucoup de Donizetti bouffes peu célèbres cette saison, et pas seulement en Italie. Je serais mal placé pour faire la fine bouche sur cette part de son legs, même s'il est très inégal (pour en rester aux deux plus fameux, autant L'Elisir me paraît vertigineux, autant Don Pasquale me semble très commun). De même, bien que j'aime assez prendre Donizetti en mètre-étalon de la chicherie musicale du premier romantisme italien, il existe de quoi se repaître dans son répertoire sérieux, et Poliuto, source des Martyrs, mérite un peu d'attention. Moins convaincu par les Gemma, Pia, Maria ou Anna (voire tout de bon ennuyé), mais pour ceux sensibles au genre, il y a de quoi varier de Lucia en voyageant un peu.


Bellini, Il Pirata (Saint-Pétersbourg)
Bellini, La Straniera (Washington)
→ Enfant prodige du belcanto romantique, tôt emporté, Bellini rend la tâche assez facile pour faire le tour de sa production, pour la plupart régulièrement donnée. Ces deux-là (et bien sûr l'Ernani inachevé mais très réussi) illustrent assez bien ses deux facettes : le belcanto aimable un peu fade (Sonnambula, Beatrice di Tenda, voire les Capuletti, déjà plus ambitieux) pour Il Pirata (très formel de surcroît) ; les raffinements discrets de l'harmonie et de l'orchestration derrière le lyrisme, le sens dramatique aussi (comme pour I Puritani) dans La Straniera, son meilleur opéra à mon sens après Norma et Puritani.

salle opéra
L'Opéra National de Szeged (Sud de la Hongrie, aux confins de la Serbie et de la Roumanie). Son amphithéâtre… amphithéâtral est sur le même modèle que celui de l'Opéra de Budapest. On y jouera Ernani de Verdi.



5. Révolution verdienne


Verdi, Oberto (Wrocław)
→ Son premier opéra, déjà caractérisé par sa liberté structurelle, ses récitatifs remarquablement mélodiques (et au cordeau prosodique), ses airs très dramatiques,ses ensembles riches où chaque personne est individualisé. Une de ses grandes œuvres, en réalité. Une fois Oberto et Nabucco (son troisième) composés, il faut attendre Stiffelio (13 titres plus loin !) pour
Verdi, I Lombardi alla prima crociata (Turin)
→ Encore belcantiste, mais très abouti, et la source (le sujet et une partie de la musique) de Jérusalem, sa première commande française.
Verdi, Ernani (Monaco, Barcelone, Szeged, Istanbul)
→ La censure autrichienne a un peu défiguré (les Autrichiens n'appréciaient pas le roi dans l'armoire, en particulier) le livret, devenu assez inoffensif. La musique aussi, malgré ses énormes qualités (les récitatifs sont des moments assez glorieux du catalogue de Verdi), demeure encore pensée en « numéros », et sensiblement marquée par le moule belcantiste (tout en étant déjà autre chose).
Verdi, I due Foscari (Bonn)
→ Réputé l'un de ses coups de génie de jeunesse. Il y a là certes de belles choses, mais je n'y trouve pas la prégnance mélodique ni la liberté de ses meilleures œuvres des « années de galère ». Une très bonne œuvre néanmoins, qu'on n'entend guère en France.
Verdi, Giovanna d'Arco (Konzerthaus de Berlin, Rostov)
→ Du Verdi très belcantiste, pas son meilleur ouvrage.
Verdi, Alzira à Buxton (Derbyshire)
→ Sa mauvaise réputation comme un des Verdi les plus faibles me paraît exagérée (il vaut très largement Jeanne d'Arc et Legnano), sans constituer un sommet non plus.
Verdi, I Masnadieri (Monaco, Bilbao, Rome, en allemand Volksoper de Vienne)
→ De très beaux ensembles, des airs moins passionnants.
Verdi, Il Corsaro (Valencia)
→ Un des meilleurs Verdi (de la première période, en tout cas). Le sujet, emprunté à Byron (mais sans humour, ici), propose un panache scénique remarquable, et bien que le plan en demeure assez formel (avec des airs très identifiables), le tout se suite comme une fresque aux jolies mélodies et à la tension dramatique tout à fait réussie. Un charme très particulier, pour une des œuvres les moins données de son auteur.
Verdi, La Battaglia di Legnano (Florence)
→ Probablement le Verdi que j'aime le moins. Vraiment peu d'airs saillants, une forme très scolaire… un dirait du (pas très grand) Donizetti écrit un peu plus tard.
Verdi, Stiffelio (Budapest)
→ L'œuvre est totalement du niveau de la Trilogie Populaire, encore plus aboutie que Luisa Miller, elle mérite clairement une entrée au répertoire. Les imprécations désespérées du pasteur trahi par sa femme (oui, une femme adultère dans un premier rôle féminin de grand soprano !), les ensembles étourdissants, le brouillage récurrent entre récitatifs, « scènes », ariosos, airs et ensembles, tout concourt à l'admiration du traitement d'un sujet déjà plutôt ébouriffant.
        ► Verdi change tout. Vu à l'échelle de l'histoire musicale, il ne se passe rien ici (ou. presque.), les Germains (et quelques français) ont vraiment poussé les moyens de composition beaucoup plus loin. À l'échelle de l'Italie, ou même de l'histoire de l'opéra, il en va tout autrement. Verdi fait passer l'opéra, qui baignait depuis 150 ans dans une fascination complaisante envers les voix agiles au détriment des livrets et de la variété musicale, dans l'ère d'une recherche d'impact dramatique, de couleur unique pour chaque ouvrage.
        ► Oh, certes, Verdi exalte toujours les voix, et c'est ce qui fait son succès, il n'est pas italien pour rien. Dans le même temps cependant, il impose à ses librettistes un chemin qui fait de lui, aujourd'hui encore, l'un des compositeurs d'opéra les plus efficaces de tous les temps. Il peut, en une quarantaine de mesures, vous renverser une situation, vous peindre cinq sentiments contradictoires, tout en restant parfaitement clair. Il écrit des airs, oui, mais n'alanguit jamais l'action, qui frappe comme la foudre.
        ► Par ailleurs, il est aussi (de très loin), aussi étrange que cela puisse paraître, le compositeur italien le plus avancé dans le langage proprement musical, avant que n'arrive la nouvelle génération menée Leoncavallo et Puccini : personne pour oser ces modulations, ou même ses effets orchestraux (mesurés) ; pas non plus de meilleur serviteur de la prosodie, et pourtant il est celui qui ose les choses les plus hardies. Quand on explore le fonds de ses contemporains, on est frappé par le fait qu'ils écrivent encore du Donizetti enrichi, là où Verdi est vraiment, totalement, incontestablement ailleurs (et au-dessus). S'il y a vraiment un domaine où le tri établi par l'Histoire paraît inattaquable, c'est bien l'opéra italien du milieu du XIXe siècle. Je veux bien discuter la suprématie absolue de Mozart (je n'ai pas dit que c'était évident : 1,2,3), pas celle de Verdi dans son domaine.
        ► À l'exception de Stiffelio qu'on peut considérer comme œuvre de maturité (juste avant Rigoletto qui ouvre les années de gloire incontestée, et juste après Luisa Miller qui en est peu ou prou), du fait de sa grande liberté, ces œuvres rares susmentionnées sont toutes de jeunesse (tout simplement parce qu'on joue abondamment toutes celles qui suivent Stiffelio, sa refonte en Aroldo exceptée).

De Giosa, Don Checco (Naples)
→ Contemporain de Verdi, Nicola De Giosa propose dans Don Checcho un opéra bouffe qui évoque Rossini, voire Martín y Soler. Rare, mais pas indispensable.

Foroni, Margherita (Wexford)
→ Cadet d'une douzaine d'années de Verdi, Jacopo Foroni avait dû fuir l'Italie après avoir participé à la révolte anti-autrichienne de 1848. Il dirige alors des opéras de Bellini et Donizetti en Europe, et s'établit en Suède. Il y écrit ainsi notamment Christina, regina di Svezia (« Christine de Suède »).
→ On sent chez Foroni l'impact de la révolution verdienne, avec un goût pour les situations dramatiques et les ensembles, un soin de la finition vraiment délectable. Le langage est certes un peu plus policé et rétro que celui de Verdi, mais considérant son jeune âge (mort à 33 ans, il écrit Margherita à 23 ans), il constitue l'une des figures les plus prometteuses de l'opéra italien d'alors. Voyez par exemple ces extraits de Christina. Encore une belle résurrection (avait-on rejoué Margherita ? guère en tout cas) au crédit de Wexford.



salle opéra
Comme vous n'irez probablement pas cette année après le mal que vous lirez sur La Wally et Iris, contemplez ici la façade typiquement italienne du Teatro del Giglio (Théâtre du Lys) de Lucques, un jour de marché.



6. L'après Verdi, l'après Wagner


Catalani, La Wally (Lucques, Wexford)
→ Emblématique à cause de son bel air de Diva aussi bien que par sa place emblématique dans le vérisme : on parle souvent d'opéras véristes pour qualifier un style musical commun qui s'adapte à des sujets tout à fait traditionnels en réalité (I Medici de Leoncavallo, Edipo de Mascagni, Andrea Chénier de Giordano… où est le naturalisme là-dedans ?). Dans La Wally, tout est vériste : l'intrigue présente les déviances de pauvres gens (probablement consanguins) perdus dans la montage, leur vie mesquine et déroire, leur mort ridicule.
→ Au demeurant, il n'est pas très étonnant que ce ne soit que peu donné : ni le livret ni la musique (qui culmine en effet dans l'air) ne sont vertigineux.

Puccini
, Edgar (Saint-Gall)
→ Ce Puccini-là fait encore du Verdi, et le fait diablement bien. Un Verdi plus souple et élégant, sans avoir la même force dramatique ou mélodique, certes. Une très belleœuvre qui, comme le bijou Le Villi, mériterait abondante présence sur les scènes. Pour cette saison, il faudrait voyager jusqu'au cœur de l'Helvétie pour pouvoœir en profiter. Il y aura d'autres occasions.

Puccini, La rondine (Gênes)
→ (C'est-à-dire « L'hirondelle », rien à voir avec Schnitzler.) Supposément du Puccini plus conversationnel, mais en réalité, c'est aussi l'une de ses œuvres les plus sirupeuses, et sans la contrepartie d'un livret un peu méchant comme pour Tosca ou Turandot.
→ Intrigue de salon, un peu comme Fedora de Giordano (dont la musique est moins complexe, mais aussi moins dégoulinante). À noter, le rôle p'incipal (Ruggero Lastouc) fut créé par Tito Schipa !

Giordano, Fedora (Stockholm, Saint-Pétersbourg)
→ Giordano, plus connu pour son Chénier, n'est pas réputé, et non sans fondement, pour sa finesse ; néanmoins dans Fedora, même si la langue demeure celle du lyrisme vériste, le dispositif du salon, à l'acte II (requérant un pianiste virtuose qui doit jouer sur scène pendant que les chanteurs conversent), est d'une originalité et d'une réussite remarquables. C'est le dénouement qui est beaucoup plus banal, et paraît assez éloigné de l'atmosphère d'intrigue des deux premiers actes, plus nourrissants musicalement au demeurant.

Mascagni, Iris (Lucques)
→ Réputé comme l'un des meilleurs Mascagni, ce reste… du Mascagni. Certes, l'intrigue sort de l'ordinaire : au Japon, une fille naïve enlevée par un séducteur, puis jetée dans les lieux de perdition de la ville. Mais la musique demeure très sommaire, purement italienne, l'orchestre bardé d'unissons inutiles, comme toujours avec Mascagni – son Edipo aussi, roi grec tout de même, s'exprime comme le Compare Alfio. On attendrait des couleurs orientalisantes ou au minimum un climat plus voilé et tourmenté, rien de tout cela – il nous refait même le coup de l'intermezzo de Cavalleria. À l'intérieur de l'œuvre, les situations ne sont pas contrastées non plus, impossible de distinguer la vie paisible de la jeune fille de l'enlèvement, le village du lupanar… tout est écrit dans le même lyrisme un peu droit.
Je n'aime pas beaucoup Madama Butterfly, autre sujet japonais au soprano expiatoire, mais c'est indéniablement de la grande musique ; ici, tout est beaucoup moins clivant (moins de sirop, clairement), mais aussi beaucoup moins intéressant.

Cilea, L'Arlesiana (Deutsche Oper de Berlin)
→ Par rapport à Adrienne Lecouvreur, L'Arlésienne représente un moyen terme : ni les trépidations jubilatoires des archaïsmes du début des actes I et III, ni les langueurs sirupeuses des grands airs des héros… Une musique assez continue, fluidement italienne, pas d'un grand relief, mais dont l'intrigue et le charme tiennent très bien en haleine, surtout avec le renfort de la scène (et de bons chanteur).

Alfano, Risurrezione (Wexford)
→ D'après Tolstoï, un titre très post-puccinien, mais d'un Puccini un peu crépusculaire, vraiment menaçant. Bel opéra, très différent des aspects plus modernes d'Alfano (mais supérieur à son achèvement servile de Turandot). Compositeur décidément protéiforme, entre les influences françaises de la musique de chambre, le décadentisme germanique des symphonies, la bizarre conversation en musique chargée de Cyrano


salle opéra
Le Staatsoper Stuttgart (1912), où se tiendra Le Prisonnier de Dallapiccola.



7. Opéras des écoles du XXe siècle

Casella, La Favola d'Orfeo (Stanislavski de Moscou)
→ Il ne faut pas en espérer le grand Casella décadent : il s'agit d'une œuvre très néoclassique, et pas dans le sens d'un langage épuré mais nouveau. Cet Orfeo est plutôt comparable aux œuvres mineures de Milhaud, la simplicité harmonique italienne et le sirop un peu visqueux en sus. Aussi éloigné que possible de ses grandes œuvres symphoniques (même celles avec voix). [La Donna serpente, remontée l'an passé à Turin, ne vaut pas mieux : étranges imitations de Boris et proximité avec Prokofiev, mais sans du tout, là encore, la même matière musicale, particulièrement plate.]

Wolf-Ferrari, Il segreto di Susanna (Turin)
→ Une délicieuse conversation en musique aux accompagnements délicieusement boisés. Totalement tonal et rafraîchissant, un très courte pièce (moins d'une demi-heure) au charme archaïsant irrésistible.

Dallapiccola, Il Prigioniero (Bruxelles, Stuttgart, Florence, Dresde)
→ J'ai hésité à le mentionner, dans le Prisonnier est devenu un grand standard des scènes ouest-européennes. Son sujet militant (tiré du Dernier jour d'un condamné de V. Hugo) sur un domaine pas trop conflictuel (la torture psychologique, c'est mal), son côté « humaniste », sa référence littéraire, sa musique très sombre mais accessible (une tonalité élargie mais tout à fait polarisée, complètement intelligible), son climat oppressant, sa petite durée, tout en fait une excellente passerelle pour les publics vers la musique du XXe siècle. [À titre personnel, c'est plutôt Volo di notte que je voudrais voir s'imposer, cette œuvre est d'une poésie remarquable tout en clair-obscurs, et absolument de son temps tout en empruntant un langage parfaitement familier.]

Maderna, Satyricon (Salzbourg)
→ Grande masse de textes en patchwork innombrables, pas forcément très musicale, mais assurément foisonnante – j'avoue préférer les œuvres plus domestiquées de Maderna (le Concerto pour hautbois, au hasard), mais l'expérience ne doit prendre son sel qu'en vrai. (Plus encore que pour Prometeo de Nono, par exemple).

Rota
, Il cappello di paglia di Firenze (Naples)
→ Autre bijou de conversation en musique, peut-être pas très marquant musicalement, mais qui, joint au texte, laisse planer le sourire sur les lèvres. De la belle comédie qui suit de près la pièce de Labiche.

Au sein de l'immense répertoire du Mariinsky (Théâtre Marial, ancien Kirov), on jouera cette bizarrerie d'opéra en latin d'un gamin de onze ans.



8. Opéras en latin

Mozart, Apollo et Hyacinthus K.38 (Saint-Pétersbourg, Helikon de Moscou)
→ Le premier opéra de Mozart (si on compte Die Schuldigkeit comme oratorio), composé à onze ans. Étrangement, seule la Russie semble le donner cette saison.

salle opéra
Étages vertigineux de la salle très scaligère du Teatro Comunale Mario Del Monaco de Trévigny (au Nord de Venise).



Pas si mal pour un répertoire encore plus défini que les autres par ses têtes de gondole.

Restent encore beaucoup d'ères linguistiques à parcourir, à ce train-là j'aurai fini de présenter la saison en décembre. Mais peu importe, c'est aussi l'occasion de prendre conscience de ce qu'est le répertoire des maisons du monde, concrètement, et il est assez différent de ce que peuvent suggérer les disques.

Et puis si vous n'êtes pas content de la sélection ou du rythme de publication, vous pouvez toujours jouer pour passer le temps – l'exercice est vraiment difficile (13/15 en ce qui me concerne, et ce score inclut des compositeurs que je n'ai, en toute honnêteté, pas encore écoutés).

vendredi 22 septembre 2017

Opéras 2017-2018 : raretés et beaux plateaux en Province


Comme chaque année, quantité de bijoux vont circuler à travers le territoire hexagonal (et étranger proche). En particulier à Bordeaux, Lyon, Tours ou Toulouse, mais pas seulement.

Cette année le centre du monde lyrique se trouve incontestablement à Bordeaux, dont toutes les productions suscitent le plus vif intérêt. J'y débute donc mon tour de France. Contrairement aux précédentes éditions, je me suis dit que le lieu était peut-être plus déterminant que les styles : on voyage plus volontiers dans une ville pas trop distante, quitte à étendre ses choix. Et cela procure aussi une visibilité sur les dominantes des différentes maisons. [Retours appréciés sur la question, si vous vous en servez / avez une opinion.]



N.B. : La cote en putti d'incarnat suit la cote « spectacle vivant » et non celle habituelle des disques.

Cote d'intérêt d'œuvre, si elle est rare, pour vous aider à vous déterminer (je ne vais pas me risquer à me prononcer sur les intérêts relatifs de la Flûte vs. Traviata vs. Lohengrin…).
un putto d'incarnat : dispensable
un putto d'incarnatun putto d'incarnat : intéressant (avec des réserves)
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : stimulant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : grisant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : depuis tout ce temps qu'on l'attendait !

Cote d'attente d'interprétation. Par essence, contrairement aux œuvres qui existent déjà, elle n'est qu'une projection de probabilités (subjectives de surcroît…).
un putto d'incarnat : ouille
un putto d'incarnatun putto d'incarnat : inégalement attirant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : très appétissant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : exceptionnel
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : potentiellement une référence à venir




En Province


Bordeaux :
Bellini – Il Pirata un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Ce n'est pas l'œuvre du siècle, assez loin des grands aboutissements de Bellini (même de La Straniera et des Capuletti, voire de la Sonnambula), du belcanto assez pâle à mon gré (sans les petites finesses harmonies ou les joliesses d'orchestration dont il est coutumier par ailleurs). Mais c'est rare. De la distribution, je ne connais que René Barbera (excellent ténor spécialiste), et Adèle Charvet dans le petit rôle d'Adele. Si le reste est du même niveau, ce sera très beau.
Offenbach – La vie parisienne un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Pas l'œuvre majeure du répertoire, mais dirigé par Minkowski avec Gillet, M.-A. Henry, Extrémo, de Hys, Fouchécourt, Barrard, H. Deschamps. Uniquement des chouchous, et uniquement de grands interprètes.
Debussy – Pelléas et Mélisande un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Minkowski, Skerath, Brunet, Barbeyrac, Duhamel et Varnier !  Quelle distribution éclatante, complètement francophone de surcroît – et de quelle façon !  Petite curiosité, la mise en scène est assurée par Philippe Béziat, qui avait tourné le documentaire autour de la création russe de Pelléas en juin 2007 – par Minkowski et Py.
R. Strauss – Elektra un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Brimberg, M.-A. Henry, Palmer, Alvaro, Mortagne, Delunsch (dans les élans de la Cinquième Servante !), et dans les rôles minuscules Morel, Pasturaud, Legay, Tachdjian, Tréguier !  Même au disque et en studio, j'ai peu vu de distributions aussi exaltantes : le duo épique des sœurs, la Cinquième Servante, l'ultra-luxe de chaque petit rôle…
Henri Rabaud – Mârouf, savetier du Caire. un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un opéra rare foisonnant, très riche et fantaisiste, qu'on peut conseiller à tous : beaucoup de matière musicale, beaucoup d'action, mise en scène traditionnelle (mais animée) très chatoyante pour les novices, et distribution de feu : Bou, Santoni, Teitgen, et puis dans la constellation de petits rôles importants Legay, Contaldo, Leguérinel, Peintre, Tachdjian, Yu Shao – toutes personnes dont l'éloge a déjà été fait dans ces pages.
Boesmans – Pinocchio un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
La nouvelle production Boesmans-Pommerat, après le succès remarquable d'Au Monde (sorte de langage de Pelléas atonal placé dans l'univers théâtral désabusé d'aujourd'hui), prend à nouveau une distribution remarquable (Briot, Lhote, Auvity, Le Saux…), et va tourner en France. Intriguant et très attirant. La cotation n'exprime que l'attente, puisque personne ne l'a encore entendu !
Annoncé pour 2018 en Île-de-France (Athénée à l'automne ?).

◊ Seule production peu attirante, la Lucia de Donizetti avec Behr et Sempey, qui va agréger à peu près tout ce que je n'aime pas en chant – mais ce ne sera pas vilain non plus, loin s'en faut. Et il y aurai Thomas Bettinger (Arturo) et François Lis (Raimondo).


Toulouse :
d'Albert – Tiefland un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Certes avec Schukoff, Brück et Flor, donc pas la fête de la glotte facile ni des baguettes élancées, mais tout de même, ce petit bijou de romantisme décadent – plaqué sur un livret réaliste, sorte de Wally allemande, à ceci près que la musique en est remarquable…
Puccini – La Rondine un putto d'incarnatun putto d'incarnat
De la conversation en musique dans le genre lyrique italien. Je ne suis pas un inconditionnel (ça sirupise beaucoup), dans le genre Wolf-Ferrari a beaucoup mieux réussi la juste mesure, à mon sens. Mais c'est peu donné.


Limoges :

Piazzolla – María de Buenos Aires
Je suppose que ce dépendra beaucoup du parti pris lyrique ou non. (Je me rends compte que je ne l'ai jamais écouté, alors que ça pique ma curiosité depuis lontemps !)
Bizet – Les Pêcheurs de perles un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Guilmette, Dran et Duhamel. Là encore, du très bon francophone !  (Duhamel y était tout bonnement miraculeux il y a un peu plus d'un lustre. La voix a changé vers plus de noirceur, moins de clarté, d'impact et d'aisance en haut, il faut voir. Mais ce sera très beau de toute façon.)


Rennes :
Gounod – Le Médecin malgré lui un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Rare, et agréable.
Zemlinsky – Der Zwerg un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un opéra court assez régulièrement donné en France (et la Tragédie florentine doit être dans le top 5 ou 10 des opéras du XXe montés en France…). L'intérêt réside particulièrement dans la prise de rôle de Mathias Vidal, le chanteur le plus éloquent en activité – jamais entendu en allemand pour ma part, en italien il est quasiment aussi excellent qu'en français. La voix a gagné en largeur, et il a démontré qu'il pouvait tenir, malgré sa nature de départ, de véritables rôles lyriques. Ici, on est à la frontière du très grand lyrique, voire du dramatique (surtout à l'échelle italienne !), mais l'orchestre ne concurrence pas trop, je suis très curieux d'entendre le résultat.


Angers-Nantes :

1 opéra-comique d'Hervé : Mam'zelle Nitouche
1 opérette de Messager : Les P'tites Michu
Haendel – Rinaldo un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Dirigé par B. Cuiller, avec Negri, Dolié et surtout Benos – le seul contre-ténor en activité, avec Bejun Mehta dans un genre plus héroïque, qui me paraisse vraiment doté d'un impact physique et d'une capacité de diction. Je n'aime pas faire de généralités abusives, mais vraiment, tous les autres altos masculins que j'ai entendus en salle, même ceux qui sonnent bien en retransmission et au disque (Fagioli, Čenčić…) n'ont aucun impact sonore, même de près, et s'expriment dans une certaine bouillie verbale. C'est très bien dans le répertoire sacré (en particulier dans les chœurs et les ensembles), mais pour tenir des solos dans des situations dramatiques, ça ne fonctionne vraiment pas bien. Sauf Benos, passionnant jusque dans le lied.
[Tournée à Quimper, Besançon, Saint-Louis, Compiègne, Dunkerque, Charleroi, Mâchon, La Rochelle.]
Berlioz – La Damnation de Faust un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Hunold, Spyres, Alvaro. Ça vient de se terminer et c'était semble-t-il hautement satisfaisant.


Tours :
Gounod – Philémon et Baucis un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Pas le Gounod le plus saillant (un peu uniformément doux…), mais rarissime, à l'occasion de l'anniversaire.
Tchaïkovski – Iolanta un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Le dernier opéra de Tchaïkovski semble s'imposer durablement sur les scènes européennes. Pas du niveau constant de ses deux précédents, toujours au répertoire (Onéguine et Dame de Pique, sommets assez absolus du genre opéra), mais un joli conte aux couleurs plus françaises, moins prodigue en épanchements lyriques. J'aimerais bien qu'on nous donne aussi les premiers, qu'on ne joue jamais (L'Enchanteresse en particulier, mais je ne dirais pas non à Vakoula ou au Voïévode !).
Rimski-Korsakov – Mozart et Salieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en musique littérale de portions des saynètes de Pouchkine, sous une forme très récitative. Pas évident pour les non-russophones, et pas très chatoyant en tout état de cause, mais change de ce qu'on joue majoritairement.
Britten – A Midsummer Night's Dream un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Non sans longueurs, mais non sans charmes (les chœurs, les répliques de Puck !).


Caen :
Hervé – Les Chevaliers de la Table Ronde un putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Vraiment pas grand intérêt musical ni scénique, sans être sublimé par l'interprétation pour ce dont j'ai pu juger par la retransmission (en tournée depuis deux ans).
Marais – Alcione un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Production de l'Opéra-Comique (Savall / L. Moaty).
Poulenc – Dialogues des Carmélites un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Production du théâtre des Champs-Élysées dans la belle mise en scène de Py, avec sa distribution affolante : Petibon-von Otter-Gens-Devieilhe-Koch-Barbeyrac-Cavallier (et Piolino, Hys et Lécroart dans les petits rôles !).


Rouen :
Cherubini – Médée un putto d'incarnatun putto d'incarnat
En version française, avec Hervé Niquet.


Lille :
Mozart – Così fan tutte un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Par Haïm et Honoré. Avec Azzaretti, Arduini et Rivenq qui seront excellents. Autres interprètes inconnus de moi (Mantashyan, Verrez, Giustiniani).
Offenbach – Le Roi Carotte un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Reprise de la production Pelly : Schnitzler, Mortagne, Beuron, H. Mas, Gay, Grappe, Briot…
Zemlinsky – Der Zwerg un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un opéra court assez régulièrement donné en France (et la Tragédie florentine doit être dans le top 5 ou 10 des opéras du XXe montés en France…). L'intérêt réside particulièrement dans la prise de rôle de Mathias Vidal, le chanteur le plus éloquent en activité – jamais entendu en allemand pour ma part, en italien il est quasiment aussi excellent qu'en français. La voix a gagné en largeur, et il a démontré qu'il pouvait tenir, malgré sa nature de départ, de véritables rôles lyriques. Ici, on est à la frontière du très grand lyrique, voire du dramatique (surtout à l'échelle italienne !), mais l'orchestre ne concurrence pas trop, je suis très curieux d'entendre le résultat.

Tourcoing :
Debussy – Pelléas et Mélisande un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Très appétissante version : à la perspective intriguante d'écouter Malgoire diriger ce répertoire, s'ajoute une distribution où figurent uniquement (hors Andrieux, et Devieilhe et ses soirs) des diseurs baroqueux !  Devieilhe en alternance avec Reinhold (pas du tout les mêmes caractéristiques, ce serait étonnant de comparer !), Andrieux, et puis Buet, Haller, Delaigue, Faraon, Buffière !

Reims :
Grétry – Richard Cœur de Lion un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Emblématique sans être majeur, on ne peut néanmoins considérer avoir vécu sans entendre « Ô Richard, ô mon roi » et bien sûr l'ariette de Laurette chantée de façon complètement désarticulée par la vieille Comtesse dans la Dame de Pique de Tchaïkovski.
Bizet – Les Pêcheurs de perles un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Guilmette, Dran et Duhamel. Là encore, du très bon francophone !  (Duhamel y était tout bonnement miraculeux il y a un peu plus d'un lustre. La voix a changé vers plus de noirceur, moins de clarté, d'impact et d'aisance en haut, il faut voir. Mais ce sera très beau de toute façon.)


Metz :
Saint-Saëns – Samson et Dalila un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Kamenica, Furlan, Duhamel, Bolleire !  Sans doute pas très intelligible chez Kamenica (mais quel fruité !), et francophones remarquables et vaillants pour les autres.
☼ (On annonce Sigurd de Reyer en début de saison prochaine !)


Nancy :
Massenet – Werther un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Montvidas et d'Oustrac. Probablement pas totalement idoine, mais très intriguant assurément, et sans doute original et… différent !


Strasbourg :

■ Saison étrange, très peu de titres grand public, beaucoup d'arrangements et de contemporain.
Zandonai – Francesca da Rimini un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
L'œuvre, langage italien de la mouvance pucciniste, est mâtinée d'aspects plus richardstraussiens, un beau mélange sonore, même si le livret est particulièrement immobile – une action par acte, dans un rythme dramatique qui n'excède pas de beaucoup Lohengrin (Parsifal, à côté, c'est The Naked Gun III). Après une assez longue éclipse dans tout le milieu du XXe siècle, elle semble être programmée à intervalles assez régulier en Europe ces dernières années (à un échelon moindre, un peu comme Hamlet de Thomas, Die tote Stadt de Korngold ou les Janáček).
Manoury – Kein Licht un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Manoury fait partie des rares compositeurs atonals en activité à être capable d'écrire réellement bien pour le drame et la voix. Très curieux de voir ça très bientôt à l'Opéra-Comique à Paris.


Dijon :
Mondonville – L'Amour et Psyché un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un ballet en un acte qui n'a jamais été enregistré – style galant post-ramiste. En couplage avec le merveilleux Pygmalion Avec Bennani de Rameau., Léger, Sicard (et Mechelen Jr. dans Pygmalion), le Concert d'Astrée.

Verdi – Simone Boccanegra
Pas souvent donné en Province, j'ai l'impression.
Boesmans – Pinocchio un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
La nouvelle production Boesmans-Pommerat, après le succès remarquable d'Au Monde (sorte de langage de Pelléas atonal placé dans l'univers théâtral désabusé d'aujourd'hui), prend à nouveau une distribution remarquable, différente de Bordeaux (Briot, Degout, Beuyron, Boulianne, Munger…), et va tourner en France. Intriguant et très attirant. La cotation n'exprime que l'attente, puisque personne ne l'a encore entendu !
Annoncé pour 2018 en Île-de-France (Athénée à l'automne ?).

Saint-Étienne :


■ Depuis l'expulsion de Campellone, qui vient désormais plus régulièrement à Paris pour combattre la pénurie de concerts (…), pour notre plus grand plaisir… Saint-Étienne n'est plus, hélas, le même centre d'exploration du répertoire massenetien et du XIXe français tardif.
Cilea – Adriana Lecouvreur un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Là aussi, peu donnée en France. Pour ma part, j'adore les parties comiques (début du I et du III), c'est-à-dire à peu près toutes les scènes de Michonnet, dans une veine archaïsante qui n'empêche pas la virtuosité ; beaucoup moins toute la partie sérieuse, où les gros motifs sont rabâchés à coups de doublure voix-orchestre, vraiment pas du grand raffinement. Et puis cette fin supposément pathétique (et tellement peu XVIIIe, malgré le sujet « réaliste ») qui vient conclure un vaudeville que je trouve plutôt fendard…


Lyon :

■ Pour la première fois depuis bien des années, Lyon n'est pas l'Opéra doté de la plus belle programmation de France – je mets de côté l'Opéra-Comique qui, en abandonnant le grand répertoire à Garnier, Bastille et Champs-Élysées, peut se spécialiser dans les répertoires qui me plaisent. Néanmoins, si Bordeaux fait carton plein, Lyon représente cette saison encore un très solide dauphin !
Mozart – Don Giovanni un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Montanari, le très charismatique Sly (le rôle doit lui aller comme un gant), l'inaltérable Buratto, l'expressif Ketelsen – certes, il y a Julien Behr et ses limites, mais ce n'est pas non plus de quoi sortir fâché. Très prometteur.
Rossini – La Cenerentola un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en scène de Herheim en coproduction avec Oslo, direction musicale du spécialiste Montanari (et Cyrille Dubois en Prince), de quoi rehausser la seule reprogrammation d'un classique.
Verdi – Attila un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Des longueurs assez peu exaltantes (les duos des amoureux, peu tourtereaux au demeurant), mais aussi des moments impressionnants comme les affrontements entre Attila et l'Ambassadeur de Rome, ou ses songes terrifiants. Avec T. Serjan, Markov, Ulyanov. Et visite à Paris ensuite.
Verdi – Don Carlos un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Version française de ce standard. Production d'Honoré, et belle distribution : S. Matthews, Romanovsky, Degout, Pertusi, Scandiuzzi, Bolleire.
Rimski-Korsakov – Mozart et Salieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en musique littérale de portions des saynètes de Pouchkine, sous une forme très récitative. Pas évident pour les non-russophones, et pas très chatoyant en tout état de cause, mais change de ce qu'on joue majoritairement.
Zemlinsky – Der Kreiderkreis un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Un des grands Zemlinsky les moins joués, servi par une brochette de spécialistes : L. Koenigs à la direction, Beller Carbone, G. Fassbender, (Lauri) Vasar et le miraculeux Rügamer. Mise en scène d'un excellent directeur d'acteurs chantants, Richard Brunel.
Respighi – La Belle au bois dormant un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Une charmante miniature ni hardie, ni totalement archaïsante. Très séduisant.

☼ Comme si cela ne suffisait pas, sept (!) soirées avec le War Requiem de Britten « mis en scène », avec rien de moins que Chtcherbatchenko, Groves et L. Vasar !

Avignon :

♦ Deux titres légers (Des Land des Lächelns de Lehár et Les Mousquetaires au couvent de Varney).

Montpellier :
Verdi – Nabucco un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Pas si souvent donné en France, et avec Jennifer Check en Abigaille – il y a quinze ans, elle chantait formidablement Rusalka… Ça fait a priori plutôt très envie, si la voix a évolué harmonieusement (j'ai pourtant tâché de la suivre, mais les bandes américaines circulent moins bien, et je ne crois pas qu'elle ait fait une carrière gigantesque).
Grieg – Peer Gynt un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Philipe Estèphee, Norma Nahoun et Marie Kalinine, direction Schønwandt.
Bizet – Carmen un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Je ne connais pas Robert Watson en José, mais Anaïk Morel et Alexandre Duhamel, je n'aurais pas choisi mieux si on m'avait demandé mon avis (et Piolino en Remendado !).


Marseille :

Neuf titres du répertoire léger : 1 J. Strauß II, 2 Offenbach, 1 Messager, 1 O. Straus, 1 Yvain, 1 F. Loewe, 2 Lopez !
Rossini – Tancredi un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Il faut aimer le seria romantique, avec ses livrets remarquablement immobiles en compensation de son agilité glottique spectaculaire, mais il sera servi par les meilleurs spécialistes : Carella, Barcellona, A. Massis, Bolleire…
Donizetti – La Favorite un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Une des plus belles réussites de Donizetti, dont la veine mélodique semble mieux s'épanouir loin des contraintes de l'agilité démonstratives, et dont le sens dramatique, sis sur un bon livret mobile, surprend. Distribution contrastée : Courjal devrait être un pontife fulgurant, mais il faudra supporter en regard l'engorgement et la diction de Margaine, et l'élégance discutable de Fanale (que j'anticipe mal, peut-être à tort, dans les souplesses et demi-teintes du répertoire français).
Verdi – Ernani un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Un livret certes privé du sel de son modèle (la censure tudesque n'a pas voulu du Roi dans l'armoire !), et une langue musicale encore très belcantiste, mais aussi de très belles choses – l'air d'entrée d'Ernani, le duo et l'ensemble de la chambre… Avec Hui He, Meli, Tézier, Vinogradov, dirigés par Foster.
Massenet – Hérodiade un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Pas le Massenet le plus subtil, enfilade d'airs à forte couleur locale (supposément antique, donc), et donc assez dépendant des qualités individuelles. Il y aura Nicolas Courjal pour le monologue des Astres, et Lapointe pour « Vision fugitive » ; pour le reste, Mula, Uria-Monzon et Laconi, sans être du tout indignes, ne promettent pas une exécutionde la première grâce (disons).
(David) Alagna – Le dernier jour d'un condamné un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Pas le grand opéra de son temps, avec une musique oscillant entre les innovations du début du XXe (Debussy, R. Strauss) et une laque de sirop post-puccinien par-dessus, un livret qui ne brille pas par ses nuances ni par la sobriété d'un verbe hautement littéraire… Néanmoins, tout cela est assez agréable, et servi, outre Alagna, par des artistes francophones de grande qualité (Dudziak, Ghazarossina, Ermelier, Martin-Bonnet…) et dirigé par Ossonce.




Dans les Provinces


Liège :
Bellini – Norma un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Silvia Dalla Benetta (capiteuse et ardente), Kunde, J-.M. Lo Monaco et dirigé par le très détaillé, net et animé Zanetti (sa Luisa Miller dans les mêmes lieux était un modèle).

Bruxelles :

♦ Dallapiccola – Il prigioniero un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Avec Blancas-Gulín, Graham-Hall et Nigl.
[Couplé avec Das Gehege de Rihm, monodrame.]
♦ Poulenc – Dialogues des Carmélites un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en scène de Py, avec des variations de distribution réjouissantes dans la distribution B : Altinoglu, et Gillet en Blanche avec M.-A. Henry en Lidoine, Deshayes en Mère Marie, et bien sûr Saelens en Premier Commissaire. Toujours Barbeyrac et Cavallier ; Brunet en Croissy.

Anvers :
♦ Donizetti – Le Duc d'Albe un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un Donizetti français assez pâle, où on retrouve l'absence de veine mélodique qui caractérise un grand nombre de ses titres italiens – on retrouve bien le compositeur de Bolena, Stuarda, Devereux, Borgia, Pasquale, plus que celui de La Favorite, L'Elisir ou Lucia.
♦ Korngold – Der Wunder der Heliane
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Musique comme livret, si le vocable décadent a un sens… il s'incarne ici. Assez peu donné, surtout à portée de français…
♦ Prokofiev – Le Joueur un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Quasiment pas d'opéra russe en France cette année, hors Onéguine (voire Iolanta), et encore moins des titres rares. Dirigé par Dmitri Jurowski.


Lausanne :
Menotti – Amahl et les visiteurs du soir un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Conte de Noël. Pas vertigineux, mais c'est assurément rare.


Monaco :


■ Toujours des distributions très prestigieuses et au cordeau, avec en particulier :
Verdi – I Masnadieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Pas le meilleur Verdi, mais de beaux ensembles. Et une distribution de gens très concernés et adroits : Giannattasio, Vargas, N. Alaimo.
Gounod – Faust un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Campellone, Calleja, Rebeka, Lhote.
Offenbach – Les Contes d'Hoffmann un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Lacombe, Peretyatko (quatre héroïnes), Flórez, Courjal, R. Briand (4 valets) !  Ce serait bien qu'il soit retransmis, celui-là : ce sera très différent de l'ordinaire (Flórez moins dramatique, Courjal plus basse, Brian sans nul doute épatant, Lacombe toujours parfait dans ces répertoires…). Et avec toutes ces vedettes (même Burshuladze en Crespel !), une excuse toute trouvée à la diffusion.
Britten – Peter Grimes un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec José Cura.


Barcelona :
Donizetti – Poliuto un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Avec Callegari, Radvanovsky, Kunde, Salsi.
Wagner – Tristan und Isolde un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en scène Ollé, avec Theorin et Vinke !
Rubinstein – Le Démon un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Très bel opéra pas si russe (largement teinté de Marschner) dans une production (probablement hardie) importé du Helikon de Moscou. Particulièrement rare sous nos contrées, un livret très prenant et de la belle musique.


Bilbao :

♦ Bellini – Norma un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Axentii reconvertie en soprano, et dans l'autre distribution Tro Santafé et Kunde.
Verdi – I Masnadieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Avec Giannattasio, Stoyanov, Kares.
Britten – War Requiem
Avec le meilleur diseur (allemand) actuel, Thomas E. Bauer.



Je consacrerai une notule complète à l'intention des grands voyageurs, autour des opéras vraiment rares, eux, à voir en Europe.

mardi 19 septembre 2017

Ce qu'il faut voir au concert, en Île-de-France, en octobre 2017


J'ai (très hypocritement) fait mine de ne pas penser à celui de septembre, mais voici tout de même celui d'octobre.

Je propose un nouveau format : un fichier PDF qui contient toutes les dates relevées. Là encore, retours appréciés sur le caractère utilisable ou non de la chose. Il est généré automatiquement par le calendrier, je n'ai donc pas la possibilité de gérer tous ses paramètres. (Attention, les horaires sont souvent imaginaires, simplement utilisés pour classer visuellement…)

Les symboles ne sont pas particulièrement parlants (§ pour dire que je suis intéressé mais occupé ailleurs, ** pour dire que j'ai des places, pas forcément pour moi et que je revends dans la moitié des cas…).

Parmi les choses les plus intéressantes, voyez :

30 septembre – Mauillon (mais dans du Telemann et du Bach…), avec Alard !
30 septembre – Tamagna, l'un des trois seuls contre-ténors actuels que je trouve intéressants, dans Purcell avec Dumestre !
2 – Quintette de Hahn, Quatuor de Schulhoff !
7 – Nuit du Quatuor, avec notamment le Quatuor de Durosoir au Musée de l'Orangerie !  (cf. brochure )  Attention, les autres années, la queue était telle qu'il fallait être en avance de plusieurs heures pour entrer, donc difficile de viser un concert précis, hélas.
10 – Début des représentations de Don Carlos en version française (pas intégrale, semble-t-il), à la sauce Warlikowski.
13 – Dionysiaques de Schmitt au CNSM.
14 – Les Funérailles de la Foire (avec des bouts de LULLY dedans).
14 – Symphonie avec orgue de Copland (+ Ginastera).
14 – Opéra pot-pourri de Niquet, avec des inédits (La Douée…) et des hits (enfers de Médée de Charpentier). Globalement de tendance assez ramiste – on peut encore l'écouter sur France Musique, captation de Montpellier.
14-20 – Suite de Doctor Atomic d'Adams, Dvořák 9 et du Fujikura par l'ONDIF à travers la région, ça va pulser !
15 – Extraits de tragédies en musique à Saint-Maclou à Pontoise, dont le capital Scanderberg de La Motte, Francœur et F. Rebel !
17 – Cours de chant public au CNSM
18 – Airs italiens par Blandine Staskiewicz.
18-21 – Cassandre de Jarrell, une véritable expérience (hélas à nouveau avec Fanny Ardant que je n'aime guère dans cet exercice).
20 – Bruckner 9 par Saraste et l'OPRF.
20 – Classe du CNSM préparée par Christie dans de grands Monteverdi.
24 – Masterclass de Stephan Genz au CNSM.
24 – Peri, Caccini et autres membres de la Camerata Bardi (Christie).
24 – Rares airs français savoureux par Marianne Crebassa.

Bon appétit !

jeudi 7 septembre 2017

Impressions sur la Sixième Symphonie de Mahler


Au concert pour l'inauguration de la saison de l'Orchestre de Paris (simplement pour pouvoir entendre On the Waterfront et Lincoln Portrait par Cincinnati, n'y voyez aucune stratégie de prestige ni attrait du tote bag), quelques détails qui m'ont frappé.

D'abord, la Sixième de Mahler me paraît étrangement longue pour un complément de programme de Purcell, mais c'était assez bien vu, plusieurs des chorals de la symphonie (au I et au IV en paticulier) utilisent les harmonies de la Marche Funèbre de pour Mary.

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J'avoue que la Sixième Symphonie me touche moins que les autres (considérez-moi plutôt comme un Wunderhornkind – j'aime beaucoup les dernières aussi) : la pensée m'y paraît beaucoup plus homophonique, avec de grandes lignes massives (surmontées de quantité de traits virtuoses bien évidemment), beaucoup moins versée dans le contrepoint et le tuilage que dans la plupart de ses autres grandes œuvres.

Par ailleurs, je n'ai jamais trop perçu, émotionnellement, l'opposition entre la Cinquième réputée lumineuse (et qui s'éclaire vaguement dans le rondeau, peut-être triomphal, mais tout de même bien sombre) et la Sixième supposément tragique, qui dispose pourtant d'une tout aussi grande énergie vitale.
[Je m'aperçois au passage que, sans me concerter avec moi-même, je partage mon avis émis dans mon cycle de présentation Mahler d'il y a dix ans.]

Cela dit, j'admire la circulation des thèmes, qui réapparaissent en fragments sous les formes les plus diverses, comme les retours en majeur dans le I, ou le très joli passage fugace à la basse dans le II, et tant d'autres instants diversement saisissables.
Je suppose au demeurant que l'interruption des rares élans et la décoloration harmonique progressive des moments les plus expansifs (avec des harmonies qui changent pour devenir plus tourmentées) sont tout à fait volontaires, et en effet assez réussis.

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Pour le reste, dans l'écume des jours de la gazette :

Suite de la notule.

mercredi 30 août 2017

Saison 2016-2017 : bilan de l'année concertante & grande remise des Putti d'incarnat


Voici juillet, le moment d'un retour sur une saison musicale bien remplie.
139 spectacles dans 69 lieux (dont 31 nouveaux) – 134 si je ne compte pas, ainsi que c'était l'usage, l'été.

Ce sera aussi l'occasion de la grande remise annuelle de la récompense suprême pour tout artiste informé, le putto d'incarnat – qui est au diapason d'or ce qu'est la médaille olympique de lancer de poids à la compétition de pétanque de la félibrée.
Seule la rédaction de Carnets sur sol, réunie en collège extraordinaire, est habilitée à le décerner, ce qui garantit la clairvoyance de son attribution, et l'absence absolue de collusion maligne.

Hautement respecté, il se matérialise par un putto de van Dyck, remis directement à chaque lauréat sous forme d'un précieux carré de pixels.

Au delà du jeu des breloques, c'est aussi et surtout l'occasion de mettre en valeur des œuvres, concerts ou interprètes qui n'ont pas toujours été très exposés. Il est vrai que le travail de recherche de ces concerts est un poste de dépense, en temps, assez considérable à lui seul !



En fin de saison 2015-2016, nous promettions :

Nous songeons à louer une salle pour la cérémonie de l'an prochain, avec retransmission en mondiovision et partenariat avec Medici.tv. Kim Jong-eun a déjà proposé de prêter le Salon Kim Il-sung de l'aile Ouest du Mémorial du Juche, mais nous voudrions accueillir un public nombreux et cherchons une adresse un peu moins enclavée en transports (on travaille le lendemain). Toute proposition sérieuse acceptée.

Pour de dérisoires questions de visa et d'anéantissement imminent du monde, le lieu de tenue de remise des prix sera le même que celui de l'an passé, ici même, chez vous. En vous remerciant chaleureusement de votre accueil.




1. Liste des spectacles vus

Concerts, opéras, théâtre… En voici la liste, dans l'ordre de la saison. Beaucoup ont été commentés, et quelques-uns ont servi de présentation à une œuvre, un genre, une problématique transversale…

Hors décompte : août 2016. Ordinairement non inclus dans les précédents relevés.

a) Comédie Nation – Marivaux, Les Sincères (avec musique de scène a cappella) – collectif Les Sincères
b) La Huchette – La Poupée sanglante, comédie musicale d'après G. Leroux

Puis, de septembre à juin :

1. Philharmonie – Bruckner, Symphonie n°7 – Staatskapelle Berlin, Barenboim
2. Champs-Élysées – Tchaïkovski, Symphonie n°5 / R. Strauss, Vier letzte Lieder – Damrau, Bayerisches Staatsorchester, K. Petrenko
3. Maison de la Radio – Schmitt, Salomé / Ravel, Shéhérazade – d'Oustrac, National de France, Denève
4. Philharmonie – Schumann, Szenen aus Goethes Faust – H.-E. Müller, Staples, Gerhaher, Selig, Orchestre de Paris, Harding
5. Hôtel de Castries – Jazz vocal
6. Hôtel de Béhague – œuvres pour violon et piano d'Enescu, Bobescu
7. Maison de la Radio – Poulenc, Les Biches / Milhaud, La Création du Monde – National de France, Denève
8. Châtelet – Faust I & II de Goethe – Ferbers, R. Wilson, Berliner Ensemble, Grönemeyer [notule]
9. Garnier – Cavalli, Eliogabalo – García-Alarcón
10. La Commune – Kleist, Amphitryon – Sébastien Derrey
11. Louvre – programme Cœur du Poème Harmonique – Zaïcik, Le Levreur, Goubioud, Mauillon, Dumestre
12. Foyer de l'Âme – Motets de Charpentier, Pietkin… – Ensemble Athénaïs
13. Temple du Port-Royal – Haydn, Sept dernières Paroles pour clarinette d'époque, clarinette d'amour et cors de basset
14. Saint-Louis-en-l-Île – Programme Venise 1610 – Vox Luminis, Capriccio Stravagante, Skip Sempé
15. Opéra Royal – Saint-Saëns, Proserpine – Gens, M.-A. Henry, Antoun, Vidal, Foster-Williams, Teitgen, Müncher Rundfunkorchester, Schirmer
16. Champs-Élysées – Bellini, Norma – Caurier & Leiser, Rebeca Olvera, Bartoli, Norman Reinhardt, I Barrochisti, Gianluca Capuano
17. Opéra Royal – Salieri, Les Horaces – Wanroij, Bou, Talens Lyriques, Rousset
18. Champs-Élysées – Brahms, Deutsches Requiem – Collegium Vocale, Champs-Élysées, Herreweghe
19. Champs-Élysées – Verdi, Requiem – Santoni, Kolosova, Borras, D'Arcangelo, National de France, Rhorer
20. Philharmonie – Debussy, Faune / Debussy, Jeux / Stravinski, Sacre du Printemps – Nijinski restitué (ou réinventé), Les Siècles, Roth
21. Salle d'orgue du CNSM – Académie Européenne de Musique de Chambre (ECMA) – Trio Sōra dans Kagel, Quatuor Bergen dans Chostakovitch…
22. Salle d'orgue du CNSM – Académie Européenne de Musique de Chambre (ECMA) – Trio Zadig dans Schumann, Quatuor Akilone dans Chostakovitch…
23. Athénée (rénové) – Strindberg, Danse macabre (en italien) – Desplechin
24. Maison de la Radio – 20 ans de l'ADAMI – Barrabé, Duhamel, Scoffoni…
25. Sainte-Élisabeth-de-Hongrie – Messe d'Innocent Boutry – Le Vaisseau d'or, Robidoux
26. Gennevilliers – Hirata, Gens de Séoul 1909 (en japonais et coréen)
27. Maison de la Radio – Tchaïkovski, Symphonie n°6 / Sibelius, Symphonie n°2 – Phiharmonique de Radio-France, M. Franck
28. Gennevilliers – Hirata, Gens de Séoul 1919 (en japonais et coréen, avec chants coréens)
29. Amphi Cité de la Musique – Soutenance musicale de l'enseignement du violon en France au XIXe siècle – pièces pour violon et piano (d'époque) d'Hérold, Alkan et Godard
30. Bastille – Les Contes d'Hoffmann – Vargas, d'Oustrac, Jaho, Aldrich…
31. Salle d'orgue du CNSM – Hommage à Roland-Manuel : piano et mélodies – Cécile Madelin…
32. Théâtre 71 (Malakoff) – Lü Bu et Diao Chan (opéra chinois) – troupe agréée par le Ministère
33. Salle d'orgue du CNSM – Hommage à Puig-Roget : piano et mélodies – Edwin Fardini…
34. Hôtel de Soubise – Airs et canzoni de Kapsberger, Merula, Strozzi… – les Kapsber'girls
35. Abbesses – Goethe, Iphigénie en Tauride – Jean-Pierre Vincent
36. Maison de la Radio – Sibelius, Symphonie n°5 / Brahms, Concerto pour piano n°1 – Lugansky, National de France, Slobodeniuk
37. Maison de la Radio – Nielsen, Symphonie n°4 – Philharmonique de Radio-France, Vänskä
38. Philharmonie – Mendelssohn, Elias – Kleiter, A. Morel, Tritschler, Degout, Ensemble Pygmalion, Pichon
39. Salon Vinteuil du CNSM – Mahler, Kindertotenlieder (et présentation musicologique) – Edwin Fardini au chant
40. Salle Cortot – Beethoven, Quatuor n°7  – Quatuor Hanson
41. Athénée – Hahn, L'Île du Rêve – Dhénin, Tassou, Pancrazi, de Hys, Debois, Orchestre du festival Musiques au Pays de Pierre Loti, Masmondet
42. Philharmonie – Adams, El Niño – Joelle Harvey, Bubeck, N. Medley, Tines, LSO, Adams
43. Salle Turenne – Bertali, Lo Strage degl'Innocenti / Motets de Froberger – membres du CNSM (Madelin, Benos…)
44. Salle Dukas du CNSM – masterclass de Gabriel Le Magadure (violon II du Quatuor Ébène) – Trio de Chausson par le Trio Sōra
45. Champs-Élysées – Mozart, Don Giovanni – Braunschweig, Bou, Gleadow, Humes, le Cercle de l'Harmonie, Rhorer
46. Hôtel de Béhague – Mélodies orientalisantes (Louis Aubert, etc.) – Compagnie de L'Oiseleur
47. Bastille – Mascagni, Cavalleria Rusticana / Hindemith, Sancta Susanna – Martone, Garanča, Antonacci, Rizzi
48. Studio de la Philharmonie – Schumann, Märchenerählungen / Kurtág, Trio et Microludes – membres de l'EIC et de l'OP
49. Champs-Élysées – Haendel, The Messiah – Piau, Pichanik, Charlesworth, Gleadow, le Concert Spirituel, Niquet
50. Garnier – Gluck, Iphigénie en Tauride – Warlikowski, Gens, Barbeyrac, Dupuis, Billy
51. Temple du Luxembourg – André Bloch, Antigone / Brocéliande – Compagnie de L'Oiseleur
52. Philharmonie – Schumann, Das Paradies und die Peri – Karg, Goerne, OP, Harding
53. Châtelet – H. Warren, 42nd Street – G. Champion, troupe ad hoc
54. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Audition de la classe de chant baroque
55. Salle d'art lyrique du CNSM – Schumann, Symphonie n°2 / Mozart, Concerto pour piano n°9 – Classe de direction
56. Salle d'orgue du CNSM – Vierne, cycle Les Angélus pour soprano et orgue – Harmonie Deschamps
57. Saint-Quentin-en-Yvelines – Sacchini, Chimène ou Le Cid – Le Concerto de la Loge Olympique, Chauvin
58. Auditorium Landowski du CRR de Paris – de Mendelssohn à Aboulker, chœurs oniriques d'enfants
59. L'Usine (Éragny) – Ibsen, Hedda Gabler – Paolo Taccardo
60. Studio 104 – Quatuors : n°4 Stenhammar, n°2 Szymanowski – Royal Quartet
61. Salle d'orgue du CNSM – Cours public sur le premier des Trois Chorals de Franck – M. Bouvard, Latry et leurs élèves
62. Philharmonie – Tchaïkovski, Symphonie n°5 – ONDIF, Mazzola
63. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Sonates avec violon : Debussy, Ropartz n°2 – Stéphanie Moraly
64. Amphi de la Cité de la Musique – Schubert, Der Schwanengesang – Bauer, Immerseel
65. Cité de la Musique – Schumann, Liederkreis Op.24 – Gerhaher, Huber
66. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Salomon, Médée et Jason, acte II
67. Athénée – Strindberg, Danse Macabre (en italien) – Desplechin
68. Champs-Élysées – Bizet, Carmen – Lemieux, Spyres, Bou, National de France, S. Young
69. Salle d'art lyrique du CNSM – Durey, Œuvres pour harmonie – Harmonie des Gardiens de la Paix
70. Champs-Élysées – Schubert, Die schöne Müllerin – Goerne, Andsnes
71. Bastille – Wagner, Lohengrin – Guth, M. Serafin, Schuster, Skelton, Konieczny, Ph. Jordan
72. Garnier – Mozart, Così fan tutte – Keersmaeker, Losier, Antoun, Sly, Szot
73. Temple du Luxembourg – Paladilhe, Le Passant – Compagnie de L'Oiseleur
74. Châtelet – Offenbach, Fantasio – Jolly, Philharmonique de Radio-France, Campellone
75. Temple de Pentemont – Motets de Campra et Bernier, Troisième Leçon de Couperin  – Le Vaisseau d'or, Robidoux
76. Trianon de Paris – Lecocq, Le Petit Duc – Les Frivolités Parisiennes
77. Le Passage vers les Étoiles – Méhul, Stratonice – Les Emportés, Margollé
78. Studio-Théâtre du Carrousel du Louvre – Maeterlinck, Intérieur – comédiens-français
79. Temple du Saint-Esprit – Motets de Charpentier, Morin et Campra pour petits braillards – Pages du CMBV, musiciens du CRR de Paris, Schneebeli
80. Amphi de la Cité de la Musique – Chambre de Usvolskaya, mélodies de Vainberg, Chostakovitch, Prokofiev – Prudenskaya, Bashkirova
81. Salle d'art lyrique du CNSM – Cimarosa, Il Matrimonio segreto – H. Deschamps, Perbost, McGown, Rantoanina, Lanièce, Worms, Orchestre du CNSM
82. Salle des Concerts du Conservatoire – Haydn, Les Saisons dans la version de sa création française – Palais-Royal, Sarcos
83. Conservatoire de Puteaux – Chansons à boire de Moulinié et LULLY, poèmes de Saint-Amant – Cigana, Šašková, Il Festino, de Grange
84. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Schmitt, La Tragédie de Salomé version originale – Orchestre du CNSM, étudiants de la classe de direction d'A. Altinoglu
85. Philharmonie – Mozart, Symphonie n°38 (et spectacle afférent) – Orchestre de Paris
86. Oratoire du Louvre – Vêpres de Monteverdi, Suite de danses de LULLY, Concerto grosso de Noël de Corelli, Soupers du comte d'Artois de Francœur – Collegium de l'OJIF
87. Champs-Élysées – Beethoven, Symphonies 1-4-7 – Orchestre des CÉ, Herreweghe
88. Philharmonie – Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans – Chœurs et Orchestre du Bolchoï, Sokhiev
89. Maison de la Radio – Nielsen, Symphonie n°2 – National de France, Storgårds
90. Odéon – T. Williams, Suddenly Last Summer – Braunschweig
91. Champs-Élysées – Berlioz, Nuits d'Été, Schönberg, 5 pièces, Schumann, Symphonie n°2 – Gerhaher, Jeunes Gustav Mahler, Harding
92. Bastille – Mendelssohn, A Midsummer Night's Dream, Ouvertures, Symphonie pour cordes n°9 – Balanchine, Orchestre de l'Opéra, Hewett
93. Salle d'orgue du CNSM – Concert lauréats Fondation de France : La Maison dans les Dunes de Dupont, Ophelia-Lieder de R. Strauss
94. Champs-Élysées – Brahms, Vier ernste Gesänge et  Deutsches Requiem – Orchestre des CÉ, Herreweghe
95. Oratoire du Louvre – Leçons de Ténèbres pour basse de Charpentier – MacLeod, Les Ambassadeurs, Kossenko
96. Philharmonie – Mahler, Wunderhorn ; Bruckner, Symphonie n°4 – Gubanova, D. Henschel, OPRF, Inbal
97. Conservatoire de Boulogne-Billancourt – Mendelssohn, Octuor ; Schönberg, Kammersymphonie n°2 ; Poulenc, Sinfonietta – OJIF, Molard
98. Salle Saint-Thomas d'Aquin – airs à une ou plusieurs parties de Lambert, Le Camus… – Š€ašková, Kusa, Il Festino, de Grange
99. Athénée – Maxwell Davies, The Lighthouse – Le Balcon
100. Hôtel de Soubise – Trios de Tchaïkovski et Chostakovitch (n°2) – Trio Zadig
101. Richelieu – Marivaux, Le Petit-Maître corrigé – Hervieu-Léger, comédiens-français
102. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Spectacle théâtral et chanté autour de la domesticité – élèves de la classe d'E. Cordoliani
103. Favart – Marais, Alcione – L. Moaty, Concert des Nations, Savall
104. Hôtel de Soubise – Cantates de Clérambault et Montéclair – Zaičik, Taylor Consort
105. Menus-Plaisirs – Écosse baroque, concert de soutenance – Clémence Carry & Consort
106. Salle d'orgue du CNSM – Programme de lieder et mélodrames d'Eisler – classe d'accompagnement d'Erika Guiomar
107. Athénée – Rítsos, Ismène (musiques de scène d'Aperghis) – Marianne Pousseur
108. Saint-Germain-l'Auxerrois – Motets baroques portugais – ensemble Calisto
109. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Pelléas, L'Étoile, Cendrillon de Massenet – classe d'ensembles vocaux (Bré, Lanièce…)
110. Salle d'orgue du CNSM – lieder de Schubert, Nuits Persanes de Saint-Saëns, Caplet – (Gourdy, Ratianarinaivo…)
111. Champs-Élysées – Les Pêcheurs de Perles de Bizet – Fuchs, Dubois, Sempey, National de Lille, A. Bloch
112. Champs-Élysées – Pelléas de Debussy – Ruf, Petibon, Bou, Ketelsen, Teitgen, National de France, Langrée
113. Bibliothèque Marmottan – L.-A. Piccinni, musiques de scène (La Tour de Nesle, Lucrèce Borgia) – conclusion du colloque sur la musique de scène en France
114. Bastille – Eugène Onéguine – Decker, Netrebko, Černoch, Mattei, Orchestre de l'Opéra, Gardner
115. Philharmonie – Aladdin de Nielsen, Sept Voiles, Shéhérazade de Ravel, Suite de L'Oiseau de feu – Capitole, Sokhiev
116. Cathédrale des Invalides – Jensen, Rheinberger, J.-B. Faure… mélodies et lieder commémoratifs de la Grande Guerre – classe d'accompagnement d'Anne Le Bozec
117. Philharmonie – Symphonie n°2 de Mahler – Orchestre de Paris, Harding
118. Saint-Saturnin d'Antony – Motets de Buxtehude, Telemann et Bernier – Françoise Masset
119. Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière – du Mage, Clérambault et pièces pour saxophone & orgue
120. Athénée – Déserts de Varèse et Dracula de Pierre Henry réarrangé avec instruments acoustiques – Le Balcon, M. Pascal
121. Salle Fauré du CRR de Paris – Études Latines de Hahn, Liebhabers Ständchen de Schumann… – étudiants du CRR
122. Champs-Élysées – Halévy, La Reine de Chypre – Gens, Droy, É. Dupuis, Chambre de Paris, Niquet
123. Bouffes-du-Nord – Lemoyne, Phèdre – Wanroij, Axentii, de Hys, Dolié, Loge Olympique, Chauvin
124. Favart – récital français en duo : Gluck, Chabrier, Bizet… – Arquez, Bou, Pordoy
125. Studio 104 – Motets de Guédron, Boësset, Constantin, Moulinié – Correspondances, Daucé
126. Maison du Danemark – Contes d'Andersen et leurs mises en musique – Françoise Masset (accompagnée sur guitares début XIXe)
127. Saint-Eustache – Funérailles de Purcell, Reger, Totentanz de Distler – Chœur de l'Orchestre de Paris, Sow
128. Sainte-Jeanne-de-Chantal – Haendel, The Ways of Zion Do Mourn – Le Palais-Royal, Sarcos
129. Favart – Saint-Saëns, Le Timbre d'argent – Devos, Montvidas, Christoyannis, Les Siècles, Roth
130. Temple de Passy – Chœurs de Bonis, Sibelius, Aboulker, Wennäkoski… – échange franco-finlandais de chœurs amateurs
131. Cité de la Musique – Gade, grande cantate Comala – Opéra de Rouen, Équilbey
132. Petit-Palais – Couperin et Bach (suite française) pour clavecin
133. Petit-Palais – Airs et duos de LULLY et Desmarest – Pancrazi, Debieuvre
134. Hôtel de Soubise – Quatuors de Beethoven n°7 et Debussy – Quatuor Akilone
135. Notre-Dame-du-Liban – Chœurs d'inspiration populaire de Saint-Saëns, d'Indy, Schmitt et Poulenc – Chœur Calligrammes
136. Salle des Fêtes de la Mairie du IVe arrondissement – Quintettes à vent de Debussy, Arnold, Barber, Ligeti – Chambre de Paris
137. Cour de Guise – Trios avec piano de Schubert n°2 et Ravel – Trio Zadig
138. Saint-Croix-des-Arméniens – Canzoni de Kapsberger, Strozzi, et Lamento della Pazza de Giramo – Kapsber'girls
139. Collégiale de Mantes-la-Jolie – Pièces pour orgue de Buxtehude, Mendelssohn, Franck et Vierne – Michel Reynard




2. Liste des spectacles non vus

Ce pourrait paraître déraisonnablement rempli, et pourtant, il a fallu renoncer à quantité de spectacles qui paraissaient à peu près aussi appétissants (vie professionnelle ou personnelle, simultanéités de concerts, envie d'autre chose, tarifs, concerts complets, etc.) :

→ musique de chambre de Cartan & Lekeu,
→ les Cantates de Jacquet de La Guerre par La Rêveuse,
→ les chœurs de Franck et Daniel-Lesur,
→ le Philharmonia dirigé par Salonen (Beethoven 3, Sibelius 5),
→ les extraits des Éléments de Destouches,
Dichterliebe avec harpe,
→ Charpentier par les étudiants du Conservatoire de Palerme,
→ cours public de cor ou de direction,
→ trio de Gouvy par le Trio Sōra aux Bouffes-du-Nord,
→ le Second Trio de Mendelssohn par le Trio Sōra à Soubise,
→ le Trio de Tchaïkovski par le Trio Sōra à la cour de Guise,
→ le Trio de Chausson par le Trio Sōra au musée Henner puis à Villecerf (décidément !),
→ Leyla McCalla au violoncelle dans de la musique haïtienne,
→ Ariadne auf Naxos au CNSM,
→ la Neuvième de Mahler par Harding,
→ mélodies de L. Boulanger et Berkeley,
→ musique sacrée de Frémart-Bouzignac-Moulinié par Schneebeli,
→ Neuvième de Beethoven par le Philharmoniue de Bruxelles,
→ récital folk de Weyes,
→ Saint-Cécile de Chausson et le Septuor de Caplet à Notre-Dame,
→ Fidelio par la Chambre de Paris,
→ les monumentales variations de Rzewski sur El Pueblo unido salle Turenne,
→ les musiques de scène de Molière par Lombard, Dumora et Correas.
→ le Quinzième Quatuor de Beethoven par le Quatuor Arod,
→ Rameau par Kožená,
Hänsel und Gretel arrangé pour cuivres et récitant,
Musique pour cuivres et cordes de Hindemith par van Lauwe,
→ récital Desandre-Cochard,
→ trios de Chaminade et Bonis,
→ programme Guy Sacre et Boisgallais,
→ programme d'orgue Letton à la Maison de la Radio,
→ le Songe d'une Nuit d'Été de Thomas par la Compagnie de L'Oiseleur,
The Tempest Songbook de Saariaho par l'Orchestre Baroque de Finlande,
Les Aveugles de Maeterlinck à Vitry-sur-Seine,
Tafelmusik de Telemann au château d' Écouen,
Ce qui plaît aux hommes de Delibes par les Frivolités Parisiennes au Théâtre Trévise,
→ la BBC Wales dans Sibelius 5 à la Seine Musicale,
→ programme Lalo-Dukas-Ravel par Les SIècles,
Médée de Charpentier par Tafelmusik de Toronto et Pynkosky,
→ mélodies de Vierne, Podlowski et Koster par Lièvre-Picard,
Ascension de Messiaen et Widor 6 à Saint-Sulpice,
→ récital Louis Saladin et Salomone Rossi aux Menus-Plaisirs,
Musicalische Exequien de Schütz et motets de la familel Bach par Vox Luminis,
→ Lura dans de la musique du Cap-Vert à l'Espace Cardin,
→ grands motets de Lalande à Versailles,
→ demi-Winterreise de Bostridge & Drake au musée d'Orsay,
→ motets de Charpentier par La Chanterelle,
→ lieder de Weigl à la Maison de la Radio,
→ legs pédagogique du violoncelle français (Franchomme, etc.) au château d'Écouen,
Diva de Wainwright,
→ Cécile Madelin dans des extraits d'Atys au Petit-Palais,
Snegourotchka de Rimski-Korsakov à Bastille (la seule rareté de l'année à Bastille, hors le demi-Hindemith !),
→ récital d'opéra Meyerbeer-Février à la Philharmonie,
→ l'Yriade dans les Stances du Cid à Favart,
Il Signor Bruschino aux Champs-Élysées,
→ piano de Bizet, Saint-Saëns et Brahms par Oppitz,
→ « symphonie en si mineur » de Debussy à la Maison de la Radio,
→ récitals de mélodie Gens-Manoff,
Elisir d'amore avec Poulakis et Lanièce au Théâtre des Variétés,
→ spectacle Les Madelon (Fontenay-le-Fleuyr),
→ Dvořak 9 au piano solo par Mařatka,
La Double Inconstance de Marivaux à Richelieu,
→ madrigaux de Marenzio et Lejeune à la Bibliothèque de Versailles,
→ concert de la Fête de la Musique du Chœurs de l'Orchestre de Paris,
→ deux concerts de musique de chambre incluant Koechlin, au Conservatoire de Bourg-la-Reine,
→ pièces symphoniques de Nováček, Warlock et Delius par van Lauwe,
Rigoletto avec Grigolo et Lučić à Bastille,
Nozze di Figaro avec la Chambre de Paris
→ quatuors de Kodály, Bella et Tansman par le Quatuor Airis au Centre Culturel Tchèque,
→ Tableaux d'une exposition pour quintette à vent à Soubise,
Hippolyte de Garnier au Studio-Théâtre,
L'Écume des jours à la Huchette…
→ et bien d'autres.

Certains font mal à relire, mais je n'avais pas toujours le choix (ni l'envie de vivre aussi reclus qu'en conclave, contrairement aux apparences les spectacles ne sont pas du tout mon activité prioritaire).

Et je ne parle que de l'Île-de-France : on voit la difficulté pour donner, malgré tout, un avis global sur la saison. Il faudrait être beaucoup plus centré sur un répertoire précis, voire s'y mettre à plusieurs, or en cette matière comme en beaucoup d'autres, je ne suis que ma fantaisie…





3. Bilan général et comptes-rendus de concert

    La plupart de ces concerts ont été commentés, je n'ai pas la patience d'aller récupérer plus de cent liens, comme les autres années, mais ils se retrouvent facilement en entrant les mots-clefs dans la boîte de recherche à droite, ou, pour beaucoup, en regardant dans le chapitre « Saison 2016-2017 » (les notules les plus complètes ne sont pas classées là, mais il y a déjà une certaine masse à parcourir).

    En revanche, je commence la remise de prix par le plus important : les œuvres révélées, les plus beaux spectacles de la saison, les compagnies à suivre.



3a. Œuvres découvertes

Je vous renvoie d'abord vers la notule-éditorial de la prochaine saison, qui énumère les nombreux opéras rares remontés cette saison (§B). Saison faste, donc.

les putti d'incarnat L'arrêt des Putti d'incarnat les putti d'incarnat

Suite de la notule.

mardi 4 juillet 2017

Derniers outrages – Vers un opéra de zombies ? / Nabucco, opéra uchronique


En ce moment, je me fais à moi-même des remarques profondes sur le répertoire lyrique.


Vers un opéra de zombies ?

Ainsi, à l'heure où les compositeurs ne savent plus écrire que de la musique de film d'horreur, comment se fait-il que nous n'ayons toujours pas eu d'opéra de zombies ?  Je suis sûr, en plus, que le relatif statisme de la plupart des créatures imaginées, la tension avant tout psychologique (et éventuellement quelques vidéoprojections honnêtement hémoglobinées) seraient très adéquats pour cet art du temps distendu qu'est l'opéra.

Je vois très bien les hordes chorales s'installer progressivement par strates (façon Ligeti / Hillborg ?), un orchestre d'abord fragmentaire s'épaissir progressivement (comme dans Marche au supplice ou les marches d'opéras tchèques, de Dalibor à Rusalka), et le tout déferler en décibels terrorisants, à la façon d'un climax de Lady Macbeth de Mtsensk. Pas besoin d'une intrigue très évoluée non plus, le tout est d'éviter les discours trop didactiques sur la marche du monde, les déductions se font très bien tout seul…

Ce serait un opéra qui ne chanterait pas trop, avec peu de mots, accessibles dans toutes les langues :

– Riiiiiiiiiiiiick !  Aaaaaaaaaaaaaaah !
– They are here / Sono qui / Ils sont là / Aquí están / De er her / הם כאן !
– Oh no !  Gleeeeeeeeeeeeeeeeeeeenn !

Et propre à quelques répliques-cultes :

– Tu es mordu ?
– Oui. Ils sont les morts qui marchent. Je suis le mort qui parle.

(Messieurs les Gouverneurs de théâtre ou de cités idéales, je suis disponible pour toute collaboration, mes tarifs sont modiques.)

Lorsqu'on parle d'ouvrir l'opéra aux jeunes, à d'autres classes sociales que les aisées / éduquées, on tient probablement là un biais plus sûr que les invitations de metteurs en scène et producteurs de cinéma (branchés comme Hanecke ou plus populaires comme Dayan), ni même en invitant un compositeur de cinéma pour faire revivre un film (The Fly de Howard Shore était un opéra remarquables, mais très cohérent avec les codes du genre et de la musique du XXe siècle, peu accessible aux novices). Même problème pour les films adaptés en opéra – que ce soit, dans deux esthétiques diamétralement opposées, Il Postino de Catán (rétro) ou The Secret of Brokeback Mountain (atonal) : c'est avant tout un opéra inspiré d'une source filmique, qui se pense d'abord comme un opéra.

Car, dans cas de l'opéra de zombies, ce ne serait pas l'affiche qui varierait, mais son contenu même : non pas changer l'habillage thématique de l'opéra comme on le faisait dans le seria en remplaçant Tarquin par Pyrame et Renaud par Néron, mais son cahier des charges tout entier. Il ne faudrait pas faire un opéra qui parle de tel sujet, mais s'emparer d'une matière populaire pour la faire vivre par le biais de l'opéra. C'est le type même de sujet où les masses chorales, la tension musicale, la présence scénique, la lenteur tournoyante des répliques d'opéra peuvent prendre tout leur sens, même pour un public habitué à des rythmes beaucoup plus cavalcadants, l'occasion de se poser, avant même de parler de langage, la question du traitement musical du sujet.

(Ce n'est nullement un propos prosélyte, je dis tout cela tout en demeurant plutôt perplexe devant la mode du film de zombie – une chose à laquelle on ne peut pas vraiment croire désormais, et dont la symbolique est un peu univoque. C'est surtout le prétexte pour poser la question de l'écriture d'un opéra qui ne soit pas enclavé dans le genre de l' « opéra contemporain » ni de l' « opéra néo / rétro ».)

opéra zombies
Extrait du livret de l'opéra tant espéré.

De la même façon, on attend toujours l'opéra wagnérien fondé sur les motifs (et les intrigues) de Star Wars. Quel terrain de jeu pour un compositeur qui accepterait d'abdiquer son style propre pour épouver pleinement l'exercice !  Et quel succès public, se figure-t-on…  (Je vous laisse rêver la distribution avec Netrebko en alderaanaise, Kaufmann en Dooku, Dohmen en Vader, Domingo en Jabba, Fouchécourt en Yoda,)

Les compositeurs de film manquent parfois de sens de la structure pour réussir les opéras, mais dans ce genre du renouveau pensé hors de la tradition exploratrice du XXe siècle (ou de l'imitation du XIXe), l'un des plus convaincant est pour moi Marius et Fanny de Vladimir Cosma. L'opéra est bâti en séquences fermées, dans un langage tonal un peu naïf, mais il s'empare de la couleur de son sujet avec une fraîcheur qui lui correspond directement, au lieu de lui imposer telle grammaire propre au compositeur.

J'avais déjà essayé de tirer, sous un autre angle (plus attaché aux convergences des compositeurs de film dans ce répertoire), quelques lignes de force autour de cette question. Mais je me dis qu'il y aurait vraiment, même avec un compositeur qui ne soit qu'un habile faiseur, l'occasion de proposer des opéras marquants et surtout à nouveau accessibles – ce qui n'est plus guère le cas d'une large part du répertoire depuis… Wagner (et de moins en moins au fil des décennies, il suffit d'observer le nombre de lyricophiles qui s'abstiennent lors des créations, même ceux qui ne sont pas rétifs aux langages du second XXe).

À quand le grand opéra-spectacle Glotte of the Dead, ou l'oratorio Singing in the Dead ?  J'attends.



Nabucco, opéra uchronique

En réécoutant l'œuvre, l'un des Verdi les plus aboutis (dans la période pré-Rigoletto, Il Corsaro et Stiffelio sont aussi des chefs-d'œuvre étonnants et, eux, assez peu représentés !), je me fais une autre remarque pénétrante.

On commente les contre-choses et les volumes vocaux nécessaires, l'agilité et la puissance d'Abigaille, sa propension à rompre les voix, à commencer par celle de la dolce amica du compositeur, et bien sûr la veine mélodique inépuisable, les grands concertatos (le canon « S'appressan gl'istanti » !) ahurissants d'un si jeune compositeur. Pourtant, lorsqu'on découvre cet opéra, est-ce qu'il n'y a pas plus troublant encore ?

Je vous aide : à la fin de l'histoire, Nabuchodonosor II se convertit au judaïsme, bâtit des synagogues, et tout l'Empire néo-babylonien (ex-assyrien, futur perse) avec lui. L'influence d'Israël s'étend jusqu'aux confins de l'Inde, et l'heure est proche où les Hébreux manqueront de détruire Athènes.

Inventer des personnages est assez commun, et même ordinaire et canonique dans tout le théâtre classique : on peut inventer n'importe quel amant ou parent à ses héros, pourvu que cela n'infléchisse pas le caractère connu. On peut même éventuellement modifier un peu leurs morts, voire les ressusciter…

Acceptons donc la fille usurpatrice (à l'origine tout de même de deux coups d'État), ce n'est qu'une parenthèse dramatique. La fille préférée qui se trouve otage à Jérusalem (où elle faisait sûrement du shopping, les chandeliers babyloniens sont tellement communs et ennuyeux…), on peut aussi la tolérer, même si sa conversion un peu didactique au judaïsme flatte plus la foi des spectateurs qu'elle ne paraît nécessaire à l'intrigue.

Mais tout de même, l'opéra se finit avec un bouleversement complet de toute l'Histoire du monde. Je ne vois pas d'exemples de pièces ou d'opéras qui fassent ainsi échapper Louis XVI captif par Marat encore tout trempé, ou Napoléon II être sacré sur le champ de bataille après la victoire de Waterloo…

nabucco
Authentique mouvement désordonné de foule babylonienne.
(Milan 1987)

Cependant, comme la justice immanente n'est pas un vain concept, semble-t-il, les chefs n'ont pas toujours eu plus de respect pour l'œuvre que le livret de Temistocle Solera n'en avait eu pour l'Histoire. En plus des coupes multiples, on rencontre ainsi des bidouillages dont l'opéra italien est hélas coutumier (comme ces hideuses fins ménagées pour les applaudissement à la fin d'È lucevan le stelle ou Nessun dorma) ; ainsi en 1981 à Vérone, dans un cadre de plein air propice à toutes les basses démagogiques, Maurizio Arena fait répéter la phrase de louange de Nabucco (« Ah, torna, Israel ») de façon à placer le chœur « Immenso Jehovah » après la mort d'Abigaille, coupant la réelle fin (très brève et saillante, du grand Verdi) au profit de ce grand chœur a cappella monumental.

Le respect est mort, on cherche encore le corps.

→ Si vous souhaitez écouter l'œuvre dans de bonnes condition, il existe bien sûr beaucoup de références luxueuses, dont certaines très réussies, des historiques Gui 1949 (avec Callas) et Previtali 1951 au studio Sinopoli, aux traces d'Oren (avec Dimitrova et Bruson) à Vérone, ou de Santi à Paris en 1979 (Bumbry et Raimondi, longtemps bande pirate et désormais parue en DVD). Mais pour tous ceux qui doutent des qualités de la partition, ou qui veulent renouveler leur écoute, la version Mariotti à Parme (écoutez ici), parue chez C Major avec le reste de l'intégrale Verdi de très haute tenue, est réellement un enchantement : l'accompagnement vit avec beaucoup de finesse, et malgré son caractère rudimentaire, marque quantité de fléchissements expressifs très suggestifs. La reprise piano de « Salgo già del trono aurato » n'a rien d'une coquetterie dynamique, par exemple. Mariotti fait partie de cette nouvelle génération de chefs d'opéra italien, avec Zanetti par exemple, qui construisent une réelle pensée et un discours très fin sur des partitions où l'orchestre est pourtant conçu comme un accompagnement – mais Verdi ménage suffisamment de détails précieux pour le permettre.

→ Un sujet déjà abordé dans cette notule, beaucoup d'autres détails de ce type restent en réserve pour de futures entrées.



Et bien sûr, encore quelques idées hautement géniales, mais je ne les livre pas toutes ce soir. À bientôt.

samedi 6 mai 2017

L'instrument du jour – Le triangle


    Mal-aimé d'entre les mal-aimés, le triangle est devenu le parangon de l'instrument inutile, dérisoire, ridicule. Contrairement à tous ces arpèges absolument inutiles qui ravissent les amateurs de piano (j'ai testé pour vous, vous jouez n'importe quelle platitude en mode arpégé, tout le monde vous prend pour un virtuose, alors qu'improviser un enchaînement harmonique subtil n'impressionne personne), à ces fusées qu'on attend des violonistes, le triangle n'attire aucune compassion pour le boulot fourni : tout le monde peut faire ça. Presque du mépris.
    Ou pis : il a fait toutes ces études pour cogner deux bouts de métal deux fois en quarante minutes, le pauvre. De la pitié pleine et entière. Car tout le monde peut faire ça.



Tout le monde ?  Pas si sûr.



Il y a d'abord le matériel.
♣♣ Le triangle (de la famille du sistre, semble-t-il) apparaît dans l'orchestre symphonique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, comme instrument pittoresque emprunté aux fanfares de janissaires ottomans. C'est pourquoi on le trouve notamment dans les turqueries : Ouverture de L'Enlèvement au Sérail de Mozart, marche du ténor au début des réjouissances vocales de la Neuvième Symphonie de Beethoven, ou bien dans Les Ruines d'Athènes (marche de janissaires, précisément…).
♣♣ Il ne produit pas de son fixe, et est considéré comme un instrument à hauteur indéterminée, mais en réalité, sur les triangles de haute qualité, il est possible, selon le point de frappe et son intensité, d'adapter sa tonalité à celle de l'orchestre. Vous mesurez que le niveau de maîtrise excède alors l'achat de bouts d'acier ou d'aluminum tordus en supermarché – ne serait-ce que pour la qualité du matériel requis, pouvant s'entendre à travers l'orchestre avec la couleur adéquate.

Autant l'actionner seul ne requiert pas beaucoup d'adresse, autant pour le jouer en orchestre, le niveau musical requis est très loin d'être nul, ne serait-ce que pour opérer son entrée au bon moment – d'autant que le triangle ne joue qu'occasionnellement et soutient en général des accords particulièrement saillants, à la fois importants et exposés.
♣♣ De surcroît, contrairement à beaucoup d'autres instruments jugés secondaires ou discrets, il est immédiatement audible et repéré par tous – et bien connu comme il l'est, attire immédiatement tous les regards. Cet entretien souligne bien le problème : ce n'est pas tant la maîtrise technique de l'instrument que les qualités solfégiques indispensables qui le rendent impropre à être utilisé par les novices, comme le souligne ce percussionniste du Symphonique de l'Utah dans cet entretien. Car il n'existe pas de littérature pour triangle solo, il faut nécessairement s'associer à un ensemble (et, bien sûr, toujours maîtriser d'autres percussions pour être embauché) : pouvoir le faire sonner n'est donc absolument pas suffisant.
♣♣ J'ajoute un autre paramètre plus subtil qui n'est pas mentionné dans ce court entretien : la propagation du son est différente selon les instruments (le grave est plus lent et plus diffus, ce qui conduit les contrebassistes à légèrement anticiper sur le temps, par exemple), et le côté aigrelet du triangle le rend très précisément localisé dans le temps et dans l'espace, si bien que tout minuscule décalage est immédiatement audible, même pour des mélomanes peu aguerris qui ne remarqueraient pas un faux-pas à la seconde clarinette, voire aux violons.
   
Enfin, et cela peut faire sourire, l'endurance n'est pas rien. Car en plus du jeu simple, il existe le « trémolo » / « roulement » qui fait rebondir la tige rapidement contre deux côtés du triangle… Idéalement, le nombre d'impacts doit être calculé comme pour les autres instruments, mais surtout, il faut tenir cette position précise avec une régularité de va-et-vient et d'intensité pendant un temps qui peut être, en certaines circonstances, particulièrement étendu…
♣♣ Ainsi, dans la Symphonie en mi de Hans Rott (dubitatif, séduit, enchanté), le final utilise très largement le battement furieux du triangle, et notamment sans discontinuer pendant les dix dernières minutes. Ce n'est pas un rôle si futile, il procure beaucoup de brillant et de tension à une orchestration autrement assez brahmsienne, plus ronde et confortable malgré des enchaînements harmoniques wagnériens et quelques tentations brucknériennes.
♣♣ La partition indique son usage ad libitum, c'est-à-dire que toutes les versions discographiques ne l'utilisent pas, mais les deux meilleures, Rückwardt-Mainz et P.Järvi-Francfort, l'incluent. On l'entend particulièrement bien chez la première (c'est une dame), et voici le second intégralement, gratuitement et légalement disponible sur Deezer. Les variations finales commencent à partir de 8', et le triangle finit par ne plus s'interrompre.
Inutile de préciser qu'il faut alors une endurance et une sûreté musculaires particulières, fût-ce sur un objet aussi petit et simple d'usage. Au moins aussi physique que l'on vous demandait d'actionner à intervalle identique le cliquet de votre bouilloire pendant une demi-journée. Et, oui, puisque vous le demandez, c'est un geste contraint qui contribue à l'art.



J'espère que vous ne rirez plus jamais de cette honorable profession, ainsi que j'ai tenté (infructueusement) de l'accomplir dans cette très sérieuse notule.

(L'air de rien, l'article similaire sur la contrebasse prend beaucoup, beaucoup plus de temps à préparer.)

Manière de compléter, une notule au sérieux de pape dépressif sur la difficulté comparative des instruments – celle qui m'a valu le plus d'insultes, de très loin. Derrière la facétie, la réalité de ce que, comme pour le triangle, la difficulté ne tient pas seulement à la réalisation des sons, mais aussi à la nature du répertoire et aux diverses contraintes associées.

Un peu plus méthodiques (même si on pourrait encore les préciser quasiment à l'infini), les notules autour des familles du luth (à mettre à jour, d'ailleurs, avec de belles images et précisions de première main sur chitarrone et colachon…) et du clavecin.

À bientôt pour de nouvelles aventures !

mardi 7 février 2017

Les faux raccourcis du lied : le piège mortel de la transposition


    Hier soir, La belle Meunière par Matthias Goerne et Leif Ove Andsnes, en concert. Goerne était en petite forme (de l'air dans les cordes vocales…) et avait largement perdu de sa magie souvent décrite dans ces pages. Cela le privait de ses éclats terrifiants, et le forçait à se replier dans les nuances les plus douces, chantant à mi-voix, pas toujours complètement timbré. Néanmoins, du fait de ses habitudes et de son gigantesque talent, il finit par retourner la salle, dans une seconde moitié complètement suspendue – envoûtante – où le temps se fait espace, quelque chose comme ça…

    Donc excellente soirée, vraiment, et je ne suis pas suspect, comme l'indiquent les notules du lien ci-dessus, de mégoter mon adhésion à l'art de Goerne. Toutefois, il me prend la fantaisie de détailler les risques, pour ne pas dire les mauvais choix, qui auraient précipité dans l'impasse tout autre que lui.

♠ D'abord, le voile sur de sa voix tient sans doute de la fatigue propre à un soir ou une période, mais aussi à l'évolution d'une voix très laryngée : plus la voix est placée en arrière, plus le raidissement des tissus avec l'âge va l'empêcher d'atteindre les aigus. Cela s'observe régulièrement chez les sopranos aux aigus flottants, qui perdent parfois leur timbre – je dis l'âge, mais il s'agit en réalité de l'âge combiné avec la fatigue d'une carrière professionnelle, le phénomène touche beaucoup moins ceux qui chantent peu, par exemple ceux qui se reconvertissent tôt comme professeurs et donnent des concerts occasionnels (on est souvent alors impressionné par leur fraîcheur de jeunes premiers !).
    C'est ce qui fait la spécificité de Goerne, on ne va pas souhaiter qu'il soit autrement qu'il est, mais c'est un paramètre qui, clairement, le défavorise dans l'évolution de sa voix, qui perd davantage en souplesse, comparativement, que s'il utilisait d'autres techniques.

♠ La transposition pour voix de basse pose toujours des problèmes vocaux. Par confort, pour ne pas prendre trop de risque, pouvoir réaliser des nuances dans les aigus, les barytons, même jeunes et de format assez léger, ont tendance à prendre des transpositions très basses.
    Un ton plus bas que l'original (et parfois, pour des raisons de doigtés ou de nombre de dièses, un ton et demi, ou un demi-ton), ce ne change pas vraiment les équilibres, et n'étant jamais écrit haut comme un air d'opéra claironnant, cela permet à un baryton de chanter confortablement. Comme ce sont par-dessus tout les barytons qui chantent ce répertoire, ce sont les versions qu'on entend le plus fréquemment, plus fréquemment que les versions originales – calibrées pour la voix de ténor de Schubert.
    En revanche, lorsqu'il s'agit de descendre plus bas, le timbre d'un baryton s'éteint complètement, et se réfugiant dans les graves, lui se sent en sécurité, tandis que le public ne bénéficie plus de sa projection ni de sa zone expressive. J'ai le souvenir de Ludovic Tézier, dont les aigus sont pourtant au-dessus de tout soupçon (et c'était il y a plus de dix ans !), chanter Die Dichterliebe dans des profondeurs dont il ne se tirait pas. En revanche, pour les bis de Liszt, sa voix était complètement chauffée, et lui libéré, c'était superbe.
    Goerne, considérant sa méforme, étant contraint de choisir une transposition radicale, cela s'entend ; je souligne simplement que beaucoup (trop) de barytons, peut-être légitimés par les derniers disques de leurs idoles, font de même tôt dans leur carrière, ce qui est une erreur, sinon vocale, du moins artistique.

♠ Car la transposition pour voix basse altère le caractère de l'œuvre.
    Ici encore, Goerne change Die schöne Müllerin en prequel du Winterreise, uniformément désespéré et remâchant la mort. De ce fait, il soutient vaillamment le paradoxe.
    Mais pour les autres chanteurs (et ce soir, considérant ses limites, en partie pour lui), déplacer à ce point le centre de gravité nuit à l'économie de l'œuvre. Dans un cycle rempli de chansons, de pièces strophiques, de références folkloriques, et qui peut sans grande perte se réduire pour guitare (ainsi qu'en atteste assez généreusement la discographie), une version pour basse ne peut pas rendre justice au jeune meunier naïf qui, bien que désespéré, nous amuse de ses illusions une à une démenties. Et qui chante au bord du ruisseau des cantilènes rêveuses, quand il ne l'interroge ou ne le tance pas.  
    C'est pourquoi le lied fonctionne assez mal ainsi transposé, même pour d'authentiques basses – le problème est alors aussi celui de la flexibilité vocale : les ténors ont la souplesse mais pas l'assise, les basses l'assises mais pas la souplesse, les barytons disposent des deux.
    Ce soir, la berceuse finale est jouée trois tons sous l'original (en si bémol au lieu de mi) !  Et ce n'est pas une fantaisie pure de la part de Goerne : Andsnes utilise le volume officiel de Breitkopf (ou Peters, je ne puis complètement en jurer) pour tiefe Stimme. Deux tons, cela se justifie (sinon, le saut de sixte majeure sur un sol dièse piano ferait très mal…), mais trois, comment faire croire à une berceuse, l'accompagnement ressemble plutôt aux souterrains de Pelléas, version bien tonale. Toute la dimension folklorique de ce qui était encore vu comme une imitation du volkslied, une adaptation du chant populaire au raffinement des salons, est ainsi engloutie.

♠ C'est donc la même chose pour le piano.
    Le jeu de Leif Ove Andsnes (que j'apprécie pourtant, malgré son caractère toujours un rien « propret ») sonne assez visqueux, toucher rond mais pas du tout de relief ni d'accents… Étonnant, dans la mesure où ses disques avec Bostridge sont très valables – en particulier les accompagnements du premier en 2002, où il joue aussi l'avant-dernière sonate de Schubert –, beaucoup plus subtils en tout cas. Je peine à lui en faire porter la totale responsabilité, dans la mesure où il joue, du fait des transpositions, quasiment en permanence dans la seconde moitié du clavier, au-dessous du do central !  Il aurait, à peu de choses près, pu tout jouer à l'octave supérieure, ça aurait sans doute mieux sonné – mais le décalage du piano cristallin avec la voix crépusculaire aurait été difficilement tenable, je l'admets.
    Honnêtement, dans ces conditions, même s'il ne dispensait clairement pas des merveilles de subtilité, on n'entendait pas grand'chose de toute façon.

♠ À cela s'ajoutait le manque patent de répétitions.
    Difficile de travailler avec un soliste qui n'a pas la possibilité de suivre longuement un chanteur. À plusieurs reprises, on voit Goerne attendre qu'Andsnes débute sa phrase (ce qui n'est pas une posture normale) pour enchaîner, ou à l'inverse le laisse complètement se débrouiller pour essayer de suivre son propre rubato. On sent qu'ils pensent encore à surveiller ce que fait l'autre, et que leur partenariat n'a pas le naturel de ceux qui ont longuement travaillé ensemble. C'est normal, bien sûr – et puis Goerne a surtout chanté avec les meilleurs accompagnateurs, d'une souplesse absolue, comme Eric Schneider ou Helmut Deutsch, qui ne font quasiment que de l'accompagnement (de l'orgue aussi, pour Deutsch, et extraordinairement, mais je crois qu'il ne le pratique plus guère en public depuis un moment).
    Dans l'attitude aussi, Andsnes ménage de petits retards dans ses phrasés qui sont des sortes de réflexes d'habillage pour un soliste, mais qui n'ont pas de lien avec le phrasé choisi par le chanteur juste avant, qui n'ont pas non plus de sens particulier par rapport au texte ou à la situation : il fait son piano comme il en a l'habitude, mais on peine à sentir une interaction forte avec le chanteur ou le texte, comme le font en général les grands accompagnateurs.
    J'ai regretté, je l'avoue, le piano dur et moche de Christoph Eschenbach, toujours à l'écoute de Goerne, et qui répondait très exactement à ses climats. Pas toujours du grand piano, mais le duo fonctionnait parfaitement.


    Je le redis, le concert était très émouvant, il me semble simplement plus intéressant, plutôt que de refaire les éloges que j'ai déjà énoncés de multiples fois, d'explorer les grains de sable qui peuvent, chez d'autres que Goerne, déstabiliser une préparation de qualité.

    Donc, chanteurs, si vous n'êtes pas des génies du lied, ne choisissez pas des transpositions exagérées (un ton et demi est vraiment la limite pour ne pas tout dénaturer, et à réserver aux voix de baryton-basse, ou vraiment fatiguées). Enfin, si vous êtes amateur, vous faites ce que vous voulez, si ça vous permet de le chanter, ne vous gênez surtout pas. Mais quand vous enregistrez des disques, ne vous laissez pas abuser par vos sensations : grave, c'est mal, et ça abîme les partitions – c'est grave.
    Et, honnêtement, cela diminue aussi le plaisir (et la latitude expressive) de vos accompagnateurs.

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Pour prolonger :

► Panégyriques de Matthias Goerne. Le lien est vers l'un des derniers, mais qui renvoie vers les précédents (où il est question, notamment, du piano d'Eschenbach).

► Présentation des cycles schubertiens et du principe d'origine (folklore, etc.), plus détaillé dans ce vieux podcast consacré à la mélodie française.

Discographie exhaustive (en 2014) de Die schöne Müllerin. Faites votre marché ! (et n'hésitez pas à poser des questions si vous êtes curieux, j'ai écouté un certain nombre des bizarres de la liste)

mercredi 30 novembre 2016

Winter is coming : après novembre, décembre


Oui, je suis un garçon cultivé, capable de citer les grands opus de la culture populaire. (Je n'ai d'ailleurs aucune idée de la référence précise à l'intérieur du scénario…)


1. Bilan d'octobre-novembre

J'avais arrêté le dernier bilan, lors de la précédente notule d'annonce, au 20 octobre.

Qu'on ne me dise pas que je n'ai pas été raisonnable : j'ai renoncé à voir le Dichterliebe avec harpe, le partenariat CNSM-Palerme dans Charpentier, des cours public de cor et de direction d'orchestre, le Second Trio de Mendelssohn par mes chouchoutes du Trio Sōra, Leyla McCalla dans son programme violoncellistique haïtien, les extraits d'Ariadne auf Naxos par un des orchestres du CNSM, la Neuvième de Mahler par l'Orchestre de l'Opéra, un bouquet de songs et mélodies par l'excellent ténor Charlesworth (de Lili Boulanger à Lennox Berkeley), une messe inédite d'Henri Frémart, quelques Histoires Sacrées de Bouzignac (atrocement documentées au disque), la reprise de la formidable production de Dido & Æneas venue de Rouen (avec Zaïcik en Didon et Mauillon en Magicienne !), des mélodies françaises accompagnées par Billy Eidi, la Neuvième de Beethoven par le Philharmonique de Strasbourg (et le Chœur de l'Orchestre de Paris), le récital parisien de la folkiste Weyes Blood, la délicate Légende de sainte Cécile de Chausson, le Septuor (pour quatuor et trois voix de femme) de Caplet…
Et je m'apprête à m'éloigner du Fidelio HIP de Boyd, des extraordinaires variations sur El Pueblo unido de Frederic Rzewski (sans doute le cycle de variations le plus divers, accessible et complet qui soit !), des intermèdes de LULLY & Charpentier par Correas (avec Lombard & Dumora !), du Requiem de Pizzetti et d'un récital d'histoire du lied par L'Oiseleur des Longchamps.

Car, croyez-le ou non, les spectacles ne sont pas la principale occupation des Lutins de céans, il y en a deux ou trois autres avant – et je ne mentionne même les contraintes additionnelles en raison de vilains déserteurs venus prêter main-forte à Qaanaaq pendant la haute saison.

J'ai tout de même un peu occupé mon temps de façon avisée. Près d'une quinzaine de soirées depuis le dernier bilan. Il y a un peu de tout.

♥ Des inédits absolus :
♥♥ notamment des mélodies de Roland-Manuel (ami et biographe de Ravel, collaborateur de R. Strauss et Stravinski…) et Henriette Puig-Roget (organiste et accompagnatrice emblématique de l'ère Cluytens, pour faire simple), très belles, où l'on pouvait entendre de formidables jeunes chanteurs ; Cécile Madelin, plusieurs fois distinguées dans ces pages, dans le baroque français ou de le lied ; Edwin Fardini, un baryton-basse au rayonneent extraordinaire ; Brenda Poupard, un mezzo tout rond et délicat, d'un équilibre parfait ;
♥♥ ou bien la Messe d'Innocent Boutry (1661), uniquement donnée par Doulce Mémoire il y a vingt ans, jamais gravée, qui me donnera l'occasion de parler de l'esthétique de la messe musicale en province, au XVIIe siècle (notule minutieusement préparée…), mais aussi du nouvel ensemble spécialiste Le Vaisseau d'or, qui a en six mois d'existence acquis la maturité des plus grands [notule plus vaste en préparation] ;
♥♥ les sonates pour « piano et violon » d'Hérold et Godard, que je n'ai jamais vu passer au disque (ce doit probablement exister, vu la quantité de petits qui documentent la musique de chambre de tous les compositeurs un minimum célèbres) et qui ne sont en tout cas jamais données en concert. Couplées avec le passionnant et saisissant duo d'Alkan, et joués sur instruments d'époque (pianoforte, piano Érard, violons historiques montés en boyaux, diapasons spécifiques), à l'occasion de la soutenance de la thèse de Cécile Kubik sur l'inclusion des pratiques historiques du violon français dans les interprétations d'aujourd'hui. [notule]


♣ D'autres bizarreries :
♣♣ Le Faune, Jeux et le Sacre du Printemps sur des instruments de facture française du début du XXe siècle, par Les Siècles, avec restitution et/ou inspiration chorégraphique de Nijinsky. Les chorégraphies inspirées ne sont pas très passionnantes (et l'originale plus intéressante que convaincante), mais l'équilibre spécifique des nouveaux, qu'on pourrait croire dérisoire, est réel – il révèle surtout, à cette époque, les progrès de facture (et apporte un surcroît de difficulté d'exécution à des œuvres déjà très exigeantes), mais ça renouvelle l'écoute, d'autant que Roth est un très grand chef capable d'en tirer parti.
♣♣ Lü Bu et Diao Chan, wuju (opéra de l'Ouest de la province du Zhejiang) par l'ensemble officiel chargé de la conservation de ce patrimoine. De l'opéra traditionnel chinois, très proche du kunqu (même instrumentarium, même construction avec dialogues chantants et numéros souples, même harmonie sans modulations, mêmes rythmes standardisés mais insaisissables, mêmes effets dramatiques – percussions de tension, chœur narratif en coulisse…). Simplement un peu plus de suona (hautbois chinois, celui avec le pavillon en métal). L'intrigue de cet opéra-ci est tiré de la matière historico-légendaire qui servit à l'établissement du roman Les Trois Royaumes. Pour les détails sur le genre (plutôt centré sur le kunqu), il existe une section spécifique dans CSS.


♪ De jeunes interprètes, futurs très grands de demain :
♫ Concert de l'ECMA, avec notamment le Trio avec piano Sōra et le Quatuor Bergen. [notule]
♫ Concert de l'ECMA, avec notamment le Trio avec piano Zadig et le Quatuor Akilone. [notule]
♫ Concerts au CNSM déjà mentionnés, avec Cécile Madelin, Edwin Fardini et Brenda Poupard.
♫ Clémence Barrabé enfin entendue en salle lors de l'anniversaire de l'ADAMI. (Petite déception en l'occurrence, la voix ne rayonne pas/plus comme je l'avais espéré, l'émission semble moins haute et claire, plus fondue. Mais elle conserve ses extraordinaires [r] uvulaires bien sûr.)
♫ Les Kapsber'girls, quatre à peine vingtenaires qui renouvellent, vraiment, l'approche des premiers airs de cour baroques italiens. Dans un programme autour des villanelles les plus facétieuses de Kapsberger et des saynètes de Merula et Strozzi, elles réactivent le texte (qu'elles racontent et communiquent, vraiment, rien à voir avec les plaintes standardisées qu'on se représente comme l'usage) et redonnent toute sa place aux effets de la rhétorique musicale (parodie de stile concitato chez Strozzi, servi par des passages en voix de poitrine ; mélismes qui ne sont pas décoratifs mais prolongent l'émotion, comme ces [i] guillerets d'ingioisce – « se réjouit », etc.).


† Du théâtre exotique :
†† Père (en réalité, ça se traduirait plutôt Le Père) de Strindberg à la Comédie-Française, mise en scène Depleschin. Très bien, surtout pour du Strindberg : thématique assez ibsenienne de dévoilement, le coup de théâtre et l'évolution psychologique en moins. Ça souffre de la comparaison, certes, mais c'est joliment fait (quoique d'une misogynie, ou plutôt d'une gynophobie assez délirante – une femme peut tenir l'Univers enserré dans ses projets innocemment maléfiques). Je l'ai fait malgré moi, voyez-vous. / C'est quelque chose qui est plus fort que moi. Ce genre de chose. En termes de réalisation, le bruit blanc de cordes frottées, suspendues à la même hauteur pendant 1h30, pour insuffler de la tension, est franchement très pénible dès qu'on se trouve sur les côtés, c'est-à-dire proche de la source d'amplification. Sérieusement, vous n'êtes pas capables de tenir une salle sans ce genre d'expédient ?  Sinon, c'était très honnêtement joué, pas forcément varié (entre Kessler et Vuillermoz, forcément…), mais tout à fait opérant.
†† Gens de Séoul 1909 de HIRATA Oriza, observation d'une famille de colons japonais. Complètement magnétique pour moi, mais il faut aimer la conversation gratuite. [notule]
†† Gens de Séoul 1919 de HIRATA Oriza. La même chose à dix ans d'écart (avec le début de l'indépendance coréenne), avec des chants en sus ! [compléments de Chris, d'autres à venir par DLM]


♠ Et, parce que je ne suis qu'humain, un peu de glotte et autres sinistres banalités :
♠♠ Sibelius 2 et Tchaïkovski 6 par le Philharmonique de Radio-France et Mikko Franck. Très bien. Sibelius joué très lyrique et discontinu, Tchaïkovski d'une emphase sans ironie. [notules : Tchaïkovski 6, Sibelius 2, interprétation]
Les Contes d'Hoffmann dans une édition prétendument Choudens et largement rectifiée par les découvertes (qui ont déjà 40 ans) de Fritz Oeser. Dans la plastique, originale, cohérente, saisissante et spectaculaire mise en scène Carsen, archi-rebattue, mais qui gagne vraiment, comme sa Rusalka, à être vue en salle. Avec Koutcher, Jaho, Aldrich, d'Oustrac, Vargas, R. Tagliavini, Lovighi, Briand, Lis… [deux notules : édition utilisée, interprètes]
Le Requiem de Verdi par Rhorer, avec un plateau enivrant : Vanina Santoni, Alisa Kolosova, Jean-François Borras, Ildebrando D'Arcangelo. Collaboration encore en rodage avec l'ONF (quantité de décalages, pas toujours bien gérés par le chef), qui m'a donné la matière pour beaucoup d'extraits sonores dans de futures notules – ce que c'est que d'accompagner un chanteur, la suite de la couverture vocale, le rapport timbre/projection, etc. Très belle soirée d'ailleurs, j'étais enchanté de réentendre l'œuvre, et aussi bien chantée.
Soirée anniversaire de l'ADAMI (organisme de récolte des droits et promotion de jeunes artistes – bon sang, et ils dépensent l'argent de leurs cotisants en réunissants leurs anciens chouchous ?!). Programme assez original d'ailleurs pour ce type de pot-pourri, où j'ai le plaisir d'entendre pour la première fois en vrai Clémence Barrabé, de découvrir l'ampleur de Marc Scoffoni, de réentendre Mathieu Lécroart et quantité d'autres excellents chanteurs ou instrumentistes. Seul le chef, Brian Schembri, était véritablement redoutable – je croyais que c'était un chef dilettante choisi parmi les cadres musiciens de l'ADAMI, mais non, il est le principal chef du principal orchestre maltais, d'après sa biographie. Donc tant pis, pas de pitié, il y en a d'autres qui attendent la place. Ne pas arriver à suivre les chanteurs (pourtant disciplinés) dans de l'opéra XIXe est une chose, mais transformer des Verdi de maturité en fanfare aussi bruyante et vulgaire, c'est assez impressionnant… Sans chef, l'ONF aurait clairement fait mieux.


Pour finir novembre, il me reste encore un programme d'airs de Kapsberger, Strozzi & Friends par les Kapsber'girls (avec gambe et guitare baroque, miam), ainsi que l'Iphigénie de Goethe.

Je ne peux par ailleurs aller voir Metropolis accompagné par l'improvisation d'Escaich, lundi. Si cela intéresse quelqu'un, le concert étant (pour une fois) complet : voici. [passé et vendu]

Bien, à présent que j'ai montré à quel point mes conseils sont géniaux (car c'était un peu mon agenda caché en vous détaillant ma vie ci-dessus), passons à ce qui vous sera peut-être utile : les repérages de décembre !



putto triomphe des arts poussin concert amours
Nicolas POUSSIN, Le Triomphe des Arts ou la remise des Putti d'incarnat
(Musée du Louvre.)



2. Il arrive le petit Décembre, il arrive !

Les petites gourmandises ne cessent pas tout à fait avec décembre. Voici une courte sélection de quelques pépites qui vous ont peut-être échappé.

► Œuvres rares, programmes originaux.
■ L'opéra chinois Le Roi Singe passe à Argenteuil (1er décembre).
Motets du milieu du XVIIe : Bertali et Froberger, véritables raretés, salle Turenne, ancien réfectoire des Invalides. Le 12.
Sonata da camera de Steffani (dommage, j'aurais tout lâché pour les airs chambristes !), cantate profane de Domenico Scarlatti. J.-Ch. Frisch et son ensemble XVIII-21, avec l'excellente Cyrille Gerstenhaber en soprano.
Histoires sacrées de Charpentier par l'ensemble Correspondances (avec Weynants, Richardot, Fa et une petite mise en scène de Huguet), Chapelle Royale de Versailles, le 14.
■ Programme de musique baroque sacrée latino-américaine de la Capella Mediterranea à la Chapelle Royale de Versailles, le 18.
■ Oratorio de Porpora à la Chapelle Royale de Versailles le 3. Beurk, mais il y aura Negri, Staskiewicz, Galou et l'excellent ensemble Les Accents, ce peut permettre de survivre.
■ Un opéra léger de Haydn, La Canterina, par les élèves du CNSM dirigés par Sigiswald Kuijken, avec une mise en scène. Les 9 et 10, également retransmis sur le site du conservatoire.
■ Oratorios de Mendelssohn (Élie) et Schumann (Le Paradis et la Péri) à la Philharmonie, on les entend peu en France. Le premier est peut-être bien le sommet du genre, et une des cîmes de Mendelssohn… Le second est un peu plus dans le reistre d'un Schumann opaque et poli, mais il contient de très belles choses (malgré un livret assez plat, prévisibilité du niveau des Trois petits cochons).
■ Mélodies de Gounod, Thomas et Bizet, airs de Paladilhe et David (et puis Rossini et Offenbach) par Chiara Skerath, le mardi 6 midi au Musée d'Orsay.
■ À l'exception d'une bizarre retransmission en décors (et chanteurs) naturels de France 3 il y a longtemps, la résurrection de L'Île du Rêve de Reynaldo Hahn, premier opéra du compositeur. Pas un chef d'œuvre, mais une très jolie chose, à redécouvrir à l'Athénée dans une très belle distribution francophone du 7 au 11.         
L'Oiseleur des Longchamps propose un programme « algérien » de mélodies orientalisantes (avec des raretés absolues, parmi lesquelles du Dubois ou du Roland-Manuel), le 14, dans le théâtre byzantin de l'Hôtel de Béhague.
■ Le saisissant Stabat Mater de Szymanowski, l'une de ses œuvres les plus accessibles et les plus intenses, à la cathédrale des Invalides, le 11. Quelle saison, décidément !
■ Suite des Comédiens de Kabalevski, Quatrième Symphonie de Nielsen par le Philharmonique de Radio-France (avec Vänskä, qui joue bien mieux cette musique que Sibelius !) le 2.
Naujalis, Čiurlionis, Eben, Mosolov à la cathédrale des Invalides, le 8. C'est un peu cher et l'acoustique n'est pas bonne hors des premiers rangs, mais le programme est sacrément intriguant.
■ L'ONDIF joue Chávez, Romero et Villa-Lobos à la Cité de la Musique le 13. Pas forcément de la grande musique, mais joué avec enthousiasme comme ce sera vraisemblablement le cas, ce peut être très chouette, parfait pour emmener un novice.
■ La transversale relativement banale Schumann / Kurtág dans la grande salle de répétition de la Philharmonie, le 16. Cette fois non avec les trios, mais avec les Microludes (son quatuor n°2, étrangement le plus joué – je trouve Officium breve, beaucoup plus rare, encore meilleur) et le Troisième Quatuor de Schumann, pour pas cher.
El Niño d'Adams, l'une de ses plus belles œuvres (quoique inégale), Nativité composite qui n'avait pas été rejouée en France, me semble-t-il, depuis sa création. Le 11 à la Philharmonie, avec le LSO de surcroît.
■ Deux concerts (gratuits) de musique contemporaine au CNSM, avec du Jarrell (Music for a While le 14 et autre couplage avec Dérive 1 et Leroux le 15). Par l'Ensemble ACJW.

► Interprètes et ensembles parrainés.
■ Pendant toute la première moitié de décembre, du jeudi au samedi, le Quatuor Hanson joue le Septième Quatuor de Beethoven à la salle Cortot (15€, à 20h).
■ Le Quatuor Arod joue à Tremblay-en-France les Quatuors n°13 de Schubert et n°15 de Beethoven (2 décembre, 19h).
Marie Perbost en récital à la BPI le 9 décembre (programme assez banal que vous pouvez retrouver dans l'agenda du CNSM). Moins facile d'accès, elle chantera aussi le 15 au Petit-Palais, à 12h30.
■ L'excellent orchestre amateur (dont on ne peut pas vraiment entendre qu'il l'est…) Ut Cinquième donne, les 1, 3 et 4 décembre, la Septième Symphonie de Bruckner.
Blandine Staskiewicz chante des cantates italiennes de Haendel le 7 avec l'ensemble Pulcinella, salle Cortot.
■ Elle n'en a pas besoin, et je crois que tout glottophile digne de ce nom l'aura remarqué : Karita Mattila chante un bouquet de lieder amples au Châtelet (si le programme n'a pas été modifié depuis l'annonce de saison). Wagner, Brahms, R. Strauss et Berg, le 12.

► Cours publics.
CNSM : Joaquín Achúcarro (piano) en journée du 5 au 7, de même pour Barthold Kuijken le 15, Quatuor Ébène de 10h à 19h les 13 et 14, et cours de chant le soir avec Valérie Guillorit.
■ Conservatoire de Rueil-Malmaison : déclamation XVIIe siècle, en journée, les 1er et 12 décembre.
Rencontre entre Gérard Condé, Claude Abromont et François-Xavier Roth à propos de la Symphonie Fantastique de Berlioz, à la médiathèque Berlioz du CNSM, le 14 à 18h.

► Autres concerts gratuits.
■ L'Orchestre des Lauréats du CNSM (l'orchestre des déjà-diplômés/insérés, de niveau complètement professionnel) joue la Symphonie en ut de Bizet, la Sinfonietta de Britten, la Suite pour cordes de Janáček, dirigé par Jonathan Darlington !

► Concerts participatifs.
■ Le 4, bal accompagné par l'Orchestre de Chambre de Paris au Centquatre (donc je suppose plutôt informel, pas trop de panique d'avoir revendu tous mes evening jackets et queues-de-pie).
■ Le 16, concert de l'Orchestre de Chambre de Paris où le public est invité à chanter pour les lullabies et  carols qui complètent le programme. À la Philharmonie. Je crois qu'il y a des séances de préparation, mais ce doit être sold out depuis longtemps, il vous faudra donc y aller au talent.

► Théâtre.
■ Adaptation de Faust de Goethe au Ranelagh, pendant la seconde moitié du mois.
■ Adaptation de Faulkner à Herblay, le 11.

Et plein d'autres choses à n'en pas douter. Si vous êtes curieux de ma sélection personnelle, elle apparaît en couleur dans le planning en fin de notule.



putto dégarni écrivant vouet polymnie
Simon VOUET,  Putto de CSS s'usant les yeux à la confection de l'agenda officiel
(Musée du Louvre.)



3. Expositions

Voici le fruit de mon relevé personnel, pas très original (je ne suis qu'un petit garçon pour les expositions, et il me reste tant de lieux permanents à découvrir), mais s'il vous inspire jamais…

→ Louvre – Bouchardon – 05/12
→ Chantilly – Grand Condé – 02/01
→ Cartier – Orchestre des Animaux – 08/01
→ Custodia – Fragonard-David – 08/01
→ École des Beaux-Arts – Pompéi – 13/01
→ Orsay – Napoléon III – 15/01
→ Petit-Palais – Wilde – 15/01
→ Petit-Palais – La Paix – 15/01
→ Louvre – Le Tessin – 16/01
→ Guimet – Jade – 16/01
→ Rodin – L'Enfer – 22/01
→ Jacquemart-André – Rembrandt – 23/01
→ Fontainebleau – Chambre de Napoléon – 23/01
→ Delacroix – Sand – 23/01
→ Judaïsme – Schönberg – 29/01
→ Invalides – Guerres secrètes – 29/01
→ Orangerie – Peinture américaine – 30/01
→ Luxembourg – Fantin-Latour  – 12/02
→ Galliera – Collections – 17/02
→ Arts Déco – Bauhaus – 26/02
→ Dapper – Afrique – 17/06
→ Histoire Naturelle – Ours – 19/06
→ Histoire Naturelle – Trésors de la terre – jusqu'en 2018…


Ce mois-ci fut très peu aventureux de mon côté :

Bouchardon au Louvre, surtout des dessins préparatoires assez littéraux et quelques bustes qui ne valent pas mieux (muséographie indigente, au passage) ;
♦ la pompe Second Empire à Orsay, d'un goût… Napoléon III, mais la diversité du supports et quelques putti malfaisants méritent le détour ;
♦ collection Le Tessin au Louvre ; quantité de petits bijoux, crayonnés ou peints, figurant un badinage diversement innocent, absolument délicieux pour les amateurs de XVIIIe siècle ;
♦  mini-expos Puig-Roget et Roland-Manuel dans le hall des salles publiques du CNSM. Avec manuscrit de la première biographie de Ravel et carte postale rédigée par celui-ci, pour les plus fétichistes ;
♦ la seconde MacParis de l'année. Trouvé quelques photographes séduisants, mais l'impression de voir toutes les tendances depuis le début du XXe siècle : sous-Malévitch (oui, il y a des losanges blancs sur fond blanc à vendre…), sous-Basquiat, sous-art marxisto-dépressif engagé (tout en insultant le spectateur), poupées malsaines façon sous-Bourgeois, sous-Cartier-Bresson, photographies de ruines en pagaille (j'adore ça, mais on n'est pas exactement à l'avant-garde…), travailleurs de la matière brute, fausses perspectives, dessins avec jeux de mots… tout l'univers de l'art contemporain y passe (à l'exception notable des plasticiens-conceptuels, ce qui n'est pas précisément un mal). Le concept est néanmoins très sympathique : les artistes sont présents et ouverts à la discussion, très simplement, l'entrée est gratuite sur réservation, et on y propose aux visiteurs des crackers et du rouge bas de gamme, rien à voir avec les grandes cérémonies qui coûtent un bras (où les artistes exposés sont davantage dans les esthétiques à la mode et pas forcément meilleurs).



putto sous jupons tiepolo apollon et daphné
Giovanni Battista TIEPOLO,  Merveilles vues dans l'agenda de CSS
(Musée du Louvre.)



4. Programme synoptique téléchargeable

Comme les dernières fois :
Les codes couleurs ne vous concernent pas davantage que d'ordinaire, j'ai simplement autre chose à faire que de les retirer de mon relevé personnel, en plus des entrées sur mes réunions professionnelles ou mes complots personnels. Néanmoins, pour plus de clarté :
◊ violet : prévu d'y aller
◊ bleu : souhaite y aller
◊ vert : incertain
◊ **** : place déjà achetée
◊ § : intéressé, mais n'irai probablement pas
◊ ¤ : n'irai pas, noté à titre de documentation
◊ (( : début de série
◊ )) : fin de série
◊ jaune : événement particulier
◊ rouge : à vendre / acheter

novembre 2016

Les bons soirs, vous pourrez toujours apercevoir mon profil imposant surplomber la plèbe rampante dans les escaliers clairsemés.

Cliquez sur l'image pour faire apparaître le calendrier (téléchargeable, d'ailleurs, il suffit d'enregistrer la page html) dans une nouvelle fenêtre, avec tous les détails.

Toutes les illustrations picturales de cette notule sont tirées de photographies du Fonds Řaděná pour l'Art Puttien, disponibles sous Licence Creative Commons CC BY 3.0 FR.


Non, décidément, avec le planning (et les putti) de CSS, décembre est le mois le plus lumineux de l'année !

dimanche 20 novembre 2016

Lire exotique


Un peu occupé ces jours-ci (à être malade, notamment), je garde sous le coude quelques notules prêtes en cas d'urgence. Notamment cette petite liste de conseils donnée en commentaires il y a quelque temps. Absolument pas hiérarchique, complète ou organisée, simplement quelques belles rencontres qui furent à mon goût et pourraient piquer la curiosité de lecteurs qui voudraient fouiner dans d'autres patrimoines.

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« Quelques suggestions semi-exotiques au semi-débotté (en définissant non-français comme exotique) :

Italiens :
¶ Camillo Boito, les nouvelles sont très chouettes. Peu sont traduites en français, mais l'écart entre les langues étant ce qu'il est, toutes les traductions fonctionnent bien. Le petit recueil de quatre nouvelles avec Le Collier de Budda est ce qu'on trouve de plus complet (et il faut bien sûr lire Senso, très différent du film, j'aime bien la traduction de Jacques Parsi qui se trouve isolément). Moins séduit par les autres membres de la scapigliatura, comme Tarchetti.
¶ À côté des trois grands auteurs épiques, j'aime beaucoup l'Orlando anonyme, d'abord plus plaisant que l'Arioste.

Hispanohablantes :
Borges bien sûr. On en recommande beaucoup de différents, mais je trouve que tous les volumes sont assez fades en comparaison du suffocant Aleph, où le goût de la surprise et du paradoxe ne sont pas outrepassés par l'édition ou limités par la langue (ce qui est davantage le cas des autres recueils célèbres). La traduction de Caillois, qui se trouve couramment, ne fait pas perdre une miette de la beauté de l'original (et la distance entre les deux langues étant plus que minime, on goûte vraiment directement la saveur d'origine…).

Anglophones :
Il y a bien sûr des tas de classiques, mais parmi les choses qui sont des standards là-bas et dont on parle peu ici (ou bien des choses passées de mode) :
Pope, The Rape of the Lock, un conte en vers assez étonnant. (Ça a dû être traduit, mais je ne suis pas sûr de ce que ça donne )
Radcliffe, The Mysteries of Udolpho (surtout célèbre par sa citation Northanger Abbey, l'Austen le plus sympa à lire d'ailleurs), une langue très riche, qu'on n'attendrait pas pour l'un des modèles du roman sentimental. Atmosphère plutôt gothique que galante, de toute façon.
Stoker, L'Enterrement des rats. Stoker a fait quantité des nouvelles, dont la plupart sont assez banales, mais celle-ci (très courte), contient la plus extraordinaire course-poursuite que j'aie jamais lue (ou vue, d'ailleurs). Ça se trouve même en ligne dans une traduction libre de droits très valable.
¶ Époux Goetz, adaptation de Washington Square de James, bien plus subtil et équivoque que l'original. C'est la base des dialogues du film de Wyler, et c'est encore donné par de petites compagnies dans les pays anglophones. Louis Ducreux l'avait traduite et adaptée en français, mais je ne suis pas certain que ça se trouve.
Hilton, Random Harvest. Un grand best-seller du temps, où en 1941, Hilton évoque (dans un dispositif narratif assez sophistiqué de récits d'entretiens tronqués) la reconstruction d'un homme d'affaires shell-shocked, avec quelques coups de théâtre. Ce n'est pas le livre du siècle, mais je trouve fascinant de se rendre compte de ce qu'on pouvait lire couramment alors : vocabulaire riche, phrases relativement longues, construction non linéaire, et puis ça parlait des conséquences de la guerre de 14 pendant la guerre de 40, qui voudrait lire ça (ou démodé, ou un surcroît de terreur) !  Ça a dû être traduit, mais sûrement pas réédité, je ne peux pas dire si ça se trouve.
[¶ Au passage, pour Shakespeare, j'aime beaucoup ce que fait Markowicz, recréant une ivresse du vers, même si elle est nécessairement différente ; on y retrouve cette moitié du plaisir qui disparaît quand il ne reste plus que les intrigues dans une langue plate (Hugo junior est épouvantable, Bonnefoy supportable, mais qu'on est loin du plaisir pentamétrique !). Ça change vraiment les choses.]

En allemand, je lis surtout la poésie et le théâtre, donc je ne peux pas trop dire – à part mon goût immodéré pour Hölderlin et Eichendorff, certains Heine, et bien sûr le choc de la Fiancée de Messine de Schiller, qu'il faut essayer (même les raides traductions libres de droits y font leur grand effet). J'aime assez Weib und Welt de Dehmel, également, mais rien de très exotique dans tout ça.

Scandinaves :
Le fondement est l'Histoire des rois de Norvège de Sturluson, mais il est probablement plus amusant de lire ses adaptations théâtrales : Hakon Jarl le Puissant d'Oehlenschläger (pas dans le commerce en français, mais la traduction de Marmier se trouve sur Gallica me semble-t-il, très sympa à lire sur liseuse ou tablette, avec le côté fac simile) ou son décalque (mâtiné de Macbeth) Les Prétendants à la couronne – la pièce d'Ibsen la plus adaptée à la lecture. Dans le second, les dévoilements vertigineux caractéristiques de toute la carrière de l'auteur se mêlent à une veine comique assez inattendue, et étroitement mêlée au contenu principal de l'action (ce n'est pas comme les personnages « de caractère » ou la parenthèse comique de Ruy Blas). Les autres Ibsen méritent plutôt la découverte en scène (Rosmersholm restant le sommet de sa production de maturité – mais peut-être Brand passe-t-il mieux à la lecture).
Et puis, pour toute sa postérité, Jeppe du Mont de Holberg, figure de l'illusion fréquemment réutilisée depuis (Si j'étais roi d'Adam…).

Ouraliens :
¶ Bien sûr le Kalevala de Lönnrot, reconstitution XIXe très lisible des mythes finlandais (des longueurs, mais aussi une qualité poétique supérieure aux épopées plus archaïques).
Heltai, auteur de contes très réussis (Le Gentilhomme et le diable), dont certains se trouvent en français.
Bornemisza et Szkhárosi Horvát, des prêcheurs énervés de la Hongrie du XVIe siècle : ces responsables religieux s'élevaient contre les abus des puissants, avec une véhémence qu'on imagine mal. Le premier fut mis en musique par Kurtág dans une de ses œuvres célèbres (il a aussi écrit des poèmes plus évocateurs, comme la Belle Buda) ; on doit au second un ébouriffant Réquisitoire aux Princes : « Vous vivez en mortel péché, Ducs et Princes puissants, / On vous nomme barons-voleurs, pillards avides, / Les plaintes du pays, criant "assassins !" vont retentissant. / Prompts à la malice, à l'abus, emplis de désirs putrides, / Vous prétendez posséder le pays ; / Personne qui ne soit serf à votre service / – Vous affamez couvents et abbayes ; / Personne qui ne soit au-dessus de vos vices. »  Se trouve assez facilement en anglais, pas sûr que ça existe en français.
¶ Parmi les épopées hongroises, genre en vogue au XIXe siècle, il faut bien sûr essayer La mort de Buda d'Arany, qui relate la prise du pouvoir (presque malgré lui) par Attila, sur le fondement d'un fratricide. Ne se trouve qu'en anglais (mais j'en avais bricolé une adaptation française pour un spectacle musical, je peux transmettre sur demande).
¶ Les enfants du grand traumatisme du XXe siècle. Pour Pilinszky, plus rien ne semble avoir de sens, comme en témoignent ses poèmes désabusés, qui évoquent avec une étrange distance les souvenirs des années quarante ou simplement la vie. Assez touchant, paradoxalement. (Le théâtre est plus étrange, sorte de Beckett actif.) Du côté du roman, il y a bien sûr le prix nobel Kertész ; le Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, l'un des fondements de sa célébrité, est l'équivalent post-Shoah des Carnets du sous-sol, un ressassement terrible qui tournoie avec une misanthropie moins offensive que défensive ; j'ai une tendresse plus particulière pour Le Refus, qui emprunte au style du grand roman du XIXe siècle son souci du détail, ses phrases longues, son besoin irrépressible de précision, de correction – une sorte de Balzac hors de contrôle, qui se mettrait à détailler le contenu des armoires et l'emplacement des boîtes à cigare. Dans la traduction des Zaremba, la beauté de la langue, le rythme ample et précis sont remarquables – l'une des plus belles choses qui m'aient été données de lire en français.
Karinthy fils, Épépé. Dans une veine parfaitement kafkaïenne (mais sans la froideur de l'inachèvement et des traductions françaises habituelles), les aventures impossibles d'un linguiste atterrissant dans un lieu où la langue est parfaitement inconnue : l'absence complète de communication et la descente aux enfers qui s'ensuit. Seule la fin (mais comment finir une telle histoire) m'a déçu.

Serbes :
C'est Ivo Andrić, l'ancêtre et le Nobel, qui dispose de la plus grande réputation, mais je n'ai jamais trouvé ça très marquant personnellement – du récit comme il y en a tant d'autres. En revanche, chez la plus jeune garde, on trouve des choses remarquables.
La mort de Monsieur Goluja de Š€čepanović, recueil de nouvelles astucieuses et très touchantes, me concernant. Les dispositifs ne sont pas trop complexes, plutôt évocateurs et aux confins de la poésie. Il existe aussi un court roman, Usta puna zemlje, une course-poursuite dépourvue de sens, avec une double entrée narrative, qui est intéressant mais qui a beaucoup moins de force que les mêmes procédés dans ses œuvres plus courtes. Tout ça chez L'Âge d'Homme, une fois encore ; je ne puis jurer de la disponibilité.
¶ C'est la même chose pour Albahari, assez conventionnel dans les romans. Mais dans certaines nouvelles (la Tentative de description du décès de Ruben Rubenović, négociant en étoffes), la dimension métanarrative est poussée à son paroxysme de façon très ludique (les personnages sortent de l'histoire pour s'adresser au lecteur indiscret), sorte d'équivalent à Tristram Shandy, mais en court et drôle.
¶ Il existe un excellent recueil chez Gaïa consacré aux récits courts de langue serbe, et dans lesquels on trouve de très belles choses drôles (Desnica), astucieuses (Pekić à propos de la révolution française, Isaković, Tišma, Savić), et même une des nouvelles de Monsieur Goluja.

Polonais :
Pan Tadeusz de Mickiewicz, la grande épopée facétieuse polonaise, à lire dans la merveilleuse version (exacte et) versifiée de Roger Legras.

En russe, je n'ai pas assez exploré, vu la richesse du fonds, pour proposer des découvertes interlopes. En revanche, pour Onéguine, une bonne traduction, musicale et badine, est indispensable, sans quoi on passe totalement à côté. Il faut donc éviter Tourguéniev-Viardot, Béesau et Backès, et se tourner vers Markowicz (qui le conçoit comme une lecture à voix haute) ou Legras (plus adapté à la lecture silencieuse), deux monuments de langue française en plus d'être fidèles à l'esprit et à l'essentiel de la lettre. J'ai un faible pour Legras, mais ce sont deux grandes versions. Weinstein est moins amusant, mais se lit bien aussi, très fluide. En anglais, où la transposition du vers est plus naturelle, l'historique Spalding et le piquant Beck fonctionnent très bien. J'en avais touché un mot plus en détail dans une notule spéciale.
Pareil pour les Tolstoï, il est très important de ne pas perdre l'humour de Guerre & Paix ou le galbe de Karénine ; dans les deux cas, Mongault s'impose. Et bien sûr, pour Dostroïevski, la réputation des traductions Markowicz, poisseuses et bancales comme les originaux, n'est plus à faire.

Chez les persans, les poètes comme tout le monde, Khayyām, Rūmī et Hâfez essentiellement, plus Chabestari, mais même avec le bilingue, difficile de ne pas sentir l'écart de la traduction, l'aspect un peu désarticulé du résultat (ça reste néanmoins joli et/ou bien vu).
Et en arabe, très séduit par les originalités de Nuwâs, dont l'intérêt survit étrangement (et seulement partiellement, je suppose) à la traduction.

Après ça, reste le très-exotique, dont la traduction peut difficilement rendre compte. On trouve tout de même des choses intéressantes dans le théâtre chinois : il y en a beaucoup en anglais, et il existe en français une trilogie édifiante bouddhique (Le Signe de Patience), où l'on retrouve des structures semblables au théâtre européen, et une représentation du monde assez instructive sur les corollaires de la doctrine bouddhique. J'ai dû en parler à un moment de ma série sur le Kunqu (les pièces étant forcément chantées).
De l'autre côté de l'eau, Les Dits du Ganji passent très bien en français. Ou les épures classiques de Saikaku comme les Cinq amies de l'amour, mais j'y trouve en l'occurrence plus d'intérêt comme documentation historique sur les mentalités à l'ère d'Edo et les conséquences d'un système totalitaire d'un genre particulièrement dystopique que sur la langue elle-même. »

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Sentez-vous très libres de l'enrichir, la commenter – ou la contester, même si cela exposera inévitablement votre sinistre manque de goût. Bons voyages !

dimanche 4 septembre 2016

Saison 2015-2016 : bilan statistique et subjectif… et putti d'incarnat


Vous l'attendiez, vous n'en pouviez plus. Le voilà.

Juillet a été riche, août fut mort ; il est temps de proposer un petit bilan autour des choses vues.
D'abord, un retour sur les saisons précédentes.


Cette saison, en plus des statistiques, une grande remise de putti d'incarnat. les putti d'incarnat

Comme c'est devenu la tradition, le putto d'incarnat récompense une réalisation exceptionnelle dans le domaine des arts. Seule la rédaction de Carnets sur sol, réunie en collège extraordinaire, est habilitée à le décerner, ce qui garantit son attribution, complètement indépendante, aux meilleurs artistes de notre temps.

Hautement respecté, il se matérialise par un putto de van Dyck (ou Lagrenée, selon les années), remis directement au lauréat sous forme d'un carré de pixels.

C'est aussi et surtout l'occasion de mettre en valeur certains concerts ou certains interprètes qui sont restés un peu négligés par la presse ou l'exposition publique – mais ce paramètre n'entre pas en considération dans l'attribution des récompenses.

(Le jury tient à souligner que ne sont nommés qu'un petit nombre parmi  les plus marquants, les autres étant loin de faire figure tocards pour autant…)




1. Liste des spectacles vus

Concerts, opéras, théâtre… En voici la liste, dans l'ordre de la saison. Beaucoup ont été commentés, et quelques-uns ont servi de présentation à une œuvre, un genre, une problématique transversale… les liens sont indiqués entre crochets et s'ouvrent dans une nouvelle fenêtre.

Hors décompte : août 2015. N'ayant jusqu'ici jamais fait de concert en août, je ne les décompte pas dans la saison pour ne pas fausser les statistiques.

a) Parc Floral – polyphonies et chansons – Voces8 [notule]
b) Parc Floral – Brahms, Premier Trio avec piano – Fouchenneret, Julien-Laferrière, H. Cartier-Bresson [notule]
c) Parc Floral – Gossec, Symphonie – Orchestre de Chambre Pelléas [notule]
d) Parc Floral – Beethoven, Concertos pour piano 3 & 5 – Orchestre de Chambre de Paris, F.-F. Guy

Puis, de septembre à début juillet :

1. Philharmonie (PP) – Sibelius, Symphonie n°5 – Orchestre de Paris, Paavo Järvi [notule]
2. Théâtre des Champs-Élysées (TCE) – Weber, Der Freischütz – Gens, Schukoff, Speer, NDR Hambourg, Hengelbrock
3. Maison de la Radio (MR) – Dutilleux, The Shadows of Time / Poulenc, Litanies – Maîtrise de RF, Philharmonique de RF, Mikko Franck
4. Studio 105 – Waed Bouhassoun dans ses propres compositions
5. 38 Riv' – Santiago de Murcia pour harpe et guitare
6. Cité de la Musique (CiMu) – Meisel, Berlin, Die Sinfonie der Großstadt en réduction – Philharmonique de Strasbourg, Strobel [notule]
7. TCE – R. Strauss, Ariadne auf Naxos – Amber Wagner, Kaufmann, Opéra d'État de Bavière, K. Petrenko [notule]
8. Gaveau – Monteverdi, L'Orfeo – van Elsacker, Lefilliâtre, van Achten, La Fenice, Tubéry [notule]
9. PP – Stravinski et Bartók, L'Oiseau de feu et Le Mandarin merveilleux complets – London Symphony, Gergiev [notule]
10. 38 Riv' – Visée et Dollé pour théorbe et gambe – Thibaut Roussel, Robin Pharo [notule]
11. PP – Mahler, Symphonie n°3 – Jennifer Johnson, Orchestre de Cleveland, Welser-Möst [notule]
12. Ménilmontant – Ibsen, John Gabriel Borkman – Compagnie du Tourtour, Claudine Gabay [notule-bilan sur le patrimoine et les lignes de force d'Ibsen]
13. Bastille – Schönberg, Moses und Aron – Castellucci, Graham-Hall, Mayer, Castellucci, Ph. Jordan [notule 1] [notule 2]
14. PP – Saint-Saëns, Symphonie n°3 – Gabetta, Orchestre de Paris, P. Järvi [notule] [l'orgue]
15. Studio 104 – Walton, Symphonie n°1 – D. Pascal, Orchestre Colonne, Petitgirard [notule]
16. TCE – Britten, Sérénade pour ténor, cor et cordes – Staples, Orchestre de Chambre de Paris (OCP), Boyd [notule]
17. Saint-Gervais – Motets de Charpentier – Ensemble Marguerite Louise, Gaétan Jarry
18. MR – Tchaïkovski, Symphonie n°1 – Ehnes, Orchestre National de France (ONF), Gardner [notule]
19. PP – Mahler, Symphonie n°5 – Argerich, Orchestre du Festival de Lucerne, Nelsons [notule]
20. CiMu – Bach, Motets et Cantates – Ensemble Pygmalion, Pichon
21. Cortot – Cœur : Guédron, Le Roy & friends – Lefilliâtre, Le Levreur, Goubioud, Mauillon, Le Poème Harmonique, Dumestre [notule]
22. CNSM, salle d'orgue – Telemann, Saint-Saëns, G. Jacob… Hommage à Colette Lequien
23. PP – Clyne, création ; Tchaïkovski, Symphonie n°2 – Bavouzet, Orchestre National d'Île-de-France (dit ONDIF), Mazzola [notule]
24. Invalides, Grand Salon – LULLY, airs d'Atys, Armide ; Charpentier, Stances du Cid – Madelin, Croux, Benos, Hyon… CNSM, Haïm
25. PP – Dvořák, Symphonie n°7 – Orchestre de Paris, Dohnányi
26. PP – Nono, Prometeo – SWR Freiburg Baden-Baden, Matilda Hofman, Metzmacher [notule, expérience]
27. Bastille – Berlioz [notule], La Damnation de Faust – Hermanis, Koch, Kaufmann, Terfel, Ph. Jordan [notule et huées]
28. PP – LULLY, Armide – M.-A. Henry, Wanroij, Chappuis, Auvity, Mauillon, Les Talens Lyriques, Rousset [notule]
29. Cité des Arts – Hahn, Koechlin, Ravel, Emmanuel pour violon et piano – Moraly, R. David [notule]
30. CNSM, salle d'orgue – Fauré, Vierne, Hakim pour orgue – Kumi Choi [notule]
31. PP – Magnificat de Bach, Psaume et Cantate de Mendelssohn – Orchestre de Paris, Hengelbrock [notule]
32. Vieux-Colombier – Goldoni, I Rusteghi – comédiens-français [notule]
33. CNSM, salon Vinteuil – Marx, pièces pour quatuor avec piano – étudiants du CNSM [notule]
34. MR – Scherzo de Suk, Concerto pour violoncelle n°1 révisé et Symphonie n°6 de Martinů – J. Moser, Philharmonique de Radio-France (OPRF), Hrůša [notule]
35. MR – Haydn 103, Mozart concerto 23, Schubert n°5 – OPRF, Norrington [notule]
36. MR – Tchaïkovski, Symphonie n°5 – ONF, Gatti [notule]
37. MR  – Dutilleux, Symphonie n°2, Métaboles… – OPRF, Kwamé Ryan [notule]
38. TCE – Garayev, Thilloy, Debussy (Nocturnes), Poulenc (Les Biches) – Orchestre Lamoureux, Antoine Marguier [notule]
39. PP – Hommage à Boulez – Damiens, Ensemble Intercontemporain, Orchestre de Paris, P. Järvi… [notule]
40. PP – Bruckner, Symphonie n°5 – Orchestre de Paris, P. Järvi [notule]
41. Billettes – Airs de cour baroques espagnols – Kusa, Egüez [notule]
42. Opéra Royal – Godard, Dante – Gens, Montvidas, Radio de Munich, Schirmer [notule, présentation de l'œuvre]
43. PP – Bartók, Le Prince de bois – Orchestre de Paris, Zinman
44. PP – audition d'orgue : Bach, transcriptions, Widor 6… – Foccroulle, Lefebvre, Latry, Marshall
45. CNSM, salle Fleuret – Beethoven, Ouverture pour Coriolan – étudiants membres du BDE (Bureau des Étudiants)
46. TCE – Haendel, Rinaldo – Lezhneva, Gauvin, Fagioli, Wey, A. Wolf, Il Pomo d'Oro, Montanari [notule plus générale sur les erreurs de falsettistes et de diapasons]
47. PP – Verdi, Requiem – Grimaldi, Lemieux, Pirgu, Pertusi, Orchestre de Paris, Noseda
48. PP – Mendelssohn, symphonies 2 & 3 – RIAS Kammerchor, Chamber Orchestra of Europe, Nézet-Séguin [notule]
49. PP – Mendelssohn, symphonies 1, 4 & 5 – Chamber Orchestra of Europe (COE), Nézet-Séguin [notule]
50. Sainte-Élisabeth – Charpentier, motets pour le Port-Royal – Achille, Boudet, Le Vaisseau d'Or, Robidoux [notule]
51. PP – Sibelius, Symphonie n°3 – Orchestre de Paris, P. Järvi [notule]
52. PP – Bruckner, Symphonie n°9 – OPRF, Inbal [notule]
53. MR – Soir de Fête de Chausson, Printemps de Debussy, Les Animaux modèles de Poulenc – Latry, ONF, Gabel [notule]
54. MR – Lalo-Coquard, La Jacquerie – OPRF, Davin [notule]
55. Studio 104 – Musique de chambre de Castillon, Saint-Saëns et Fauré – membres de l'ONF, Girod [notule]
56. Théâtre de la Porte Saint-Martin – Massenet, Don César de Bazan – Revault d'Allonnes, Dumora, Sarragosse, Les Frivolités Parisiennes
57. TCE – airs et duos de LULLY, Charpentier, Rameau, Leclair – von Otter, Naouri, Le Concert d'Astrée, Haïm [notule]
58. Châtelet – Sondheim, Passion – Ardant, E. Spyres, Dessay, K. McLaren, R. Silverman, Thantrey, A. Einhorn [notule]
59. CiMu – Bource, The Artist – Hazanavicius, Brussels Philharmonic, Ernst Van Tiel [notule]
60. CiMu – Symphonie en ut de Bizet, Concerto pour hautbois de R. Strauss – Leleux, COE, Pappano [notule]
61. CNSM, salle Fleuret – Récital-spectacle Kosma – Vittoz, H. Deschamps, Fanyo, A. Bertrand, Woh, Worms… [notule]
62. Musée d'Orsay – Pillois, et mélodies orientales de Saint-Saëns, Caplet, Delage, Stravinski… – Brahim-Djelloul, Garde Républicaine [notule]
63. Hôtel de Soubise – Schubert 13, Ravel, BoutryQuatuor Akilone [notule du concert]
64. Bastille – Wagner, Die Meistersinger – Herheim, Kleiter, Keitel, Spence, Jovanovich, Skovhus, Finley, Groissböck, Ph. Jordan [notule et les bizarres longueurs wagnériennes]
65. CNSM, salle Fleuret – « Notre Falstaff », d'après Nicolai notamment – Cordoliani, (jeunes) étudiants du CNSM, Molénat [notule sur la méthodologie]
66. PP – Sibelius, Symphonie n°4 – Bell, Orchestre de Paris, Paavo Järvi [notule sur la place du soliste]
67. CNSM, salle d'art lyrique – Transcriptions d'opéra pour un ou deux pianos à deux ou quatre mains – Classe d'Erika Guiomar (Lucie Seillet, Rémi Chaulet, Pierre Thibout, Nicolas Chevereau…) [notule]
68. TCE – Persée de LULLY dans la révision de Dauvergne, Bury et Francœur en 1770 – Guilmette, Santon, Kalinine, C. Dubois, Vidal, Christoyannis, Teitgen, Le Concert Spirituel, Niquet [longue notule]
69. CNSM, salle d'art lyrique – Liederabend Zemlinsky par la classe d'Anne Le Bozec – Madelin, Garnier, Feix, Spohn, Bunel, Benos, Boché, Worms, Spampanato… [notule]
70. Lycée d'État Jean Zay, salon de réception – La Création de Haydn en français – Le Palais Royal, Sarcos [notule]
71. Théâtre Trévise – Adam, Le Farfadet – Les Frivolités Parisiennes [notule]
72. Ancien Conservatoire – La Création de Haydn en français – Bello, R. Mathieu, Tachdjian, Le Palais Royal, Sarcos [notule]
73. PP – Grieg, Concerto pour piano ; Dvořák, Symphonie n°8 – Tonhalle de Zürich, Bringuier [notule autour de l'importance de la vue]
74. PP, salle de répétition – Beethoven, Symphonie n°7 pour nonette à vent – souffleurs de l'Orchestre de Paris [notule : éditions et la discographie]
75. 38 Riv' – Quatuors de Haensel, Auber et I. Pleyel – Quatuor Pleyel [notule sur les œuvres]
76. Palais Garnier – Ballets de Paulli, Sauguet et Damase – École de Danse de l'Opéra, Orchestre des Lauréats du CNSM
77. MR – Schumann, Symphonie n°3 – OPRF, Norrington
78. Église de Joinville-le-Pont – Autour d'Ariane : Haendel, Vivaldi, Marcello, Marais, Mouret, Benda – Lohmuller, Ensemble Zaïs, B. Babel [notule sur les œuvres]
79. Bastille – Rigoletto de Verdi – Guth, Peretyatko, Kasarova, Fabiano, Kelsey, Siwek, Luisotti [notule]
80. MR – Beethoven, Symphonie n°2 – OPRF, Koopman
81. MR, studio 104 – Franck, chœurs ; Aboulker, Boule de Suif – Maîtrise de Radio-France
82. CiMu – Airs de Charpentier & co – Petibon, Amarillis, Cochard, H. Gaillard
83. TCE – Wagner, Tristan und Isolde – Audi, Nicholls, Breedt, Kerl, Polegato, Humes, ONF, Gatti [notule]
84. Notre-Dame-de-Paris – Credo de MacMillan, Requiem de Fauré – Maîtrise de NDP, OCP, J. Nelson
85. CRR – Campra, L'Europe Galante – Étudiants en musique ancienne du CRR
86. CRR – Mélodies orchestrales de Marx, Concerto pour violoncelle de J. Williams – Orchestre des étudiants du CRR
87. PP – Concerto pour violoncelle n°2 de Dvořák, Symphonie Fantastique de Berlioz – G. Capuçon, Capitole de Toulouse, Sokhiev
88. Bastille – R. Strauss, Der Rosenkavalier – Wernicke, E. Morley, Kaune, Houtzeel, Demuro, Gantner, P. Rose, Ph. Jordan
89. TCE – Spontini, Olympie (version originale) – Gauvin, K. Aldrich, M. Vidal, Le Cercle de l'Harmonie, Rhorer
90. Cinéma Le Balzac – Busatto, The Black Pirate (sur le film d'A. Parker écrit par Fairbanks) – Busatto himself [notules]
91. Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux – Puccini, La Bohème – Galvez-Vallejo, Ut Cinquième
92. CNSM, salle d'art lyrique – Récital de fin d'études de Master 2pas du tout aimé, garde le nom secret pour ne pas nuire à la chanteuse [notule]
93. Palais Garnier – Reimann, Lear – Bieito, Dasch, Merbeth, Alisch, A. Conrad, Skovhus, Luisi [notule]
94. PP – Mahler, Symphonie n°3 – DeYoung, Orchestre de Paris, P. Järvi [notule]
95. Palais Garnier – Adam & tripatouilleurs, Le Corsaire – Petipa-Sergueyev-A.M.Holmes, Rojo, Hernández, Corrales, Saruhashi, Orchestre Colonne [longue notule]
96. CiMu – Cantates de Liszt et Gounod (sainte Cécile et saint François) – Deshayes, Barbeyrac, Sempey, OCP, Équilbey
97. Hôtel des Menus-Plaisirs – extraits d'Alcide de Marais & Louis Lully – chantres du CMBV, membres des CRR de Versailles et Cergy, van Rhijn
98. Cour de Guise (à Soubise) – Spanisches Liederspiel de Schumann, Neue Liebeslieder Waltzes de Brahms – Perbost, Zaïcik, P. García, Raschke, Ambroselli Brault, Williencourt
99. Cour de Guise – Quatuors avec piano, n°1 de Fauré et n°3 de Brahms – Trio Karénine, Sarah Chenaf
100. Cité Internationale des Arts – Programme Georges Migot (violon-piano, poèmes) – Couic Le Chevalier, Hosoya [lien]
101. Cour de Guise – Quatuor n°8 de Beethoven, Quintette avec piano de BrahmsAkilone SQ, Williencourt

C'est beaucoup, et pourtant quasiment que des très grandes soirées.





2. Commentaires manquants

Grande résurrection inattendue d'une œuvre crue détruite dans l'incendie de l'Opéra-Comique, finalement partiellement retrouvée et tout à fait reconstruite, Don César de Bazan, composé tôt dans sa carrière (juste après Le Roi de Lahore, son premier) figure parmi les toutes dernières partitions inédites de Massenet pour l'opéra. La plupart de ce qui reste se résume à des œuvres légères de prime jeunesse ou à des œuvres inachevées et souvent perdues (La Coupe du Roi de Thulé sur le livret d'É. Blau et Gallet figure parmi les plus intriguantes). Des œuvres écrites après sa trentième année et non perdues, il n'y a plus guère que Bacchus qui n'ait pas été remonté (il me semble) et qu'Ariane et Panurge qui ne disposent pas d'enregistrement officiel.
        Le résultat s'est révélé remarquable : œuvre d'essence plutôt légère, mais dont la musique n'est nullement triviale, Bazan explore la vie supposée du personnage plaisant de Ruy Blas de Hugo ; la pièce de théâtre initiale (écrite près de 30 ans plus tôt par le futur librettiste de Massenet, en collaboration avec l'ancien directeur du Théâtre des Variétés) est commandée par le créateur du rôle chez Hugo qui voulait conserver son personnage tout en ayant le premier rôle. L'opéra de Massenet qui se fonde sur lui est une sorte de vaudeville (mais au contenu musical très développé et sérieux, comme un opéra comique) qui joue avec la mort (et se laisse quelquefois rattraper), débutant en beuverie, se constellant d'amitiés sincères, culminant avec une évasion, et finissant par faire du frippon le mari le plus soucieux des convenances (assez étonnant comment cet opéra au ton supposément canaille finit par laisser au transgresseur les clefs des convenances les plus bourgeoises), mettant à la porte le roi.
       Plaisant, vif, plein de séductions, et servi par une équipe musicale extraordinaire (en particulier Dumora et Sarragosse, et par-dessus tout l'orchestre des Frivolités Parisiennes, du grand premier choix !), une résurrection méritée dans les murs mêmes où le Don César en version parlée fut créé – Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Pas eu le loisir non plus de dire mon émerveillement devant le programme des danseurs de l'École de l'Opéra, et pas seulement à cause de l'enthousiasme et de la qualité des jeunes interprètes, d'une qualité d'expression rarement vue, pour ma part, chez leurs aînés. Trois ballets courts.
        La musique de Paulli est peut-être la pire chose que j'aie entendu… certes, il s'agit d'imiter une école de danse et la muzak qui y sévit, mais même un exercice d'harmonie de première année sonne mieux, on dirait que le but est de produire la plus mauvaise musique possible sans enfreindre aucune règle. À côté, Anna Bolena, c'est déroutant et tendu comme Pierrot Lunaire. Presque physiquement violent.
       En revanche, belle réussite pour Les Forains de Roland Petit, jolie histoire mélancolique sur une musique de Sauguet qui tire adroitement parti de l'univers du cirque, avec beaucoup de couleurs et d'assemblages un peu crus et très variés ; et surtout, surtout, l'éblouissement du Piège de lumière de John Taras, avec une musique lyrique du Damase des grands jours, nullement répétitif ou prévisible, osant des coloris sombres qui lui sont moins familiers, même dans les tourments de L'Héritière ou les trahisons de Colombe. L'argument du ballet est lui-même très inhabituel et assez prenant, pour une fois : des détenus d'un pénitencier s'échappent , et bien sûr de rayonnants épanchements.dans la forêt vierge. Pris par la soif, l'un d'eux voit des papillons s'ébattre autour de lui comme dans un délire. L'occasion de sacrés contrastes visuels et sonores, et une intrication de deux sujets incompatibles très réussie.
      
Entendre le Rosenkavalier en salle a été une expérience extraordinaire : contrairement au disque, l'orchestre domine et la finesse de l'écriture, la récurrence des motifs frappent en pleine figure ; c'est toute la science de Wagner au service d'une expression guillerette, mais pas moins raffinée ni profonde. Une des expériences musicales les plus impressionnantes que j'aie faites, alors même que je ne suis (toujours) pas un gros client de l'œuvre au disque – chez le Strauss « conversationnel », j'aime davantage Intermezzo et surtout Arabella. Mais le Rosenkavalier, malgré son livret pas complètement bien proportionné, justifie sa haute réputation par l'ambition de sa musique, très impressionnante. (Par ailleurs, cette fois-ci, les qualités de détail de Philippe Jordan, audibles à la radio mais pas toujours en salle, étaient complètement perceptibles, ce qui ajoutait à l'impression d'extraordinaire.)

En fin de saison, quelques grands moments d'émotion toute nue, avec de la musique de chambre interprétée avec chaleur (n°99 & 101) : entendre ces œuvres bien structurées s'épanouir dans l'acoustique sobre d'une cour d'hôtel, dans une atmosphère qui n'a pas du tout les pesanteurs de la saison officielle (où, surtout à Paris, le public vient souvent à l'adulation ou à la curée), et par de jeunes musiciens encore émerveillés de toucher à ces chefs-d'œuvre (quoique parfaitement aguerris), c'est la musique brute, au delà de toutes les questions accessoires. Dans certains cas, partition (discrètement) en main, pour profiter de tous les détails. L'impression de revenir à l'essentiel, d'une certaine façon.




3. Statistiques

3a. Statistiques : lieux fréquentés

Septième saison francilienne, et cependant encore un assez respectable taux de renouvellement des salles : 101 soirées, 43 lieux, dont 15 nouveaux. Soit un tiers de lieux inédits (notés en gras).

(Philharmonie 1 & 2 : 30)
Philharmonie : 22
(MR total : 14)
(Conservatoires total : 13)
MR auditorium : 10
TCE : 10
(CNSM total : 9)
(Opéra de Paris total : 8)
CiMu : 7
Opéra Bastille : 5
(Soubise total : 4)
Parc Floral : 4
--
CNSM (salle Fleuret) : 3
CNSM (Salle d'art lyrique) : 3
MR Studio 104 : 3
Palais Garnier : 3
Hôtel de Soubise (cour de Guise) : 3
38Riv' : 3
CNSM, salle d'orgue : 2
CRR Auditorium Landowski : 2
Cité Internationale des Arts : 2
Versailles (Opéra Royal) : 1
Musée d'Orsay : 1
Billettes : 1
Gaveau : 1
Salle Cortot : 1
Invalides (grand salon) : 1
Châtelet : 1
Hôtel de Soubise (salon) : 1
Hôtel des Menus-Plaisirs : 1
Salle des Concerts du Vieux Conservatoire : 1
Salle de répétition 1 de la Philharmonie : 1
CNSM, salon Vinteuil : 1
NDP, côté portail Ouest : 1
Saint-Gervais : 1
Notre-Dame des Bancs Manteaux : 1
Sainte-Élisabeth-du-Temple : 1
Église Saint-Charles de Joinville-le-Pont : 1
MR Studio 105 : 1
Théâtre de la Porte Saint-Martin : 1
Théâtre Trévise : 1
Vieux-Colombier : 1
Théâtre de Ménilmontant : 1
Cinéma Le Balzac : 1
Grand Salon du Lycée d'État Jean Zay : 1

Sans doute liée à la fermeture de théâtres lyrique comme l'Opéra-Comique et l'Athénée (et aussi à la programmation sympa, à l'effet de nouveauté, etc.), claire avance de la Philharmonie, et de Radio-France (gonflé par les places impossibles à revendre, précisons-le…). Présence significative des conversatoires, des Champs-Élysées, contre-performance de Versailles (malgré le très beau programme !), de l'Opéra de Paris, des Billettes (ce sera peut-être pire la saison prochaine vu le programme très italien-XVIIIe), du Musée d'Orsay (toute la bonne came est le midi en semaine, et c'est encore pire pour la saison à venir !).



3b.  Statistiques : genres écoutés

Pour la première fois, il me semble, l'opéra n'est pas en première place, grosse orgie symphonique. Belle proportion de musique de chambre aussi, ça manquait cruellement les années passées.

Symphonique : 36 (dont baroque 2, classique 8, romantique 21, décadent 7, moderne 14, néo- 1, cœur XXe 3, contemporain 9)
Opéra : 21 (dont 8 scéniques, 10 en concert – et les autres ? ; dont 10 en français, 7 en allemand, 4 en italien ; dont premier baroque 1, tragédie lyrique 5, seria 1, opéra comique 1, grand opéra 3, romantique 5, décadent 2, atonal 1, contemporain 1)
Chambre : 18 (dont baroque 3, classique 2, romantique 7, décadent 2, moderne 6,contemporain 3 ; violon-piano 1, violon orgue 1, quatuor piano-cordes 1, quatuor 5, piano 5, nonette à vent 1)
Lied & mélodie : 11 (dont airs espagnols 1, air de cour 2, mélodies françaises 2 ; avec ensemble 1, avec orchestre 4, en quatuor vocal 1)
Musique vocale sacrée : 11 (dont baroque allemand 2, baroque français 2, classique 2, XIXe français 2, XIXe italien 1, XIXe allemand II, XXe 1, XXIe 1)
Orgue : 6 (dont baroque 3, moderne 3, contemporain 1, improvisations 2)
Récital d'opéra : 6 (tragédie lyrique 4, seria 1, diplôme 1)
Improvisations : 5
Ballet : 4 (scénique 2, triple-bill 2, concert 2)
Ciné-concert : 3
Théâtre : 4 (dont Ibsen 1)
Chœurs profanes : 2
Spectacle musical : 4
Traditionnel : 2
Chanson : 2
Piano : 2
Jazz : 1
Pop : 1
Comédie musicale : 1

Vous noterez que les récitals vocaux sont à peu près exclusivement dévoués au lied, à la mélodie et à la tragédie en musique… Prendre en tranches les parties les moins intéressantes des opéras les plus rebattus, bof.

Très peu de théâtre cette année, faute de temps vu la place occupée par les concerts… (et puis un seul Ibsen autre que Dukkehjem) Quelques titres supplémentaires cet été – Marivaux avec chants a cappella à la Comédie Nation, La Poupée sanglante d'après Gaston Leroux à la Huchette, également jubilatoires – mais ils entreront dans la statistique de la saison prochaine.



3c.  Statistiques : époques musicales

traditionnel : 2
XVIe1 : 1
XVIe2 : 3
XVIIe1 : 6
XVIIe2 : 14
XVIIIe1 : 16
XVIIIe2 : 14
XIXe1 : 23
XIXe2 : 47
XXe1 : 35
XXe2 : 18
XXIe : 17

En réalité plus représentatif de l'offre que de choix réels, mais il est certain qu'à la jointure du XIXe et du XXe siècles, les grandes machines orchestrales des symphonies et des opéras ont une réelle plus-value avec l'impact physique de la salle. Ce sont aussi des musiques complexes qui bénéficient d'une écoute attentive et d'un support visuel. Mais clairement, il y aurait plus d'offre en XVIIe, l'écart ne serait pas du tout le même.



3d.  Statistiques : orchestres et ensembles

28 orchestres, dont 13 découvertes en salle, soit près de la moitié (notés en gras). Et beaucoup de grands noms ou de découvertes assez épatantes.

Orchestre de Paris 11 (+ membres 1)
Orchestre Philharmonique de Radio-France 9
Orchestre de l'Opéra de Paris 6
Orchestre National de France 4 (+ membres 1)
Orchestre de chambre de Paris 4
Chamber Orchestra of Europe 3
Les Frivolités Parisiennes 2
Orchestre Colonne 2
Orchestre National d'Île-de-France
LSO
Radio de Munich
Capitole de Toulouse
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Ut Cinquième
Orchestre des Lauréats du CNSM
Orchestre des Étudiants du CNSM
Orchestre du Bureau des Étudiants du CNSM
Orchestre des Jeunes du CRR
Orchestre Lamoureux
Brussels Philharmonic
Tonhalle Zürich
Elbphilharmonie de la NDR de Hambourg
Le Palais-Royal
Orchestre du Festival de Lucerne
Orchestre Symphonique de Cleveland
Opéra de Munich (Bayerisches Staatsorchester)
SWR Freiburg Baden-Baden
Orchestre de chambre Pelléas

les putti d'incarnat Arrêt des Putti d'incarnat les putti d'incarnat
Meilleur orchestre de la saison, sont nommés :
Brussels Philharmonic (The Artist de Bource), Tonhalle de Zürich (concerto pour piano de Grieg), Orchestre de Paris (Sibelius 3,4,5),
Orchestre National d'Île-de-France (Tchaïkovski 2, Clyne), Les Frivolités Parisiennes (Le Farfadet, Don César de Bazan), Chamber Orchestra of Europe (Symphonies de Mendelssohn et Bizet), Opéra de Paris (Rosenkavalier).
Attribué à : Orchestre National d'Île-de-France. Pas le plus virtuose malgré de superbes cordes graves (la petite harmonie est clairement en deçà des standards des grands orchestres), mais à chaque fois une intensité hors du commun et l'exaltation palpable des musiciens. N'a pas de prix. [notule]
Dauphin : Les Frivolités Parisiennes. Quelle divine surprise, avec de ce qui devrait théoriquement être un orchestre de cacheton (ou de professionnels passionnés mais de seconde zone), de rencontrer un orchestre d'une précision remarquable, et de dotés de timbres personnels et chaleureux, un vrai son français au meilleur sens du terme, franc, doté d'un grain très physique, et sans les défauts d'approximation ou de laideur qu'on y associe souvent. [notule]



De même, un assez grand nombre d'ensemble sur instruments anciens (et 8 sur 14 étaient des premières écoutes en salle) :

Les Talens Lyriques
Le Cercle de l'Harmonie
Le Concert Spirituel
Le Concert d'Astrée
Ensemble baroque du CNSM
Ensemble Pygmalion
Ensemble La Fenice
Il Pomo d'Oro
Ensemble Zaïs
Ensemble Pulcinella
Ensemble Marguerite Louise
Le Vaisseau d'or
Étudiants de Versailles et Cergy autour de Marie van Rhijn
Orchestre issu du département de musique ancienne du CRR de Paris

les putti d'incarnat Arrêt des Putti d'incarnat les putti d'incarnat
Meilleur ensemble sur instruments anciens de la saison, sont nommés :
Les Talens Lyriques
(Armide de LULLY), Le Cercle de l'Harmonie (Olympie de Spontini), La Fenice (Orfeo de Monteverdi),
Ensemble baroque du CNSM (récital LULLY dirigé par Emmanuelle Haïm), Ensemble Zaïs (autour d'Ariane), Il Pomo d'Oro (Rinaldo de Haendel), Ensemble Pulcinella (récital Magiciennes de Petibon), Ensemble Marguerite Louise (motets de Charpentier)
Attribué à : La Fenice. La variété des couleurs d'ensemble est formidable, mais c'est plus encore la présence individuelle de chaque interprète qui impressionne (à commencer par le cornetiste-chef, la violoniste-soprano, ou le théorbiste-baryton Nicolas Achten). En plus, une vision assez renouvelée et cohérente d'un bijou rabâché – L'Orfeo.  [notule]
Dauphin : Ensemble baroque du CNSM. Quel sens du style !  Il Pomo d'Oro dans le seria, à la fois virevoltant et sans tropisme pour les effets extérieurs, ou bien la finesse du continuo de l'Ensemble Zaïs méritaient les plus beaux éloges.



Enfin, deux ensembles spécialistes en musique contemporaine :

Ensemble Intercontemporain (hommage à Boulez)
Ensemble Recherche (participant au Prometeo de Nono)



3e.  Statistiques : chœurs

22  formations, dont 10 nouvelles.

Chœur ONP x5
Chœur OP x4
Maîtrise de Radio-France x2
Chœur RF x2
Maîtrise OP
Maîtrise NDP
Radio Flamande
Radio Bavaroise
WDR Köln
NDR Chor
Chœur Lamoureux
Accentus
Frivolités Parisiennes
Le Palais-Royal
Chœur ad hoc Châtelet Sondheim
Pygmalion
Concert Spirituel
Le Vaisseau d'or
RIAS Kammerchor
Schola Heidelberg
Chœur de chambre de Namur
Voces8

Voces8 est un peu à part, étant un ensemble à 8 (extraordinaire collectivement, individuellement, stylistiquement…). Une référence aussi bien pour les Motets de Bach que pour les transcriptions de standards de jazz.

les putti d'incarnat Arrêt des Putti d'incarnat les putti d'incarnat
Meilleur chœur de la saison, sont nommés :
Chœur de l'Orchestre de Paris (Requiem de Verdi), Maîtrise de Radio-France (Litanies de Poulenc, Chœurs de Franck), Chœur du Palais-Royal (La Création de Haydn en français), Chœur féminin du Vaisseau d'or (Messe du Port-Royal de Charpentier)
Chœur de l'Orchestre de Paris
Attribué à : Chœur de l'Orchestre de Paris.  [notule]
Dauphin : Maîtrise de Radio-France.



3f.  Statistiques : chefs


64 chefs d'orchestre, dont 37 entendus pour la première fois en salle (et un certain nombre tout simplement découverts dans l'absolu).


Chefs multi-fréquentés
Paavo Järvi x7 (OP)
Philippe Jordan x4 (Opéra de Paris)
Emmanuelle Haïm x2 (Ensemble baroque du CNSM, Concert d'Astrée)
Daniele Gatti x2 (ONF)
Roger Norrington x2 (OPRF)
Thomas Hengelbrock x2 (NDR Hambourg, OP)
Jean-Philippe Sarcos x2 (fondateur Palais Royal)

Avec orchestres franciliens
Fabio Luisi (Opéra de Paris)
Nicola Luisotti (Opéra de Paris)
Christoph von Dohnányi (OP)
Gianandrea Noseda (OP)
David Zinman (OP)
Edward Gardner (ONF)
Fabien Gabel (ONF ; ancien assistant de Zinman)
Mikko Franck (OPRF)
Eliahu Inbal (OPRF)
Ton Koopman (OPRF)
Patrick Davin (OPRF)
Jakub Hrůša (OPRF)
Kwamé Ryan (OPRF)
Andy Einhorn (OPRF dans Sondheim)
Douglas Boyd (OCP)
John Nelson (OCP)
Laurence Équilbey (OCP)
François-Frédéric Guy (OCP)
Enrique Mazzola (ONDIF)
Guillermo García Calvo (Lauréats du CNSM dans Sauguet et Damase)
Xavier Delette (Orchestres des Jeunes du CRR)
Marion Ladrette (Orchestres des Jeunes du CRR)
François Boulanger (Garde Républicaine)
Matthias Pintscher (EIC)
Laurent Petitgirard (Colonne)
Gavin Sutherland (Colonne)
Antoine Marguier (Lamoureux)
Mathieu Romano (Frivolités Parisiennes – Bazan)
Nicolas Simon (Frivolités Parisiennes – Farfadet)
Benjamin Levy (fondateur orchestre de chambre Pelléas ; ancien assistant de Zinman)
chefs du BDÉ du CNSM
Romain Dumas (Ut Cinquième)

Avec orchestres invités
Frank Strobel (Philharmonique de Strasbourg)
Tugan Sokhiev (Toulouse)
Ernst Van Tiel (Brussels Philharmonic)
Yannick Nézet-Séguin (COE)
Antonio Pappano (COE)
Valery Gergiev (LSO)
Ingo Metzmacher (SWR Baden-Baden Freiburg)
Matilda Hofman (SWR Baden-Baden Freiburg)
Andris Nelsons (Lucerne)
Lionel Bringuier (Tonhalle Zürich)
Ulf Schirmer (Radio de Munich)
Kirill Petrenko (Opéra de Munich)
Franz Welser-Möst (Cleveland)


les putti d'incarnat Putti d'incarnat les putti d'incarnat
Meilleur chef d'orchestre, sont nommés :
Paavo Järvi
(Sibelius 5, Bruckner 5), Philippe Jordan (Rosenkavalier), Roger Norrington (Haydn), Christoph von Dohnányi (Dvořák 7), Gianandrea Noseda (Requiem de Verdi), David Zinman (Le Prince de bois de Bartók), Edward Gardner (Tchaïkovski 1), Eliahu Inbal (Bruckner 9), Ton Koopman (Beethoven 2), Jakub Hrůša (Martinů 6 & Premier Concerto pour violoncelle), Kwamé Ryan (Métaboles), Enrique Mazzola (Tchaïkovski 2), Frank Strobel (Berlin de Meisel), Yannick Nézet-Séguin (Intégrale Mendelssohn), Antonio Pappano (Symphonie en ut de Bizet), Valery Gergiev (L'Oiseau de feu de Stravinski), Mikko Franck (Poulenc, Dutilleux).
Attribué à :
Honnêtement, pas possible de choisir entre les structures de Järvi, le détail poétique de Jordan, le tranchant de Dohnányi, l'élan de Noseda et Zinman, l'intensité d'Inbal et Gardner, le goût parfait de Koopman… Mais puisqu'il faut bien en distinguer quelques-uns, alors ce seront Mazzola, Koopman, Järvi et Inbal. Et Gardner, et Dóhnanyi, et Jordan, et Strobel… Stop, stop, c'est reparti !




Avec ensembles sur instruments anciens
Emmanuelle Haïm x2 (Ensemble baroque du CNSM, Concert d'Astrée)
Jean Tubéry
Hervé Niquet
Christophe Rousset
Vincent Dumestre
Jérémie Rhorer
Raphaël Pichon
Gaétan Jarry (Ensemble Marguerite Louise)
Héloïse Gaillard (Pulcinella)
Marie van Rhijn (Étudiants de Versailles et Cergy)
Sébastien Marq (Département Musique Ancienne CRR Paris)
Stefano Montanari (chef invité par Il Pomo d'Oro)
Martin Robidoux (fondateur Vaisseau d'Or)

Meilleur chef d'ensemble spécialiste, sont nommés :
Vincent Dumestre
(Guédron & Friends), Jean Tubéry (L'Orfeo), Emmanuelle Haïm (LULLY avec le CNSM, surtout pas avec son ensemble !), Héloïse Gaillard & Violaine Cochard (Pulcinella), Marie van Rhijn (Alcide de Marais), Sébastien Marq (L'Europe galante), Stefano Montanari (Rinaldo).
Attribué à : Vincent Dumestre toujours à la pointe des meilleurs arrangements dans l'air de cour du début du XVIIe siècle.
Dauphine : Emmanuelle Haïm pour son travail avec les étudiants du CNSM dans LULLY (le récital du même répertoireavec son ensemble sentait au contraire la routine et le peu d'entrain…).



3g.  Statistiques : metteurs en scène & chorégraphes

Wernicke, Bieito, Guth, Herheim, Hermanis, Castellucci, les metteurs en scène les plus en vogue se sont succédés dans ma saison scénique (pourtant limitée en nombre).

Dominique Pasquet (Les Sincères de Marivaux)
Jean-Louis Benoît (I Quattro Rusteghi de Goldoni)
Alvis Hermanis (La Damnation de Faust de Berlioz-Nerval-Gandonnière)
Claus Guth (Rigoletto de Verdi & Piave)
Pascal Neyron (Le Farfadet d'Adam & Planard)
Anna-Marie Holmes (chorégraphie pour  Le Corsaire d'Adam, d'après celle de Sergueïev – d'après celle de Petipa)
August Bournonville (chorégraphie pour Conservatoire de Holger-Simon Paulli)
Stefan Herheim (Die Meistersiner von Nürnberg de Wagner)
Claudine Gabay (John Gabriel Borkman d'Ibsen)
Damien Bigourdan (Don César de Bazan de Massenet & d'Ennery, Dumanoir, Chantepie)
Herbert Wernicke (Der Rosenkavalier de R. Strauss & Hofmannsthal)
Romeo Castellucci (Moses und Aron de Schönberg)
John Taras (chorégraphie pour Piège de lumière de Damase)
Roland Petit (chorégraphie pour Les Forains de Sauguet)
Calixto Bieito (Lear de Reimann & Henneberg-Zimmer)
Fanny Ardant (Passion de Sondheim & Lapine)
Éric Chantelauze (La Poupée sanglante de Didier Bailly & Jérôme Chantelauze)

Je ne compte pas les mises en espace de circonstance (Kosma et Notre Falstaff au CNSM, L'Europe Galante au CRR, Alcide aux Menus-Plaisirs, ni La Favola d'Orfeo par Tubéry à Gaveau, remarquablement suggestive d'ailleurs, avec ses musiciens chantants qui se lèvent ou apparaissent dans les loges !).

Chacun assez conforme à ses habitudes : Hermanis un peu perdu par ses propres concepts (potentiellement stimulants, mais tellement déconnectés de la scène), Guth dans un bon jour pas trop hardi (le double de Rigoletto ne dit pas grand'chose, en revanche le carton mobile est très beau et renvoie efficacement les voix), Herheim dans l'univers où il excelle (niveaux de lecture multiples, beauté plastique, lisibilité et direction d'acteurs permanente, même chez ceux qui se taisent), Castellucci plaisant visuellement sans chercher à construire un récit, Wernicke que je n'avais jamais vu aussi subtil (malgré les reprises en son absence, gestuelle très précise et riche)… chacun a fait ce qu'on attendait de lui. Seul Bieito m'a paru décevant eu égard à ses standards : peu d'usage de la profondeur de scène, personnages peu caractérisés, ensemble plutôt statique, et un peu comme la musique, grande uniformité des aspects visuels gris. Dans le genre sombre, très loin de la réussite de son Wozzeck magnétique, par exemple.

En revanche, beaucoup de choses très impressionnantes dans les petites salles : la finesse des dialogues se prolonge dans de délicats intermèdes musicaux a cappella chez Dominique Pasquet (nouveau collectif Les Sincères), la place laissée par Jean-Louis Benoît à la verve des meilleurs acteurs comiques du Français (Hecq, Raffaelli…), la vie apportée à un petit opéra comique par Pascal Neyron, l'adroite scénographie avec des moyens limités chez Damien Bigourdan, et l'inventivité épatante de cette fresque racontée à trois acteurs dans la Poupée de Chantelauze… autant de régals.

S'il fallait faire ici aussi une remise de prix, ce serait par la force des choses Herheim (virtuose au dernier degré) voire Wernicke (dans un ouvrage plus facile à servir, mais fin et plastique à la fois, c'est toujours un enchantement. Mais, avec les moyens très limités (ne serait-ce que l'espace de 10m², sans décor), sans doute encore plus impressionné par la justesse de Pasquet et l'inventivité débridée de Chantelauze.

Pour la chorégraphie, musique, sujet, chorégraphie (et même qualité des danseurs), tout plaide pour Piège de lumière, une des grandes musiques de Damase, pas du tout une pièce de circonstance aux ressorts un peu répétitifs (comme ses concertos par exemple), mais au contraire un univers riche et généreux, de plus extrêmement avenant pour tout public (sorte de Poulenc lyricisé). Sur un argument à la fois original et propice aux épanchements féeriques.



3h.  Statistiques : instrumentistes

Autre nouvelle catégorie. Où l'on recense tous les solistes entendus et distingue quelques chambristes particulièrement remarquables.

Pianistes :
François-Frédéric Guy (Beethoven 3 & 5), Lars Vogt (Brahms 2, puis Mozart), Denis Pascal (dans le Burleske de R. Strauss), Jean-Efflam Bavouzet (Rachmaninov 2), Romain David (Koechlin), Emmanuel Ax (Beethoven 2), Momo Kodama (Mozart 23), Maroussia Gentet (Dutilleux), Pierre Thibout (Tannhäuser), Nicolas Chevereau (Thaïs), Radu Lupu (Beethoven 3), Jean-Yves Thibaudet (Grieg).
→ Hors solistes internationaux : Pierre Thibout et Nicolas Chevereau (par accompagnateur régulier de L'Oiseleur des Longchamps) se produisaient comme élèves de la classe de direction de chant d'Erika Guiomar.

Violonistes :
Simon Ehnes (Britten), Stéphanie Moraly (Koechlin), Julian Rachlin (Prokofiev 2), Francesca Borrani (tutti Mendelssohn), Gil Shaham (Brahms), Joshua Bell (Tchaïkovski), Émeline Concé (Boutry, Ravel), Fanny Robilliard (Brahms, Quatuor avec piano n°3).
→ Hors solistes internationaux : Francesca Borrani est violon solo à l'Orchestre de Chambre d'Europe (COE), Émeline Concé est le premier violon du Quatuor Akilone (et aussi chef d'attaque des seconds violons à l'Orchestre Lamoureux), Fanny Robilliard est membre du Trio Karénine (avec piano), et occasionnellement de Musica Antiqua Köln et de l'ensemble baroque du Philharmonique de Berlin.

Altistes :
► Beaucoup d'excellents entendus (chefs de pupitre au Philharmonique de Radio-France pour Dutilleux, ou à la Tonhalle de Zürich pour Dvořák…), mais réellement mis en valeur, et de toute façon la plus passionnante, Sarah Chenaf (du Quatuor Zaïde) emporte la palme.

Violoncellistes :
Johannes Moser (Martinů 1 révisé), Sol Gabetta (Saint-Saëns 1), Gautier Capuçon (Dvořák 2).

Flûtistes :
Philippe Bernold (Mozart harpe), Emmanuel Pahud (Widmann), Vincent Lucas (Nielsen), Clara Andrada de la Calle (Bizet, Symphonie).
→ Hors solistes internationaux : Vincent Lucas est solo à l'Orchestre Paris (venu jouer le concerto de Nielsen), Clara Andrada de la Calle est solo à l'Orchestre de Chambre d'Europe.

Ondiste :
► Thomas Bloch (dans Thilloy).

Pour beaucoup d'entre eux  – sauf Capuçon (entendu dans la même œuvre il y a un peu plus de quinze ans !), Lupu (il y a un peu plus de dix ans), Shaham (idem) et Concé (trois fois rien que cette année !) –, c'était la première fois que je les entendais en salle.

Et à présent, les distinctions :

les putti d'incarnat Putti d'incarnat les putti d'incarnat

Meilleur pianiste de la saison, sont nommés :
Emmanuel Ax (Beethoven 2), Romain David (Koechlin), Pierre Thibout (Tannhäuser), Nicolas Chevereau (Thaïs), Radu Lupu (Beethoven 3), Jean-Yves Thibaudet (Grieg).
Attribué à : Pierre Thibout. « Rien qu'en plaquant les accords simples de la marche des pèlerins de Tannhäuser, on entendait la causalité de chaque accord, chacun pourvu d'un relief extraordinaire… on entendait Wagner composer ! » [notule]
Dauphin : Romain David. « il est facile d'être un peu décontenancé et mécanique dans les contrepoints du Koechlin, par exemple, mais ici on sentait au contraire (et plus encore lorsqu'on a l'habitude de l'écouter, le lire ou le jouer) un soin apporté à chaque section. Pas de camouflage à la pédale au piano, pas de régularité négligente, au contraire chaque phrasé semble avoir été patiemment pensé. » [notule]
♥ … au demeurant très impressionné par la présence sonore d'Emmanuel Ax, dans une œuvre que j'ai longtemps crue (à tort, je l'admets) mineure.

Meilleur violoniste de la saison, sont nommés :
Simon Ehnes (Britten), Stéphanie Moraly (Koechlin), Francesca Borrani (violon solo du COE, tutti Mendelssohn), Émeline Concé (Boutry, Ravel), Fanny Robilliard (Brahms, Quatuor avec piano n°3).
Attribué à : Stéphanie Moraly. « malgré l'acoustique très précise et impitoyable, une interprétation d'une précision extraordinaire (même chez les très bons, une telle justesse d'intonation chez un violoniste, sur un programme aussi long et technique, est rarissime) et travaillée dans ses moindres recoins [...] Stéphanie Moraly présentait très brièvement chaque pièce avec chaleur, aisance, un sens de l'anecdote, [...] un ton très direct [...] et une très jolie voix, souple et mélodieuse. » [notule]
Dauphine : Émeline Concé. « Le Quatuor Akilone s'exprime par un beau truchement : un son franc, bien étagé, physique, brillant mais sans rondeurs inutiles. Dans Ravel, on a l'impression de revenir aux sources d'un goût français du sans façons, loin des fondus d'orchestre et des épaisseurs confortables. Et, surtout : elles savent phraser ! La moindre articulation du discours est amenée avec naturel, et dans une pièce aussi souvent jouée et enregistrée, elles se frayent un chemin personnel sans le moindre effet appuyé. De la musique en barre, émouvante avant d'être (très) impressionnante. » [notules]
♥ … et je n'ai jamais vu konzertmeisterin aussi ardente et communicative que Borrani, ni soliste aussi aisé et musical (dans l'assommante choucroute virtuosissime et amélodique de Britten) qu'Ehnes, on aurait pu prolonger la distribution.

Meilleur altiste de la saison :
Louise Desjardins
(Quatuor Akilone) dans le Huitième Quatuor de Beethoven, Sarah Chenaf (Quatuor Zaïde) dans le Troisième Quatuor avec piano de Brahms, Jean-Baptiste Brunier (alto solo de l'OPRF) dans la Seconde Symphonie de Dutilleux.
Attribué à : Sarah Chenaf (membre du Quatuor Zaïde, également primé à Bordeaux). Impressionné par sa présence exceptionnelle dans des pièces de musique de chambre (Troisième Quatuor avec piano de Brahms, en particulier) où elle devrait être cachée milieu de l'harmonie, et où elle fait primer chaque détail avec un charisme rare dans ces parties.

Meilleur violoncelliste de la saison, sont nommés, sont nommés :
Johannes Moser (Martinů 1 révisé), Sol Gabetta (Saint-Saëns 1).
Attribué à : Johannes Moser. « … bien que complètement de dos, le son parvenait sans effort, parfaitement timbré (pas du tout ce côté élimé et râpeux fréquent dans le violoncelle concertant, sans être du gros son pour autant)… le tout culminant dans une sarabande de Bach (Première Suite), murmurée mais timbrée comme à pleine puissance, osant même les diminutions dans les reprises. Il pourrait paraître un excellent violoncelliste parmi d'autres, mais dans la salle, on s'aperçoit vraiment qu'il s'agit d'un interprète particulièrement exceptionnel. » [notule]
Dauphine : Sol Gabetta. En salle, le son un peu poussé ou geignard qu'on entend en retransmission disparaît complètement, et se projette glorieusement, avec assez bon goût d'ailleurs – même si l'on demeure très loin, tout de même, de la classe intersidérale et inaccessible de Moser.

Meilleur flûtiste de la saison, sont nommés :
Attribué à : Clara Andrada de la Calle. « meilleure flûte solo [du COE] de tous les temps : comment est-il possible de timbrer aussi rondement (et d'exprimer aussi bien) sur ce petit tube dont les plus grands tirent souvent des sons lourdement empreints de souffle ! » [notule]



3i.  Statistiques : chanteurs

Comme chaque année, beaucoup d'interprètes exceptionnels dont je ne peux pas forcément parler à chaque fois… Voici leurs noms.

Légende :
¶ Formidable comme d'habitude
Opinion améliorée par rapport à une précédente expérience
Première audition en salle

Sopranos :
Agathe Boudet (Port-Royal),
Cécile Madelin (Sangaride, Zemlinsky),
♪ Cécile Achille (Port-Royal),
Marie Perbost (Spanisches Liederspiel),
Julia Lezhneva (Almirena),
♪ Marie-Adeline Henry (Armide),
♪ Michaela Kaune (Werdenberg),
Erika Grimaldi (Requiem de Verdi),
Amber Wagner (Ariadne).

Mezzo-sopranos :
Eva Zaïcik (Rosina, Spanisches Liederspiel),
Niina Keitel (Lene),
Stephanie Houtzeel (Octavian),
Jennifer Johnson (Mahler 3).

Contre-ténors, falsettistes :
Bruno Le Levreur (Guédron),
Paul-Antoine Benos (Cid, Zemlinsky)

Ténors :
Paul Belmonte ? / Alexandre Cerveux ? (Alcide – divergence entre les programmes !)
Pablo García (Spanisches Liederspiel),
Oliver Vincent (Voces8),
Serge Goubioud (Guédron),
Kevin Connors (Tanzmeister dans Ariadne),
Jean-Noël Teyssier (Bastien dans Le Farfadet)
♪ Mathias Vidal (Persée, Cassandre),
♪ Fabien Hyon (Atys),
Andrew Staples (Serenade de Britten),
Francesco Demuro (le chanteur italien),
Michael Fabiano (Duca di Mantova),
Saimir Pirgu (Requiem de Verdi),
♪ Jonas Kaufmann (Bacchus, Damnation de Faust),
Brandon Jovanovich (Stolzing),
♪ John Graham-Hall (Aron).

Barytons :
♪ Marc Mauillon (Guédron, La Haine),
Nicolas Achten (berger de l'Orfeo),
Andreas Wolf (Argante),
Christian Immler,
♪ Jean-Baptiste Dumora (César de Bazan),
Steven Humes (Marke),
Gerald Finley (Sachs),
♪ Thomas Johannes Mayer (Moses).

Basses :
Dingle Yandell (Voces8),
Jean-Claude Sarragosse (Premier Ministre dans Bazan),
Yorck Felix Speer (Cuno),
Günther Groissböck (Pogner),
Peter Rose (Ochs).

… les voilà réunis pour une petite remise de prix.


les putti d'incarnat Putti d'incarnat les putti d'incarnat

Meilleur soprano (léger) de la saison, sont nommées :
Agathe Boudet (Port-Royal), Cécile Madelin (Sangaride, Zemlinsky), Marie Perbost (Spanisches Liederspiel), Julia Lezhneva (Almirena).
Attribué à : Cécile Madelin.
Dauphine : Marie Perbost.

Meilleur soprano (grand format) de la saison, sont nommées :
Véronique
Gens (Béatrix, Marie), Marie-Adeline Henry (Armide), Michaela Kaune (Werdenberg), Amber Wagner (Ariadne).
Attribué à : Véronique Gens.
Dauphines : Amber Wagner, Marie-Adeline Henry.

Meilleur mezzo-soprano de la saison, sont nommées :
Eva Zaïcik (Rosina, Spanisches Liederspiel), Niina Keitel (Lene), Stephanie Houtzeel (Octavian), Jennifer Johnson (Mahler 3).
Attribué à : Eva Zaïcik.
Dauphine : Jennifer Johnson.

Meilleur falsettiste de la saison :
Attribué à : Paul-Antoine Benos (Cid, Zemlinsky).
Dauphin : Bruno Le Levreur (Guédron).

Meilleur ténor (léger) de la saison, sont nommés :

Oliver Vincent (Voces8), Serge Goubioud (Guédron), Mathias Vidal (Persée, Cassandre), Fabien Hyon (Atys), Andrew Staples (Serenade de Britten)
Attribué à : Mathias Vidal (pour Persée en particulier).
Dauphin : Andrew Staples.

Meilleur ténor (grand format) de la saison, sont nommés :
Saimir Pirgu (Requiem de Verdi), Michael Fabiano (Duca di Mantova)Jonas Kaufmann (Bacchus, Damnation de Faust), Brandon Jovanovich (Stolzing), John Graham-Hall (Aron).
Attribué à : Saimir Pirgu.
Dauphin : Brandon Jovanovich.

Meilleur baryton (lyrique) de la saison, sont nommés :
Marc Mauillon (Guédron, La Haine), Nicolas Achten (berger de l'Orfeo), Andreas Wolf (Argante), Jean-Baptiste Dumora (César de Bazan).
Attribué à : Marc Mauillon.
Dauphins : Andreas Wolf.

Meilleur baryton-basse de la saison, sont nommés :
Steven Humes (Marke), Gerald Finley (Sachs), Thomas Johannes Mayer (Moses).
Attribué à : Steven Humes.
Dauphin : Gerald Finley.

Meilleure basse chantante de la saison :
Attribué à : Dingle Yandell (Voces8).

Meilleure basse noble de la saison, sont nommés :
Jean-Claude Sarragosse (Premier Ministre dans Bazan), Yorck Felix Speer (Cuno), Günther Groissböck (Pogner), Peter Rose (Ochs).
Attribué à : Yorck Felix Speer.
Dauphin : Günther Groissböck.

Je devrais faire la même chose pour les danseurs de ballet, mais j'en ai finalement peu vu, et surtout aimé les petits jeunes de l'Opéra (dans Les Forains de Petit et Piège de lumière de Taras), et l'English National Ballet (Rojo forever)…




4. Ressenti

Que souligner, hors l'extrême variété et surabondance de l'offre, très loin d'être épuisée par ce tour d'horizon qui ne reflète que ma pratique personnelle de l'année, le concert n'étant même pas mon premier poste en dépense de temps…

Toujours énormément de concerts gratuits (notamment dans les conservatoires, les églises…), originaux, et de haute volée… on peut se faire une saison complète à l'œil, sans rien rogner sur la qualité. Certes, on ne verra pas les orchestres internationaux ni les solistes à la mode, et le niveau individuel de virtuosité sera peut-être (pas systématiquement, loin s'en faut !) moindre. Mais ce sera grand tout de même – car Paris est généreuse.

Alors, peut-être souligner la présence de quelques (beaucoup de) superbes raretés, comme les airs de cour de Guédron, le Berlin de Meisel, la Première Symphonie de Walton (symphonie de l'année ?), la Sonate avec violon de Koechlin, etc.

Remarqué une fois de plus que le répertoire symphonique français, qui m'exalte tellement au disque, me touche moins fort au concert, à cause de sa forme moins discursive (plus rhapsodique, ou du moins plus contemplative) que les grands monuments germaniques équivalents. Chausson (Soir de fête) et Debussy (Printemps) en l'occurrence, face à Bruckner – que je n'aurais pas dit du même tonnel…

La grande surprise des productions lyriques ne provenait pas de Bru Zane cette saison (contrairement au Cinq-Mars fulgurant de Gounod, possiblement son meilleur opéra) : il me semble que la politique de la maison se tourne de plus en plus vers la documentation de ce qui avait du succès au XIXe (David, Joncières…) plus que de ce qui peut marquer notre propre époque. Travail précieux de musicologie et d'historiographie, mais moins stimulant pour le mélomane : Dante de Godard et La Jacquerie Lalo & Coquard n'étaient pas dépourvus de qualités ponctuelles, mais leur inégalité et la faiblesse extrême de leurs livrets expliquent très bien qu'ils n'aient pas été repris au delà de leur propre période. Patrie ! de Paladilhe, La Dame de Monsoreau de Salvayre ou Hernani de Hirchmann, pour se limiter à des titres souvent cités en ces pages (pour le reste, il y en a quelques tombereaux ).
        Côté opéra, le grand coup fut frappé, dans le secteur même d'activité de Bru Zane, par Les Frivolités Parisiennes, remarquable compagnie qui emploie les plus fins musiciens (ainsi que d'excellents chefs, chanteurs et metteurs en scène) dans des productions scéniques complètes ; bien que peu subventionnée, elle se produit dans d'adorables théâtres (cette saison, Trévise et Porte Saint-Martin…) avec une qualité de finition épatante et des tarifs très abordables. Pour de l'opéra de veine comique, nul besoin de se forcer à écouter pour la vingtième fois le Barbier de Séville à 50 mètres des chanteurs pour 150€, on a ce qu'il vous faut. Don César de Bazan de Massenet, qu'on avait cru perdu, se révèle, sinon le chef-d'œuvre de son auteur (l'ensemble reste sur un ton en général aimable plus qu'audacieux), une œuvre d'une cohérence et d'une séduction assez imparables.

L'année Louis XIV n'a pas permis au CMBV de proposer des explorations majeures en tragédie en musique (plutôt centré cette année sur les célébrations religieuses, programme au demeurant très intéressant.). Cette année, la nouveauté majeure en tragédie lyrique fut le Persée de LULLY dans sa révision massive à un siècle de distance (1682-1770) par Dauvergne, Bury & Francœur, à l'occasion du mariage de Marie-Antoinette ; une partition très différente, très surprenante, mais pas sans charme, grisante par endroit, qui a cependant mis en fureur ceux (je ne dénonce personne) qui espéraient entendre du LULLY et ont récolté de la déclamation post-gluckiste (malgré la date, ça tire déjà pas mal vers Gossec et Méhul, étrangement) avec des ariettes et des fusées orchestrales post-ramistes.

Seule découverte réellement désappointante, Garayev et Thilloy dans un concert coloré d'horizons (Nocturnes de Debussy, Pulcinella de Stravinski, Les Biches de Poulenc) de l'Orchestre Lamoureux (en très petite forme) ; le premier d'un orientalisme insipide, quoique pas déplaisant ; le second, tiré d'une musique de film, brille au concert par une vacuité qui ferait passer les Glassworks pour L'Art de la Fugue après duplications en miroir.
Je ne reviens pas sur ma souffrance Migot, récemment partagée avec force jérémiades hyperboliques.



Trois soirées auront probablement marqué mon expérience de mélomane et de spectateur : la Deuxième Symphonie de Tchaïkovski par Mazzola, le Rosenkavalier par Wernicke & Jordan, le Berlin de Meisel (dans un arrangement sans cordes) par Strobel et avec projection du film – mais la musique est sublime sans, malgré son caractère figuratif. Des sommets comme on n'en croise pas souvent, même à l'échelle de la démentielle offre francilienne.

Et puis quantité de spectacles extraordinaires pour une raison ou une autre (œuvres, interprètes, ambiance générale), et qui n'entraient pas forcément dans l'une ou l'autre catégorie des récompenses : la Poupée sanglante, Armide par Rousset, Walton 1 par Colionne, Sibelius 5 par Järvi, Bruckner 5 par Järvi, Mahler 3 par Järvi, Bazan, Koechlin par Moraly & R. David, Brahms et Fauré par le Trio Karénine + S. Chenaf, Guédron & Friends, Liederpiel à Soubise, récital LULLY au CNSM, Sérénade de Britten par Staples, Shadows of Time couplées avec les Litanies de Poulenc, Dvořák 7 par Dohnányi, Tchaïkovski 1 par Gardner, Requiem de Verdi par Noseda, Meistersinger par Herheim & Jordan, Akilone SQ dans Beethoven 8, Akilone SQ dans Ravel & Boutry, Bruckner 9 par Inbal, Transcriptions des futurs chefs de chant du CNSM, Les Sincères de Marivaux avec intermèdes a cappella, le Farfadet d'Adam à Trévise, le Persée de 1770, The Artist de Bource en concert, I Rusteghi par les comédiens-français, les quatuors avec piano de Marx, Voces8, Piège de lumière de Damase, hommage à Boulez, extraits des Ariane de Marais et de Mouret, Martinů par Hrůša, Beethoven 2 par Koopman…

À peu près tout le reste était peut-être un peu moins excessivement génial, mais quand même tout à fait épatant (très bien choisi sans doute, mais au sein d'une offre qui permet de faire 100 concerts épatants tout en ratant beaucoup d'autres grandes soirées…) : Olympie de Spontini, intégrale Mendelssohn du COE, Franck par la Maîtrise de Radio-France, Quatuors de Haensel-Auber-Pleyel, Sibelius 3 par Järvi, Sibelius 4 par Järvi, Dollé-Visée, Trio avec piano 1 de Brahms avec Cartier-Bresson, L'Orfeo par Tubéry, inauguration de l'orgue de la Philharmonie, cantates de Liszt et Gounod, COE & Pappano, airs de cour espagnols, la Création de Haydn en français, le Prince de Bois par Zinman, Rinaldo par Il Pomo d'Oro, concert Dutilleux par Ryan, l'Oiseau de feu par Gergiev, Credo de MacMillan, le Corsaire avec Tamara Rojo, Rigoletto par Guth-Luisotti, Les Animaux Modèles (et Printemps !), le Concerto de Grieg par la Tonhalle, le Freischütz par Hengelbrock…

Dans les semi-réussites, peut-être Schubert 5 par Norrington (joué de façon aussi haydnienne, exalte surtout la simplicité et les répétitions), Bach et Mendelssohn par l'Orchestre de Paris (problème de style malgré Hengelbrock, ça ne se fait pas en une nuit), le Tristan d'Audi (musicalement superbe, mais visuellement bâclé un à point qui m'avait presque agacé), Mahler 3 par Cleveland (problème basique de gestion de la tension des phrasés tuilés),  Petibon donc la voix s'est beaucoup arrondie pour chanter LULLY et ses semblables… mais de très bonnes soirées tout de même ! 

Un peu plus réservé sur Passion de Sondheim (vraiment pas très grand, et la mise en scène très grise et conventionnelle d'Ardant ne comblait pas les manques), Santiago de Murcia pour guitare baroque et harpe (problème d'instruments surtout, ils sonnaient mal… dans ce répertoire, si on n'a pas de bons crincrins…). Assez perdu, même en étant familier du sujet et des œuvres jouées (et en ayant lu le programme de salle), par Notre Falstaff au CNSM. Comme si j'assistais à un happening de regietheater avec des moyens amateurs ; sans être déplaisant, déstabilisant. Trouvé le temps très long dans le Concerto pour violoncelle de John Williams au CRR (sans grand intérêt), et puis c'était l'orchestre des étudiants, pas encore aguerri). Mais dans ces deux cas, ce sont des concerts gratuits ouverts au public pour permettre l'entraînement des étudiants… c'est en général assez superlatif, mais il n'y a pas d'obligation de résultat, on est invité à voir les travaux en cours et on aurait mauvaise grâce à le leurreprocher !

Ce que je n'ai vraiment pas aimé ?  L'examen de fin d'année d'une étudiante de master au CNSM (j'avais dit que je me demandais à quoi servait de bâtir une voix d'opéra épaisse, moche et inintelligible si c'est pour ne pas se faire entendre au bout d'une salle de 100m²), parce qu'il dit quelque chose des techniques (à mon avis dévoyées) à la mode dans l'enseignement et la pratique du chant. Et surtout, bien sûr, ma souffrance intense en compagnie de Georges Migot. Deux entreprises au demeurant sympathiques (examen ouvert au public, mise en valeur d'un compositeur totalement négligé), on voit à quel point il y avait peu matière à se plaindre de cette très vaste saison de concerts.



Le moment est-il venu de se quitter en distinguant les plus beaux spectacles de l'année ?  J'ai été le premier surpris du résultat.


les putti d'incarnat Putti d'incarnat les putti d'incarnat

Meilleur opéra en version scénique, sont nommés :
Le Farfadet (Frivolités Parisiennes), Don César de Bazan (Frivolités Parisiennes), Die Meistersinger von Nürnberg (Herheim-Ph.Jordan), Der Rosenkavalier (Wernicke-Ph.Jordan)
Attribué à : Der Rosenkavalier.
[La saison passée : Rusalka par Carsen-Hrůša.]

Meilleur opéra en version de concert, sont nommés :
Armide (Talens Lyriques), Persée 1770 (Concert Spirituel), Olympie (Cercle de l'Harmonie)
♥♥ Attribué à : Armide.
[La saison passée : Cinq-Mars par Schirmer.]

Meilleur concert symphonique, sont nommés :
Bruckner 5 (OP-Järvi), Bruckner 9 (OPRF-Inbal), Tchaïkovski 1 (ONF-Gardner), Clyne & Tchaïkovski 2 (ONDIF-Mazzola), Mahler 3 (OP-Järvi), Sibelius 5 (OP-Järvi), Walton 1 (Colonne-Petitgirard), Suk-Martinů (OPRF-Hrůša), Poulenc-Dutilleux (OPRF-Franck)…
♥♥ Attribué à : Clyne & Tchaïkovski 2.
[La saison passée : Tchaïkovski 5 par P. Järvi.]

Meilleur concert chambriste, sont nommés :
Quatuor Pleyel (Haensel, Auber, Pleyel), Quatuor Akilone & Williencourt (Beethoven 8, Quintette Brahms), Trio Karénine & S.Chenaf (Brahms 3, Fauré 1), Transcriptions de la classe de direction de chant du CNSM, Quatuors avec piano de Marx, Quatuor Akilone (Schubert 13, Ravel, Boutry), S.Moraly-R.David (Hahn, Koechlin, Ravel, Emmanuel).
♥♥
Attribué à : S.Moraly-R.David (Hahn, Koechlin, Ravel, Emmanuel).
Dauphin : Trio Karénine + S. Chenaf ; Transcriptions CNSM. Au demeurant, les Akilone ont livré un deuxième Razoumovski de Beethoven et un Ravel qui n'ont guère d'équivalents ! (en revanche bizarrement à la peine dans le Quintette de Brahms)
[La saison passée : ECMA, avec notamment les quatuors Akilone, Hanson et Arod.]

Meilleur concert de lied ou mélodie, sont nommés :
Spanisches Liederspiel de Schumann (Perbost, Zaïcik, García, Reschke…), Serenade pour ténor, cor et cordes de Britten (Staples, OCP, Boyd).
♥♥
Attribué à : Spanisches Liederspiel. Au moins du niveau de l'assemblage Röschmann-Kirchschlager-Bostridge-Quasthoff-Deutsch-Drake (tournée européenne de 2009), c'est assez en dire. La qualité stylistique et expressive de ces jeunes chanteurs non-natifs est très impressionnante, en plus de la beauté des voix (les deux demoiselles en particulier).
Dauphin : Serenade de Britten. Outre que c'est magnifique en soi, le remplacement de l'excellent Toby Spence par Andrew Staples a permis de prendre la mesure d'un véritable miracle – la maîtrise absolue de l'instrument comme des intentions, et une variété de coloris immense. Il chante énormément sur les plus grandes scènes (il sera à nouveau là pour les Scènes de Faust à la Philharmonie, une partie qu'il a déjà beaucoup éprouvée, à Berlin, à Munich…), mais il n'a étrangement pas atteint la notoriété d'autres chanteurs de ce registre (rôles de caractère et oratorio romantique & XXe, disons, un lyrique assez léger – mais la voix est extraordinairement projetée, il pourrait tout aussi bien chanter des héros romantiques, Roméo au minimum).
[La saison passée : Elsa Dreisig – extraits du concert dans cette notule.]

Meilleur concert baroque, sont nommés :
Guédron & Friends (Dumestre), récital LULLY (CNSM, Haïm), Port-Royal (Vaisseau d'or, Robidoux), figures d'Ariane (Zaïs), Dollé-Visée (R. Pharo, Th. Roussel), airs de cour espagnols (Kusa, Egüez)
♥♥ Attribué à : récital LULLY. De jeunes chanteurs dont certains sont de très grandes promesses pour le répertoire (Cécile Madelin, Paul-Antoine Benos), et d'autres des chanteurs qui ne se spécialiseront peut-être pas (Fabien Hyon) mais qui forcent l'admiration par leurs qualités propres. Concert fondé sur des duos et ensembles qui ne sont pas tous des tubes (la dispute du IV d'Atys !), et accompagné avec un feu dansant incroyable par les élèves du CNSM. Le contraste avec le (plaisant mais) poussif récital von Otter-Naouri dirigé par la même Haïm avec son ensemble était d'autant plus saisissant. [Au passage, ce sont les seuls récitals d'opéra de l'année avec celui de Zaïs, vraiment le seul répertoire qui est représenté dans cette catégorie peu noble, à chaque saison de CSS.]
Dauphin : Guédron & Friends. Dans une certaine mesure plus proche de la chanson (enfin, à plusieurs parties, donc madrigalisée…), avec des ostinati irrésistibles et des textes débordant d'une roborative verdeur. Et quels chanteurs (Le Levreur, Goubioud, Mauillon, meilleurs qu'ils ne l'ont jamais étés), attelés avec l'étrange (et fascinante) Lefilliâtre.
[La saison passée : Vespri de Rubino en collaboration CNSM-Palerme.]

Théâtre, sont nommés :
Les Sincères de Marivaux, Les Rustres de Goldoni, John Gabriel Borkman d'Ibsen, La Poupée sanglante de Chantelauze & Bailly (d'après Leroux).
♥♥ Attribué à : La Poupée sanglante. Inventif et jubilatoire. En plus mis en musique.
Dauphin : Les Sincères.
[La saison passée : La Mort de Tintagiles de Maeterlinck mise en scène par Podalydès et en musique avec une sélection et des improvisations de Coin. Complètement terrifiant et tellement poétique.]

Œuvre en première mondiale (re-création), sont présents :
La Création de Haydn dans la version de la création française, La Jacquerie de Lalo & Coquard, Dante de Godard, Don César de Bazan de Massenet, Quatuors avec piano de Joseph Marx, Musique de chambre de Migot.
♥♥ Attribué à : Don César de Bazan. Vraie bonne surprise.
Dauphin : Quatuors avec piano de Joseph Marx (étudiants du CNSM).
Les autres n'étaient pas grandioses (et Migot carrément pénible).
[La saison passée : Cinq-Mars de Gounod.]

Compositeur vivant, sont présents :
Aboulker (Maîtrise de Radio-France), Widmann (Orchestre de Paris), Burgan (Orchestre Colonne), Clyne (Orchestre National d'Île-de-France). [Boulez, Damase et Dutilleux y échappent de peu, mais leurs œuvres présentées datent souvent d'un demi-siècle de toute façon…]
♥♥ Attribué à : Anna Clyne. Très belle utilisation de l'orchestre pour une écriture très accessible et avenante (ce n'est pas du néo- ni du tonal définissable pour autant).
    Boule de suif d'Aboulker est un peu long et recycle tout le temps les mêmes (bons) effets, par ailleurs déjà entendus chez elle.
    La Suite pour flûte et orchestre de Widmann est d'un modernisme de moyen terme bon teint, parfait pour avoir l'air d'aujourd'hui sans rien oser… d'ailleurs, je n'ai pas trouvé très honnête de finir sur une pièce assez jubilatoire (et bissée !) qui n'avait rien à voir avec le reste et citait la Badinerie de Bach (et Tristan !), façon un peu vulgaire d'attirer les applaudissements Cela dit, c'était le seul bon moment de la pièce, j'étais ravi que ce soit bissé, mais triompher en pillant Bach dans les cinq dernières minutes me laisse un peu interdit sur la philosophie du compositeur – je tire à la ligne pendant un quart, et puis j'emprunte un tube pour faire un joli final brillant. Il fait une très belle carrière de clarinettiste, pourquoi s'imposer ça ?
    Mais c'est toujours mieux que Le Lac de Burgan qui met en musique le poème de Lamartine – dans des atmosphères indistinctes et une prosodie aberrante.
    Par ailleurs, les moments Damase-Dutilleux-Boulez ont été excellents, tout n'est pas perdu pour les gens du XXIe siècle.
[La saison passée : Au monde de Boesmans.]




5. Et puis

En finissant, je m'aperçois que le parti de distinguer individuellement entre en contradiction avec la recherche de lignes de force, mais après tout, comme il s'agit d'une bilan purement personnel, limité à ce que j'ai vu, autant conserver les propos généraux pour les annonces de saison.
    J'espère surtout que ce contribuera à mettre en lumière des lieux et des artistes particulièrement intéressants.

Pour ceux qui sortent parfois avec le sentiment d'à-quoi-bon en quittant un concert prestigieux où l'on n'a pas été très concerné (voire agacé), un concert dans une petite salle avec des interprètes enthousiaste est un remède assez irrésistible – l'émotion n'est pas du tout de même nature qu'avec les solistes les plus professionnalisés au milieu d'une grande salle.
        Indépendamment de l'engagement (qui peut s'émousser, ou du moins s'automatiser, chez ceux qui ont passé quarante ans à recueillir des triomphes en enchaînant les plus grandes salles) et de la dimension des lieux (sentir le grain des timbres sur sa peau est quelque chose de très précieux, qui ne passe pas la rampe dans les vastes ensembles architecturaux), il existe, me semble-tèil, une plus-value psychologique immédiate. Dans un concert prestigieux, on jauge toujours les artistes, on attend que ce soit au niveau (a fortiori si on a payé cher, raison pour laquelle je m'y refuse), que leur travail nous séduise, voire nous subjugue ; dans le concert intime, on regarde au contraire d'un œil bienveillant des artistes en devenir ou restés discrets, et qui malgré l'absence de regards officiels susceptibles de promouvoir leur carrière, partagent avec nous un moment privilégié. Dans le premier cas, on sent la pression de l'événement, et qu'on le veuille ou non, on le regarde comme tel, on se doit d'une certaine façon de déterminer avant l'entracte si c'était bon ; dans le second, on se sent au contraire en connivence, récipiendaires d'un secret, partenaires d'une passion commune.
        Pardon de le dire ainsi, mais les mélomanes sont comme les poules de batteries auxquelles, si l'on donne trop d'espace (mais pas beaucoup pour autant, ni de plein air), développent des instincts cannibales : le lieu et le statut du concert ont, très involontairement, une influence mécanique sur la perception des choses. J'étais émerveillé d'entendre la Première Symphonie de Walton en concert, avec une exécution qui m'aurait sans doute mis en fureur (ou plus vraisemblablement fait lever un demi-sourcil) s'il s'était agi d'un Beethoven à la Philharmonie, mais qui m'a ravi dans ce contexte, parce qu'elle apportait tout l'élan et la lisibilité nécessaires à cette musique (et vu sa difficulté et sa rare pratique, on n'allait pas mégoter sur la beauté des timbres ou les détails de mise en place)…

Cette saison (comme la précédente), les repérages de concerts insolites ou rares (plutôt en Île-de-France, puisque c'est issu de recherches initialement pour ma pomme) seront plutôt proposés mensuellement qu'annuellement, la formule a paraît-il semblé plus efficace.

Nous songeons à louer une salle pour la cérémonie de l'an prochain, avec retransmission en mondiovision et partenariat avec Medici.tv. Kim Jong-eun a déjà proposé de prêter le Salon Kim Il-sung de l'aile Ouest du Mémorial du Juche, mais nous voudrions accueillir un public nombreux et cherchons une adresse un peu moins enclavée en transports (on travaille le lendemain). Toute proposition sérieuse acceptée.

jeudi 4 août 2016

Diagonale : la Marseillaise, Damase, Eugène Sue et l'Eurovision


A. Jean-Michel Damase à la Fête Nationale

Nous sommes le 14 juillet. Comme chaque année, je réécoute mon hymne national fétiche, la marche des Trois Couleurs de Jean-Michel Damase, tirée de son opérette (« feuilleton musical en deux actes ») Eugène le mystérieux (1963 ; création 1964). Les autres années, j'avais proposé la Marseillaise en hongrois (2011), m'étais interrogé sur les usages de l'hymne national en concert (2012), ou sur la semi-honte qui entoure la Marseillaise (2015).

Et donc, comme à chaque fois, je me pose des questions. En réécoutant le reste de la pièce, je m'interroge encore sur cette petite soprane qui a décidément une technique très différentes des voix d'opéra qui l'entourent. On l'entend très bien : le larynx haut, les voyelles ouvertes, à l'occasion un peu de souffle entre les cordes ; par ailleurs, si le timbre est éclairci et enfantin au maximum, elle chante plutôt en voix de poitrine (la voix de tête est réservée aux aigus, contrairement à la tradition lyrique)… un style (l'expression prime sur le legato) et une technique qui évoquent davantage l'univers de la chanson. Sans doute moins sonore que ses compères, elle est aussi manifestement captée de plus près.

[[]]
(Ariette des fleurs.)

[[]]
(Quatuor de la mauvaise éducation – avec Michel Cadiou en Rodolphe et Dominique Tirmont en Chourineur.)

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(Ariette de la déveine.)

Elle chante ici Fleur-de-Marie, héroïne des Mystères de Paris d'Eugène Sue, la source de cette opérette : air de présentation, trio de l'éducation, air de la malchance. Il est assez amusant que le texte de Marcel Achard (le librettiste), tout en refusant l'onomastique proposée par Sue, prenne autant la peine d'insister sur le fait qu'elle n'est qu'une petite fleuriste tandis que les autres filles vendent leur petite fleur, puisque c'est insister précisément sur ce qu'est, à l'origine, Fleur-de-Marie :

Par une anomalie étrange, les traits de la Goualeuse offrent un de ces types angéliques et candides qui conservent leur idéalité même au milieu de la dépravation, comme si la créature était impuissante à effacer par ses vices la noble empreinte que Dieu a mise au front de quelques êtres privilégiés.

La Goualeuse avait seize ans et demi.

[...]

La Goualeuse avait reçu un autre surnom, dû sans doute à la candeur virginale de ses traits… On l’appelait encore Fleur-de-Marie, mots qui en argot signifient la Vierge.

Pourrons-nous faire comprendre au lecteur notre singulière impression, lorsqu’au milieu de ce vocabulaire infâme, où les mots qui signifient le vol, le sang, le meurtre, sont encore plus hideux et plus effrayants que les hideuses et effrayantes choses qu’ils expriment, lorsque nous avons, disons-nous, surpris cette métaphore d’une poésie si douce, si tendrement pieuse : Fleur-de-Marie ?

[...]

— j’ai rencontré l’ogresse et une des vieilles qui étaient toujours après moi depuis ma sortie de prison… Je ne savais plus comment vivre… Elles m’ont emmenée… elles m’ont fait boire de l’eau-de-vie… Et voilà…

[...]

— Les habits que je porte appartiennent à l’ogresse ; je lui dois pour mon garni et pour ma nourriture… je ne puis bouger d’ici… elle me ferait arrêter comme voleuse… Je lui appartiens… il faut que je m’acquitte…
[Chapitre IV des Mystères de Paris de Sue.]

Même sans interpréter l'allusion aussi hardiment que je le suggère (néanmoins assez logique devant le récit croissant de ses malheurs, après avoir raconté le soulagement de la prison ou comment, enfant, on lui arrache une dent pour la vendre), on voit bien que Fleur-de-Marie n'est pas du genre à se poser en parangon moral, fût-elle irréprochable. L'opérette reprend le motif mais en le renversant, pour en faire un motif d'édification dans les familles, sans le même processus de réhabilitation que dans le [long] roman.

Pour plus ample balade, plusieurs notules ont été consacrées au roman (Sue & Dumas, mutations urbanistiques, style) ou à l'opéra comique (nomenclature de l'humour musical, Woyzeck le Chourineur, Fête Nationale).



Mais qui était-elle, cette soprane, pour qu'on lui confie ainsi un rôle dans du répertoire lyrique aux côtés d'un ténor institutionnel de la Radio comme Michel Cadiou – et titulaire de grands rôles sur les scènes prestigieuses ?  Sans doute une petit gloire du temps, me suis-je dit. D'autant que le rôle, qui utilise son vocabulaire propre, semble confectionné sur mesure pour une chanteuse de ton plus populaire.



B. Jacqueline Boyer à l'Eurovision

Vous serez peut-être effrayés en découvrant que lorsque je lus Jacqueline Boyer, ma réaction fut d'aller consulter mon imam Google, et de découvrir le pot aux roses. Pour commencer, c'est la fille de Jacques Pills, vieille gloire de la chansons française, plus tard mari d'Édith Piaf, et de Lucienne Boyer, dont la voix et le visage n'ont peut-être plus la même notoriété, mais dont les grands titres sont toujours connus de tous (Parlez-moi d'amour, Que reste-t-il de nos amours, Mon cœur est un violon, Bonne nuit mon amour mon amant). Elle raconte qu'elle fait ses débuts comme chanteuse à quinze ans, en partageant la scène avec Marlene Dietrich. Bref, plutôt préparée.

Et si bien que, un an seulement après que son propre père a fini dernier à l'Eurovision (sélection pourtant pour partie calamiteuse cette année-là), à l'âge de dix-huit ans, elle remporte la compétition de 1960 avec ceci :

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Assez irrésistible illustration du goût français, cette petite chanson en trois strophes est bâtie au cordeau. Un petit récit (de Pierre Cour) sur un personnage doté d'un nom pittoresque, organisé autour de chiffres (2 châteaux / 2 secrets / 1 défaut), avec un refrain varié, de petites surprises (« n'a qu'un défaut : [...] il est charmant, il a bon cœur, il est plein de vaillance ») et la pirouette finale qui dément tout ce qui a été précédemment dit.
Le balancement musical, très simple, est assez irrésistible, avec son alternance de couplets badins piqués et de refrain varié plus lyrique. Pour maintenir la tension, chaque nouveau couplet est élevé d'un demi-ton. L'orchestration (est-elle aussi due à André Popp ?) varie considérablement et multiplie les couleurs, les atmosphères, les contrechants de façon assez raffinée (on sent que le gars a étudié son Richard Strauss, et qu'il aurait pu être un camarade de Damase sur les bancs du Conservatoire).

Mélodie simple et prégnante, historiette amusante, et tout cela servi avec beaucoup de malice par Jacqueline Boyer : la façon dont l'aigu se décroche soudain en voix de tête pour la note la plus aiguë du refrain, ou les sourires qui passent dans la voix, les petits gestes qui colorent les sous-entendus, font de l'ensemble un petit bijou fragile délicat, assez addictif.

Comment en à peine vingt ans, est-on passé de ce type de ballade en version de concert accompagné par un orchestre symphonique aux rengaines chorégraphiées sur des boîtes à rythme ?  Parce que L'Oiseau et l'Enfant, qui remporte la palme en 1977, se situe quelque part entre du sous-Joan Baez et du sous-sous-André Popp, la kitschouillerie en sus ; et on est loin de ce qui a été produit de pire dans ce concours pendant les décennies suivantes.



C. Chanter en langues


En cette année 1960, on joue des chansons à l'ancienne, accompagnées par des orchestrations ambitieuses (avec, au besoin, des éléments jazz) ;  sans vouloir jouer de l'absurde hiérarchie, la densité musicale me semble beaucoup plus ambitieuse que dans les éditions récentes où le soin est d'abord porté sur le grain du son et sur la chorégraphie.

Par ailleurs, autre contrainte, l'usage d'une des langues officielles du pays concourant. Pour une émission qui se veut une célébration de l'esprit européen, entendre défiler toutes ces couleurs locales a quelque chose de particulièrement fascinant et émouvant. Le principe a beaucoup varié au fil des périodes, et restait respecté par tous, quoique implicite, dans les premières éditions, de 1956 à 1965.

Par qui le scandale est-il arrivé ?  Par un chanteur d'opéra, forcément.

En 1965, Ingvar Wixell, le grand verdien (Rigoletto et Amonasro restés des références absolues pour tous ceux qui aiment les voix claires, les timbres morbidi-moelleux et les émissions mixées-mixtes), y chantait avec sa technique d'opéra un chanson en anglais, pour le compte de sa Suède natale. La technique de chant lyrique était habituelle, beaucoup de chanteurs à la mode d'alors y recouraient, on l'entend très bien chez les concurrents de ces années – surtout chez les hommes (les femmes chantent en général la chanson en mécanisme de poitrine, alors que la voix de tête est utilisée par défaut dans le lyrique). Son usage n'est pas identique à celui fait à l'opéra, bien sûr (les tessitures sont plus courtes et basses, pour commencer), mais les fondements techniques sont très proches. Pour prendre deux exemples emblématiques :

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Dennis Morgan est un ténor évident, parfois qualifié comme tel par les biographes, et doté d'une émission très solide, avec une homogénéité parfaite et un passage totalement domestiqué, tout à fait inaudible, comme chez les plus grands.


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Mais quelle est donc cette pianiste qui chante si bien ?

Même dans le cas de Bill Crosby (qui, favorisant son grave, serait moins audible avec orchestre et sans amplification), on entend très bien la recherche d'auto-amplification et le goût du fondu, caractéristiques de la technique lyrique – même si, évidemment, il développe aussi d'autres caractéristiques, en privilégiant la qualité du timbre sur la puissance, étant amplifié.

Même chez Lucienne Boyer, la glorieuse mère de Jacqueline, on entend très bien cette charpente particulière, commune aux deux univers.

De fait, à l'écoute, Ingvar Wixell ne frappe pas particulièrement par sa singularité vocale par rapport aux concurrents. En revanche, il y eut force débat autour du dévoiement de l'esprit du concours, la Suède ayant présenté une chanson anglophone, Absent Friends.

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Dès l'année suivante, le règlement devint explicite : seules les langues officielles du pays concerné sont autorisées. Mais il y eut beaucoup d'atermoiements et de repentirs dans cette longue histoire : en 1973, on rend possible le choix de la langue, jusqu'à ce qu'en 1976, un tiers de chansons soient exécutées en anglais. Je me figure bien que ça favorisait, l'anglais étant familier de tous, les potentialités de victoire – rendant d'une certaine façon la compétition plus juste. Mais la tendance était telle que le retour à la langue officielle fut décidé pour 1977. Jusqu'en 1999, qui ouvre notre ère décadente où il est quasiment suicidaire de ne pas proposer de chanson en anglais : les langues sont à nouveau en libre choix. 
Donc beaucoup d'allers et retours, on voit bien pourquoi : les langues rares, même si les jurys ont des traductions sous les yeux (les ont-ils seulement ?) sont un handicap pour transmettre une émotion de même qualité que les langues les pratiquées ; mais dans le même temps, autoriser le choix de la langue, c'est précisément faire de l'Eurovision une banale compétition de chanson, qui n'a plus rien du charme d'un parcours à travers différentes cultures. La musique du concours n'a jamais été très variée, chaque période reproduisant d'assez près les modes, mais la langue pouvait au moins introduire une forme de couleur locale, une incitation à utiliser des références patrimoniales dans la forme générale, le thème du texte ou même simplement les couleurs modales ou instrumentales…

Pour mémoire, en 1965, c'est France Gall qui remporte la victoire pour le Luxembourg avec un grand succès débattu (car olé-olé), Poupée de cire, poupée de son, dû à Gainsbourg. Sur la vidéo d'origine, on l'entend très nettement se reposer sur l'originalité du texte et la modernité de la musique (le grand orchestre imitant les sons de danses à la mode) : elle remporte la victoire avec une voix toute grêle… et une intonation particulièrement approximative !  Le candidat italien de 59 chantait certes bien plus mal, mais pas aussi faux !
Tout l'inverse de Wixell : technique conçue pour les micros, cherchant la proximité ou l'effet, et pas du tout la projection dans une salle – au contraire, le naturel est mis en avant, et ces défaillances techniques sont assumées, avec leur effet d'émission enfantine, qui concourt au caractère troublant de la pièce.

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Je me suis beaucoup demandé qui étaient les orchestrateurs de toutes ces chansons : je ne suis pas persuadé que les spécialistes de la chanson, comme Popp ou Gainsbourg, aient ce degré de maîtrise de l'exercice (dans cette version de Tom Pillibi, en entend passer les astuces de beaucoup de grands maîtres…). Et même plus largement des arrangeurs, parce que les contrechants ne sont pas nécessairement prévus non plus. Mais ils ne sont pas crédités, et je suppose qu'il est de l'intérêt du système de ne pas les mettre en avant, pour exalter une figure reconnaissable. Déjà qu'on nomme les chansons par leur interprète, comme s'ils les avaient écrites (pas totalement illégitimement au demeurant : dans la chanson, ce peut être l'interprète qui apporte la touche décisive rendant une musique ou un texte mémorables).

Je projette de poursuivre mon exploration du patrimoine eurovu, je suis très curieux de sentir le moment de bascule (il y a déjà quelque chose, dans cette cohabitation baroque de 1965…) vers les accompagnements amplifiés et les musiques électroniques, vers le goût pour la chorégraphie et le spectacle qui oblitère l'importance de la chanson elle-même.
… et de découvrir de nouvelles pépites.

Pour le peu que j'aie pu en juger (c'est en réalité la première fois que je regarde le concours, au delà des quelques extraits qui font surface chaque année…), c'est un observatoire assez formidable des modes musicales, vocales et capillaires que j'entends débroussailler un peu.



D. Tom Pillibi après l'Eurovision

Tom Pillibi est un très grand succès. L'album (assez peu intéressant par ailleurs, trouvé-je) s'écoule généreusement (on peut l'écouter là), mais reste dans une veine très commune, vaguement teintée de jazz très blanchi, avec des textes parfaitement transparents ; et même vocalement et expressivement, on n'entend pas le même frémissement que lors de sa première exécution à l'Eurovision (elle le rechante après sa victoire, et c'est légèrement moins bien). Les aigus, en particulier, sont un peu durcis, alors qu'elle ose le passage en voix de tête sur scène ; et puis il manque les sourires dans la voix et les petits gestes qui parachèvent le tout.

La même année, Tohama reprend la chanson en belge, avec accompagnement de saxophones (qui réutilisent largement les contrechants d'origine) et sur un beat de fox-trot. Un quatrième couplet – placé en deuxième position –, à propos d'oiseaux fantaisistes, est ajouté par rapport aux versions de Jacqueline Boyer (a-t-il été écrit par Pierre Cour dès l'origine ?  commandé pour l'occasion ?  rédigé par un autre ?).


C'est sans doute la reprise la plus réussie de la chanson, qui malgré les changements (et le tempo rapide qui ne laisse pas aussi bien le temps de conter la ballade) en conserve grandement l'espièglerie.

S'ensuivent d'innombrables reprises

Les Riff pour chœur, avec des harmonies jazz (accords enrichis), où la narration cède le pas à la musique, mais avec beaucoup de saveur ;

Les Scarlet, pour petit chœur, beaucoup plus constamment sur le temps, et avec un ossia aigu, qui fait perdre du caractère mais permet de réduire la tessiture (à peine plus d'une octave au lieu d'une octave et demie) ;
Yvette Giraud, une voix très grave, presque un ténor, avec alternance de chœurs ;
dans un esprit plus exotique, Claudine Cereda, avec rythmes nonchalants et percussions des îles. Deux couplets seulement, le premier et le dernier.



Aujourd'hui encore, il s'agit, à défaut d'un tube intersidéral connu de tous, d'un standard régulièrement repris par les amateurs de chanson française traditionnelle. Témoin ce petit bouquet informel :

● concert donné en Slovénie dans la langue et l'accompagnement d'origine, par le Gimnazija Kranj Orchestra (soirée thématique de chansons parisiennes) ;
● avec guitare folk et piano par Laetitia [[vidéo]] ;

● avec accompagnement de synthétiseur (reprenant largement l'orchestration d'origine), par Fabienne Thibeault ;
● avec une réalisation de synthétiseur plus soignée (existe-t-il des disques d'accompagnement qui l'incluent ?), par Julie Rodriguez, en 2008 ;
● le même accompagnement, cette fois par Les Chanterels (solo avec petit chœur d'accompagnement) ;
● le visuel permet de mesurer la nature des représentations, vraiment des spectacles populaires, de petits groupes de chant amateurs, qui témoignent de la rémanence de la chanson dans le le fonds commun (Cercle Orbey, avec boîte à rythme et synthé sur le vif), ici avec le couplet supplémentaire introduit chez Tohama ;

● plus raffinée, une belle version pour chœur a cappella par l'ensemble La Villanelle.





Il en existe aussi de très nombreux arrangements dans tous les styles et pour tous les formats d'orchestre, chez les orchestres de divetissement. Liste très loin de l'exhaustivité :

♫ avec sifflets (et contrechant de cor !), vibraphone, glockenspiel, cordes lyriques… le grand jeu par l'orchestre de Franck Pourcel, qui reprend largement l'orchestration d'origine (contrechants de violons lyriques, la marche du deuxième couplet…) ;
♫ doublure de xylophone, vibraphone et de pizzicati par Paul Bonneau et son orchestre ;
♫ avec guitare électrique, saxophone et orchestre, très déhanché, par Gerry Mills et son orchestre ;
♫ avec Jacky Noguez (accordéon) et son orchestre ;

♫ plus franchouillardisant encore, mais avec une touche de Donizetti en sus, Jo La-Ré-Do (accordéon) et son orchestre, glissandi et diminutions attendues, et dialogues avec piano et saxo ténor !



et des versions solo :

♫ sur un orgue de barbarie de belle facture (il y avait donc des cartes poinçonnées pour ce tube !) ;
♫ à l'accordéon ;

♫ et bien sûr, au piano.



L'attrait est tel, qu'à la suite de la victoire de l'Eurovision, la chanson est traduite et enregistrée en mainte langue européenne.

♣ En néerlandais (la chanson atteint le 14e rang sur 100 dans les classements du pays, en 1960), gravée par une autre voix enfantine, Willeke Alberti.
♦ En 1994, à un âge plus mûr que les participants habituels, elle représente son pays à l'Eurovision avec Waard is de zon (« Où est le soleil ? »), une jolie ballade pas très originale, à l'exception de la métaphore stellaire (qui ne rebat pas non plus exactement les cartes de la poésie intersidérale) – et y termine 23e sur 25. Au demeurant, la chanson qui remporte le concours, Rock 'n' roll kids (par les émissaires irlandais Harrington & McGettigan), pour piano, guitare acoustique et deux voix, est aussi une ballade (mais clairement typée folk – et autrement plus prégnante).
♦ Vous remarquerez le petit changement mélodique du deuxième couplet, et bien sûr l'usage malicieux du présentatif français « Voilà Kleinzach Tom Pillibi ! ».

♣ En danois, chantée par Raquel Rastenni,
♦ autre participante, à la compétition de 1958, où elle propose Jeg rev et blad ud af min dagbog (« J'ai déchiré une page de mon journal »), dans lequel elle incarne un alter ego d'Elle de la Voix Humaine : une serpillère qui se repend de sa jalousie et conjure son homme de lui pardonner. Musicalement mignon, parfaitement dans le goût du temps, avec son tapis de cordes au portamento systématique et généreux. Elle obtient la 8e place sur 10. Cette année-là, André Claveau remporte la victoire pour la France avec l'autre tube parfaitement d'époque Dors, mon amour (autrement poignant, il est vrai), habilement adaptable à un enfant (il s'agit manifestement plutôt d'une amante, mais le texte se prête presque totalement à la berceuse).
♦ La traduction danoise, pour autant que j'en puisse juger (je ne dispose pas de la transcription, et considérant l'écart graphie-phonie dans cette langue-là, je ne veux pas donner de fausses garanties) reste proche de l'original de Pierre Cour, quoique utilisant le deuxième couplet comme chez Tohama. On insiste peut-être un rien plus sur la dimension séduisante de Tom Pillibi, mais l'essentiel de l'intérêt demeure porté à la chimère. 

♣ Également interprétée en Espagne (où la chanson fut première au cours de l'année 1960 – en quelle langue ? –, alors qu'elle n'était que 2e en France et 4e en Belgique), et même en espagnol, dont voici une interprétation (non officielle), par Juan Aznar.
♦ La traduction reste très proche de l'original français. C'est essentiellement l'entrée en matière qui diffère, présentant Tom Pillibi de façon plus solennelle et biographique (« Tom Pillibi est parvenu à l'état d'homme puissant »), tout le reste étant très proche de l'esprit comme de la lettre.

♣ En allemand, la chanson est portée par Jacqueline Boyer elle-même ; la chanson n'atteint jamais que la 21e place dans les classements, mais le succès est suffisant pour que Boyer fasse une bonne partie de sa carrière en Allemagne, où elle rechante régulièrement Tom Pillibi jusqu'à un stade avancé de sa carrière.
♦ La traduction marque néanmoins une inflexion : le refrain évoque immédiatement le motif de l'imagination (« Denn er hat Phantasie, unser Tom Pillibi »), les couplets, tout en conservant la même structure, insistent progressivement sur sa qualité de séducteur. Le deuxième couplet le nomme ainsi « der Frauenheld » (« le héros de ces dames »), ce qui n'était qu'implicite dans la version française, où l'on pouvait se figurer qu'il était admiré presque malgré lui [encore Damase !] – Frauenheld désigne déjà une typologie.
Le dernier couplet est encore plus explicite, puisque, au lieu d'annoncer ce seul défaut (avec la liste contradictoire de qualités), il est essentiellement consacré à son talent de séducteur (« ist sehr charmant », « ist als Galant allen im Land bekannt » – « connu comme un galant dans tout le pays »), et ne dévoile le caractère d'affabulateur, déjà largement introduit par le refrain, qu'à la fin du quatrain.
L'ami qui raconte cela n'est pas nécessairement une femme ni une amante, surtout considérant la complaisance avec laquelle ses exploits sont rapportés (dès le début, la chanson avait été prévue pour Marcel Amont, donc les questions de vraisemblance sexuelle, comme pour le lied, ne constituent pas un obstacle).
♦ D'une manière générale, cette traduction-adaptation tire Pillibi vers le mauvais sujet : on raconte le portrait d'un garçon haut en couleurs, le séducteur et gentil fanfaron du canton, et on ne voit plus forcément la nécessité de raconter cette histoire (privée de la chute initiale).

♦ Je dispose aussi d'une autre version, par un homme, avec accordéon, petit ensemble et même quelque voix. (Tony Westen, Golgowsky-Quartett, Orchester Will Glahé).

♣ En anglais, chantée par Jacqueline Boyer (avec un beau naturel !) au Royaume-Uni (33e selon le UK Singles Chart de 1960) et plus célèbre dans sa reprise par Julie Andrews.
♦ Dans la traduction, il existe quatre couplets : Boyer en chante trois, Andrews deux, dont le premier en commun.
♦♦ Dans les couplets de Boyer, le décor change beaucoup : d'emblée, c'est une amante qui parle, et il est tout de suite question du potentiel de séduction de Tom Pillibi, nullement de ses occupations. Plus rien de fantasmagorique, le conte, le récit merveilleux ont disparu. Chaque quatrain, assez redondant, explore la même idée : il s'avère que ce garçon timide cache en réalité quelqu'un de plus rompu à l'art de la séduction. Et s'il ment (révélé dès le deuxième couplet, ce n'est plus une chute), c'est par fausse modestie, ou peut-être par stratégie.
♦♦ Dans le second couplet d'Andrews, on nous décrit même un maître de la manipulation des jeunes filles, feignant de demander la permission pour ce qu'il obtient d'emblée…
♦♦ En outre, dans les deux cas il est question de « sortir avec » Tom Pillibi, donc l'univers n'est plus du tout intemporel, voire médiévalisant (les vaisseaux, la fille du roi…), mais très ancré dans le quotidien du milieu du XXe siècle. Et plus encore, les temps utilisés (prétérit) suggèrent que l'histoire est finie, qu'il s'agit d'un souvenir d'expérience amoureuse légère, beaucoup plus du côté des contingences de la vie amoureuse réelle que de la petite fable française avec chute.
♦♦ La véritable chute se situe plutôt dans le refrain, qui joue avec l'expression traditionnelle « don't judge a book by its cover » (l'habit ne fait pas le moine) : So with a lover, as with a book / Don't trust the cover, or you might will be hooked (« Il en va des amants comme des livres / Ne vous fiez pas à la couverture, ne mordez pas à l'hameçon »). Pas tout à fait hilarant quand même. Beaucoup du charme d'origine est à mon avis laissé en chemin
Jacqueline Boyer s'adapte remarquablement à la langue, avec une diction traditionnelle (les « -ed » finaux sont pleinement articulés,comme pour des cantiques ou du Haendel !), et même de beaux [t] plus en arrière sur les alvéoles (le [tʰ] expiré typiquement britannique), très naturels. La voix reste au demeurant placée au même endroit qu'en français, avec la même couleur à la fois légère, franche et brillante. Très séduisant, je dois dire.

Julie Andrews adopte une posture un peu différente ; d'abord, l'accompagnement orchestral diffère (moins symphonique, plus musical theatre – et très rapide, une chansonnette qui termine en lalala plutôt qu'une ballade) ; ensuite, la voix elle-même est plus ronde et lisse, et même l'accent, malgré (et grâce à) ses origines parfaitement anglaises, est d'une certaine façon moins pur, s'américanisant délibérément (le traitement des « a » est flagrant). 

Si les traductions en langues « rares » se font assez près du texte d'origine, la version allemande infléchit la chanson du côté du (gentil) mauvais garçon, et la version anglaise, parfaitement infidèle au projet d'origine, en fait un récit de relation amoureuse – pas très éloigné, finalement, de toutes ces chansons américaines sur l'amour de vilains tatoués. C'est tirer Tom Pillibi vers Big Fat Lie – autre doudou personnel, mais pas exactement le même univers !



E. Tom Pillibi et Jacqueline Boyer

Après avoir remporté le concours, généreusement vendu l'album en Europe, enregistré une version anglaise et régulièrement chanté en allemand le titre, l'engouement s'est poursuivi, jusqu'à nos jours.

La voici par exemple en 1981 dans un festival de l'Østfold (Sud-Est de la Norvège).



Sa technique, très en bouche, moins lyrique que celle de sa mère, explique la petite tension ou déconnexion dans l'aigu dès les débuts, et peut-être aussi le déclin progressif de l'instrument, mais j'y entends surtout un changement d'époque, avec une émission, plus chaude, feulée, en phase avec l'évolution du goût de la chanson (qui n'est pas à mon gré, mais tout est possible avec l'amplification, il n'y a plus d'impératif technique, le reste est affaire de goût) – et il me semble aussi, ce qui doit être vérifiable, y déceler les effets du tabac (accolement imparfait des cordes due à une irritation chronique).
Quoi qu'il en soit, Jacqueline Boyer n'a jamais mal chanté, même dans les bandes les plus récentes où, à l'âge de 74 ans, elle fait valoir une voix certes ternie, mais en rien effondrée.



Ces deux exemples permettent de mesurer l'adaptation de la chanson, par l'artiste elle-même, à toutes les modes d'accompagnement, acceptant des transcriptions très simplifiées par rapport à l'orchestre symphonique de l'Eurovision. On sent bien que très vite, par rapport à la première soirée, une certaine routine s'installe, et que Boyer raconte moins qu'elle ne chante, mais il reste la place pour quelques variantes intéressantes, dont celle-ci, qui m'a un peu intrigué.
[Vous noterez au passage les syncopes systématiques pour faire sonner plus jazz – elles n'étaient que ponctuelles, et expressives, dansla version originale –, ainsi que l'accompagnement à l'avenant.]


C'est le plus proche, chronologiquement, de la création d'Eugène le Mystérieux, et cela s'entend : voix très étroite et franche, remarquablement calibrée pour la chanson, une espièglerie charmante. Avec la vidéo, je m'interroge précisément jusqu'où celle-ci peut aller : au moment de faire le geste d'entrain pour « il est plein de vaillance » (1'52), on la voit réprimer un sourire – croise-t-elle un regard ? est-elle amusée de la naïveté de la posture ?  ou bien perçoit-elle, l'espace d'un instant, un double sens (qui paraît en effet assez évident après « il est charmant, il a bon cœur », s'il n'était désarmé par ce geste badin), qui ne cadre pas avec le format de l'émission ?

Au demeurant, il s'agit d'une pièce difficile, il est rare que les chansons couvrent aussi une octave et demi, ce qui explique la transposition du la grave à l'octave supérieure (effet mélodique très commun, mais beaucoup plus chantable, en tout cas pour le public).



F. Rétroviseur et prémonitions

Quelle traversée, de la Fête Nationale à l'Eurovision des débuts, en passant par l'opérette et les transmutations d'un même titre… Il y avait de quoi, en continuant de dévider l'écheveau, s'amuser encore longtemps, mais je crois qu'il y a là matière à vous occuper pour quelques jours.

Si ce n'était pas le cas, vous pouvez toujours vous reporter aux autres séries de l'été de Carnets sur sol, en général (à partir de 2009 en tout cas) l'occasion d'explorer des pans de la culture populaire commune (découverte de l'eau chaude, ce peutêtre amusant) :

● 2005 : mini-série György Kurtág 0,0.75,1,2,3,4,5,6
● 2006 : le mythe de Médée (1,2,3,4) ;
● 2006 : panorama Takemitsu (biographie, économie, corpus discographique, discographie commentée, catalogue alphabétique, catalogue générique, catalogue chronologique personnel commenté, mode d'emploi)
● 2006 : théâtre chanté chinois
● 2009 : Le Moine de Lewis (le Juif errant et le Hollandais volant, adaptation d'Artaud)
● 2009 : Retour aux sources de Carmen : variantes depuis Mérimée (1,2,3,4)
● 2009 : Eugène Sue et Les Mystères de Paris : citations, citations et Damase, motivations du lecteur et Damase, le Chourineur et Woyzeck, l'hymne de Damase.
● 2009 : Vampires, de Byron à Dracula.
● 2010 : Washington Square adapté pour le théâtre (plutôt grand public) par les époux Goetz, à partir de quoi il est parti au cinéma (Wyler), mais aussi « retourné » à l'opéra (Ducreux-Damase).
● 2010 : Random Harvest, un best-seller britannique de 1941, très révélateur de l'évolution du style populaire.
● 2011 : Calamity Jane et son mythe (1).
● 2011 : Wicked, prequel réorientée du Magicien d'Oz (1,2). Je n'ai jamais parlé du roman de Maguire, parce qu'il est mauvais.
● 2012 :  Zorro et ses mythes (le roman surtout ; pas eu le temps de parler des mutations filmiques, après les avoir tous regardés tout de même, ni de parler de la formidable musique de William Lava pour la série Disney).
● 2012 : La Marquise d'O, Kleist et Rohmer.
● 2013 : Le grand roman sentimental féminin anglophone : Radcliffe, Austen (1), Brontë (1), Gaskell (1), G. Eliot, Wharton…
● 2013 : Ordalie Siegfried.
● 2014 : Pas grand'chose n'en a paru sur CSS. Plongée stakhanoviste dans les Meistersinger et Parsifal, partition au poing ; et puis pas mal de choses en fonctions d'onde / relativité / physique quantique / astrophysique, qui n'avaient pas forcément leur place ici non plus (sujets sur lesquels il y a déjà de la vulgarisation abondante, et par sensiblement plus qualifiés).
● 2015 : désolé, c'était plutôt ambiance balades.
● 2016 : Eurovision, donc. Une notule, mais beaucoup de défrichage. Quelques frayeurs et de très jolies choses, sans parler de la méditation sur l'évolution vocale, de Wixell à aujourd'hui…
● 2016 : Comics emblématiques redevenus à la mode. Là, non plus, c'est pas bon, mais la mutation des figures est intéressante, elle révèle des choses sur nous (de même, la mise à l'épreuve de mon incompréhension de l'attrait pour les superhéros). Mon éducation en la matière culminait (mais se limitait aussi largement) à Don Rosa. 

Bel été aux lecteurs fidèles et de passage ! 
aux autres aussi, je ne suis pas rancunier

vendredi 24 juin 2016

Le Corsaire : mutations de l'angélique Médore



(Oui, parfaitement, je suis très fier de mon titre.)



"Well—as thou wilt—ascetic as thou art—
"One question answer; then in peace depart.
"How many?—Ha! it cannot sure be day?740
"What star—what sun is bursting on the bay?
"It shines a lake of fire!—away—away!
"Ho! treachery! my guards! my scimitar!
"The galleys feed the flames—and I afar!
"Accursed Dervise!—these thy tidings—thou
"Some villain spy—seize—cleave him—slay him now!"
Up rose the Dervise with that burst of light,
Nor less his change of form appall'd the sight:
Up rose that Dervise—not in saintly garb,
But like a warrior bounding from his barb,750
Dash'd his high cap, and tore his robe away—
Shone his mail'd breast, and flash'd his sabre's ray!
His close but glittering casque, and sable plume,
More glittering eye, and black brow's sabler gloom,
Glared on the Moslems' eyes some Afrit Sprite,
Whose demon death-blow left no hope for fight.
The wild confusion, and the swarthy glow
Of flames on high, and torches from below;
The shriek of terror, and the mingling yell—
For swords began to clash, and shouts to swell—760
Flung o'er that spot of earth the air of hell!

G.G. Byron, The Corsair II,4


« Fort bien, sois ascétique, ainsi que tu te plais
À l’être ; un mot encore, et te retire en paix,
Combien ? — Ah sûrement, non, ce n’est pas l’aurore,
Quel astre, quel soleil au golfe vient d’éclore ?
C’est comme un lac de feu ? Gardes, je suis trahi,
Aux armes ! Accourez : mon cimeterre ici !
Ah ! Derviche maudit, ce fut là ta nouvelle.
Allons, saisissez-le. Fendez-le par moitié,
Ô perfide espion ! tuez-le sans pitié ! »
Le Derviche se dresse à ce jet de lumière,
Son changement de forme a saisi tous les yeux.
Il dépouille l’habit du sacré ministère,
Debout comme un guerrier sur son coursier fougueux,
Il jette fièrement son bonnet de Derviche
Et déchire en morceaux une robe postiche ;
De maille on voit sa cotte et son sabre briller,
Sous un panache noir un casque étinceler.
Sous un sombre sourcil on a vu surtout luire
Son œil sur l’œil du Turc. C’est celui du vampire,
Fatal démon de mort, dont le sinistre éclat
Menace de coups sûrs, sans offrir le combat.
Le désordre confus, et la lueur blafarde
Des feux d’en haut, plus bas de la torche qui darde
Ses flots rouges et noirs, de la terreur les cris,
Des fers s’entre-choquant le perçant cliquetis ;
Les imprécations dont retentit la salle,
Tout a fait de ces lieux une scène infernale.

Tiré de la belle traduction en vers de Regnault. Un épisode où prédomine l'action trépidante (comme à certains endroits du ballet, avec bien moins de surprises et d'éclat) sur l'introspection aux deux extrémités du poème.


Assisté à la première représentation de la série du Corsaire chorégraphié par Anna-Marie Holmes d'après Petipa puis Sergueïev/Sergeyev, régulièrement donné en tournée par la troupe de l'English National Ballet. Le livret, adaptation par la chorégraphe de l'adaptation de Saint-Georges (Jules-Henri) et Mazilier, fournit une large portion, par rapport à la norme du genre, en péripéties, décors et pas d'action. La musique est à l'origine d'Adolphe Adam, et sans être du niveau de ses meilleures œuvres, permet d'entendre des choses plus plaisantes que les redoutables ballets de Minkus ou des adaptateurs fous.
[La musique du ballet original de 1856, plus les ajouts de Delibes, ont été documentés par Richard Bonynge et l'English Chamber Orchestra, écoutable ici.]

À l'issue de la soirée, beaucoup de questions se pressent : quoique déjà familier de ce ballet-ci, je suis plutôt un candide en matière de danse, et vais donc remplir mon office en posant quelques questions qui ne doivent pas manquer d'assaillir les amateurs de musique.




Tamara Rojo en Médora, à l'acte II.
(Le costume kitschouille reste largement plus élégant que le tutu rose flamboyant de la version russe en usage…)




1. Aller au ballet pour la distribution

Rien que la hiérarchie de la notule trahira ma simplicité : je commence par ce qui, pour tout balletomane, doit constituer l'essentiel.

Outre la musique (sur laquelle j'aurai l'occasion de m'étendre plus à loisir), les ballets du premier romantisme étant finalement peu nombreux sur les scènes, je me suis particulièrement déplacé pour voir danser Tamara Rojo, ancienne étoile du Royal Ballet (celui de l'Opéra, à Covent Garden) et actuelle directrice artistique de l'English National Ballet qui donnait ce Corsaire.

L'English National Ballet est l'une des principales compagnies du Royaume-Uni, et la seconde d'Angleterre en termes de prestige, une grande maison. Son statut historique n'est pas le même que celui du Royal Ballet : l'ENB est fondé en 1950 par d'anciens danseurs des Ballets Russes de Diaghilev, et descend donc d'une autre tradition. À l'heure actuelle, en matière de répertoire comme de style, la distinction n'est plus guère sensible : on y voit d'abord les grands ballets du répertoire, les mêmes qu'ailleurs – et vu que ses danseurs émanent des mêmes écoles que ceux du Royal Ballet, la manière n'est pas russe non plus.

Pourquoi Tamara Rojo ?  Je l'ai dit, je suis assez peu versé dans le ballet (du moins dans sa dimension visuelle), or Tamara Rojo est l'une des très rares interprètes à m'avoir paru, au delà des gestes techniques omniprésents dans le ballet romantique, s'intéresser au jeu scénique : lorsqu'elle danse, le geste semble avant tout destiné à exprimer une situation, un affect – là où la quasi-totalité des autres exécutent avant tout une épure géométrique, beaucoup plus symbolique que dramatique. Par ailleurs, atout tout à fait superflu en salle mais non négligeable en vidéo, son visage aussi est très mobile, ce qui concourt à cette impression d'évidence expressive. Elle n'est évidemment pas la seule, mais je perçois de ce point de vue un seuil qualitatif très impressionnant, même par rapport aux autres danseurs qui m'intéressent.

Pourtant, je ne croyais pas la voir un jour en salle (se produisant essentiellement en Angleterre, et passée du côté de la direction artistique…), mais la voilà, à 41 ans (âge rare dans le milieu pour des premiers rôles dans de grandes compagnies sur de grandes scènes, sauf erreur), comme un oiseau blessée, mais distillant les mêmes vérités qu'à l'ordinaire. Les costumes de la version Holmes sont très peu clairs, et le synopsis diffère du ballet original de Mazilier, et pourtant, à chaque fois qu'elle a paru dans une situation équivoque (premiers pas à l'acte I, costume identique aux autres dans le rêve d'opium du Pacha au III), j'ai immédiatement reconnu qu'un charisme hors du commun s'exprimait et que, soudainement, la danse m'intéressait.
        Par ailleurs, ce que j'avais peut-être moins senti jusqu'ici, sa danse ruisselait d'enthousiasme, du plaisir d'être sur scène – alors qu'on voyait bien, à l'amplitude légèrement réduite de certains gestes, qu'elle devait un peu souffrir. [Fait amusant : elle était, encore plus que ses partenaires, souvent en décalage avec le temps exact musical, et malgré cela, paraissait davantage reliée à l'œuvre que les autres…]
        Très belle expérience, l'une de celles qui figuraient sur ma liste de spectateur avant d'aller roupiller dans du marbre.

Par ailleurs, entourage remarquable : énormément aimé la forme de souplesse particulière de Ken Saruhashi en marchand d'esclaves (chaque geste comme arrondi, chaque épisode comme lié, au lieu d'une suite un peu carrée de mouvements codifiés), et convaincu comme tout le monde par Cesar Corrales dans l'athlétique rôle de l'ami fidèle Ali. Une de ces parties héroïques, les plus immédiatement visibles en termes de virtuosité et des plus facilement accessibles pour les néophytes. J'étais dubitatifen voyant qu'il rafflait de très loin la mise des applaudissements (pour ce type de spectacle avec un titre et une maison relativement moins célèbres, on ne trouve pas de gros contingents de profanes), mais les balletomanes initiés m'ont confirmé qu'il était particulièrement exceptionnel. Pour ma part, même si, en bon naïf, j'aime toujours les grosses cabrioles viriles des messieurs, je lui ai surtout trouvé une identité visuelle immédiate (tenant aussi à la chorégraphie, qui l'individualise avec des positions et des pas spécifiques, toujours dirigé vers le mouvement, comme une flèche), qui procurait de la consistance, presque une psychologie, à un personnage d'adjuvant autrement assez vide de sens.

Pour être tout à fait crédible, je suppose qu'il faut dire du mal de quelqu'un (excuses à Isaac Hernández) : notre rôle-titre, déjà de « format lyrique », paraissait peu préparé à jouer les rôles héroïques, et encore moins les mauvais garçon ; par ailleurs, je l'ai trouvé d'une froideur extrême, exécutant une suite de contraintes sans chercher à exprimer – mais j'aurais mauvaise grâce à distribuer les mauvais points dans un art que je ne comprends pas !  Globalement, donc, beaucoup de danseurs (de comédiens ?) de grande qualité dans une seule soirée, tout ne peut pas toucher tout le monde (là aussi, on m'a confirmé qu'il était très bon).

Ce sera tout pour les gambaderies, enfonçons-nous à présent dans les choses sérieuses.



cesar corrales corsaire ali
Cesar Corrales en Ali, objet de toutes les extases balletomanes à ce que j'ai pu lire un peu partout. Dans sa posture inclinée spécifique.




2. Au pays de la bidouille : le rapport à l'original dans le ballet

2.1. Scénographie

Les costumes de Bob Ringwood sont assez étranges, à plus d'un titre.

Ils individualisent assez mal les personnages. L'esclave-vedette Gulnara ne se distingue quasiment que par un chignon, avant de changer de tenue à de multiples reprises – c'est heureusement à peu près le seul physique d'Extrême-Orient plateau, ce qui nous sauve. Les pirates (oui, chez Mazilier, le Corsaire, c'est le chef des pirates) sont habillés de façon assez aléatoire comme les gens du peuple ; on les reconnaît uniquement à ce qu'ils dansent des solos… Par-dessus tout, Conrad (le Corsaire), dans son élégant (et pas très mâle) habit turquoise simili-Renaissance, ressemble davantage à Charmant qu'à un bandit, même adouci par l'amour. Les autres productions du Corsaire adaptées de Petipa (on trouve des bandes récentes du Bolchoï et du Capitole de Toulouse, notamment) le vêtent de façon beaucoup moins équivoque, du gentleman des mers au pirate à bandeau.

Par ailleurs, même si la tradition remonte en amont de la chorégraphie de Holmes, je me demande quand sont apparus ces bikinis omniprésents sur scène… je doute fort qu'il ait été licite, en 1856, d'exhiber aussi ouvertement tout le ventre des danseuses (et davantage pour les plus charnues) – là, il y a plutôt un petit côté Leïa-à-tutu, si je puis me permettre. Pour moi, ce serait forcément une licence du XXe siècle, mais le ballet servant ouvertement, au siècle précédent, aux vieux messieurs opulents qui souhaitent entretenir de près la jeunesse (ainsi qu'en attestent tout à la fois le cahier des charges musical et l'architecture des théâtres, à commencer par Garnier), je fais peut-être erreur.
Toute remarque érudite, toute piste de lecture appréciées (ici comme pour le reste de la notule).

Les décors sont aussi dûs à Bob Ringwood ; comme il se doit, ils se distinguent par un sens du kitsch assez évolué, dignes du meilleur Ketèlbey, en particulier à l'acte II, qui cumule la grotte, le trésor rutilant, l'ouverture sur la mer déserte et le clair de lune parfait (sans parler des danses de pirates qui s'y tiennent) !  Mais dans le contexte de cette musique naïve et de ce type de ballet traditionnel, c'est aussi ce qu'on attend, et assez jouissif en fin de compte, y compris en le percevant au second degré, au filtre de tous les films de flibusterie diffusés depuis la mort d'Adam et Petipa…


2.2. Rémanence de la forme

Une des grandes vertus de cette œuvre est d'échapper à la dimension uniquement décorative de bien d'autres ballets romantiques (supposément des ballets-pantomimes, mais ne consistant quasiment qu'en une suite de réjouissances sans lien avec l'action) : à défaut de psychologie (vraiment pas le propos, clairement), il y a beaucoup d'action à inclure, et donc beaucoup de pas d'action, de grands ensembles, des finals développés. On ne peut pas se contenter de fêtes et de variations, même si on en a bon compte, en particulier dans le rêve  d'opium du Pacha (ajoutée en 1867 avec la musique de Delibes). Par ailleurs le sujet, jusque dans les scènes de réjouissances, se prête à une veine plus exotique et plus héroïque, un peu moins limitée de l'extatique pur.

Néanmoins, le tout reste uniquement conçu pour faire briller une compagnie, et les liens de nécessité paraissent très ténus entre les différents numéros. J'ai l'impression, en réalité, que le ballet (contrairement à l'opéra) n'a jamais cherché, à partir de la fin du XIXe siècle et jusqu'à nos jours, à s'aprocher du réel. À l'Opéra, on a représenté en abondance et avec succès des ouvrages véristes (La Bohème de Puccini ou Leoncavallo, I Pagliacci, Cavalleria Rusticana…), naturalistes (L'Attaque du Moulin de Bruneau, La Lépreuse de Lazzari), des schizophrènes (Wozzeck de Gurlitt ou Berg), des prostituées (Lulu, Eugène le mystérieux), des tueurs en série (Lulu), des bagnards (Z mrtvého domu, Lady Macbeth de Mtsensk) et, pire que tout, des musiciens de jazz (Johnny spielt auf).

Je me doute bien que ça a été fait, mais dans le grand répertoire du ballet (alors qu'il y a une place majeure pour les musiques « négatives » et les personnages dépravés de Janáček, Berg ou Chostakovitch dans les saisons d'opéra), on trouve surtout des aventures très formelles, qui introduisent des numéros très segmentés et codifiés. Comme de l'opéra seria ou du belcanto romantique.
        Et quand les ballets sont du XXe siècle, soit on prend des standards de la musique de concert (le Sacre du Printemps est maintenant devenu assez familier, et les nouvelles chorégraphies ont rarement la crudité de Nijinski), sont on utilise des scies du répertoire pré-1900 (du Bach, du Chopin…) ou de la musiquette contemporaine (Glass semble être un gros client des compagnies de ballet – et, certes, son caractère motorique s'y prête, malgré l'absence patente de musique). Très peu de sujets très sombres et de musiques denses, en réalité. Le sommet étant atteint avec ces chorégraphes vivants qui commandent des orchestrations de pièces pour piano de Chopin ou Tchaïkovski, par les plus mauvais orchestrateurs vivants – franchement, faire d'Onéguine une œuvre sérieuse en s'appuyant sur les danses de salon de Tchaïkovski transcrites pour orchestre à cordes, comme chez Cranko, il faut avoir la foi.

Je parle là du répertoire des grandes maisons, qui utilisent des orchestres complets et non de la musique enregistrée (ou de petits groupes) : j'ai bien conscience que la danse est un univers riche qui a exploré beaucoup de formes et de sujets potentiels. Mais là où les institutions officielles promeuvent un opéra au besoin trashisant (avec des commandes à Neuwirth et Jelinek, quelquefois simultanément !), je ne vois rien de tel dans le domaine du ballet, sauf à aller sur de plus petites scènes, plus spécialisées.
        Je ne vois de toute façon dans les périodes récentes, même en élargissant le spectre, pas beaucoup de musiques audacieuses majeures écrites dès le départ pour le ballet, passé le début du XXe siècle. (Mais Piège de lumière de Damase reste un bijou qu'on ferait bien d'enregistrer, soit dit en passant.)
       Et à dates égales, les sujets et les traitements des ballets sont assez spectaculairement aimables par rapport aux opéras sanglants qu'on jouait simultanément dans les mêmes maisons…

Toute contradiction bienvenue.


2.3. Tripatouillages en série de l'argument

Verdi avait suivi d'assez près les péripéties de Byron (ce n'est pas une rumeur, je l'ai vérifié avec mes petits yeux plissés et mon air d'adolescent inspiré), mais on voit bien la difficulté d'en rendre les états d'âme sous forme de ballet (qui occupent le plus clair du poème, quasiment tout le chant I, une majorité du chant III, et une raisonnable portion du chant II où se situe toute l'action).

Néanmoins, les retournements du chant II, où Conrad se révèle dessous un déguisement pieux, rapide vainqueur et soudain vaincu, et où les vers de Byron deviennent trépidants, véritable explosion de cape et d'épée, sont tout à fait délaissés par l'argument du ballet. Quand Conrad veut enlever quelqu'un, il l'enlève. Et c'est tout.
        De la même façon, malgré la fin très abrupte de l'orage (dont j'aime beaucoup la gratuité, soudaine intrusion de l'aléatoire du réel dans un conte tout à fait prévisible), Saint-Georges et Mazilier ont prévu une fin heureuse où Medora et Conrad se retrouvent après le naufrage – tandis que leurs amis et sauveurs ont péri noyés, mais on s'en moque, ils n'avaient pas de psychologie exploitable de toute façon.

Le rôle de Gulnara est réduit à presque rien dramatiquement : elle danse beaucoup, mais n'a plus aucun rôle dans l'action du ballet – chez Byron (et subséquemment Verdi), elle est le pivot essentiel de l'intrigue (elle résiste aux pirates tout en permettant à Conrad de s'échapper), tandis que Medora reste tranquillement mourir à la maison.
        Dans les utilités, Ali l'ami inaltérable (enfin, il pourrit au fond de la mer à la fin) et Birbanto le Judas exécrable sont bien sûr des produits de l'imaginaire (très limité) des librettistes de ballet. Rien que les noms en attestent spectaculairement.

Le marché aux esclaves initial, qui fait des deux héroïnes des paquets de chair fraîche (et permet d'exhiber celle, peut-être moins fraîche, des autres esclaves), est à ce titre aussi éloigné que possible de l'atmosphère introspective et bagarreuse qui entoure l'épopée de Byron au héros maudit.

Plus fort encore, Anna-Marie Holmes n'est pas fidèle au livret originel (sans doute ne reprend-elle que des modifications antérieures, je n'ai pas comparé toutes les versions documentées en vidéo, chaque compagnie a son propre fond de sauce) : Medora est censée être la pupille de Lankendem, le marchand d'esclaves, et cédée à l'insistance du Pacha  (alors qu'ici son aimable mécène semble ravi de la faire danser à demi-nue sur la place du marché), et être enlevée au II par les conspirateurs, alors que Lankendem le fait tout seul chez Holmes, à leurs nez et barbes (lui sauvant peut-être la vie) – pourtant Conrad et ses amis apparaissent au III dans le palais avec les costumes des conspirateurs, censés s'être lancés à la poursuite de Medora (avec leurs vêtements, donc).
        Tout le double jeu de Birbanto, feignant devant Ali de protéger Conrad alors qu'il projetait de le poignarder, et finalement mis à jour par Medora qui l'avait blessé (à rebours de sa personnalité, étant la jeune fille comme il faut, contrairement à Gulnara, la femme du sérail capable de repousser les étrangers et de fomenter la révolte contre les siens), est aussi un ajout plus récent.
        Les visions d'opium du Pacha, avec les danses florales (connues sous le nom de Pas des Fleurs) qui n'ont rien à voir et qui occupent une bonne partie de l'acte III, servaient à complaire à Adèle Grantzow qui reprenait le rôle de Médora à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1867, et ont été conservées, avec la musique de Delibes écrite pour l'occasion, jusqu'aux versions les plus récentes. L'ensemble du tableau est développé lors des reprises russes par Petipa (sous le nom de Jardin animé), avec de nouvelles musiques (de moindre valeur, Delibes n'étant déjà pas au faîte de sa gloire ici).

Cette liberté prise dans l'adaptation, et cet empilement de traditions entrelacées, vers des œuvres très composites, est caractéristique du ballet, et on ne peut s'empêcher de s'émerveiller de la distance qu'il y a avec le traitement religieux de la musique au concert et même à l'opéra…
        Or, au ballet, la musique, tout le monde s'en moque, et elle est traitée de la même façon que le reste, j'y viens.


2.4. La musique : Adam dépecé

Par rapport à ses meilleurs opéras (Le Farfadet !) ou ballets (Giselle, bien sûr), la partition du Corsaire est très inférieure, mais comme on ne croule pas sous les ballets du premier romantisme avec musique originale, on est très content de l'entendre. [Adam n'est de toute façon pas un compositeur majeur de cette génération, très loin, sans même mentionner Meyerbeer ou Berlioz, de la maîtrise et de l'inventivité d'Hérold, ou même des ponctuels coups de génie d'Auber.]

Pourtant, l'état de la partition fait dresser les cheveux sur la tête : que reste-t-il de l'œuvre originale ? 

Dès 1858, l'œuvre voyage en Russie (avec Petipa comme danseur, qui reprend ensuite le ballet comme chorégraphe), et s'y installe durablement, avec de régulières reprises et nouvelles productions, y compris au fil de l'ère soviétique. C'est par là, semble-t-il, qu'elle revient en Europe Occidentale (sortie du répertoire en France à l'issue des représentations de 1867), le phénomène culminant avec la prestigieuse production en tournées multiples de l'English National Ballet en ce moment à Paris.

Au fil de ses voyages dans divers pays, les chorégraphes ayant pour tradition de reprendre à leur façon le travail des autres (et en particulier de Petipa…), c'est-à-dire de n'inventer quoi que ce soit ni de respecter rien, les nouveaux pas et les nouvelles musiques s'amoncellent. La version de Holmes est ainsi une adaptation de la reprise de Segueïev/Sergeyev faite (d'après Petipa…) pour le Kirov en 1973.

De fait, les principales modifications du Corsaire proviennent des productions russes.  Sur le programme, on peut donc désormais lire : musique d'Adolphe Adam, Cesare Pugni, Léo Delibes, Riccardo Drigo, Prince Pyotr van Oldenburg, Ludwig Minkus, Yuly Gerber, Baron Boris Fitinhof-Schnell, Albert Zabel et J. Zibin. Ce pourrait être drôle s'il n'y avait à la fois le nom de Minkus, d'autres noms encore plus négligés (et pour certains négligeables) de l'Histoire de la musique, et le signal implicite que la tradition de l'ajout, poussée à un tel degré, signifie aussi retrancher.

Pugni, Minkus et Drigo appartiennent à trois générations successives de maîtres de ballet à Saint-Pétersbourg, séparés par respectivement 25 et 19 ans. Contrairement à ce qu'on pourrait craindre au demeurant, considérant la qualité de la partition d'origine (si, si, la fanfare aux sabres, au I, est bien d'Adam, si j'en crois l'enregistrement de Bonynge), ce n'est pas forcément un méfait musical. Les ajouts russes remplacent une partie du pittoresque par du sentiment, avec de grands pas de deux qui sont parmi les moments les plus inspirés musicalement : l'un d'eux (le premier de l'acte II, à mon avis) est dû à Pugni (comme la tempête finale, bien plus concise et frappante que celle d'Adam), et l'autre (probablement le second, avec son simili-Tchaïkovski, cordes lyriques et ses cors en syncope avec frottements de secondes) correspondrait davantage à la génération de Drigo, qui a aussi marqué significativement la partition.
        J'ai fouillé quelques heures dans les ouvrages spécialisés et les articles d'érudition pour pouvoir retirer ces quelques réponses (la meilleure source, et la moins chronophage, émanant des musiciens de fosse), ce qui est symtomatique et très déconcertant, pour le mélomane.

Dans le même temps, dans l'univers de la musique classique, et même à l'opéra où la liberté scénique est devenue très grande, on ne tolère pas la moindre liberté (même un rubato excessif peut être reproché), et si l'on peut accepter les coupures, tout ajout, même bon, causerait un scandale considérable. L'authenticité, mirage mainte fois mentionné dans ces pages, est même un argument de vente majeur pour les éditeurs, qui proposent de revenir au souhait premier du compositeur, même inférieur, même inachevé, même désavoué par lui-même. Un professionnel ne saurait exercer autrement qu'Urtext sous le bras.

Aussi, constater cette désinvolture extrême envers la musique peut paraître un peu urticant au profane. Non seulement parce qu'on mélange les époques, et pour des raisons purement balletistiques, sans rapport avec la qualité musicale (et cela s'entend !) ; non seulement parce qu'on juxtapose des pièces qui n'ont plus de rapport entre elles, n'ayant même pas été ajoutées dans les mêmes versions du ballet aux mêmes époques et aux mêmes lieux… mais pire que tout, il est excessivement difficile de retrouver la paternité des morceaux. Sauf à posséder le bon ouvrage, aucun document aisément accessible (même sur les sites de danse en ligne, même dans les ouvrages généralistes sur la danse) ne fournit le détail. Pour les ballets plus récents, on trouve (Onéguine de Cranko-Stolze ne m'avait pas posé de problème insurmontable), et pour les grands standards, on finit par trouver (beaucoup de strates dans la Fille mal gardée d'Ashton-Lanchbery, mais il existe suffisamment de documents pour recouper l'essentiel) ; mais quand la tradition s'en mêle depuis trop longtemps, sauf à tomber sur la perle rare qui a déjà fait le travail, c'est assez difficile – et manifestement personne n'en a rien à faire. Les mélomanes méprisent la superficialité du ballet, les balletomanes ne remarquent même pas qu'il y a de la musique. Avec ça, allez vous informer !
       J'ai vu, en faisant mes petites recherches pour cette notule, qu'il existait des articles scientifiques qui débattaient de l'état possible des premières versions de la partition de Giselle !  Alors, allez remonter le fil du temps pour des pièces moins courues (et musicalement moins stimulantes)…

On en est en réalité exactement à front renversé de la logique musicale actuelle, où la musicologie est l'horizon indépassable, et où l'on a toujours besoin d'habiller tout de justification historique – même quand c'est pour faire n'importe quoi. Si l'on veut faire de l'improvisation libre ou introduction des instruments modernes ou exotiques, on ira au besoin faire un peu de psychologie sur le caractère ouvert des musiques et des musiciens, comme Bach qui aurait bien sûr repoussé comme pour son orgue les limites de la guitare électrique façon Meshuggah, ce qui rend légitime une petite basse amplifiée dans le continuo. Mais la plupart du temps, on s'interdit plutôt qu'on ne s'autorise, avec ce raisonnement ; pas question de changer une note.
       Le ballet semble être resté sur l'ancienne école, celle qui prévalait à l'opéra avant la (salutaire, cela dit) révolution baroqueuse : l'empilement des traditions ininterrompues. Le public vient voir ce qu'il a déjà vu, vient assister à la reproduction d'un patrimoine où se mêle, espère-t-on, le meilleur de toutes les époques, et où chacun apporte sa pierre individuellement, sans trop s'occuper de l'origine de l'œuvre qu'il colporte.

J'essaie de ne pas juger (car je trouve un peu triste cette culture de l'interdit dans la musique classique), mais il m'est quand même difficile de ne pas trouver l'attitude du ballet vis-à-vis de la musique irrespectueuse et assez poussiéreuse, je dois le confesser.

Pour les musiciens aussi, ça semble le cas : même avec des bijoux absolus du patrimoine musical comme La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, je n'ai jamais entendu l'Orchestre de l'Opéra de Paris s'ennuyer aussi ostensiblement… Comme un réflexe, ne pas s'engager trop dans un domaine où on ne leur laisse qu'une place résiduelle.



adam_corsaire_orage_partition.png
La partition en réduction piano de la tempêtes aux audaces harmoniques (peu) fulgurantes (aplat de I à la truelle, ça s'appelle).
Manuscrit russe des années 70, lors de l'avènement de la chorégraphie de Sergueïev, servant de base à d'autres versions ultérieures, dont Holmes.





3. Écouter la musique au ballet

À ce titre, l'Orchestre Colonne ne s'en sort pas mal : assez peu engagé à l'acte I (il est vrai constitué d'une redoutable suite de fanfares particulièrement indigentes), il semble qu'il s'implique davantage dans les actes II et III, où les pas d'action sont plus nombreux et la musique moins décorative. Le timbre général reste un peu fruste, mais point de mollesse (même si, visuellement, on peut repérer un engagement très inégal d'un musicien à l'autre). Comme toujours, leurs qualités compensent nettement leur moindre maîtrise technique par rapport à la prestigieuse concurrence parisienne.

À ce jour, à Paris, c'est l'Orchestre des Lauréats du Conservatoire (dans Sauguet et Damase !) qui m'a fait la meilleure impression en fosse, aussi bien en moyens techniques qu'en investissement (sans bondir sur leurs chaises non plus).

À Londres, l'English National Ballet est accompagné par l'English National Ballet Philharmonic, orchestre ad hoc qui n'a pas fait le déplacement. J'en ai un souvenir assez positif si c'est bien lui qui officie dans le DVD, avec un beau son et une énergie très honorable.

J'ai été surpris, lors de la représentation, par le peu d'applaudissements du public sur la musique : en général, on applaudit les entrées (était-ce le côté peu clair de la première apparition de Rojo ?), et on n'attend pas la fin de la musique. Or, excepté la fin bien sûr, tout à fait couverte sur ses dernières secondes (je suis résigné pour le ballet, voire pour l'opéra italien, donc ça m'indispose finalement moins que dans les opéras germaniques ou au concert – fait partie du jeu, disons), les spectateurs attendent la fin des numéros pour réagir. Peut-être est-ce aussi leur écriture facétieuse (souvent un silence avant le dernier accord) qui retient les connaisseurs. [Car je suppose que, pour une œuvre qui n'est pas dans le top 20 des titres, pas d'un chorégraphe célèbre, avec une compagnie qui n'a pas un nom qui claque immédiatement pour le grand public, malgré son prestige chez les initiés – un peu comme si on parlait de la Staatskapelle de Dresde à l'homme de la rue… Berlin ou Vienne, soit, mais Dresde, est-ce que ça exalterait le candide ? –, une bonne part du remplissage tenait aux vrais amateurs de danse, désireux de voir autre chose que le ballet local, malgré son excellence.]
        En tout cas, même si pressens vaguement qu'il s'agissait plutôt d'une coïncidence liée à l'œuvre, agréable surprise de ce côté, ça ne hurlait pas TamarAAAAA dans tous coins, même si je ne m'en serais pas vraiment offusqué.

Outre le double disque Bonynge / English Chamber Orchestra, qui présente le ballet d'origine et les ajouts de Delibes pour Mlle Grantzow, vous avez peut-être plutôt intérêt, pour une adaptation plus proche de la lettre (à défaut d'en retranscrire l'atmosphère), à vous tourner vers l'opéra de Verdi, l'un de ses meilleurs titres de jeunesse, d'une veine mélodique discrète, mais davantage sans façon que belcantiste. On y entend, dans le trio avec chœur final, des esquisses de Rigoletto (le quatuor et les finals). Je recommande en particulier la gravure exaltante faite lors du festival de Parme dans l'intégrale C Major (Montanaro, avec Lungu, Dalla Benetta, Ribeiro, voix et postures extraordinaires).



Malgré toutes ces considérations, une très belle soirée, il y a de quoi remplir des cars de futurs initiés, si l'on est un peu sensible à l'expression simple et généreuse de ce type de spectacle. Mais ma satisfaction me fournissait un sujet de notule moins stimulant que toutes ces interrogations.

Donc beaucoup de questions comme vous le voyez, auxquelles j'ai essayé d'apporter autant que possible mes propres réponses en fouinant un peu, mais tout prolongement et tout éclairage (en particulier concernant l'attribution et l'intérêt de la musique) seraient hautement appréciés.

mercredi 6 avril 2016

Persée de LULLY en 1770 : Dauvergne, qu'as-tu fait ?


Un immense concours, par LULLY attiré,
Découvrit l'imposture tout écumant de rages :
Qu'aurait Dauvergne osé ? – Grands gestes et visages
De toutes parts tournaient vers l'oracle admiré.

Bref, on me demande, je réponds.

Le Concert Spirituel joue, dans une distribution éclatante constituée des meilleurs spécialistes (M. Vidal, Guilmette, Christoyannis, K. Watson, Teitgen, Kalinine, Santon, Lenormand, Dubois, Dolié, Z. Wilder !), Persée de LULLY, mais dans sa dernière révision de 1770, celle qui fut chantée par Sophie Arnould (1,2,3,4) et Henri Larrivée !
Le concert vient d'être donné à Metz et passe ce soir au Théâtre des Champs-Élysées, la semaine prochaine à l'Opéra Royal de Versailles.

En 1770, il s'agit d'agrémenter le mariage de Marie-Antoinette d'Autriche avec le Dauphin, et d'inaugurer l'Opéra Royal du château de Versailles, rien de moins.

Comme c'était l'usage tout au long du XVIIIe, les tragédies en musique dotées du plus grand succès sont reprises, mais adaptées au goût du temps. Les poèmes de Quinault étaient réputés indémodables, et malheur à ceux qui y touchaient, tel Pitra pour Racine, pour les besoins de la cause – Marmontel fit les frais de ces quolibets pour Atys recomposé par Piccinni et, justement, pour une récriture de Persée, en 1780 (toute la musique y est, semble-t-il, de Philidor).

En principe, comme la sobre galanterie des vers de Quinault et l'expressivité de la prosodie de LULLY sont considérées comme inégalables, les adaptateurs récrivent surtout l'Ouverture, les danses, vers une forme plus vive (plus ramiste, pourrait-on dire), et certains airs. L'essentiel des récitatifs est en principe conservé.

Ces adaptations vont aussi dans le sens d'une plus grande concision du texte : il n'est pas rare, comme ici, que les cinq actes en deviennent quatre. Malgré les remarques désagréables sur le livret (j'y reviens),la musique a rencontré un assez beau succès.



1. Pourquoi jouer cette version adaptée ?

Je vois plusieurs motivations assez puissantes, et ce n'est pas la suppression du Prologue pour faire plaisir à Hervé Niquet, puisque Bernard de Bury en a composé un autre un nouveau texte (sera-t-il joué ?).
Comme précisé en commentaires : ce Prologue a été composé en 1747 par Bernard de Bury, et n'a pas été repris dans la version de 1770. (Vu l'aspect très post-ramiste de l'Ouverture, voire gosseco-grétrysant, je gage qu'elle a aussi été récrite en 1770, peut-être plutôt par Dauvergne, en charge des actes I et IV – hypothèse confirmée par le document reproduit ci-après.)

¶ L'intérêt pour les chercheurs, auxquels sont adossés les concerts du CMBV : on parle souvent de ces adaptations, et on les entend peu. Ou alors des refontes du compositeur (versions de Castor et Pollux ou de Dardanus de Rameau), ou des recompositions comme l'Armide de Gluck ou l'Atys de Marmontel ; mais les remises à neuf d'opéras de LULLY avec conservation de portions anciennes, c'est très rare. Il faut donc au moins essayer pour voir – même si les LULLYstes qui rôdent dans ces pages seront forcément déçus de la ramisation rampante de la bonne musique.

Persée a déjà été donné récemment à l'Opéra Royal de Versailles, et n'a pas la réputation d'Atys ou d'Armide pour maintenir un public aussi fréquemment : c'est une façon de renouveler l'intérêt du public d'aujourd'hui aussi, de suggérer qu'on redonne du neuf. (Même si je crois que, justement, le public est rassuré par la présence de noms et de références familiers.)

¶ Enfin, même s'il n'a guère été mis en avant, l'argument de l'inauguration de l'Opéra Royal et du mariage du futur Louis XVI a sans doute un aspect assez flatteur pour ceux qui aiment à s'imaginer dans les chaussons des Grands d'autrefois, vivre le frisson de l'histoire en se figurant qu'on pourrait, soudain, s'incarner dans un quelque-part (confortable) du passé.

Je crois cependant que l'argument « recherche du CMBV » est le plus pertinent, dans la mesure où un titre célèbre de LULLY est meilleur moyen de remplir que tous les autres argumentaires évoqués ; et dans la mesure, aussi, ou le CMBV décide bel et bien de la programmation en fonction des actualités de sa propre recherche.En témoigne le colloque dont vous pouvez trouver, ici, le détail.



hôtel de luzy putto dauvergne
Lullyste après un soir de Dauvergne, stuc vers 1770.
Hôtel de Luzy, 6 rue Férou à Paris.




2. À quoi ressemble le livret ?

C'est donc la question qui m'a été posée sans relâche. Voici un début de réponse.

Le livret a été remanié pour l'occasion par Nicolas-René Joliveau, secrétaire perpétuel de l'Académie (Royale / Française) ; le poème dramatique est d'1/3 plus court que celui de Quinault, dont il n'a donc conservé que la moitié – le texte final ne contient donc qu'environ1/5 de vers nouveaux.

En réalité, Joliveau coupe ce qui est (paradoxe, considérant le goût dramatique et musical du temps !) le plus décoratif, et conserve l'action principale de Quinault. Il fusionne l'action des actes IV et V – il est vrai que cette double fin était bien étrange, de nouvelles péripéties surgissant à coup de magie une fois la victoire remportée contre la Gorgone, les réunir dans un acte unique n'a rien d'absurde. Nombre de rôles campant simplement un caractère précis (le Grand Prêtre…) disparaissent, et les parents d'Andromède (Mérope et Céphée) sont réduits à laportion congrue.

Le chœur est au contraire élargi, et ses dernières interventions, de même que la tirade de Vénus écrite par Joliveau (« Hymen, d'un jour si beau consacre la mémoire ») ou la passacaille du divertissement final, célèbrent à mots à peine voilés l'union du Dauphin et de la Dauphine.

Les critiques les plus violentes subies par Joliveau (car il était indispensable d'adapter Quinault & LULLY, mais adaptateurs se faisaient toujours démolir pour leur incompétence ou leur impudence, surtout les poètes !) portent sur la « correction » de 11 vers de Quinault, conservés mais altérés, ce qui a suscité une ire dont mesure mal la force si l'on ne lit pas les imprécations des contemporains.



3. Que contient la musique ?

Les visuels de promotion du spectacle ne sont pas très clairs, puisqu'il reste du LULLY, largement remplacé / augmenté par Antoine Dauvergne, qui n'est pas le seul à officier, puisque François Rebel (acte II) et Bernard de Bury (acte III) contribuent aussi.

Les notices bibliographiques du Fonds Philidor (il faut aller chercher dans l'aborescence, donc je reproduis l'information ci-après) détaillent la contribution de Dauvergne :

 ACTE I [Vol. 1]
 - p. 1-13 : Ouverture. Fièrement, sans lenteur, puis Allegro, Ut Majeur, C/, 3
 [SCÈNE 5]
 - p. 23 : Ritournelle, sol mineur, 2
 - p. 29 : Annonce, sol mineur, 2
 - p. [30-[32] : Marche, sol mineur, 2
 - p. 33-41] : Trio et Choeur. O déesse veillez sur nos jours (Trois Éthiopiens, Choeur), sol mineur, 3
 - p. 43 : Air grave pour la lutte, Ut Majeur, C/
 - p. 44-54 : Air vif. Presto, Ut Majeur, 3
 - p. 55-61 : Air pour l'exercice de l'arc. Presto, Ut Majeur, 6/8
 - p. 62-63 : [Air et Choeur]. [Des beaux noeuds de l'hymen] protectrice adorable (Une Éthiopienne, Choeur), la mineur, 3 [début raturé]
 - p. 64-65 : Air pour la danse gracieuse. Voluptueusement, La Majeur, 3 [2e partie raturée]
 - p. 65-[67] : Air pour la danse vive. Gaiment, La Majeur, 2
 - [68]-[73] : 3e Air pour la danse gracieuse et vive en même tems. Allegro, La Majeur, 2/4
 - p. 74-84 : Choeur. Fière trompette éclatez dans les airs, Vivement, Ré Majeur, 2
 - p. 87-88 : Entracte, Sol Majeur, C/
 
 ACTE IV [Vol. 2]
 [SCÈNE 2]
 - p. [59]-[67] : [Duo] Les vents impétueux (Mérope, Phinée), Si b Majeur, 3 [quelques bribes vocales de Lully]
 SCÈNE 3
 - p. [67]-[71] : Choeur [et récit] O ciel inexorable (Mérope, Phinée, Un Éthiopien, Choeur), sol mineur, 2 [quelques fragments de la musique de Lully]
 SCÈNE 6
 - p. [90bis] : Duo. Les plus belles chaînes [Andromède, Persée], si mineur, 3
 - p. [91]-[93] Bruit. D'où naît ce bruit ? (Cephée), Ré Majeur, 2
 SCÈNE 10
 - p. [100]-[102] [Air] Cessons de redouter la fortune cruelle (Persée), Ré Majeur, 3
 - p. [103] : [Récit] Mortels, vivez en paix (Vénus), si mineur, 3
 - p. [103]-[104] : [Air] Grâces, jeux et plaisirs (Vénus), Si Majeur, 3/8
 - p. [105]-[113] : Choeur. Gaiment. Chantons, célébrons le beau jour (Vénus, Choeur), Si Majeur, [3/8]
 - p. [114]-[116] : [Air instrumental]. Legerement, Si Majeur, 2
 - p. [116] : [Récit] Hymen, de ce beau jour (Vénus), Si Majeur, 2
 - p. [117]-[123] : [Air] L'aimable Hébé, le dieu des coeurs (Vénus), Si Majeur, 2
 - p. [125]-[130] : Passacaille. Du plus doux présage (Choeur), MI Majeur, 3
 - p. [131]-[132] : 1er Air léger, Mi Majeur, 2
 - p. [133] : Ariette pour Persée [début uniquement]
 - p. [134] : 2e Air léger, mi mineur, 2
 - p. [135]-[154] : Ariette et Choeur. Vivement et fort. Sur l'univers règne à jamais (Persée, Choeur), Mi Majeur, 2/4
 - p. [155]-[160] : Chaconne, mi mineur, [3]
 - p. [161]-[182] : Chaconne a 2 tems, Gaiment, Mi Majeur, 2

Donc pas mal de choses, et je suppose que François Rebel s'est chargé de faire subir le même sort aux actes II et III.  (Couper du Quinault-LULLY supposément dispensable pour y fourguer des airs galants, sérieusement les gars ?)

Comme précisé en commentaires : en réalité, l'acte III a échu à Bernard de Bury.

On peut quand même y vérifier que si les danses sont très largement remplacées, un certain nombre de parties vocales d'origine sont préservées.

… Pour le reste, j'attends d'entendre la chose sur place. Pour les absents, un disque est prévu.



4. Après la représentation : état de la partition

Quelques compléments à l'issue du concert du Théâtre des Champs-Élysées.

Les coupures opérées par Joliveau accentuent le schématisme de l'action et des psychologies, dans un livret qui était déjà extrêmement cursif chez Quinault – ce sont encore Phinée (le rival) et Méduse qui ont le plus d'épaisseur, et le raccourcissement (mêlé d'interventions de circonstance et de galanteries pastorales ou virtuoses tout à fait stéréotypées pour 1770) ne font qu'accentuer ces manques. Ce n'est pas de côté-là qu'il faut chercher le grand frisson.

¶ Les LULLYstes ont pu constater avec effroi, pour ne pas dire avec colère, que le « Persée de Lully version 1770 » ne contenait finalement pas grand'chose de LULLY : les récitatifs (certes, c'est le plus important), quelques airs (arioso de Céphée, scène de Méduse) réorchestrés (plus de cordes, et beaucoup de doublures de vents pour épaissir la pâte, cors notamment), et telle ou telle portion (chœurs de l'acte IV-V, là encore renforcés orchestralement par l'ajout de fusées de violon). Mais, globalement, les parties instrumentales (même dans les accompagnements des parties originales, hors récitatifs) sont toutes neuves, et l'essentiel des airs et ensembles sont aussi remis au goût du jour. Il y surnage certes un peu de LULLY (l'acte III, qui contient les hits de Méduse et Mercure, a été assez peu touché contrairement aux autres), mais l'opéra sonne comme un opéra des années 1770 à 1800 (assez neuf pour 1770, même).
Le parallèle le plus honnête serait sans doute avec le Thésée de Gossec, qui en partage bien des recettes musicales (dont le spectaculaire traitement des chœurs de combat hors scène).
On voit bien le problème de vendre un spectacle « Persée de Dauvergne-F.Rebel-Bury avec des bouts de Lully réorchestrés », surtout avec notre réflexe de valoriser la singularité de l'auteur, mais mettre en avant le nom de LULLY était très trompeur, et avait d'autant plus de quoi désarçonner les auditeurs qui n'y auraient pas prêté garde… qu'il s'agit d'une esthétique d'un siècle postérieure !

L'effectif est déjà celui du Rameau tardif (Boréades) ou de la tragédie lyrique « réformée » d'après Gluck : adjonction de 2 clarinettes et de 2 cors à la nomenclature (2 traversos, 2 hautbois, 2 bassons). Le nombre de cordes sur scène est plutôt important (14 violons, 6 altos, 6 violoncelles, 2 contrebasses), mais c'était aussi, en réalité, le type de nombres présents du temps de LULLY (voire supérieurs) – même si on le joue désormais avec des proportions plus réduites (à ma grande satisfaction). Le contraste de ce point de vue relève donc de l'illusion d'optique.

¶ Le continuo est en train de disparaître : le clavecin accompagne bien sûr les récitatifs de la main de LULLY (avec un violoncelle), mais ne double pas tout le temps l'orchestre. Bien sûr, sa présence n'est jamais indiquée explicitement sur les portées, mais c'est bel et bien l'époque où il disparaît progressivement : il peut rester en fond (beaucoup d'ensembles spécialistes adoptent désormais, à l'exemple de Jacobs, le pianoforte à la place, pour raffermir le son d'orchestre), mais n'a plus du tout la même fonction d'assise, considérant les carrures beaucoup plus régulières (batteries de cordes fréquentes, c'est-à-dire le même rythme égal répété en accords). De fait, il devient facultatif, et chez Haydn ou Gossec, il n'est plus véritablement nécessaire – même s'il peut encore figurer, plus ou moins à la fantaisie du compositeur ou des interprètes, pour ce que j'en vois dans les disques (je n'ai pas creusé les contours exacts de l'historicité de cette pratique).

¶ Musicalement, le contraste est plus frappant à l'intérieur des actes (et pas seulement entre les parties originales et les parties récrites) qu'entre eux : le style disparate qu'exposent Dauvergne, F. Rebel et Bury est assez comparable d'un acte à l'autre.
Les danses, dont plus aucune n'est de LULLY, ont un aspect martial et tempêtueux assez étonnant, qui ne laissent quasiment pas de part à la galanterie ; un air de Persée et la grande tirade de Vénus tirent un peu plus sur la pastorale pour l'un, l'air galant pour l'autre (malgré son propos solennel, celui de célébrer les commanditaires !), mais globalement, on se situe plutôt du côté des plus mâles portions du Grétry de Céphale et Procris ou du Gossec du Triomphe de la République. Elles font au demeurant partie des plus réussies que j'aie entendues dans ce style – je crois bien que j'aime davantage ça que les belles danses un peu plus décoratives de LULLY (magnifiques, ne me faites pas dire autre chose).

¶ Au chapitre des étrangetés réussies, les parties autonomes et thématiques des violoncelles en certaines occasions (jusqu'ici, le baroque les réservait à l'assise de la ligne de basse, fût-elle vive et marquante) ; ou bien cet air vocalisant final chanté par Persée comme un héros ramiste… mais accompagné d'un tapis choral qui évoque plutôt les airs de basse des deux Passions de Bach…

¶ En fin de compte, l'aspect général ressemble à du Gossec (oui, vraiment proche de Thésée, mais avec des mélodies plus inspirées et un sens du drame plus exacerbé), où persistent les beaux frottements harmoniques de Rameau (le milieu du XVIIIe siècle étant plus audacieux harmoniquement, en France, que la période qui a suivi). Un très beau mélange, que j'ai trouvé pour ma part tout à fait enthousiasmant : plutôt qu'à un LULLY du rang, on a droit à une partition de premier plan de la « quatrième école » de tragédie en musique, qui combine, de mon point de vue, tous les avantages de la période : drame exacerbé (façon Danaïdes de Salieri), danses très franches et roboratives (façon Triomphe de la République de Gossec), éclats tempêtueux saisissants (façon Sémiramis de Catel), harmonie ramiste (façon Boréades, un langage qui n'est plus de mise dès Gluck), des ariettes virtuoses étourdissantes (là aussi, encore un peu ramistes, façon final de Pygmalion), mais sans les longueurs galantes (ni les fadeurs compassées dans les moments dramatiques) qui font souvent pâlir les opéras de cette période face à LULLY. Évidemment, la prosodie n'est pas du même niveau, mais ce demeure un opéra remarquablement réussi.

J'ai sans doute eu l'air un peu sérieux en décrivant ses écarts par rapport à l'original, mais le résultat, même en révérant LULLY, était particulièrement réjouissant, peut-être davantage même que l'original – car plus concis, moins prévisible aussi, considérant sa nature hétéroclite.



5. Après la représentation : quels moyens aujourd'hui pour jouer la tragédie en musique ?

Bien sûr, avant toute chose, il faut souligner combien l'offre, qui était à peu près nulle (en quantité comme en qualité) il y a 30 ans, est aujourd'hui généreuse, les nouveautés continuant à pleuvoir (même si ses anciens défricheurs émérites comme Herreweghe, Christie, Gardiner, Minkowski… sont partis enregistrer Brahms ou rejouer à l'infini leurs propres standards  – Niquet le fait aussi, mais en supplément et non exclusivement).
Chose particulièrement significative, les exhumations sont généralement adossées à des financements discographiques qui permettent de documenter le répertoire pour ceux qui n'habitent pas à côté de la salle de concert.

En matière d'interprétation aussi, on a beaucoup exploré, et les continuistes capables de réaliser des contrechants riches et adaptés à chaque caractère sont désormais légion. Néanmoins, je remarque quelques réserves récurrentes, qui étaient rares il y a 15 ans.

Bref, il y a tout lieu de se féliciter de la situation ; j'ai souvent écrit ici que nous vivons un âge d'or pour le lied, jamais aussi bien chanté (et notamment sous l'influence des recherches baroqueuses), de façon aussi précise et expressive (la comparaison avec les grands diseurs d'autrefois est même assez cruelle, tant leur rigidité éclate, quelle que soit la beauté de la voix ou la science rhétorique). On pourrait presque être tenté de dire la même chose pour le baroque… et pourtant, par rapport aux deux premières vagues de découvertes dans le répertoire français (de la fin des années 80 au début des années 2000), quelque chose manque.

Mercredi soir, donc, nous disposions d'un des meilleurs ensembles spécialistes et du meilleur du chant francophone pour servir l'œuvre.

¶ Le Concert Spirituel était particulièrement en forme : son empreinte sonore caractéristique, plus ronde que d'ordinaire chez les instruments d'époque, était aussi caractérisée ce soir-là par une homogénéité que je n'avais pas toujours noté en concert (de petits trous ou des inégalités ponctuelles dans le spectre sonore) ; le niveau semble avoir (encore) monté, et en plus de conserver ses qualités, il sonne avec autant d'assurance que dans ses meilleurs studios. La direction d'Hervé Niquet en tire chaleur et engagement constants, c'est formidable, et de ce point de vue, nul doute, instrumentalement ce répertoire n'a jamais été aussi bien servi qu'aujourd'hui.

Mathias Vidal est le plus grand chanteur francophone actuel chez les Messieurs (je suppose que chez les dames, l'honneur reviendrait à Anne-Catherine Gillet), et le confirme encore : le grain de la voix n'a pas la pureté des chanteurs les plus célébrés, mais c'est pour permettre une franchise des mots et une vérité prosodique extraordinaires (à l'inverse des voix parfaites qui s'obtiennent par un reculement des sons et un nivellement des voyelles), une éloquence, une urgence de tous les instants. Non seulement le texte est toujours très exactement articulé, mais il est aussi en permanence appuyé avec justesse, et pour couronner le tout ardemment incarné – trois qualités très rarement réunies, et à peu près jamais à ce degré, chez un même interprète. (Car il est possible d'avoir les bons appuis avec un texte peu clair ou des apertures fausses, ou en de disposer de tout cela sans en faire un usage expressif particulier, comme les grands anciens des années 50…)
Son principal défaut était finalement que la voix sonnait un brin étroite, limitée en volume. Ce n'est plus du tout le cas, et comme si la bride avait lâché, Vidal tourne le potentiomètre à volonté lorsque l'expression le requiert, dominant ses partenaires et l'orchestre. J'attends avec impatience son Parsifal dans la traduction française de Gunsbourg.


Le contraste avec le reste de la distribution est d'autant plus spectaculaire. Elle est loin d'être mauvaise, mais comment se peut-il que le français soit aussi peu intelligible chez des spécialistes francophones de format léger ?  Ce seraient des wagnériens hongrois, je ne dis pas, mais en l'occurrence…

Deux grandes catégories dans cette distribution :

¶ Ceux qui ont les atouts idéaux de leurs rôles mais ne sont manifestement pas sollicités par le chef sur la question de la déclamation.
Hélène Guilmette, favorise davantage la netteté légère de son timbre que l'ampleur, la rondeur et le moelleux (propre aux francophones américains) qu'elle peut manifester autre part, et se coule parfaitement dans le rôle. Mais les phrasés ne sont pas réellement déclamés, simplement joliment chantés, alors qu'elle est une grande mélodiste par ailleurs ; il n'aurait pas fallu lui en demander beaucoup pour qu'elle fasse quelque chose de plus éloquent d'Andromède !
Jean Teitgen (Céphée, le père d'Andromède) a déjà fait frémir de terreur les amateurs du genre, en Zoroastre de Pyrame et surtout en Amisodar de Bellérophon ; pourquoi, dans ce cas, se contente-t-il ici de chanter (de sa voix de basse d'une densité et d'une portée extraordinaires) tout legato, en belles lignes égales, quand il sait si bien mettre les mots en valeur dans d'autres circonstances ?  De vraies basses nobles françaises, il n'y a que Testé (dont l'émission est parente) et, dans un autre genre, Varnier et Courjal, qui soient de cette trempe, aussi bien vocale qu'interprétative… 
Tassis Christoyannis (Phinée, le rival), dont on dit toujours le plus grand bien ici pour son mordant, son intensité, sa voix impeccable et sa diction parfaite, que ce soit dans Salieri, Grétry, David, Verdi ou Gounod, est certes moins habitué au répertoire du XVIIe siècle (or il dispose essentiellement ici de récitatifs de LULLY), mais semble déchiffrer (quelques détails pas très propres) et chante lui aussi de façon très homogène et égale, sans exprimer grand'chose… Vraiment étonnant de sa part, comme s'il avait été laissé à l'abandon dans un style (à peine) différent.
Cyrille Dubois (Mercure) est le seul à être égal à lui-même, avec son étrange voix, étroite et grêle, mais d'un grain très particulier. Sa diction est fort bonne, mais là aussi, assez inférieure à ses propres standards – son Laboureur du Roi Arthus crissait des mots crus, tout à fait saisissant.

Eux semblent victimes d'un absence de soin porté à la diction (Christie le faisait, Rousset le fait, les autres attendent un peu qu'on fasse le travail pour eux), peut-être d'un nombre de répétitions réduit, d'une étude pas assez précise de leur partie…

¶ Les autres sont limités par des caractéristiques plus inhérentes à leur technique.
Chantal Santon-Jeffery, en Vénus, rôle élargi par Joliveau, confirme une évolution préoccupante ; je me rappelle avoir été très séduit lorsque je l'ai découverte (en salle, me semble-t-il), dans du baroque français sacré, où la voix était franche et la diction parfaitement acceptable (ce doit pourtant faire à peine plus de 5 ans). Désormais, est-ce l'interprétation occasionnelle de rôles plus larges (des parties écrasantes dans les Cantates du Prix de Rome, ou même Armida de Hadyn, partie plus vocal), ou, comme je le crains, plutôt le moment de sa vie où la voix change, mais les stridences ont augmenté, et surtout le centre de gravité de la voix a complètement reculé, avec une émission (légèrement dure mais très équilibrée) devenue flottante, quasiment hululante pour ce répertoire. En plus, l'effort articulatoire paraît très (inutilement) important (peut-être parce que la nature de la voix est un peu trop dramatique pour ce répertoire) pour des rôles à l'ambitus aussi réduit et à la tessiture aussi confortable.
Restent deux options : reprendre la technique en main, chercher la netteté et l'antériorité plutôt que de sauver à tout prix le timbre au détriment de tous les autres paramètres ; ou bien se tourner vers un autre répertoire, sa voix évoluant clairement vers davantage de largeur (mais j'ai bien conscience que lorsqu'on est chanteur, on ne choisit pas, et vu qu'elle a ses réseaux déjà constitués, pas sûr que ce puisse changer si facilement). En l'état en tout cas, impossible de sasisir un mot de ce qu'elle dit, ce qui est un peu incompatible avec ce répertoire.
Marie Lenormand (Cassiope), égale à elle-même : comme Michèle Losier (qui est plus phonogénique), son émission typiquement américaine (plus en arrière, beaucoup de fondu) nuit à son impact physique et à sa déclamation (mais dans le peu qui reste du rôle, elle demeure au-dessus de tout reproche, ce n'est pas inintelligible non plus).
Katherine Watson (Mérope), étrange choix pour une jalouse, même si la refonte de Joliveau gomme sa participation néfaste, file un mauvais coton : la voix devient de plus en plus minuscule et de moins en moins timbrée… il ne s'agit presque plus de chant d'opéra, dans la mesure où le timbre est « soufflé » et où la projection est quasiment celle de la voix parlée… J'en ai souvent dit du bien ici, parce que j'ai toujours cru que c'était – la faute des programmes qui ne les mettaient jamais dans l'ordre, j'ai vérifié – Rachel Redmond, que j'aime beaucoup en revanche (minuscule, mais le timbre est net et focalisé) ; ce doit être la première fois que j'entends l'une sans l'autre !  Même si je n'ai donc jamais été très enthousiaste, je trouve que dans un rôle aussi modeste, ne pas faire sortir la voix n'est pas un très bon signe – très facile à dire de mon siège, mais ajouté à l'absence à peu près généralisée de souci déclamatoire (chez elle aussi), cela finit par nuire collectivement à l'œuvre et au genre.
– Enfin Thomas Dolié (Sténone), grand sujet de perplexité : je l'avais beaucoup aimé lors de ses premiers grands engagements, au début des années 2000 (avant sa consécration aux Victoires de la Musique, bizarrement sans grand effet sur sa carrière, qui reste essentiellement confinée à des seconds rôles réguliers), et en particulier dans le lied, où l'assise grave du timbre et la sensibilité au texte produisait de très belles choses pour un aussi jeune chanteur, et pas d'origine germanophone. Son Jupiter dans Sémélé était très respectable également – même s'il s'agissait, comme d'habitude dans ce répertoire, d'un baryton et non d'une réelle basse comme on pourrait l'attendre ici.
Mais depuis un moment, la construction de la voix à partir du grave lui joue des tours : depuis le second balcon, il était littéralement inaudible dès que l'orchestre jouait, toute la voix restait collée dans une émission extrêmement basse (dans le sens du placement, pas de la justesse qui est irréprochable) ; depuis le parterre, et surtout lorsque sa partie s'élargit dans la seconde partie, on entendait beaucoup plus d'harmoniques (les harmoniques, justement, sont toutes redirigées vers le bas de la salle, c'est très étrange, sans doute à cause d'une impédance exagérée), et la conviction était perceptible – l'engagement de l'artiste finissait par donner vie au personnage et lever une partie des préventions. Néanmoins, qu'une articulation aussi lourde et opaque produise aussi peu de son explique sans doute, d'un point de vue pratique, la limitation de ses emplois : il n'est pas suffisament adapté stylistiquement à ce répertoire pour tenir des premiers rôles, et il n'aurait pas le volume suffisant pour tenir des rôles de baryton dans des opéras du XIXe siècle. Encore une fois, la construction de voix trop tôt couvertes, très en arrière, bâties à partir des graves et non des aigus, provoque des résultats bouchés et difficiles à manœuvrer. Ce peut donner l'illusion de l'ampleur dramatique au disque, mais c'est toujours frustrant, en salle, par rapport à une voix nasillarde qui sonnera infiniment plus ample (syndrome Mime, quasiment tous sont plus sonores que les Siegfried de nos jours…).
À titre personnel, quitte à avoir de petits volumes, je choisis des émissions libres et intelligibles, comme Igor Bouin (vraiment minuscule) ou Ronan Debois (pas si mal projeté au demeurant !) ; qu'on ait ce type de caractéristiques pour chanter les Russes ou Wagner, soit, mais dans de la tragédie en musique, il ne paraît pas logique que la voix paraisse aussi (inutilement) étrangère à l'émission parlée.

Il n'y avait donc pas de mauvais chanteurs, mais ils semblent avoir été peu (pas) préparés sur la question de la diction (voire, pour certains, avoir peu lu leur partie), et un certain nombre dispose de caractéristiques qui peuvent trouver leur juste expression ailleurs, pas vraiment adaptées à ce répertoire.

J'ai de l'admiration pour Marie Kalinine : elle incarne exactement le type d'émission que je n'aime pas (fondée d'abord sur un son très couvert et sombré, et pas sur la différenciation des voyelles ou sur la juste résonance efficace), et pourtant elle s'efforce, saison après saison, de se fondre dans les styles avec le plus de probité possible – peu de Santuzza peuvent se vanter de faire des LULLYstes potables, et inversement. Par ailleurs, son carnet en dessins, drôle et attachant, laisse percevoir une conscience très franche de son art et une absence radicale de prétention, ce qui ne fait que la rendre plus sympathique.
Je ne peux pas dire que sa Méduse m'ait séduit (déjà, quel dommage que Bury l'ait confié à une femme, alors que la voix de taille ou basse-taille campait immédiatement le caractère !), mais elle est avant tout desservie par le diapason, ce qui me permet (merci Marie Kalinine !) d'aborder une question que je me pose depuis longtemps et que j'ai pas vraiment eu l'occasion de développer jusqu'ici.

On entendait essentiellement Zachary Wilder (Euryale) dans les ensembles, difficile de mesurer l'étendue de ses talents : issu du Jardin des Voix, j'ai été jusqu'ici très impressionné par ses retransmissions, un beau ténor libre et lumineux (et au français parfait) comme l'école américaine en produit régulièrement depuis Aler et Kunde. En salle, la rondeur du timbre n'était pas équivalente et la projection limitée, mais on sentait bien que, dès que la partie s'élevait un peu dans l'aigu, toutes ses aptitudes revenaient (d'où sa meilleure adéquation dans les retransmissions de Rameau). Dans un Hérold, ça aurait sans doute fait beaucoup plus d'étincelles, la tessiture basse éteignant mécaniquement le timbre. Ce qui rejoint la même remarque que pour Marie Kalinine, donc.

J'ai le sentiment désagréable d'avoir paru assez négatif alors que j'ai finalement tout aimé (peut-être moins la grande tirade de Vénus, déjà pas la plus grande trouvaille de Dauverge, par Chantal Santon, vu que le texte était impossible à suivre et la voix pas adéquate non plus), de l'œuvre aussi bien que du résultat interprétatif – avec la petite frustration d'un manque de déclamation, mais avec des artistes de ce niveau (et quelques-uns qui jouaient vraiment le jeu), ce n'est pas une grande mortification non plus.
Je suppose que c'est le principe même d'entrer dans le détail qui met en valeur les petites réserves : souligner tout ce qu'on a (de belles voix qui chantent juste et avec implication) est tellement évident qu'on entre dans d'autres. Et puis il y a mes marottes (probablement plus fondées que pour Wagner) sur la mise en valeur du texte, que tous les contemporains décrivaient comme primant sur la musique dans les techniques de chant (les français ayant la réputation de hurleurs) ; dans l'absolu, c'est bien chanté tout de même. [Disons qu'à volume sonore tout aussi modeste, on pouvait avoir des couleurs vocales plus libres et séduisantes, un texte énoncé avec plus de naturel.]

Illustration : Mathias Vidal, grand-prêtre de la diction dans un petit couvent, tiré d'un cliché de Jef Rabillon.



6. État des lieux du chant baroque français

Pour le chant baroque dans l'opéra seria, un point a déjà été partiellement réalisé .

Cette soirée donne l'occasion de mentionner quelques évolutions.

Le niveau des orchestres (et en particulier des orchestres baroques, de pair aussi avec la spécialisation des facteurs, je suppose) a considérablement augmenté au fil du XXe siècle, et il est assez difficilement contestable que dans tous les répertoires, on entend aujourd'hui couramment des interprétations immaculées de ce qui était autrefois joué un peu plus à peu près, que ce soit en cohésion des pupitres, en précision des attaques, en célérité, en justesse.

La voix n'a pas les mêmes caractéristiques mécaniques et c'est sans doute pourquoi elle est beaucoup plus tributaire de l'air du temps, des professeurs disponibles, de la langue d'origine des chanteurs.

        Au début de l'ère du renouveau baroque français, de la moitié des années 80 à celle des années 90, le vivier était constitué essentiellement de spécialistes, formés pour cette spécialité par Rachel Yakar (pour la partie technique) et William Christie (de façon plus pratique), de pair avec une galaxie de professeurs qui officiaient pour ceux qui n'étaient pas au CNSMDP (ou à l'Opéra-Studio de Versailles), voire de « rabatteurs » (Jacqueline Bonnardot, quoique pas du tout spécialiste, envoyait certains talents à Christie, m'a-t-il semblé lire).
        Autrement dit, les gosiers qui chantaient cette musique étaient spécifiquement formés à cet effet (d'où la mauvaise réputation de « petites voix » qui a persisté assez couramment au moins jusqu'au début des années 2000), en privilégiant la clarté du timbre, le naturel de l'articulation verbale, l'aisance dans la partie basse de la tessiture, la souplesse des ornements, au détriment d'autres paramètres prioritaires dans l'opéra du « grand répertoire », à commencer par la puissance et les aigus. (Un certain nombre de ces voix très légères et claires peuvent rencontrer des difficultés dans les aigus, qu'elles ont pourtant, mais que leur technique d'émission, centrée sur une zone plus proche de la voix parlée, ne favorise pas.)

        La reconversion n'était pas chose facile : Jean-Paul Fouchécourt s'est limité à quelques rôles de caractère, Paul Agnew n'a guère excédé Mozart et Britten (il aurait pu, d'ailleurs), Agnès Mellon a fait une belle carrière de mélodiste après sa grande période lyrique, et l'on voit mal Monique Zanetti ou Sophie Daneman chanter un répertoire plus large. Ceux qui se sont adaptés l'ont fait soit assez tôt, au fil du développement de leur voix (Gens, Petibon, et aujourd'hui Yoncheva, dont la formation initiale n'était de toute façon pas baroque), soit au prix de changements assez radicaux, comme Gilles Ragon, qui a assez radicalement changé sa technique pour pouvoir chanter les grands ténors romantiques (avec un bonheur débattable).

        On disposait alors de réels spécialistes, pas forcément exportables vers d'autres répertoires (ne disposant pas nécessairement de la même qualité d'agilité que pour l'opéra seria italien), en dehors de Mozart éventuellement ; mais ils étaient rompus à toutes les caractéristiques de goût (agréments essentiellement, c'est-à-dire notes de goût ; les ornements plus amples, de type variations, n'étaient alors guère pratiqués par les pionniers) et de phonation spécifiques à ce répertoire.
        Christie était assisté, jusqu'à une date récente, d'une spécialiste de la déclamation française du Grand Siècle, qui participait à la formation permanente des chanteurs récurremment invités par les Arts Florissants. L'insistance sur l'articulation du vers, sur la mise en valeur de ses appuis et de ses consonances (ce qu'on pourrait appeler la « profondeur » de son pour les syllabes importantes) était une partie incontournable de son travail de chef, l'une des nouveautés et des forces de sa pratique, dont tout les autres ensembles ont tiré profit – une fois émancipés (ou lassés / fâchés), les anciens disciples allaient travailler chez les ensembles concurrents tandis que Christie formait de nouvelles générations, équilibre qui a pendant deux décennies élargi le spectre des productions où la qualité du français, que le chef y prête attention ou pas, était particulièrement exceptionnelle.

        Mais Christie était seul à produire cet effort de formation – depuis, le CMBV fait de belles choses avec ses chantres, mais plutôt orienté vers la formation de solistes ou de comprimari que de grands solistes, considérant les voix assez blanches qui en sortent souvent (mais ce n'est pas une généralité, témoin l'immense Dagmar Šašková, sans doute actuellement la meilleure chanteuse pour le baroque français). Et cet effort, pour des raisons que j'ignore, s'est interrompu : il a cessé, apparemment, de faire travailler spécifiquement la déclamation, et, lui qui était célèbre pour son tropisme vers les voix étroites et aigrelettes, s'est mis à recruter des voix moelleuses articulées plus en arrière, selon la mode d'aujourd'hui – qu'il chouchoute Reinoud van Mechelen était une perspective inconcevable il y a quinze ans !  [Mode qui a son sens au disque mais est, à mon avis, assez absurde du point de vue des résultats en salle – les voix sont moins intelligibles et ont très peu d'impact sonore, qu'elles soient grandes ou petites.]
        Emmanuelle de Negri, elle-même une voix beaucoup plus ronde que les anciennes amours de Christie, est à peu près la seule de sa génération à avoir repris le flambeau du verbe haut. Elle chante d'ailleurs fort peu d'autres répertoires, et sa Mélisande (tout petit rôle de l'Ariane de Dukas) paraissait un peu désemparée par rapport à un univers technique tout à fait différent du sien – précisément parce que toutes ses forces sont tournées vers l'excellence spécifique du répertoire baroque français.

        Aujourd'hui, par conséquent, plus personne n'informe et ne gourmande, au besoin, les chanteurs sur ce point. On trouve donc (comme dans ce Persée) les voix les plus adaptées à ce répertoire laissées sans direction, ce qui donne à voir de rageant gâchis : non pas que ce soit mauvais, mais ces chanteurs ont tous les moyens et savent faire, à condition d'être entraînés et incités à appliquer ces préceptes.
       À cela s'ajoute le fait que, victime de son succès, l'opéra baroque français accueille volontiers des chanteurs de formation traditionnelle. Certains en font leur seconde maison au hasard des réseaux de leurs années d'insertion professionnelle (Thomas Dolié par exemple, qui a étudié au CNIPAL, plutôt un réservoir de voix pour les grands rôles lyriques… et avec Yvonne Minton) et ont donc l'opportunité d'en acquérir les codes, d'autres le font occasionnellement pour ajouter d'autres répertoires conformes à leur voix (porte d'entrée en Europe pour Michèle Losier), d'autres enfin viennent comme invités-vedettes pour fournir un type de voix rare ou un prestige particulier à une production (Nicolas Testé en Roland, dont on sent les origines extra-baroques, mais qui se plie remarquablement à l'exercice).
        Le problème est que, dans bien des cas, la technique de départ n'est pas vraiment compatible avec le baroque : les voix très couvertes, où les voyelles sont très altérées, n'ont pas grand rapport avec le chant réclamé par ces partitions. Stéphane Degout et Florian Sempey s'en tirent très bien (alors que je ne les aime guère ailleurs), mais on peut s'interroger sur la logique d'employer des voix aussi extérieures au cahier des charges de la tragédie en musique.

J'ai déjà longuement ratiociné sur ces questions dans de précédentes notules, ce qui me mène à quelques interrogations nouvelles supplémentaires.



7. Quelques questions à se poser

D'abord, il ne faut pas désespérer : certains chanteurs qui n'ont pas suivi cette voie manifestent les qualités requises, à commencer par Mathias Vidal (CNSM de Paris) !  Par ailleurs, Christophe Rousset, en plus d'être un peu seul à se consacrer aussi méthodiquement à explorer le répertoire enseveli de la tragédie en musique, demande cet effort de mise en valeur des mots à ses chanteurs – il est un peu celui qui a imposé, par exemple, l'accent expressif ascendant sur les « ah ! », d'abord largement moqué et qui est devenu une norme par la suite chez les autres ensembles (en cours de disparition, puisque plus personne ne semble s'intéresser au texte des œuvres jouées). Son insistance, dans les séances de travail, sur l'expressivité, jusqu'à la demande de l'outrance, est centrale, et se ressent à l'écoute – alors même que sa direction musicale pouvait être, il y a dix ans, assez molle. Il suffit d'observer les mêmes chanteurs chez lui et chez les autres : avec lui, ils phrasent ; ailleurs, certains semblent moins s'occuper des mots.

En revanche, voilà un moment que je n'ai pas entendu Niquet, malgré toutes ses qualités de clairvoyance dans le choix des œuvres et de générosité dans leur mise en œuvre, donner des productions où le phrasé est mis en valeur…

D'où me viennent deux questions, contradictoires d'ailleurs :

        ¶ Alors qu'on s'échine à utiliser des instruments originaux, à les préserver ou à les reconstruire, qu'on va jusqu'à reprendre les diapasons exacts des différents lieux où l'on créa les œuvres, n'est-il pas étrange d'embaucher des chanteurs dont la technique est fondée sur les nécessités vocales de l'opéra italien du XIXe siècle ?  Comment est-il possible, pour ces gens qui s'interrogent sur le style exact d'un continuo de 1710 vs. 1720, sur le nombre de battements d'un tremblement pratiqué dans telle chapelle, de ne pas voir la terrible transgression d'engager des mezzos-sopranos verdiens et des barytons wagnériens pour chanter des œuvres où les interprètes utilisaient une technique tellement naturelle qu'on les décrivait comme criant ? 
        J'ai bien conscience qu'on ne peut pas gagner sa vie en chantant simplement dans les quelques productions de baroque français (essentiellement concentrées à Paris, Bruxelles et Versailles d'ailleurs, plus un peu à Toronto et Boston…), et que construire une voix exclusivement calibrée pour le lied (sans en avoir forcément la diction allemande) serait un suicide professionnel… Mais tout de même, n'y a-t-il pas une réflexion à avoir là-dessus ?

        ¶ Car les tessitures du baroque, et spécifiquement celles du baroque français, sont très basses. Les rôles de dessus chez LULLY culminent au sol, ce qui, joué au diapason d'origine (392 Hz), équivaut à peu près à un fa, soit trois tons plus bas que les mezzos-sopranos verdiens, voire plus bas que les grands rôles de contralto !  Or, on ne peut pas faire jouer la jeune première Andromède pépiant sur son rocher par l'équivalent de Maureen Forrester, n'est-ce pas. Et inversement, faire chanter une soprane aussi bas va l'empêcher de projeter ses sons, voire « éteindre » sa voix.
        C'est pourquoi la catégorisation en soprano / mezzo n'a pas grande pertinence dans ce répertoire, et qu'il s'agit avant tout d'une question de couleur – à l'opéra, dessus et bas-dessus ont d'ailleurs strictement la même tessiture avant Rameau !  Couleur qui ne peut jamais, considérant l'effectif raisonnable, l'accompagnement discret, l'aération des timbres des instruments naturels (pas de mur de fondu comme avec les instruments modernes) et la nécessité d'intelligibilité, être trop sombre, ni le grain trop épais.
       La couverture vocale (c'est-à-dire la modification des voyelles pour pouvoir émettre des aigus qui ne soient pas serrés et poussés) n'a de ce fait pas grand sens dans ce répertoire, en tout cas chez les femmes (chez les hommes, on peut couvrir en mixant chez les ténors, et certains aigus des basses demandent sans doute un peu de rondeur et de protection, procurées par la couverture vocale), pas à l'échelle massive où le chant lyrique l'utilise d'ordinaire (souvent trop ou mal, même pour du Verdi).
       Alors, si l'on ne peut pas changer du tout au tout l'enseignement du chant (la tradition adéquate existe-t-elle seulement encore ?  peut-on la retrouver aussi aisément que pour un instrument ?), ne serait-il pas judicieux, quitte à ne pas être authentique, de remonter le diapason d'un ou deux tons, pour permettre aux techniques d'opéra telles qu'elles sont de retrouver leur centre de gravité et leur brillant – étant calibrées pour s'élever avec confort loin de la zone de la parole…

Illustration : costume de Louis-René Boquet pour les représentations de 1770, une Éthiopienne (parfaitement).

Je livre cet état des lieux à votre sagacité, n'ayant pas de réponse sur la marche à suivre – et tout de même assez émerveillé d'entendre ces œuvres et ces ensembles spécialistes qu'on n'aurait jamais rêvé d'entendre, et certainement pas aussi bien, il y a seulement trente ans ! 

mercredi 16 mars 2016

Instants ineffables


1. Concept

Le mélomane échange souvent sur ses œuvres fétiches (quand ce n'est pas, pis encor, sur ses versions fétiches, voire sur ses glottes fétiches), aime à soumettre des listes, éprouver des hiérarchies subjectives (quelquefois avec de désagréables prétentions d'universalité)… Mais, en fin de compte, la conversation autour de ces instants qui rendent une œuvre particulière, qui emportent notre adhésion, n'est pas si fréquent. Pourtant, c'est sans doute là que gisent les informations les plus pertinentes sur la singularité d'une pièce, sur les inclinations d'une oreille.

Ce ne sont pas des sections entières, vraiment des détails qui tiennent en quelques mesures. Tenez, voici un exemple décortiqué de la Clémence de Titus, en cinq mesures.

Dans la plus pure subjectivité, je lance donc quelques exemples en espérant vous inciter à essayer quelques bijoux négligés, ou vous faire redécouvrir quelques fragments restés tapis dans les grands tubes universels. Ce ne sont pas forcément ceux que j'aime le plus, simplement ceux qui me sont parvenus lorsque j'ai voulu faire cet essai,en tâchant de varier périodes et effectifs – mais uniquement des moments d'exception.


2. Suggestion : une liste parmi d'autres

¶ Le début du quatuor de l'Offertoire du Requiem de Jean Gilles : après un long récit de basse, taille, haute-contre et dessus entrent progressivement en reprenant le premier thème de l'Offertoire. La couleur harmonique de l'instant, l'élan du motif qui se dédouble dans cet écho multiple ont un effet incantatoire saisissant :



¶ L'alternance hautbois/basson sur ce balancement de nuages dans « As Steal the Morn » (L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel & Milton) :



¶ Cette petite virgule au début de la partie rapide du premier mouvement de la Deuxième Symphonie de Beethoven :



¶ La petite gamme clarinette-hautbois au milieu des variations finales de la Troisième Symphonie de Beethoven :



¶ Ce motif secondaire dans l'exposition du premier mouvement du Nonette de Czerny : doublure clarinette-alto, puis reprise variée du piano avec contrechant de cor anglais.



¶ L'entrée du violon dans le Premier Trio avec piano de Mendelssohn (valable aussi pour le Premier de Brahms) :




¶ Le petit écho des cors (plus tard renforcés par les trombones) dans le final de la Troisième Symphonie de Schumann :



¶ « Jésus marchant sous la Croix » (station II du Via Crucis de Liszt), sur des carrures parfaitement régulières dont l'harmonie mouvante fait pourtant sentir l'irrégularité branlante, le pas du condamné dépenaillé – ici accentuée par l'interprétation complètement pénétrée de Reinbert De Leeuw :



¶ L'explosion du thème attendu du scherzo du Quintette avec piano de Brahms :



¶ Le thème B olympien du premier mouvement du Premier Trio avec piano de Dubois :



¶ L'illumination finale de Die verklärte Nacht (« La Nuit transfigurée ») d'Oskar Fried sur le poème de Dehmel :


(Intégralité et présentation dans cette notule.)

¶ et un peu de contemporain pour finir, avec un comparse de Bernstein parfaitement vivant mais qui a rejoint le côté obscur :


Cet envol soudain, bloqué sur ces notes répétées dans l'aigu, en accord avec le texte (les ponts qu'on traverse sans s'être vu les traverser), a quelque chose de suspendu, comme si le Temps entrait en apnée.
Stephen Schwarz, extrait de « Thank Goodness », au début de l'acte II de Wicked (Cassandra Kassenbaum).


3. Debriefing, feedback et autres vocables interdits

Je m'aperçois que me viennent moins naturellement des noms baroques – si l'on parle bien d'instants, pas d'airs entiers : s'il fallait citer les instants ineffables dans LULLY, ce reviendrait à faire la liste des récitatifs, des airs, des ensembles et des danses !  De même pour les langages plus tardifs du XXe siècle, ou c'est plus l'atmosphère générale que des instants particuliers, des motifs précis, qui suscite l'adhésion – sauf dans les cas de citations, généralement par contraste lumineux (témoin la Suite pour flûte et orchestre de Widmann, qui cite la Badinerie de Bach pour attirer les applaudissements à la fin !).

Il existe quantité d'autres choses à citer, mais elle me paraissent peut-être plus délibérées, audibles par tous : certains des extraits cités tiennent plutôt du détail charmant qui fait la différence (Czerny, Schumann) que de l'acte de rhétorique qui soutient l'ensemble de la pièce. Sans quoi on pourrait citer tous les leitmotive de tel ou tel opéra, par exemple.
Richard Strauss en est un excellent exemple : il regorge d'envolées irrésistibles (et tôt interrompues), mais ce sont finalement des procédés conçus pour être spectaculaires, pas des détails que tel chérira et que tel autre ne remarquera même pas. Ainsi l'Erdenflug à la fin du premier tableau de La Femme sans ombre, la fanfare de Friedenstag, la fin de « Mein Elemer » dans Arabella, « Denn du bist stark » dans Elektra, et bien sûr la fin de la tirade de Chrysothemis à la fin de leur premier duo :

.

On note aussi (et surtout !) l'écrasante majorité d'exemples tirés de la musique germanique. Ce n'est pourtant pas le résultat d'un tropisme personnel (j'écoute tout autant les français, par exemple), mais plutôt, à mon avis, une conséquence structurelle : la musique germanique est plus mélodique, plus organisée, et les motifs y ont donc une prégnance et une importance sans commune mesure. Au contraire, les français écrivent plutôt des pièces où l'exaltation peut être de même intensité, sans attente ou tension-détente. On n'attend pas un moment particulier dans La Mer, alors que tout paraît arc-bouté vers la fin dans les symphonies de Mahler.

Parce que, au bout du compte, je crois que l'un des facteurs majeurs de ces moments privilégiés est l'harmonie. Un petit changement de couleur dans les accords (comme ici, dans Arabella) semble ouvrir sur un monde nouveau, et crée, par contraste, cette impression ineffable. C'est l'un des principaux vecteurs d'émotion au cinéma, et sa force est telle qu'il n'y a pas besoin d'user de grands raffinement pour la voir opérer : c'est ce qui se passe dans la chanson lorsqu'on monte le refrain d'un ton pour relancer et intensifier le discours – totalement rudimentaire, peut-être même méprisable techniquement, mais imparablement efficace.


4. Et chez l'horrible Richard Wagner ?

Lorsque la conversation avait d'abord surgi, on m'avait demandé ma sélection dans le Ring. Alors, tant que je suis dans le quartier… Purement personnel, juste les mots concernés (pas les sections entières).

¶ « Ein stolzer Saal, ein starkes Schloß » (Rheingold, dans le monologue de Loge, juste avant le thème du Walhall).
¶ « er freite ein Weib, das ungefragt Schächer ihm schenkten zur Frau » (Walküre I, dans « Der Männer Sippe »).
¶ « Gäste kamen und Gäste gingen, die stärksten zogen am Stahl... keinen Zoll entwich er dem Stamm » (idem).
¶ « Du zeugtest ein edles Geschlecht ; kein Zager kann je ihm entschlagen » (duo final).
¶ « der frech sich wagte, dem freislichen Felsen zu nahn ! » (juste avant les Adieux).
¶ L'Interlude pour l'arrivée de Siegfried sur la montagne (Siegfried, acte III). Mais ça, c'est trop long.
¶ Postlude du duo Siegfried / Brünnhilde (Crépuscule, acte I). Pareil.

Dans les versions françaises, mes choix seraient bien entendu différents, très liés à la saveur des textes de Wilder ou Ernst. Comment se passer de « Folle jactance !  Infructueuse audace ! » en II,2 de Die Walküre ?

… mais cela n'a en réalité pas vraiment de sens : dans ce type d'œuvre, un instant prend surtout son prix dans le contexte, voire dans la durée et l'écho, même s'il n'y a pas de motif saillant à ce moment-là. Mais le fait d'en préparer un, d'être entouré d'autres choses, participe grandement à la réussite de l'instant proprement dit.


5. Avant de nous quitter


Bien sûr, je ne puis trop vous enjoindre à partager vos propres exa-/exultations. De mon côté, pour prouver l'excellence proverbiale de mon bon goût, voici deux exemples souverainement raffinés que je n'hésiterais pas à porter en étendard.


La clausule très archaïsante de l'Appel des Maîtres à l'acte I des Meistersinger de Wagner.


Révélation dans cette notule et présentation de toute l'œuvre dans celle-là


Bons plaisirs musicaux !  Vos autres ne nous regardant nullement.

dimanche 28 février 2016

Mars et avril au concert – sélection et conseils


Suite à des demandes de plus en plus pressantes, voici la sélection de nos facétieux lutins pour les deux mois à venir. (Avec, nécessairement, des ajouts de dernière minute pour des concerts plus confidentiels.)  Tiré de ma sélection personnelle, je n'ai pas retiré les codes (les couleurs déclinant la certitude de ma venue et les nécessités de vente).

J'attire notamment votre attention sur les jeunes quatuors Hanson et Akilone, tout à fait exceptionnels, qui méritent le déplacement. Une réalité assez récurrente pour le quatuor : les jeunes ensembles sont souvent plus intéressants, moins assis dans les certitudes de leur style personnel ; beaucoup plus de prises de risque, beaucoup plus d'engagement que les grands quatuors (célèbres à juste titre, mais qui, en s'institutionnalisant, perdent un peu de cette fougue). 

Immanquable, bien sûr, la re-création mondiale de Don César de Bazan de Massenet (Théâtre de la Porte Saint-Martin, le 13 mars), d'après le personnage de Ruy Blas. Avec Jean-Baptiste Dumora, Sabine Revault d'Allonnes, Jean-Claude Sarragosse ! Pour les jeunes, il y a même des places de première catégorie bradées sur BilletReduc. 

Je suis aussi assez curieux de ce fonds de cantiques finno-suédois du XVIe siècle (salle Cortot, le 29 mars).

Autrement, vous trouverez des transcriptions de Beethoven pour octuor à vent (Philharmonie, le 17 avril – Tarkmann est grand), du Damase (1, 2, 3) par l'École de danse (Palais Garnier, le 18 avril), Caplet à Notre-Dame (le 26 avril) !

À cela s'ajoute un peu de théâtre américain (Albee à l'Œuvre, T. Williams à la Colline) qu'on n'a pas si souvent l'occasion de voir en nos contrées.



Et toujours quelques places pas à chères (et bien placées, expérience oblige) à vendre (celles qui sont en rouge). Directement sur ZePass ou par courriel (colonne de gauche).


mar. 01 mars  

(( bastille meistersinger

NDP palestrina monteverdi bach haendel mendelssohn
mer. 02 mars  

PP sibelius 3, nielsen flûte, beeth ccto 3, OP p.järvi
jeu. 03 mars  

**** PP sibelius 3, nielsen flûte, beeth ccto 3, OP p.järvi

AV **** PP sibelius 3 lupu järvi

bastille trovatore

MR chosta 5 hindemith visione liszt brceau / muti ONF
ven. 04 mars  

)) bastille barbiere

****PP bruck 9 widmann flûte / inbal OPRF (pahud)
sam. 05 mars  

16h st grmain musiques sacrées esp boterf CNSM lyon

bastille meistersinger

MR chosta 5 hindemith visione liszt brceau / muti ONF

soubise ctre-sjets haendel bach telemann sonates cctos
Programme

Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759)
Trio Sonata en sol majeur, HWV 399 Allegro
A tempo ordinario
Allegro, non presto
Passacaille
Gigue (Presto)
Menuet (Allegro moderato)
Georg Philipp Telemann (1681 – 1767)
Double concerto pour flûte à bec, viole de gambe et orchestre en la mineur, TWV 52:a1 Grave
Allegro
Dolce
Allegro
Entracte
Johann Sebastian Bach (1685 – 1750)
Concerto pour clavecin et orchestre en la majeur, BWV 1055 Allegro
Larghetto
Allegro ma non tanto
Georg Philipp Telemann (1681 – 1767)
Double concerto pour flûte à bec, traverso et orchestre en mi mineur, TWV 52:e1 Largo
Allegro
Largo
dim. 06 mars  

17h st éloi musiques sacrées esp boterf CNSM lyon

bastille trovatore

colonne 16h trios ac cor/durand/brahms
lun. 07 mars (Semaine 10)  

(( garnier iolanta

TCE schubert statz quintette vcls brahms clar talich hoffman lethiec
mar. 08 mars  

? garnier damrau deutsch ?

TCE schubt 3 EOP
mer. 09 mars  

bastille meistersinger

garnier iolanta

orlouvre Charpentier smne snte daucé Leçon vddi miserere stabat, litanies
jeu. 10 mars  

**** MR debussy prntmps chausson fête poulenc animx ccto org / ONF gabel (latry)

bastille trovatore
ven. 11 mars  

**** MR Lalo Jacquerie

CNSM gary hoffman jsq 17h30

CNSM manchester PMDavies turnage boulez

garnier iolanta

gaveau piano : ciurlionis schumann 9 proko la ; MUZA RUBACKYTE

massy italienne CHER

§ 19h15 louvre marchenerz + trio krtg

§ louvre trios mzt schum ktg widmann par widmann et tabea
sam. 12 mars  

18h MR Castillon QuatPia, St-S SQ2, Fauré piano / girod, mmbres ONF

20h ? MR Collard msq frçse

? CNSM jolas iliade

¤15h cortot devienne mzt dantin, quatuors avec basson

§ NDLiban ut 5 beeth 5 galanta

§ villeneuve-st-g siegfried I/copland clar/5 épisodes heroic ma mre l'oye ONDIF
dim. 13 mars  

! 16h MR latry org 15€

16h st martin massenet bazan

17h st-cloud siegfried I/copland clar/5 épisodes heroic ma mre l'oye ONDIF

18h MR mélodies gubisch altinoglu

PP 14h30 montgeroult sonate vln pia

§ 17h Riv' :ground et follias byrd à bach cornet bouquin ou flûtes + trocellier
lun. 14 mars (Semaine 11)  

garnier iolanta
mar. 15 mars  

**** )) bastille trovatore bilyy sartori he

? CNSM jolas iliade

AV ****2 PP requ mzt minko

gaveau siegfried I/copland clar/5 épisodes heroic ma mre l'oye ONDIF

§ 20h MR matrise gtuit byrd messe, chnsns janequin desprez, serminsky
mer. 16 mars  

(( châtelet sondheim passion

19h CNSM org

amphi AL tchaï mouss rach chosta-juives mélodies

§ TCE haydn paroles croix herreweghe
jeu. 17 mars  

12h30 pp mcGown myrthen/clown/passagères/HahnStevenson

? CNSM jolas iliade

garnier iolanta

singer-polignac hanson SQ beeth 7 mzt quint clar

TCE mahler 5 jansons radio bavaroise coriolon beeth

§ gaveau king's singers Ireland, Tallis, Byrd, Gibbons, Elgar, Britten, The Beatles
ven. 18 mars  

**** châtelet sondheim passion

19h30 arod SQ

20h st-bastille résidnce msq chb

§ MR ascension, images deb / franck OPRF

§ TCE lully charpentier leclair rameau otter naouri haïm
sam. 19 mars  

(( bastille R&J proko

15h CiMu the artist ONIDF

garnier iolanta

MR proko 5 glière ccto cor RK pâque russe / N.Järvi ONF

¤ OR don gio
Jean Teitgen, Birgitte Christensen, Anna Grevelius, Laura Nicorescu,
Matthew Durkan, Patrick Bolleire

Frédéric Roels, mise en scène

Chœur Accentus
Orchestre de l‘Opéra de Rouen Haute Normandie,
Léo Hussain, direction

§ 17h abbesses beyer hantaï bach
dim. 20 mars  

**** 17h CiMu Artist

14h&17h CiMu the artist ONIDF

16h30 mahler 3 LAP dudamel

17h bagneux siegfried I/copland clar/5 épisodes heroic ma mre l'oye ONDIF

¤ OR don gio
lun. 21 mars (Semaine 12)  

AV ****3 bastille meistersinger

garnier iolanta

TCE bostridge rousset amadis pygmalion purcell haendel

§ orlouvre matthäus 1/partie NIEUWE PHILHARMONIE UTRECHT
mar. 22 mars  

amphi AL petite messe rossini

AV **** CiMu mzt 25 strauss htbs bizet ut fauré pavane leleux COE pappano (2 plces)

bastille R&J proko

CNSDM lauréats SG mus chb

TCE vivaldi khoury takemitsu mendelssohn hope nemtanu EOP
mer. 23 mars  

bastille R&J proko

garnier iolanta

gaveau cctos à 2 et 3 clvecins : martin alard rondeau, françoises, PCA !

massy st jean aedes

PP rachma cloches cprice bohémien ccto 4 rozh OP
jeu. 24 mars  

)) châtelet sondheim passion

****2 PP rachma cloches cprice bohémien ccto 4 rozh OP

13h st-bastille schubt quat 15

amphi AL petite messe rossini

§ CNSM atelier lyrique
ven. 25 mars  

AV ****2 PP gardiner matthäus

bastille meistersinger

MR purcell mary haydn nelson martland eternity / jeannin OPRF & ChRF

§ CNSM atelier lyrique

§ OR bach matthäus pichon prégardien
Sabine Devieilhe, Julian Prégardien, Stéphane Degout , Damien Guillon, Maïlys de Villoutreys, Terry Wey, Samuel Boden , Thomas Hobbs , Christian Immler

§ TCE jaroussky legrenzi steffani strozzi sartorio cavalli monteverdi
sam. 26 mars  

16h orsay delage/pillois/persanes st-s/caplet/pierné/stra brahim-djelloul, mus garde rép

bastille R&J proko

garnier iolanta

OR bach matthäus pichon prégardien

soubise akilone SQ schubt12/ravel/dvoCyprès/boutry
dim. 27 mars  

20h OR bach messe christie watson negri mead mechelen morsch

garnier fleming jordan piano
lun. 28 mars (Semaine 13)  

****2 )) bastille meistersinger

garnier iolanta
mar. 29 mars  

bastille R&J proko

cortot piæ cantiones en finnois suédois et latins 1582
mer. 30 mars  

garnier iolanta
jeu. 31 mars  

(( colline t.williams ménagerie de verre jeanneteau

(( ville pirandello personnages auteur

****2 PP sibelius 4, nielsen clar, tchaï vln, OP järvi, bell

bastille R&J proko

CNSM notre falstaff

§ singer-polignac cc chb

§ TCE mzt 31, silla, air, britten illuminations, bartok mandarin petibon ONF gimeno
ven. 01 avr.  

)) garnier iolanta stieghorst

bastille R&J proko

CNSM notre falstaff

MR mahler 1 beeth trple ccto / Chung OPRF

TCE bruckner 8 nézet rotterdam
sam. 02 avr.  

11h MR milhaud création menotti maze sosnina sable / OPRF 20€

15h cortot schumann trio 2 brahms quintette
dim. 03 avr.  

)) œuvre woolf

10h45 cirq tchaï 6 colonne petitgirard

bastille R&J proko
lun. 04 avr. (Semaine 14)  
 
mar. 05 avr.  

! résas TCE

(( BdN mies julie angl

CNSM dir chant (arrngmts op)
mer. 06 avr.  

****2 TCE lully persée

AV **** CiMu airs sérieux et à boire

café de la danse farfadet adam
jeu. 07 avr.  
 
ven. 08 avr.  

19h CNSM accmpgnmt vocal le bozec

bastille R&J proko

billettes livre aliénor//hersant//DeCælis,Brisset

SQY claudel annce mrie, beaunesne

§ PP mazzola b-a millhaud/sacre/rosamunde ONDIF
sam. 09 avr.  

(( bastille rigoletto kelsey

)) ville pirandello personnages auteur

17h abbesses schwaiger heine dichterliebe clara liszt, 3 schwanengesang, brahms

AV ****2 TCE werther florez didonato rivenq ONF lacombe

SQY claudel annce mrie, beaunesne
dim. 10 avr.  

bastille R&J proko

hanson SQ harpes camac : mendel, debussy
lun. 11 avr. (Semaine 15)  

bastille rigoletto kelsey

BdN i.cooper schumann liszt wagner
mar. 12 avr.  

bastille R&J proko

§ orlouvre luminis// pachelbel,buxtehude,bach
mer. 13 avr.  

19h CNSM jeff cohen

bastille R&J proko

invalides cathdrl création haydn en fr palais-royal sarcos
jeu. 14 avr.  

(( ville madame ong

19h CNSM jeff cohen

bastille rigoletto kelsey

gaveau poul hirt&lieder//arpeggione/trioOp.99

invalides korngold bloch cctos vcl gaillard lamoureux judd

§ massy renarde

§ perreux mazzola b-a millhaud/sacre/rosamunde ONDIF

§ vx cservtre création haydn en fr palais-royal sarcos
ven. 15 avr.  

**** MR prodigue, srtilèges / Franck, OPRF

AV **** dvo 8 grieg ccto tonhalle bringuier thibaudet

bastille R&J proko

massy renarde

puteaux mazzola b-a millhaud/sacre/rosamunde ONDIF

TCE rachma symph 2 ccto 1 ashkenasy phia bezezovsky

vx cservtre création haydn en fr palais-royal sarcos

§ louvre mandoline bach 1004 et japs

§ OR Lully Persée Niquet
Hélène Guilmette, Chantal Santon Jeffery, Katherine Watson, Mathias Vidal, Zachary Wilder
Jean Teitgen, Élodie Hache, Marie Kalinine, Thomas Dolié, Cyrille Dubois, Tassis Christoyannis

Choeur et Orchestre du Concert Spirituel,
sam. 16 avr.  

)) bastille R&J proko

)) BdN mies julie angl

garnier ballet damase sauguet paulli

herblay athalia haendel
dim. 17 avr.  

)) madame ong

**** 11h PPR ouv fidelio et symph 7 pour nonette à vent !

16h herblay athalia haendel

bastille rigoletto kelsey

garnier ballet damase sauguet paulli
lun. 18 avr. (Semaine 16)  

****2 garnier ballet damase sauguet paulli

debussy schubert quint haydn 20-2 ébène, capuçon
mar. 19 avr.  

*** PP gurre OO

19h gtuit bondy amy beach Peter Pan
mer. 20 avr.  

(( bastille rigoletto lungu

¤ TCE bruck 6 brahms tgq enlightmt rattle
jeu. 21 avr.  

****2 PP philhar sibelius 5 ccto faune kavakos franck

invalides marches funèbres auber adam halévy fauré nuits été deshayes, wellington beeth

OR lucio silla skerath fagioli insula equilbey
Franco Fagioli, Olga Pudova, Paolo Fanale
Chiara Skerath, Hila Fahima

Jeune Chœur de Paris,
Insula Orchestra,
Laurence Equilbey, direction

orlouvre lassus herreweghe : larmes st-pierre//madrigx sprtuels

§ TCE berg frühe mahler 4 mzt divtmto schäfer ONF gatti
ven. 22 avr.  
 
sam. 23 avr.  

11h MR schumann symph 3 norrington OPRF

AV **** MR schumann 3 haydn 49 mzt ccto 27 / norrington OPRF (laloum)

bastille rigoletto kelsey

CiMu lucio silla
dim. 24 avr.  

12h garnier schumann-reimann chb
robert Schumann fantasiestücke,
pour violoncelle et piano
Aribert reimann aria pour violoncelle et piano
Aribert reimann adagio zum Gedenken
an robert Schumann, pour quatuor à cordes
robert Schumann Quintette pour piano
et cordes, op. 44
_
lun. 25 avr. (Semaine 17)  
 
mar. 26 avr.  

bastille rigoletto kelsey

NDP caplet charpentier lully bach lallouette ; achille, castagnet
mer. 27 avr.  
 
jeu. 28 avr.  

)) colline t.williams ménagerie de vere jeanneteau

bastille rigoletto lungu
ven. 29 avr.  

§ MR tchaï 4//ginastera malambo//chopin 1// lehninger, OPRF
sam. 30 avr.  

AV **** MR mendel 1//haydn 82//mzt ccto 22//norrington OPRF (cassard)
dim. 01 mai  
 
lun. 02 mai (Semaine 18)  

3**** bastille rigoletto kelsey


mercredi 3 février 2016

Benjamin GODARD – Dante : la pastorale des étudiants infernaux


1. Nouveaux horizons

Une nouvelle première mondiale par Bru Zane, et donc impatiemment attendue, qui sera prochainement publiée au disque. Dans l'attente, vous pouvez voir la vidéo du concert munichois de dimanche (achevé, lui) sur le site de la Radio Bavaroise.

Le sujet ne pouvait que rendre curieux ; le nom de Godard un peu moins, après lecture des partitions de Jocelyn et de La Vivandière, assez couramment trouvables dans les fonds de partitions anciennes. Des œuvres bien faites, mais sans grand relief musical, tout coule doucement, avec de jolies mélodies pas trop marquantes sur des harmonies qui, sans être pauvres ou maladroites, ne cherchent pas l'originalité. Disons qu'à tout prendre, j'aime mieux me lire ou m'écouter un Gounod ou un Thomas, plus inventifs, plus sensibles à la spécificité de ce qu'ils mettent en musique.
J'avais commenté ici la parution discographique des quatuors, plus intéressants, sans constituer non plus des révélations majeures. On pouvait espérer que, comme pour Victorin de Joncières, Godard s'adapte à la forme musicale choisie ou, dans le pire des cas, que  comme pour Félicien David, on finirait pas trouver une œuvre (Christophe Colomb, Herculanum…) qui échappe à la ces habitudes un peu lisses.

Ce n'est pas vraiment le cas, mais considérant que l'exhumation d'opéras de langue français est un peu la marotte de CSS, je peux difficilement ne pas en toucher un mot.



2. Alighieri réinventé

Le livret présente l'Enfer et le Paradis uniquement à l'acte III, au cours d'un rêve prémonitoire de Dante, endormi aux champs sur la tombe de Virgile célébré par les Écoliers. Si, si.
L'acte dédié à la Divine Comédie s'ouvre, donc,  sur une tarentelle de « groupes divers de pasteurs et de femmes portant des gerbes de blé », qui s'affairent autour du tombeau de Virgile ainsi invoqué :
Mais le temps, plein de toi, ne peut être oublié
Et ton œuvre est notre Évangile.
Dans un commun amour scellant notre amitié
Nous restons frères en Virgile !
Le reste ne vaut pas mieux : Dante est un pacifiste prêt à combattre pour Béatrice (tentative d'intégrer ses amitiés gibelines à la trame), à qui il conte fleurette dans un coin de boudoir (tandis que la suivante de sa dame soupire aussi après lui), en est séparé par un futur mari cornu, et vient tranquillement au couvent recevoir ses déclarations d'amour avant qu'elle ne meure dans ses bras (on ne sait trop pourquoi, d'ailleurs, si ce n'est que c'est la fin de l'opéra).
Bref, comme dans le pire des livrets de seria, on aurait pu remplacer son nom par celui de n'importe quel héros à la mode, et en tout cas certainement pas d'un poète – car, à l'exception de la courte fréquentation de Virgile au III et de la promesse d'immortaliser Béatrice à la fin, on ne voit pas bien ce qu'il aurait de distinctif.

Le tout dans une langue bien plate, ressassant des situations depuis longtemps démonétisées en 1890, comme si le projet était de reproduire la richesse des tableaux de Faust en l'appliquant à une autre figure littéraire. Le prisme biographique pour atteindre l'objectif n'était, à tout le moins, pas très passionnant.

Mes deux voisins se sont littéralement tenus les côtes pendant tout le premier quart d'heure de l'acte III. J'aurais aimé les en blâmer, mais voir l'ombre de Virgile, traité en Jésus au milieu de danses italiennes exécutées parmi les moutons par des bacheliers mélancoliques, a rendu ma propre stupeur impuissante à s'indigner.
Après ce spectacle, lorsque Virgile paraît, il éprouve évidemment quelque difficulté à imposer sa majesté. Il en va de même pour l'inévitable Lasciate ogni speranza, limité à une interrogation rhétorique de Dante au sein de son rêve : « Faut-il laisser toute espérance ? », qu'on laisserait presque passer inaperçue, tant la valeur n'en est pas du tout équivalente à l'allégorie initiale.

On voit bien pourquoi l'œuvre, souffrant de surcroît de conditions de création défavorables (acte III joué rideau fermé, chœurs pas la hauteur…), était destinée à choir, du moins dans une musique propre à transfigurer cet épais gloubi-boulga particulièrement peu sapide.

Pourtant, Édouard Blau (Alfred, celui de Sigurd et d'Esclarmonde, est son cousin) n'est pas toujours médiocre : au moins aussi exécrable pour Le Cid, mais tout à fait valable pour Le roi d'Ys et bien sûr Werther.



3. Composer sans Wagner

La musique vaut mieux que le livret, mais ce n'est pas non plus une révélation fulgurante.

Godard n'écrit pas de formes fermées (mais en 1890, c'est bien le moins !), assez peu de moments ressemblent à des airs (le lamento de Béatrice y arrive assez bien, le reste est vraiment intégré, n'appelle pas l'isolement ni les applaudissements), et même pas de Prélude, le chœur des Florentins (Guelfes et Gibelins) fait très rapidement son entrée ; pour autant sa musique ne tire pas le meilleur parti de cette souplesse structurelle.

La musique de Godard, de simples mélodies assez peu dansantes (on pourrait comparer ça à du Gounod sans l'évidence mélodique et le sens de la modulation, à du Thomas sans la qualité de la déclamation et du rythme), s'orchestre à coups de grosses doublures de trompettes ou de trombones-tuba, unissons et homophonies (écriture en accord, tout le monde sur le même rythme) y sont la norme – il ne faut pas en attendre de beaux contrechants dans les parties intermédiaires.

godard_dante_partition_iii.png

Il aimait à se vanter, nous dit Bruneau, de ne jamais avoir ouvert une partition de « ce bon monsieur Wagner », et cela s'entend : sans réclamer de lui un wagnérisme hors de propos, il aurait au moins pu s'instruire auprès des partitions de Meyerbeer, car l'œuvre semble alterner les contrastes sans réelle nécessité. Je me suis demandé, par exemple, au début de l'acte II, si les solos de bois servaient une métaphore renaissante ou « romaine », mais il semble, en réalité, qu'ils interviennent de façon assez arbitraires, comme de jolis moyens de renouveler les couleurs, sans lien direct avec les affects et les situations. Cette gratuité se révèle au bout du compte un peu frustrante.

Dans l'acte du rêve infernal, on est frappé par la disproportion du sujet par rapport aux moyens convoqués, de timides marches harmoniques (le même motif repris en montant un palier de la gamme), de simples cors en syncope pour l'apparition de Virgile (comme dans une reprise de thème chez Tchaïkovski, pas exactement la pointe de l'inédit) et même un thème qui s'apparente au trio « Marsch ! Marsch ! Marsch ! Trollt euch fort ! » de l'Enlèvement au Sérail. Pourtant, les figuralismes les plus réussis à l'orchestre évoquent étonnamment ceux utilisés par Rachmaninov dans Francesca da Rimini (1905) ; mais le moins qu'on puisse dire est que la science harmonique et orchestrale ne se compare guère.

L'instrumentation paraît de surcroît assez déséquilibrée vis-à-vis des voix, avec un orchestre très fourni tandis que les chanteurs sont sur des notes faibles de leur tessiture – je me demande d'ailleurs comment tout ce monde pouvait tenir dans la fosse de Favart, sauf à alléger sérieusement l'effectif des cordes et à déséquilibrer encore davantage l'ensemble.

Sa grande audace doit être l'utilisation du Dies iræ pour annoncer la mort de Béatrice.

Ce n'est pas que l'œuvre n'ait pas ses bons moments, comme l'affrontement entre la suivante (mollement) éprise et le (futur) mari très jaloux, qui évoque (en beaucoup moins marquant) celui de Leyla et Zurga dans les Pêcheurs de perles, le charmant solo de hautbois au début de l'acte IV, l'air d'adieu de Béatrice dépourvu de virtuosité (pas étonnant que la créatrice l'ait refusé), très beau, le duo étrangement léger de la dernière rencontre entre les amants… Mais tout cela reste de l'ordre du plaisant, pas vraiment de la grande intensité non plus. D'une manière générale, les actes I et II sont vraiment faibles, tandis que les deux derniers (Virgile-enfer-paradis, couvent) contiennent un certain nombre de sujets de satisfaction.



4. Pourquoi Dante ?

Alexandre Drawicki opère un travail salutaire et assure de nombreux choix clairvoyants (Sémiramis de Catel, La mort d'Abel, Cinq-Mars, Le Paradis perdu, Les Barbares…), mais j'avoue que si je m'explique Le Mage de Massenet (pas convaincu, mais il est légitime de vouloir les avoir tous à disposition), je reste assez frustré par des choix comme le cycle Félicien David (même si Colomb et Herculanum sont d'une qualité très inattendue), Dimitri de Joncières ou ce Dante, qui illustrent plutôt l'ordinaire de la composition du XIXe français dans ce qu'elle a d'un peu routinier : des gens qui savent écrire, mais qui ne cherchent pas particulièrement à en faire quelque chose d'un peu personnel.

Une version propre de Sigurd, Salammbô ou Gwendoline, des œuvres lyriques manquantes de grandes figures (Frédégonde de Saint-Saëns, La Légende de saint Christophe de d'Indy, les Pierné, Les Pêcheurs de la Saint-Jean de Widor, de grandes réussites de surcroît), des pièces qui magnifient la forme du grand opéra comme Patrie ! ou La Dame de Monsoreau, raffinés harmoniquement comme Salvayre, Hirchmann, Février, d'Ollone (Le Retour, un sacré bijou), ou qui ont une portée symbolique comme L'Aigle de Nouguès… rien de tout cela ne serait de refus. Pour ne parler que des (post-)postromantiques, car il y a tout autant à faire dans la première moitié du XIXe siècle, où les choix ont jusqu'ici été tous heureux (sauf Les Bayadères de Catel, mais je tenais à les entendre, moi le premier, malgré la partition qui m'avait parue assez peu marquante à la lecture).

Je suppose que c'est une démonstration volontaire de ce qui se faisait, et cela peut se défendre, explorer le fonds réel du répertoire (encore qu'ici, ce soit celui d'un échec) plutôt que les exceptions avant-gardistes retenues par les histoires de la musique. Mais, à l'usage, je trouve que des partitions comme celle-ci restent confinées à un intérêt documentaire, ce qui n'est, vu le public déjà assez restreint de ce répertoire, pas la première des priorités.
Je ne néglige pas la part de subjectivité, bien entendu : un certain nombre de camarades meyerbeero-regeriens (et plus que cela, LULLYstes, pelléasisants…) m'ont confirmé avoir beaucoup apprécié Dimitri de Joncières.



5. Au service de la France

Il faut dire aussi que, contrairement aux habitudes de Bru Zane, l'exécution n'était pas totalement satisfaisante.

L'Orchestre de la Radio de Munich (qui n'est pas celui dit de la Radio Bavaroise) et son directeur musical Ulf Schirmer avaient surpris, l'an passé, par leur justesse stylistique dans Gounod. Les timbres conservent leur étrange crudité (et en particulier cette clarinette solo surpuissante, sans vibrato, incroyablement persuasive et présente), mais en bien moins bonne part cette fois : l'ensemble m'a paru assez lisse, et surtout raide, pas du tout sensible aux souplesses de cette musique qui ne peut pas vivre en s'appuyant sur une structure (tout à fait absente, ce sont des épisodes plus ou moins bien juxtaposés, comme la plupart du temps dans la musique française de l'époque). L'effort de créer un climat n'était pas patent (peut-être moins motivés par cette partition ?).

munchner-rundfunkorchester_ulf-schirmer.png

Le Chœur de la Radio Bavaroise, lui non plus, n'atteignait pas du tout les mêmes cîmes (beaucoup de visages différents) : absolument inintelligibles là où il s'étaient au contraire distingués par le naturel et la clarté de leur français. Disparue aussi, cette souplesse dans le dégradé mixte du pupitre de ténors ; même les voix féminines, vraiment au-dessus de l'ordinaire des grands chœurs permanents, paraissent un peu moins fraîches.

choeur-radio-bavaroise_femmes.png

Par ailleurs, les autres chanteurs (à l'exception de Véronique Gens bien sûr, d'Andrew Foster-Williams, et dans une moindre mesure d'Edgaras Montvidas) utilisent aussi une phonation à la fois un peu lourde et pas du tout typée française, si bien qu'il est très difficile de suivre le détail de l'action sans livret – j'ai découvert un peu tard l'existence de http://www.bruzanemediabase.com, qui réunit des articles de fond et les livrets des œuvres concernées.

Bru Zane insiste beaucoup sur l'adéquation stylistique et sur le travail de la langue, mais ici, contrairement à ses habitudes, on était non seulement en deçà de ses standards, mais aussi en deçà de ce qui est le minimum souhaitable. S'il faut plisser le front pour suivre ou avoir le nez dans la brochure à acheter ou imprimer à la maison, une partie du projet part en fumée.

C'était pour partie imprévisible, je l'admets : Jean-François Lapointe était méconnaissable. Alors que, même récemment, la voix a toujours été très sonore, parfois dure, même, elle semblait bloquée à l'intérieur, aisément couverte par l'orchestre malgré les harmoniques très denses sollicitées, et le texte impossible à saisir. On aurait dit une technique totalement différente, je ne m'explique pas bien ce qui s'est passé – peut-être une méforme, puisque la bande de Munich, deux jours plus tôt, est meilleure. En tout cas, ce n'était pas un mauvais pari pour la qualité de la langue.

Pour ceux qui s'en sortent bien, Andrew Foster-Williams, malgré une émission très couverte, teintée de [eu], semble devenir toujours meilleur, toujours plus naturel dans sa diction exacte et expressive, malgré une tessiture, encore une fois, trop basse pour sa nature – ce qui a un impact sur son volume sonore, mais pas sur son équilibre vocal qui demeure inchangé, respect.

Je peux m'expliquer aussi le choix d'Edgaras Montvidas, un très rare cas de gain de notoriété internationale en chantant des raretés – Bru Zane doit être fier de l'avoir déniché, et l'utiliser en conséquence. Le français n'est pas parfait, et lui est de toute évidence peu naturel (l'emplacement de la voix n'est pas du tout français), néanmoins il est toujours correctement articulé, et surtout sa voix très particulière se prête bien à des rôles vaillants qui ne doivent pas être bûcheronnés pour autant. La voix, placée en arrière et toujours couverte (il émet tous ses sons avec une sorte d'effort teinté de [eu]) demeure claire et rayonne de façon sonore, en distinguant malgré tout les voyelles de façon nette. La tierce aiguë est même assez impressionnante. Tout cela est probablement lié à un type d'émission très vertical : le son est peut-être produit en arrière, mais monte haut dans les résonateurs crâniens, ce qui ne crée pas du tout l'effet « bloqué » de nombre de ses confrères chez qui l'impédance est si haute que le son ne sort plus (syndromes Wottrich et Behr, que j'aime beaucoup au demeurant).
Cette étrangeté et cet impact sont assez séduisants, je dois dire, même si, dans l'absolu, je voudrais entendre du français plus naturel comme Castronovo l'an passé (et, si possible, gourmand comme chez Vidal).

veronique-gens_egdaras-montvidas.png

Évidemment, au-dessus de tout le monde, plane toujours Véronique Gens, qui combine le timbre molleux, le verbe haut et délicat, une forme d'autorité très particulière qui ne passe pas par l'impact vocal (elle laisse la voix s'amollir et flotter au lieu de chercher les harmoniques dures, mais pas par pis-aller comme beaucoup de collègues, car le soutien est bandé comme un arc et lui permettrait tout à fait d'attraper ces autres couleurs). Elle conserve ce soir-là un brin moins de squillo (éclat trompettant, harmoniques hautes) que d'habitude, sans doute l'effet à la marge de rôles bas et larges qui semblent n'avoir quasiment pas affecté sa technique ni son instrument, immaculés, et elle paie cette technique d'aigus un peu tirés lorsqu'on dépasse le si bémol (donc un ou deux par opéra), mais alors quelle beauté extraordinaire du timbre, à la fois altier et familier, et quel verbe direct, là aussi permis par cette émission souple. C'est pourtant une configuration plus fragile, mais sa régularité dans l'excellence prouve à quel point la chanteuse reste en maîtrise absolue de l'exercice.
Effet très impressionnant, sur « Je vais mourir / Mais dans tes bras », deux pages avant la fin, d'entendre la voix détoner soudain, comme si le soutien se dérobait, puis voir l'actrice jouer l'effondrement, rattrapée par sa suivante. Il s'avère que, si elle n'est pas réellement morte sur scène (simple chute de tension, chacun lui souhaite de prendre soin d'elle et de se rétablir promptement), Véronique Gens entre dans la prestigieuse tradition mythologique des acteurs qui disparaissent avec leur personnage – et ici, dans une synchronisation parfaite, privant simplement Dante de sa dernière promesse (et le public de la fin de l'ouvrage). A posteriori d'autant plus impressionné qu'aucune imperfection, aucune distance n'était audible dans son chant de toute la soirée, jusqu'aux deux dernières notes s'effondrant en même temps que le personnage et qu'elle-même.



Bru Zane sortira cela dans la collection « Opéra Français » chez Singulares, et je ne déconseille évidemment pas l'achat, pour la documentation écrite et sonore, même si ce n'est pas forcément le volume que vous devez acquérir en priorité si d'aventure vous ne disposez pas déjà de tous.

jeudi 24 décembre 2015

De saison


Comme, en cette période, personne ne doit lire CSS, profitons-en pour jouir de tout son potentiel de bac à sable. Je suis un garçon consciencieux, je m'informe sur le récent Pelléas de Berlin, n'ayant pas pu atteindre les autres bandes avec Gerhaher, et c'est ici quasiment la meilleure équipe possible : Rattle-Berlin (les meilleurs là-dedans – à l'exception de Kawka-ONPL, bien sûr), Kožená (là aussi, il n'y a pas beaucoup mieux, même si la concurrence est très fournie : Kirchschlager, Vourc'h, d'Oustrac, Marin-Degor, Gens, et probablement d'autres que je n'ai pas pu entendre, Manfrino, Devieilhe, Guilmette… Kožená demeure néanmoins à mon sens la meilleure avec les trois premières citées), la délicate Fink, le prince Gerhaher, le spécialiste Finley, le noble Selig… Le tout mis en espace par Peter Sellars. Et tout bascule.


pelléas sellars


De grâce, dites-moi que je ne suis pas le seul à avoir mauvais esprit.


kozena_vader


All this time, Darth Maugda was a hidden Sith Lord.


rattle lightsaber


With her evil apprentice Darth Curlious – and his tiny lightsaber –, she intended to fulfill the dark design to rule the Galaxy. On the bright side, she had to crush the rebel and futile resistance of her son(-in-law).


kozena_vader


— Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne. Tu ne sais pas que c'est parce que… je t'aime !
— Pelléas, I am your Mother.

(Elle a brisé la glace avec son fer rougi.)


kozena_vader

— Pelléas, join me, and together we can rule the Galaxy as mother and son.
— Ta bouche !


Au passage, en juillet, on a joué Pelléas au Mariinsky (où il a déjà été donné en version scénique, les choses ont avancé en Russie depuis la réaction russe de 2007, au Théâtre Musical Stanislavski de Moscou, par Py & Minkowski), sous la direction du grand Emmanuel Villaume… et d'un chef de chœur du nom d'Andreï Petrenko, peut-être appelé à diriger des orchestres, manière de mettre encore plus la pagaille dans les nomenclature. Pour l'instant, aucun des Petrenko (Mikhaïl, Kirill, Vasily) n'a le même prénom, c'est déjà ça.

Pour retrouver les autres notules (plus intéressantes en principe) sur Pelléas et les (nombreux) autres opéras de Debussy, voyez ce chapitre (il faut ensuite sélectionner les mois en bas de la colonne de droite pour accéder aux entrées les plus anciennes).

dimanche 6 décembre 2015

Que faut-il écouter des opéras de Lully ?


lully_armide_berain_frontispice.png
Le spectaculaire frontispice d'Armide par Bérain.

A. État des lieux

Étrangement, en dehors de Rameau (qui n'a pas du tout les mêmes mérites dramatiques, et se situe déjà largement dans une veine plus ballettisante et décorative que la vraie tragédie en musique des deux premières générations), c'est surtout Lully, à l'autre bout du spectre donc, qu'on représente et enregistre. Ce n'est pourtant pas la musique la plus mélodique ni la plus élaborée, dans ce genre : la génération suivante, avec Desmarest, Campra et Destouches, semble considérablement plus facile d'accès aux oreilles contemporaines (plus de générosité mélodique, plus de variété harmonique, des drames plus violents…).

En dehors d'Achille & Polyxène (justement parce que les actes II à V sont de son élève Collasse), on dispose désormais, avec la parution discographique de Bellérophon en 2011, de l'intégralité des tragédies en musique de Lully – une entreprise commencée en 1983 avec la première Armide de Herreweghe (retirée de la vente sur le désir du chef et dès longtemps introuvable).
Certes, il a donc fallu près de trente ans, mais peu de compositeurs peuvent se vanter d'un tel traitement de faveur, couvrant l'intégralité de leurs ouvrages lyriques (quitte à laisser de côté certaines œuvres mixtes comme les ballets et divertissements chantés). Pour couronner le tout, la plupart sont encore disponibles dans le commerce, et un certain nombre programmés de temps à autre en Europe et en Amérique du Nord.

En ce qui concerne le baroque français, c'est même un exploit assez unique (si l'on excepte Charpentier, qui n'a composé que deux opéras, plusieurs fois enregistrés, et Rameau, dont l'ensemble des œuvres d'envergure n'a été fini de publier qu'en 2015, avec Les Fêtes de Polymnie par Vashegyi).

L'occasion de jeter un regard général vers les bijoux à ne pas manquer.



B. Liste exhaustive

… des tragédies en musique de Lully, plus deux pastorales qui s'approchent ou s'identifient au genre opéra. Avec des liens vers des notules monothématiques pour approfondir.

Sauf mention contraire, les livrets sont de Quinault. Les « hits » indiquent les passages célèbres, les « réussites » les moments qui font particulièrement honneur à Lully.
Il faut être conscient que les danses, que j'ai peu mentionnées, ont pu être de réels tubes, arrangées par les théorbistes, transcrites pour le piano au début du XXe siècle…


1672 – Les Festes de l'Amour et de Bacchus

Caractéristiques :
¶ Une Pastorale, grande répétition générale avant le premier véritable opéra. Pas de grande action, mais de petites scènes pittoresques où s'aiguise le sens de la déclamation. [La partie ballet du livret est due à Bensérade.]
Hits :
¶ Aucun.
Réussites :
¶ Déguisement de Forestan par les lutins railleurs (acte II) « Ah qu'il est beau / Ho, ho, ho, ho, ho, ho ! / Qu'il est joli / Gentil, poli ».
Discographie :
¶ CD Reyne (Accord 2004). Très bon.


1673 – Cadmus et Hermione

Caractéristiques :
¶ Officiellement la première tragédie en musique – Pomone de Perrin & Cambert étant classée comme Pastorale. Écriture encore assez sèche, surtout dans les récitatifs, marqués par une inspiration italienne assez cavallienne. Mais déjà un sens de la danse très particulier, et qui fait la marque distinctive du genre, plus encore que la déclamation.
Hits :
¶ « Belle Hermione » (air de Cadmus à l'acte V), au répertoire avant le renouveau baroque.
¶ Chaconne des Africains, « Suivons, suivons l'amour, laissons-nous enflammer » (acte I).
¶ Culte de Mars (fin de l'acte III).
Réussites :
¶ Chaconne des Africains, « Suivons, suivons l'amour, laissons-nous enflammer » (acte I).
¶ Duos comiques du triangle Charite-Nourrice-Arbas (acte II).
¶ Culte de Mars (fin de l'acte III).
¶ Dialogues comiques d'Arbas à la recherche du dragon avec Cadmus et avec les Princes (acte IV).
Discographie :
¶ DVD Lazar / Dumestre (disponible). En prononciation restituée. [Commentaires du DVD, du spectacle.]
Il existe une bande de Rousset à Beaune en 2000.


1674 – Alceste

Caractéristiques :
¶ Début de la véritable déclamation lullyste, à la fois très respectueuse de la prosodie et très mélodique.
Hits :
¶ Air burlesque de Charon « Il faut passer tôt ou tard / Il faut passer dans ma barque » (acte IV), enregistré dès le début du XXe siècle.
¶ Duo d'adieu à Admète mourant (fin du II).
¶ Déploration sur la mort d'Alceste par un coryphée féminin et un chœur mixte (acte III).
Réussites :
¶ Regrets d'Alcide (récitatifs en I,1).
¶ Duo de Tritons « Malgré tant d'orages » (acte I).
¶ Duo d'adieu à Admète mourant (fin du II).
¶ Chœur d'annonce de la mort d'Alceste hors scène, tandis qu'Admète se lamente sur scène (acte III).
¶ Marches funèbres d'Alceste (fin de l'acte III).
Discographie :
¶ Malgoire I (CBS 1974). Avec Felicity Palmer, Bruce Brewer et Max van Egmond. Tout à fait introuvable aujourd'hui.
¶ Malgoire II (Montaigne 1992). Avec Colette Alliot-Lugaz, Howard Crook et Jean-Philippe Lafont. Lourd, terne et empesé, assez peu engageant à écouter.
Malgoire a depuis donné, en 2007, une version assez définitive de l'œuvre (avec Véronique Gens), uniquement captée par la radio.
=> Une nouvelle gravure est donc indispensable.


1675 – Thésée
Caractéristiques :
¶ Le plus grand succès de l'histoire de l'opéra baroque français : l'œuvre la plus souvent reprise, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle.Le livret en est pourtant fort sommaire (histoire d'amour contrariée par un barbon couronné et une enchanteresse hystérique) , et la musique assez peu saillante en dehors de l'acte I. Difficile, dans notre perspective contemporaine, d'être aussi impressionné que les témoins d'alors.
¶ [Présentation.]
Hits :
¶ Pas vraiment, même si le chœur est combattants est furieusement marquant.
Réussites :
¶ Début de l'acte I : combattants hors scène « Il faut périr, il faut périr / Il faut vaincre ou mourir » et prières des femmes dans le temple de Minerve sur la scène. [Présentation.]
Discographie :
¶ Stubbs / O'Dette (CPO 2007). Studio un peu figé, surtout dans les récitatifs, mais suffisant pour une découverte.
Il existe une bande Haïm beaucoup plus vivante.


1676 – Atys
Caractéristiques :
¶ Réputé l'opéra favori du roi, c'est aussi l'une des rares œuvres de Lully à se terminer de façon tragique (dans les quelques autres cas, Roland est seulement en colère, Armide reste une magicienne mécréante, elle aussi seulement malheureuse en amour, et Phaëton qui meurt bel et bien est un contre-modèle), et vraiment sans concession, malgré des épisodes comiques qui demeurent.
¶ Rare cas de Prologue lullyste clairement articulé à l'histoire des cinq actes (Atys est présenté par les divinités allégoriques).
¶ [Présentation du livret à partir de la révision de Marmontel.]
Hits :
¶ Entrée du Temps et de Flore « En vain j'ai respecté la célèbre mémoire » (Prologue)
¶ Danses de la Suite de Flore
¶ Airs et danses de Zéphyr « Le Printemps quelquefois est moins doux qu'il ne semble » (Prologue)
¶ Chœur « Préparons de nouvelles fêtes » (Prologue)
¶ Invocation à quatre « Allons, allons, accourez tous » (acte I)
¶ Chaconne « L'amour fait trop verser de pleurs »… « Quand le péril est agréable » (acte I)
¶ Air de Sangaride « Atys est trop heureux »  (acte I)
¶ Descente de Cybèle (fin de l'acte II)
¶ Air d'Atys « Nous pouvons nous flatter de l'espoir le plus doux » (acte III)
¶ Scène du sommeil d'Atys (acte III)
¶ Air de Cybèle « Espoir si cher et si doux » (acte III)
¶ Chœur hors scène « Atys, Atys lui-même / Fait périr ce qu'il aime » (acte V)
¶ Déploration finale « Que le malheur d'Atys afflige tout le monde » (acte V)
Réussites :
¶ Entrée du Temps et de Flore « En vain j'ai respecté la célèbre mémoire » (Prologue)
¶ Danses de la Suite de Flore
¶ Airs et danses de Zéphyr « Le Printemps quelquefois est moins doux qu'il ne semble » (Prologue)
¶ Chœur « Préparons de nouvelles fêtes » (Prologue)
¶ Entrée de Melpomène « Retirez-vous, cessez de prévenir le Temps » (Prologue)
¶ Invocation à quatre « Allons, allons, accourez tous » (acte I)
¶ Tous les duos de l'acte I (Atys, Idas, Sangaride, Doris), dont la chaconne.
¶ Air de Sangaride « Atys est trop heureux »  (acte I)
¶ Air d'Atys « Nous pouvons nous flatter de l'espoir le plus doux » (acte III)
¶ Air de Cybèle « Espoir si cher et si doux » (acte III)
¶ Dispute des amants (acte IV)
¶ Chœur hors scène « Atys, Atys lui-même / Fait périr ce qu'il aime » (acte V)
¶ Malédiction d'Atys (acte V)
¶ Déploration finale « Que le malheur d'Atys afflige tout le monde » (acte V)
Discographie :
¶ CD Christie studio (HM 1987). Très figé, un peu glaçant (fait avant les représentations). [Commentaire.]
Bandes vidéos des représentations de 1987 dans la mise en scène de Villégier, saisissantes. [Commentaire.]
¶ CD Reyne (2010). Choix de simplicité, de nudité, très persuasif.
¶ DVD Christie (2011). Reprise et réfection de la mise en scène de Villégier. Luxuriance très italianisante du continuo, somptuosité de toute part.


1677 – Isis
Caractéristiques :
¶ L'intrigue de la persécution de l'amante de Jupiter (Io, devenant par la suite Isis) a été lue à la Cour comme une transposition mythologique de l'emprise prédatrice de la Montespan – interprétation trop répandue qui força Quinault à l'exil. Le livret n'est au demeurant pas le plus captivant de son auteur.
Hits :
¶ Chœur des Peuples des Climats Glacés (acte IV), avec son figuralisme hoquetant.
Réussites :
¶ Duo burlesque Iris-Mercure (acte II), d'une veine séductrice inhabituelle dans ces sphères olympiques.
¶ Chœur des Peuples des Climats Glacés (acte IV), avec son figuralisme hoquetant.
Discographie :
¶ CD Reyne (Accord 2005). Très bien chanté, un peu terne orchestralement.


1678 – Psyché (II)
Caractéristiques :
¶ Livret attribué à Thomas Corneille, puis revendiqué par Fontenelle (sans doute collectif). L'œuvre réutilise le livret de Molière (secondé par Pierre Corneille et Quinault) écrit pour la tragédie-ballet du même nom (pour partie parlée) représentée au Carnaval de 1671.
¶ De cette genèse compliquée provient sans doute le caractère moins serré de l'intrigue, entrecoupée de nombreux divertissements plus pittoresques que dramatiques, dont des lamenti italiens, un hapax dans les tragédies en musique de Lully. C'est aussi, musicalement, son opéra le moins marquant.
Hits :
¶ Les Enclumes des Cyclopes (acte II).
Réussites :
¶ Les Enclumes des Cyclopes (acte II).
Discographie :
¶ CD Stubbs / O'Dette (CPO 2008). Correctement exécuté, mais un studio pas très vivant.


1679 – Bellérophon
Caractéristiques :
¶ Canevas de Thomas Corneille, détail revendiqué par Fontenelle, moments forts revendiqués par Boileau. Contrairement à l'ordinaire, ce sont les actes pairs qui retiennent l'attention.
¶ [I – Avanies d'un livret à six mains.]
¶ [II – Structure et originalités du livret.]
¶ [III – Musique.]
Hits :
¶ Longue invocation infernale pendant l'essentiel de l'acte II.
Réussites :
¶ Tirades de Bellérophon (actes I et II).
¶ Plaintes dans les climats dévastés par la Chimère à l'acte IV (une Napée, une Dryade, Dieux des bois), d'un style original, qui laisse sentir le vide et l'effroi avant la forme ordinaire des déplorations polyphoniques.
Discographie :
¶ CD Rousset (Aparté 2011). D'un style parfait. Sans mollesse. Disposant de quelques chanteurs extraordinaires (Auvity et Teitgen). [Commentaire.]


1680 – Proserpine
Caractéristiques :
¶ Retour de Quinault. L'amour principal est ici celui d'une mère pour sa fille ; les amants sont campés par des personnages secondaires mais omniprésents – les allégories aquatiques Aréthuse et Alphée.
Hits :
¶ Airs de Proserpine : « Goûtons dans ces aimables lieux » (acte I), « Que tout se ressente de la fureur » (acte III).
Réussites :
¶ Les duos entre Aréthuse & Alphée :
« Arrêtez, Nymphe trop sévère » (acte I),
« Ingrate, écoutez-moi » (acte II),
« N'aurais-je point innocemment » (acte III),
« Pluton veut qu'avec vous nous demeurions ici » (acte IV)
« Quel cœur se peut assurer » (acte V)
=> Ils donnent toute sa saveur à l'œuvre, nous servant, malgré l'arrachement arbitraire d'une fille et au milieu des climats hostiles des enfers, de rafraîchissantes scènes d'amants bougons puis contents.
Discographie :
¶ CD Niquet (Glossa 2007). Grande rondeur (présence massive des doublures de flûtes), continuo opulent. Distribution assez formidable (D'Oustrac en Cérès, couple Staskiewicz-Auvity). [Commentaire.]


1682 – Persée
Caractéristiques :
¶ Contenu très épique, où le spectaculaire ne se limite pas aux décors. Les combats contre les monstres abondent (les Gorgones, le monstre marin), et pas à travers des récits de seconde main, ils sont directement représentés sur scène. Quinault suit de très près le résumé d'Apollodore (en particulier la place de Phinée, l'oncle jaloux d'Andromède).
Hits :
¶ Air de Méduse : « J'ai perdu la beauté qui me rendit si vaine » (acte III).
¶ Air du sommeil de Mercure : « Ô tranquille sommeil, que vous êtes charmant » (acte III).
¶ Air d'Andromède : « Dieux ! qui me destinez une mort si cruelle » (acte IV).
¶ Ballet du combat aérien de Persée contre Kêtos (acte IV)
Réussites :
¶ Récitatif sarcastique de Phinée : « Seigneur, vous m'avez destiné » (acte II)
¶ Air de Méduse : « J'ai perdu la beauté qui me rendit si vaine » (acte III).
¶ Air du sommeil de Mercure : « Ô tranquille sommeil, que vous êtes charmant » (acte III).
¶ Air d'Andromède : « Dieux ! qui me destinez une mort si cruelle » (acte IV).
Discographie :
¶ CD Rousset (Ambroisie 2001). Un rien terne, le drame n'est pas articulé avec beaucoup d'ardeur (alors qu'il s'agit du plus épique des Lully, celui en tout cas doté du plus d'actions directes), mais beau plateau, où culmine le Phinée sarcastique de Jérôme Correas (l'une des plus fines incarnations vocales de tous les temps). L'ensemble fonctionne très bien.
¶ DVD Pinkosky-Niquet (EuroArts 2005). Cyril Auvity plane (beau Mercure de Colin Ainsworth, tout de même) au-dessus d'une distribution à l'articulation très nord-américaine (en arrière), dans une mise en scène chiche en moyens mais astucieuse. Hervé Niquet ne dirige pas le Concert Spirituel, mais l'orchestre Tafelmusik de Toronto, qu'il fait sonner assez sensiblement comme le sien. Beaucoup de vie orchestrale qui permet au drame d'avancer sans faiblir.


1683 – Phaëton
Caractéristiques :
¶ Première fois, dans l'histoire du genre (et un cas qui demeure rare) où le héros est un repoussoir. Pourtant chanté par la haute-contre habituelle (car jeune, héroïque et galant), Phaëton dresse le portrait d'un égoïste, pire, d'un impudent, dont le châtiment final rassure peut-être plus qu'il n'afflige.
¶ Autre fait inhabituel, le couple amoureux authentique, des personnages secondaires comme dans Proserpine, inclut une basse-taille au lieu de la hautre-contre ordinaire (pour des raisons évidentes d'équilibres des voix sur le plateau).
¶ [Présentation.]
Hits :
¶ Serment du Soleil : « L'Envie accuse à tort Climène »… « C'est toi que j'en atteste », dans une tessiture très haut placée (acte IV).
¶ Réjouissances brutalement interrompue par la chute finale « Que l'on chante, que tout réponde » (acte V).
Réussites :
¶ Tout le rôle d'Épaphus (peut-être le plus beau de tout Lully) :
=> premier duo d'amour et d'adieu avec Lybie : « Quel malheur ! »… « Que mon sort serait doux » (acte II) ;
=> duo d'affrontement avec Phaëton : « Songez-vous qu'Isis est ma mère ? » (acte III) ;
=> imprécations devant le Temple d'Isis : « Vous qui servez Isis » (acte III) ;
=> air : « Vous qui vous déclarez mon père » (acte V) ;
=> second duo d'amour et d'adieu avec Lybie : « Ô rigoureux martyre »… « Hélas ! une chaîne si belle » (acte V)
¶ Serment du Soleil : « L'Envie accuse à tort Climène »… « C'est toi que j'en atteste », dans une tessiture très haut placée (acte IV).
¶ Réjouissances brutalement interrompue par la chute finale « Que l'on chante, que tout réponde » (acte V).
Discographie :
¶ CD Minkowski (Erato 1994). Lecture anguleuse, qui privilégie l'éclat sur le fondu. Goût pour théorbe solo dans les récitatifs. Quelques-uns des plus grands chanteurs de tous les temps dans la distribution pour des rôles-clefs : Crook (Phaéton), Gens (Lybie), Théruel (Épaphos).
Grande réussite.
¶ CD Rousset (Aparté 2013). Belle lecture, avec un continuo très subtil au clavecin. Fort bien chanté aussi, avec des voix typées qui plairont diversement. Petite réserve sur le caractère très audible des changements de mesure, que Rousset tire vers un certain alanguissement contemplatif (ce qui peut se défendre, mais reste étrange pour du récitatif) et qui tendent parfois à freiner l'élan dramatique. [Commentaire de Beaune, de Pleyel.]

1684 – Amadis
Caractéristiques :
¶ Amadis apporte une autre nouveauté : le premier sujet d'opéra français qui ne soit pas tiré de la mythologie grecque. [Contrairement à l'Italie qui utilisait volontiers des sujets tirés de l'Histoire, antique en particulier.] Pendant très longtemps (jusqu'à Scanderberg en 1735, en réalité), cette entorse se limitera à quelques grands romans espagnols et épopées italiennes autour de héros médiévaux : Montalvo, Ariosto, Tasso pour Quinault-Lully (puis Danchet-Campra, avec Tancrède), et un peu plus tard Silva-Essarts (La Motte / Destouches).
¶ Avec Atys, l'un des très rares cas de Prologue où le héros du drame est introduit ; alors qu'Atys est présenté comme une histoire pour divertir le commanditaire, dans Amadis, on désigne (à mots maigrement couverts) le roi comme le successeur direct du héros – il faut dire que le parallèle est plus aisé avec le chevalier tendre qu'avec le prêtre châtré…
Beaucoup de convergences avec Armide qu'il semble préparer : matière médiévale, structure (contredanse très proche dans le Prologue – acte I d'Armide – ; récits de victoires et de mal d'amour au I ; enchantement du héros désœuvré au II ; captivité et souffrances au III ; chaconne vocale au V, ce qui ne se faisait plus depuis Cadmus !), longues scènes comme celle d'Amadis au I.
¶ Musicalement, on est parfois étonné de la disparité entre la relative platitude du deuxième acte et la force des deux derniers (peut-être les plus beaux de tout Lully), en particulier le quatrième.
¶ [Présentation – je suis d'ailleurs beaucoup moins mitigé aujourd'hui sur les qualités de l'ouvrage.]
Hits :
¶ Invocation de l'orage : « Espris, empressés à nous plaire »… « Brillants éclairs, bruyant tonnerre » (Prologue)
¶ Air d'Arcabonne : « Amour, que veux-tu de moi ? » (acte II).
¶ Air d'Amadis : « Bois épais, redouble ton ombre » (acte II). Souvent mis au programme de récitals du début du XXe siècle – étrangement, puisque très court, sans effet particulier et mélodiquement particulièrement peu marquant. Sans doute était-il un peu plus aigu que les autres et déstabilisait-il moins les ténors ?  Si l'on voulait mépriser Lully, on ne choisirait pas meilleur exemple. [Parmi les versions disponibles, Rousset fait le choix avisé de le faire ornementer, ce qui lui procure un peu plus de relief.]
¶ Duo et chœur de captivité « Ciel ! finissez nos peines » (acte III).
¶ Invocation par Arcabonne : « Toi, qui dans ce tombeau n'es plus qu'un peu de cendre » (acte III).
¶ Grande scène d'Oriane (acte IV) : « À qui pourrais-je avoir recours ? »… « Que vois-je ? ô spectacle effroyable ! »… « Il m'appelle, je vais le suivre ».
¶ Intercession d'Urgande (fin de l'acte IV).
¶ Grande chaconne de quinze minutes avec les héros et le chœur « Chantons tous en ce jour » (fin de l'acte V).
Réussites :
¶ Invocation de l'orage : « Brillants éclairs, bruyant tonnerre » (Prologue)
¶ Scène d'Amadis (trois grandes tirades à l'acte I – entrecoupées de réponses de Florestan –, très inhabituelles dans ce répertoire, et encore plus pour un personnage masculin) :
« Ah ! que l'amour paraît charmant ! »
« Je pourrais l'obtenir par la force des armes »
« Oriane, ingrate et cruelle »
¶ Air d'Arcabonne : « Amour, que veux-tu de moi ? » (acte II)
¶ Invocation par Arcabonne : « Toi, qui dans ce tombeau n'es plus qu'un peu de cendre » (acte III).
¶ Grande scène d'Oriane (acte IV) : « À qui pourrais-je avoir recours ? »… « Que vois-je ? ô spectacle effroyable ! »… « Il m'appelle, je vais le suivre ».
¶ Grande chaconne de quinze minutes avec les héros et le chœur « Chantons tous en ce jour » (fin de l'acte V).
Discographie :
¶ CD Reyne (Accord 2006). Un peu pâle, et souffrant notamment d'une Arcabonne assez stridente. Point fort : le tempérament exceptionnel des deux amantes (Laurens en altière Oriane, Masset en éloquente Corisande, qui n'a alors plus rien d'un emploi de soubrette-sans-aigus). [Commentaire.]
Schneebeli 2010 (il existe une bande de salle partielle captée à Massy). Avec Katia Vellétaz, Dagmar Šašková, Isabelle Druet, Cyril Auvity, Edwin Crossley-Mercer, Alain Buet. Comme toujours impressionnant par le style impeccablement juste de Schneebeli, et un fort beau plateau (à part les deux méchants qui s'amusent à chanter du nez en permanence).
¶ CD Rousset (Aparté 2014). Une petite merveille d'équilibre, avec des danses d'une élégance remarquable, et soutenue par une distribution choisie parmi les meilleurs (Auvity, Arnould, Tauran, Perruche, Bennani…). [Commentaire.]


1685 – Roland
Caractéristiques :
¶ Roland est la seconde tragédie en musique dont le rôle-titre soit tenu par une voix grave (basse-taille), ce qui, contrairement à Cadmus, inaugure une licence pour les opéras dont le héros est particulièrement guerrier et le plus souvent éconduit (Tancrède, Pélops et Idoménée chez Campra, Alcide chez Destouches – mais plus étrange pour Pyrame, sorte d'Épaphus…). S'il n'est pas repoussoir comme Phaéton, le personnage central reste cependant négligé par l'amour et même assez inquiétant (le massacre final).
¶ C'est, je crois, l'un des opéras les plus homogènes et les plus constamment soignés de tout Lully, alors même que les endroits très typés y sont plus rares.
Hits :
¶ Grande chaconne avec chœur « C'est Médor qu'une Reine si belle » (fin de l'acte III).
¶ Fureur de Roland « Je suis trahi ! Ciel ! » (fin de l'acte IV).
Réussites :
¶ Mélancolie d'Angélique (récits de l'acte I).
¶ Grand duo en chaconne « Ah ! je souffre un tourment plus cruel que la mort »… « Se peut-il qu'à ses vœux vous ayez répondu ? », puis chaconne avec chœur « C'est Médor qu'une Reine si belle » (fin de l'acte III). Une scène enivrante, un des sommets de tout Lully.
¶ Grande scène de Roland dans les bois « Ah ! j'attendrai longtemps » (début de l'acte IV).
Discographie :
¶ Jacobs (aux Champs-Élysées en 1993 avec van Dam, à Montpellier en 1994 avec Naouri) a joué l'œuvre (un répertoire dont il semble pourtant peu friand) avec un continuo très riche et un véritable élan. Evidemment, le maintien est un rien raide, mais le résultat demeure remarquablement vivant et convaincant. La bande de Montpellier circule.
¶ CD Rousset (Ambroisie 2004). Version peut-être un peu mesurée, mais d'une grande grâce, qui livre pudiquement ses charmes aux fil des réécoutes.


1686 – Armide
Caractéristiques :
¶ Armide, par la qualité de finition de chaque fragment, constitue probablement l'opéra le plus abouti de l'univers lullyste. Comme dans Roland, une voix grave (bas-dessus), frappée mais dédaignée par l'Amour, à laquelle on s'attache sans jamais perdre de vue qu'il s'agit plutôt d'un contre-modèle – une sorcière métèque et mécréante, tout de même.
¶ Le drame, très cohérent et spectaculaire, est fortement caractérisé par ses triomphes guerriers (acte I), ses enchantements pastoraux (et aquatiques !) au II, son sommet infernal au III, et surtout son intermède étrange (deux nouveaux personnages à l'acte IV, incluant même un peu d'humour, ce qui n'était plus arrivé depuis Atys et Proserpine).
¶ [Présentations : fulgurances écritesdétails.]
Hits :
¶ Dialogue de la Gloire et de la Sagesse « Tout doit céder dans l'Univers » (Prologue).
¶ Scène du sommeil de Renaud, en particulier « Ah ! quelle erreur !  quelle jolie » (acte II).
¶ Grand monologue d'Armide « Enfin, il est en ma puissance » (fin de l'acte II).
¶ Invocation de la Haine « Venez, venez, Haine implacable »… « Je réponds à tes vœux, ta voix s'est fait entendre »… « Plus on connaît l'Amour, et plus on le déteste »… « Sors, sors du sein d'Armide, Amour, brise ta chaîne ».
¶ Grande passacaille avec haute-contre et chœurs « Les plaisirs ont choisi pour asile » (acte V).
¶ Monologue final d'Armide « Le perfide Renaud me fuit » (acte V).
Réussites :
¶ Ouverture.
¶ Dialogue de la Gloire et de la Sagesse « Tout doit céder dans l'Univers » (Prologue).
¶ Conseils des suivantes d'Armide « Dans un jour de triomphe, au milieu des plaisirs » (acte I).
¶ Récit du rêve d'Armide « Un songe affreux m'inspire une fureur nouvelle » (acte I).
¶ Entrée d'Hidraot « Armide, que le sang qui m'unit avec vous » (acte I).
Récit d'Aronte « Ô Ciel ! ô disgrâce cruelle ! » (acte I). En neuf vers, l'un des plus forts récitatifs jamais écrits.
¶ Dialogue d'Artémidore et de Renaud « Invincible héros, c'est par votre courage » (acte II).
¶ Duo d'invocation infernale « Arrêtons-nous ici, c'est dans ce lieu fatal » (acte II).
¶ Chœur du sommeil « Ah ! quelle erreur !  quelle jolie » (acte II).
¶ Grand monologue d'Armide « Enfin, il est en ma puissance » (fin de l'acte II).
¶ Air d'Armide « Ah ! si la liberté me doit être ravie » (début de l'acte III).
¶ Invocation de la Haine « Venez, venez, Haine implacable »… « Je réponds à tes vœux, ta voix s'est fait entendre »… « Plus on connaît l'Amour, et plus on le déteste »… « Sors, sors du sein d'Armide, Amour, brise ta chaîne » (acte III).
¶ Duo d'amour de Renaud & Armide « Armide, vous m'allez quitter » (acte V).
¶ Grande passacaille avec haute-contre et chœurs « Les plaisirs ont choisi pour asile » (acte V).
¶ Monologue final d'Armide « Le perfide Renaud me fuit » (acte V).
Discographie :
¶ CD Herreweghe I (Erato 1983). Totalement retirée du marchée par Herreweghe lui-même. Le seul disque de tragédie en musique sur lequel je n'aie jamais pu mettre la main, je crois bien. Les extraits entendus justifient sans doute le repentir de Herreweghe : c'était la première fois qu'on jouait une tragédie en musique avec un souci musicologique, et quoique bon, le résultat peut sonner un peu trop mou avec le recul des années.
¶ CD Herreweghe II (HM 1992). La version couramment disponible en CD, rééditée il y a peu, et formidable en tout point : beaucoup de rondeur et d'élégance, mais un drame tout à fait vivant, porté par des chanteurs-diseurs exceptionnels (Laurens, Crook, Gens, Rime, Deletré…). Seule étrange réserve, la passacaille, un peu indolente et assez peu dansante.
¶ CD Ryan Brown (Naxos 2007). L'ensemble Opera Lafayette a proposé ce qui était alors la seule alternative disponible à Herreweghe II, mais quoique correctement chanté et exécuté, tout nage dans une telle indolence (et dans des timbres si gris) qu'on parvient quasiment à s'ennuyer. À déconseiller absolument pour débuter, et probablement sans intérêt pour les habitués. Le seul disque médiocre de la discographie, en réalité.
¶ DVD Carsen-Christie (Fra Musica 2008). Une lecture visuellement marquante, et musicalement fulgurante (en particulier pour l'Armide de Stéphanie d'Oustrac, mais aussi un continuo très généreux). La chaconne est ébouriffante. Seule réserve : deux petites coupures (un vers à l'acte I, et la scène du désenvoûtement au V), assez injustifiables, même sur le plan dramaturgique (un vers orphelin et l'explication de revirement de Renaud). Le couplage avec la version Herreweghe II permet ainsi de tout avoir au meilleur niveau (intégralité et chaconne réussie).


1686 – Acis et Galatée
Caractéristiques :
¶ Retour tardif à la Pastorale, en trois actes et un Prologue. Ce n'est pas une œuvre royale, plutôt une commande de circonstance (donnée par le duc de Vendôme en l'honneur du Grand Dauphin, au château d'Anet). Néanmoins, il s'agit d'une intrigue théâtrale complète, c'est pourquoi je l'inclus dans ce petit horizon des premiers opéras. On y traite de résurrection plus légèrement que dans la tragédie (cela n'arrive pas avant Hippolyte & Aricie de Rameau, me semble-t-il).
¶ Le livret (de Campistron) et la musique ne sont pas les meilleurs du répertoire lullyste, mais les danses sont belles, et l'œuvre présente la particularité de proposer fromage et dessert : une courte chaconne vocale et une longue passacaille vocale et chorale !
Hits :
¶ Chaconne de l'acte II « Qu'une injuste fierté ».
¶ Scène de Galatée et déploration « Enfin j'ai dissipé la crainte » (acte III).
¶ Grande passacaille finale de l'acte III « L'Amour veut qu'on jouisse ».
Réussites :
¶ Chaconne de l'acte II « Qu'une injuste fierté ».
¶ Marche « Qu'à l'envi chacun se presse » (acte II).
¶ Scène de Galatée et déploration « Enfin j'ai dissipé la crainte » (acte III).
¶ Grande passacaille finale de l'acte III « L'Amour veut qu'on jouisse ».
Discographie :
¶ CD Minkowski (Arkiv 1996). Le maintien est un rien raide, mais les danses sont très belles. Et puis il y a Gens et Delunsch dans les chaconnes, quand même.


1687 – Achille et Polyxène
Caractéristiques :
¶ Composition interrompue par la mort de Lully, seuls l'Ouverture et le premier acte sont de sa main. Le reste fut complété par son élève et esclave secrétaire Collasse (celui qui écrivait toutes les parties intermédiaires du matériel d'orchestre fourni aux musiciens royaux). Pour cette raison, l'œuvre fut boudée à sa création, reprise une seule fois en 1712, et jamais rejouée depuis semble-t-il, à l'exception d'une version de concert à Hambourg en 2007 (Cythara-Ensemble dirigé par Rudolf Kelber).
¶ Préventions parfaitement infondées, Collasse est un grand compositeur et, pour l'avoir lu et joué, l'acte V d'Achille et Polyxène est, dramatique et musicalement, du niveau des grands Lully – récitatifs enflammés, chœurs d'effroi, grand récit final. Aucune raison de ne pas remonter ces ultimes mesures de Lully, en conséquence.
¶ [Présentation et extrait.]
Hits :
¶ ?
Réussites :
¶ Désespoir de Briséis, chœur de la mort d'Achille et grande tirade finale de la mort de Polyxène (acte V).
Discographie :
¶ Ma petite glotte et mes gros doigts.



C. Livrets

Petit tableau synoptique des évolutions. (On a mis en couleur les caractéristiques inhabituelles. Dans la dernière colonne, le rouge indique un opéra qui « finit mal », le vert un opéra dont l'issue est considérée comme joyeuse – et plus la couleur est sombre, moins la gaîté est de mise.)



Auteurs
Humour
Rôle-titre
Fin
1
Cadmus et Hermione
Quinault.
– Coquette rouée.
– Vieille amoureuse.
– Duel de générations.
(acte II)
Couple d'amants.
Amants heureux.
2
Alceste
Quinault. – Duel de rivaux (acte I).
– Coquette rouée (acte I).
– Chantage au mariage (acte II).
– Plaintes du vieux guerrier (acte II).
Amante.
Amants heureux.
3
Thésée
Quinault. Jalousie infondée (acte I).
Amant.
Amants heureux.
4
Atys
Quinault. Dispute d'amants (acte IV). (unique cas où concerne les personnages principaux)
Amant.
Amants morts, méchants désespérés.
5
Isis
Quinault. Badinage entre dieux (acte II).
Victime (vaguement amante).
Victime sauvée, renoncement à l'amour.
6
Psyché
Th. Corneille, Fontenelle.
Relatif ridicule des sœurs jalouses (acte I).
Amante.
Amants heureux.
7
Bellérophon
Th. Corneille, Fontenelle, Boileau.
Non.
Amant.
Amants heureux.
8
Proserpine
Quinault.
Vantardise d'amant éconduit (acte II).
Victime.
Liberté conditionnelle.
9
Persée
Quinault. Non.
Amant.
Amants heureux.
10
Phaëton
Quinault. Non.
Ambitieux impudent.
Impudent châtié, amants partiellement sauvés. (on le suppose, mais ce n'est pas dit)
11
Amadis
Quinault. Non.
Amant.
Amants heureux.
12
Roland
Quinault. Non.
Amant éconduit et brutal.
Héros malheureux, amants heureux.
13
Armide
Quinault. Brève raillerie en miroir (acte IV).
Amante ennemie,  éconduite et dangereuse.
Magicienne malheureuse, amant libéré.
14
Achille et Polyxène
Campistron.
Non.
Couple d'amants.
Amants morts.




D. Le plus beau ?

La quantité de moments forts ne déterminant pas nécessairement l'intensité du flux général, et les rares versions conditionnant aussi beaucoup notre perception, il est difficile de décerner les palmes.

À partir de Bellérophon, on se situe vraiment dans la maturité lullyste, et à partir de Phaëton, la densité musicale devient particulièrement impressionnante. Néanmoins, les chefs-d'œuvre existent d'emblée : Alceste et Atys en témoignent, et même, malgré ses archaïsmes, Cadmus témoigne en maint endroit d'une inspiration de tout premier ordre.

Les LULLYstes distinguent en principe Atys et Armide, qui sont clairement les deux meilleurs livrets, et qui ménagent une quantité assez immense de moments mélodiques ou pittoresques. Mais cela tient aussi au fait que ce sont les seuls qu'on ait pu écouter et réécouter depuis trente ans, et qui ont été servis par des productions aussi exemplaires. Leur domination est justifiée (la musique d'Armide est de très haute volée, et le livret dAtys d'une force sans égale), mais on pourrait soutenir bien d'autres combinaisons.

À ce jour, je crois que je distinguerais avant tout Armide et Roland, pour le raffinement extrême de leurs équilibres et le naturel de leur déclamation, mais Cadmus, Alceste, Atys, Phäeton, Amadis, et même Bellérophon, Proserpine ou Persée méritent de grands honneurs. Je suis moins enthousiaste sur Thésée (le début de l'acte I est formidable, mais le reste vraiment peu passionnant, à commencer par le livret, et pourtant ce fut l'opéra de Lully le plus apprécié en son temps !), Psyché et Isis, dont je perçois moins la poussée générale (pourtant, le livret de Psyché est ravissant).



Quand j'aurai deux minutes, je tâcherai de confectionner une carte des chaconnes, mais pour l'heure, vous avez déjà de quoi vous amuser à redécouvrir (ou rattraper votre retard).

dimanche 8 novembre 2015

La légende urbaine du diminuendo de « Celeste Aida » : on vous a menti


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domingokaufmann
L'élégance native des grands interprètes.



Pour yeux autorisés – et oreilles glottophiles – seulement.


1. Le rapport à la partition – configuration variable

On lit, souvent, de la part de mélomanes (parfois éclairés, mais un peu désinvoltes en l'occurrence), des reproches envers les musiciens « qui ne respectent pas la partition ». Dans la plupart des cas, c'est un petit canard, une entorse longuement soupesée, une nouvelle édition critique ou une illusion suivant le placement ou l'ouïe du spectateur (dans certaines œuvres, des mélodies déceptives peuvent faire croire qu'on détonne, par exemple) ; quelquefois, certes, il arrive que les interprètes aillent délibérément à rebours des vœux du compositeur, mais vu la déférence extrême vis-à-vis de l'écrit dans l'univers de la musique classique, c'est plutôt rarement le cas.

Et, régulièrement, on entend ainsi des récriminations contre des choses qui n'existent pas, particulièrement dans la musique vocale où les traditions sont légion – tout le monde connaît l'histoire de l'ut de « Di quella pira » : un sol sur la partition, qui a l'originalité de ne pas être la tonique de l'accord, et qui produit un effet suspensif parfaitement en situation… mais que les ténors changent systématiquement en contre-ut, voire en si, quitte à baisser l'air d'un demi-ton pour pouvoir chanter une note non écrite. Bref.
Mais il y a d'autres cas moins célèbres où les mêmes jugements péremptoires s'appliquent sur la « vérité de la partition », par ceux qui ne l'ont pas lue. Comme, récemment, le reproche à Klaus Florian Vogt de ne pas faire le premier aigu de Bacchus (qui n'est pas écrit, il ne double pas l'orchestre la première fois), et donc de tricher avec la partition quand Jonas Kaufmann, lui, la respectait (en changeant la ligne écrite et l'économie de la partition, donc !).

Dans le même temps, on coupe allègrement dans Elektra et même dans le sacro-saint duo d'amour de Tristan, sans indigner particulièrement les foules. Je n'ai réussi à trouver aucun enregistrement officiel qui exécute « Nessun dorma » tel qu'écrit, par exemple.


2. Mythologie de « Celeste Aida »
: Franco Corelli

Le problème advient surtout lorsque, forts de l'envie d'admirer quelqu'un, tout le monde se met à répéter qu'il respecte seul la partition, alors que ce n'est pas le cas.

Et dans le cas de « Celeste Aida », l'air du ténor au début de l'opéra, on ne peut qu'entendre chanter les louanges de Franco Corelli qui dans son studio avec Mehta (ce n'est pas le cas avec Questa) est « le seul à faire le diminuendo / morendo demandé par Verdi ». Voici ce à quoi cela ressemble.


Première remarque, inévitable : oui, l'aigu est magnifique, attaqué en pleine voix (gros aperto-coperto sur coup de glotte, pas discret mais impressionnant de musculature), puis diminué jusqu'à passer, sans la moindre rupture, à une émission plus légère, sans changer le timbre, avec un effet « potentiomètre » très impressionnant.
Et tout le monde de dire que seul Corelli fait le morendo (qui implique de tendre vers la disparition du son, contrairement au diminuendo qui n'indique qu'une direction décroissante) demandé par Verdi. À peu près infaisable pour le commun des mortels, donc de toute façon, ça ne pourrait pas constituer un modèle dans l'absolu, mais si l'on regarde un peu la partition :

aida diminuendo
aida diminuendo
aida diminuendo

… il n'existe pas de morendo sur le si bémol final !  C'est tout le phrasé, jusqu'au si bémol, qui doit aller s'éteignant. Et toute la section est écrite dans des nuances extrêmement délicates, à l'exception du premier si bémol « ergerti » (« t'ériger [un trône] »), qui n'est qu'un forte simple au demeurant.
Cela signifie que Corelli, chantant tout à pleine voix, est on ne peut plus à rebours de l'esprit attendu par Verdi, tout sussurré sur le fil de la voix.

On peut supposer, de là, qu'il était nécessaire de chanter tout l'air en voix mixte (à rebours de toutes les habitudes des ténors), voire en quasi-fausset sur le dernier aigu, pour un air qui devrait davantage tenir de la Barcarolle de Nadir que des duels de La Force du Destin.

On peut en profiter, manière d'achever d'enterrer le mythe du Corelli philologique, pour souligner la gestion pas très nette des rythmes (son petit récitatif au début de l'extrait), ses portamenti (ports de voix) extrêmement appuyés (les ascendants au début de l'air sont assez mammouthisants) et d'une manière générale son tropisme vers les nuances très puissantes, qui font de son Radames un guerrier très crédible et un objet vocal assez enthousiasmant… auquel on ne peut cependant pas prêter le souci du respect du texte.

Bref, cette nuance finale est une coquetterie délicieuse, mais sans rapport avec la partition (voire à rebours de son esprit).


3. Quelle est la bonne façon ?

La seule version que j'aie entendu qui s'en rapproche (mais n'aimant guère cet air, peut-être parce qu'il est toujours lourdement chanté, je n'ai écouté que les versions contenues dans des intégrales, il existe peut-être des « ténors demi-caractère » à la française qui ont fait ça en récital…) est la plus récente, celle de Jonas Kaufmann dans le studio de Pappano.


Ce n'est pas la panacée, il émet en voix pleine et assez fort, mais en essayant de maîtriser la puissance (sauf pour « ergerti » en triple forte). Le dernier phrasé tend vraiment vers le morendo, et l'échelonnement des nuances (notamment le quadruple piano) tend à être respecté. Cela au prix de cette forme de détimbrage caractéristique chez lui (toujours prêt à sacrifier le timbre pour servir la nuance et l'esprit), qu'on peut trouver diversement plaisante, mais qui tâche, à défaut d'émission mixte, de respecter ce qui est prévu par le compositeur.


4. Et les autres ?

Oh, c'est assez simple : la plupart ne peut pas faire comme Corelli, et aucun n'essaie de faire comme Kaufmann.

Par exemple Jon Vickers, au faîte de sa gloire (1960, à San Francisco avec Molinari-Pradelli) :

les quadruples piani sont superbes, mais Vickers choisit au contraire le crescendo à la fin de l'air (superbe au demeurant, l'un des plus réussis à mon avis).

Même les voix plus légères, par exemple Josep Carreras, n'essaient même pas et montrent au contraire les muscles (studio Karajan II) :

le début du phrasé est doux, mais l'aigu part en force. Il y a peut-être une part de limitation technique aussi, parce que Carreras ou La Scola, malgré leur matière plus légère, n'étaient pas précisément des princes des aigus pppp.

Le plus insolent négateur est forcément Luciano Pavarotti, extraordinairement doté et domestiqué, capable de produire les sons à volonté, mais qui cherche au contraire (chez Levine) à émettre le plus de décibels qu'il lui est possible :


Ensuite, il y a ceux qui voudraient peut-être, mais qui ne peuvent pas : Carlo Bergonzi (chez Karajan), malgré sa rondeur légèrement mixée, n'est pas capable d'alléger son mécanisme et reste surtout tendu vers l'émission de la note juste, sans pouvoir vraiment maîtriser le volume.


Enfin, une tendresse pour Plácido Domingo (chez Abbado), pas du tout ce que j'aime dans ce rôle, mais qui cherche manifestement à brider un instrument difficile, à masquer le métal (très intense en vrai, remplissant aujourd'hui encore une salle comme rien) pour ne pas faire des notes trop brillantes – résultat, cela paraît très contraint et poussé (alors qu'il pouvait faire beaucoup plus glorieux).


Bref, ça n'intéresse personne, et si jamais c'était le cas, ceux-là ne sont pas en mesure techniquement d'honorer le contrat – ou, du moins, ne sont pas prêts à concéder le sacrifice de l'ire du public, dès le début de l'opéra, dans leur seul air…  Car une note en voix de tête, dans le milieu glottophile italien, équivaut à de la haute trahison. On en siffle pour des aigus un peu blancs, un peu bas ou un peu poussés, alors en fausset, renforcé ou pas, ce serait du suicide !
Pourtant, tous ces ténors  pourraient parfaitement le chanter Alagna style, en opérant une transition vers le fausset (un peu plus dense que lui quand même, la plupart savent très bien faire ça).

Ou bien on pourrait distribuer le rôle à des ténors moins glorieux mais plus souples. Là encore, gros risque pour le programmateur et surtout (car ça ferait salle comble quelle que soit la distribution) pour le chanteur.


5. Moralité

Avant de porter des jugements sur le sérieux des musiciens, ouvrir la partition n'est pas un luxe superfétatoire. Parce que, qu'on les aime ou non, qu'ils soient impressionnants ou en difficulté, ils l'ont tous fait, eux. À défaut, on peut toujours se contenter de commenter le résultat, même avec sévérité – mais sans feindre d'évaluer leur sérieux.

Seront uniquement excusés les titulaires d'une Carte d'Invalidité Glottophile, dûment tamponnée.

Pour les autres, ce sera le Goulag des Glottes – où des haut-parleurs diffusent en boucle les anthologies Andrade-Jenkins-Anfuso-Middleton, ainsi que l'intégrale des symphonies de Stamitz. Personne n'a pu vivre assez longtemps pour en rapporter une description fidèle.


6. Prolonger

Quelques autres notules où l'on s'interroge sur l'effet contenu dans la partition ou sur la façon de l'exécuter, dans le répertoire vocal italien et au delà :


samedi 7 novembre 2015

[Carnet d'écoutes n°92] – Marathon : les orchestres parisiens


Intéressante expérience ces derniers jours. En deux semaines, entendu les principaux orchestres parisiens en concert : Orchestre de l'Opéra, Orchestre National de France, Orchestre de Paris, Orchestre de chambre de Paris, Orchestre Colonne. Épuisé, quasiment agonisant, j'ai renoncé à finir le cycle avec le Philharmonique de Radio-France, de toute façon entendu il y a peu.

Il manquait donc le National d'Île-de-France et les deux autres municipaux, Lamoureux et Pasdeloup. Et la juxtaposition est très intéressante, parce qu'elle révèle pas mal de détails qui passent peut-être inaperçus sur la longue durée.

À ceux-là, s'ajoutent depuis septembre le Philharmonique de Strasbourg, la Radio de Hambourg (NDR), l'Opéra de Munich (BayStO), le Symphonique de Londres (LSO) et le Symphonique de Cleveland, mais ce sera pour d'autres fois.


L'Orchestre Colonne – Première Symphonie de Walton
(lundi 2 novembre)

De la série, Colonne est clairement le plus modestement doté techniquement – je l'aime beaucoup d'ordinaire, mais dans ce programme particulièrement peu rebattu (une œuvre du XXIe siècle, le Burleske de R. Strauss et la Première Symphonie de Walton), les fragilités étaient plus saillantes :  il n'y avait pas de fondu d'orchestre, les pupitres semblaient émerger assez aléatoirement de la masse sonore, et (je ne voudrais pas en jurer) le Burleske m'a paru vraiment mal en place. Certes, on s'en moque, cette pièce ne vaut pas un złoty, mais entre les violons très aigres et l'impression de décalages récurrents (dont j'attribuais la cause principale à la précipitation du pianiste, sans plus de certitude…), ce n'était pas le beau visage de l'orchestre engagé dans Gould, Rangström ou Tchaïkovski.

L'œuvre de Patrick Burgan (Le Lac, avec le texte de Lamartine) n'était au demeurant pas passionnante : le début instrumental intéresse, avec ses vagues consonantes qui se superposent en dissonances, avec ses aplats d'agrégats qui, sur des flûtes ascendantes, semble mimer la brume humide qui s'élève… mais le traitement textuel est une parodie de semi-mélodies en escalier mille fois entendues (refus des mélodies conjointes, tout en restant néo-, donc parfaitement gris et plat sans même être radical pour autant).

À l'opposé, la Première Symphonie de Walton, pour laquelle je m'infligeais tout cela, mériterait de devenir un standard des salles, pour changer un peu de Mahler. Véritablement haletante pendant ses 45 minutes, parcourue d'un motif cyclique en mutation perpétuelle, elle cumule les avantages de son genre (très riche en couleurs, grande sollicitation de chaque pupitre, forme particulièrement développée) et l'immédiateté d'une œuvre de caractère – il suffit de considérer cet ostinato aux contrebasses (presque toujours divisées par deux, chose plutôt rare – c'est dire le niveau de complexité contrapuntique de la partition !) pendant le plus clair du premier mouvement. Un motif très déhanché, qui procure une assise en mouvement perpétuel à l'ensemble – exactement ce que Nielsen a du mal à réussir, avec un propos original et passionnant mais des basses un peu molles, qui manquent de rebond. Bref, savamment arachnéen mais tirant vers la félibrée… Imparable.
Au demeurant, Colonne s'en tirait fort bien (un programme énorme et totalement nouveau en combien de services) ; il ne fallait pas y chercher l'hédonisme sonores des plus grands orchestres, mais l'œuvre fonctionnait aussi bien qu'au disque, justice lui fut vraiment rendue – et malgré sa structure assez didactique, je me figure qu'il est aisé de se perdre dans ce grand ensemble. Grâce à cette seconde partie, l'un des concerts les plus enthousiasmants de ce début de saison.


L'Orchestre de Chambre de Paris – Serenade de Britten
(mardi 3 novembre)

L'Orchestre de Chambre de Paris, plusieurs fois loué ici, n'était pas tout à fait à son meilleur niveau ce soir-là (petites imprécisions), ni dans son meilleur répertoire. Quelle étrange chose, aussi, de faire jouer du consort de violes de Purcell par un orchestre à cordes moderne (et de culture romantique, même si leur souci stylistique est important). Pour Corelli non plus, clavecin ou pas, ça ne fonctionne pas bien. Comme avec Norrington, les basses sont trop lourdes et régulières, les irrégularités de phrasés un peu systématiques pour ce répertoire. À tout prendre, je crois que j'aime d'avantage l'option grassement hors-style (Monteverdi façon Maderna ou Lully façon Rosenthal) plutôt que ce compromis sec mais peu dansant.

Contrairement à la Fantaisie sur Tallis de Ralph Vaughan Williams avec Norrington, sur un parti pris audacieux, dépaysant et réussi de refus (exotique dans cette musique) du vibrato, pas très séduit non plus par la Fantaisie sur Corelli de Michael Tippett, qui crincrinne un peu sans vibrato – les dernières minutes, où il intervient enfin, sont beaucoup plus convaincantes. Les Variations sur un thème de Bridge de Benjamin Britten démontraient mieux la versatilité du l'orchestre, mais l'œuvre n'est pas un sommet non plus, même si le pittoresque des sections centrales (marche, romance, air italien, bourrée, valse viennoie, perpetuum mobile) demeure particulièrement roboratif en concert.

Ils avaient manifestement beaucoup mieux préparé (ou joué plus souvent ?) la Sérénade pour ténor, cor et cordes de Britten, où l'on retrouve leurs qualités proverbiales : finesse du trait, agilité, délicatesse… Vraiment calibré pour alléger les romantiques et les modernes, pour en donner des interprétations particulièrement lisibles et débarrassées des épaisseurs superflues.
Par ailleurs, Andrew Staples (ténor solo dans les Scènes de Faust de Schumann par Harding et la Radio Bavaroise – une référence – et dans le Messie de Haendel par Haïm, très bon dans tout cela) se révèle un petit miracle sonore en vrai : grâce à une émission haute, claire et sonore, il peut se mouvoir dans des configurations légères, suspendues, délicates ou glorieuses. L'agilité est très bonne et l'anglais parfaitement articulé (ce n'est pas un attribut automatique chez ses confrères britanniques !), d'une émotion pudique. En réalité, toute la voix est fondée sur un équilibre très soigné entre l'efficacité d'émission (presque nasale) et la beauté du timbre (avec une rondeur qui s'obtient au contraire plus en arrière de la bouche), avec une émission mixte très souple, qui permet aussi bien le confort dans les parties longtemps très aiguës (en élargissant la voix de tête) que la voix pleine glorieuse (mais agréablement timbrée). Particulièrement impressionnant.
À leurs côtés, Stefan Dohr, premier cor solo au Philharmonique de Berlin, aux caractéristiques très allemandes (son particulièrement rond, d'un éclat sombre).


L'Orchestre de Paris – Saint-Saëns
(jeudi 29 octobre)

Saint-Saëns (Concerto pour violoncelle avec Sol Gabetta – d'ailleurs une sacrée projection très timbrée, qui explique un succès qui ne me paraissait pas évident, au disque – et Symphonie avec orgue) ne flatte pas les qualités du tandem OP-Järvi, au demeurant très bon ce soir-là, avec une grande lisibilité logique dans la progression structurelle.

D'une manière générale, à l'Orchestre de Paris, j'aime surtout leur grande plasticité – c'est à rebours de leur caractère (exécrable pour certains chefs d'attaque et de pupitre) et de leur réputation (d'indiscipline) –, mais en concert, c'est l'un des orchestres qui adapte le mieux son profil sonore au chef et au répertoire. Avec Järvi, en conséquence, on obtient un résultat beaucoup moins standardisé (que ce soit par rapport aux normes internationales ou par rapport au son habituel de tel orchestre d'un concert à l'autre) qu'avec n'importe quelle autre formation parisienne.

Il a mauvaise réputation chez les mélomanes concertivores, le considérant souvent comme un orchestre de seconde zone, manquant de cohésion ; c'est non seulement injuste (le niveau individuel est très élevé, même s'il n'est pas celui des orchestres de Radio-France ou de l'Opéra) mais aussi biaisé, si l'on ne prend pas en compte la sensibilité au style, justement. Par rapport à tous ces orchestres qui jouent tout, peut-être avec une meilleure fusion collective, mais avec la même pâte quel que soit le répertoire. Par exemple le Philharmonique de Radio-France (finalement dû revendre ma place de cette semaine, mais entendu il y a peu de toute façon), qui est fulgurant dans Wagner, R. Strauss ou Rachmaninov, mais joue la musique française avec le son du Philharmonique de Berlin des années Karajan – et ça, c'est mal.

L'Orchestre de l'Opéra de Paris – Moses und Aron
(lundi 26 octobre)

Déjà commenté le spectacle deux fois (vidéo et représentation) ; concernant l'Orchestre de l'Opéra, on ne peut qu'admirer le niveau de virtuosité superlatif, peut-être le plus élevé de France (et en tout cas l'un des plus prestigieux, même pour les musiciens – tiens, comme à Francfort). Étrangement, je ne lui trouve pas un profil sonore très personnel… il peut varier selon les productions, et surtout reste assez neutre, ne recherchant pas la typicité. C'est une valeur sûre pour servir toutes les musiques, de ce point de vue, avec quelque chose de peut-être un peu froid – mais rarement peu engagé, en tout cas dans le répertoire où je vais majoritairement le voir – raretés, donc plutôt XXe siècle vu leur répertoire (car dans Mozart ou pour le ballet, ce n'est pas exactement ardent en général…).
Leurs concerts symphoniques sont en général très beaux, du niveau des meilleures formations.


L'Orchestre National de France – Tchaïkovski & Britten
(jeudi 5 novembre)

Voilà un cas amusant… Le National était à l'origine l'orchestre de radio français le plus prestigieux, chargé du patrimoine français et des créations (tandis que le Philharmonique devait être à configuration variable, pour servir le XVIIIe allégé ou à l'inverse les grandes machines du XXe).

Mais le vent a tourné, et les amateurs éclairés, le prestige regardent désormais le Philharmonique comme le sommet de l'excellence symphonique française. Les attributions aussi : le National joue essentiellement le grand répertoire du XIXe, que ce soit l'accompagnement d'opéras (suivre des chanteurs dans Donizetti ou Verdi, voilà qui n'est pas follement prestigieux) ou les symphonies de Mendelssohn, Dvořák, etc. Comme on ne propose plus guère de répertoire français dans cette maison, ils se font plus rares (et sont même parfois confiés au Philharmonique, qui programme volontiers Debussy et Dukas). Le Philharmonique joue certes toujours les formats semi-chambristes du XVIIIe et du début du XIXe (assez bien d'ailleurs, considérant sa culture de départ), mais se trouve surtout dévolu au vingtième siècle, et à la création.

Bien que le Philharmonique soit toujours très peu représenté au disque (une dizaine de titres !), le National est ainsi regardé avec une forme de mépris plus ou moins discret – l'orchestre-pour-Verdi, l'orchestre-pour-programmes-grand-public, etc. Pourtant, je lui trouve un niveau exceptionnel : le grain des cordes est particulièrement impressionnant (rarement entendu un si beau pupitre d'altos, à la fois tranchant et profond !), très dense, légèrement dur, mais avec une profondeur de résonance très grande, tandis que la petite harmonie dispense des couleurs chaleureuses inhabituelles en France (où les timbre sont en général plus clairs et froids). Non seulement cela se vérifie quel que soit le programme, mais surtout cela s'adapte très bien à n'importe quel type de musique : la fermeté et la couleur, tout le monde peut en bénéficier ! 

Par ailleurs, la discipline d'ensemble est impressionnante : on voit rarement en France les pupitres s'élancer comme un seul homme – même visuellement, le moindre orchestre allemand paraît immédiatement une caserne lorsqu'on est habitué aux orchestres français. Beau travail collectif.

Très agréablement surpris par Edward Gardner (ancien chef principal à l'ENO), qui ne m'avait pas laissé cette impression d'énergie et de netteté dans ses précédentes fonctions (mais il faut dire que j'ai surtout dû l'entendre dans le flou des prises Chandos, que ce soit pour de l'opéra ou du symphonique). Quant au violoniste James Ehnes, pas vraiment starisé, on est confondu par la puissance de la projection, la qualité de timbre (même dans les passages rapides, toujours une rondeur extrême, façon Hilary Hahn), le goût des phrasés. Ce ne sont pas les grands violonistes qui manquent, mais celui-ci en est vraiment l'un des meilleurs. En bis, son mâle Bach tradi était à couper le souffle.

Voilà pour ce petit bilan, assez différent des hiérarchies habituellement prêchées, qui permettra – je l'espère – de se poser la question, précisément, sur les critères d'une hiérarchie.


Notule ouverte à Radio-France

Pour terminer, un petit message personnel.

Radio-France, vous avez un problème.

Pour le concert Britten-Tchaïkovski-ONF-Gardner, le système de réservation annonçait une salle quasiment pleine – dans les faits, plus du tiers était libre. Ce n'est pas pour laisser cours à mes instincts poujadistes, mais considérant que les déficits de billetterie sont directement financés par les contribuables (même les poitevins et franc-comtois, même ceux qui écoutent Drake ou n'aiment pas la musique), au delà de mon confort personnel de n'avoir aucun voisin sur mon rang, pourrait-on essayer de tout vendre ?

J'ai quelques hypothèses, et je ne crois pas que le positionnement peu clair des orchestres (qui jouent tous deux Wagner, Mahler et Debussy) en soit responsable :
¶ identité de la salle (quel est son projet, au juste ?) ;
¶ tarifs (peu de places pas chères comparé à la concurrence, qui propose pour moins cher des orchestres étrangers ou des solistes superstars : qui va payer 40€ pour être de côté pour entendre un orchestre de radio, indépendamment de l'intérêt du programme et de la qualité de l'exécution ?) ;
¶ accueil du public (l'accueil dans le hall est passablement suspicieux et brutal, sans être toujours rigoureux pour autant : outre le contrôle, souvent à la limite de l'impolitesse, les espaces intérieurs sont mal délimités, ce qui conduit le personnel à courir après les gens pour leur demander où ils vont, ce qui n'est agréable pour aucune des deux parties). On sent bien que le lieu n'est pas conçu pour le public comme une salle de spectacle standard, et que l'on y est, billet en poche ou pas, tout juste toléré au creux d'un plus vaste dessein.

Bref, aller dans une salle peu prestigieuse en payant plus cher pour voir des artistes moins célèbres depuis des places qui ne paient pas de mine (même si le son est bon), forcément que ça peine un peu à remplir, tandis que la Philharmonie a si bien saisi l'air du temps (le contrat est diversement rempli, mais ça donne envie d'aller découvrir – personne ne m'a dit ça pour Radio-France).

Je conçois bien qu'un certain nombre de ces paramètres sont difficiles à amender, mais au minimum… mettez les places en vente, ça aidera. 


mardi 13 octobre 2015

[Carnet d'écoutes n°87] – Ariadne auf Naxos – Amber Wagner, Jonas Kaufmann, Brenda Rae, Opéra de Munich, Kirill Petrenko


Je l'avoue, je suis allé lire quelques antres glottophiles où ma fierté me défend d'ordinaire d'aller m'égarer, pour voir ce qu'on en dit. Je m'étais bien promis de ne pas consacrer le temps de CSS à gloser sur les concerts à la mode, mais quand je vois ce à quoi le lecteur ingénu serait confronté en cherchant des impressions de ce concert, je me sens poussé à laisser traîner, dans un coin négligé de la Toile, un autre type d'écho. Non sans mesurer la vanité qu'il y a à souhaiter avoir raison contre le reste du monde, mais c'est, à défaut de mieux, un essai de rendre compte de tendances à l'œuvre dans le goût du public et des recruteurs.

Très beau concert bien sûr, mais l'aspect qui m'a le plus frappé, au delà des invidualité, était le caractère peu allemand des voix et des élocutions, jusque chez les troupiers de Munich, et même les allemands parmi eux. Jusqu'à Markus Eiche, bon phraseur et excellent acteur (son Musiklehrer constamment embarrassé est un régal) : la voix, honorablement projetée, est très moelleuse, couverte avec son, et ne sort pas très violemment du corps – il a notamment étudié, à Stuttgart, avec des anglophones et cela s'entend. C'est évidemment encore plus patent pour Elliot Madore (Harlekin) qui chante tout en bouche (des [ou] avec luette complètement obturée dans l'aigu, c'est périlleux, rare et pas déplaisant) ; la voix est suffisamment  sonore, mais la résonance essentiellement pharyngée limite beaucoup le mordant et l'impact.
C'est surtout le succès de Brenda Rae qui m'a laissé perplexe : typique des Zerbinette (et plus généralement des sopranos colorature) qu'on privilégie à présent ; énorme aisance dans l'aigu, sonore et facile, mais un médium particulièrement mou et empâté (inintelligible aussi), qui ne sonne pas bien, tout malingre et terne, presque invertébré. Ce n'est pas mauvais du tout, mais quand je vois le délire général autour d'une Zerbinette avec un timbre un peu bouché et aucun effort particulier de phrasé, je reste perplexe – et nostalgique des voix qui, même aujourd'hui, proposent des attaques franches, des mots vaguement perceptibles, un médium petit mais net. C'est l'esthétique dominante actuellement (les verdiennes ressemblent à ça, les wagnériennes ressemblent à ça, un certain nombre de mozartiennes ressemblent à ça, et même chez Christie, le Grand-Prêtre des petites voix grêles mais nettes, le biais semble de plus en plus fréquent…), cela changera un jour.

Je n'ai jamais beaucoup aimé Alice Coote (Komponist) pour des raisons différentes (les mêmes qu'en retransmission : tout sonne « gros », sans que l'expression soit détaillée ou que le timbre séduise suffisamment pour compenser), et ça n'a pas changé en salle, goût personnel, rien à signaler.

Trois coups de cœur en revanche.

Le Maître de Ballet de Kevin Conners, modestement doté vocalement (les aigus qui deviennent minuscules sur une voix qui n'est déjà pas bien grande !) pour une si prestigieuse maison, étale  une science jubilatoire du récitatif allemand, dans un staccato parfaitement découpé et un sens de l'expression qui fait mouche (sans effet histrionique, sans changer la ligne musicale : tout est dans la prosodie). 

Jonas Kaufmann bien sûr (Bacchus), pas réentendu en salle depuis une dizaine d'années (tout est si facilement plein avec lui, ou dans des œuvres déjà entendues, donc pas prioritaires…), toujours très impressionnant. Il conserve cette difficulté à nuancer sans laisser s'affaisser la voix en arrière, mais le fait avec goût, et dès que la voix s'exprime en pleine force, l'effet est magnétique. Je crois, que, comme Domingo, son succès vient en grande partie de ce qu'on entend l'effort de la voix tandis que l'artiste se joue de toutes les difficultés : coups de glotte nombreux, tension articulatoire extrême (sans que la voix soit forcée), et bien sûr cette couleur sombre, presque rauque.
J'ai été passablement amusé, en parcourant un antre glottophile où Vogt s'était fait conspuer pour ne pas respecter la partition de Bacchus (en n'exécutant pas une variante… non écrite), de lire que Kaufmann avait fait un couac dans sa dernière phrase – façon très sommaire de souligner un petit voilement du timbre sur les dernières notes (et, je suppose, de le faire remarquer pour montrer à quel point on est un esthète au-dessus de la plèbe).
Contrairement à tous ses partenaires (sauf Conners, donc), il frappe par la concomitance de l'émission vocale la plus glorieuse et du soin le plus rigoureux à la transmission du texte, très intelligible et expressivement dit. L'hystérie est forcément exagérée dans la mesure où il existe quelques autres chanteurs aussi bons que lui, et qui sont loin de déclencher de tels délires, mais ce type est quand même un dieu.

Troisième bénédiction, la présence d'Amber Wagner en Ariadne – très peu de notoriété en France, mais elle chante régulièrement les grands rôles wagnériens à Francfort et Chicago, et a même fait Amelia du Bal Masqué au Met !  Petit passage à Nice pour un Requiem de Verdi à Nice il y a un an.
Amber Wagner a débuté comme mezzo (elle a fait Brangäne à Prague en 2010 !), mais sa voix est bel et bien celle d'un soprano dramatique. Il est généralement difficile d'expliquer la spécifité de ces voix à partir des titulaires des rôles : le point commun étant général le timbre plus ou moins sombre, sans qu'on voie réellement ce qui empêcherait des voix plus claires, légères et mieux projetées de s'en emparer.

Avec Amber Wagner, la question ne se pose plus : plus besoin d'expliciter la différence entre une voix bouchée (qui cherche à sonner « héroïque ») et une voix dramatique (opulente, naturellement large et très présente dans une salle, face à un orchestre). C'est le cas ici, avec une voix qui impose dans l'instant son autorité : volume considérable, aplomb, sans qu'on puisse dire si la voix est claire ou sombre ; elle est simplement ample, et remplit l'espace sans forcer, impose sa balance sonore à l'orchestre dont elle se détache immédiatement.
Par ailleurs, la voix est connectée de bout en bout, jusqu'en bas, où elle émet les graves abyssaux, qui mettent en difficulté toutes les titulaires, avec une aisance incroyable (très rond, dense et projeté, mais sans poitriner vraiment, une voix mixte parfaitement dosée). Le timbre aussi étale un moelleux parfait : ce n'est pas du chant de gorge (les femmes peuvent ouvrir leurs aigus de cette façon, comme Schnaut, DeVol, Lang, Theorin…) ni du métal dur (façon Nilsson, Behrens seconde manière, Secunde, Bullock…), mais un équilibre beaucoup plus doux, greffé sur un instrument naturellement puissant.

Avec cela, une présence scénique immédiate, même dans le rôle bref et ingrat par excellence de la Prima Donna dans le Prologue, où elle brûle les planches sans mise en scène.
Seule réserve : du fait de ces qualités de continuité des registres, de rondeur de la voix, la déclamation n'a pas la variété ou le relief que permettent plus aisément des voix moins parfaites et des techniques moins aguerries. Mais tout de même, quelle leçon ! 

Elle ne fait pas encore Brünnhilde ni la Teinturière (plutôt Senta, Elsa, Sieglinde), mais s'il y a bien quelqu'un qui peut ne pas s'y brûler les ailes, nous la tenons. À suivre : à n'en pas douter, sa présence dans ces soirées (munichoises aussi, du fait du remplacement d'Anja Harteros) si prestigieuses va faire beaucoup pour sa visibilité et sa carrière sur les scènes les plus renommées d'Europe.

Côté orchestre, j'ai été frappé du son de base rugueux des cordes de l'Opéra de Munich, pas du tout l'image que je m'en faisais dans les retransmissions ; je serais curieux de les entendre en formation complète, à présent. Clarinette allemande très pure, droite et puissante, presque autant que chez le collègue de la Radio de Munich (à ne pas confondre avec la Radio Bavaroise, qui est un autre orchestre, distinction qui méritera en son temps une notule).
J'attendais depuis plus de dix ans (son Dalibor avec le RSO Wien, à l'été 2004) l'occasion d'entendre Kirill Petrenko, et ses récentes nominations prestigieuses m'avaient enchanté, mais j'ai contre toute attente trouvé sa lecture assez standard, sans l'élan, la transparence et l'évidence qui avaient caractérisé toutes les bandes que j'avais entendues jusqu'ici. Très bien au demeurant, mais certains chefs peuvent en tirer des moments de bravoure ; pas vraiment ici – j'avais contre toute attente été beaucoup plus ému par Philippe Jordan dans la dernière reprise avec l'Orchestre de l'Opéra.
En revanche, il paraissait particulièrement stressé par les décalages du trio de nymphes (pas toujours exactement sur le temps, un peu pressées, rien de bien méchant), et leur multipliait, en vain manifestement, les signes désespérés pour les remettre dans le rang – souci de l'ordre de la finition, mais on peut se figurer l'agacement d'un musicien dont la recherche de la plus haute excellence est l'occupation constante.


mercredi 30 septembre 2015

[Carnet d'écoutes n°84] – nouveau Don Quichotte, Pezzi de Doráti, Manoury choral, Brahms par Niquet, Zaïs, récitals Borghi, Nikitin et Fuchs…





Suite de la notule.

jeudi 17 septembre 2015

[Carnet d'écoutes n°83] – Takemitsu pop, élections d'orchestres, 3e Scène, Invalides, Kaufmann & Puccini, Gerhaher & Mozart, Tino Rossi & Schubert…


Les travaux projetés se révélant plus gourmands que prévu (et le temps moins extensible aussi, malgré quelques reventes de places de concert), on se repaie la facilité d'un petit carnet d'écoutes.

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1. CHAMBRISMES

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Lekeu – intégrale pour quatuor à cordes (Timpani) / intégrale générale (Ricercar)

Il en existe deux, l'une par le Quatuor Camerata, l'autre par le Quatuor Debussy (légèrement plus complète sur le CD concerné). La seconde est particulièrement phénoménale, comme souvent – l'une des rares formations à faire autorité aussi bien dans les transcriptions improbables, comme la plus belle version de tous les temps du Requiem de Mozart (sans voix !), que dans le répertoire le plus rebattu, témoin leur Quatorzième de Schubert.

Je reviens inlassablement à cet album, paru chez Timpani. Il faut au moins écouter l'Adagio molto sempre cantate doloroso, une plainte d'une beauté insoutenable qui s'étend sur une dizaine de minute – encore plus impressionnant que son fameux Adagio pour quatuor d'orchestre.

À noter, Ricercar vient de publier en coffret l'intégrale Lekeu éditée au fil des ans (œuvres orchestrales par Bartholomée et le Philharmonique de Liège), dans d'excellentes interprétations en ce qui concerne la musique de chambre, et incluant jusqu'à Andromède, sa cantate saisissante (en réalité un opéra miniature dans le goût de d'Indy).

(La plupart de ces disques peuvent s'écouter sur Deezer, en principe.)

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Takemitsu : Gita no tame no juni no uta, douze chansons pour guitare

L'Internationale, Summertime, Somewhere Over the Rainbow, Secret Love, Yesterday, Michelle… Des tubes arrangés pour guitare solo avec un soin polyphonique (et des tensions harmoniques) tout particulier, assez enivrant.

Très exigeant à la guitare, mais en revanche facile à jouer pour des pianistes modestes ! Laissez-vous tenter, c'est autre chose que les réductions indigentes habituelles.

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2. GLOTTOLOGIES

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Récital Puccini de Jonas Kaufmann (Sony)… et quelques propositions alternatives

J'avais adoré le récital vériste de Kaufmann-Pappano, farci de raretés, et portant à leur plus haut degré d'incandescence les grands tubes. La voix a beau être à l'opposé de mes canons, ce qu'il en fait, aussi bien plastiquement que musicalement et expressivement, est toujours à couper le souffle.

Et ici, pour la première fois depuis longtemps, je reste un peu sur ma faim. Pourtant, il ne réenregistre pas les grands airs déjà faits par ailleurs (et republiés par Universal, son ancienne maison, dans un récital synthétisé exprès pour attraper les amateurs), et laisse donc la place à des titres moins courus que « Che gelida manina » ou « E lucevan le stelle ». On y trouve même Edgar et la grande scène des Villi que j'ai moi-même mainte fois appelée de mes vœux pour les récitals et concerts !

Pourtant, je trouve l'essentiel du disque un rien terne, même Le Villi. Le premier air de Tosca (« E lucevan le stelle » a déjà dû être gravé) et La Fanciulla del West fonctionnent très bien en revanche, peut-être parce qu'on n'y attend pas la même italianité, la même lumière que dans La Bohème, Manon Lescaut ou La Rondine – qui paraissent plus monochromes, plus étouffés ; en vrai, on sentirait l'élan et l'intensité indéniables du chanteur, mais au disque, je finis par me laisser bercer de façon plus passive.
Le « Nessun dorma » final est électrisant, tout de même ; pas uniformément vocal comme souvent, une véritable progression où chaque note est pesée – où l'on n'attend pas gentiment les aigus, en somme. (comme remarqué dans de précédentes notules, il bidouille la partition comme les copains)

Néanmoins, je crois surtout que la grande raison tient dans mon amour modéré de Puccini, et plus encore que ses airs me cassent vite les pieds. Ce sont des fragments (encore plus sirupeux que le reste, même s'ils sont musicalement souverainement écrits), qui n'ont même pas de vie propre comme de vrais airs de récital, des bouts de machin qui ne sont déjà pas les meilleurs moments de l'opéra, mais qui ne prennent pas sens non plus tout seuls.

D'ailleurs, c'est nul les airs, il faudrait vraiment se décider à publier des récitals de récitatifs ! Un récital Verdi de soprano avec les parties d'Annina, Ines, Tebaldo, Emilia et Meg, ça aurait une sacrée allure. Un peu plus ambitieux, un récital Wagner avec « Wie ? Welchen Handel », « Friedmund darf ich nicht heißen » et « Ich hab' eine Mutter »… Oh, un récital Loge-Mime-David, voilà qui serait grand !

Et puis, bien sûr, des récitals de baryton avec des bouts de Hamlet (comme celui, magnifique, de Shovhus) et du Vampyr (« Meinst du ? », le grand récit de son sort). Les (rares) récitals de baroque français sont bien obligés de s'y plier, considérant le caractère très court des airs (du moins avant Rameau).

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Christian Gerhaher, disque « Mozart Arias »

Accompagné (par le Freiburger Barockorchester) sur petit ensemble d'instruments anciens, dans un format chambriste inhabituel : ça crincrinne mais finement, j'aime beaucoup. Ça assume la dimension de récital en bonne compagnie, d'une certaine façon, plutôt que de jouer l'illusion du grand opéra.

Première chose qui frappe, ce n'est vraiment pas très italien (voix ronde plus que frontale, accent étrange, [r] roulés serrés très bavarois…) ; par ailleurs la voix est placée plus en arrière, couverte différemment par rapport au style italien. Néanmoins le résultat est totalement jubilatoire ; outre le petit orchestre, on bénéficie du style inimitable de Gerhaher, combinant sans cesse les rapports ouvert/couvert, voix pleine/voix mixte, résonance métallique/résonance « naturelle »… J'ai promis une notule à ce sujet, pour étudier les procédés en détail ; ce n'est pas pour tout de suite, mais cela viendra. Ce n'est pas seulement fascinant glottologiquement, c'est surtout d'une variété infinie, parcourue de détails très touchants.

Considérant sa bizarrerie, tout n'est certes pas une référence, mais son Figaro et son Guglielmo sont d'une saveur toute particulière. Recommandé !

Pour goûter Gerhaher à l'opéra dans toute sa gloire, vous pouvez écouter le Tannhäuser de Janowski ou son récital d'airs romantiques allemands avec Harding (où il grave Froila et Lysiart pour l'éternité). En voilà un qui aurait pu faire le grand récitatif du Vampyr avec brio !

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Christian Franz aujourd'hui

Je viens de me rendre compte (merci J.) qu'il avait chanté cette année (à Budapest) à la fois Loge et Siegfried !

Et pourtant, il enchaîne ses Siegfried depuis au moins quinze ans ; je l'ai entendu pour la première fois dans une retransmission de Bayreuth, en 2000… probablement pas une prise de rôle, donc ; il l'a même enregistré deux fois (avec Paternostro, puis Young), et la voix ne semble pas bouger. À part Windgassen, on n'a pas eu beaucoup de cas de ce genre depuis 1950 (avant, c'est plus difficile à documenter).

Il est vrai qu'en retransmission, la voix paraît grêle, pas toujours juste, l'élan incontestable mais un brin fruste. En salle, pourtant, la voix (sans être volumineuse) est très bien projetée et très audible, mais surtout le timbre se révèle très beau (doucement coloré), et perce une poésie des nuances qu'on ne soupçonne pas aussi bien perçu de près : vraiment un chant conçu pour s'épanouir dans l'espace.

Il a étrangement peu d'inconditionnels, mais voilà un des très grands chanteurs de notre temps – l'un des plus beaux Tristan jamais entendus, me concernant. Ce n'est pas Suthaus dans ses jeunes années, certes, mais on n'a pas souvent fait mieux que Ch. Franz depuis lors.

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La Belle Meunière par Tino Rossi

Huit lieder ont été adaptés (ce ne sont pas vraiment des traductions) et orchestrés pour le film de Marcel Pagnol. Quasiment la seule trace de l'exécution de Schubert en français (à part le justement fameux « Tilleul » de Thill, et considérant que Germaine Martinelli est vraiment inintelligible dans sa propre Meunière…), malgré l'existence de traductions (plus sérieuses) ; on a vu que c'était un sujet qui tenait à cœur aux lutins de céans.

Les nouveaux poèmes sont vraiment moyens ; plus seulement naïfs comme les originaux, mais très mièvres et assez stéréotypés. On perd la balourdise du meunier qui ne voit pas trop ce qui lui arrive, qui s'enflamme sur des détails, au profit du propos plus général d'un amoureux assez standard.

En revanche, les arrangements orchestraux, dans une veine très kitsch (ça ressemble assez à la version filmique de La Belle de Cadix), sont assez réussis. Ah, ces chœurs féminins extatiques en coulisse pour « Der Müller und der Bach », ce tutti avec trompettes pour « Der Neugierige » !

Et surtout, Tino Rossi plane sur ces textes français avec une grâce infinie : il mixe comme les meilleurs ténors d'opéra, mais se permet de moins couvrir ses sons, ce qui lui procure une clarté (sans danger, vu qu'il n'y a pas d'enjeu de projection) assez unique, assise sur une technique parfaite. Idéal pour le lied, fût-il bizarrement attifé.

Ça se trouve désormais dans certaines anthologies du chanteur (pas les mieux distribuées, certes).

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Stabat Mater de Pergolesi par Vincent Dumestre

Couplé avec des musiques mariales napolitaines, chantées avec des techniques très nasillardes, ouvertes et sonores, comme des musiques traditionnelles de plein air. Étrange.

Même le Stabat Mater surprend, répartissant les lignes soit à un chœur féminin, soit à deux petits braillards. Pas très convaincu, mais la surprise fait passer le temps dans une œuvres qui m'ennuie assez vite (tendant un peu trop sur le seria purement vocal), et qui regarde beaucoup moins du côté de l'opéra et de la virtuosité vocale, en privilégiant les atmosphères, fussent-elles déconcertantes.

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3. PROGRAMMATIONS

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Aux Invalides

Je me suis aperçu que je n'avais pas dépouillé proprement la saison musicale du Musée de l'Armée. Je pleure de dépit… des concerts inratables, conçus rien que pour moi, toujours le vendredi à 12h15 (tout le monde ne travaille pas dans le VIIe arrondissement tout en débauchant à midi pile !).

  • Un concert (avec harmonium et ténor, notamment…) incluant des œuvres de rien de moins que Schmitt, Halphen, Jongen et Casella (en prime, Karg-Elert et Kunc), dans des œuvres évoquant la guerre ! (heureusement, il y a un petit rattrapage avec un concert de Lafont le soir, chantant notamment Halphen, Février et Schreker !)
  • Les sonates pour alto et piano de Koechlin, Schmitt, Vaughan Williams et Hindemith.
  • Le Quatuor Arod dans Nielsen Op.13 et l'opus 76 n°1 de Haydn, deux des plus grands quatuors jamais écrits – parmi mes chouchous en tout cas. Et rarement donnés finalement, surtout Nielsen !
  • Le Quatuor Akilone dans Mozart (divertimento), Boutry (création) et le Sixième de Mendelssohn…
  • Pour couronner le tout, Raquel Camarinha vient me narguer avec La Bonne Chanson (Fauré, version avec quatuor), Les Histoires naturelles (Ravel, sa verve peut en tirer des merveilles !) et les Chantefleurs et Chantefables (Lutosławski).


Sérieusement, les gars, vous faites un programme pour moi et vous le balancez n'importe quand, vous me décevez grandement.

Les autres, précipitez-vous, ces petits vont vous donner du grand.

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3e Scène

L'Opéra de Paris vient d'ouvrir sa plate-forme numérique, considérée comme une troisième salle. Je me demandais si ça montrerait l'envers du décor, ou des œuvres courtes pas présentées dans leurs concerts, une sorte de documentaire d'art ou de piste bonus ; en réalité, ce sont des œuvres nouvelles, plus ou moins précisément reliées à l'Opéra de Paris. Ce peut être un danseur qui danse (sur de la musique électronique) dans les salles de répétition, une chanteuse (Barbara Hannigan !) dont on superpose les exercices d'échauffement… Le tout dans des montages artistiques.

C'est plutôt poétique, et j'ai lu beaucoup de bons retours là-dessus, mais de là à considérer ces jolies évocations comme une nouvelle salle, je suis dubitatif. (En plus, hébergé sur YouTube, ça ne fait pas très chic.)
Mais c'est assez dans la veine branchouille « les snobs parlent aux initiés » qui sera la marque de communication de ce mandat (et de quelques autres). Moi, tant qu'on me donne de bonnes choses à aller voir (et qu'on arrête d'augmenter les prix des places d'entrée de gamme !), je veux bien toute la parlotte qu'on voudra, de quelque nature qu'on voudra. Même si le patron n'a jamais écouté d'opéra.

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Élections d'orchestres

Le webzine Bachtrack, après avoir publié un palmarès (parfaitement arbitraire) établi par des critiques professionnels, propose à ses lecteurs de voter à leur tour pour le meilleur orchestre et le meilleur chef en exercice. Ce qui est amusant, c'est que le choix est étendu, j'ai même trouvé les miens.

En désigner un seul n'a pas grand sens de toute façon, il faudrait pouvoir citer un grand nombre de noms pour atterrir sur des convergences qui ne se limitent pas aux superstars (qui vaincront de toute façon, ne serait-ce que parce que personne n'a tout écouté, mais que chacun a forcément entendu Ozawa – bon candidat, tenez –, Haitink, Gergiev et Rattle).

Je n'ai pas voté, mais je me serais sans doute prononcé pour l'Orchestre Philharmonique de Slovénie (si l'on parle des orchestres entendus en vrai, sinon ce serait le Symphonique de Trondheim) et pour Günter Neuhold (bien sûr), choix partiel et arbitraire à son tour, mais sans doute le plus spontané et honnête que je puisse faire. Si vous voulez vous amuser pour sponsoriser vos chouchous, faites-vous plaisir.

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Derniers concerts vus

Il faudra prendre le temps d'en toucher un mot, mais à nouveau un Sibelius ultime par Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris (la Cinquième Symphonie – j'ai vraiment hâte de voir l'intégrale publiée !), où les constructions les plus mystérieuses et les transitions les plus étirées font sens avec une générosité étonnante ; et un Freischütz passionnant par Hengelbrock (quelle précision de trait !) et la NDR, dont le grain sonore est étrangement comparable au disque : j'ai toujours cru que c'étaient les filtres appliqués aux bandes qui procuraient cet aspect légèrement élimé au son, pas du tout rond-à-l'allemande, mais non, le grain est aussi spécifique en vrain (pas déplaisant du tout !). Et on ne peut qu'admirer la rigueur absolue des pupitres, dont il n'est pas un cliché de dire qu'elle est distinctivement allemande…

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… Bacewicz et Wagner seront à nouveau pour une autre fois.

mercredi 9 septembre 2015

[Carnet d'écoutes n°82] – Le Ballet de la Nuit, Haendel transcrit par Babell, Sto olé-olé, Chopin sur boyaux, Andreae compositeur, Pikovaya-Jansons…


1. VASTE MONDE & GENTILS

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En ouvrant mon Playboy



Très douée en langues, la pianiste spécialisée Vanessa Benelli Mosell est avide de découvertes.

Sérieusement, il faudra un jour s'interroger sur la corrélation entre l'emballage et le public… Est-ce qu'on peut vendre, comme la chair fraîche d'une jeune première tout juste pomponnée et promue par une major dans Oops I Did It Again Susanna ou Lulu, un récital de mélodies victoriennes tardives de Griffes et Quilter par une chanteuse à l'image aussi convenable que Barbara Bonney ?


Pourquoi pas aussi en couverture de TÊTU les aveux d'une fin de carrière de speedo-model par Krzysztof Penderecki :


(La première capture d'écran est tirée de Resmusica, par ailleurs une très bonne source sur l'actualité musicale, qui n'est pas responsable de l'état du book des artistes entretenus interviewés.)

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En catimini : amphi Bastille

L'Opéra de Paris aura finalement une saison à l'Amphithéâtre (et au Studio), qui ne s'appellera plus Convergences, forcément, mais qui contiendra de même des récitals de mélodie et de lied, de musique de chambre, et une plus grande mise en valeur (bienvenue, même si je n'aime pas du tout les présupposés esthétiques de leur recrutement, et m'abstiendrai donc) de l'Atelier Lyrique.

Il y a de belles choses, j'ai repéré pour moi les Beydts (relativement célèbre pour ses opérettes, mais ses mélodies, jamais enregistrées, sont beaucoup plus hardies et assez passionnantes) de Cyrille Dubois, le récital anglais de Damien Pass, et bien sûr le récital franco-russe d'Elena Tsallagova. Aussi des choses très exaltantes (quatuors de Ries et surtout d'Andreae !) le midi, plus difficilement accessibles pour le commun des mortels.

Je n'avais vu nulle part mention de cette publication, qui n'apparaissait pas avant l'été… et pourtant le premier concert a déjà eu lieu ce soir ! Communication à retravailler.

[Flûte, entre le début de la rédaction de cette notule et sa publication, c'est fait, ils l'ont annoncé – le jour de l'ouverture des réservations !]

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2. MUSIQUE INSTRUMENTALE

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« Vo' far guerra » : Rinaldo pour clavecin solo


Une merveille inattendue trouvée chez Stradivarius : des airs de Rinaldo transcrits (et avec diminutions abondantes comme sur « Lascia ch'io pianga » ou tout de bon de longues séries de variations comme pour le chœur final « Vinto è sol della virtù ») pour clavecin solo. Plus encore que la virtuosité formidable (« Vo' far guerra », qui contient pourtant une célèbre cadence à deux clavecins, parvient à fonctionner à la perfection en solo), c'est la plénitude harmonique et la densité musicale qui surprennent… certainement pas du clavecin mélodique et décoratif, à un doigt par main, comme souvent dans les pièces solos (la richesse de la résonance sympathique le permettant parfaitement), mais un déluge d'accords et d'agréments, assez étourdissant, et plus encore lorsqu'on y retrouve les charmes d'un des plus beaux opéras seria de tout le répertoire !

L'arrangement n'est pas crédité dans ce disque de Claudio Astronio, mais ressemble beaucoup à ceux de William Babell, contemporain de Haendel, qui a écrit plusieurs de ces paraphrases (notamment sur Rinaldo) dans un goût très similaire. De quoi convaincre ceux qui n'aiment pas la fausse raideur poudrée et la monotonie dynamique du clavecin solo – et de quoi enchanter les amateurs.

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Les Quatuors de Volkmar Andreae


Essentiellement passé à la postérité pour ses interprétations très vives et dramatiques, dépourvues d'alanguissements mystiques, des symphonies de Bruckner (et, de fait, il faut absolument découvrir cette lecture alternative, particulièrement si l'on croit ne pas aimer Bruckner – comme l'islam ou le wagnérisme, on y appartient tous en naissant, il faut simplement en accepter la Grâce), Volkmar Andreae était aussi un compositeur.

Comme la plupart des chefs, ce n'est pas un révolutionnaire, mais plutôt un excellent connaisseur des mécaniques d'écriture. Ses Quatuors à cordes révèlent une remarquable maîtrise en la matière, oscillant entre une forme de classicisme et des climats plus décadents, sorte de postromantisme vénéneux. En réalité, on songe beaucoup (en moins audacieux et un peu moins dense) aux quatuors d'Othmar Schoeck ! Un goût pour la consonance qui n'interdit pas les écarts et les flottements étranges, de subtils grincements – baignés dans une lumière globalement beaucoup moins trouble, il est vrai.

De très belles choses qui se trouvent en deux volumes par The Locrian Ensemble of London chez Guild. Si vous aimez les quatuors de Larsson ou de Schoeck, ce prolongement qui vous ravira.

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Jacques Ibert, Ballade de la Geôle de Reading


L'œuvre existait déjà au disque (Latham-Koenig & Philharmonique de Strasbourg), mais elle vient de paraître dans une nouvelle interprétation de grande qualité (Adriano & Radio Slovaque, chez Naxos) et des couplages très intéressants (dont une Suite élisabethaine illustrant le goût pour l'archaïsme extrême, comme la Suite du Temps de Don Quichotte de Raoul Laparra, même si ce n'est pas complètement du niveau de l'Henry VIII de Saint-Saëns ou des Danses de cour de Pierné).

Elle surprend par sa densité et sa noirceur, inhabituelles dans l'univers d'Ibert. C'est pourtant sa première œuvre symphonique (créée par Pierné et l'Orchestre Colonne), un triptyque inspiré par trois extraits de la Reading Gaol d'Oscar Wilde, mais elle se situe dans des contrées assez lointaine de l'Ibert primesautier et limpide dont on a l'habitude. De la très belle ouvrage symphonique (qui n'est pas sans convergences avec l'art de Casella…), à découvrir.

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Cinquième Symphonie de Bruckner, Radio de Frankfurt-am-Main, Paavo Järvi


Les 4 et 6 viennent de paraître, et je m'aperçois que j'avais coupablement laissé passer la 5, malgré la Symphonie de Rott ébouriffante laissée par la même association.

Et, de fait, j'y retrouve toutes les qualités du Järvi d'aujourd'hui : dans une œuvre dont ce n'est pas le trait principal, je suis flatté par la délicatesse des épisodes, le respect des respirations, et comme toujours un sens suprême de la structure, de l'enchaînement naturel, de l'impression de nécessité (le plus difficile à réussir, dans l'écriture « juxtaposée » de Bruckner). Cette symphonie, pourtant l'une des plus complexes à transmettre, l'une des plus hermétiques aux brucknériens eux-mêmes, respire à la perfection ici, et s'écoule sans le moindre soupçon de lourdeur.

La seule à réussir le pari à ce point – à l'opposé, dans une plénitude beaucoup plus « sonnante », il y a bien sûr Günter Wand avec le DSO Berlin (coffret Hänssler).

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Chopin concertant par Frans Brüggen et l'Orchestre du XVIIIe siècle


Publié en disque par l'Institut Chopin, on peut entendre Nelson Goerner interpréter Chopin sur un Érard d'époque, accompagné par un orchestre spécialisé dans la musique du siècle précédent, ce qui entend donner des perspectives sur la façon dont les pièces pouvaient sonner. Perspectives inévitablement fantasmatiques, dans la mesure où les orchestres du XVIIIe n'avaient manifestement pas du tout la discipline parfaite ni l'idiosyncrasie des ensembles spécialistes d'aujourd'hui… mais le décentrement reste fascinant, et permet sans doute de remettre l'église au milieu du village, au moins en matière d'équilibres sonores, avec un piano beaucoup moins puissant, au son plus chaleureux et « harpé », et un orchestre moins enveloppant… tout glissant vers une forme de chambrisme très dépaysant.

Contrairement aux autres volumes de l'intégrale, parfois ébouriffants, les interprétations ne sont pas très exaltantes, un rien aimables même, tirant le jeune Chopin vers sa dimension de virtuose mondain et soulignant davantage sa réutilisation des conventions que ses originalités pourtant déjà assez fortes dans ces pièces de jeunesse. Néanmoins, la découverte de nouvelles couleurs est très intéressante, à défaut de pouvoir se comparer aux interprétations supérieurement abouties qui abondent dans la discographie.

L'Institut a mis en ligne des vidéos de concerts (à Varsovie, en 2005) qui reprennent avec le même orchestre les œuvres concertantes, jouées sur un Érard de 1849 (Goerner dans le Rondo alla Krakowiak, Dang Thai Son dans le Premier Concerto, Janusz Olejniczak dans le Second). De quoi se faire une idée, le plaisir de la visualisation en sus.

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Classique au vert : concertos pour piano n°3 & 5 de Beethoven

Pour clôturer août, l'occasion d'entendre ces œuvres que je révère, mais que la course aux hapax me laisse peu le loisir de voir en concert – au bout de quinze ans de fréquentation assidue des salles, malgré ma fanitude absolue pour le Cinquième, c'était ma première fois pour les deux œuvres.

Une fois de plus totalement conquis par l'Orchestre de Chambre de Paris, décidément un des meilleurs orchestres possibles pour la musique de l'ère classique et du début du romantisme : la netteté des attaques, l'équilibre entre la tension des sons droits et la discrète vibration des tenues, la légèreté du trait et le soin du style en font un ambassadeur de tout premier plan. Que de chemin parcouru depuis le début de l'ère Nelson, où sous le nom d'Ensemble Orchestral, la pâte sonore évoquait davantage les orchestres de chambre d'antan, façon English Chamber Orchestra ou Saint-Martin-in-the-Fields, qui jouaient la musique ancienne en petit effectif mais un style postbrahmsien, usant d'un très beau son parfaitement homogène, uniformément vibré, sans soin de la danse, résolument joli et ennuyeux.

Plus partagé sur François-Frédéric Guy, que j'ai toujours beaucoup apprécié, mais dont l'absence de netteté dans des œuvres aussi courues m'a étonné (déconnexions au sein des arpèges par exemple) ; mais il est vrai que l'amplification, cette fois mal équilibrée, abîmait le timbre (pas extraordinaire) et exagérait la moindre irrégularité.
En revanche, sur l'ensemble des concertos, il joue avec goût et dirige avec un soin du style juste extrêmement rassérénant (et vivifiant !).

En bis, un premier mouvement « au clair de lune » conçu pour complaire au public, absolument terrifiant : lentissime, les pointés funèbres inaudibles, et les arpèges joués comme une mélodie, et pis que tout, césurés comme le font les pianistes débutants (avant de sentir la nécessité du flux musical et la nature des appuis). Vraiment façon pianiste du dimanche, j'étais pantois. Et ce n'est pas un manque de culture ou de style (dont il a fait ample usage dans les concertos), mais vraiment un choix pour donner au public ce qui lui fait plaisir… j'en ai été un peu mal à l'aise. (mais après tout, ce n'est qu'un bis, il faut le voir comme quelque chose d'un peu festif, pas forcément sérieux)

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3. MUSIQUES SCÉNIQUES

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Résurrection du Ballet Royal de la Nuit


Non pas à l'identique, mais la restitution de Sébastien Daucé tente d'en rendre l'esprit et les équilibres. Constitué de multiples entrées (réparties au sein de quatre « veilles », plus le ballet solaire final) allégoriques et mythologiques, il reste dans les consciences, avant même l'intronisation de Lully, comme le grand exemple d'usage des arts comme auxiliaire du pouvoir : en 1653, au sortir de la Fronde, Louis XIV victorieux danse en personne le Soleil vainqueur de la Nuit, tandis que les jeunes membres des grandes familles naguère révoltées tournent à bonne distance en simples planètes et satellites.

L'entendre en entier (fût-ce de façon reconstituée et approximative) procure aussi un véritable frisson musical : un ballet encore très Louis XIII, marqué la déclamation égale et amélodique du début du siècle et le goût de la polyphonie vocale, qui se déploie dans son entièreté. Un univers encore très marqué par le goût de Guédron, Boësset et Lambert.

Si l'on s'abstrait du livret, on est forcément frappé par une forme de monotonie (peu de modulations, peu de surprises), mais en contexte (avec un visuel ou en suivant les indications de scène), c'est une rêverie formidable qui est proposée. Et la qualité des interprètes (Daucé & Correspondances toujours au sommet) permet d'en goûter toute la plénitude : le grain, la perfection du français et la finition ornementale exceptionnelle de Dagmar Šašková vous imposent au moins d'écouter le grand récit de la Lune amoureuse, au début de la troisième entrée.

Les musiques sélectionnées par Daucé sont dues aux grands représentants du temps : Cambefort, Boësset, Constantin, Lambert… et pour les parties en italien Cavalli et Rossi. Lully dansait dans le ballet, mais n'avait manifestement pas encore assez d'entrées comme compositeur ; hormis les parties vocales dues à Cambefort, aucune certitude n'existe sur les auteurs de la musique.

Le ballet est donné en concert (donc sans effets d'aucune sorte, a priori ?) à Versailles cette saison.

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Herculanum de Félicien David


Donné à Versailles par Hervé Niquet il y a 18 mois, Herculanum restait encore assez confidentiel, considérant la faible diffusion sur place, et surtout l'aphonie de Karine Deshayes, qui avait héroïquement assumé la représentation (mais en marquant en permanence, et tous ses soli furent amputés). Bref, impossible d'en faire la promotion, mais le CD paraît à présent !

Félicien David a connu un véritable retour en grâce ces dernières années, où l'on a multiplié les résurrections (opéras, oratorios, mélodies, musique de chambre…) ; jusqu'ici, j'avoue que tout m'a semblé assez plat, même si son Christophe Colomb, d'une structure assez originale, contient des trouvailles particulièrement intéressantes.

Mais il en va tout autrement d'Herculanum, dans lequel le compositeur, souvent un peu tiède (ni un grand mélodiste, ni un grand maître de la structure, ni un grand orchestrateur, ni un dramaturge naturel…), semble avoir concentré tous ses savoirs pour tirer le meilleur d'un format de grand opéra à la française. Après écoute du premier acte, je suis frappé par la qualité mélodique remarquable de lignes pourtant très déclamatoires, produisant une qualité suprême du récitatif, au sein de configurations orchestrales qui se renouvellent assez abondamment. De la très belle ouvrage, une œuvre qui marque par sa singularité et sa beauté très travaillée mais qui sonne avec un naturel sans apprêt. Impatient d'entendre la suite, mais je peux d'ores et déjà encourager les amateurs du genre à se ruer dessus – après la grosse déception de Dimitri de Joncières. Ce n'est pas aussi singulier (on n'est qu'en 1859) que les Barbares de Saint-Saëns (sorte de Tristan à la française !), mais cela figure tout de même parmi les innombrables grandes découvertes promues par Bru Zane !

Pour ne rien gâter, outre Karine Deshayes qui n'a jamais aussi bien chanté, on y retrouve Véronique Gens et Nicolas Courjal (chacun candidat au titre de meilleur chanteur français en exercice, unanimement salués comme des monuments d'expression, de style et de beauté pure) et Edgaras Montvidas, ténor lithuanien d'une grande souplesse et doté d'un excellent français.

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Tchaïkovski – La Dame de Pique – Jansons, Radio Bavaroise


Contrairement à Onéguine, La Dame de Pique dispose d'une discographie irrégulière : les grandes versions anciennes ne manquent pas, mais les versions modernes, pas si nombreuses de toute façon, ont toutes leurs déséquilibres et leurs insuffisances. Mes deux chouchoutes, au sein des publications officielles, restent Samosud (avec Derzhinskaya, la seule Lisa gracile de la discographie, et le décoiffant Khanayev) et Baranovich (pour son orchestre totalement acide, mordant et méchant), deux des plus anciennes (1937 et 1955).

Dans les versions dotées d'un son moderne (à partir des années 1970, disons), il faut en général composer avec des Lisa exagérément mûres, que ce soit dures (Milashkina chez Ermler, Vishnevskaya chez Rostropovitch) ou pis, invertébrées (Várady chez Shuraitis, Freni chez Ozawa) et en général très larges (au sommet desquelles Gwyneth Jones en allemand ou Gutafson chez A. Davis ou Guleghina chez Gergiev). Les chefs ne sont pas toujours très ardents non plus (Ozawa très « studio », même dans la version sur le vif, Gergiev particulièrement indolent, toutes les articulations amollies)… Si bien que le choix devient vite frustrant, quelle que soit la plus-value de la prise de son. En CD, à part les extraits d'Orbelian avec Prokina et Larine, on est vite limité.

Il est vrai que Rozhdestvensky en DVD, certes lent, est assez parfaitement distribué (Papian-Galouzine), mais il faut peut-être l'écouter sans le visuel de Lev Dodin qui tend à mettre à distance toute l'histoire.

De mon côté, outre les deux grands anciens, j'écoute surtout les bandes de Gergiev de la fin des années 90, très habitées, et dotées de distributions autrement fascinantes : Gorchakova-Galouzine au Mariinsky (intouchable !), Lisa Borodina-Galouzine au même endroit, Gorchakova-Domingo au Met… Mais rien de tout cela n'étant paru officiellement, il est difficile de les recommander.

Aussi, la parution du nouveau disque Jansons m'intéressait. Je redoutais tout de même un hédonisme orchestral un peu paresseux et, de fait, il ne faut pas en attendre de grandes poussées d'ardeur, tout est très joli et très à sa place, l'acte I étrangement lent… Néanmoins, cela ne fait pas du tout sombrer l'entreprise, et la distribution splendide permet de suppléer l'absence d'urgence orchestrale : à commencer par Tatiana Serjan, sombre et élancée, qui assume avec beaucoup de tension dramatique (et pas du tout vocale, même si l'impact paraît assez explosif !) son rôle, sans rivale hors (pas officiellement) Gorchakova ou (dans la plus vieille version !) Derzhinskaya, vraiment. Juvénile et tourmentée, ductile et sombre, elle dispose de toutes les qualités à la fois (sauf la diction, extrêmement floue mais suppléée par son expressivité). Misha Didyk, le fameux ténor-cluster, semble taillé pour Hermann, avec son émission massive et sombre, parcourue de nuances de grain plus que de couleur, exprimant avec beaucoup de justesse une forme de mélancolie violente (même si la prise de son semble étrangement l'occulter et le hacher). Autre excellente recrue, Alexey Markov en Yeletsky, amplement timbré mais d'une distinction et d'un legato parfaits.

Malgré cette tendance orchestrale à la joliesse – mais Jansons réussit magnifiquement les divertissements grétrystes et impériaux de l'acte II, lui qui est capable de faire « du » Menuet de Boccherini une chef-d'œuvre abyssal –, le plateau maintient une véritable tension, et l'on dispose enfin d'une version discographique moderne suffisamment cohérente pour être recommandée sans arrière-pensée.

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Et l'horrible Richard Wagner ?

… Oui, en effet, il manque notre traditionnelle apostille Wagner, et nous détenions pas moins de trois enregistrements candidats, mais ce sera pour une autre fois. De toute façon, il faudra dire un mot de la suite de la parution de l'intégrale des quatuors de Grażyna Bacewicz par le Quatuor Lutosławski (où l'on perçoit, dans des œuvres passionnantes, le progressif abandon de la tonalité rigoureuse vers des formes de plus en plus libres – et sombres), des derniers volumes de l'intégrale Beethoven de Thomas Dausgaard (a-t-on fait mieux ?), de l'album Schumann-Berg (Liederkreis Op.39, Frauenliebe, Frühe-Lieder) de Röschmann-Uchida, des œuvres orchestrales de Dvořák et Janáček par Anima Eterna Brugge et Immerseel, aux colorations inédites…

Mais dans l'intervalle, j'espère achever quelques notules monographiques qui attendent depuis longtemps la caresse de la lumière.

jeudi 20 août 2015

[Carnet d'écoutes n°81] — Gossec vs. Mozart, Adolphe Blanc – Classique au vert, Concours de Clermont-Ferrand, le nouveau son de Berlin – Louis Hendrikx, Voces8…


Le Septuor d'Adolphe Blanc

Excellente surprise en découvrant ce compositeur (1828-1885), né à Manosque, ayant étudié à Paris avec Halévy – d'ailleurs auteur d'une comédie lyrique / opéra comique (mes sources ne sont pas claires [1]), Les deux Billets, jouée salle Herz et salle Pleyel en 1868) –, mais spécialisé dans la musique de chambre. On trouve quelques jolies choses de lui au disque (pièces avec cor, trio avec clarinette, quintette pour piano et vents…), mais au sommet se situe ce Septuor (1860) dont – ce n'est pas une coïncidence ! – on trouve au moins quatre versions différentes.

C'est une sorte de Czerny plus tardif et plus mélodique, d'une simplicité raffinée et très généreuse (quelque part entre la rigueur formelle de Czerny et les trouvailles de Dubois), assez irrésistible en ce qui me concerne.

Il est écrit pour quatre cordes (une de chaque tessiture jusqu'à la contrebasse), clarinette, basson et cor, donc assez loin, de prime abord des typologies habituelles – qui incluent le hautbois, faute de quoi le violon mène la danse par défaut –, mais en réalité, le septuor n'étant de toute façon pas un ensemble canonique, on trouve peu d'exemples « réguliers ». Beethoven et Berwald avaient choisi la même formation, mais Ries incluait un second cor et un piano au lieu du basson et de l'alto, Hummel la flûte, le hautbois et le piano au lieu de la clarinette, du basson et du violon (voire la trompette au lieu du cor), Moscheles le piano au lieu du basson, Kalkbrenner le hautbois et le piano au lieu du violon et de l'alto, Onslow les cinq vents, la contrebasse et le piano, Spohr la flûte et le piano au lieu de l'alto et de la contrebasse…
En somme, sa nomenclature est assez classique lorsqu'il s'agit de septuors sans piano.

La monographie chez ATMA (par Les Vents de Montréal), seul disque exclusivement consacré au compositeur, est évidemment à recommander (et c'est une belle interprétation, tout en rondeurs) ; néanmoins, si l'on parle uniquement du Septuor, j'aime davantage la lecture plus franche et vive de l'Ensemble Charis pour SWR Music – de surcroît couplée avec un bon Quintette pour piano et cordes de Goetz, un très beau Quintette à cordes d'Onslow et, quasi-tube du disque, le septuor de Berwald dans une très belle version.
Il existe aussi la version de l'Ensemble Acht chez Thorofon, moins brillante instrumentalement, couplée avec un Octuor (très bien écrit, sans être superlatif non plus) du compositeur (allemand) Ferdinand Thieriot. Enfin, je n'ai pas encore écouté celle de l'Octuor de France chez Calliope (couplée avec le Septuor de Beethoven).

À recommander pour les amateurs de musique de chambre avenante et pas trop formelle – aux amateurs de musique de chambre française du XIXe ou de pièces à vent, plutôt qu'à ceux de Schumann et Brahms, disons. [L'un et l'autre n'étant absolument pas exclusifs, il va sans dire.]

Symphonies romantiques alternatives

Quand on en a assez de réécouter Beethoven, Schumann et Brahms, il existe d'autres solutions. Je ne dis pas que ce soit aussi bien (encore que, concernant Brahms, ça puisse se discuter), mais c'est tout de même de la musique profondément enthousiasmante dans certains cas. Petite réécoute ces derniers temps de quelques-uns d'entre eux : Czerny (surtout la Première, une des plus belles symphonies de tous les temps, du Mendelssohn beethovenisé), Sinding (étonnamment tempêtueux), (Norbert) Burgmüller (avec des scherzos et finals particulièrement roboratifs), van Gilse (les deux premières sont de l'excellent post-Brahms), d'Albert (déjà dans un post-romantisme pastoral plus typé XXe – les concertos pour piano, en revanche, débordant de soli, forment un véritable pendant à ceux de Brahms, et le concerto pour violoncelle évoque celui de Dvořák en moins mélodique et plus raffiné).

En revanche, toujours pas convaincu par celles de Herzogenberg, tantôt formelles façon Brahms, tantôt pittoresques, mais jamais très marquantes (pourtant, avec la NDR & Beermann, CPO n'a pas fait les choses à moitié !). C'est bien dans la musique de chambre qu'il faut le fréquenter sans réserve.

Le nouveau son du Philharmonique de Berlin

En attendant ses nouvelles aventures, chacun poursuit l'écoute attentive de l'orchestre emblématique de tous les autres, et, après m'être laissé dire grand mal de l'enregistrement du Troisième Concerto pour piano de Prokofiev (Lang / Rattle), je ne reviens pas de mon émerveillement : point de cogne, les bûcheronnées de Lang se font caresses et la pâte de l'orchestre, plus transparente que jamais, comme si l'âme de Berlin était désormais contiguë à celle de Debussy plutôt qu'à celles de Brahms ou R. Strauss.

Tout cela est assez significatif de la mutation débutée dès la mort de Karajan, et particulièrement accélérée par Rattle, non seulement en ouverture du répertoire, mais surtout en matière de son, qui ne se caractérise plus par son fondu mais par une limpidité exemplaire. (Ce n'est pas pour rien que Rattle est plus ou moins le plus grand interprète de Debussy et Ravel qui fut jamais.) On parle souvent de baisse de niveau, et sans doute que la transition fut difficile (Abbado n'étant de plus, ainsi qu'en atteste son passage à la Scala, pas fondamentalement un très grand bâtisseur de sons – il l'est devenu, certes, mais bien plus tard) depuis une identité germanique opaque et suave un peu univoque, vers le magnifique orchestre polyvalent qu'il est devenu. Il n'empêche que le résultat est désormais enthousiasmant.

Du Prokofiev diaphane et délicat, surtout dans ces concertos martelants, ce n'est pas tous les jours, et nous en sommes tout réjouifié.

Classique au vert : Voces8, Brahms, Gossec, sonorisation

Sous un chapiteau au milieu du Parc Floral de Paris de Vincennes, une des rares séries de concerts estivaux, le week-end : à 16h, un vrai concert d'1h15 à près de 2h… Pour 6€ l'entrée, confortable rétribution. Public mêlé, où l'on croise aussi bien des habitués en manque que des estivants candides.

Tous les concerts, pour le confort acoustique, sont sonorisés, mais assez habilement, je dois dire : le son reste très localisé, simplement renforcé par confort par le système (qui spatialise assez finement). C'est salutaire pour les petites voix de Voces8 (surtout pour les spectateurs sur les côtés), plus discutable pour la musique de chambre (instruments suffisamment puissants, les micros mettant impitoyablement en valeur la moindre fluctuation de timbre ou de justesse), et même assez étrange pour la musique symphonique. Mais ainsi, tout le monde entend, et les équilibres sont plutôt respectés.

Vu pour ma part trois concerts.

Voces8 (finalement découvert comment on le prononçait : « votchès », à l'italienne, et « eight », à l'anglaise – j'étais tenté par « vokès/votchès ottavæ », mais je me doutais bien que je m'égarais) propose un mélange de musique contrapuntique du début du XVIIe siècle (sacrée ou non) et de tubes de la chanson, du gospel ou du jazz réalisés spécialement pour huit voix a cappella par leur arrangeur attitré.
Ils excellent aussi bien dans l'un que dans l'autre ; voyez par exemple leurs Motets de Bach, référence absolue, même si la version au disque avec les doublures instrumentales est un peu moins hallucinante. Leurs voix très douces et flexibles (technique lyrique de chœur et pas d'opéra, en fait) leur permet de ménager des transitions très aisées vers les techniques de chant propres à la chanson (voir ), avec une exactitude stylistique à chaque fois assez épatante.
Pour ne rien gâcher, présentation dans un très bon français par la moitié des membres de l'ensemble, et sens de la chorégraphie, un certain enthousiasme communicatif : à la fois très grand public et de très grande qualité.

Schumann et Brahms par Pierre Fouchenneret (violon), Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Hortense Cartier-Bresson (piano). Fantasiestücke en version violoncelle, Première Sonate pour violon, Kinderszenen, et côté Brahms, le monumental Premier Trio (1854, mais ici dans la version révisée courante, plus brève).
Les timbres n'étaient pas très flattés par les micros, mais j'ai été très séduit par la façon de mettre en valeur les derniers temps de chaque mesure, de rendre la poussée plus prégnante et naturelle (le balancement du 6/8 dans la Sonate de Schumann, par exemple). Et puis quelle enchantement d'entendre (première occasion en ce qui me concerne) le Premier Trio de Brahms ! Presque trop de musique, même dans cette version courte de 1889… au bout des deux premiers mouvements, on est déjà presque repu de beautés. En tout cas, l'occasion de profiter de ces œuvres programmées régulièrement (même très souvent, du côté des Schumann), mais que le tourbillon des raretés ne laisse pas forcément le loisir d'aller entendre pendant la haute saison.

¶ Symphonie Op.6 n°3 de Gossec, Second Concerto pour flûte et Symphonie n°29 de Mozart par Juliette Hurel, l'Orchestre de Chambre Pelléas et Benjamin Lévy. La symphonie de Gossec (un peu la sensation de la soirée, aussi bien sur le principe que sur le résultat) était étrangement jouée en tranches, premier mouvement au début du concert, dernier mouvement à la fin, et mouvement lent porté disparu. Mais il était un peu rude pour Mozart d'être joué en telle comparaison, même avec d'aussi belles œuvres programmées : le premier mouvement de Gossec, très typé opéra gluckiste, mais avec beaucoup plus de matière proprement musicale, comme le dernier mouvement (un immense fugato sombre) sonnaient comme une démonstration de virtuosité vis-à-vis d'une face plus galante de Mozart (encore que, les deux premiers mouvements de la 29e, tout de même !). À en juger par les réactions de notre compagnie et de tout le public, mon impression a été largement partagée.
L'Orchestre de Chambre Pelléas joue sur instruments modernes avec des modes de jeu « informés », avec un spectre très aéré, au détriment quelquefois de l'expression – le style est là, mais l'impact dramatique est parfois ténu, alors même que les tempi de B. Lévy sont assez spectaculairement vifs. Je crois néanmoins que l'orchestre (tout petit ce soir, cordes en 4/4/2/2/1 !), certes pas complètement exempt de faiblesses (la justesse, très honorable, n'est pas celle des ensembles d'élite), a monté en gamme au fil des années. À suivre, ils pourraient tenir une niche intéressante (actuellement occupée à Paris par l'Orchestre de Chambre, mais ailleurs en France…).

Expériences très valorisantes pour le public, dans un contexte qui n'incite guère à la solennité des salles de concert – les bruits extérieurs sont présents, mais l'effet de plein air empêche aussi les sons parasites de se mélanger à la musique. (D'où l'utilité de la sonorisation, sans doute.)

Concours de chant de Clermont-Ferrand 2015

Spécialisé à l'origine dans le lied, la mélodie et l'oratorio (bien qu'un peu dilué désormais, pour des raisons d'insertion professionnelle…), le concours a cette année couronné Elsa Dreisig. Les extraits proposés (opéra) ne la montrent pas sous son meilleur jour (un peu d'acidité), mais c'est l'une des plus hallucinantes récitalistes de lied ou mélodique que j'aie jamais vues… même en se comparant aux grandes idoles documentées par le disque, elle figure parmi les meilleures, à tous les niveaux de la voix, de l'expression et du jeu… sans mentionner la plasticité exceptionnelle entre les styles. Pas très étonnant que dans une compétition de jeunes chanteurs, elle écrase un peu durement la concurrence – on ne dispose que d'extraits, mais on entend surtout de bons chanteurs à côté, pas des artistes absolument épanouis. Reste à espérer que l'opéra (qui lui offrira surtout des rôles légers à suraigus, vraisemblablement) ne la détraquera ni ne la détournera de son répertoire de prédilection (dont, il est vrai, un chanteur ne peut vivre – qui, aujourd'hui, à part Goerne, finance sa blonde paie son loyer avec le lied ou la mélodie ? même Kirchschlager et Gerhaher doivent faire de l'opéra ou de l'oratorio).
En tout cas, elle a gagné un engagement pour une production prochaine, puisque c'est le principe de ce concours – qui, au lieu de dépenser des prix, en profite pour faire son recrutement. Utile pour tout le monde.

Je n'ai pas encore regardé en entier les vidéos proposées par Classiquenews

Fin d'un monde

Ce n'est pas musical, mais la musique étant de plus en plus indéfectiblement liée aux tuyaux – en tout cas si l'on veut disposer d'un peu plus d'offre que dans les rayons désertiques des disquaire –, je découvre avec effroi des logiciels et même des sites qui ne peuvent être chargés qu'en se connectant avec un compte Google ou Facebook. Encore, les sites ou logiciels uniquement développés pour des portables, ça peut s'expliquer (utilité particulière, systèmes d'exploitation différents…), mais conditionner le simple accès à un site (je ne parle même pas d'inscription !) à la possession et au partage de données aussi tentaculaires, c'est assez terrifiant. La Toile que j'ai connue s'effiloche.

Verdi

Beaucoup écouté de versions alternatives des opéras de maturité (disons, à partir de Macbeth-Stiffelio) de Verdi, il faudra en toucher un mot : les studios couramment disponibles sont très loin d'avoir la même saveur que ces versions échevelées sur scène, par des voix plus typées et des artistes beaucoup plus concernés. (Dire que nombre d'entre nous découvrent Verdi avec le New Philharmonia de Gardelli, Abbado ou Muti…)

Mais ce serait un peu long, d'autant que les réécoutes se poursuivent dans la perspective de la préparation d'une vaste notule qui lèvera tous les mystères d'une notion glottologique fondamentale. On parlera discographie plus tard.

Parsifal

Parce qu'on ne peut pas faire un carnet d'écoutes sans un peu de Wagner.

¶ Réécoute de Levine 1985 (Meier, P. Hofmann, Estes, Sotin, à Bayreuth). Ma version de chevet, toujours aussi étonnante : c'est la plus lente de toute la discographie (un peu plus que Goodall, nettement plus que Knappertsbusch), et pourtant elle paraît avancer très vive, toujours tendue comme un arc, élargissant la poésie de chaque instant sans jamais faire perdre de vue les rapports harmoniques et la « directionnalité » du propos (le problème des versions Knappertsbusch, par exemple). Et puis, une fête vocale (Estes un peu moins que les autres, mais il paraît souffrant avec beaucoup de panache). Cette version est tellement magnétique qu'à chaque fois, je me mets le III en entier, puis ai envie d'essayer le I… et me réécoute tout jusqu'à la fin du III. À chaque fois.

¶ Réécoute de Janowski 2011 (DeYoung, Elsner, Nikitin, Selig), une autre de mes versions indispensables (Selig offre le Gurnemanz le plus naturellement parlé de la discographie, fascinant à suivre avec le texte ou la partition), et ici, il se produit l'inverse : la direction est plutôt rapide si on observe les minutages, mais rien ne paraît pressé, on a l'impression d'un déploiement d'une grande plénitude. (On pourrait en dire autant d'Armin Jordan.) Moins de grain que Levine, mais orchestralement, peut-être le plus bel acte III de la discographie… (Vocalement, Elsner et DeYoung ne sont pas aussi solides que la plupart des concurrents, mais dans du Wagner, ce n'est pas si important.)

¶ Réécoute de Krauss 1953 (Mödl, Vinay, London, L. Weber), vive, cursive et lumineuse dans une atmosphère assez crasseuse (son nébuleux de l'orchestre, chanteurs poisseux…), un paradoxe assez fascinant.

¶ Découverte de Goodall 1971 (Shuard, Vickers, Bailey, Hendrikx, McIntyre), que j'avais laissé passer lors de sa publication en 2008 par le label du Royal Opera House de Covent Garden. Pourtant, la franchise de Shuard, la tenue de Bailey, la curiosité de Goodall (surtout depuis la découverte de ses magnifiques Meistersinger en anglais), tout m'y aurait poussé.
L'orchestre est assez imprécis (et même le chœur, dans la section a cappella avant la scène d'Amfortas, plutôt débraillé…), dû sans doute à une lenteur qui excède la maîtrise technique du chef, mais j'y ai découvert un grand wagnérien, jusqu'ici totalement passé sous mon radar (pourtant passablement enragé, comme on l'aura noté) : Louis Hendrikx. Gurnemanz de haute stature, vraie voix de basse, mais au timbre assez clair, à l'expression douce, et dôté un léger vibrato rapide très séduisant, et très rare dans ces tessitures. L'un des grands titulaires du rôle, splendide vocalement et sensible à l'expression (les deux ne se rencontrent pas toujours, ainsi qu'en attestent Crass ou Holl, par exemple).
Pourtant, au disque, j'ai cherché, on ne semble guère disposer que de son Gessler dans le Guillaume Tell de Rossini sinistrement mis en boîte par Gardelli. Même sous le manteau, assez peu de bandes semblent avoir circulé ; comment peut-on arriver au ROH dans un rôle majeur et le chanter aussi bien, sans laisser plus de traces avant et après ? Témoignages bienvenus.

Apparemment, la version Goodall est plus lente de quelques minutes que Levine 1985 (4h42 contre 4h30 pour son studio de 1984 et 4h40 pour Levine 1985), quasiment rien, mais elle paraît toujours lente… et même par moment immobile (fin du I) ! Pas forcément une immobilité magnétique par ailleurs : elle donne surtout le temps d'entendre l'orchestre canarder dans les tenues impossibles et les départs mal réglés. Le tempo n'est vraiment rien à côté du caractère insufflé par le chef, clairement.

L'Enfant et les Sortilèges par Ozawa

Vient de sortir chez Decca. Dans une discographie qui comporte beaucoup de très grandes réussites de natures très différentes (Bour, Ansermet, Maazel, Maag, A. Jordan, Dutoit, Rattle…), ce n'est ni le meilleur français, ni la meilleur technique vocale, ni la meilleure caractérisation des rôles (d'assez loin !) ; en revanche orchestralement, chaque trait claque avec une variété de couleurs impressionnante : on a l'impression d'entendre une version lyrique de L'Oiseau de feu !
L'orchestre du Saito Kinen se révèle vraiment formidable, et la version doit, rien que pour cela (même par rapport à la perfection à la plus hiératique et ludique de Maazel), être entendue.

Couplage avec une très belle version des Shéhérazade de Tristan Klingsor : Susan Graham est y un peu moelleuse à mon goût, mais dans un français très valable, et avec une facilité sur toute la tessiture qui est rarement atteinte.

Gli Ugonotti

Le fameux enregistrement de Gavazzeni à la Scala (Sutherland, Simionato, Corelli, Ghiaurov) pour Les Huguenots de Meyerbeer, malgré toutes ses qualités orchestrales et vocales, a toujours été un repoussoir pour moi, et je voulais le retenter. Le passage en italien, qui appauvrit certes le spectre vocalique, n'est pas trop tragique, considérant les qualités limitées de versificateur de Scribe. Et les contenus ne sont pas trop distordus au passage.

En réécoutant le duo de l'acte IV, j'ai moins boudé plaisir qu'autrefois : d'abord parce que Giulietta Simionato irradie complètement, déborde de feu et de jeunesse, dans un rôle souvent donné à des voix dramatiques mates, qui n'ont pas cet éclat ou cette arrogance. Valentine est censée être timide, ce n'est donc pas du tout un problème, mais ce degré de luxe est difficile à bouder.
Orchestralement aussi, on supporte tellement de versions aux orchestres en déroute, que même la Scala de ces années peu scrupuleuses offre un confort très supérieur – on sent une facilité, une absence de fébrilité qui sont assez agréables, d'autant que Gianandrea Gavazzeni, à son habitude, ne lésine pas sur la tension.

On peut même inclure Franco Corelli dans les satisfactions : tant de santé vocale a de quoi défriser le glottophile le mieux permanenté. Et c'est aussi là que s'arrête la satisfaction : car Corelli (et l'ensemble de l'esprit de la soirée avec lui) est purement vocal, purement héroïque… Toute la distanciation du texte de Scribe (et de la musique de Meyerbeer), qui regarde avec tendresse des héros tout de même assez maladroits, rendus exemplaires par les circonstances, mais manifestement peu à l'aise avec elles, n'ayant justement pas les codes de la contenance héroïque… se perd. On entend du drame avec du panache, mais la malice, le petit amusement qui point derrière le drame [2] manque à peu près totalement. On entend un Verdi d'un autre genre (or, chez lui comme chez Hugo, le comique renforce surtout l'ironie tragique), assez direct, doté de très belles mélodies, mais les composantes malicieuses, la couleur locale qui réhaussent l'ensemble sont tout à fait occultées : un très bel opéra « vocal », mais je n'ai pas l'impression d'entendre le chef-d'œuvre que je révère tant.

Néanmoins, si on ne peut se satisfaire de cela pour découvrir ou fréquenter l'œuvre sur le long termes, il y a là de quoi s'offrir un joli shoot glottophile lorsque le besoin s'en fait sentir.

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Pardon pour le fourre-tout facile, d'autres notules un peu moins superficielles (sur l'évolution des formes et des langages musicaux, les opéras cachés de Debussy, la technique vocale ou les mutations de Mélisande…) sont en préparation, celle-ci permettra de patienter quelque temps.

Notes

[1] La comédie lyrique, de plus en plus usuelle à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, suppose en général une pièce entière chantée, contrairement à l'opéra-comique où les « numéros » sont entrecoupés de dialogues parlés. Il n'y a cela dit pas de règle absolue, la « comédie lyrique » n'étant pas un genre fixe.

[2] En ce sens, l'esthétique de Scribe est à rebours de celle des grands drames romantiques de Hugo ou Dumas : les allègements comiques, chez eux, renforcent le sentiment du tragique, l'impression du caractère dérisoire de la vie. Chez Scribe au contraire, le badinage et le comique de caractère mettent un peu décontraction dans des sujets très sérieux : on joue avec son honneur et sa vie, mais on peut, dans le cadre même de cet accomplissement, se montrer gauche ou naïf.

mardi 28 juillet 2015

[Carnet d'écoutes n°80] – Suk avant-gardiste, Fidelio en français, Parsifal sur boyaux, Goerne en Wotan…


… et aussi Jürg Frey le cyclique, R. Strauss le galant, Godard joue Joyeux Anniversaire, le répertoire du Quatuor Stenhammar…

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Josef Suk l'avant-gardiste

Sans exagérer non plus, il y a de quoi s'étonner en parcourant le legs de ce compositeur dont les œuvres les plus célèbres (Symphonie Azraël, Conte de fée pour orchestre, Sérénade pour cordes…) appartiennent clairement à un post-romantisme bon teint, sorte de Dvořák gentiment germanisé et pas trop remuant.

Eh bien, en explorant de plus près son fonds, on y rencontre des merveilles de nature… inattendue.

Côté orchestre, il y a de très belles choses (comme la Fantaisie pour violon et orchestre), et certaines d'une clarté d'orchestration insoupçonnée (alors que son style habituel paraît plutôt post-schumannien) ; ainsi le Conte d'un soir d'hiver ou Zrani, très transparents – le second s'achève avec un chœur, et dans une couleur plus proche des Gezeichneten que des symphonies de Brahms !
Se trouve au disque chez CPO dans l'anthologie de trois disques consacrée à Suk (par Kirill Petrenko et la Komische Oper de Berlin – devrait se trouver prochainement chez Deezer). (La Fantaisie a été enregistrée chez Naxos, également dans une belle version.)

De même pour les Quatuors : le Premier est certes superbe (et déjà au delà de Brahms), mais le Mouvement de quatuor en si bémol et le Second Quatuor baignent dans un style beaucoup plus tourmenté, très abouti, évoquant ceux de Zemlinsky, Wellész ou Korngold (et même Janáček pour le second). Étonnant, et des œuvres de premier intérêt pour ne rien gâcher.
L'intégrale (plus le beaucoup plus traditionnel Quintette avec piano) se trouve ici encore chez CPO, par l'infatigable et miraculeusement lisible Minguet Quartett.

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Quatuors de Benjamin Godard

Ils viennent de paraître chez Timpani (par le Quatuor Élysée, un rien mou peut-être).De belle facture sans constituer les sommets de leur genre. Néanmoins, l'adagio non troppo du Troisième Quatuor égrène peu ou prou « joyeux anniversaire » en guise de thème, et se déploie sur les patrons des quatuors de l'Op.59 de Beethoven (les 7, 8, 9) – ostinati de l'Op.59 n°1, petites gammes lumineuses de l'Op.59 n°2, structure générale…

Il faut au moins écouter ce beau mouvement pour son étrangeté (et sa beauté).

Extraits disponibles chez Qobuz.

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Jürg Frey le cyclique

Compositeur suisse vivant, très marqué par des formes extrêmes de minimalisme : répétitif comme du Riley, distendu comme du Feldman. Ce peut être pénible (les sons blancs de Mémoire, horizon, physiquement inconfortables) comme très joli (les différentes Extended Circular Musics, sorte de Feldman très consonant). Tout se ressemble un peu, mais ce n'est pas désagréable.

Il existe, parmi d'autres, un album de l'Ensemble Mondrian chez Musiques Suisses. (Un autre est disponible chez Deezer.)

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Les R. Strauss discursifs et galants par Honeck

Un disque auquel je reviens inlassablement : Manfred Honeck et la Radio de Munich, présents et enveloppant, servent les meilleurs tubes des conversations en musique de Richard Strauss, tirés du Rosenkavalier, d'Ariadne auf Naxos, d'Arabella, de Capriccio.

Avec des interprètes qui n'ont pas atteint une notoriété starisée mais qui figurent parmi les meilleurs titulaires de ces rôles : Regina Klepper (Sophie, Zdenka), Pamela Coburn (Werdenberg, Arabella), Michèle Crider (Ariadne, Madeleine), Martina Borst (Octavian), Bo Skovhus (Mandryka) – et puis Franz Hawlata (Ochs), beaucoup plus documenté et sensiblement moins essentiel.

Les atmosphères sont formidables dans ce qui ne reste pourtant qu'une poignée de vignettes dépareillées. Formidable final d'Arabella, en particulier, qu'on trouve difficilement aussi intense, même dans les intégrales.

Écoutable sur Deezer.

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Le Quatuor Stenhammar

… un excellent guide pour la musique suédoise. Outre l'intégrale des six quatuors de Stenhammar(chez BIS), il a aussi fait ceux d'Atterberg et de Rangström (CPO), moins capitaux, et ceux de Larsson (chez Daphne), d'où émane une paix et une douceur ineffables… Un disque, là aussi, auquel on aspire à revenir sitôt qu'on l'a quitté.

Certains volumes de l'intégrale Stenhammar se trouvent sur Deezer, et peut-être Larsson un jour.

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Fidelio en français

Dans la série dématérialisée de l'INA, riche en pépites, on trouve désormais Fidelio en français, dirigé par Inghelbrecht. Tempi très vifs, présence orchestrale inhabituelle pour la RTF (aussi bien dans l'interprétation que dans la prise de son), et un plateau remarquable, en particulier Geneviève Moizan en Léonore, Joseph Peyron (d'une verve extraordinaire, comme toujours) en Jacquino, Michel Roux et son élégance suprême en Pizarro, Henri Médus à son sommet (profondeur du son et clarté de l'éclat) en Rocco, André Vessières en don Fernando ! Moins convaincu par Maud Sabatier (pépiements très flous) en Marzelline et Henri Bécourt en Florestan (très étroit et ouvert, Peyron aurait été plus à son aise !), mais vraiment rien de rédhibitoire.

Même en mettant de côté l'inestimable question de la langue (quels dialogues !), une des grandes versions de l'œuvre. Qui peut s'écouter .

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Goerne & Wagner

Matthias Goerne semble se mettre plus sérieusement à Wagner. C'est à la fois une évidence – quel corpus où il pourrait mieux mettre en valeur son potentiel d'amplitude sonore et son art de diseur combinés ? – et une prise de risque, puisque la voix, très ronde, passe parfois mal l'orchestre (paraît-il, car je l'ai personnellement toujours très bien entendu, mais c'est une remarque récurrente). Puissant et projeté, mais pas saturé en harmonique pour rivaliser avec un orchestre trop chargé. Il faudra donc juger sur pièces.

Il a déjà fait Wolfram (souvent), un Kurwenal (Vienne 2013, magnétique), se tourne à présent vers Marke (prise de rôle en septembre au Concertgebouw) et, en concert, chante de plus en plus, au lieu de ses Mahler symphoniques habituels, des extraits wagnériens – il le fera à Paris la saison prochaine. Ses Adieux de Wotan à San Francisco ont été captés par la radio et diffusés par un bienfaiteur anonyme ; dans une pièce finalement peu concurrencée par l'orchestre, on peut y admirer la diversité des textures, l'intensité du timbre, la précision du verbe, l'éloquence générale… C'est évidemment l'invocation de Loge qui lui convient le moins directement (étrange d'ailleurs… l'une des plus grandes longueurs de souffle du marché, mais il prend sa respiration – justifiable – avant « nie », contrairement à tous les autres), et on peut supposer que le Hollandais ne sera pas non plus son meilleur rôle (le fera-t-il sur scène, pas certain), mais on ne peut que rêver à ce que seraient ses monologues de Sachs et surtout son acte II de Die Walküre – là où tout est à nu, flattant ses graves, sans concurrence orchestrale, presque sans musique, du texte pur.

En attendant, il a déjà fait deux fois Amfortas, en 2013 (Madrid et Vienne), et même si la texture est un peu pâteuse pour un rôle aussi héroïque (son entrée au I n'est pas à mettre au panthéon), on y retrouve toujours la même autorité persuasive, la même sûreté vocale, baignée de ce moelleux qui parle.

… Et nous aurons bel et bien son Wotan, puisqu'il vient de donner Rheingold à Hong-Kong (le Philharmonique était dirigé par Jaap van Zweden), et prépare la suite. Tout ça sera publié officiellement (par Naxos semble-t-il), nous dit Erik.

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Parsifal sur instruments d'époque
Et précisément, la série de concerts où Goerne fit sa prise de rôle en Amfortas (Dortmund, Essen et trois soirs au Teatro Real de Madrid) présentait une particularité majeure : c'était la première fois qu'on donnait Parsifal sur instruments de l'époque de la création. Pour l'anecdote, j'ai commencé à écouter par pure fascination glottophile pour découvrir l'Amfortas de Matthias Goerne en patientant pour Wotan… et j'ai tellement été frappé par la différence, même avec interprétations habituelles de Thomas Hengelbrock (déjà très différent dans Wagner) que je suis allé réunir plus d'informations, pour me rendre compte que ce n'était pas l'Orchestre du Teatro Real – et, de fait, ça sonnait non seulement allemand (beaucoup de fondu, pas du tout la rugosité des orchestres espagnols) mais aussi… différent.


C'est que Hengelbrock n'a pas fait les choses à moitié : il a embauché son orchestre, le Balthasar-Neumann-Ensemble, avec lequel il a joué Cavalli, Steffani, Bach, Zelenka, Haydn et Mozart… (comment a-t-il fait pour conserver une cohérence, avec le nombre de supplémentaires requis pour atteindre la nomenclature de Parsifal ?) Ce à quoi il faut ajouter le Balthasar-Neumann-Chor, chœur d'oratorio allemand typique, avec un grand fondu, une grande souplesse, une véritable légèreté, et les chœurs d'enfants de Dortmund et Madrid… Rien à voir, vraiment, avec les Parsifal habituels.

À quoi ressemble le résultat ?

Rapide. Dès le Prélude, tout s'enchâsse très vite, on peut vraiment sentir la durée des temps, et non cet allongement infini qui est la norme. Le minutage est légèrement plus rapide que la version enregistrée la plus rapide de tous les temps, Boulez 1970. Acte I : 1'31 (Boulez fait 1'34) / Acte II : 1'02 (Boulez fait 59') / Acte III 1'04 (Boulez fait 1'06).

Pas de vibrato. Les cordes sonnent droitement (ce qui justifie la rapidité, le soutien du son étant plus difficile sur boyaux – et d'autant plus s'ils utilisent des archets anciens, mais je ne crois pas que ça existe encore au XIXe siècle), et se fondent complètement avec le son des vents dans les doublures.

Naturel. Cette rapidité ne paraît pas précipitée (comme elle l'est parfois chez Boulez), rien n'est systématique, tout est calibré selon le caractère de chaque moment. Alliée à l'absence de vibrato, on n'a jamais entendu cette musique avec autant de simplicité et d'évidence : tous les plans sont audibles, de même que les mélodies et les progressions harmoniques. On a presque l'impression d'entendre une musique familière comme du Mendelssohn… Il n'y a plus de suspension ni d'opacité, donc la logique de chaque section apparaît à nu.
Corollaire : beaucoup plus facile à suivre. Mais malgré la beauté extraordinaire des timbres, j'admets que l'aspect mystique disparaît assez largement, et qu'on perd en mystère et en poésie, ce n'est plus cet orchestre distendu qu'on peut prendre à pleines mains, tout file droit. Dans les moments d'orchestre seul, on ne refuserait pas de prendre un peu plus le temps de la contemplation et de bénéficier d'un peu plus de chair… mais le parti pris fonctionne totalement, avec une cohérence parfaite. Et s'écoute beaucoup plus facilement sur la durée intégrale que des versions plus « denses ».
Je ne suis pas en mesure de décider si c'est vraiment authentique (j'en doute un peu, ça manque sacrément de pathos pour du Wagner, et a fortiori du Wagner sacré – Hengelbrock vient du baroque de toute façon…), mais ça sonne très crédible et vrai.

Léger. Rien ne pèse ici, et surtout pas les chœurs d'oratorio et d'enfants : à l'acte I, l'atmosphère sacrée et apaisée est beaucoup mieux rendue que dans les versions (plus ou moins toutes les autres…) avec des chœurs d'opéra, beaucoup plus durs et violents ; à l'acte III, les Chevaliers créent tout de bon un hypothétique opéra médiéval décadent de Mendelssohn.

Le reste de la distribution ne paraissait pas aussi passionnant : Angela Denoke (Kundry), Simon O'Neill (Parsifal), Johannes Martin Kränzle (Klingsor), Frank van Hove (Gurnemanz), Victor von Halem (Titurel)… Est-ce le confort du tempo et des instruments naturels, ils donnent tous la soirée de leur vie. O'Neill et Kränzle ne paraissent même pas disgracieux – le premier ne sonne pas aussi pauvrement timbré et nasal que d'ordinaire, laissant même supposer que la voix puisse être assez ronde en salle et mal passer à la radio… on sent l'habitude du rôle dont il prévoit toutes les difficultés. Angela Denoke, pourtant sur la pente déclinante à la fois de sa carrière et de mon estime (très déçu en entendant en vrai une voix trop ronde, très peu intelligible, qui sort mal), se démène de façon électrique en Kundry, avec une maîtrise confondante de sa voix (pas si déclinante que ça, donc… ce sont surtout les programmateurs qui ont pris de nouvelles chouchoutes).
Mais la grande bonne surprise, c'est Franck van Hove : le timbre est celui d'un baryton, et pas d'un baryton-basse ni même d'un baryton dramatique (mais la maîtrise de la tessiture très basse ne lui pose aucun problème, ce n'est pas un imposteur), ce qui contraste avec l'ordinaire des Gurnemanz très hiératiques… Et il en tire tous les avantages : sa voix est plus mobile que les basses nobles ou profondes, et lui permet un luxe de détails d'éloquence qui passionnent de bout en bout. Un peu le profil d'Alfred Reiter, mais avec une voix encore plus claire, et des couleurs plus nombreuses. Une des très grandes incarnations du rôle.

Si on s'intéresse à Parsifal et, même sans être collectionneur, aux options possibles, il faut absolument essayer celle-ci. La bande a été mise à disposition pour l'instant (là où j'ai découvert son existence par hasard).

jeudi 11 juin 2015

Les plus belles symphonies – nouvelles entrées : Stenhammar, van Gilse, Atterberg, Andriessen, Doráti… et puis Hamerik, Rott…


La dernière ayant plus d'un an, mise à jour de la liste de propositions autour des symphonies (dans le but de suggérer des pistes de découverte). Vu le nombre, il est bien sûr impossible de toutes les présenter…

Aujourd'hui : ajout de Stenhammar, van Gilse, Andriessen, Doráti ; mises à jour chez Hamerik, Rott, Sibelius, Szymanowski, Atterberg, Chostakovitch.

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Replongée périodique dans les symphonies d'Asger Hamerik : sans doute un tropisme tout personnel que cette inclination pour du Mendelssohn écrit dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais sa simplicité dramatique et sa douceur me rendent ses deux premières symphonies indispensables. Le reste du catalogue, certes plaisant également, devient plus sombre (et finalement plus semblable à d'autres choses existantes), sans que le langage y gagne forcément en densité.
Déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces pages.

À la réécoute de Kurt Atterberg, grosse réévaluation du legs (qui me paraissait beau mais relativement secondaire en dehors de l'explosion dvořákienne de la Première), dont il a un peu été question ici, de pair avec la découverte émerveillée de son grand poème figuratif Älven.

Pour Hans Rott, c'est encore plus spectaculaire : dubitatif à mes débuts, puis de plus en plus séduit, et totalement convaincu par le concert, elle est devenue, ces derniers mois, l'une des trois ou quatre symphonies que je dois écouter le plus souvent.
Il faut dire qu'en plus de la bande P. Järvi-Paris, deux versions pleinement réussies (les seules satisfaisantes) ont paru récemment : Paavo Järvi avec la Radio de Francfort (du Main) et Catherine Rückwardt avec le Philharmonique de Mayence.

Par ailleurs, en revenant à Jan van Gilse, réel émerveillement : les deux premières s'écrivent dans la lignée de Brahms (mais avec des richesses plus tardives et des reflets debussystes), la Troisième est ce que l'on peut trouver de plus proche des symphonies vocales de Mahler… Et tout cela avec une profusion de beautés assez personnelles. La Quatrième marque un petit recul un peu néo-, aussi bien dans la matière que dans la qualité, mais reste assez jolie.
(en plus, la gravure de Porcelijn est formidable) Merci CPO, comme toujours.

Antal Doráti mérite aussi grandement le détour comme compositeur ; son écriture a beaucoup de traits soviétiques, mais ne s'y limite absolument pas, avec un sens du coloris et une tension du discours remarquables : pas de chatoyances gratuites, mais une très belle architecture discursive et sonore, en particulier pour la Deuxième.

Enfin, je n'ai rien dit de Hendrik Andriessen, qui échappe un peu à la description, tant les moyens employés, sans sortir de la symphonie traditionnelle (et plutôt postromantique) sont divers. Cela n'évoque ni le style d'un autre, ni un style d'une originalité forte, Andriessen utilise les outils disponibles sans innover ni se conformer à l'existant, c'est assez intéressant (et beau) – la Deuxième en particulier se distingue par un aspect étrangement ascétique et grinçant pour ce type de grammaire musicale.
Et, ici encore : Porcelijn, Symphonique des Pays-Bas, CPO… trois raisons supplémentaires de se ruer dessus. D'autant que la Troisième Symphonie (pas encore incluse dans la liste, écoutée qu'une fois) vient de sortir et ménage le même genre de surprises bienheureuses.

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La liste de ces petites merveilles figure sur cette page.

mercredi 20 mai 2015

[Carnet d'écoutes n°77] – Ibert, d'Indy, Bartók, Haydn : Le Chevalier errant, Chansons et Danses, Duos, Crincrins…


Quelques échos autour d'écoutes récentes… et quelques insolites de diverses natures.

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A. Œuvres

Ibert – Le Chevalier errant, Les Amours de Jupiter

Timpani vient de publier deux ballets de Jacques Ibert… Comme d'habitude, la qualité est au rendez-vous. Avec l'Orchestre National de Lorraine bien sûr (peut-être mon orchestre chouchou en France…), dont Mercier tire des sonorités d'une variété de couleur (et d'une sûreté technique) rares pour un orchestre français. Et aussi, ce qui était moins évident, avec les œuvres, en particulier Le Chevalier errant.

Les Amours de Jupiter sont commandées pour un ballet de Roland Petit en 1945 (création en 1946), au début de l'existence du Ballet des Champs-Élysées ; autour de cinq entrées (Enlèvement d'Europe, Léda, Danaé, Ganymède, Retour à Junon) se déploie la veine légère d'Ibert et du temps, mâtinée d'influences de café-jazz et de velléités néo-classiques. Belle partition bien faite, dans le registre du style le plus léger d'Ibert.

Le Chevalier errant est tout autre et fascine davantage. Issu d'une commande d'Ida Rubinstein (à l'origine également d'Orphée de Roger-Ducasse sur son propre argument, du Boléro de Ravel, d'Amphion de Valéry-Honegger, de Perséphone de Gide-Stravinski, de Jeanne d'Arc au bûcher de Claudel-Honegger et d) après le grands succès de son premier ballet Diane de Poitiers (1934), il demande de grands moyens, un peu à la façon de Jeanne d'Honegger : deux récitants, chœur, grand orchestre.
L'œuvre est achevée en 1936, mais dès la fin de 1935, Ibert en prépare une réduction pour le concert (une suite composée de l'essentiel des quatre tableaux, mais sans chœurs ni récitants, retranchant le tiers de la durée).

Le langage est étonnant pour Ibert, vraiment dense, assez moderne, certes lumineux pas du tout empreint de sa légèreté habituelle : de la véritable musique ambitieuse, ce qui n'a pas si souvent été son cas – en tout cas rarement sans citations folkloriques (L'Aiglon), arguments parodiques (Persée & Andromède), habillages primesautiers… C'est pourquoi ce disque est indispensable.

Quatre tableaux se succèdent :

  • les inévitables Moulins, où Dulcinée apparaît bizarrement (dans la version définitive de 1950, elle y exécute carrément des Variations) ;
  • les Galères, autre moment de bravoure très proche du roman (Quejana libère des prisonniers qui, se révélant étrangement mauvais sujets, massacrent leurs anciens maîtres sans que le héros puisse rien y faire) ;
  • l'Âge d'or, qui prend au pied de la lettre les rêves d'Arcadie du héros, d'une façon qui n'est pas décrite dans le roman, mais qui en prolonge les allusions (enfin, les danses paysanes ne sont pas exactement ce qu'il entendait exalter…) ;
  • enfin les Comédiens, qui n'a plus aucun rapport avec l'original : Don Quichotte part sauver une jeune fille prisonnière d'un géant (en réalité, ce n'est qu'une pièce jouée par des acteurs itinérants) mais, frappé par celui-ci, il tombe mort. Apothéose et transfiguration.


Cette dernière partie n'a non seulement aucun rapport avec le récit de la mort de Don Quichotte (épuisé, pris de fièvre en rentrant chez lui) ni avec son ton (sévère sur les erreurs de jugement du personnage – alors qu'ici, on a une nouvelle version du final du Roi Arthus de Chausson ou de Prométhée triomphant de Hahn, ainsi que de beaucoup d'autres œuvres du temps : Tristan, Parsifal, Die Frau ohne Schattent, Fervaal, Sigurd empruntent aussi cette voie)… mais de surcroît pas le moindre rapport non plus avec l'épisode consacré aux comédiens (chapitre 11 de la seconde partie), où le spectacle fait simplement peur à Rossinante : Don Quichotte tombe et les comédiens se moquent de lui.

La modernité des Moulins et les beaux archaïsmes triomphants de l'Âge d'or méritent vraiment le détour.

À cela, il faut ajouter les qualités déjà mentionnées de l'Orchestre National de Lorraine dirigé par Jacques Mercier avec une exactitude remarquable, se parant de couleurs étonnantes qui évoquent souvent les alliages de Petrouchka, avec une qualité de finition rare chez les orchestres français, et non sans enthousiasme.
À découvrir.

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Béla Bartók – 44 Duos pour violons (BB. 104 ; Sz. 98)

Bien qu'écoutant finalement peu souvent Bartók – ce folklorisme méchant ne doit pas agir très puissamment sur mes impulsions d'écoute –, j'aime passionnément revenir à ses duos pour violons. Étrange dispositif, à la fois marqué par le folklore et d'une écriture très raffinée, assez abstraite finalement ; très différent des couleurs le plus souvent violentes, tourmentées et bigarrées de la plupart de ses œuvres… Dans ces duos au contraire, le contrepoint coule tranquillement, avec une certaine homogénéité entre les (courtes – pas une n'atteint les trois minutes, et la plupart sont comprises entre 45 secondes et 2 minutes) pièces ; cela n'exclut nullement les audaces imprévisibles, impensables dans un véritable folklore, mais l'effet n'est pas du tout celui d'une ostentation dramatique ou musicale. Bien que ce soit une source d'inspiration évidente pour Kurtág, ces Bartók-là peuvent au contraire aussi bien soutenir l'attention en concert qu'être placés en musique de fond.

Comme on les entend très rarement en vrai (pourtant, ça ne coûte pas cher !), même dans des récitals d'élèves de tous niveaux, il faut bien se repaître de disques. Et là, les versions pèchent souvent par une certaine mollesse, comme si la veine dialoguée (plus que dansante) n'était pas vraiment prise au sérieux – les hongrois aiment à dire qu'eux seuls peuvent comprendre les articulations de la musique de Bartók, liées à la langue et à la musique traditionnelle : c'est exagéré, mais il est vrai pourtant que beaucoup passent à côté de sa logique, en y exaltant seulement les aspects les plus académiques (fussent-ils des audaces).

Il en existe tout de même quelques intégrales, et pas mal d'anthologies (pas un nombre si vertigineux que cela, j'en ai repéré, après un rapide survol, une vingtaine), qu'on peut répartir en trois groupes :

¶ Les lyriques internationaux : Angela & Jennifer Chun (Harmonia Mundi), Frank Kim & S.G. Lee (Violin Foundation), Jan Talich & Agnès Pyka (Indé-Sens) et plus étonnant Péter Csaba & Wilmos Szabadi (Hungaroton) interprètent en privilégiant la mélodie et en gommant les appuis de danse.

¶ Les folkloristes : Wanda Wilkomirska & Mihály Szűcs (Hungaroton), Sándor Végh & Alberto Lysy (Astrée-Auvidis, puis Naïve), Barbabás Kelemen & Katalin Kokas (Budapest Music Center [sic]) accentuent la raucité, jouent de façon très détachée, accentuent les thèmes simples, comme des chansons et danses.

¶ Les lyriques fokloristes : Alberto Lysy & Sophia Reuter (Dinemec Classics), Régis Pasquier & Gérard Poulet (Arion), György Pauk & Kazuki Sawa (Naxos), conservent le legato, mais font tout de même sentir les thèmes capiteux et les échos de danse.

La première option n'a pas grand intérêt à mon avis (je troue par exemple tiède le résultat obtenu par Talich-Pyka ou les sœurs Chun, et Kim-Lee, qui bénéficient d'une prise de son proches dans un tout petit espace, sont même fragiles sur la justesse). La deuxième est parfois un peu extrême, surtout chez Wilkomirska-Szűcs, qui exagèrent leur phrasé scolaire (on dirait du Bach de débutant)… mais le grain, le refus du legato, l'exaltation des thèmes les plus pauvres créent vraiment une atmosphère « authentique » saisissante ; dans ce genre, la lecture plus tempérée de Végh-Lysy me paraît un excellent choix, quand même stimulant par sa radicalité, mais ne renonçant pas pour autant à la beauté et au goût. L'équilibre parfait est peut-être atteint par Kelemen-Kokas, avec ses superbes sons droits qui ne refusent en rien le chant – à mon sens le plus bel enregistrement en matière de son.

Sinon, on s'en doute, j'ai beaucoup de tendresse pour la troisième voie qui me convainc le plus – en particulier Pasquier-Poulet, plus lyrique et beaucoup moins typé oriental que les deux autres, mais qui rend très bien la poésie de ces pages. Lysy-Reuter et Pauk-Sawa sont excellents, beaucoup plus équilibrés dans leur rapport folklore/lyrisme, mais l'intensité constante de leur jeu et de leur timbre est un peu lassante sur la durée pour moi.

Les duos pour violons de Luciano Berio ne sont ni plus ni moins que le prolongement de ceux de Bartók, une fréquentation indispensable si vous aimez ce cycle.

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Indy grand format

Le sixième volume de l'anthologie orchestrale de Vincent d'Indy vient de paraître chez Chandos. Il confirme le résultat hétérogène du projet : Vincent d'Indy est un grand compositeur, mais ses sommets se manifestent plutôt dans la musique scénique (Fervaal, L'Étranger, La Légende de saint Christophe…) ou dans la musique de chambre (Sonate avec violon, Trio avec clarinette, Suite dans le style ancien, Suite Op.91, Chansons et Danses, Quintette avec piano…). La plupart des poèmes symphoniques étaient déjà documentés (certes, de façon éparse) par le disque, et ne méritaient pas forcément la multiplication des versions, d'autant ce n'est pas ici la lecture la plus ardente qui soit. Ce sont surtout les Symphonies qui valent le détour (si, j'ai beaucoup aimé le celtisme archaïsant de Saugefleurie, un peu dans la veine de L'An Mil de Pierné), et l'intérêt, outre de tout regrouper, est qu'on peut entendre l'une de leurs rares versions – il n'existe que Bringuier (avec l'Orchestre de Bretagne) pour la Première, Monteux (San Francisco) et Plasson (Toulouse) pour la très-franckiste Deuxième – et, j'ai l'impression, la seule de la Troisième.

J'ai boudé Wallenstein qui m'ennuie assez ferme, mais j'ai écouté le reste du disque, en particulier les Chansons & Danses, un bijou de l'archaïsme roboratif. Mais la version pour grand orchestre leur fait perdre beaucoup de leur saveur, liée aux timbres crus et aux bondissements de l'effectif pour septuor à vent (flûte, hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, cor) – les cordes lissent tout cela.
À ce paramètre (respectable, ce doit être la première captation de la version pour orchestre, alors qu'il en existe au moins trois versions pour septuor : CBC, Klavier, Timpani) s'ajoutent les caractéristiques de l'interprétation elle-même : j'aime beaucoup le Symphonique d'Islande d'ordinaire, mais ses qualités ne sont pas forcément mises en valeur dans cette musique, et la direction assez indolente de Rumon Gamba, ajoutée à la prise de son en-cathédrale de Chandos, ne rend pas exactement justice au caractère de cette page (là où elle ne fait que limiter l'intérêt d'autres pièces plus traditionnelles et moins sensibles à ce traitement).

Pour entendre la version originale, les solistes du Philharmonique de Luxembourg font merveille chez Timpani, au sein d'un programme dans le même goût, notamment les deux Suites rétro. Beaux couplages également (mais ne se limitant pas à d'Indy) chez CBC et Klavier.

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B. Interprétations

Haydn planant

Suite de la notule.

mercredi 8 avril 2015

Air du temps : urbanisme souricier, disparition de l'auditorium du Louvre, la torture à Radio-France…


Une collection de petites choses remarquées récemment.

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Disparition de l'Auditorium du Louvre

La nouvelle saison de l'Auditorium du Louvre est désormais en ligne. À part quelques œuvres éparses de compositeurs récents considérés comme importants (Zimmermann, Yun, Nørgård, Tüür), je ne vois guère que le Quatuor de Sibelius qui sorte un peu des habitudes. Pour le reste, essentiellement Mozart-Beethoven-Schubert-Chopin-Brahms-Debussy-Ravel, comme d'habitude. Pas de belles surprises comme les Clairs de lune de Decaux cette saison ou le mini-cycle Gernsheim de la saison précédente.

Il s'agit possiblement de la dernière saison de l'Auditorium – en tout la dernière sans lien thématique avec le lieu. Il semblerait néanmoins que la nouvelle forme ne soit pas un écho musical (un peu prétexte, mais qui produit des choses admirables à Orsay), mais vraiment un prolongement des collections. Donc la musique de chambre du XIXe en disparaîtra vraisemblablement.

Je ne suis pas particulièrement scandalisé : je me suis toujours demandé la raison de cette programmation tout à fait hors sol, à des tarifs chers, et qui ne se justifie ni par son originalité ni par le prestige des interprètes. Et pour des standards qu'on peut entendre partout ailleurs, aux deux Palais, à la Cité, à Soubise, au CNSM, à Moreau, à Cortot… L'entre-soi (qui n'est pas un problème en soi) des concerts n'est pas si infondé que cela : même sans parler des prix, extraordinairement élevés pour de la musique de chambre (par des artistes peu célèbres de surcroît), la moitié de la programmation a lieu à 12h30. Qui finit à 12h pile et assez près du Louvre, à part quelques cadres parisiens et les retraités fortunés ? Ce n'est pas grave, bien sûr, mais si l'on cherche à ouvrir les lieux à d'autres publics, l'effet est nul. Et je peux concevoir que le Louvre ait d'autres ambitions que de rayonner dans une petite niche qui n'est même pas son public naturel.

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Urbanisme souricier

Suite à plusieurs longues balades sur les contreforts forestiers franciliens (L'Isle-Adam, Carouge, Montmorency, Lormoy…), je suis frappé par la norme architectural de véritables villes-souricières : construites autour d'une ou deux rues, il est impossible de quitter l'agglomération sans les avoir terminées. Chaque bifurcation conduit à une impasse résidentielle, et même doté d'un plan, il n'y a plus qu'à attendre d'arriver au bout. À cent mètres de la forêt, il peu y avoir une demi-heure de marche pour l'atteindre, le temps d'avoir dépassé les dernières maisons, toutes adossées aux prairies ou aux coteaux chargés d'arbres – leur contiguïté créant un véritable mur infranchissable. Au jour le jour, même lorsque sa maison est située contre la forêt, il doit falloir prendre la voiture pour y aller !

Je me demande quel était le but des urbanisateurs. Limiter le coût en routes ? Distribuer au plus simple les pavillons de villes-dortoirs ? Pourtant, nous sommes vraiment dans l'univers rural (les panneaux « villages fleuris » ouvrant certaines localités, à peine pourvues d'un boulanger, d'un tabac et d'une pizzeria – même pas forcément de pharmacie ou de poste –, en attestent), et tous les terrains constructibles ne sont pas exploités à cette distance de Paris. Quel est donc l'intérêt ? La circulation à l'intérieur du village en est compliquée : je n'avais jamais remarqué dans d'autres parties du vaste monde, où la structure des localités évoque en général plutôt l'étoile ou les cercles concentriques autour d'un centre actif où se regroupent les commerces et institutions essentiels.

Témoin les 2,5km sans aucun échappatoire de Baillet-en-France : une seule longue route, une rue-déparmentale, débouchant sur des impasses, et trouvant à 1km de son début deux commerces, une église, une mairie. Toute petite ville, et pourtant, pour ceux qui habitent au début de la commune, aller acheter son pain doit assurer de fiers jarrets au bout de quelques mois de résidence.

Je n'ai pas de réponse, mais elles doivent exister, et si quelqu'un veut bien m'orienter vers elles, je lui en saurais grandement gré.

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Abolitionnisme

Il est inacceptable que les grévistes de Radio-France prennent en otage les auditeurs… en diffusant de belles musiques sans les désannoncer. Les traitements des prisonniers contraires à la dignité humaine sont pourtant prohibés par les Conventions de Genève.

Je ne compte plus les témoignages éplorés de mélomanes, près de perdre la raison, qui ont peut-être écouté leur premier Meyerbeer et leur premier Schreker, mais ne le sauront jamais. Quand un couple se dispute, ce sont toujours les enfants qui trinquent.

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Le sens des concours

Je ferai prochainement, quand j'aurai une minute, la promo des prochaines sessions du CIMCL (en partenariat avec Bru Zane). Il est toutefois, dans la galaxie déjà discutable (dans le détail comme dans le principe) des concours, une abomination dont je ne m'explique pas bien l'existence, à part pour des raisons un peu intéressées : le concours de direction d'orchestre.

Comment peut-on juger un chef, surtout débutant, en lui faisant diriger pendant un quart d'heure un orchestre qu'il découvre ? Ou alors il faudrait confier le jury aux musiciens qui, eux, voient si cela fonctionne ou non. Il est quasiment impossible de juger de l'extérieur du travail d'un chef, qui est un travail d'organisation et de communication – les commentaires sur la gestuelle des chefs lors des concerts sont en général fondés sur du vide : il existe bien sûr des gestuelles efficaces, et même indispensables pour les chefs invités qui n'auront droit qu'à deux services pour monter une œuvre et y imprimer leur vision (surtout que c'est en général ce qu'on attend des « grands chefs », qu'ils tordent la musique vers eux, sans rien changer de ce qui est écrit – le principe est assez pervers, il faut bien l'avouer), mais l'essentiel s'est passé en amont, en répétition. La parole trop abondante est un défaut, qui empiète sur le temps de musique, mais le geste n'est pas forcément suffisant non plus, c'est un ensemble qui s'impose, et donc je ne vois pas trop comment juger en quelques secondes.
Dans le meilleur des cas, on peut repérer ceux qui communiquent bien ; dans le pire, on n'entend rien de plus significatif que si l'on se passait les premières minutes d'une symphonie, très insuffisant pour mesurer un potentiel. Surtout chez les chefs, où la composante relationnelle et culturelle va se modifier (et souvent s'améliorer) au fil des années.

De fait, les lauréats ne sont pas forcément très impressionnants – parfois des bons élèves qui font les bons gestes sans avoir particulièrement plus à raconter que les autres. On a annoncé il y a quelques jours la nomination de Kazuki Yamada (lauréat au concours de Besançon en 2009) à la tête du Philharmonique de Monte-Carlo. Pas un mauvais chef, mais en retransmission comme sur le vif, il n'y a pas particulièrement de plus-value.
Pire pour Lio Kuokman, qui m'avait vraiment ennuyé en salle, amoindrissant les œuvres (dans un style où cet orchestre excelle pourtant !) avec une sorte d'indolence communicative.

J'ai prévu d'aller observer les classes du CNSM pour voir si je rectifie ces impressions en observant tout cela de plus près. Je vous raconterai si ça me chante.

mercredi 25 mars 2015

Franz Schreker – Die Gezeichneten à Lyon : quel état de la partition et du livret ?


À Lyon a lieu en ce moment la création (au moins scénique) française des Gezeichneten de Schreker, dont il a souvent été question dans ces pages — et notamment autour de la question des coupures, en particulier lorsqu'elles suppriment des pans de complexité entiers.


Fin de l'opéra telle que donnée à Lyon : effectivement, transparence très française de l'orchestre (de l'Opéra de Lyon dirigé par Alejo Pérez). J'aime beaucoup ce que j'entends du côté du chant : A.M. Hoffmann un rien stridente, mais précise et très antérieurement articulée, avec un texte intelligible, ce qui est très difficile ici (conjuguer séduction minimale, format dramatique, grands intervalles et articulation du texte constitue un tour de force assez rarement accompli) ; Workman rond et poétique, très nettement articulé lui aussi.


Guillaume Reussner, fervent admirateur de l'œuvre, profondément familier de ces enjeux d'intégralité, a assisté aux représentations et répond précisément à ces questions. Vous trouverez, à partir de son texte, quelques liens renvoyant vers des notules plus anciennes de Carnets sur sol autour de ces sujets.

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1. Enjeux de mise en scène et choix des coupures

La partition n'est pas intégrale même si le livret, la liste des rôles et l'argument du programme mentionnent les scènes coupées. C'est donc à interpréter comme un choix de mise en scène. Pour les plus impatients, je dévoile la nature des coupures : acte III, scènes 1-4 ainsi que tout le passage de Salvago sur sa "faute" (scène 5). Je dirais que la mise en scène, efficace et assez plaisante, bien dirigée également, nous présente davantage un opéra sur l’amour (passablement compliqué certes) que sur la laideur ou l'art, ce qui aide à comprendre certains partis-pris marquants : par exemple la figuration de l'Elysée au III comme l'Elysée au sens propre, c'est-à-dire un espace stellaire, où les buissons sont des constellations. C'est poétique, mais tout l'aspect artistique/artificiel (künstlich) de ce paradis disparaît, pour n'être qu'un ciel, propre aux déchaînements pulsionnels (ça se tient, mais à mon sens ce n'est pas tout). Il faut ajouter que cette mise en scène procède par projections vidéos (très bien réalisées) sur le fond de scène, suggérant un prolongement de la perspective (les pièces du palazzo au I, le ciel étoilé au III) ou servant de support à projections (les mains au II).

Dans cet Elysée donc, les scènes 1 à 4 (réflexions des passants éberlués sur l’île) n'ont plus leur place. Dommage, surtout que cela donne lieu à un allongement du prélude du III avec un curieux montage à partir de la musique des scènes manquantes, et une pantomime où l'on voit différents évènements, dont Martuccia aidant Pietro à amener Ginevra dans la salle souterraine. Là encore on perd une couche de sens : Pietro a vaincu ici la résistance de Martuccia, or dans la scène des faunes, ici coupée (III,4), Martuccia se fait enlever à cause de sa résistance par des faunes sortis de derrière les buissons ; l'intrigue secondaire Pietro/Martuccia en sort aplatie.

Je m'explique moins bien, ou plutôt je ne vois pas les mobiles présidant à la suppression de la tirade d'Alviano sur sa faute, puis la seconde partie sur son bonheur actuel (le tout reprenant brutalement à "Doch wo bleibt Carlotta") : là encore, on retire à l'oeuvre une profondeur de champ et un pouvoir de suggestion. Les fils sont moins bien reliés, et l’impact du livret en sort un peu amoindri. Sur le plan de la mise en scène, tout cela va dans le sens du jeu très physique, très psychologique et d'un lissage des aspects extérieurs au triangle amoureux central. L'intrigue liée aux viols est placé en tête avec, lors de l'ouverture, une projection - un peu banale pour une telle musique ! - des affiches de recherche des jeunes filles, et les nobles filment leurs exploits, d'où la présence de cartons au II, où sont renfermés les CDs et cassettes d'archives. Ces mêmes affiches "Missing" referment l'opéra. Manière d'ancrer l'oeuvre dans notre époque par la thématique du viol et de sa médiatisation ? On peut dire en tout cas que David Bösch, le metteur en scène, a pris ce fil pour démêler la pelote du livret, et qu'il aurait pu la démêler par le fil esthétique ou politique, ces deux aspects restant négligés : faire d'Adorno déguisé au III un moine est un peu simpliste, de même que l'antagonisme Podestat/Adorno n'est pas travaillé scéniquement. Rien sur les tableaux de Carlotta, alors que les metteurs en scène sont d'habitude friands de tableaux (voir le Tannhäuser de Carsen, Trovatore d'Hermanis), aucune œuvre d’art sur l’île d’Elysée : la réflexion esthétique est largement évacuée de la mise en scène.

Cela étant dit, ayant plutôt tenté de décrire la conception de l'oeuvre par le metteur en scène, conception cohérente à défaut de rendre au mieux tout le potentiel du livret - un Herheim adorerait multiplier les niveaux - conception assez forte mais partielle, et qui a conduit aux coupures, passons aux aspects musicaux.


2. Interprétation musicale

Suite de la notule.

dimanche 18 janvier 2015

L'Elisir d'amore sur instruments d'époque — (Donizetti par Opera Fuoco)


Voilà quelques semaines qu'était prévue une notule sur les mignardises et finesses d'orchestration de l'Élixir, assez loin de ce qu'on peut entendre ailleurs chez Rossini, dont les modes d'expression, particulièrement dans ses opéras (car il a écrit de nombreux quatuors d'une très belle facture classique), étaient en général assez sommaires : mis à part Les Martyrs, Il Diluvio universale et à la rigueur La Favorite, il ne brille pas par la diversité et l'audace de ses moyens, en général. Bellini va ménager de temps à autre des petites appoggiatures, quelques (petites) surprises rythmiques… Donizetti, lui, laisse généralement l'orchestre battre la mayonnaise, et les harmonies spartiates tombent bien comme il faut sur les temps.

La notule n'est toujours pas finie, mais en attendant, on s'est fait le plaisir d'aller entendre l'œuvre… sur instruments d'époque, ce qui n'a sauf erreur jamais été documenté au disque — je suppose que ça a déjà été fait en concert, mais je n'en ai jamais passer de version.

La soirée était proposée par l'ensemble spécialiste Opera Fuoco, dirigé par David Stern, dans leur lieu de résidence, le vaste Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, sorte de cathédrale profane édifiée au centre de la ville. Néanmoins, considérant leur legs discographique (au moins quatre parutions : cantates romantiques françaises, Zanaida de J.-Christian Bach, Semele et Jephtah de Haendel) et l'originalité, la qualité de leurs réalisations (les français et le Bach sont splendides, d'un très beau grain et d'une ardeur presque fulgurante), il est hautement probable qu'ils s'envolent bientôt vers des scènes plus exposées. Quand on collabore déjà avec une figure aussi cotée en France que Karine Deshayes, ce n'est une question d'heures.


Le début de l'opéra par Opera Fuoco dirigé par David Stern.


1. Qu'est-ce que ça change ?

Évidemment, pour le répertoire romantique, le contraste (et la liberté) sont forcément moins grands que pour du répertoire antérieur : à part quelques possibilités (assez réduites ici, et pas tentées non plus) de diminutions, et éventuellement d'étoffement des accompagnements pour clavier (très courts et rares de toute façon), tout est écrit.

Les cordes sont plus fines, et surtout Stern les dirige différemment : tempi plus vifs, tentatives de lier ou détacher les accompagnements, et bien sûr les différences structurelles induites par les archets différents et les boyaux – attaques plus nettes, peu d'appétence pour le sostenuto.

Les vents surtout changent totalement de couleur : flûtes plus chaleureuses, hautbois très fruités, clarinettes très douces (et on en entend assez rarement, des clarinettes de « première facture », vu la période concernée), bassons plus rocailleux, cors plus cuivrés et astringents… Toute la famille des vents perd ses joliesses lisses et homogènes au profit d'une personnalité beaucoup plus grande et d'une grande douceur — d'autant plus que les instrumentistes en question sont vraiment excellents. On entend leurs interventions avec netteté en permanence, loin de la mélasse qu'est ensuite devenu l'orchestre symphonique (obligeant les compositeurs à raffiner l'orchestration pour laisser percevoir les « strates » de leur écriture).

¶ Bien sûr, l'équilibre aussi est différent : les chanteurs n'ont jamais à forcer, les timbres naturels ne créent pas ce « mur » d'harmoniques propre à l'orchestre moderne.

En somme, sans être spectaculaire, le contraste était audible… et remarquablement réalisé. Le plaisir pris par les musiciens était souvent visible jusque sur leurs mines. Et voir un altiste s'amuser dans Donizetti, ce n'est pas tous les jours — on fait rarement violoniste pro dans l'espoir de gagner sa vie à faire des ploum-ploums.

2. Partition : versions et coupures

Suite de la notule.

lundi 5 janvier 2015

Les vidéos glottophiles du moment


En attendant quelques entrées plus substantielles, quelques sites ou vidéos, admirables ou rigolards, que vous avez peut-être manqués.

Pas seulement glottophiles d'ailleurs. La preuve :

Suite de la notule.

dimanche 7 décembre 2014

[Billettes] Bach par Dieux : Patrick Cohën-Akenine & Béatrice Martin


Les lutins habituels n'ayant pu se rendre au concert des dieux de la musique ancienne, voici l'aimable compte-rendu illustré fourni par notre envoyée secrète, Chris :

Pour les lecteurs les plus avisés de cet aimable lieu, je tiens à préciser que votre dévouée découvrait toutes ces œuvres pour la première fois.

On s’était déplacé en nombre pour écouter les Sonates pour violon et clavecin n°1, 2 et 3 donné par Patrick Cohën-Akenine et Béatrice Martin aux Billettes vendredi 5 décembre.
La Toccata en ré majeur pour clavecin (BWV 912) ainsi que la Chaconne pour violon seul, extrait de la Partita n°2 en ré mineur (BWV 1004), figuraient aussi au programme de la soirée.



Parmi les œuvres jouées, citons en premier lieu la Chaconne, objet particulièrement insolite. Le programme indique que « le compositeur relève le défi de transformer en machine polyphonique un instrument a priori mélodique ». J’ai été plus que décontenancée à son écoute : sons discordants, impression générale de jouer faux, mouvement assez long (une quinzaine de minutes) pour une pièce en comptant cinq. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait devant mes yeux, j’ai pris une vraie claque et j’en suis restée toute étonnée !
Durant son exécution Patrick Cohën-Akenine est la concentration même. Il souffle, fort, à de nombreuses reprises. Cela me laisse entrapercevoir la virtuosité du morceau.
Écouter des pièces pour clavecin, et non pas l’instrument en continuo comme dans les opéras baroques, m’a laissé un peu sur ma faim : ça crisse, ça sonne un peu dur. Ne remettant pas en cause le jeu de Béatrice Martin, je me surprends à ne pas être captivée par la Toccata.
L’instrument nécessite peut-être une approche particulière pour se faire apprécier à sa juste valeur ?



Le cœur de la soirée était bien sûr les sonates. J’ai été particulièrement séduite par la troisième. Il s’en dégageait un sentiment de grandiose et d’espoir assez fulgurant, à la manière des symphonies de Beethoven. Je me sens transportée, tout est possible.
D’une manière très différente, une forte impression italianisante se dégage de la première, moins dans la seconde. Peu de qualificatifs pour les décrire, il me faudra les réécouter.



Mon exploration des œuvres de Bach commence et la Chaconne reste à l’heure actuelle, le premier jalon à franchir.


[Les illustrations, fournies par Chris, sont réutilisables sous licence Creative Commons (CC0) !]

samedi 15 novembre 2014

… wirst du, mein Herz


Lors de la disparition de Carnet sur sol, les quelques mots d'explication postés sur http://www.carnetsol.fr/css/ (qui deviendra à terme l'adresse définitive et mobile du site, mais pas pour l'instant).

Bonjour à vous, aimable lecteur ;

Vous voici sur la page temporaire de Carnets sur sol. Beaucoup de témoignages de sympathie et d'offres d'aide ont afflué, sensiblement plus que ce que mérite un bac à sable personnel — ce dont je ne saurais trop remercier mes lecteurs d'une part, mes amis de l'autre (certains appartiennent aux deux catégories, pas de panique).

Beaucoup étaient curieux de ce qui s'était passé, aussi, je vais centraliser dans cette notule quelques informations (et considérations profondes, n'en doutez pas) pour votre édification. Bien qu'ici encore, cela concerne davantage l'emploi de mon loisir dans la ou les prochaines semaines que les lecteurs de Carnets sur sol, qui trouveront ailleurs leur compte, et qui devraient de toute façon voire une large partie du site reparaître. En principe.

Suite de la notule.

vendredi 22 août 2014

Une histoire brève de la chaconne & de la passacaille – I – Mais quelle est la différence ?


La chaconne est une objet de fascination assez répandu chez les mélomanes, des plus ingénus aux plus aguerris. Notre mission : essayer de toucher du doigt pourquoi. Et au passage organiser une petite visite guidée du genre.


La Chaconne, parfum d'ivresse et d'interdit.


1. Naissance de la chaconne et de la passacaille

Les origines folkloriques nous apprennent assez peu de ces danses : la passacaille provient de passacalle, parce que les marins espagnols de la fin du XVIe siècle se seraient échangés à quai des motifs obstinés qu'ils chantaient pendant le travail. Plus intéressant, la chaconne, originaire du Nouveau Monde, existe à la même époque en Espagne sous forme de danse suggestive, parodique et vive.

Ce n'est qu'à partir du début du XVIIe qu'on trouve les premières traces écrites… en Italie. Et c'est donc à partir de là que l'aventure peut commencer pour nous.

Ces danses appartiennent à la famille des pièces à ostinato (fondées sur la répétition obstinée d'une même cellule, d'un même thème, d'une même harmonie, etc.). Dans la musique du XVIe siècle, la voix la plus importante était celle du ténor (sur quatre lignes mélodiques, la deuxième en partant du grave), qui assurait par conséquent ces motifs mélodiques cycliques. Progressivement, c'est la basse qui prend ce rôle — ce qui coïncide grossièrement avec la bascule vers le baroque, la basse chiffrée, la déclamation monodique… et l'apparition de nos deux danses dans le répertoire écrit / savant.

2. Qu'est-ce que la chaconne ou la passacaille ?

Pour commencer, comme tous les bons auteurs, je ne vais pas les différencier (cette question arrive juste après).


Version courte (sans les chants) de la Passacaille de l'acte V d'Armide, à laquelle nous allons nous intéresser.
Les Talens Lyriques sont menés par Christophe Rousset, lors d'un concert à Versailles.


N.B. : Les commentaires et les extraits sont en principe suffisants pour sentir ce qui se passe, même si vous ne lisez pas la musique. Si ce n'est pas le cas, réclamez, on retravaillera ça.

a) La mesure

¶ Ce sont des danses à trois temps, modérées et majestueuses. On les rapproche souvent de la sarabande, la danse très lente, incontournable au milieu des ballets et suites instrumentales, dont le deuxième temps est accentué.

¶ Leurs accentuations sont particulières : le premier temps est l'appui naturel du début de la mesure, mais le deuxième temps est accentué (difficile de dire, donc, lequel est le plus fort), et le troisième présente une forte levée qui donnent l'impression d'une aspiration vers la suite. Fait rare dans une danse, chaque temps est donc assez fortement caractérisé, ce qui participe sans doute de leur charme un peu incantatoire.



Voici une seule mesure de la célèbre Passacaille d'''Armide'' de Lully (Christie & Arts Florissants chez Erato). On entend très nettement l'appui sur le premier temps, puis le deuxième temps qui est allongé (note pointée faisant foi) sur le troisième (la ''levée'', qui se termine par une note courte qui lance la mesure suivante).


b) La récurrence

¶ Elle se fonde sur une basse obstinée, en général sur une quantité fixe de mesures (parfois avec des effets de symétrie du type 4 mesures + 4 mesures, comme dans les thèmes classiques de forme question-réponse).
Elle peut être littéralement obstinée et conserver en permanence le même mouvement mélodique (les ciaccone de Rossi ou Merula, le Canon de Pachelbel, la deuxième des Stances du Cid par Charpentier) ou utiliser simplement les mêmes proportions harmoniques (1 temps en do, 2 temps en ré, 1 temps en sol…) et faire circuler le thème de la basse (qui n'est jamais un thème principal de toute façon, il existe d'autres mélodies dominantes simulaténement) dans les autres pupitres, ou même soumettre la basse elle-même à des formes de variations.



Et on voit que les harmonies indiquées par le chiffrage ne changent pas.


¶ Chaque reprise se caractérise par des variations, faisant intervenir d'autres mélodies possibles, d'autres constructions rythmiques, d'autres instruments (flûtes en trio chez les Français, par exemple), parfois des changements d'harmonie sur la même basse.


Quelques variations dans la même passacaille :

D'abord trois flûtes. On voit que la ligne de taille (la troisième) qui sert de soubassement ne tient pas les mêmes notes que la basse, et l'harmonie n'est pas toujours exactement équivalente (en violet).

Vous remarquez également que la découpe des phrases (qui débutent ou finissent sur un premier temps, en rouge) ne correspond pas avec l'accentuation, souvent plutôt sur le deuxième temps.



Ensuite une section plus vive, où les valeurs se dédoublent. La basse est en réalité la même (on ajoute seulement des notes répétées pour donner une attraction supplémentaire sur le premier temps).


Puis on échappe à la basse obstinée : elle est remplacée par des harmonies équivalentes (ici, des arpèges tempêtueux), mais son mouvement mélodique disparaît. Il y a même des modifications harmoniques (en violet) par rapport au thème d'origine – on est globalement dans les mêmes fonctions et effets, mais les accords ne sont pas les mêmes à strictement parler.

À la haute-contre de violon (en vert), on voit le début d'un mouvement chromatique (glissement par demi-ton), très apprécié pour donner de la couleur à ce type de pièce. Il continue à circuler et investit la basse obstinée en en modifiant l'harmonie :




C'est en réalité la même basse, mais le premier temps est attaqué un demi-ton plus haut que dans la progression originale, altérant l'harmonie par une sorte de coquette discordance.


c) Les bizarreries

¶ Dans beaucoup de cas, la logique des phrases musicales ne coïncide pas avec la mesure à trois temps, et l'accent principal change de place, en particulier à la basse. C'est une part du charme insaisissable de cette danse, à la fois très incantatoire grâce à ses temps tous importants, et un peu retorse, avec ses appuis qui se déplacent.

Cette fois, c'est la chaconne de Roland, par Rousset et les Talens Lyriques :



En bleu, la basse traditionnelle de chaconne, qui plonge sur le deuxième temps ; en vert, une basse plus « naturelle », qui plonge sur la levée du troisième temps, juste avant la résolution sur le temps fort. (j'ai par erreur inversé les couleurs sur la seconde ligne) À ce moment-là, les appuis de la mélodie ne changent pas. Cette hésitation entre les temps principaux est assez caractéristique de la chaconne – ici, les appuis vont jusqu'à se contredire au sein de la même phrase musicale !


¶ Il existe aussi des chaconnes à quatre temps (voire plus étranges encore, comme cette chaconne de Purcell à deux temps, en 6/4). Certaines ressemblent réellement à un rythme de chaconne, mais avec un premier temps doublé (ou un troisième temps faible : les deux premiers temps sont accentués), comme celle des Vêpres du Stellario de Palerme de Rubino (pour le « Lauda Jerusalem »). D'autres sont plutôt des chaconnes théoriques, dont le rythme et la basse importent peu : ce sont surtout de grandes variations sur un canevas harmoniques et plus ou moins mélodique, destinées à être dansées (comme la chaconne finale de Daphnis & Chloé de Boismortier, où l'on retrouve tous les ornements ordinaires aux variations de chaconne, sans que la parenté dansée soit évidente du tout avec ses cousines). Dans ce dernier cas, on ouvre la voie au futur plus théorique et savant de la chaconne postromantique et « moderne », où la danse a complètement disparu au profit de la sophistication du système de variations.

Tout cela concerne essentiellement la passacaille & la chaconne des origines. Celles qui se développent au XIXe et au XXe siècles ne répondent qu'à une partie de ces caractéristiques, on en parlera en temps voulu.

3. Pour récapituler sans la surcharge visuelle :
a) La mesure

¶ Ce sont des danses à trois temps, modérées et majestueuses. On les rapproche souvent de la sarabande, la danse très lente, incontournable au milieu des ballets et suites instrumentales, dont le deuxième temps est accentué.

¶ Leurs accentuations sont particulières : le premier temps est l'appui naturel du début de la mesure, mais le deuxième temps est accentué (difficile de dire, donc, lequel est le plus fort), et le troisième présente une forte levée qui donnent l'impression d'une aspiration vers la suite. Fait rare dans une danse, chaque temps est donc assez fortement caractérisé, ce qui participe sans doute de leur charme un peu incantatoire.

b) La récurrence

¶ Elle se fonde sur une basse obstinée.
Elle peut être littéralement obstinée et conserver en permanence le même mouvement mélodique (les ciaccone de Rossi ou Merula, le Canon de Pachelbel, la deuxième des Stances du Cid par Charpentier) ou utiliser simplement les mêmes proportions harmoniques (1 temps en do, 2 temps en ré, 1 temps en sol…) et faire circuler le thème de la basse (qui n'est jamais un thème principal de toute façon, il existe d'autres mélodies dominantes simulaténement) dans les autres pupitres, ou même soumettre la basse elle-même à des formes de variations.

¶ Chaque reprise se caractérise par des variations, faisant intervenir d'autres mélodies possibles, d'autres constructions rythmiques, d'autres instruments (flûtes en trio chez les Français, par exemple), parfois des changements d'harmonie sur la même basse.

c) Les bizarreries

¶ Dans beaucoup de cas, la logique des phrases musicales ne coïncide pas avec la mesure à trois temps, et l'accent principal change de place, en particulier à la basse. C'est une part du charme insaisissable de cette danse, à la fois très incantatoire grâce à ses temps tous importants, et un peu retorse, avec ses appuis qui se déplacent.

¶ Il existe aussi des chaconnes à quatre temps (voire plus étranges encore, comme cette chaconne de Purcell à deux temps, en 6/4). Certaines ressemblent réellement à un rythme de chaconne, mais avec un premier temps doublé (ou un troisième temps faible : les deux premiers temps sont accentués), comme celle des Vêpres du Stellario de Palerme de Rubino. D'autres sont plutôt des chaconnes théoriques, dont le rythme et la basse importent peu : ce sont surtout de grandes variations sur un canevas harmoniques et plus ou moins mélodique, destinées à être dansées (comme la chaconne finale de Daphnis & Chloé de Boismortier, où l'on retrouve tous les ornements ordinaires aux variations de chaconne, sans que la parenté dansée soit évidente du tout avec ses cousines). Dans ce dernier cas, on ouvre la voie au futur plus théorique et savant de la chaconne postromantique et « moderne », où la danse a complètement disparu au profit de la sophistication du système de variations.



Tout cela concerne essentiellement la passacaille & la chaconne des origines. Celles qui se développent au XIXe et au XXe siècles ne répondent qu'à une partie de ces caractéristiques, on en parlera en temps voulu.

4. Mais quelle est la différence, en réalité ?

Tout amateur de chaconne s'est immanquablement posé la question : mais quelle est la différence, à la fin, avec la passacaille ?

Les ouvrages savants nous disent généralement que c'est plus ou moins la même chose, voire que ce n'est pas très clair. Alors, en quoi cela diffère-t-il ? Je crains de devoir vous décevoir, mais j'essaie tout de même de remplir ma mission.

=> D'abord par son origine : chant polyphonique modéré pour la passacaille, danse exotique rapide pour la chaconne. Les deux ont effectivement fini par fusionner complètement.

=> Ensuite, on peut aller regarder chez les auteurs du temps, qui ressentaient de plus près la nuance : de Loulié (1696), Brossard (1703), L'Affilard (1705), Mattheson (1739), Choquel (1759), Quantz (1752), Rousseau (1768) ont tous leur avis sur la question. Mais ils écrivent déjà à une époque où les deux genres ont profondément fusionné, si bien qu'ils sont assez fortement contradictoires entre eux.

Il ressort de tout cela qu'on définit en général une passacaille comme plutôt lente, souvent en mineur, et fondée sur une basse obstinée ; tandis que la chaconne est plus vive, en majeur, et suit plutôt un schéma harmonique qu'une ligne de basse immuable. Mais un nombre conséquent d'auteurs, tout en conservant les mêmes critères, les attribue à l'envers, qui plutôt sur le tempo, qui plutôt sur le mode, etc.
À partir du XIXe siècle, il y a fort à parier que les définitions soient très influencées par la distinction entre la Passacaille BWV 582 et la Chaconne de la Seconde Partita pour violon BWV 1004 de Bach, devenues les principales références, donc largement fondées sur des cas d'espèce vus pendant les études des théoriciens, et pas forcément représentatifs.

Par ailleurs, ces éléments, quoique intéressants, ne résistent pas à l'observation du répertoire : clairement, beaucoup de compositeurs ne font pas la différence, et proposent parfois eux-mêmes les deux titres pour la même pièce (c'est par exemple le cas chez Couperin).

Il existe d'autres danses comparables, qu'on peut assimiler à ces deux-là : le ground anglais en particulier, qui au XVIIe siècle, repose sur les mêmes principes — témoin la « passacaille » finale de Dido and Aeneas de Purcell, expression vocale sur une basse obstinée. La fameuse Follia (qui est un thème fixe, comme la Romanesca, le Passamezzo ou le Ruggiero, au XVIe siècle) procède des mêmes règles, en insistant plutôt, à l'ère baroque et au delà, sur l'enchaînement harmonique que sur la ligne de basse (peu distinctive).

5. Que faire de ces informations ?

À partir de maintenant, on parlera donc indifféremment de passacaille ou de chaconne, en adoptant la terminologie désignée par le compositeur. On peut privilégier la passacaille lorsqu'il est question de tonalité mineure (elles le sont souvent, même s'il existe beaucoup de chaconnes en mineur) ou que le tempo est lent (eu égard à l'origine vive de la chaconne, et à quelques indications de tempo disséminées dans les ouvrages), parce qu'on trouvera peu de passacailles en majeur ni surtout rapides, mais cela ne prive pas les chaconnes, plus nombreuses, de leur emprunter ces caractéristiques.
D'une manière générale, leur spectre étant plus large et leur nombre plus grand, chaconne est souvent employé comme terme générique pour passacaille ou chaconne, et c'était déjà plus ou moins mon usage, que cette petite enquête m'engage à maintenir.

6. Pourquoi est-ce si bien ?

On a déjà esquissé quelques pistes en §2, mais on va revenir avec une observation plus précise.

Et puis il y aura notamment :

7. Revival : de Brahms aux avant-gardes

Nouveaux principes.

8. Liste de passacailles & chaconnes

… à bientôt.

samedi 16 août 2014

Autour de Pelléas & Mélisande – XX – Les vraies voix de Mélisande


Car l'opéra italien n'a pas le privilège absolu des études de glottologie.

Le rôle de Mélisande est diversement étiqueté, sous des considérations plus ou moins fantasmatiques. L'occasion de refaire le tour du propriétaire.

1. Composition et duo d'amour

Il existe plusieurs traditions expliquant la première rencontre de Debussy avec la pièce de Maeterlinck, chacun voulant en être : le conseil de lecture aurait émané de Mauclair, de Cocteau (ce qui paraît confortablement improbable vu son âge), du hasard d'une simple promenade chez un libraire… Néanmoins, il semble, à en juger par sa propre correspondance, qu'il ait découvert l'œuvre sur scène.

Lugné (autopseudonymé Lugné-Poe), fondateur de la Compagnie Théâtre de l'Œuvre, qui doit précisément ses lettres de noblesse à la création de Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, aux Bouffes-Parisiens, reçoit en mai 1893, au moment exact de la création, une lettre de Debussy lui demandant des places (précisant même qu'il ne la connaît pas). Qu'il ait été influencé ou pas, il est donc probable – sauf découverte dans un très court intervalle – qu'il ait rencontré, pour la première fois, ses personnages sur scène.


Mary : Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs.


Le reste a lieu assez vite : entre mai et septembre, une large part de la partition sera composée. Henri de Régnier intercède auprès de Maeterlinck qui accepte immédiatement. Debussy lui rend visite, et les deux s'accablent d'amabilités pour déterminer qui fait une faveur à l'autre. Maeterlinck, en plus de sa bénédiction pour les coupures de Debussy, propose même les siennes, qui paraissent « très utiles » au compositeur.
Par la suite Maeterlinck écrit même une lettre donnant tout pouvoir à Debussy pour effectuer toutes adaptations nécessaires à son drame.

Mais en septembre, alors qu'il vient d'achever la fin du quatrième acte (tout ce qui précède était-il composé ?), Debussy décide de reprendre son travail à zéro. Au cours de l'année 1894 ont lieu plusieurs auditions chez Pierre Louÿs, compagnon de la première heure dans cette aventure : Debussy s'accompagne et chante le premier acte dans son état originel, le tableau de la fontaine (II,1) et une portion du tableau du balcon (III,1).
J'aimerais pouvoir trouver ces ébauches, mais alors que tout le monde les mentionne, les partitions ne semblent pas publiées ; peut-être sont-elles même perdues, mais j'aimerais en être assuré : un second Pelléas, au langage probablement plus archaïque (ou du moins plus traditionnel), voilà qui aiguillonne les curieux et les gourmands. De (petites) recherches en perspective, nul doute que cela a déjà été documenté.

2. Maîtresses, glottophilie, création et rixes

C'est après que le ciel se couvre.


To the happy couple.


Maeterlinck considérait manifestement qu'il existait un accord plus ou moins explicite pour l'engagement de Georgette Leblanc, sa maîtrisesse, dans le rôle principal. Debussy avait-il suggéré que ce ne serait pas un problème, ou simplement dit poliment qu'il considèrerait l'option, c'est un détail qu'on ne peut que difficilement déduire.

Toujours est-il qu'Albert Carré, directeur de l'Opéra-Comique, choisit à sa place un autre profil vocal… et une autre maîtresse, celle d'André Messager, Directeur de la Musique et chef en charge des représentations de l'opéra, que Carré avait en vain demandée en mariage : Mary Garden.


Mary, affairée à ses modestes préparatifs pour un départ en Thébaïde (il fait chaud là-bas).


Maeterlinck ne l'apprend que par le journal, et tous les témoins décrivent une fureur sans exemple, et qui dure pendant plusieurs mois.

¶ Refusant la médiation de la Société des Auteurs, il assigne Debussy en justice — mais le compositeur dispose de l'autorisation écrite de l'auteur, et l'emporte.

¶ Il se rend chez Debussy pour le provoquer en duel, et Albert Carré se propose pour prendre sa place.
C'est semble-t-il la période où Maeterlinck tue sa chatte Messaline d'un coup de pistolet (selon les commentaires, par fascination pour les affects en jeu, ou pour s'entraîner sur une cible vivante – le sujet ne me passionne pas assez pour que je sois allé vérifier dans les sources, je l'avoue).

¶ Finalement, Maeterlinck opte pour la bastonnade, et se rend chez Debussy qui fait un malaise en le voyant dans une colère qui, ici encore, est rapportée comme particulièrement effrayante par les témoins.
En 1918, il écrit à un correspondant qui l'interroge : « tous les torts étaient de mon côté et qu'il eut mille fois raison », mais l'objet de la contrition n'est pas totalement clair à mon sens : est-ce l'épisode de la correction seulement, ou le sujet même de la querelle ?
De toute façon, à l'époque, Pelléas s'était durablement imposé au répertoire lyrique et il se séparait la même année de Georgette Leblanc (qu'il trompait avec une autre actrice… née l'année de la première rencontre avec Debussy !), ce qui rendait sans doute l'admission de ses torts plus aisée.

¶ Quelques semaines avant la création (avril 1902), il écrit une lettre ouverte où il proteste de la malhonnêteté de ses interlocuteurs, conteste son ostracisation de la création, et souhaite la chute « prompte et retentissante » de l'opéra.
La lettre est en elle-même contradictoire avec son argumentaire précédent, puisqu'il explicite la raison de son ressentiment (le refus de la seule interprète qu'il souhaitait pour Mélisande), alors qu'il avait récusé les coupures (comme défigurant son œuvre) devant les tribunaux.

3. Deux aspects de Mélisande

Tout cela, c'est de l'histoire et de l'anecdote. Fascinantes peut-être, surtout que Maeterlinck semble avoir fait grand cas d'un engagement de sa maîtresse (qui faisait une belle carrière sans cela), et perdu la mesure à un point difficile à se figurer, surtout pour un homme mûr et jouissant déjà d'une grande réputation – sensiblement plus grande que celle de Debussy. Un moment d'irrationnalité publique et très durable (deux paramètres relativement rares) qui passe plutôt le sens commun.

Mais ce qui est intéressant, c'est que le choix d'Albert Carré (et celui de Maeterlinck), indépendamment des enjeux de maîtresses, révèlent deux orientations esthétiques très différentes pour Mélisande… et qui se retrouvent aujourd'hui encore dans les distributions du rôle.


Mary-Thaÿs-et-non-Margueryte, simple parvenue quand même ; et Georgette-Vanna, qui va bientôt tout perdre, jusqu'à son manteau (sous lequel il n'y a rien).


Les amateurs les plus chevronnés de Pelléas, ou simplement les possesseurs du coffret Desormière dans certaines rééditions EMI, ont déjà entendu Mary Garden : elle a laissé quelques traces avec Debussy au piano (en 1904, donc dans un état vocal très proche de la création), dont quelques mélodies (Beau soir, Spleen, Green) et une chanson de la Tour.


Début de l'acte III de Pelléas.


Elle a laissé aussi d'autres témoignages dans des répertoires plus lyriques (Traviata, Thaïs, Salomé d'Hérodiade, Louise) :


Salomé (Massenet), Thaïs en 1907, Violetta en 1911, Louise en 1912.


Moins célèbres, les traces laissées par Georgette Leblanc :


Amadis de Lully (acte II), et le même extrait de Thaïs.


L'auditeur profane (que nous sommes tous plus ou moins, face à la rareté des témoignages de cette période, et à son éloignement dans les usages linguistiques) ne peut qu'être frappé par la proximité de ces deux témoignages d'un autre temps. D'abord, la très faible intelligibilité : on se figure qu'on articulait mieux autrefois, parce qu'on se fonde sur les témoignages (effectivement extraordinaires de ce point de vue) des années 30 à 60… mais au début du vingtième siècle, l'esthétique était plutôt aux voix très lisses et homogènes, sans arêtes (très peu de mordant), presque blanches (peu vibrées, ou légèrement et irrégulièrement), très « couvertes » (avec des voyelles assez peu différenciées), et des consonnes très peu proéminentes (effet peut-être accentué par la prise de son). Quelqu'un ferait ça aujourd'hui, on considèrerait immédiatement qu'il chante mal.
S'il y a bien une preuve qu'on ne peut absolument pas se figurer comment on chantait en 1840

Néanmoins, on a bien affaire à deux formats différents : Mary Garden est une voix de lyrique (qui pourrait paraître léger en écoutant Mélisande), s'inscrivant dans la tradition française de l'époque même pour des rôles à l'origine ou désormais tenus par des voix des grands lyriques, voire lyrico-dramatiques (Violetta, Thaïs, Louise, Katyucha de Risurrezione d'Alfano – le modèle en est devenu Magda Olivero –, Tosca, Salomé de Massenet… et de R. Strauss !), mais aussi des rôles graves qu'elle chantait avec sa voix légère (comme on le fait avec le baroque aujourd'hui), tels le Prince Charmant de Massenet, Carmen, Charlotte, Dulcinée… tous d'authentiques rôles de mezzo, témoins d'une autre façon de penser les catégories vocales au début du XXe siècle en France.
Ses grands succès ont été faits sur la scène de l'Opéra-Comique, comme première soprano – d'où sa distribution naturelle en Mélisande, d'ailleurs (indépendamment des questions de format).

Georgette Leblanc a partagé certains rôles (Carmen, Thaïs, Fanny de Sapho de Massenet), néanmoins la voix est audiblement plus sombre et chaleureuse, plus dramatique. Il n'est pas sûr du tout que la voix ait été plus glorieuse, puisque Garden semble particulièrement bien projetée, mais qu'elle ait créé Ariane et Barbe-Bleue de Dukas est assez révélateur sur une nature de voix plus large : on peut donner Salomé à une voix souple et relativement légère, si elle est suffisamment dynamique ; pour Ariane, il faut vraiment de l'assise, c'est un rôle isoldo-brünnhildien, sorte de mezzo avec de grands aigus. L'extrait d'Amadis révèle assez bien ce fait : Garden, dans le grave, sonne comme une soprano avant le passage, tandis que Leblanc s'approche vraiment du mezzo-soprano.
Certains témoignages attribuent d'ailleurs le refus de Leblanc par Carré (outre la position de Garden dans la maison et sa relation avec Messager) à son caractère vocal plus corsé, pas assez évanescent pour Mélisande.

Mais, techniquement, personne n'a jamais contesté que Leblanc (qui ne l'a pas fait ensuite semble-t-il, pour les raisons de bouderie qu'on se figure aisément, vu la durée de la querelle) pouvait chanter Mélisande.

4. Coïncidences avec les distributions du rôle

Ainsi, dès l'origine, deux potentialités de Mélisande, soprano et mezzo, coexistent. Et si le profil soprano dramatique façon Leblanc a finalement été très peu employé (Los Ángeles et Duval ont chanté ces rôles, mais n'appartiennent pas exactement à la catégorie), les représentations et enregistrements, à toute époque, alternent toutes les tessitures.

Je me limite à celles qui ont été captées par le disque ou la radio (date de première captation que j'aie eue entre les mains, rien de scientifique), et la liste n'est bien sûr pas exhaustive :

soprano léger colorature : Yvonne Brothier (1927), Marthe Nespoulous (1928), Irène Joachim (1941), Éliane Manchet (1988), Cécile Besnard (1999), Patricia Petibon (2005), Natalie Dessay (2009)
soprano lyrique léger : Bidu Sayão (1945), Suzanne Danco (1952), Jeannine Micheau (1953), Erna Spoorenberg (1964), Jeannette Pilou (1969), Colette Alliot-Lugaz (1987), Allison Hagley (1992), Christiane Oelze (1998), Marie Arnet (2004), Karen Vourc'h (2010)
soprano lyrique : Mary Garden (1904), Elisabeth Schwarzkopf (1954), Los Ángeles (1956), Anna Moffo (1962), Denise Duval (1963), Helen Donath (1971), Michèle Command (1978), Rachel Yakar (1979), Mireille Delunsch (1996), Véronique Gens (2003), Isabel Rey (2004), Sophie Marie-Degor (2007), Elena Tsallagova (2012)
soprano (lyrico-)dramatique : Georgette Leblanc (-), Liuba Welitsch (1948), Elisabeth Söderström (1970)
mezzo-soprano lyrique léger : Anne Sofie von Otter (2000), Magdalena Kožená (2002), Lorraine Hunt-Lieberson (2003), Angelika Kirchschlager (2006), Monica Bacelli (2013), Stéphanie d'Oustrac (2014)
mezzo-soprano lyrico-dramatique : Micheline Grancher (1962), Frederica von Stade (1978), Anne Howells (1978), Marie Ewing (1990)
mezzo-soprano grave : Marta Márquez (2010)

Bien sûr, il est impossible de tirer des conclusions sérieuses de cela : même si l'on relevait tous les noms de toutes les titulaires (ce que je suis loin d'avoir fait), pour brosser un tableau plus réaliste des tendances (sans doute différentes selon les pays, je devine un tropisme léger en France, par exemple), on ne pourrait faire la part de ce qui relève de la circonstance (une bonne chanteuse disponible) et de ce qui relève de la conviction profonde sur ce que doit être Mélisande (puisque l'on trouve de grandes titulaires dans toutes les catégories, le paramètre tessiture n'est pas forcément déterminant dans le recrutement, un des rares rôles pour lesquels on ait cette liberté).
Néanmoins, on peut relever, avec toutes les réserves nécessaires, quelques petites choses.

Globalement, les sopranos lyriques restent une valeur très prisée.

Il est intéressant de remarquer que les formats sont assez également répartis au fil du temps. Néanmoins, la tendance est globalement l'éloignement des formats très légers majoritaires à l'origine, vers des formats toujours légers, mais plus centraux (des mezzos de type « second soprano », ce qui est peut-être l'emploi le plus logique vu l'écriture du rôle). Seule catégorie manquante, les sopranos très dramatiques, pour des raisons évidentes de lourdeur et de grain – sans compter les physiques de cinquantenaires aux larges hanches, souvent peu compatibles visuellement avec la femme-enfant, l'oiseau hors d'haleine du livret…

Du fait de la tessiture basse et des valeurs précises, en tout cas, les formats les plus larges sont exclus. Mais le rôle n'est jamais concurrencé par l'orchestre (c'est un peu moins vrai pour Pelléas par exemple), il n'y a donc pas d'impératif de recruter une mezzo – même si, hors baroqueuses, les sopranes ne sont plus forcément à leur aise dans les œuvres largement écrites sous le passage.
De fait, l'emploi de Mélisande, sans impératifs de volume (l'orchestre joue rarement simultanément, et toujours discrètement), sans grande extension (pas de graves, très peu d'aigus, et jamais très haut), peut être distribuée à n'importe quelle voix capable d'articuler suffisamment dans cette tessiture-là, même sans grande projection.

Pour ma part, j'avoue que j'ai beaucoup d'intérêt pour les mezzos légers, parce que le confort est maximal et permet plus d'expression, sans que la couleur ne soit ternie. Mais c'est sans doute lié aussi au fait que cela correspond à une esthétique d'aujourd'hui (ils entrent plus récemment dans la danse que tous les autres !), liée aux progrès extraordinaire en matière de baroque et de lied — autant pour l'opéra, on peut vraiment discuter de l'évolution vocale (engorgement, opacification, volapük) depuis cinquante ans, autant pour le baroque et lied, le progrès ne fait pas un pli. Et ce sont ces timbres limpides et ces dictions généreuses que l'on retrouve en Mélisande, bien souvent, ce qui explique sans doute, plus que le format, le taux de réussite dans ce type de voix.

5. Pourquoi Mary Garden ?

Manière de boucler la boucle, on peut considérer un autre paramètre intéressant que je n'ai pas abordé de front, mais qui ouvre d'autres possibilités. Mary Garden avait les bons réseaux, Mary Garden occupait déjà un poste à l'Opéra-Comique, Mary Garden avait la voix et le physique juvénile qu'on attendait.

Pourtant, le public lui a reproché son accent écossais — franchement tout sauf évident, mais si vous écoutez les descentes vers le grave de sa Salomé d'Hérodiadeci-dessus (« Ah ! quand reviendra-t-il ? »), vous entendrez effectivement des sonorités que ne produirait pas une francophone (le [t] légèrement adouci, le [i] qui tire un peu sur le [ü]), même si d'une manière générale tous les paramètres de diction sont très peu distincts de n'importe quelle francophone de l'époque. (C'est flou comme les copines, mais ça ne sonne pas anglais.)
En mettant de côté un probable zeste de mauvaise foi chauvine, il faut considérer cependant qu'elle venait à peine de percer en France (1900 est son premier grand succès, en remplaçant au pied levé la titulaire de Louise à l'Opéra-Comique), que Mélisande est un rôle très exposé du côté de la déclamation, et qu'à l'époque, le public n'entendait que des opéras écrits ou traduits en français, interprété par des chanteurs francophones devant un public français. Son oreille était sans doute plus chatouilleuse que la nôtre — sans compter tout un tas d'implications morales sous-jacentes, ce n'était pas la même chose pour un écolier d'avoir un accent étranger qu'aujourd'hui.

On aurait donc pu choisir quelqu'un d'autre, même si on ne voulait pas Leblanc.

C'est là où la consultation des témoignages et entretiens de l'artiste se révèlent intéressants.


D'abord, Mary Garden postule le respect absolu de la partition, et en particulier des rythmes écrits par le compositeur, qui a toujours raison. Je ne suis d'accord avec ni l'un ni l'autre postulat, puisque les rythmes de Pelléas doivent être assouplis pour ne pas rendre raide une prosodie déjà étrange, avec ses répétitions, ses intervalles soudainement inattendus, ses successions brutales de binaire et de ternaire ; par ailleurs, que le compositeur ait toujours raison, ce peut être une position éthique (fort respectable), mais certainement pas esthétique, car les choses ne sont jamais aussi simples (on se rapproche de l'histoire-bataille de bien des Histoires de la Musique, où un compositeur, voire une œuvre, inaugure un nouveau système musical).
À cette époque où la rigueur d'exécution n'était pas une qualité aussi répandue ni aussi maîtrisée qu'aujourd'hui, on peut supposer que ce désir de bien faire (Garden ne m'a pas parue si nette que cela dans les différentes captations…) a été fortement apprécié, surtout pour de la musique contemporaine, très neuve et assez difficile.

À cela, Mary Garden ajoute une caractéristique intéressante, qu'il est difficile de mesurer, vu l'absence de Mélisande captées, me semble-t-il, entre son extrait de 1904 et les scènes enregistrées par Piero Coppola (1927) et George Truc (1928). Elle déclamait en effet, dans ces parties graves, avec sa voix de tête, la même voix qu'au-dessus du passage, effet indispensable pour ne pas obtenir une Mélisande poitrinant lourdement (je crois n'en avoir rencontré qu'une, sur une soixantaine de versions écoutées) ; ce parti pris de légèreté, c'est ce que j'entends chez ses contemporaines, le poitriné étant plutôt à la mode en Italie vers les années 40, mais il y avait peut être une qualité de coloris particulière, assez limpide, qu'on craignait de ne pas retrouver chez Georgette Leblanc ou d'autres titulaires potentielles.
Garden affirme en tout cas que Debussy l'avait hautement félicitée, parce qu'elle touchait à une forme d'idéal dans ce compromis particulier entre netteté de la déclamation et clarté de la voix de tête.

6. Prolongements potentiels

Rien qu'avec ces éléments de dispute et ces fragments de son, il y a donc beaucoup de fils à tirer à propos de l'évolution de l'élocution (et pas seulement lyrique) ; on n'est même pas près d'en avoir seulement mentionné tous les enjeux.

Pour entendre en intégralité une voix forgée sur une esthétique un peu similaire, on peut écouter les témoignages de Victoria de los Ángeles (comme Tito Gobbi dans un autre répertoire, et dans une moindre mesure Teresa Stich-Randall, elle dispose d'une formation technique qui reflète une autre époque que la sienne) : studio Cluytens en 56, Morel au Met en 60, Fournet au Colón en 62. Même type de voix un peu blanche au vibrato irrégulier, elle aussi étrangère. Clairement pas ma Mélisande de chevet, mais ça documente un style, dans un son beaucoup plus audible – et finalement plus proche de l'original que Sayão, par exemple.

D'ailleurs, il y aurait peut-être de quoi dire sur les autres créateurs — dont les voix sont à mon avis plus intéressantes, comme Jean Périer et, surtout, Hector Dufranne. À voir.

En attendant, vous pouvez retrouver toutes les notules autour de Pelléas et Mélisande dans le chapitre adéquat de CSS. Quelques autres sont en préparation.


mercredi 2 juillet 2014

Hors du nombril du Monde : opéra en province et à l'étranger en 2014-2015

En tant que spectateur, on a sans doute tendance à faire trop confiance à ses goûts : j'étais déçu de la saison de l'Opéra de Paris (je vais même probablement faire le voyage à Lyon pour voir Rusalka, plutôt que la production locale !), mais en fin de compte, il y a tellement à faire qu'on est bien content que toutes les salles ne proposent pas la même densité que Versailles en chefs-d'œuvres incontournables ou que l'Athénée en dispositifs intrigants.

On se retrouve d'ailleurs face au choix d'explorer à fond un domaine qui nous plaît — dans ce cas, en voyageant un tout petit peu, rien qu'en France, on peut être comblé ! — ou de varier les plaisirs (dans ce cas, le temps manque rien qu'à Paris). Je suis plutôt dans la seconde perspective (il y aura donc Decaux, Menotti, Uthal, Amendoeira et Bobby & Sue), mais pour ceux qui souhaitent plutôt approfondir la première, voici de quoi vous occuper un peu l'année prochaine.

Comme l'an passé, en gras les œuvres peu données et particulièrement intéressantes, en souligné les distributions très alléchantes.

Suite de la notule.

mercredi 5 février 2014

Traduire et adapter Onéguine – [de Tourgueniev à Markowicz et Tuminas]



Le Bal d'anniversaire de Tania dans la vision de Rimas Tuminas, avec les arrangements musicaux de Faustas Latenas. Chant assuré par des membres du Théâtre Vakhtangov.


1. Traduire

Eugène Onéguine est déjà un objet étrange : le roman en vers est passé de mode depuis quelques siècles, si bien qu'il se ressent plus aisément comme un grand poème narratif, voire une courte épopée au ton singulièrement badin. Sa lecture, en traduction, pose déjà d'innombrables problèmes, car il faut naviguer sans cesse entre la précision du texte originel (rempli d'images piquantes), sa syntaxe décisive pour le rythme d'ensemble, son caractère fluide et taquin, et enfin la contrainte poétique de la langue d'arrivée, car Onéguine est tout sauf de la prose (quoique son esprit ne soit pas si éloigné des meilleures nouvelles de Mérimée).

Certains traducteurs ont renoncé au vers (Tourgueniev-Louis Viardot, Revue nationale et étrangère 1863 ; Roger Clarke, Wordsworth 2005; Béesau, Franck 1868), d'autres ont raboté le sens, ou bien ont perdu le naturel ou le sourire (Jean-Louis Backès chez Folio).

On trouve néanmoins quelques belles traductions versifiées et rimées chez les anglais :
¶ Chez les versions anciennes, Henry Spalding (Macmillan 1881) se caractérise par la conservation du vers et du naturel ; son flux est très égal, jamais heurté, malgré les nombreuses incidentes du texte. Par ailleurs, d'une grande exactitude.
¶ Les qualités de Charles Johnson (Penguin 1977) seraient similaires, mais il semble davantage gagné par le sérieux – et ajoute des éléments absents de l'original pour pouvoir compléter ses vers.
¶ J'aime beaucoup le piquant de Tom Beck (Dedalus 2004), dont le caractère spirituel tente de répondre à celui de Pouchkine... la traduction de langue anglaise que j'aime le plus lire ; néanmoins beaucoup d'informations sont déplacées ou ajoutées, et le détail littéral est accommodé, si bien que ce n'est pas une référence pour qui veut véritablement aborder l'ouvrage de Pouchkine dans sa précision. En revanche, pour la lecture d'une belle œuvre, cette traduction apporte bien des satisfactions.

... et il en va de même en français :
¶ Tout le monde a vanté jusqu'à l'hystérie, et à juste titre, la version d'André Markowicz (Babel 2008), merveilleuse d'invention verbale, et comme toujours attentive au détail. Markowicz triomphe pour la sonorité, c'est une traduction à lire lentement et à haute voix : sa syntaxe est courte, mais ses articulations et références sont complexes à saisir en lecture cursive. Néanmoins, ce degré de soin se retrouve chez d'autres, avec d'autres qualités.
¶ À l'opposé, Roger Legras (L'Âge d'Homme 1994), avec un lexique infiniment plus simple, sonnerait peut-être platement au théâtre... mais son exactitude suprême (le plus proche de Pouchkine parmi ces trois versions, à ce qu'il m'a semblé – au prix de quelques déplacements d'un vers à l'autre, contrairement à Markowicz, mais ce me paraît un enjeu tout à fait secondaire) et sa fulgurance dans le badinage (il faut, à ce titre, absolument lire son Pan Tadeusz de Mickiewicz) en font un sommet, beaucoup plus conforme aux plaisirs de la lecture silencieuse.
¶ Moins spectaculaire que les deux précédents (mais les traductions de Legras et Markowicz sont en elles-mêmes, indépendamment des originaux, des sommets de la langue française), Charles Weinstein (L'Harmattan 2010) travaille sur la fluidité du texte d'arrivée – ici aussi, davantage dans la perspective d'une lecture silencieuse. Cela se dévore comme un vrai roman, tout glisse ; on perd un peu de la saveur des incidentes, références et saillies, mais tout le contenu littéral du texte est là, dans une traduction facile à lire à l'extrême.

Et, franchement, malgré ce qu'on entend souvent, on peut prendre un plaisir assez conforme à l'original avec ces traductions, en particulier Spalding, Legras, Beck et Markowicz.

2. Au théâtre

La question de la traduction ne se posait pas dans les représentations en russe du Théâtre Vakhtangov de Moscou, importées à la MC93 de Bobigny. Mais l'adaptation théâtrale d'une œuvre aussi emblématique, avec une intrigue aisément dramatisable, et contenant déjà de nombreux dialogues, est irrépréssiblement tentante – pour les artistes comme pour le public.


Evguenia Kregjdé en Tatiana.


En revanche, une adaptation théâtrale, à plus forte raison dans la langue originale, ouvre plusieurs possibilités.

¶ Je mets de côté les adaptations sauvages qui se contentent de tout récrire en développant simplement le synopsis des principales actions du roman, souvent en en profanant le caractère unique – souvent émouvant, mais toujours plaisant et légèrement distancié. Par exemple le pilonnage à l'arme lourde post-postromantique par le chorégraphe John Cranko.

¶ On peut donc utiliser une pièce de théâtre récrite (c'est dangereux en russe, du fait de l'inévitable comparaison), en insérant des moments de bravoure littéralement tirés de Pouchkine : la lettre, le poème de Lenski, le billet du repentir, la leçon finale de Tatiana... C'est le cas du livret de Chilovski & Tchaïkovski pour le célèbre opéra. Certes, cette version élimine très largement la légèreté du roman, mais elle offre sa lecture de plusieurs moments de parole cohérents dans le texte de Pouchkine – quitte à traiter la dernière rimaillerie de Lenski, pourtant moquée (sincèrement ?) par le narrateur lui-même, avec un bouleversant pathétique, complètement au premier degré.
Dans sa perspective sérieuse, c'est une éclatante réussite, mais on pourrait – et nul doute que cela a été fait – conserver le principe de l'œuvre nouvelle incluant des morceaux attendus du poème, et l'adapter plus exactement au ton du roman.

¶ Autre possibilité, et c'est ce à quoi je m'attendais dans la version de Rimas Tuminas hier, on peut fonder toute sa pièce sur le texte de Pouchkine, et ajouter des dialogues en prose pour combler les paroles ou les récits qui manquent dans tel échange, dans telle situation ; ou bien remplacer les endroits où le poème est chargé de références et de divagations qui ne conviennent pas bien à l'empathie de la scène.
Ce serait à mon avis la façon la plus satisfaisante esthétiquement... tout en restant possible scéniquement.

¶ Finalement, Rimas Tuminas a choisi un sentier difficile : l'usage exclusif du texte de Pouchkine. Avec tout ce que cela suppose de distorsion entre les ellipses du narrateur (ou les résumés sommaires) et les impératifs du théâtre, où il faut montrer – et, dans la mesure du possible, faire parler les personnages, dont les répliques sont la plupart du temps très courtes dans le roman.
Tuminas y ajoute quelques mots çà et là, et des chansons, mais il n'y a pas de paraphrase récrite du contenu de Pouchkine.

3. Rimas Tuminas et le Théâtre Vakhtangov

En réalité, la logique du spectacle ne repose pas sur l'usage exclusif du texte de Pouchkine, dont il faudrait tâcher de rééquilibrer les résumés par quantité d'astuces visuelles.

Le poème de Pouchkine, à l'exception de grands moments (un peu du début, la nuit de la lettre, la prémonition de Tania, le dernier poème de Lenski, les paroles de la Tante, les reproches finaux...), n'est présent qu'à l'état de fragments ; par ailleurs les stances utilisées sont sévèrement ébarbillées pour en retirer les digressions et ornements (en effet gênants à la scène).

Les parties narratives ne sont pas évitées, et tenues par plusieurs personnages, dont l'Onéguine mûr (tandis que le jeune Onéguine mime surtout ses scènes) et plusieurs figures aux identités moins définies (dont une sorte de Lenski « futur », d'après le suicide). Quelquefois les personnages-acteurs eux-mêmes empruntent les paroles du narrateur qui les décrivent. La parole du poète circule ainsi à travers le plateau, sans tenir compte des compartiments narratologiques : le narrateur peut dire des dialogues et les personnages peuvent commenter, ce qui permet une plus grande souplesse (et davantage de surprises) dans la circulation de la parole.

L'équilibre se fait en réalité avec la musique, omniprésente, en bande son amplifiée ou en chansons (accompagnées d'un piano sur scène, de l'accordéon d'Olga, de la mandoline de la vagabonde...). Faustas Latenas inclut des chansons populaires russes et françaises de toutes époques, arrange des thèmes de Tchaïkovski et Chostakovitch... et utilise même la Barcarolle des Contes d'Hoffmann dans une version pour trompette concertante par lents aplats d'accords, si bien que la parenté n'est pas d'abord décelable. Ces moments musicaux peuvent durer très longuement, et représentent des sortes de numéros clos, voire de points d'arrivée, d'apogée – ainsi la succession infinie de chansons pour le Bal d'anniversaire de Tatiana (vingt minutes ? une demi-heure ?), qui semble une œuvre en soi, comme le bal de la Cendrillon de Viardot, qui permet à la musique de s'épanouir longuement.

Et tout est remarquablement soigné de ce point de vue : les chanteuses du « corps de ballet » présent sur scène (les voisines de Tatiana, sans doute) font montre d'une remarquable technique vocale – l'une d'elle, Anna Antonova, parvient même, dotée d'une très belle voix d'alto, à exécuter un air comique où elle caricature sa propre voix, tout en passant soudain au belting le plus glorieux, immédiatement suivi d'un saisissant effet de saturation (exécuté de façon parfaitement saine).
De même, l'air de rien, les gestes sont synchronisés au cordeau avec la bande son : lorsque la ritournelle module au ton supérieur, on aboutit à la fin du geste chez le « vieil » Onéguine, alors même qu'il n'y a pas d'impératif musical à ce moment-là.


Anna Antonova.


Ainsi, pendant une très large part du spectacle, les personnages défilent sans texte sur cette bande originale. Le spectacle m'a en bonne logique paru assez long à démarrer – « à quoi servent ces intermèdes ? », « quand commence-t-on ? », le temps d'appréhender pleinement son économie : le texte nourrit ce qui est montré sur scène, mais ce qui est montré sur scène ne se limite pas au texte.

Parmi ces étranges arrêts, quelquefois le metteur en scène se joue de nous et extirpe trois vers innocents pour monter une scène entière – ainsi de la chasse au lapin complètement fantaisiste, pendant le voyage vers Moscou, qui est de toute évidence inspirée d'une comparaison prise à un autre endroit du roman : Tatiana, au moment où Onéguine paraît pour la première fois après la lecture de la lettre, est comparée au lièvre qui tremble d'apercevoir soudain le chasseur embusqué (III,40).
D'autres fois, la logique d'inclusion est encore moins évidente, comme cette jolie scène de rencontre où Tatiana (représentée à l'instant dans un bal de Saint-Pétersbourg) avec le prince, où ils se partagent ingénument un pot de confiture – dans le texte, tout indique au contraire que Tania a choisi un époux par devoir, et plutôt d'assez mauvaise grâce (« Ma mère me suppliait en pleurant… toutes les destinées m’étaient égales… je me mariai. »), et cette figure d'un calme bonheur alternatif doit tout aux désirs des adapteurs, bien peu au propos de Pouchkine. (Il y a même contradiction explicite de Pouchkine lorsqu'elle paraît être affectée par la vue d'Onéguine alors qu'elle est au bras de son mari : « Rien de ce qui se passa dans son âme ne se trahit. Le son de sa voix resta le même ; son salut fut également affable et gracieux. Parole d’honneur ! Non seulement elle ne frémit pas, ne devint ni pâle ni rouge ; mais son sourcil même ne fit aucun mouvement, et sa lèvre ne se serra point. »)

D'autres jeux avec le texte sont plus subtils, comme l'écho de Tatiana se cachant du narrateur lorsqu'il révèle qu'elle trace les initiales d'Onéguine sur les vitres, ou comme cette figure de Nicolas Poussin (remplaçant Triquet ?) qui dépose à ses pieds un de ses paysages – il m'a semblé, de loin, que c'était celui au Buveur.


Chez Tuminas, Tatiana est clairement le personnage principal : c'est elle qu'on voit le plus, c'est aussi le seul personnage principal à parler relativement abondamment (l'Onéguine mûr n'étant pas vraiment inclus dans les actions du plateau). Son profil tranche avec la représentation qu'on peut légitimement s'en faire, en lisant le texte : la Tania de Tuminas est très décidée et burlesque, très touchante mais moins timide et fragile que l'originale, soulevant avec énergie et gaucherie le lit en fer forgé qu'elle installe et tire elle-même hors de scène, se cachant sous le banc pour ne pas être vue, puis, gênée des reproches et interdite, restant debout sur l'assise, en décalage complet avec toute logique.
Et, une fois qu'Onéguine est éconduit, tout s'arrête, et c'est elle qui fait la dernière image, semi-onirique, du spectacle – enlacée à l'ours de son rêve (qui avait déjà discrètement été convoqué pour son anniversaire sous forme de peluche).


La scène de la chambre, avec Tania (Evguenia Kregjdé) et Filipevna (Ludmila Maskakova).


On peut être à juste titre frustré, tandis que ces digressions occupent une place que les moments forts de l'intrigue sont obligés de céder, de ne pas voir réellement Onéguine, mais plutôt une rêverie assez libre sur sa matière ; et je l'ai été pendant une partie du spectacle, jusqu'à ce que la force de ces étranges atmosphères me fasse rendre les armes. Par ailleurs, la moindre allusion est nourrie d'une lecture attentive des recoins du poème, et l'esprit espiègle qui règne est une façon indirecte, au bout du compte, de rendre justice au ton singulier du roman de Pouchkine.

4. Moments forts

Suite de la notule.

dimanche 26 janvier 2014

Antonín DVOŘÁK – Requiem Op.89 – discographie exhaustive


1. Œuvre et état de la discographie

Il m'a pris la fantaisie de me promener dans la discographie disponible. Malgré un désintérêt progressif et continu pour Dvořák au fil des ans, je reviens sans cesse à une poignée d'œuvres : le second Concerto pour violoncelle, un peu d'opéra, et ce Requiem... des bijoux indispensables. Il s'agit d'une partition de maturité (numéro de catalogue B. 517), composée en 1890, à l'intention du Birmingham Triennial Musical Festival de l'année suivant, où Dvořák dirigea lui-même son œuvre. [Il s'agit, au passage, du Festival de musique classique dont l'existence fut la plus longue, de 1768 à 1912, à intervalles réguliers depuis 1784.]

On sera plutôt surpris de constater, dans notre ère d'opulence discographique, la dimension assez réduite du corpus. Pourtant, on peut considérer à bon droit ce Requiem comme l'un des plus beaux de tout le répertoire (à titre personnel, c'est même celui qui me touche le plus, avec Ropartz et le premier de Cherubini), et admirer sa façon de balayer toute la gamme des expressions sacrées, du grand théâtre de la Séquence au recueillement des Offertorium et Agnus Dei, ménageant aussi bien les soli vocaux et tempêtueux que les chœurs extatiques, mêlant Fauré et Verdi dans une même poussée continue.


L'œuvre n'est par ailleurs pas obscure, et généralement appréciée des mélomanes, ce qui s'explique facilement par la très belle veine mélodique. Pour ne rien gâcher, Dvořák se montre particulièrement sensible à la prosodie de la messe : malgré son soin de la ligne mélodique, toute la musique semble découler naturellement des accentuations du texte latin.

À ces questions qualitatives, s'ajoute une absence de difficulté technique majeure, pour l'orchestre, pour le chœur, pour les solistes, chacun étant tout de même très bien servi avec des moments de fort caractère. Il faut de bons musiciens, mais pas besoin de virtuoses particulièrement extraordinaires comme pour Berlioz (orchestre et chœur) ou Verdi (tout le monde).

Et pourtant, après avoir fouillé les catalogues de bibliothèques, les bases de données centralisées, les sites de vente en ligne... il ne doit plus en manquer : 13 versions, dont 3 chez des majors (DG, Decca, Erato) et 3 sur des labels vraiment confidentiels (ClassicO, ArcoDiva, voire carrément insolite, comme Massimo La Guardia).

Ou plutôt, il en manque forcément, mais vraisemblablement plutôt du côté des vinyles non réédités, des éditeurs pirates non légalisés, des labels d'interprètes ou à compte d'auteur...

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Pour accompagner votre lecture :


Extrait d'un concert inédit, donné le 19 août 1989 à Lübeck, lors du Festival Musical du Schleswig-Holstein : le Graduale dirigé par Krzysztof Penderecki. Avec les beaux graves de Lucia Popp, mais aussi Kathleen Kuhlmann, Josef Protschka, Siegfried Lorenz, la NDR, dont les chœurs sont renforcés de ceux de la Radio Bavaroise.


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2. Distributions et commentaires

Dans la mesure du possible, figurent les dates d'enregistrement et non de publication (le plus souvent, les disques sont enregistrés l'année qui précède leur diffusion, mais quelquefois, l'écart peut être supérieure).

(Mise à jour du 24 novembre 2015 : Ajout des deux versions les plus récentes, Wit et Herreweghe, et quelques ajustements des conseils en conséquence.)

1959
Karel ANČERL – Philharmonie Tchèque – (Supraphon & DG)
Maria Stader, Sieglinde Wagner, Ernst Häfliger, Kim Borg – Chœur Philharmonique de Prague
¶ La version la plus célèbre, et une belle référence.
Atouts : beaucoup d'allant, une sensibilité à la prosodie et aux climats, un beau plateau.
Réserves : le chœur sonne étroitement chez les femmes, et j'ai personnellement de la peine à m'attacher à la voix presque droite et au vibrato irrégulier de Stader.
(Attention à la réédition Ančerl Gold, qui massacre totalement la bande à coups de filtres sauvages.)

1964
Karel ANČERL – Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin (de l'Est) – (Forlane)
Elisabeth Rose, Gertraud Prenzlow, Peter Schreier, Theo Adam – Chœurs de la Radio de Berlin (Est)
¶ Version plus fruste en apparence sans doute, tendue comme un arc, parcourue d'une ferveur qui n'a rien de concertant, avec en particulier un Offertoire d'une poésie extraordinaire. Le Rundfunkchor Berlin est évidemment d'une plasticité et d'une beauté extatique idéales pour ce type de répertoire (et les autres). Combien les femmes semblent plus jeunes ici, sans les voix boursouflées et instables qui peuplent d'ordinaire les grands chœurs symphoniques – de véritables qualités d'oratorio, comme souvent pour les chœurs de radio allemands. Solistes pas forcément jolis, mais très charismatiques. Et une urgence, une évidence de tous les instants. Celle à laquelle je reviens inlassablement, en tout cas.

Suite de la notule.

mardi 17 décembre 2013

Spectacle d'airs de cour : Lambert, La Barre, d'Ambruys pathétiques, Couperin plaisant, Charpentier leste


Il est rare qu'un récital d'airs de cour mobilise un grand nombre de participants ; généralement, une chanteuse (plutôt qu'un chanteur) est accompagnée d'un théorbiste, et dans le meilleur des cas d'un « petit chœur » au complet (clavecin, viole de gambe, théorbe).

Ce concert (cette notule est inspirée du spectacle de Versailles hier, lundi 16, mais était également présenté à Arles le 12, à Caen le 14, au Wigmore Hall le 19, et à la Cité de la Musique ce vendredi 20, où il sera enregistré et immédiatement diffusé en vidéo) offrait un tout autre luxe en termes de nombre :

Cinq chanteurs :
Emmanuelle de Negri, dessus
Anna Reinhold, bas-dessus
Cyril Auvity, haute-contre
Marc Mauillon, (basse-)taille
Lisandro Abadie, basse

Basse continue au complet :
William Christie, clavecin
Myriam Rignol, viole de gambe
Thomas Dunford, théorbe (… dit le programme, mais c'était en fait un luth théorbé, plus fin, aigu, métallique et chantant qu'un théorbe et non doté d'un accord rentrant, à ce qu'il m'a semblé – confirmé par l'aspect plus fin de l'instrument)

Et même deux « dessus » instrumentaux :
Florence Malgoire, violon
Tami Troman, violon

Cela permettait donc de chanter des airs de cour à plusieurs parties simultanées, comme cela était l'usage au XVIe et au cours d'une bonne partie du XVIIe, jusqu'à Moulinié et Lambert environ – la tendance monodique soutenue par Guédron ne s'impose qu'assez tard comme exclusive.
Mais aussi de jouer des intermèdes, de placer des ritournelles, d'élargir le champ du répertoire à présenter au cours de la soirée (aussi bien airs de cour qu'extraits de ballets et divertissements), de varier les formations...

Je commence tout de suite par dire que c'était évidemment très beau (Christie et ses créatures, dans son répertoire d'élection, comment peut-il en aller autrement), mais ce ne serait pas un constat intéressant en soi : je vais un peu plus m'attarder sur le dispositif du spectacle, qui appelle discussion.


« Le doux silence de nos bois » d'Honoré d'Ambruys par Marc Mauillon, lors d'un autre concert.


1. Le choix du lieu

L'émotion n'a pas été complètement au rendez-vous, et pour cette fois-ci, je ne vais pas plaider coupable : l'acoustique de l'Opéra Royal, décidément, est vraiment déplaisante (dans les étages – au parterre près de la scène, elle est tout à fait correcte) ; elle absorbe et étouffe les sons, qui perdent leur impact. On entend de loin, sans écho, les sons, qui ne rayonnent et ne résonnent pas. Dans la plupart des acoustiques sèches, surtout dans de petites salles de ce genre, on entend tout de même le son se répercuter, ou bien on le sent arriver physiquement.
À Versailles, on perd totalement l'impact physique du concert, avec une sorte d'absorption ouatée du son, qui donne l'impression d'écouter un disque de studio. Même l'immensité de Bastille ne supprime pas à ce point la connection entre ouïe et « toucher ».

Je suis persuadé que dans la grande salle la Cité de la Musique, avec l'agréable réverbération discrète qui y est idéale pour le baroque, l'atmosphère poétique sera tout autre. Ce genre de détail révèle la cruauté de la pratique musicale : le meilleur musicien du monde ne peut rien sans un bon instrument et une bonne acoustique (ou de bons micros, voire de bons ingénieux du son).

Pourquoi donc être allé à Versailles ? Il n'y avait plus de place à la Cité, c'était moins cher, et la date m'arrangeait. [Comment, vous ne vouliez pas savoir ? Il ne fallait pas poser la question.]

2. Construction du concert

Fidèle à leur inclination (que je partage) pour les mises en espace, les membres des Arts Florissants ont opté pour une petite narration liant ces airs de cour ; forcément sommaire, vu le caractère profondément stéréotypé (et le propos largement identique) de ces pièces. En ce sens, la seconde partie redistribue les couples formés avant l'entracte, parce qu'il n'y avait plus grand'chose à dire !

C'est un choix qui influence profondément la réception des œuvres : au lieu de mettre en valeur individuellement chaque bijou (il y en a quelques-uns) présenté, les différentes parties sont enchaînées, pour créer un progression continue.

Avantage : le résultat est plus varié et vivant, et empêche les applaudissements interruptifs.

Réserve : les airs ne sont pas joués en entier, ai-je eu l'impression, et en tout cas leur caractère strophique (qui peut être lassant, il est vrai) est gommé (en variant les reprises, changeant de chanteurs et d'effectif). Cela diminue l'impact des pièces les plus marquantes, et amoindrit les spécificités (la répétition, précisément, qui permet de s'approprier un air) de ce genre.

Bien qu'admiratif et n'ayant pas senti le temps passer (concert court de toute façon, deux parties de 50 minutes), j'avoue que j'aurais voulu que cette virtuosité soit portée au service du genre de l'air de cour lui-même, plutôt qu'à un beau spectacle contemporain. Avec des artistes moins aguerris, c'était un choix parfait, mais avec ceux-là, j'aurais aimé donner toute leur chance à ces miniatures.
C'est là un souhait tout personnel, et le dispositif rendait le spectacle accessible à n'importe qui, et pas seulement aux gens qui passent leurs loisirs à gribouiller en ligne sur la tragédie en musique.


Sujet principal de tous les airs de cour, le Temple de l'Hymen au début de l'acte V de Marthésie, première Reine des Amazones de La Motte et Destouches. Dessin préparatoire de Jean Berain, à la plume, l'encre brune et l'aquarelle pour la création de 1699.


3. Variété & authenticité

Pour enchaîner les bonnes tonalités, pour compléter les parties (même si Lambert, qui tenait la moitié du concert, est assez bien documenté, il est douteux que tous les dessus instrumentaux existent en version écrite, et possiblement plusieurs des lignes vocales polyphoniques...), et surtout pour varier le propos, les artistes ont manifestement pris un peu de licence.

L'avantage est à nouveau que le concert se passe à une vitesse folle, sans redites ni longueurs, faisant montre de toutes les configurations possibles... mais en s'écartant un peu, ai-je l'impression, des pratiques d'époque qu'un tel ensemble revendique en général de soutenir.
Si le clavecin de William Christie harmonise très traditionnellement (de belles appoggiatures tout de même, quelques jolies ritournelles, mais jamais intrusif, assez peu prodigue en contrechants si l'on compare à Béatrice Martin ou Christophe Rousset), le luth théorbé de Thomas Dunford babille avec une virtuosité inouïe, créant même des traits (mélodiques !) véloces qui relèvent davantage du répertoire soliste ; pour Myriam Rignol à la viole de gambe, c'est encore plus évident : sa variation en solo pour soutenir un air utilise des arpèges rapides qui sont en principe l'apanage exclusif de la littérature soliste – la gambe solo existe, mais dans des figures très mélodiques qui s'entrelacent avec le chant de façon plaintive, et non comme une crypto-basse d'Alberti, voire comme une Suite de Bach simultanée...

Inutile de préciser que tout cela est réalisé avec goût, maîtrise, équilibre, et un beau sens du rythme visuel, une belle science des variations et ruptures. Mais au profit d'un objectif qui n'est pas forcément celui du concert « sérieux ».
Tous les moyens (tirés de la littérature baroque, certes) me semblent mis au service du divertissement du public, et c'est très bien comme cela. Tel est le principe que je perçois ce soir : un spectacle fondé sur les airs de cour, et non un concert d'airs de cour.

4. Français « restitué » et chant lyrique d'aujourd'hui

Jusqu'ici, la seule réserve tenait à l'acoustique, pour laquelle on ne peut guère blâmer les musiciens, d'autant qu'il s'agit d'une tournée et non d'un choix de salle exclusif.
[Sinon, on aurait pu dire que cette musique n'a jamais été conçue pour un espace relativement vaste comme le Théâtre Royal. Mais elle n'a jamais été conçue pour l'écoute attentive non plus... plutôt comme une musique de fond ou une musique à chanter soi-même, donc le principe est de toute façon biaisé.]
Le reste de mon propos tenait plutôt du débat sur le choix de dispositif : j'avais envie d'entendre autre chose de plus sommaire, les airs dans leur ressassement, tels qu'écrits, mais la réussite du principe plus ambitieux des Arts Flo est assez inattaquable.

En revanche, ici, je dispose d'une vraie réserve. Qui rejoint des remarques antérieures sur l'évolution de l'esthétique du recrutement Christie : nous entendons des voix lyriques très caractéristiques du style d'aujourd'hui, très rondes, égales (pas de passage audible entre les parties de la voix), émises plutôt en arrière. Negri, Reinhold et Abadie étaient totalement dans cette perspective d'un chant très lissé et maîtrisé, en lien avec leur formation lyrique – des trois, c'est même Reinhold qui s'en tire le mieux, car elle semble avoir beaucoup progressé et rendu ses manières moins opaques (appui sur les sinus sphénoïdaux*, j'ai l'impression, pour rendre plus tranchant le son malgré son placement arrière).

* Pour se faire une bonne image de l'effet résonnant des sinus « arrière », il suffit d'entendre Alfred Deller.


D'abord, cela nous éloigne encore du principe de l'air de cour : ces œuvres sont conçues pour l'intimité et la proximité, dans des tessitures sans difficulté (même pas besoin d'utiliser le passage, donc les voix « éduquées » n'y sont pas indispensables). Les voix qui les chantaient devaient être plus proches de la variété (claires, avec un soutien musculaire moyen) que du chant lyrique d'aujourd'hui. Aussi, l'esthétique Christie d'autrefois, avec ses voix étroites et limpides (Rime, Zanetti, Fouchécourt, Rivenq...), était parfaite pour permettre plus de souplesse dans les inflexions expressives et la simplicité sans fard.

Alors que le chant très égal de ces jeunes voix bien faites perd beaucoup en expression : trop en arrière, trop artificieuses, trop homogènes. Un air de cour, c'est du badinage presque sur le mode parlé, certainement pas du belcanto. En ce sens, la pureté suspendue d'Auvity et le timbre granuleux de Mauillon étaient bien plus adaptés, même s'ils semblaient un peu retrait eux aussi, et notamment à cause de l'acoustique.

À cela s'ajoutait une erreur que je m'explique mal : pourquoi Christie a-t-il tenu à imposer la prononciation restituée du français classique ? J'ai déjà donné mon opinion sur la question : le principe est séduisant, mais il conduit à créer une étrangeté là où les contemporains des compositeurs n'en voyaient pas, et déforme les timbres, amoindrit le naturel de la parole et la clarté de l'élocution – alors même que c'étaient là les principales vertus du chant baroque tel que promu par Christie !
À l'exception d'une expérience pour Ambronay (L'Europe Galante de Campra), il l'a d'ailleurs très peu pratiquée, et à bon droit, pour quelqu'un d'aussi obsédé par les consonances du français classique ! C'était précisément ce qui faisait la différence dans son influence, et la qualité extraordinaire de son travail sur les chanteurs : ils entraient bons techniciens, ils ressortaient en torches vivantes, et cela tenait beaucoup à la formation très précise sur l'articulation du vers français.

Ajoutée à ces voix déjà plutôt mates et opaques, l'imposition du français restitué rendait assez inintelligible, sauf à une oreille entraînée, ce qui se chantait. Et comme Versailles, contrairement à la Cité de la Musique, ne fournit aucun programme de salle (sauf à acheter l'excellent programme de la saison... qui n'est pas vendu dans la salle, et jamais disponible aux entractes), je gage qu'une large part du public a dû se contenter de suivre les sémaphores scéniques. Et en toute honnêteté, heureusement qu'il y a généralement réitération des premiers mots des airs, parce qu'en une fois, il aurait été difficile de se repérer dans le déroulement de la soirée.
Cerise sur le gâteau : la réalisation en était complètement aléatoire, on entendait des « -ai » / « -oi » prononcés à l'ancienne ou à la moderne dans la même phrase, les liaisons internes étaient parfois faites à la fin du mot, parfois au début du suivant, parfois omises, parfois surajoutées (alors qu'une consonne suivait), sans qu'on puisse déceler de choix cohérent. Clairement, l'essentiel du travail n'a pas porté sur le texte. Et c'est dommage (même s'ils sont plutôt médiocres en général, dans ce répertoire).

Dans ce répertoire, et a fortiori lorsqu'on va entendre Christie, c'est quand même une déception.

5. Programme & moments forts

Suite de la notule.

dimanche 8 décembre 2013

Danses et Concertos de Márquez, Aragão, Costa... et la Troisième de Copland (Kristjan Järvi, Orchestre de Paris)


Histoire d'un concert parfait.

Vidéo complète (concert de la veille) en dépliant la notule.

Les œuvres 

Je tenais déjà la Troisième Symphonie de Copland pour un jalon remarquable ; chaque mouvement doté d'une personnalité propre, les grands aplats poétiques du mouvement liminaire, les propositions très typées du scherzo, de l'Andantino diaphane, des roboratives variations finales sur la fanfare du Common Man – dans l'esprit des plus beaux témoignages orchestraux en la matière, où tout le matériau varié explose aux différentes parties de l'orchestre, parfois simultanément (les percussions !), comme dans les Variations sur la Follia de Salieri, la Quatrième de Brahms ou la Symphonie en mi de Hans Rott (1,2,3).
Le concert révèle en plus, comme je le pressentais, que la dimension physique de cette musique est remarquable, et qu'elle gagne donc beaucoup à ne pas se limiter au disque.

Bis logique mais toujours irrésistible, qui achevait le concert : « Hoe-Down » (sic), qui clôt la Suite Rodeo de Copland ; ses crincrins et sa danse binaire passablement primitive apportent immanquablement la réjouissance.
J'avoue avoir refait le tour de la discographie de cette pièce le lendemain, pour le plaisir...

Pour le reste, je redoutais de la musique de fiesta symphonique, assez consensuelle et ennuyeuse. Je ne crois pas que j'en raffolerais au disque, mais dans le cadre d'un concert en fin de journée, c'était roboratif.

En particulier le Danzón n°2 d'Arturo Márquez (né en 1950) qui ouvrait le concert : très tradi, mais sonnant agréablement, avec de beaux déhanchés, et quelque chose de très physique en vrai. Les célèbres claves (woodblocks manuels) et surtout le güiro (sorte de didgeridoo horizontal et dentelé, que l'on râpe rapidement dans l'un ou l'autre sens) apportent une couleur locale chaleureuse très réussie. Assez jubilatoire, même si la pièce juxtapose largement les thèmes sans aller très en profondeur dans le langage musical lui-même.

Le Concerto pour guitare et orchestre de Paulo Aragão (Concerto Nazareth – un hommage au guitariste Ernesto Nazareth, et non au Petit Jésus), né en 1976, m'intéresse moins : trouvaille intéressante de doubler les basses de la guitare par des pizz de contrebasses, ce qui leur donne un relief étonnant, mais dans l'ensemble, la pièce semble répéter sur quinze minutes les mêmes tournures et enchaînements des cinq premières minutes. Très jolie au demeurant.

Passeios de Yamandu Costa (né en 1980), autre pièce concertante (Suite pour guitare à sept cordes, accordéon et orchestre) dont c'était également la création française, est aussi plutôt décoratif (avec un joli langage qui verse dans le Mendelstakovitch, mêlé de couleurs de guitare apprises chez Bach), avec tout de même une belle veine lyrique, et d'étonnants alliages entre l'orchestre et les insolites solistes.

Deux longs bis par les deux solistes simultanément (au moins cinq minutes pour chaque pièce, je dirais), qui ressemblent à des improvisations sur des thèmes de danse célèbres, mais qui me paraissent trop agiles et précis (dans toutes ces notes de passage, il y aurait forcément des « frottements » accidentels çà et là) pour ne pas avoir été écrits. En tout cas, fascinant, des diminutions très riches, un sens de la danse et du jeu irrésistible.
Je n'ai pas la référence, mais le public (peu aguerri, applaudissant généreusement entre les mouvements des concertos et de la symphonie) a adoré, et moi aussi.

Des solistes

Yamandu Costa, à la guitare à sept cordes (traditionnelle dans les musiques sudaméricaines) et Alessandro Kramer à l'accordéon incarnent très bien cet esprit de mélange et la générosité qui a marqué tout le concert (deux concertos, trois longs bis, que du rare, et tout le monde manifestement très impliqué !).

Évidemment, pour faire entendre sa caisse dans un grand hall concertant, Yamandu Costa devait pincer de l'ongle comme un fou, pour rendre le son suffisamment métallique pour ne pas être trop dévoré par l'orchestre (le même principe que le « formant du chanteur », sauf qu'il ne faut surtout pas pousser comme un fou pour l'obtenir !), et l'accordéon, branché, était manifestement discrètement amplifié (vu le matériel à l'avant-scène, Costa l'était possiblement aussi) pour plus de confort. Et, de fait, les équilibres étaient bons.

Leur maîtrise simultanée du solfège traditionnel dans des pièces aux strates assez complexes, et de l'abandon rythmique caractéristiques du fonds populaire montrait une maîtrise complète des deux aspects ; on sait qu'elle est rare, mais existe ; on a moins souvent l'occasion de l'entendre se manifester simultanément, dans les mêmes pièces.

Un orchestre

Comme d'habitude, et malgré tout ce qu'on peut lire ou entendre sur eux, je suis émerveillé par la souplesse stylistique et par l'engagement ardent de l'Orchestre de Paris. Par le passé, on m'a dit que c'était parce que je n'avais pas entendu en vrai les grands orchestres (forcément, en tournée, ils ne jouent que des scies...), comme si ce genre de chose était relatif, et qu'il fallait forcer dénigrer les très bons qui ne sont pas les meilleurs.

Aujourd'hui, la situation a changé, et je puis dire, sans satisfaction, que j'ai trouvé assez ennuyeuse la posture du Mariinski (sans doute dans des circonstances peu favorables), du Philharmonique Saint-Pétersbourg, du Concertgebouworkest, et que j'ai été assez diversement intéressé par le London Symphony Orchestra... mais l'Orchestre de Paris, rien à faire, est clairement l'un des plus intéressants qu'il m'ait été donné d'entendre. Contrairement à ceux que j'ai cités, et malgré sa réputation d'indiscipline (que je crois volontiers, vu le caractère exécrable, pour ne pas dire blâmable, de certains de ses membres les plus importants), il est capable d'épouser au plus près la conception d'un chef. L'Orchestre de Paris avec la sècheresse de Billy dans Schumann ne ressemble pas à l'Orchestre de Paris avec les couleurs crépusculaires de Metzmacher dans Britten, ou à la grande machine germanique de Paavo Järvi pour Hans Rott.
Oui, sur le seul critère du timbre et de la virtuosité, il existe encore mieux, c'est sûr (techniquement, c'est même sans comparaison avec le Concertgebouw), mais qu'est-ce que cela peut me faire, si c'est pour entendre-le-Concertgebouw-jouer-telle-œuvre, et non l'œuvre elle-même, au plus près de son esprit. J'ai souvent dit que je n'aimais pas beaucoup le Philharmonique de Vienne parce qu'il « nivelait » les options des chefs, en réduisait la personnalité et la radicalité, au profit d'un son (de moins en moins) caractéristique de l'orchestre. Et j'avoue que ça m'intéresse beaucoup moins.

La façon dont un orchestre classique, habitué aux appuis stables du grand répertoire (et même de la musique contemporaine, où il faut être exact, mais où l'on ne demande pas de maîtrise du groove) puisse à ce point se déhancher pour les exigences d'un soir d'un jeune chef, je suis admiratif. Et puis transparaît un investissement particulier dans la production du son – l'enthousiasme, cela s'entend ; j'en ai déjà parlé à propos de Toulouse, par exemple, où l'intensité mise pour « entrer » dans la corde se perçoit immédiatement.
Comme dit précédemment, j'ai écouté, le lendemain, d'autres grandes versions, de chefs pas réputés pour leur absence d'affinités avec la danse. Doráti s'en tirait très bien (quoique moins exaltant), mais Bernstein, pourtant pas un ennemi du jazz et des musiques à battue décalée, paraissait raide en comparaison. Sans parler des autres. En si peu de temps, cet orchestre s'est fondu dans une vision différente de la musique, indépendamment de tout leur bagage stylistique. Respect.

Suite de la notule.

dimanche 1 décembre 2013

[Da Vinci Chord] – Le piano qui fait du violon : la 'viola organista' de Léonard de Vinci


Le monde musical bruisse d'une nouvelle exaltante : on a enfin reconstruit un (autre) instrument inventé par Léonard de Vinci lui-même. Plus encore, ce travail n'avait jamais été mené à bien par son créateur ni par personne d'autre.

Le matériau relayé par les sites d'information (essentiellement la reprise des dépêches d'agence) étant un peu allusif, l'envie prend de regarder l'objet de plus près. (Extraits sonores plus bas.)


1. Le pitch

Dans le Codex Atlanticus de Leonardo da Vinci, le plus vaste recueil de l'auteur, on trouve quantité d'esquisses sur des sujets incroyablement divers, dont les plus célèbres concernent les machines de vol ou de guerre, mais qui contient également des recherches mathématiques ou botaniques, notamment. Et aussi des projets d'instruments de musique.

La légende prête déjà à notre bon génie l'invention du violon en collaboration avec un luthier de son temps. Il faut dire que la concordance des dates est assez bonne : Vinci meurt au moment (1519) où les premiers protoypes de violon européen apparaissent. Le potentiel premier violon d'Amati, qu'on suppose fait en 1555, n'était pas forcément le premier : Montichiaro, dalla Corna, de' Machetti Linarol, de' Micheli, Fussen sont aussi sur les rangs, et certains proposent même de confier le rôle de père du premier violon à Gasparo da Salò, donc à une date plus tardive (né en 1542). Quoi qu'il en soit, ce premier violon avait été précédé, dès les années 1510, de nombreuses autres tentatives mêlant déjà rebec, vièle à archet et lira da braccio (parente des violes, mais dont la caisse approche déjà grandement de la forme du violon), par exemple des violette (pluriel de violetta, « petite viole ») à trois cordes, ou encore les lire (pluriel de ''lira) vénitiennes.
On peut supposer que la grande manœœuvrabilité du violon, ses possibilités techniques, son son éclatant lui ont permis de s'imposer sans partage –– ainsi que, sans doute, des contingences plus matérielles et des jeux d'influence : une fois tous les grands interprètes convertis au violon, on aurait beau avoir eu de meilleurs instruments, ce n'aurait rien changé.
Toujours est-il que la postérité richissime de l'instrument fait naître un besoin d'origines qu'on puisse nommer et célébrer ; Vinci était le client parfait, dans sa fin de vie, pour en être le parrain, une sorte de legs ultime, agréablement concordant avec son génie visionnaire. Nous n'en avons évidemment aucune preuve.

Mais cet instrument-ci, nommé viola organista, existe bel et bien dans les feuillets du Codex Atlanticus (et quelques-uns du Second Codex de Madrid), avec diverses études mécaniques préparatoires en forme de croquis isolés, qui détaillent des fragments de la mécanique. Pas suffisant pour construire un instrument complet, mais assez pour lancer un projet.


Son facteur, Sławomir Zubrzycki (un pianiste soliste également versé dans d'autres aventures instrumentales, comme l'usage extensif du clavicorde) ne dit pas autre chose :


En plus de ce qu'il évoque, il existe quelques détails épars sur certains mécanismes de l'instrument :


2. La polémique

En réalité, Sławomir Zubrzycki (prononcez : « Souavomir Zoubjétski ») a surtout réalisé un superbe exemplaire, en joue très bien, et l'a admirablement vendu, avec sa réunion semi-publique (petite salle forcément favorable, mais belle prise vidéo), en forme de dévoilement d'une preuve nouvelle du génie de Vinci –– jouer du violoncelle avec un clavier !

En revanche, ce n'est absolument pas le premier exemplaire. Au vingtième siècle, plusieurs tentatives de reconstruction ont eu lieu, en particulier celles d'Akio Obuchi (quatre tentatives depuis 1993 !). La version d'Obuchi n'a clairement pas la même séduction sonore, l'instrument est encore très rugueux et geignard, et mérite sans doute beaucoup d'ajustements pour être audible en concert.


On y entend toutefois avec netteté la possibilité de jouer du vibrato sur le clavier, selon la profondeur d'enfoncement de la touche, ce que ne montrent pas les extraits captés de Zubrzynski (mais son instrument le peut).

Plus profondes, plusieurs objections musicologiques ont surgi, car la réalisation de Zubrzycki évoque un instrument tout à fait documenté, et qui a existé en plusieurs exemplaires : le Geigenwerk (peu ou prou l'équivalent de « simili-violon » ou « le machin qui fait crin-crin », la notion péjorative en moins), inventé en 1575 par un organiste de Nuremberg (Hans Heiden/Heyden) et construit au moins jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Cet instrument était une alternative au clavecin avec un son qui pouvait être soutenu indéfiniment (comme l'orgue) et la possibilité de vibrato.


Le Geigenwerk, tel qu'apparaissant dans le deuxième volume de l'incontournable recueil Syntagma musicum de Michael Praetorius (1619). Référence et source d'inspiration inépuisable pour la facture d'instruments anciens, Zubrzycki inclus.


Ainsi, plusieurs musicologues ont objecté que Zubrzycki aurait en fait construit une version nouvelle du Geigenwerk, entreprise pas beaucoup plus méritoire que copier un clavecin historique comme le font couramment les facteurs, et en tout cas fort distante de la prouesse de co-inventer un instrument ébauché par Vinci.

Le seul Geigenwerk historique qui subsiste est un modèle de 1625 de Raymundo Truchado, conservé au MIM (Musée des Instruments de Musique) de Bruxelles ; il était vraisemblablement prévu pour des enfants à la Cour d'Espagne, et en plus de son assise très basse, il est, contrairement à l'original de Haiden, mû par une manivelle à l'arrière d'un instrument –– ainsi que les grandes orgues d'autrefois, il fallait donc être plusieurs pour pouvoir jouer l'instrument.
Cet instrument n'est plus jouable (complètement muet), aussi l'on se représente assez mal à quoi pouvait ressembler le son, en dehors de descriptions forcément très évasives (lorsqu'on voit les écarts entre les critiques faites par des musicologues d'aujourd'hui beaucoup plus aguerris, et la réalité...). Une immense part du vocabulaire de la critique musicale réside dans des métaphores visuelles (aspects, couleurs... « son pointu », « voix blanche », « couleurs chaudes »...), et contient donc une très large part de subjectivité, chez celui qui écrit comme chez celui qui lit.

Bref, spécificités techniques exceptées, il est difficile de dire ce qui ressemble à quoi et qu'il aurait fallu faire.

Par ailleurs, Sławomir Zubrzycki ne nie absolument pas cette filiation, et laisse au contraire dans ses écrits une trace assez précise des éléments manquants chez Vinci (un projet global et des détails de mécanique, pas de manuel complet), des réalisations ultérieures. Il mentionne ainsi les avantages techniques qu'il emprunte au Geigenwerk ; également la présence au XIXe siècle du Claviolin (surnommé « piano bossu » par son facteur, à cause de l'emplacement des cordes autour des roues) du père Jan Jarmusiewicz (musicien, facteur, théoricien et même peintre) à l'origine de ses recherches, dont il ne reste aucun exemplaire ; et même les expériences de l'autre constructeur vivant (Obuchi, audible ci-dessus), dont il salue la recherche autonome mais relève l'absence d'adaptation au concert.
Certes, la presse internationale ne mentionne pas ces étapes (manque de place, et il n'est pas son intérêt de relativiser ses nouvelles), mais les commentaires laissant planer le doute sur l'honnêteté intellectuelle de Zubrzynski n'ont guère de fondement : il fournit lui-même tous les éléments utiles à la remise en perspective de son instrument.

Par ailleurs, son instrument est réellement le seul exemplaire vraiment jouable qui ait jamais été donné d'entendre à n'importe quel homme vivant aujourd'hui. En cela, l'événement n'est pas factice, Léonard ou non !

Outre les variantes Geigeninstrument ou Geigenclavicymbel pour désigner l'instrument de Heiden, j'aime beaucoup la dénomination astucieuse adoptée par C.P.E. Bach, Bogenklavier (« clavier à archet », l'exacte traduction de l'ambition de l'instrument).

3. L'instrument

Toutes ces discussions sont intéressantes si l'instrument construit est d'un intérêt médiocre : on s'interroge alors sur sa qualité historique.

Qu'en est-il ?

Suite de la notule.

mercredi 13 novembre 2013

Mendelssohn secret – VI – –Wagner doit tout à Marschner, mais le reste vient de Mendelssohn


On a beau fouiller les recoins du corpus de Mendelssohn... malgré sa mesure proverbiale, on trouve toujours de quoi être surpris. Ainsi ses opéras alors qu'on se le représente comme un pudique partisan de la musique pure ou religieuse : sept, presque tous comiques, plus des scènes isolées (« Quel bonheur pour mon cœœur » et « Ich, J. Mendelssohn », extrêmement jeune, en 1820) et ses musiques de scène (davantage célèbres : Le Songe d'une Nuit d'été, Œdipe à Colone, Antigone, Athalie). Que Mendelssohn – oui, Mendelssohn ! – puisse écrire du théâtre dramatique sur la Lorelei (inachevé, mais les extraits sont beaux), cela se conçoit encore, mais un opéra entier sur un épisode du Quichotte (Die Hochzeit des Camacho), ou un opéra comique (en allemand, entièrement chanté) sur un Oncle de Boston, voilà qui passe l'entendement.

Et au fil du catalogue, on rencontre des choses étranges. Comme ces pièces concertantes (accompagnées au piano) où dialoguent clarinette et cor de basset.


Dans l'œœuvre pour piano, cela ne se limite pas à de l'inattendu... dans les Sonates par exemple ; on y croise aussi bien de très gentilles bluettes que de belles pièces complètes et abouties (quelle que soit la date de composition).

... ainsi, dans la Sonate pour piano en mi majeur (Opus 6, en 1826, composée à dix-sept ans), au milieu de sections tout à fait mendelssohniennes, un peu dans le goût des sonates pour violoncelle et piano, on trouve un troisième mouvement (sur quatre) très étrange. III – Recitativo : Adagio e senza tempo.


La remarquable Marie Catherine Girod (et ses murmures hors du ton) dans ce mouvement de Mendelssohn.


On y entend une sorte de ligne nue très dépouillée, plutôt amélodique, qui évoque quasiment le dernier Liszt (en 1826 !), et qui est ponctuée de façon obsessive par un gruppetto inversé (le petit motif tournoyant).

À la lecture, ce moment semblerait une sorte de point de rencontre improbable entre le Bach mélancolique, presque romantique, de certains Préludes du Clavier bien tempéré, et le Liszt de la maturité qui interroge les limites du langage musical.


À l'écoute, l'effet est encore différent. Cette épure austère, troublée par de petits tourbillons, m'a immédiatement évoqué deux moments de la Walkyrie.


Début du monologue de l'acte II de Die Walküre : John Wegner avec la Badische Staatskapelle Karlsruhe sous la direction de Günter Neuhold.


Même type de mélodie seule, étrange, sans réel contour mémorisable, comme hésitante ; mêmes ponctuations sauvages (présentes dans les leitmotive « découragement » et « malédiction » qui accompagnent tantôt l'abattement, tantôt la colère de Wotan).



Plus loin dans l'opéra, on retrouve ces mêmes motifs, mais cette fois, plus que la liberté de la mélodie (bien qu'on entende à nouveau des lignes mélodiques sans accompagnement, à la clarinette basse puis à la voix), c'est la parenté de couleurs harmoniques qui étonne : glissements entre accords à coups de septièmes diminuées chez Mendelssohn, plus subtils à partir d'appoggiatures successives chez Wagner (notes étrangères à l'accord joué, qui anticipent l'accord suivant et créent une impression de tension-résolution).


Début du grand duo de l'acte III de Die Walküre : Clara Pohl avec la Badische Staatskapelle Karlsruhe sous la direction de Günter Neuhold.


Cela se trouve plus particulièrement à ces endroits :




Pour les lecteurs pas trop férus de partitions, cela correspond à ce qui se passe après la section arpégée et plus consonante chez Mendelssohn (à partir de 3'20), et à l'acmé de la réplique de Brünnhilde (à partir de 2').

Autres pistes

Bref, contre toute attente, il se partage entre ces deux univers si différents (et assez distants dans le temps et la philosophie), si pas le détail musical exact, une atmosphère sonore très parente, une forme de liberté et de tension qui convoquent les mêmes couleurs.
J'ai en tout cas trouvé cela assez saisissant pour avoir envie de partager ce petit parcours.

Au passage, les huit Sonates de Mendelssohn (trois seulement avec opus), et qui peuvent toutes se trouver dans le coffret Saphir de l'intégrale de son piano par Marie-Catherine Girod, méritent vraiment d'être écoutées. Leur contenu est très varié, des moments de jeunesse qui sentent quasiment leur Scarlatti et leur Clementi, jusqu'à des choses plus personnelles... qui culminent dans ce mouvement étrange.
Son caractère récitatif, laissant temporairement place à des traits plus pianistiques, annonce aussi le mouvement lent (novateur, et plus conventionnel cependant) du Concerto pour piano Op.21 de Chopin, en 1829.

Suite de la notule.

mardi 1 octobre 2013

Fake



En faisant mes devoirs autour de quelques standards (semi-)populaires de la littérature mondiale (1,2,3,4,5), je démasque bravement les impostures.

Suite de la notule.

dimanche 22 septembre 2013

Opéras en province – saison 2013-2014


Petite sélection de raretés et autres friandises en France et dans le voisinage francophone pour la saison qui débute. En gras lorsque motivé par les œuvres, souligné lorsqu'il s'agit des distributions.

Quatre groupements : Renaissance, baroque & classique ; romantisme ; XXe siècle ; contemporain. Avec leurs commentaires pour aider au choix, et des renvois vers les notules contenant des informations.

Renaissance, baroque et classique

Suite de la notule.

mercredi 5 juin 2013

Le grand Planning de juin


Propositions de concerts à travers l'Ile-de-France, souvent originaux et à petit prix. C'est en plus la période de récitals de fin d'année des conservatoires, j'en ai sélectionné quelques-uns. On y trouvera aussi un opéra baroque français inédit au disque, un opéra de Verdi en version française, de la musique pour piano de Lourié, des quatuors d'Ives et Roslavets (dans le même concert !), un sextuor avec soprano de Zemlinsky...

Bref, beaucoup de bonnes choses.

En gras, mon planning à moi.


1er - TCE - Benvenuto Cellini par Gergiev - même si, vu le chef et les chanteurs :
1er - Cité de la Musique - Florentins du premier XVIIe par Niquet
1er - Herblay - Zanetto de Mascagni & Abu Hassan de Weber, dernière représentation. (La première oeuvre est une délicate miniature très réussie, la seconde une oeuvre très mineure.)

1er - Favart - l'Académie, programme thématique autour des Mille et une Nuits, présenté par Agnès Terrier.
1er - Amphi Bastille - mélodies de Tchaïkovski, Rachmnaninov et chants populairs géorgiens par Tamar Iveri (n'était la chanteuse, ça ferait envie)

1er au 8 - Athénée - Cyrano de Bergerac (le vrai) par Benjamin Lazar

2 - 17h, Montigny-sur-Loing (église) - Schubert, Wolf et Schönberg par Samuel Hasselhorn et le Quatuor Lazarus. 8-15€.
2 - 17h, Légion d'honneur à Saint-Denis - Mélodies de Chausson, Debussy, Ravel et Poulenc par Marianne Crebassa.
2 - Versailles - Alessandro de Haendel dans une très belle distribution : Staskiewicz, Sabata, Cencic... direction Petrou. Le disque est bon, les représentations devrait l'être aussi.

3 - Favart - Rabaud, Mârouf, savetier du Caire. Une oeuvre à l'orientalisme un peu ostentatoire, que je n'ai pas adorée au disque jusqu'ici. Mais on n'entend pas idéalement l'orchestre dans les enregistrements de la RTF, alors... A tester en salle.

4 - Cité de la Musique - Musique sacrée de Gabrieli et Monteverdi dans un luxe indécent : Choeur de Chambre des Pays-Bas, Mauillon, Elsacker, Lefilliâtre. Direction Tubéry.
4 - Saint-Roch - Frescobaldi, Schütz, Couperin : musique pour orgue, dessus & basse de viole

4 & 5 - Amphi Bastille - Soirée Scriabine (piano)

5 - Notre-Dame - Récital d'improvisation à l'orgue (CNSM)

6 - 11h, Saint-Eustache - Récital d'orgue (CNSM)
6 - 13h30, La Madeleine - Récital d'orgue (CNSM)
6 - 16h, La Trinité - Récital d'orgue (CNSM)
6 - 17h30 Chapelle Royale de Versailles - Charpentier, Missa Assumpta est Maria, Schneebeli & Chantres. Messe splendide, et interprétée par les meilleurs stylistes possibles. (Je pleure de ne pas être, exceptionnellement, libérable le jeudi à cette heure.)
6 - Cité de la Musique - Monteverdi, Livre V des Madrigaux
6 - Basilique Saint-Denis - Musique baroque péruvienne par Lefilliâtre et Garrido. Très attirant, mais qu'entendra-t-on dans Saint-Denis ? 6 - Le Sel à Sèvres - Trios de Schubert, Rachmninov et Chaminade par le Trio Chausson.

7 - 12h15, Grand Salon des Invalides - Pièces pour violon & piano de Steibelt, Sosnovski, Prokofiev, Paganini, Paisiello. 3€€€.
7 - Grand Salon des Invalides - Intermezzo de Ropartz, Schwanengesang de Schubert et Dichterliebe par Sébastien Soules. 9€. Programme plus qu'ambitieux, qui fait très envie à cause des (moins en moins) rares Quatre Poèmes de l'Intermezzo de Heine. Sébastien qui dispose déjà d'une belle carrière dans les salles "non officielles" (tout le monde, quelle que soit la taille de la salle, ne peut pas chanter correctement le Hollandais), plus un petit coup de pouce de notoriété. La voix est assez en arrière, un peu râpeuse (je me demande comment elle résistera au passage du temps), et repose essentiellement sur une grande quantité de [eu] dans chaque voyelle ; le timbre évoque par certains aspects les accents frustes et attas d'Armand Arapian. Son style de récitaliste n'est clairement pas le mien (très legato, très vocal), mais contrairement à ce qu'on pourrait attendre d'une telle voix, et malgré quelques détimbrages, il se tire généralement très bien de l'exercice. J'ai bien envie d'essayer, quitte à être un peu frustré par la façon.

Choix brûlant à opérer :
8 - 14h30, le Centquatre - Le Sacre du Printemps pour deux piano, avec récitante (destiné au jeune public). 2-5€.
8 - 16h, le Centquatre - Nocturne de Roslavets, Mallarmé de Ravel, Roussel, Berg... par les musiciens de l'ONF. 2-5€.
8 - 16h30, Cité de la Musique - Mélodies françaises de Wagner, Gounod, Duparc, Saint-Saëns et Chausson, par Nathalie Stutzmann. Vraiment dommage que je n'aime pas la manière Stutzmann dans ce type de répertoire, sinon le programme est très appétissant.
8 - 18h, le Centquatre - Pièces pour piano de Lourié, Scriabine (n°9), Prokofiev et Debussy, par Alexander Melnikov. 2-5€.
8 - 18h, Château d'Ecouen - Récital du CNSM.
8 - Bouffes du Nord - Quintettes avec piano de Dubois (pas celui avec hautbois) et Hahn. Deux très jolies choses (même s'ils ont tous les deux écrit beaucoup plus indispensable en musique de chambre), en plus avec le fougueux quatuor Ardeo. Je suis seulement retenu par le prix : 25€€ pour un court concert de musique de chambre.
8 - TCE - War Requiem de Britten : Nelsons-Birmingham, avec Opolais, Padmore et Müller-brachmann !
8 - Cité de la Musique - Winterreise de Schubert par Prégardien et Pressler
8 - Pleyel - Christianne Stotijn dans les Neruda de Peter Lieberson (vieille notule d'il y a dix ans), du Benzecry et la Neuvième de Dvořák par Dudamel et le Concertgebouw. Ce sera donc plein, pour les raisons exactement inverses de celles qui m'attiraient (Lieberson, Benzecry et Stotijn).
8 - Espace Pierre Cardin - La Traviata en français (version scénique), dans une adaptation de la traduction (catastrophique !) d'Edouard Duprez. Vu le peu d'intérêt de cette traduction, je ne crois pas me déplacer. Mais le principe est à encourager - dommage simplement que cela s'adresse au public de Cardin, plutôt qu'aux néophytes...
8 - 20h45, Villiers-sous-Grez (église) - Oeuvres pour sextuor (Schönberg), soprano et sextuor (Zemlinsky), soprano et quatuor (Schönberg n°2) par l'Ensemble Hypnos et Nora Lentner.

8 & 9 - Cité de la Musique - Masterclass (annulée) de Thomas Quasthoff. Entrée libre.

Suite de la notule.

samedi 11 mai 2013

CIMCL - Concours International de Musique de Chambre de Lyon, 2013 : lied & mélodie


En août dernier, j'avais touché un mot de ce concours, disposant du jury liederistique le plus prestigieux possible. Il vient de s'achever, et je voudrais y revenir.


Cyrille Dubois et Tristan Raës, lauréats du concours.


1. Principe du concours & jury

Voici d'abord la présentation proposée précédemment :

Reçu, voilà quelques jours, une très aimable notification du Concours International de Musique de Chambre de Lyon, qui souhaite manifestement une couverture maximum pour disposer du meilleur recrutement possible. Vu l'intérêt de la manifestation pour les niches abordées ici, je joins volontiers mon obole baveuse à l'éminente entreprise.

Ce concours a été fondé en 2004, et a la particularité de sélectionner chaque année un type de formation, un peu sur le modèle du Concours Reine Elisabeth, mais à plus longue échéance :

  1. trio pour piano et cordes,
  2. quintette de cuivres,
  3. duo voix / piano (lied et mélodie),
  4. duo violon / piano,
  5. quintette à vents (si j'en juge par les lauréats, sur le seul modèle flûte-hautbois-clarinette-basson-cor, il est vrai très courant)
  6. quatuor à cordes


Outre cette structure originale, le concours a pour lui un jury assez impressionnant, fondé uniquement sur la participation de professionnels ayant contribué de façon très conséquente au dynamisme de la mélodie et du lied :

  • Donna Brown, peut-être plus célèbre discographiquement pour le répertoire baroque, mais qui a fait de jolis Debussy,
  • Hedwig Fassbender, spécialiste de rôles de (fort) caractère sur scène, et liedersängerin assez intense. La tension qu'elle parvient à insuffler à ses lieder de Strauss (pourtant des partitions plutôt aimables) est remarquable.
  • François Le Roux, le mélodiste fondamental que l'on sait, à la tête d'une très vaste discographie et fondateur du Centre International de la Mélodie Française (à Tours), où les adhérents peuvent accéder à des oeuvres introuvables, glanées au fil des ans en bibliothèque. Egalement organisateur pendant cinq ans des récitals à la Bibliothèque de France.
  • Wolfgang Hozmair, qui malgré toutes les réserves que l'on peut faire sur la voix, la carrière, a produit certains disques de lieder d'excellente qualité, à commencer par son Winterreise et Dichterliebe (voir ici.
  • Roger Vignoles, un des accompagnateurs incontournables d'aujourd'hui pour le lied. J'avoue que le son timide m'a un peu déçu en salle, mais il a commis de beaux disques - voir par exemple son Winterreise avec Thomas Allen ou Frauenliebe und Leben avec Bernarda Fink.
  • Philippe Cassard, pianiste spécialisé dans la musique de chambre et la mélodie. Egalement auteur d'une monographie sur Schubert (Actes Sud).
  • John Gilhooly, directeur du Wigmore Hall, un des hauts lieux du lied dans le monde, pourvu depuis quelques années de son propre label (très intéressant, et fournissant les textes complets et traduits des lieder).


Comme si ce n'était pas suffisant, le concours fait aussi oeuvre de promotion du patrimoine mélodistique, puisque l'épreuve éliminatoire impose de picorer dans quatre cycles très rares (suggérés par le partenaire, le toujours providentiel Palazzetto Bru Zane) :

  • Expressions Lyriques de Massenet ;
  • Chansons de Marjolie de Dubois ;
  • Feuilles au vent de Paladilhe ;
  • Biondina de Gounod.


L'administration du concours est fort aimable, puisqu'elle joint les partitions numérisées (accessibles même au public). On voit les bienfaits d'IMSLP pour la paix du monde (les versions scannées libres de droit en sont manifestement tirées).
Tous ces cycles se situent dans le versant lisse de la mélodie, d'esthétique anté-debussyste. Quelle joie d'y trouver, au sein d'une sélection déjà très originale, les Chansons de Marjolie, vrai chef-d'oeuvre du genre, dont on comptait parler prochainement ici.

Autrement, le choix est oeuvres est assez libre, et l'imposé contemporain est de Nicolas Bacri (donc en principe chantable), en cours de composition.

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Pour les artistes, les inscriptions sont ouvertes jusqu'au 31 janvier 2013. Pour les spectateurs, le concours se déroule du 22 au 28 avril 2013. Si ce n'était pas en semaine et s'il ne m'était pas impossible de prendre des congés à cette période, je serais volontiers allé entendre les éliminatoires pour découvrir de jeunes chanteurs dans un répertoire aussi exaltant. Que ceux qui le peuvent ne s'en privent pas, le concours promet beaucoup, du moins si les candidats sont à la hauteur de ce qui leur est offert.

A suivre !


2. Les épreuves

Le concours s'est déroulé en trois étapes, chacune attestant de capacités spécifiques.

A) Une session de qualification de 15 minutes par candidat (c'est-à-dire par duo piano-chant), comprenant :
=> 1 lied de Schubert, Schumann, Brahms ou Wolf.
=> Des mélodies au choix tirées des quatre cycles romantiques français rares mentionnés ci-dessus (Massenet, Gounod, Paladilhe, Dubois).

B) Demi-finale de 25 minutes :
=> Commande du concours à Nicolas Bacri : Drei romantische Liebesgesänge Op.126, dans un style proche des "décadents" allemands. 15 minutes environ.
=> 1 pièce ou ensemble de pièces composé après 1990.
=> 1 mélodie française (ou ensemble de mélodies) du premier XXe siècle.

C) Finale de 30 minutes :
Programme libre, devant contenir au moins une mélodie française.

De ce fait, on pouvait évaluer aussi bien les capacité dans le lied que dans la mélodie, et dans toutes les époques concernées par le genre (romantique, décadent, contemporain - pour faire simple).

La finale a manifestement été captée (mais je ne parviens pas à mettre la main dessus, rien sur le site du Concours, de l'Université Lyon II, sur la Webradio de France Culture... si plus rien n'est disponible une semaine après le concours, ça devient compliqué !), mais on trouve surtout aisément la demi-finale sur YouTube (même pas clairement recensée sur les sites officiels, j'ai dû passer par le moteur de recherche de YouTube pour la trouver !). C'est la seule à avoir été captée en vidéo, et c'est bien dommage, parce que la pièce imposée (agréable, accessible aux interprètes et au public, mais sans saillance particulière, comme souvent avec Bacri) occupe l'essentiel du temps imparti. Par ailleurs, la mélodie contemporaine n'est pas forcément la plus propice à l'expression de jeunes artistes "forcés".

Je regrette surtout l'absence de captation de la session de qualification (je suppose qu'il s'agit de faire des choix, et de protéger ainsi l'image du concours en captant les sessions les plus restreintes), où l'on trouve généralement une plus grande diversité de personnalités... et où figuraient surtout les quatre cycles proposés par Bru Zane ! Moi qui espérais collectionner les belles versions de Marjolie à cette occasion... [Pour les curieux, le seul disque du commerce (Saint-Denis / Godin) est merveilleux et idéal. Mais en entendre d'autres ne peut pas faire de mal !]

3. Palmarès et candidats

Demi-finalistes :

  • duo CONTRASTE (Cyrille Dubois et Tristan Raes) ;
  • duo PAQUIN et BROEKAERT (Andréanne Paquin et Michel-Alexandre Broekaert) ;
  • duo IRIS (Lamia Beuque et Claire Schwob) ;
  • duo DIX VAGUES (Clémentine Decouture et Nicolas Chevereau) ;
  • duo CEZALY (Céline Mellon, et Elizavetha Touliankina) ;
  • duo BRIOSO (Zsofia Bodi et Nikolett Horvath) ;
  • duo FUJII et MOTOYAMA (Rena Fujii et Norihiro Motoyama) ;
  • duo SOLENN et NAOKO (Solenn Le Trividic et Naoko Jo) ;
  • duo OXYMORE (Etienne Bazola et Thomas Costille) ;
  • duo MAYENOBE et JULIEN (Benjamin Mayenobe et Marion Julien).


Finalistes :

  • duo CONTRASTE (Cyrille Dubois et Tristan Raes) ;
  • duo PAQUIN et BROEKAERT (Andréanne Paquin et Michel-Alexandre Broekaert) ;
  • duo IRIS (Lamia Beuque et Claire Schwob) ;
  • duo DIX VAGUES (Clémentine Decouture et Nicolas Chevereau).


Prix :

  • 1er prix Ville de Lyon (10.000 €€)+ Coup de coeur Bayer & Prix du Public (8.000€ €) : Duo Contraste (Cyrille Dubois, ténor ; Tristan Raes, pianiste) - France
  • 2ème prix ADAMI (7.000 €) : Duo Paquin-Broekaert (Andréanne Paquin, soprano ; Michel-Alexandre Broekaert, pianiste) - Canada
  • 3ème prix (5.000 €) : Duo Iris (Lamai Beuque, mezzo soprano ; Claire Schwob, pianiste) - Suisse
  • Prix Sacem pour la meilleure interprétation de la pièce de Nicolas Bacri : Duo Dix Vagues (Clémentine Decouture, soprano ; Nicolas Chevereau, pianiste) - France


4. Interprétations

N'ayant pu être sur place et considérant que seule la demi-finale est accessible à ce jour, il va de soi que mes commentaires sont à lire non seulement à l'aune de mes limites et subjectivités, mais de surcroît à celle de cette seule épreuve, avec tous les biais que cela suppose.

Le premier prix à Cyrille Dubois n'est pas une surprise : ténor clair (presque aigrelet), prodigue en sons droits, au français parfait et expressif, un peu le genre Mathias Vidal (voix un peu courte mais grand spectre expressif, particulièrement en français). Idéal pour la mélodie, où il brille effectivement ; et il est clair qu'à ce concours, il écrabouille (sans exagération) une bonne partie de la concurrence. Mais la concurrence est un peu déloyale dans la mesure où il fait déjà carrière : il enregistre des disques (Messe de Schumann avec les Cris de Paris, Tistou les pouces verts de Sauguet avec le Philharmonique de Radio-France, petits rôles dans le Paradis Perdu de Dubois et Renaud de Sacchini - avec Rousset !). Et il chante régulièrement (certes, depuis un ou deux ans) dans les plus prestigieuses salles d'Ile-de-France : Opéra-Comique, Athénée, Opéra Royal de Versailles. En janvier dernier, il avait même droit à un récital à l'Opéra de Paris, Amphi Bastille ! Certes, avec l'argument marketing de Michel Dalberto à l'accompagnement, mais tout de même, ce n'est plus exactement ce qu'on peut appeler un débutant dans la carrière...
En plus de cela, son choix de pièces complémentaires était très avisé : son allemand étant moyen, il s'en est tenu au français, avec des pièces de Théodore Dubois (autres que les Marjolie, un peu moins "dramatiques" mais délicieuses) pour les mélodies du premier XXe, et des mélodies françaises de Graciane Finzi, dans un langage léger et totalement tonal, pour les pièces d'après 1990. Que des choses qui convenaient parfaitement à son caractère et demeuraient accessibles pour un public ou un jury en première écoute.

Je m'émerveille toujours de la façon dont, à travers le vingtième siècle, les pianistes accompagnateurs sont passés du statut de chefs de chant empesés à ceux de virtuoses polyvalents et remarquablement sûrs. Même en comparant avec ceux d'il y a deux générations, on n'entend plus aujourd'hui, chez les grands accompagnateurs, que des gens très sûrs de leurs doigts et de leur rythme. Ensuite, bien sûr, les personnalités fortes sont toujours rares, quelle que soit l'époque, mais il est trop difficile d'en juger sur quelques minutes de concours, aussi je m'en tiendrai au coup de chapeau technique. Evidemment, sur une série de trois petits récitals dans des styles très différents, le jury a eu matière pour juger de façon plus éclairée - d'autant qu'y figurent deux grands noms de l'accompagnement de lied & mélodie.




Le fossé est (très) important avec le deuxième prix.

Suite de la notule.

samedi 16 mars 2013

Le disque, l'acoustique, la langue et les graves : pourquoi les chanteurs d'aujourd'hui sont-ils ce qu'ils sont - (Adrian Eröd & Samuel Hasselhorn)


Toutes choses qui virevoltent au fil de l'esthétique actuelle du barytonnant, que nous allons doucement explorer (vidéos à l'appui).

1. Une (bonne) surprise à la Hugo-Wolf-Akademie

Suite de la notule.

samedi 26 janvier 2013

[Sélection lutins] Dix disques de piano


Question posée : dix disques représentant des sommets de l'interprétation pianistique, ou en tout cas des aboutissements notables. Comme la réponse peut être un peu plus originale que les rayons de la FNAC, j'ai eu la fantaisie d'y répondre.

Tentative de sélection de dix disques majeurs pour moi, à la fois des oeuvres majeures et des exécutions particulièrement marquantes.

Bach - Suites Anglaises - Murray Perahia (CBS)
=> Lecture à la fois méditative et sensible aux inégalités et à la danse, une gravure légendaire à juste titre.

Rameau - Suite en sol et Suites en la - Alexandre Tharaud (HM)
=> Tharaud réinvente le toucher du clavecin sur un piano : de vrais trilles progressifs et organiques, une inégalité subtile, de la danse et de l'espièglerie partout. Absolument fascinant - ce qu'il fait est en principe techniquement impossible sur un piano.
La Suite d'hommage à Rameau (par Mantovani pour l'allemande, Connesson pour la courante, Pécou pour la sarabande, Campo pour les Trois Mains, Maratka pour la Triomphante et Escaich pour la gavotte) intercalée entre les mouvements de la seconde suite en la, et donnée seulement en concert, était également fascinante.

Bruckner - Adagio en ut dièse mineur - Fumiko Shiraga (BIS)
=> La réduction du mouvement lent de la Septième Symphonie, par Bruckner lui-même. Shiraga obtient des colorations incroyables, recréant l'orchestre de façon crédible au piano - là aussi, c'est en théorie inaccessible.

Debussy - Intégrale - François-Joël Thiollier (Naxos)
=> Parmi l'immensité de versions remarquables de Debussy, Thiollier se dégage à la fois comme l'une des plus inspirées et des plus singulières. Beaucoup de pédale, mais avec un grand niveau de détail et de phrasé dans ce brouillard assumé.

Koechlin - Les Heures Persanes - Herbert Henck (Wergo)
=> A oeuvre poétique, lecture poétique. La prise de son assure en outre une très grande profondeur des graves, remarquablement enveloppante.

Tournemire - Préludes-Poèmes - Georges Delvallée (Accord)
=> Parmi les oeuvres les plus virtuoses jamais écrites pour piano, mais avec un pouvoir d'évocation exceptionnel. Delvallée, plus célèbre comme organiste, émerveille par sa maîtrise olympienne, avec un son très dense.

Decaux - Clairs de lune - Marc-André Hamelin (Hyperion)
=> Ascétiques (avant la dernière pièce), explorant l'atonalité dès 1900, ces Clairs de lune mystérieux constituent un des corpus les plus fascinants pour l'instrument. Hamelin y ajoute son éloquence propre.

Suite de la notule.

mercredi 16 janvier 2013

Partitions : vers un nouveau paradigme ?


Jusqu'à une date très récente (il y a plus ou moins cinq ans), les partitions étaient un objet de luxe, rare, peu accessible, onéreux dès que l'oeuvre était longue, plutôt récente ou rare.

Depuis le milieu des années 2000 se produit une petite révolution, qui est en passe de changer en profondeur le rapport à l'objet et même, de façon plus large, à la musique elle-même.

Suite de la notule.

dimanche 13 janvier 2013

Anniversaires 2013


Le principe de l'anniversaire demeure en lui-même profondément stupide. Si les musiques concernées ont survécu au temps, pourquoi tenir compte de dates aléatoires, avec des années maigres (ou éclipsées par un grand nom) et des années surchargées ? Il serait, à tout prendre, plus judicieux de programmer selon des thématiques au gré des modes ou des événements politiques. Comme si l'intérêt d'une musique tenait à ce genre de contingence...

Alors que l'année 2013 va être avisément utilisée par les programmateurs pour célébrer deux obscurs compositeurs lyriques de deux nations sous-représentées dans les salles de concert, l'italien Giuseppe Verdi et l'allemand Richard Wagner, un petit coup de projecteur sur ce que les programmateurs, partant du même super-argument de l'anniversaire, auraient pu proposer au public - manière que la notion de célébration prenne plus de sens qu'en jouant exactement ce qu'on joue d'habitude.

Petite balade chez les compositeurs fêtables

John Dowland => Né il y a 450 ans.
L'immortel songwriter et luteplayer ne sera évidemment pas joué dans les hangars à bateau des grandes capitales, sauf à ce qu'un arrangeur exalté entreprenne de le massacrer galamment.

Carlo Gesualdo => Mort il y a 400 ans.
Présentation superflue ici aussi, pour le maître du chromatisme, insurpassé avant Liszt et Wagner. Evidemment, comme il n'a pas écrit de concertos, symphonies ou opéras, il est plus compliqué de faire déplacer le grand public. Mais quelques concerts avec les deux derniers livres de madrigaux seraient fort bienvenus.

Arcangelo Corelli => Mort il y a 300 ans.
Son nom n'est peut-être pas assez célèbre pour faire déplacer le public, mais sa musique plaît généralement à une très vaste frange d'auditeurs, bien au delà des amateurs de classique. Par ailleurs, l'expérience a montré que même noyé dans un gros orchestre symphonique, le résultat pouvait être convaincant. Une petite pièce en ouverture, ça ne pourrait pas faire de mal !

Jacques Hotteterre => Mort il y a 250 ans.
La figure tutélaire du traverso en France, l'équivalent local de Quantz à quelque sorte. Sa musique est comparable aussi : belle, sans être indispensable si on ne s'intéresse pas spécifiquement à l'instrument.

Johann Ludwig Krebs => Né il y a 300 ans.
Organiste fréquemment représenté dans les anthologies consacrées à la musique germanique du temps. Pas forcément très singulier, mais de la musique de qualité.

Antoine Dauvergne => Né il y a 300 ans.
Jadis surtout célèbre pour son pastiche d'opera buffa qu'il avait présenté comme la traduction d'une oeuvre d'un italien, Les Troqueurs, Dauvergne n'est pas que le compositeur de musique légère que la postérité a fait de lui. A la tête de l'Académie Royale de Musique, il a composé des oeuvres plus sérieuses. Il a déjà bénéficié de sa "résurrection" lors de la saison 2011-2012 du CMBV, avec en particulier la recréation de sa tragédie lyrique Hercule mourant - un pont très intéressant entre deux époques, une survivance des proportions et outils de la "deuxième école", dans laquelle on entend déjà des formules mélodiques plus élancées, plus ramistes, voire plus classiques.

Suite de la notule.

lundi 31 décembre 2012

Carl Nielsen - Discographie des Symphonies


Après avoir présenté succinctement les trois premières symphonies, avoir recommandé un couplage particulièrement inspiré des deuxième et quatrième symphonies et signalé une version de référence inattendue de la Première, je propose un petit point discographique.

Avec la réserve d'usage : le goût pour une version est quelque chose de tellement lié à l'image qu'on se fait d'une partition, de nos priorités personnelles (impact, clarté, élan, contrastes, types de phrasés, etc.), et même de notre système de reproduction sonore, que je ne suis pas toujours convaincu qu'on puisse réellement produire une discographie utile.

Pour demeurer clair et ne pas surcharger en vain, je n'évoquerai que les versions qui ont été publiées commercialement - a priori, toutes celles que je cite ici sont couramment disponibles par le commerce.

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a) Sélection recommandée (par version)

Je tâche de les organiser de la plus vivement recommandée à la moins.

Symphonie n°1

Colin Davis / London Symphony Orchestra (LSO Live)
Colin Davis traite cette symphonie avec la qualité de détail et le soin à chaque épisode « secondaire » très comparable à ce qu'on fait usuellement dans la Quatrième. Malgré son caractère beaucoup plus traditionnellement romantique que toutes les autres (toutes très bizarres), Davis en exalte toutes les trouvailles d'orchestration, tous les infra-motifs dissimulés dans le milieu du spectre sonore de l'orchestre. Il parvient même, à force de nuances, à rendre les nombreuses répétitions du troisième mouvement sans cesse nouvelles. Lecture animée de bout en bout et très lisible, une référence.

Herbert Blomstedt (II) / San Francisco Symphony Orchestra (Decca)
La tension et le galbe des mouvements extrêmes sont remarquablement tenus, Blomstedt tire le meilleur parti brahmsien de cette symphonie, affermissant les contours, accentuant la poussée et la danse, exaltant un chant sans sinuosité.

Neeme Järvi / Göterborgs Symfoniker (Deutsche Grammophon)
Järvi prend la voie opposée : sa Première est cinglante, tranchante. Elle va de l'avant de façon plus farouche et moins débonnaire, avec plus d'éclat que de galbe.

Trois lectures vraiment remarquables, toutes extrêmement abouties.

=> Quelques autres excellentes versions : Rasilainen, Saraste, Schønwandt, Vänskä, Blomstedt I...

Symphonie n°2 (Les Quatre Tempéraments)

Adrian Leaper / National Symphony Orchestra of Ireland (Naxos)
Lisibilité et tensions remarquables. Les timbres moins chaleureux que d'autres orchestres rendent cette lecture moins hédoniste, plus profonde d'une certaine manière : toute sa qualité tient dans l'équilibre d'ensemble. Leaper réussit à faire entendre ce qui se joue à l'intérieur de l'orchestre sans sacrifier la poussée d'ensemble, et converser remarquablement une assise lisible à sa pulsation - une des difficultés de Nielsen, où les basses babillent tellement que les appuis des temps forts sont peu sensibles (particulièrement lorsque les attaques se font après ou sont syncopées, ce qui advient fréquemment), est précisément de donner une impression de stabilité, pour éviter de verser dans le vaporeux invertébré.

Neeme Järvi / Göterborgs Symfoniker (Deutsche Grammophon)
Version très fouillée, tranchante, d'un grand éclat mais aussi d'une rare profondeur. Le mouvement lent acquiert une densité que personne d'autre n'atteint ici.

Leopold Stokowski Danmarks Radiosymfoniorkestret (vidéo VAI, CD EMI)
Invité en 1967 à diriger à Copenhague, Stokowski y dirige pour l'unique fois de sa carrière cette oeuvre. Lecture inhabituelle, très terrienne (chez lui, on entend les fondations !), pas toujours subtile, mais pleine d'énergie. L'orchestre a bien sûr ses limites d'alors, mais l'intensité de l'association est très impressionnante, avec un son d'une noirceur sidérante.

Morton Gould / Chicago Symphony Orchestra (RCA)
Version brillante et contrastée qui doit beaucoup à la qualité instrumentale et à l'engagement de l'orchestre.

=> Quelques autres excellentes versions : Schønwandt, Blomstedt II, Vänskä...

Symphonie n°3 ("Sinfonia espansiva")

Adrian Leaper / National Symphony Orchestra of Ireland (Naxos)
Version dotée d'une tension plus importante qu'à l'accoutumée (moins contemplative que la concurrence) et de très beaux timbres.

=> Autres excellentes versions : Blomstedt II, N. Järvi, Schønwandt, Saraste, Bernstein, Blomstedt I...

Symphonie n°4 ("Inextinguible")

Jean Martinon / Chicago Symphony Orchestra (RCA)
Lisibilité des lignes et tenue de la tension - pas toujours facile, le rythme de la basse se dérobe souvent dans la partition même de Nielsen, laissant planer des entrelacs au milieu de nulle part, qui par contraste paraissent mous. Avec une belle élégance et un son brillant.

Colin Davis / London Symphony Orchestra (LSO Live)
Niveau de détail exceptionnel, lecture assez nerveuse, avec de très beaux timbres.

Herbert Blomstedt (I) / Danmarks Radiosymfoniorkestret (EMI)
Version à ne pas mettre entre toutes les mains : moins nette que la plupart (aussi bien sur le plan esthétique que sur la seule réalisation instrumentale), elle offre néanmoins une qualité radiographique remarquable. Le manque de fondu et la cohésion moindre permettent en effet de mieux entendre les détails et les articulations des groupes - ces petites réserves sont en outre compensées par un investissement perceptible. Le caractère incantatoire et débridé de cette symphonie est particulièrement bien rendu ici - bien mieux par exemple que dans le relecture de Blomstedt avec l'orchestre plus solide de San Francisco, largement plus sur son quant-à-soi.

Neeme Järvi / Göterborgs Symfoniker (Deutsche Grammophon)
Comme à chaque fois, difficile de ne pas citer Järvi, qui est tout simplement parfait, très incisif, avec un superbe mouvement lent (les vents !) et un final débridé.

Herbert von Karajan / Berliner Philharmoniker (Deutsche Grammophon)
Lecture forcément étrange (assez marmoréenne et étrangement immobile quelquefois), mais la qualité de finition est tellement superlative qu'on ne peut être que passionné si l'on aime cette symphonie. Pas forcément un premier choix, mais on y entend des éléments rarement mis en valeur ailleurs, ainsi qu'une clarté de vision, une sûreté, une tension... qui donnent véritablement à entendre autre chose.

=> Autres excellentes versions : Saraste, Blomstedt II, Schønwandt...

=> Solos de timbales mémorables : Leaper, N. Järvi, Martinon...

Symphonie n°5

Attention : ayant peu de goût pour cette symphonie, je me suis aperçu que j'étais surtout attiré par les versions lumineuses, cette sélection est donc d'autant plus sujette à l'idiosyncrasie...

Adrian Leaper / National Symphony Orchestra of Ireland (Naxos)
Clarté de conduction, grande poésie, parfaite lisibilité des strates.

Jukka-Pekka Saraste / Yleisradion sinfoniaorkesteri (Orchestre de la radiodiffusion finnoise) (Finlandia)
Version intensément lumineuse, d'une grande simplicité.

=> Prix de la plus belle caisse claire : Kani Vaaleanpunainen.

Symphonie n°6 ("Sinfonia Semplice")

Encore pire que pour la Cinquième, celle-ci a tendance à me passionner fort peu. Aussi je me contente de citer la seule qui ne l'ait pas fait, sans être assuré du tout que ce soit forcément la plus méritante, puisqu'elle répond de ce fait à des critères extérieurs à la symphonie elle-même...

Colin Davis / London Symphony Orchestra (LSO Live)
Lecture limpide, simple, à la fois délicate et détaillée, très apaisée. Le contraste entre les section y est au demeurant assez minime, même entre la tonalité affirmée du premier mouvement et l'atonalité errante du mouvement lent... Un sentiment d'unité assez fort se dégage de l'ensemble.

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b) Passage en revue des intégrales du commerce

Suite de la notule.

mercredi 26 décembre 2012

Anatole France & Charles Koechlin - La Révolte des Anges et Les Chants de Nectaire

Un soir qu'[Arcade] avoua sa lassitude à Zita, la belle archange lui dit :
— Allons voir Nectaire, Nectaire a des secrets pour guérir la tristesse et la fatigue.

Elle l'emmena dans les bois de Montmorency et s'arrêta sur le seuil d'une petite maison blanche attenante a un potager devaste par l'hiver, où luisaient, au fond des ténèbres, les vitres des serres et les cloches fêlées des melons.

Nectaire ouvrit sa porte aux visiteurs et, ayant apaisé les abois d'un grand dogue qui gardait le jardin, les conduisit à la salle basse, que chauffait un poêle de faïence. Contre le mur blanchi à la chaux, sur une planche de sapin, parmi des oignons et des graines, une flûte reposait, prête a s'offrir aux lèvres. Une table ronde de noyer portait un pot a tabac en grès, une pipe, une bouteille de vin et des verres. Le jardinier offrit une chaise de paille à chacun de ses hôtes et s'assit lui-même sur un escabeau près de la table.

C'était un vieillard robuste ; une chevelure grise et drue se dressait sur sa tête ; il avait le front bossu, le nez camus, la face vermeille, la barbe fourchue. Son grand dogue s'étendit au pied du maître, posa sur ses pattes son museau noir et court et ferma les yeux. Le jardinier versa le vin à ses hôtes. Et, quand ils eurent bu et échangé quelques propos, Zita dit à Nectaire :

— Je vous prie de nous jouer de la flûte.
Vous ferez plaisir à l'ami que je vous ai amené.

Le vieillard y consentit aussitôt.

Anatole France, La Révolte des Anges (1914), chapitre XIV.

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Koechlin, depuis une quinzaine d'années, devient chez les mélomanes une figure importante parmi les compositeurs angulaires du répertoire. Il demeurera fort loin de la notoriété intersidérale des vendeurs de lessive - et n'a pas les caractéristiques pour y prétendre -, mais dans le monde feutré des vrais-amateurs-qui-savent-ce-qui-est-bien, il tient désormais son rang. Et si les versions ne sont pas foule pour comparer (sauf pour quelques standards comme les Heures Persanes, chaque année voyant un nouveau cycle apparaître au disque).

Parmi l'immensité de sa production, il faut distinguer tout particulièrement certaines oeuvres de musique de chambre (dans des genres très différents le Quintette avec piano, la Sonate avec violon, la Sonate avec violoncelle, les Heures Persanes, Paysages et Marines...), quelques mélodies (les Chansons de Gladys, hommage au personnage de Lilian Harvey dans Calais-Douvres), et ces Chants de Nectaire.


Cycle I, pièce 22 : autographe de « La Crainte ».


Comme souvent, Koechlin part d'un concept-prétexte - une citation littéraire, une inspiration populaire, une contrainte formelle... Ici, il s'agit, pour le premier volume Op.198, de l'étrange roman d'Anatole France, La Révolte des Anges, qui raconte la prise de pouvoir à Paris par les créatures célestes mécontentes. Nectaire est l'un d'eux, dissimulé sous les traits d'un jardinier à face de Silène - et qui se caractérise par son don à la flûte. C'est à cette inspiration singulière que fait référence Koechlin.

Puis, se prenant au jeu, il publie deux autres séries de 32 pièces brèves, aux thématiques un peu différentes : « Dans la forêt antique » Op.199 et « Prières, cortèges et danses pour les Dieux familiers » Op.200.

Extraits :

Suite de la notule.

lundi 3 décembre 2012

Offenbach - Les Contes d'Hoffmann - aux sources du livret


Ce texte fait suite au point général sur la genèse et les multiples éditions de l'oeuvre. Il y a été dupliqué pour faciliter la lecture.

4. L'adroit fatras du livret

Car du côté du texte également, l'ouvrage ne se signale pas par la simplicité la plus pure.

Le livret des Contes provient directement (comme Faust de Gounod !) de la pièce de 1851 Jules Barbier et Michel Carré - qui se sont mainte fois signalés dans l'adaptation des grands standards littéraires : Goethe (Faust, Mignon), Hoffmann, Shakespeare (Roméo et Juliette, Hamlet), Molière (Le médecin malgré lui), Corneille (Polyeucte)...

Le principe de la pièce est discutable mais astucieux : une collection de personnages et de situations tirés des nouvelles d'Hoffmann, et reliés par l'unification du héros amoureux - devenu Hoffmann lui-même (pour des raisons de publicité, je suppose). Ce choix n'est pas totalement arbitraire, dans la mesure où les récits à la première personne, avec des héros empruntant certains traits à leur auteur, ne sont pas rares chez Hoffmann.

Les auteurs se sont néanmoins amusés, dans le cadre de cet usage un peu sauvage de trames et de personnages qui ont tout juste le temps d'être caractérisés (là où Hoffmann travaillait finement son art du climat), à glisser nombre de références, au delà des intrigues qui servent de support aux trois femmes.

Acte d'Olympia :
- Fondé sur « Der Sandmann » (« L'Homme au sable ») des Nachtstücke (Contes nocturnes, 1817), où le héros rencontre Spalanzani (physicien obsessif) et Coppelius (démiurge de l'optique).

Acte d'Antonia :
- Fondé sur « Rat Krespel » (« Le Conseiller Crespel », plus célèbre sous le titre « Le violon de Crémone »), l'une des nouvelles les plus célèbres d'Hoffmann, tirée de Die Serapionsbrüder (Les Frères Sérapion, 1819). Dans le texte original, l'interdit qui règne est bien plus subtil, et nimbé de mystère et de culpabilité pour le héros, le personnage de Crespel plus enthousiasmant aussi, mais l'objet final constitue en réalité une transposition adroite de la matière vers l'efficacité scénique d'un drame musical, avec ses moments suspendus.
- Cela se fait avec l'introduction de la figure très opératique du Docteur Miracle, inspiré du personnage d'Ottmar, en communication avec des régions mystérieuses dans « Der Magnetiseur » (1814, publié dans les Fantasiestücke in Callots Manier), qui permet de mettre en branle toute la machinerie tragique, de façon plus spectaculaire qu'avec le sobre récit postérieur de Crespel.
- La mort de trop chanter se trouve également dans le « Don Juan » du recueil Callot.

Suite de la notule.

dimanche 2 décembre 2012

Offenbach - Les Contes d'Hoffmann - la (nouvelle) nouvelle édition Keck


A l'occasion des représentations par Minkowski et les Musiciens du Louvre, un petit point sur cette partition, l'une des moins fixes de tout le répertoire.


Revoici l'extrait mis en ligne cet été pour CSS : Mireille Delunsch sous la direction de Marc Minkowski à Lausanne en 2003, précédente version Keck. En attendant un peu de la nouvelle.


1. La création

D'ordinaire, les musicologues se réfèrent au manuscrit original, au matériel de la création, ou à la dernière révision du compositeur (ou approuvée par celui-ci). Il est donc possible de fixer éventuellement plusieurs éditions, mais toutes cohérentes : l'oeuvre originale, l'oeuvre originale rectifiée par la scène, l'oeuvre remaniée...

Pour Les Contes d'Hoffmann, ce n'est pas possible.

En 1873, Offenbach contacte Jules Barbier (survivant du duo Barbier-Carré, célèbre pour ses succès notamment avec Meyerbeer et Gounod) pour qu'il adapte sa propre pièce de 1851. Le but pour Offenbach est de triompher à l'Opéra-Comique où il n'a connu que des succès mitigés, mais il prévoit également d'écrire des récitatifs pour remplacer les dialogues parlés typiques de la facture opéra-comique, et pouvoir exporter son opéra à Vienne et Londres.

Mais il advient revers sur revers, et tour à tour le changement de direction de l'Opéra-Comique, l'impossibilité au Théâtre-Lyrique, la faillite de la Gaîté-Lyrique en 1878 repoussent le projet. C'est finalement l'Opéra-Comique qui endosse définitivement la création (avec commande ferme de la version en récitatifs pour le Ringtheater de Vienne) ; mais son célèbre directeur Léon Carvalho demande en échange des changements dans les profils vocaux des personnages.
Hoffmann, à l'origine un baryton (promis à Jacques Bouhy, créateur d'Escamillo et de Don César de Bazan de Massenet), devient ténor pour Alexandre Talazac (après ses succès en Roméo de Gounod). Stella doit être confiée à Adèle Isaac, soprano colorature à large ambitus (alors que les quatre rôles étaient semble-t-il prévus pour une voix plus large et sombre), et le rôle d'alto de Nicklausse est offert à la jeune prodige Marguerite Ulgade, soprano léger (d'où les nombreux changements d'airs selon les sources).

Pendant les répétitions de 1880, l'oeuvre subit des ajustements de la main du compositeur, mais celui-ci meurt au début du mois d'octobre. Auguste, son fils, confie l'achèvement des retouches à Ernest Guiraud (qui composera également les récitatifs pour Vienne), et Carvalho, inquiet de la longueur de l'ouvrage, décide de couper l'acte de Venise, contre l'opinion de Jules Barbier - puisque cela déstabilise toute le concept même de l'ouvrage.

Excellent accueil néanmoins à la création de 1881.

En 1887, le théâtre brûle, avec le matériel d'orchestre de la création, irrémédiablement perdu.

Malgré les succès des Contes d'Hoffmann, il faut attendre qu'Albert Carré en programme une nouvelle procduction en 1911, dirigée par Albert Wolff, pour que l'ensemble des actes soient donnés.

2. Etats de la partition

Rien qu'en s'en tenant à l'époque de la création, on dispose donc de plusieurs sources partielles et contradictoires.

1) La partition d'origine pour piano et chant, avec Hoffmann baryton (1879).

2) La partition pour piano et chant avec les nouvelles tessitures (1880).

3) La partition pour piano et chant avec les ajustements de la création (1880), mais ajustements incomplets.

4) La partition avec les dernières mises au point de Guiraud (1881).

5) La partition avec récitatifs de Guiraud.

On ne dispose donc pas de l'orchestration originale. Tout ou partie de ces partitions ont été perdues, et parfois retrouvées au fil des ans (1970, 1984, 1993, 2004 !).

Par ailleurs, l'oeuvre finale comporte des ajouts, par exemple le superbe sextuor apocryphe de l'acte de Venise, dû à Raoul Gunsbourg (par ailleurs compositeur d'opéras, son Ivan le Terrible est réellement intéressant) qui l'introduisit lors de la création des Contes à l'Opéra de Monte-Carlo (1904) dont il était directeur.

Considérant que ces versions sont fragmentaires et mutuellement exclusives, il est compliqué, aussi bien pour les musicologues que pour les chefs d'orchestre, d'opérer des choix cohérents - d'autant qu'il existe plusieurs versions alternatives pour chaque section.

3. Les éditions du marché

=> L'éditeur Choudens a proposé plusieurs versions de l'oeuvre. Les premières ne contiennent pas l'acte de Venise, et sont assez fragmentaires aussi sur la musique que nous connaissons aujourd'hui.

=> La cinquième édition Choudens (1907) est celle qui fait référence, jouée partout dans le monde, sauf expériences musicologiques. Au fil des ans, elle s'enrichit des restitutions d'autres éditions, mais demeure la base de la plupart des représentations des Contes.
- L'acte de Venise y est placé comme la deuxième rencontre féminine (devenant une initiation de jeunesse et non plus la marque déliquescente d'un héros vieillissant comme dans le projet originel), et non en troisième position. Il est de plus en plus fréquent désormais que les actes soient remis dans leur ordre "légitime", même en utilisant cette édition. Les ajustements de Guiraud comprennent la réitération de la fameuse barcarolle empruntée aux Rheinnixen, avec en particulier un très beau mélodrame servant de support à la mort en duel de Schlémil.
- En cet état, le livret comporte plusieurs manques étranges et petites incohérences dans les références des répliques.
- Toutes les versions d'avant les années 70 l'utilisent, et un grand nombre par la suite (avec quelques amendements éventuels) - étant libre de droits et déjà acquise par les théâtres, la tentation est forte d'en rester là.

Suite de la notule.

dimanche 28 octobre 2012

Lully - Phaëton à Pleyel (Rousset 2012)


Soirée un peu tiède pour différentes raisons (à commencer peut-être par le contraste avec le langage de Der Ferne Klang quelques jours plus tôt !), mais très stimulante.



La version de Beaune (plus flatteuse, et avec Auvity dans sa forme normale) est toujours disponible en ligne via Arte Live Web en cliquant ci-dessus.


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1. Oeuvre singulière

Phaëton est un opus particulièrement original dans le corpus de Lully, plus encore dans celui de Quinault, et même dans le genre de la tragédie en musique tout entier. Il suffit d'observer la place de son rôle-titre, tenu par la haute-contre, mais exceptionnellement utilisée comme un personnage repoussoir. C'est la première fois (il s'agit de la dixième tragédie en musique de Lully) que cette configuration apparaît, et elle restera extrêmement rare dans la littérature musicale du siècle à venir. Et dans certains cas, de façon moins franche (Jason est-il réellement à considérer comme négatif, étant donné que son vis-à-vis est la barbare Médée ?).

De même, la musique y montre un renouvellement et un raffinement peu communs chez Lully. Son inégalité est d'ailleurs frappante : qu'on trouve son inspiration un peu terne (Thésée, Isis) ou au contraire magistrale (Atys, Armide), la plupart de ses oeuvres sont d'une qualité assez homogène. Or, Phaëton contient à la fois les plus hauts sommets du compositeur (les deux derniers tiers du Prologue, à peu près tout à partir de la seconde moitié de l'acte II) et des pages parmi les plus lisses et vides de sa production tragique (le reste). Un peu à l'image d'Amadis, à ceci près que le livret de Phaëton est aussi tendu et brillant que celui d'Amadis est indolent et répétitif.

Dans ses moments majeurs, on rencontre bon nombre d'effets inédits : la chaconne, l'air de rien, très retorse rythmiquement ; les duos tendres de Lybie et Epaphus, modèles de virtuosité dans l'alternance des mètres musicaux ; son inspiration mélodique très évidente et assez différente de ses habitudes ; les parties très aiguës du Soleil, mais sans le caractère de douceur des autres occurrences de ce type (Sommeil & Morphée dans Atys, Mercure versant le sommeil dans Persée) ; cette fin à la fois malheureuse et souhaitée (sans l'attachement qu'on peut avoir à la figure d'Armide) ; son caractère hautement spectaculaire. Pour cette dernière raison, on l'a nommé « l'opéra du peuple » (Atys étant « l'opéra du roi »), considérant les succès très vifs que les machines de l'acte V remportaient auprès du public parisien de l'Académie Royale de Musique.

Voici ce qu'il en était dit (plus spécifiquement à propos des récitatifs d'Epaphus dans une notule de 2011 :

Le naturel extrême de la déclamation (fondé sur des mesures dont les mètres sont très changeants), sa grande inspiration mélodique, l'ampleur sans grandiloquence du geste musical, le pathétique très attachant des personnages, la beauté des couleurs harmoniques (parmi les plus raffinées de tout Lully), la variété des carrures rythmiques bondissantes, le sens inexorable de la progression dramatique, les sommets contenus dans les duos qui terminent chaque entretien... tout cela témoigne combien Lully a ici livré sa meilleure inspiration, et l'un des moments les plus élevés de toute son oeuvre.
Par la même occasion, ces deux scènes constituent également un sommet de l'histoire du récitatif français.

A la relecture des partitions, j'ai sans doute un peu exagéré, Phaëton n'a jamais le relief harmonique des grands moments d'Atys et d'Armide, mais il maintient l'exigence à un niveau moyen d'une qualité assez rare chez Lully.

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2. Différences

Etrangement, je ne ressens pas vraiment la même chose en salle qu'en retransmission, et comme pour la Médée de Haïm, ce n'est pas à l'avantage de la musique en vrai.
Peut-être la proximité dans mes oreilles d'une oeuvre aussi dense musicalement que Der Ferne Klang a-t-elle un peu altéré mes repères auditifs (petite salle, orchestre très riche, décibels généreux), et de fait l'orchestre sonne mince dans les dynamiques les plus fortes.

L'ensemble de la soirée procure un étrange sentiment de mollesse, de distance même, s'alanguissant avec la même coquetterie terne que le Rousset du milieu des années 2000, celui du creux de la vague (avec, en ce qui concerne ce répertoire, les studios de Persée et de Roland). Attention, contrairement à Haïm, la musique fonctionne tout de même la plupart du temps - la logique de Rousset me paraît souvent néfaste aux oeuvres qu'il sert, mais il n'y a jamais l'impression de fragmentation qu'on pouvait ressentir avec Haïm.

Et cela voisine avec des moments d'inspiration extraordinaires. En particulier les danses (chaconne remarquable), absolument toutes les interventions chorales (le Choeur de Chambre de Namur est bien sûr magnifique, mais mieux dirigé que jamais), de très belles réalisations au théorbe et au clavecin (du type "ritournelle", qui invente des contrechants, des introductions, des réponses - encore meilleur pour Rousset que pour Stéphane Fuget), l'usage très heureux du positif dans certains récitatifs, un acte IV qui mêle poésie et tension. Sans parler de la trouvaille du final (reprise du choeur « Ô témérité malheureuse » en decrescendo tendre et funèbre, là où Minkowski renforçait l'éclat), tout à fait bouleversante, une de ces fins qui éclairent de façon très puissante tout ce qui précède.

Dans l'ensemble, on évite donc le côté cassant qu'on pouvait reprocher au studio de Minkowski, qui ne respire pas beaucoup, et qui se montre quelquefois brutal (l'esthétique de sa chaconne se rapproche assez de celle, martiale, de Goebel pour Armide). Mais Minkowski avait pour lui, outre une distribution (très) supérieurement préparée, un sens du drame sans comparaison : sa conception du continuo est certes plus verticale (beaucoup d'accords égrenés, moins de contrepoint), mais la gestion du temps de déclamation est idéale, on perçoit sans cesse l'urgence des situations et les quantités de la langue. Aussi, son disque se dévore, et malgré ses duretés, convainc de bout en bout.


Extrait de l'acte V dans le studio de Minkowski : second entretien entre Libye (Véronique Gens) et Epaphus (Gérard Théruel, le plus grand baryton de tous les temps).


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3. Esthétique générale

Globalement, l'intérêt de la soirée suit de très près l'intérêt de la partition : lorsque celle-ci se dérobe, il n'y a réellement plus rien (première partie de soirée assez peu palpitante) ; lorsqu'elle déploit ses beautés, sans en tirer toujours pleinement parti, Rousset la sert avec soin. Du moins à l'orchestre.

Car, comme au TCE avec Haïm, le problème le plus frappant étant l'absence de travail sur la déclamation. Les chanteurs disent leur texte sans s'appuyer sur la couleur propre de chaque voyelle, sans croquer les consonnes, sans mettre en valeur les "quantités" fortes du vers. Je distingue même (non sans horreur) des traces de couverture ! Affadir le texte, avec une musique aussi simple, aussi liée à sa qualité verbale, c'est tout bonnement se faire seppuku.

J'y vois plusieurs explications possibles :

Suite de la notule.

dimanche 7 octobre 2012

Szymanowski & Brahms : révélations et désillusions au concert (Pleyel)


Concert très stimulant à Pleyel hier, la preuve que l'épreuve de la salle peut bouleverser radicalement la perception de certaines oeuvres. Soirée indispensable, puisqu'elle combinait les deux oeuvres symphoniques de Szymanowski qui m'avaient le plus enthousiasmé au disque et la symphonie de Brahms qui m'est la plus chère. Chacune de ces oeuvres aurait justifié de se déplacer, dans l'absolu.

Szymanowski 1

Ainsi, la Première Symphonie de Karol Szymanowski Op.15 (1906), que je mentionnais dans cette proposition de symphonies à écouter (arbitrairement, car les trois autres sont plus originales, même si elles me convainquent moins), est apparue mal orchestrée, avec une quantité d'informations phénoménale, mais installée essentiellement dans le médium, avec un contrepoint qui devient illisible.
Néanmoins, même si l'orchestration très postromantique est sans doute en cause, cela sonne très bien au disque (par exemple Karol Stryja avec le Philharmonique d'Etat Polonais, chez Naxos), et la tendance à la saturation de la salle (au parterre en l'occurrence, mais c'est pire au second balcon, surtout si la salle est peu remplie) ainsi que la direction peu tendue et peu détaillée de Gergiev sont sans doute en cause.

Malgré tout, un bon moment, en particulier dans les petits tournoiements presque parodiques du second mouvement (le mouvement lent central n'ayant jamais été composé). Et d'une manière générale, on prend plaisir à suivre l'évolution des thèmes torturés. Et puis l'amusement d'entendre l'illumination finale, de caractère très wagnérien. Une très belle oeuvre, qui aurait sans doute mérité davantage de soin - si je ne l'avais pas déjà écoutée, je n'y serai probablement pas revenu, cela sonnait presque aussi mal que Tubin.

Szymanowski 1 avec violon

Composé dix ans plus tard, le Premier Concerto pour violon Op.35 (1916) se révèle d'une tout autre trempe. Déjà impressionnant au disque, il frappe par la qualité exceptionnelle de son orchestration. L'orchestre, pourtant large (en particulier du côté percussif, avec glockenspiel, célesta, piano - et deux harpes), n'est utilisé que par touches, dans des nuances discrètes, chaque pupitre apportant, selon les besoins, sa couleur, son motif. Si bien que le violon (Janine Jansen ne dispose pas d'un son particulièrement puissant), reste toujours audible, au sein de tons et de textures sans cesse différents, et pourtant disposés avec une cohérence qui ne laisse jamais l'oreille perplexe.

L'oeuvre est totalement de son temps, elle évoque par moment (beaucoup plus audacieuse harmoniquement) les timbres L'Oiseau de feu de Stravinski (1910), et plus encore, avec ses motifs isolés et ses arrières-plans nerveux sur harmonie instable, la Symphonie de Chambre (1916-1917) de Schreker. En réalité, c'est avec le premier mouvement de la Première Symphonie (1942...) de Martinů (lien vers la chaîne de CSS) que je ressens la parenté la plus forte.


Version donnée par l'Orchestre du Centre Européen polonais (direction Nikolai Dyadiura), avec Małgorzata Wasiucionek au violon. Son beaucoup plus charnu et moins serré de la soliste, mais on entend beaucoup moins bien la répartition des timbres et la magie qui s'en dégage. A titre de découverte pour ceux qui ne l'ont jamais écouté, disons.


Mais la présence d'un violon change profondément le caractère de l'oeuvre et, pour moi qui ne goûte pas immodérément la forme concertante, améliore considérablement le résultat. D'abord, grâce à ce fil conducteur, qui n'a cependant rien de narratif, l'oeuvre bénéficie d'une logique et d'une poussée très immédiates, qu'on ne trouverait pas aussi nettement chez Martinů, et certainement pas chez Schreker, dont l'écriture de la Kammersymphonie est conçue en épisodes, comme autant de miniatures debussystes.
De prime abord, on peut s'interroger sur la nécessité de l'étalage virtuose, en particulier en ce qui concerne l'exploitation permanente de la tessiture très aiguë (pas nécessairement la plus belle ni la plus expressive du violon) ; mais d'un point de vue pratique, cela permet au timbre du soliste de se différencier et de se projeter bien plus facilement, en « survolant » les harmoniques de l'orchestre, même lorsque l'effectif devient un peu plus large. Et cela lui procure un caractère spécifique, avec son thématisme volontiers orientalisant (mais sans rien d'imitatif) et ses accents capiteux, une véritable personnalité que l'on prend à suivre.

Et plus que tout, ce que je n'avais peut-être pas autant remarqué les autres fois, la pièce, en un seul mouvement au tempo mouvant, ne révèle aucune baisse de tension, bien au contraire : alors que Szymanowski souffre souvent, précisément, d'une profusion qui rend son discours peu intelligible, ou trop dispersé pour en ressentir la direction, ce concerto semble suivre un cours profondément logique malgré son caractère puissamment onirique et évocateur. Pour couronner le tout, l'oeuvre maintient durant ces vingt-cinq minutes un équilibre paradoxal entre une tension musicale constante et une expression affective davantage rêveuse et apaisante.

Un concerto sans aucun "dialogisme", un sommet d'orchestration, un bijou de couleurs et de climat. J'aimais déjà beaucoup l'oeuvre, mais en l'entendant fonctionner en vrai, je suis désormais persuadé qu'on tient là un des chefs-d'oeuvre de la musique symphonique du vingtième siècle - car il s'agit davantage d'un poème symphonique avec violon solo leader, un peu à la manière de la Shéhérazade de Rimski-Korsakov.

Il s'agissait de la pièce travaillée de la soirée, manifestement (déjà préparée par le LSO, car donnée l'an passé avec Péter Eötvös), et la beauté des timbres, la netteté des phrasés étaient sans comparaison avec le reste du concert. A cela s'ajoutait Janine Jansen, la violoniste à la mode - à juste titre. Non contente d'enregistrer, par exemple, des Quatre Saisons au sommet d'une discographie saturée (à placer aux côtés du Giardino Armonico ou de Kevin Mallon), elle brille dans à peu près tous les répertoires à un degré assez suprême. Pour Szymanowski, elle fait valoir un son simple et gracieux, qui ne généralise pas le vibrato (de toute façon peu flatteur sur un timbre mince), et offre (pardon pour la banalité, mais la chose est difficile à définir sans sortir la partition et faire une vraie notule sur la question) des phrasés inspirés pendant toute la durée d'un concerto particulièrement périlleux et singulier.

Cadeau

Suite de la notule.

mercredi 3 octobre 2012

Atys de Niccolò PICCINNI - I - La part de Marmontel (1780 ARdM - 2012 Bouffes du Nord)



Mise à jour du 10 octobre 2012 : II - présentation de la musique de Piccinni, et de l'interprétation de la soirée.

L'ensemble de ces deux notules assez longues existe également en PDF pour faciliter la consultation.


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Afin de contenter les lecteurs impatients, voici la première partie du voyage autour de cette œuvre, partiellement recréée les 23 et 24 septembre derniers. Agrémentée d'extraits.


Musiciens du Cercle de l'Harmonie dirigés par Julien Chauvin : ouverture et plainte d'Atys (« Amants qui vous plaignez »). Ce n'est pas une modification de l'arrangement proposé ce soir-là (oeuvre condensée enn 1h10 de musique), Marmontel fait bien ouvrir le drame immédiatement après l'ouverture par Atys sans Idas, ce qui se défend assez bien dans le cadre d'une version déjà raccourcie en 1780 par rapport à celle de 1676. Atys par Mathias Vidal, Sangaride par Chantal Santon.
Merci au spectateur qui a fourni ce matériel sonore ! Je précise toutefois que la captation, quoique de bonne qualité, ne rend pas justice à la beauté et à la cohésion des timbres en salle, et on entend, à cause de la réverbération en haut du théâtre vide (moi, j'étais placé au fond du parterre, où le problème ne se posait pas), des sortes de "scories", à l'orchestre en particulier, qui en réalité n'existaient pas dans la salle. Même chose pour l'impact des chanteurs, supérieur sur place.


Dans une salle à peu près complètement vide (à part le parterre, de plus exigu, le théâtre n'était quasiment pas rempli, on devait être quelque part entre le quart et le tiers de la jauge, même les couloirs étaient déserts), le Théâtre des Bouffes du Nord programmait une production de la désormais rituelle association CMBV / Bru Zane, autour de la dernière relecture de l'Atys de Quinault. Un document passionnant.

On peut lire un commentaire sur l'œuvre-source de Quinault & Lully ici.


1. Niccolò Piccinni (1728-1800) en France

Originaire de Bari, Piccinni se fait d'abord, comme il est d'usage, un nom en Italie, à Naples, puis à Rome. L'ambassadeur du royaume de Naples en France l'invite à rejoindre Paris en 1776, sur impulsion de la reine Marie-Antoinette, dont il devient le professeur de chant. Sa carrière est alors déjà faite en Italie, avec des dizaines d'opéras bien accueillis dans les différents temples lyriques italiens : Fiorentini, Nuovo, San Carlo et Pergola à Naples ; Argentina, Valle, Dame, Capranica à Rome ; et Turin, Bologne, Milan, Venise, Modène... Ce à quoi il faut ajouter des commandes pour des capitales européennes comme Dresde ou Lisbonne.
Néanmoins, son succès commence à pâtir à Rome de ceux de son ancien élève Pasquale Anfossi, et le prestige (assez singulier en Europe) de la Cour parisienne est alors tout indiqué pour relancer sa carrière.

On décrit régulièrement sa « rivalité » (comme très souvent, plus une rivalité des admirateurs que des compositeurs eux-mêmes) avec Gluck comme une seconde Querelle des Bouffons, où Piccinni tiendrait le rôle (forcément) de l'italien partisan de la joli musique contre Gluck, défenseur d'un texte fort.
Il est possible qu'à l'époque le contraste ait existé, car Piccinni dispose en effet d'une veine mélodique plus conjointe, moins accidentée que Gluck ; mais en regardant les partitions, néanmoins, il apparaît que la différence entre les deux est une affaire de nuance, et certainement pas d'opposition. Gluck paraît peut-être, vu de loin, plus sombre et intransigeant avec ses drames, mais la comparaison des relectures de Quinault de chacun ne me paraît pas à l'avantage du germanique. Tous deux répondent tout simplement à un changement du goût dans la tragédie en musique, au même titre que l'ont fait (J.-Ch.) Bach, Grétry, Sacchini ou Salieri.

Et à mon sens, malgré ces différences, les deux compositeurs œuvrent dans la même direction de l'histoire musicale : la querelle des gluckistes et des piccinnistes ne me paraît pas soulever des enjeux aussi contradictoires et fondamentaux que la précédente controverse.

Dans ces drames, l'épure prévaut, avec la disparition des lignes courbes, une simplification rythmique (on préfère désormais la symétrie à la danse). C'est aussi le temps d'une domination absolue d'un mode majeur très lumineux (et naïf à nos oreilles d'aujourd'hui), même pour exprimer les tourments les plus amers - en parfaite concordance avec l'image que la postérité a donné de la Cour de Marie-Antoinette, d'une gaîté qui paraît naïve et superficielle, et par ailleurs sans rapport avec la réalité du monde. Et pourtant, à l'opposé, on n'a jamais autant aimé les grands récitatifs dramatiques violents.

Malgré les explorations de partitions, je n'arrive pas bien à situer ''qui'' impose ce style. Manifestement Gluck, vu les dates, mais Gluck demeure un peu à part, moins sensible au majeur, et beaucoup moins éloquent que Piccinni ou Salieri dans le récitatif (oui, contrairement à l'image qu'on en a) - il semble que pour lui, le récitatif demeurait pour partie une couture inférieur aux "numéros", un peu comme en Italie, même s'ils sont chez lui infiniment plus écrits et intéressant. Ce style galant et violent à la fois, commun à Piccinni, Grétry, Sacchini, Salieri, Catel, compositeurs chez qui l'on retrouve quasiment les mêmes formules dans le récitatif (sauf Sacchini, le plus faible de tous ceux-là), d'où vient-il ? Peut-être justement de Piccinni, mais je n'ai pas de réponse.


2. Jean-François Marmontel et la dernière révision d'Atys

Il est de tradition pendant tout le XVIIIe siècle de reprendre les livrets admirés du Grand Siècle, et en particulier ceux de Quinault. Au début, en conservant le récitatif de Lully (toujours considéré comme une référence) et en récrivant les divertissements selon l'évolution des goûts du public. Puis on récrit totalement la musique (Gluck pour Armide, 1777), on coupe le texte pour le réorganiser en moins d'actes (Jean-Chrétien Bach pour Amadis de Gaule, 1779), et on finit par rectifier les vers et ajouter le texte d'ariettes (Piccinni et Marmontel pour Roland, 1778, et Atys, 1780).

On a donc mis assez longtemps pour oser amender profondément le livret original, peu ou prou un siècle, ce qui est assez exceptionnel en un temps où l'on n'avait pas du tout le même culte pour la conservation qu'on observe aujourd'hui.

Marmontel coupe donc dans le texte de Quinault, amende quelques vers, et développe les états d'âme des personnages.

Un exemple peut nous servir de point de départ concret.

Suite de la notule.

dimanche 30 septembre 2012

[Sursolscope] Planning de spectacles pour octobre



(Mise à jour du 1er octobre : corrections et ajout des deux récitals de L'Oiseleur des Longchamps.)

En attendant que le Klariscope quitte son doux sommeil, le programme du mois.

Octobre particulièrement riche, comme tous les ans : on est au plus fort de la saison du CMBV, du démarrage sérieux des saisons des différentes scènes... Heureusement, ce qui m'intéresse des pièces de théâtre et du Festival d'Automne (pas trop palpitant cette année) se trouve un peu plus tard.

L'astérique indique une certaine détermination des lutins.

J'en profite pour signaler que j'ai une, peut-être deux places à vendre (30€ l'unité, il n'y a pas de tarif inférieur...) pour Renaud de Sacchini à l'Opéra Royal de Versailles, le 19 octobre.

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4 - répétition du Cantate Domino de Bernier
Au continuo. Juste pour dire que ce soir-là est déjà pris.

5 - Mélodies de Massenet par L'Oiseleur des Longchamps au Temple de Pentémont
Ces mélodies ne sont pas le meilleur de la production de Massenet (un peu gentilles), mais vu le talent de L'Oiseleur comme chanteur et comme défricheur, je me serais vraiment laissé tenté par ce concert monographique dont je viens de découvrir la tenue. J'hésite à abandonner Szymanowski, qui est finalement un peu moins rare (mais musicalement plus intéressant, il est vrai).

5,6,7,8,9 - La Cité du rêve d'après Kubin, Théâtre de la Ville
En revanche, attention, même la « version courte » donnée le week-end est très longue (quatre heures sans les entractes, comme Peer Gynt). Sans parler des cinq heures (sans les entractes) de la version complète. Il est recommandé d'être dans l'humeur adéquate (et l'endurance physique indispensable), ce soir-là.

*6 - Szymanowski 1, Brahms 1 et le Premier Concerto pour Violon de Szymanowski à Pleyel (Jansen, LSO, Gergiev)
Super concept de la double intégrale, qui va obliger les fans de Brahms à se bouger un peu les oreilles. Bravo. (En plus, la Première Symphonie de Szymanowski est vraiment accessible en plus d'être très belle.)
Le cycle se poursuit le lendemain.

Suite de la notule.

mercredi 19 septembre 2012

Problème pratique : Hadopi, licence globale, quelles lois, quels modèles pour règlementer le téléchargement ?


Autrefois : les lois

Je ne suis pas du tout sur le versant des libertaires qui disent que tout est de la faute des éditeurs si on écoute leur production sans les acheter, et que c'est à eux de se garantir contre la spoliation en donnant envie aux gens d'acheter ce qu'ils peuvent avoir plus facilement gratuitement.

Néanmoins, la loi DADVSI (Droits d'Auteurs et Droits Voisins [1] Dans la Société de l'Information), qui interdisait uniquement la technologie du peer-to-peer (indépendamment de ses contenus, si bien que le piratage s'est déplacé vers YouTube, Rapidshare et Megaupload), puis la loi Hadopi qui instituait des sanctions dérisoires (et finalement décrétées anticonstitutionnelles), chacune étant de toute façon incapable de fournir les moyen d'attraper les contrevenants (sauf les derniers dinosaures continuant le téléchargement par les logiciels de P2P malcommodes), ne m'ont jamais paru avisées. On aurait pu trouver un moyen terme entre la désinvolture spoliatrice et la bêtise d'affichage.

Demain : la licence globale ?

Lire la suite.

Notes

[1] Les droits voisins sont les droits des interprètes.

Suite de la notule.

lundi 17 septembre 2012

Pancrace ROYER, Pyrrhus (1730) - I - Une tragédie sans amour (Versailles 2012)


Dimanche 16 septembre, première mondiale. Du fait du peu de succès à l'époque (sept représentations sans accueil favorable, pas de reprise), livret et partition ne sont pas aisés à trouver, c'était donc une exhumation complète, peu de monde dans la salle (à moitié désertée, au fil de la représentation, par les touristes fatigués) en avait déjà lu plus que le titre.

Sans vouloir abuser de superlatifs, la redécouverte de cette tragédie en musique était d'une assez grande importance, à cause d'une notable nouveauté de la musique, mais surtout en raison de la remarquable qualité générale – l'oeuvre culmine en quelques moments qui sont à placer dans le florilège restreint de la tragédie lyrique.

Revue de détail, assortie de quelques extraits sonores.

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Polyxène immolée aux mânes d'Achille, Gravure de Johann Wilhelm Baur (1703) incluse dans l'édition anglaise de 1717 des Métamorphoses d'Ovide.


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1. Les sources du livret de Fermelhuis

Il existe des doutes sur la paternité de ce lettré amateur (accentués par la qualité du poème, sans rapport avec les bricolages d'Henri Guichard pour Ulysse de J.-F. Rebel, par exemple), mais je n'ai pas pris le temps de remonter la piste de M. de S. X., il y a plus intéressant pour ce qui nous occupe.
L'avantage est que ce genre de dispute survient généralement lorsque le livret est bon !

Les antiques

L'auteur du livret se fonde sur la légende traditionnelle de Polyxène. Jadis aimée d'Achille et cause de sa mort lors de leur promesse solennelle au temple, elle est sacrifiée par les Grecs à la fin de la Guerre de Troie. C'est la version d'Euripide dans Les Femmes Troyennes et dans Hécube ; c'est aussi ce que dit Ovide, source intarrissable des tragédies en musique, au treizième livre de ses Métamorphoses :

Tout à coup, de la terre entr’ouverte surgit l’ombre gigantesque d’Achille, terrible et menaçant comme au jour de sa colère, lorsqu’il voulait tuer Agamemnon : « Grecs, partirez-vous en m’oubliant ? s’écrie-t-il ; le souvenir de ma valeur est-il mort avec moi ? Ecoutez : une offrande digne de moi n’a pas encore honoré ma tombe ; les mânes d’Achille demandent le sang de Polyxène ».

Pyrrhus s'exécute :

Les larmes coulent de tous les yeux ; la victime seule n’en verse pas ; et Pyrrhus ne frappe qu’à regret, et en pleurant, le sein qu’elle lui présente. Elle reçoit le coup sans pâlir ; ses genoux fléchissent, son corps s’affaisse sur lui-meule, et, en tombant, elle cherche encore à voiler sa beauté : dernière pensée de la pudeur.




Le sacrifice de Polyxène représenté avec tact sur une amphore d'origine tyrrhénienne conservée au British Museum (570-550 av. J.-C.).


Rémanence

Le sujet fait partie des motifs récurrents dans la littérature européenne à partir du retour des écrits grecs. Boccace l'inclut dans ses portraits de femmes célèbres (De mulieribus claris n°33, 1362), et le sujet connaît une certaine vogue pendant la Renaissance italienne et française, puis pendant le classicisme, aussi bien en prose qu'au théâtre, et ce jusqu'aux Scudéry (Les Femmes illustres ou les Harangues héroïques, 1642).


Enluminure du XVe siècle figurant le sacrifice de Boccace sur une édition de De mulieribus claris, conservée à la BNF.


Tragédies précédentes

Outre Euripide et Ovide, Fermelhuis s'inspire des transformations apportées dans La mort d'Achille de Thomas Corneille (1673). Conformément à l'usage, Th. Corneille ajoute un épisode mineur qui ne modifie pas les fondements de la légende mais étoffe sa dimension affective : Pyrrhus y devient amant de Polyxène, si bien que le meurtrier du père de la princesse soupire pour celle qui devait être l'épouse du sien, devenant ainsi le rival de son père en courtisant celle qui a causé sa mort. Autrement dit : Pyrrhus a tué le père de Polyxène, Polyxène a causé la mort du père de Pyrrhus, et pourtant Pyrrhus aime Polyxène, amour évidemment défendu par les deux ombres, et de surcroît aux frontières de l'obscénité (en tout cas pour une lecture française du XVIIe) en désirant la quasi-épouse du père.
Comme on le devine, cela ajoute un peu de tension dramatique.

Les auteurs dramatiques français, à sa suite, reprennent en choeur l'idée. Dans La mort d'Achille (1696), La Fosse (dont je reparlerai prochainement à propos de Callirhoé) modifie même la cause de la mort de Polyxène, la changeant en victime d'un coup de Pyrrhus lors d'une dispute avec Agamemnon. Dès 1687, Campistron pour Lully & Collasse avait utilisé une variante déjà présente dans les textes anciens, celle du suicide de Polyxène, désespérée d'avoir été la cause du traquenard destiné à occire Achille – mais Pyrrhus n'y apparaît pas. En revanche, dans la « suite » sans succès qu'écrit La Serre (auteur du livret de Pyrame et Thisbé de Francoeur & Rebel) pour Collasse, en 1706 (Polyxène et Pyrrhus), le suicide de Polyxène se fait, sur fond d'oracle vengeur, pour se soustraire à l'amour impossible qu'elle porte à Pyrrhus. C'est exactement la solution qu'adopte Fermelhuis.


Gravure représentant Polyxène dans l'édition originale des Femmes illustres des Scudéry, ouvrant la « Harangue de Polyxène à Pyrrhus ou Que la Mort vaut mieux que la Servitude ».


Circonstances

L'année qui précède Pyrrhus de Fermelhuis & Royer, on joue avec succès Polyxène de Jean du Mas d'Aigueberre – repris très rapidement au Théâtre Italien sous forme de parodie (Colinette). Cette proximité temporelle explique peut-être pourquoi le titre de Pyrrhus a été retenu alors que le personnage pivot du drame, celui qui suscite l'empathie, celui enfin qui reçoit les meilleurs vers et la meilleure musique... est bel est bien Polyxène.

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2. Le livret

En remontant le fil des inspirations du librettiste, je crois que l'essentiel est dit sur les choix, par particulièrement audacieux, de la matière.

Contenu

Globalement, l'action se déroule assez doucement, le poème est très correctement écrit, sans fulgurances particulières à l'exception des monologues de Polyxène au I et au V, où librettiste et compositeur (et même, ce soir-là, les interprètes) semblent s'être donnés le mot pour donner le plus vibrant échantillon de leur talent.

L'action se répartit comme suit.
Prologue semi-allégorique, où les divinités lèchent pesamment les bottes de Louis XV (à peine plus subtilement que dans Médée de Th. Corneille / Charpentier), mais on y sent déjà la tendance à la stylisation allégorique, où les grandes divinités (Mars, Minerve, Jupiter) partagent avec le public différentes conceptions « philosophiques » du monde.
Acte I : Amour impossible, Polyxène refuse d'entendre les aveux de Pyrrhus, qui la tient captive et qui est le meurtrier de son père. Acamas, ami de Pyrrhus, lui rappelle ses engagements envers Ériphile qu'il devait épouser.
Acte II : Ériphile, furieuse de l'infidélité de Pyrrhus, menace de se venger sur Polyxène si Acamas ne l'enlève pas. Celui-ci, amoureux de Polyxène, se laisse fléchir. Pendant la réjouissance des sujets de Pyrrhus, l'ombre d'Achille exige le sacrifice de Polyxène. Pyrrhus la confie à Acamas pour la sauver.
Acte III : Le peuple souhaite la mort de Polyxène, celle-ci est horrifiée de l'aveu d'Acamas qui trahit son ami, Pyrrhus souhaite la conserver près de lui, Ériphile lui rappelle ses serments, mais rejetée, elle invoque les Enfers.
Acte IV : Sous l'emprise infernale, le peuple s'entre-tue. Ériphile feint d'encourager Acamas à emmener Polyxène, puis les dénonce comme amants à Pyrrhus, qui réclame le secours de Thétis contre les fuyards – sa mamie demande en échange le sacrifice de Polyxène.
Acte V : Hésitations de Pyrrhus. Retour des deux prisonniers. Acamas se suicide en révélant le mensonge d'Ériphile. Pyrrhus veut alors s'opposer au sacrifice, mais Polyxène se suicide pour délivrer les Grecs de la malédiction d'Achille. En mourant, elle peut enfin avouer son amour pour Pyrrhus, en proie à tant de maux pour elle.

Particularités

Différence notable par rapport aux autres versions du mythe, l'action se situe en captivité en Grèce, et non sur le sol troyen – dans les version initiales, le sacrifice de Polyxène constituait une forme de purification avant le départ des Grecs victorieux. Il est vrai qu'en déplaçant la cause du sacrifice (l'amour de Pyrrhus rendant insupportable à l'ombre d'Achille la survie de Polyxène), le lieu n'était plus aussi fondamental.
Mais on peut s'amuser du fait que l'action se déroule après la mort de Polyxène chez Campistron-Lully-Colasse.

Il existe bien Éryxène chez La Serre-Colasse, mais Ériphile est semble-t-il une invention de Fermelhuis – trouvaille onomastique assez congruante pour une enchanteresse, puisque son nom signifie « l'amie de la Discorde », et que cela fait pendant avec la cause de la Guerre de Troie (la vengeance d'Éris, la Discorde, qui n'avait pas été invitée aux noces de Thétis et Pélée), la vendetta sauvage l'encadrant tout à fait.

L'oeuvre, quoique non dépourvue de sections brillantes (plusieurs triomphes de Pyrrhus avec trompettes & timbales) ou un peu galantes (en particulier le long divertissement de l'acte IV, pourtant dévolu aux conditions cruelles de Thétis !), s'apparente fortement à la « tragédie noire » des années 1690-1720, une période (où des tragédies très rugueuses alternent avec des tragédies légères et galantes en un contraste saisissant) qu'elle clôt quasiment.
Les déroulements n'en sont pas aussi durs que les parangons du genre (Médée de Th. Corneille-Charpentier, Didon de Saintonge-Desmarest, Tancrède de Danchet-Campra, Philomèle de Roy-La Coste, Idoménée de Danchet-Campra, Pyrame et Thisbé de La Serre-Francoeur-Rebel...), mais la fin laisse une impression particulièrement sombre : non seulement l'innocence de Polyxène est sacrifiée, mais de surcroît le dramaturge attend ce moment pour nous révéler que Pyrrhus était aimé en retour. La situation tient d'autant plus du coup de théâtre qu'étant tenu par une basse-taille, rôle d'habitude dévolu aux héros virils (souvent éconduits, comme Roland chez Quinault-Lully ou Alcide chez La Motte-Destouches), aux opposants ou aux pères. Rien ne prépare donc à cet aveu, vraiment étonnant pour qui n'a pas lu La Serre.

Nouveautés

J'en retiendrai deux.

D'abord l'enjambement d'acte. On cite souvent Gentil-Bernard, dans la seconde version du Castor et Pollux (1754) de Rameau (la fin de la bataille enchaîne avec l'air fameux de déploration « Triste apprêts »), mais ici, le lien est encore plus fort et moins traditionnel. On peut le comparer à ce que fait Destouches dans Callirhoé en 1712, en reprenant une thématique agitée au début de l'acte III, suite aux fureurs bachiques de l'acte II. Mais dans Pyrrhus, le « pont » entre les actes III est IV figure même dans le livret : l'invocation infernale d'Ériphile est prolongée très naturellement, dans le texte comme dans la musique, par les désordres meurtriers du peuple au début de l'acte IV. La pratique est suffisamment rare, a fortiori dans la tragédie en musique où l'on aime à voyager entre les actes (et les décors de Jean-Nicolas Servandoni ont été salués à l'époque comme particulièrement somptueux), pour être relevée.

Plus fondamental, l'oeuvre est l'un des très rares cas (je ne suis pas sûr d'en voir d'autre, spontanément) où l'on ne rencontre, à aucun moment, un couple amoureux constitué. La haute-contre (Acamas), qui aurait pu être l'amant charitable de Polyxène sous d'autres plumes, trahissant son ami le héros valeureux (comme Iphis dans Omphale de La Motte-Destouches, ou, sans lien préalable avec le héros, Médor dans Roland de Quinault-Lully) pour être aimé, est ici un repoussoir absolu, non seulement faible, mais en outre méprisé par l'héroïne – et trahi à son tour par Ériphile.
D'ordinaire, l'amour est présenté comme un absolu alternatif à la gloire. Ici, il est seulement la source de passions destructices, pour tous. Et Polyxène, la seule vertueuse, ne peut s'y abandonner qu'en signifiant son impossibilité, et seulement mourante.

Si l'on pousse jusqu'à tragédie en musique de l'ère classique, il y a bien Andromaque de Pitra et Grétry, où le fameux cercle racinien des affections ne permet à personne d'être aimé en retour, puisque ledit cercle aboutit à Andromaque. Mais précisément, Andromaque est liée par un fils en plus de son serment, et incarne une forme de responsabilité familiale très différente de la dignité de Polyxène dont le statut de jeune fille n'est pas tout à fait comparable. Et le livret d'Andromaque, adaptant jusqu'aux vers de la tragédie parlée, a cinquante ans de plus que ce Pyrrhus !

Bref, une véritable originalité, qui ne présente pas vraiment l'amour sous son jour le plus lumineux.

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Et c'est en somme un bon livret.

Oui, vous êtes impatients, lecteurs révérés, d'entendre enfin un peu de musique.

Suite de la notule.

samedi 1 septembre 2012

Les disques du jour - LIII - Intégrale des lieder de Schubert, la Naxos Schubert Lied Edition (Eisenlohr)


1. Pourquoi ?

Après avoir commenté l'intégrale Hyperion, voici le commentaire de l'intégrale Naxos, une véritable aubaine à présent qu'elle paraît en coffret.

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2. Aspect général

Ulrich Eisenlohr, présent dans quasiment tous les volumes, est un pianiste solide, jamais prosaïque. Assez comparable à ce que fait Johnson chez Hyperion, en ce sens, mais avec une implication dramatique supérieure au ton de conversation paisible de son homologue anglais. Son toucher et la prise de son sont souvent un peu sourds côté piano, mais le résultat reste tout à fait convenable.

La cohérence éditoriale est meilleure que dans l'intégrale Hyperion : les volumes sont organisés uniquement par poètes, ce qui rend la logique générale beaucoup plus claire, et la répartition est réalisée avisément, sans obtenir beaucoup de volumes de miscellanées à la fin de l'intégrale, alors que la liste des compléments n'en finissait plus chez Hyperion...

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3. Contenu éditorial

J'ai écouté cette intégrale à partir des volumes séparés, je ne puis donc pas être précis sur le contenu de l'intégrale publiée en coffret. Pour les volumes séparés, on trouve d'appréciables descriptions du programme par Ulrich Eisenlohr, plus dans la perspective de mettre en relation les oeuvres que de les décrire de manière approfondie comme le faisait Graham Johnson. Attention, c'est en traduction anglaise seulement : ni la notice allemande originale ni de traduction française n'y figurent.

Aucun texte chanté n'est reproduit, ils sont en revanche disponibles sur le site de Naxos avec une traduction anglaise à des adresses du type : http://www.naxos.com/libretti/poetsofsensibility5.htm, mais de toute façon le site d'Emily Ezust (sur lequel on pourra trouver quelques traductions des lutins) a déjà fait tout le travail, avec beaucoup de traductions françaises de surcroît.

Certes, les textes sont chez Naxos prêts à imprimer, en PDF, mais le format n'est quand même pas furieusement pratique lorsqu'on a une intégrale à écouter.

Clairement, en termes de documentation, l'avantage est à Hyperion.

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4. Commentaire de chaque disque

Afin de pouvoir se décider, voici une petite description de chaque volume : oeuvres et poètes présentés, types de voix, interprétation. Sauf mention contraire, Ulrich Eisenlohr au piano.

Suite de la notule.

mardi 31 juillet 2012

Camarinha strikes back


Raquel Camarinha, déjà admirée avec son accompagnateur Satoshi Kubo lors de l'audition de la classe de Jeff Cohen l'an passé, revenait, avec un programme encore plus original, qui confirme ses forces. Le cadre moins favorable que l'intimisme extrême de la salle d'Art Lyrique du CNSMP accentue aussi quelques (très rares) traits moins flatteurs qui étaient naguère à peine perceptibles.
L'occasion de dire un mot des oeuvres... et de se poser des questions sur les enjeux d'un tel récital.

1. Le programme - 2. Le duo - 3. Le résultat

Suite de la notule.

dimanche 10 juin 2012

Rameau - Hippolyte et Aricie : la nouveauté et l'échec


1. Une nouveauté

Hippolyte & Aricie constitue le premier essai à l'opéra d'un compoiteur cinquantenaire, mais disposant d'une longue carrière théâtrale à venir. Sa réputation est flatteuse dans les histoires de la musique, et souvent chez les amateurs du genre. Je me garderai bien de porter un jugement sur les goûts de ces derniers, en revanche pour ce qui est de l'histoire, c'est à tort et à raison.

Incontestablement, lorsque cette oeuvre apparaît sur la scène de l'Académie Royale de Musique, le 1er octobre 1733, elle rompt avec tout ce qui pouvait être entendu jusqu'alors. Le succès est considérable, et les remaniements par Rameau durent jusqu'en 1757, tandis que les reprises se poursuivent tout au long du XVIIIe siècle.

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2. Une musique inouïe

Il faut se référer d'abord à cette notule sur le sens du mot italianisme dans la France musicale du XVIIIe siècle pour constater un peu où l'on se trouve à cette date.

Il existe déjà des poussées d'italianisme chez les compositeurs, controversées chez le public et la critique pour des raisons de chauvinisme plus que de goût - il suffit d'observer quels opéras, en dépit de ces critiques, ont progressivement eu le plus de succès...
C'est-à-dire, pour simplifier à l'excès la chose, qu'on y trouve des airs ornés plus virtuoses (ce que nous entendons volontiers aujourd'hui par italianisme à l'opéra), mais aussi une orchestration plus inventive et beaucoup plus d'audaces harmoniques.

Tout cela se rencontrait depuis longtemps, dès Médée de Charpentier (1693), Alcyone de Marais (1706), le Premier Livre de Cantates de Clérambault (1710), Idoménée de Campra (1712), les Leçons de Ténèbres de Couperin (1714)... Etonnamment pour nous, le genre galant avec ses danses omniprésentes et ses intrigues-prétextes (typiquement les opéras-ballets ou les tragédies galantes comme Omphale de Destouches) n'était pas du tout assimilé à l'Italie, mais bien au génie français, et il est exact que ce modèle provenait bel et bien de la Cour française.

Toutefois, pour Hippolyte & Aricie, un saut qualitatif considérable se produit.


Dessin de Jean Berain pour le Prologue d'Aricie, opéra de Louis de La Coste sur un livret de l'abbé Pic (1697).


=> Ornements : Les nombreux airs de caractère se multiplient, mais leur tonalité reste très française, avec une vocalisation plutôt limitée en longueur de souffle, et surtout appuyée sur les mots-types ("volez", "triomphez"...). C'est plutôt l'Amour qui fait des coloratures, et les scènes pittoresques sont celles de bergers ou de chasseur. Dans la pure tradition française, l'innovation n'est pas ici.
De même, au passage, pour le goût du décor, avec les contrastes spectaculaires entre le temple, les Enfers, le palais, la mer, la forêt... Le goût pour le Deus ex machina (présent à chaque acte !) est aussi très habituel de cette veine galantes qui débute en fait avec L'Europe Galante de Campra & La Motte (1697), simultanément avec la présentation de tragédies au langage musical plus italien et au contenu dramatique beaucoup plus sombre (cf. Philomèle de La Coste & Roy).


Ligne autonome des bassons dans Médée de Charpentier (Ballard 1693) et Hippolyte & Aricie de Rameau (édition manuscrite de 1757).


=> Orchestration et rythmes: Le goût italien avait déjà consacré le principe de soli autonomes du chant (et simultanés), mais Rameau pousse loin les alliages de timbres. Il est en particulier le premier compositeur en Europe à donner cette place autonome au basson : sur les partitions, il est désormais noté indépendamment de la basse continue, et peut disposer de solos (typiquement Tristes apprêts dans Castor & Pollux, où il tient la ligne mélodique à l'orchestre). Pendant l'acte des Enfers, il a même un rôle d'accompagnement et de coloration très important en solo. Ce n'est pas non plus une nouveauté complète (on trouve, ponctuellement, cette ligne indépendante).
Par ailleurs, Rameau multiplie et perfectionne les figuralismes sonores des événements climatiques, en particulier les tempêtes, en développant les intuitions de Marais dans Alcyone (1706) et en inventant d'autres procédés d'imitation du réel.
D'une manière générale, le goût pour les traits et fusées caractérise Rameau, beaucoup moins homophonique et massif que ses prédécesseurs, ouvrant réellement la voie à toute la suite du XVIIIe, au moins français.


Fusées ramistes à l'acte II d'Hippolyte & Aricie de Rameau dans l'édition de 1757.


=> Harmonie : C'est ici que Rameau fait le pas décisif. Même si la couleur harmonique peu paraître, à l'oreille, homogène et un peu stéréotypée comme chez ses devanciers, Rameau pousse en réalité très loin les innovations : les modulations sont fréquentes (alors qu'elles se faisaient généralement seulement entre sections / scènes / numéros), les audaces assez considérables (retards de septième et de neuvième, quintes augmentées passagères, voir en particulier le second trio des Parques).


Extrait du second Trio des Parques, à l'acte II. Edition Ballard 1742.


En fin de compte, Rameau, par l'accumulation de nouveauté, produit quelque chose de très différent et par son succès projette réellement l'opéra français dans un nouveau paradigme, où le souci de la prosodie le cède à l'éclat instrumental.

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3. Un livret redoutable

Le livret de Simon-Joseph Pellegrin a une vertu incontestable : il propose ce qu'on attendait de lui, un support à machineries spectaculaires. On ne compte plus les décors admirables, les descentes de dieux, les monstres effroyables, les scènes de caractère avec leur lot d'accessoires.
Pour faire bonne mesure, il permet même, au milieu de la tragédie domestique de Phèdre, d'aller un peu taquiner la Tisiphone aux Enfers.


Projet de Jean Berain pour le Palais de Pluton à l'orphique acte III du Carnaval de Venise de Campra sur le livret de Regnard.


Bref, un support idéal pour une musique qui se mêle avant tout de créer du climat, de la couleur, de l'effet. De ce point de vue, Rameau inaugure une particularité de la musique française qui éclatera tout particulièrement à partir de la fin du XIXe, lorsque les Français opposeront au goût de la forme celui du climat, où la musique n'est pas soumise à la logique d'un discours, mais à celle d'une évocation. Debussy contre Mahler.

Sur la qualité littéraire et dramatique, en revanche, ce livret offre une succession de caractères fantomatiques, de vers platissimes, de clichés épuisés, de tunnels de parole, de dialogues sans substance. Si bien qu'à la fin de deux heures et demie de théâtre, on a l'impression de ne connaître aucun personnage, de n'avoir rien vu se passer, et on peine à comprendre pourquoi cette débauche d'énergie de l'Autre Monde pour une histoire qui ne mériterait même pas mention dans l'omnisciente Bibliothèque d'Apollodore.
Outre que l'ensemble est assez mal écrit et très artificiellement collé, toutes les articulations psychologiques sont incompréhensibles (même avec le support de la scène, je me perds à chaque fois dans les répliques mal synchronisées des refus d'Hippolyte), alors qu'on s'étend en bavardages inutiles et contradictoires chez les suivants de Diane (qui défendent l'Amour).

Je ne m'étendrai pas plus avant à propos des faiblesses du livret de l'abbé Pellegrin, ne trouvant pas un intérêt énorme à démontrer la vacuité de la chose... mais si des lecteurs ont envie d'en débattre plus précisément, ce sera volontiers. Promis, je ne prendrai pas l'original de Racine comme argument.

Le plus intéressant est en réalité de constater, à quelque temps de la Querelle entre Anciens et Modernes, la christianiformisation avancée du panthéon antique : l'Amour incarnant au moins autant la Charité que les passions érotiques, Diane présidant à la chasteté au sens de la tempérance matrimoniale, le Destin interventionniste (hérésie !) représentant la Providence, etc.
Cette tendance à l'assimilation des divinités antiques aux valeurs chrétiennes trouvera son apogée chez Rameau dans le Zoroastre de Louis de Cahusac, où le rôle-titre tient le rang d'une sorte de Christ cryptique qui serait relu par les Maçons.

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4. Légitimité scénique

Considérant personnellement cette oeuvre comme assez moyenne, alternant quelques moments spectaculaires (les Parques !) ou séduisants (l'ensemble de la chasse), culminant dans les superbes duos et ensembles de l'acte IV, j'admets cependant tout à fait qu'elle tient un rang particulier dans l'histoire de l'opéra français.

Pas à cause de Racine, dont il ne reste plus rien : entre les vers de mirliton et le théâtre à machine, il serait difficile de trouver un point commun, à part la loitaine subsistance du personnage de Phèdre, de toute façon complètement vide de substance.

Mais musicalement et esthétiquement, on se trouve à un point de fracture que l'adhésion du public a rendu irréversible.


Batteries de cordes à l'italienne et fusées dans la partition d'orchestre d'Hippolyte & Aricie (édition de 1742 publiée par Jean-Christophe Ballard).


Ayant lu les propos très engageants d'Ivan Alexandre sur sa conception de la mise en scène, faisant écho à ce qu'on a pu dire ici même sur le caractère inspirant de l'authenticité, mais absolument illusoire (n'ayant pas lu les mêmes livres ni écouté les mêmes musiques, n'écoutant pas l'oeuvre dans l'effervescence, etc.), avec beaucoup de finesse d'ailleurs - on tenta de se confronter scéniquement à l'oeuvre.

D'autant que la légendaire production de Gardiner et Pizzi (Aix 1983) qui disposait de magnifiques organes (Yakar, Norman, Aler, van Dam, Bastin !) était jouée à un tempo impossible, avec une mollesse du récitatif et un statisme de la direction d'acteurs qui ne permet pas de juger des qualités dramatiques éventuelles de l'oeuvre.

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5. Toulouse 2009 - Paris 2012 : la mise en scène

Suite de la notule.

mercredi 25 avril 2012

Liège, Opéra Royal de Wallonie 2012-2013


La saison scénique, malgré sa (relative) limite en nombre de titres, fait le choix de l'originalité de façon assez impressionnante : sur dix productions, trois premières mondiales (toutes belges et en français) et deux oeuvres pas très fréquemment jouées en Europe. Et les autres oeuvres n'étant pas les Da Ponte, ni la Trilogie verdienne, ni Tosca, on ne peut que se montrer admiratif.

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Raretés absolues :

Grétry, L'Officier de Fortune

Malgré son titre, il s'agit d'un drame (sur un livret de Favières en trois actes) et non d'un opéra comique, ce qui peut produire quelque chose d'intéressant.

Grétry, Guillaume Tell

Une oeuvre inégale (les parties d'enfant, déjà éprouvantes par nature, sont écrites de façon particulièrement nunuche) mais qui contient de considérables beautés (l'air d'imprécation de Guesler !).

On bénéficie d'une distribution de feu : Anne-Catherine Gillet, Marc Laho, Lionel Lhote !

Et une grande interrogation pour Claudio Scimone à la direction... Scimone aujourd'hui, avec un orchestre traditionnel et dans du Grétry, voilà au moins trois grandes questions !

J'ai assez envie de me déplacer à Liège pour l'occasion, si aucune retransmission n'est prévue.

César Franck, Stradella

Suite de la notule.

mercredi 4 avril 2012

Décadence des décadents


Non seulement il n'y a plus de saisons, mais en plus, même la décadence n'est plus ce qu'elle était.

Certes, elle avait toujours les mêmes yeux. Mais, si les yeux sont les fenêtres de l’âme, il est certain qu’une autre âme y émergeait aujourd’hui que dans ceux, toujours présents, de la morte. Jane, douce et réservée d’abord, se lâchait peu à peu. Un relent de coulisses et de théâtre réapparaissait. L’intimité lui avait rendu une liberté d’allures, une gaîté bruyante et dégingandée, des propos libres, son ancienne habitude de toilette négligée, peignoir sans ordre et cheveux en brouillamini, toute la journée, dans la maison. La distinction de Hugues s’en offensait.

Suite de la notule.

dimanche 19 février 2012

[CE] Mendelssohn, Magnificat : servile et brillant


(Vidéo ci-après.)

Ce Magnificat de Mendelssohn pose une question. Comment peut-on à la fois être aussi ostensiblement groupie d'un modèle audiblement vénéré hors de toute mesure (Bach, en l'occurrence)... et produire quelque chose de supérieur à l'original ?

Suite de la notule.

dimanche 8 janvier 2012

Jean-Chrétien BACH - Amadis de Gaule sur scène (Versailles / Opéra-Comique)


Après avoir insisté sur l'intérêt de cette partition, pas la meilleure de ces années, mais d'excellente facture néanmoins, il est peut-être nécessaire de revenir sur la réalisation qui en a été faite à Versailles et l'Opéra-Comique, et qui, bizarrement, ne fonctionnait pas bien.

Suite de la notule.

lundi 12 décembre 2011

[Sélection lutins] Anthologie de musique sacrée


Sur le modèle des précédents Goblin Awards (symphonies, quatuors, opéras rares...), une petite sélection de Carnets sur sol : une suggestion de parcours, purement subjective, à travers les innombrables oeuvres sacrées disponibles (pour la plupart) au disque.

Suite de la notule.

jeudi 22 septembre 2011

R. Strauss - Salomé d'intérieur - (Steinberg / Engel / Denoke / Uusitalo, Bastille 2011)


Alors qu'il est rarissime que je me déplace à l'Opéra pour y assister à un titre déjà vu en salle (je ne l'ai fait, à ce jour, que pour le Vaisseau Fantôme et Atys...), j'ai lu un très grand nombre de critiques ou de témoignages signalant la faiblesse de la mise en scène d'Engel, en particulier par rapport à l'ancienne de Dodin.

Et il se trouve que j'ai remarqué l'inverse. D'où mon petit mot.

D'abord, le principe de faire alterner plusieurs productions d'une même oeuvre lorsqu'elles demeurent en état de marche, celle de Lev Dodin ayant déjà servi plusieurs fois dans la décennie, me paraît une initiative séduisante, quel qu'en soit le résultat.

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1. Scénographie

La scène unique se trouve, à rebours du livret, dans un endroit fermé, éclairé par l'ajourement de fenêtres à moucharabieh.

Néanmoins, il s'agit bel et bien d'un espace d' "extérieur", par opposition au palais : une sorte de grange ménagée sous des voûtes hautes, sans mobilier, et peut-être ouverte sur l'extérieur (côté public). C'est l'endroit où Hérode fait installer à même le sol une nappe et quelques victuailles.

L'endroit n'a pas la poésie lunaire si bien réussie par Dodin (bien plus séduisant visuellement), mais il propose quelque chose de différent, assez étouffant, car, ainsi que l'est finalement la terrasse, elle demeure un endroit dont l'accès et la sortie de sont pas libres. La mise en scène d'Engel ménage un certain nombre d'entrées et sorties, indépendamment des personnages chantants, qui matérialisent cette vie de palais et cette impression d'être enfermé et épié.

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2. Direction d'acteurs

Alors qu'on pouvait s'attendre, après avoir lu les commentaires, et faisant face à une reprise, à un peu de statisme, à des poses convenues, on pouvait au contraire assister à de jolies trouvailles, qui éclairaient assez bien le texte - alors que Dodin, pourtant d'ordinaire plus aventureux que Engel, s'en tenait bien plus, et avec un certain bonheur, à la lettre du texte.

Bien sûr, vu la longueur des tirades et la façon "classique" d'Engel, certains moments - par exemple le dialogue entre Salomé et Jean-Baptiste - se révèlent un peu en deçà du potentiel du texte, un peu figés ou convenus.

Mais par bien d'autres aspects, de la vie et de la nouveauté sont apportées. Le personnage de Salomé suit une véritable évolution, d'abord primesautière (elle joue quasiment à cache-cache quand Jokhanaan quitte sa citerne), puis progressivement prostrée, dévorée par cette première déception amoureuse. Ce n'est pas hallucinant de profondeur, mais assez exact et vraiment bien réalisé.

Ce qui a le plus suscité mon intérêt réside dans le traitement des personnages secondaires, en particulier l'étude du rapport entre Hérodiade et Hérode. D'habitude, ce sont des personnages de caractère, assez histrioniques, qui apportent de vives touches de couleur sur les plans aussi bien psychologique que musical.
Ici, Engel a ajouté un certain nombre de gestes qui racontent, avec beaucoup d'économie, toute une histoire de ce qui a pu se passer dans les années antérieures, entre ces deux époux qui ne s'estiment pas, mais qui ont conservé de leur union criminelle quelque chose d'une tendresse dictée par l'habitude. Le geste le plus fort de toute la soirée se trouve pendant ces quelques mots :

du, die schöner ist als alle Töchter Judäas ?

toi qui es la plus belle de toutes les filles de Judée ?

Hérode, tout en vantant Salomé, pose sa main sur Hérodiade, comme pour atténuer l'affront qu'il lui fait, un petit signe d'excuse : "ce n'est pas contre toi, tu as fait ton temps et elle est belle, mais je ne cherche pas à te comparer". De la même façon, Hérodiade s'empresse machinalement auprès d'Hérode lorsque celui-ci se demande s'il a froid - ce qui paraît a priori en décalage avec son statut de souveraine et ses paroles méprisantes, mais crée tout un arrière-plan de vie quotidienne moins conflictuelle derrière les deux personnages.

En somme, donc, sans rien de révolutionnaire, une mise en scène solide, avec de beaux détails (le vent surnaturel qui souffle du sable lors de l'ouverture de la citerne est assez joli !), parfois nourrissants. Et finalement plus de contenu que chez Dodin, que j'avais déjà beaucoup aimé, mais trouvé moins "instructif".

Seule la scène finale est assez vide, Salomé restant immobile dans son rond de lumière en front de scène, à genoux devant le plat.

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3. La danse de sept voiles

Suite de la notule.

dimanche 15 mai 2011

Atys de LULLY par Christie / Villégier à l'Opéra-Comique : 1987-2011


Présentation de l'oeuvre, et détail des représentations.

Au programme : fortune historique, spécificités du livret, caractères de la musique, production de 1987, représentations de 2011.


Suite de la notule.

samedi 16 avril 2011

Paul DUKAS - Ariane et Barbe-Bleue - Pleyel 2011, Radio-France, Deroyer : Karnéus, Haidan, Hill, Cavallier, Harnay, de Negri...


1. Un livret

Maeterlinck est surtout resté célèbre pour son Pelléas et Mélisande, grâce à la surface médiatique de Debussy, mais on associe souvent abusivement, de ce fait, sa poésie dramatique à un univers uniquement allusif.

Certes, le silence, les réseaux symboliques horizontaux, la puissance de l'imaginaire stimulé par les "blancs" dans ce que signifie le texte, tout cela y a le plus souvent sa part (si l'on excepte certaines pièces un peu hors de la norme comme son Oiseau bleu).


Néanmoins, dans d'autres pièces, et pour s'en tenir à l'opéra, dans les livrets pour Dukas et Février, il en va autrement. Le livret d'Ariane développe au contraire une succession d'actions et d'opinions très nettes, même si Maeterlinck ménage un assez grand nombre d'interstices. Il ne s'agit pas vraiment un poème dramatique chargé de représenter une vignette, une part de vie ou de réalité humaine, mais davantage d'un apologue plus ou moins clos pour lui même, qui amène une démonstration.
Evidemment, une démonstration façon Maeterlinck, avec tout ce que cela suppose de parentés avec les fromages savoyards.

Maeterlinck le considérait comme un libretto d'opéra féérique, sans prétention, et il est un fait que sa portée reste plus limitée que d'autres de ses ouvrages, malgré son très grand sens de l'atmosphère. Le titre complet nous renseigne au demeurant fort bien sur son caractère de fable : Ariane et Barbe-Bleue ou La Délivrance inutile. L'oeuvre a en effet tout d'une représentation, sur un mode à la fois allégorique et domestique, de la servitude-volontaire.


La différence serait encore plus flagrante avec Monna Vanna, puisqu'il y est question assez ouvertement de viol (l'épouse de Guido Colonna, gardien d'une place assiégée et clairement située géographiquement, dont se livrer nue sous un manteau au chef ennemi pour permettre de sauver la ville), et que les scènes d'amour ont quelque chose des bluettes sentimentales qu'on voyait sur les écrans en France dans les années trente, à coups de souvenirs nostalgiques d'enfances à la campagne.
Sans parler du final de transfiguration des amants : bref, la recette de Pelléas n'est pas unique chez Maeterlinck, même si plusieurs traits, en particulier dans l'expression verbale, perdurent.

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2. Une musique

Sans que je puisse m'expliquer tout à fait pourquoi, je rencontre toujours une grande difficulté à caractériser la musique de cette oeuvre, assez loin des habitudes de Dukas, et tout à fait singulière bien que parfaitement inscrite dans le courant des novateurs français de l'époque.

Le langage est tout à fait classable esthétiquement : on est dans ce postwagnérisme transcendé par le nouveau goût français, celui des opéras de Chausson, d'Indy, Lekeu, Debussy, Dupont, Fauré, Cras, Ropartz, Février... et dans un registre moins onirique (pour les sujets ou pour les musiques) les opéras de Bruneau, Lazzari, Magnard, G. Charpentier, Bloch, Hirchmann...

La lecture de la partition montre elle aussi beaucoup de similitudes avec Pelléas, montrant des alternances d'aplats - où tout passe par l'harmonie et l'orchestration - avec des tournures rythmiques plus complexes (notamment le goût pour les surpointés, les fusées qui ne démarrent pas sur le temps, et bien sûr l'alternance fréquente, voire la superposition, entre binaire et ternaire). Ici aussi, la déclamation est réinventée pour être la fois "vraie" prosodiquement (ce n'est pas tout à fait réussi) et liée à la musique, détachée des inflexions quotidiennes.

Pourtant, quelque chose (m')échappe dans cette oeuvre. Toujours tendue, continue, sombre, avec quelques rayons aveuglants de clarté (en symbiose impressionnante avec la question centrale du retour à la lumière dans le livret), mais si difficile à décrire : ça ne sonne pas comme du Wagner bien que ça hérite totalement de sa conception du drame (longues tirades, continuité absolue, prééminence de l'orchestre, "abstraction" de la prosodie avec des mélodies assez disjointes, invention continue de l'harmonie, expressivité majeure des timbres instrumentaux), ça ne sonne pas non plus comme du Debussy bien que ça en soit totalement parent (couleurs harmoniques, carures rythmiques, type mélodique, conception de l'orchestre, et même des citations de Pelléas [1]). C'est peut-être bien le versant français qui est le plus fuyant, plus difficile à organiser en critères vérifiables : au fond, on pourrait penser en en écoutant des extraits que cette musique est tout aussi bien allemande (pas si lointaine du Barbe-Bleue de Bartók non plus, dans l'invention et la chatoyance orchestre des ouvertures de portes).


Bref, la densité, la pesanteur de son ton ont quelque chose d'assez singulier, qui sonne homogène mais qui se trouve comme déchiré par différents moments toujours radieux et étonnants : l'ouverture des portes, l'amplification spectaculaire du chant des femmes prisonnières depuis le souterrain, quand la porte interdite est ouverte (un choeur toujours plus nombreux et toujours plus soutenu par l'orchestre), les apparitions de la lumière, l'entrée des paysans au III, et d'une façon générale l'ensemble de l'acte III (caractérisations de chaque épouse, ou encore la fin).

Une vraie personnalité là-dedans, même si, me concernant, j'avoue volontiers que cet opéra est, parmi la première partie de la liste (des postwagnériens "oniriques") que je proposais plus haut, bien moins prenant que la moyenne (au niveau de Pénélope de Fauré et d'Antar de Dupont, deux opéras dans lesquels je me laisse un brin moins transporter). Il me faut à chaque fois l'ensemble de l'acte I pour être réellement plongé dans l'oeuvre.

Mais il est vrai qu'ensuite, et à plus forte raison en salle, lorsqu'on débouche sur les folies musicales de cet acte III, nourri au demeurant par un livret qu'il épouse d'assez près... ce n'est pas une petite impression qui se ressent.

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3. Problèmes d'interprétation

D'abord, il faut dire le bonheur de tous les lutins du monde d'entendre cette musique en concert. Ceux qui s'y sont prêtés ne sauraient être assez remerciés.

Notes

[1] On entend bien sûr la citation du motif de Mélisande dans l'oeuvre de Debussy, dans la même orchestration, lorsqu'elle est présentée à Ariane, puis lors de l'éloge de ses cheveux, de façon plus ostentatoire aux cordes. On retrouve au passge quantité de liens dans le livret avec le traumatisme aquatique, le moment de midi... Mais on entend aussi à plusieurs reprises des motifs musicaux qui font songer aux entrées subites de Golaud aux actes III et IV, ou bien aux souterrains. La composition d'Ariane débute en réalité un an avant la création de Pelléas, commencé bien auparavant, d'où l'hommage évident et les influences sous-jacentes.

Suite de la notule.

lundi 31 janvier 2011

Camillo Boito (1836-1914) - Mérimée rude, au pays de la scapigliatura


Camillo Boito, bien que peu fêté en France, dispose tout de même de deux titres de gloire.

Suite de la notule.

dimanche 31 octobre 2010

La variation - La vérité sur les diminutions françaises - Bénigne de Bacilly - A 2 Violes Esgales - Monique Zanetti


... ce n'est pas là le grand titre d'une réflexion sur la décadence nationale, mais simplement l'évocation de la tradition de la variation en France au XVIIe siècle.

1. La variation

Un bref rappel pour nos lecteurs qui ne seraient pas familiers de la notion. Les autres peuvent directement se rendre à l'entrée §2.

1.1. Principe

L'ère baroque ne pratiquait pas le développement (transformation ordonnée d'une même idée musicale) aussi volontiers que chez les classiques et les romantiques. On utilisait des couplets identiques, ou bien on juxtaposait des épisodes de caractère différent.

L'usage était, dans les exécutions raffinées des musiques à couplets, de varier les reprises. C'est ce que l'on nommait en France les ornements, à distinguer des agréments (qui sont les petites notes "de goût", mordants, port-de-voix, appoggiatures, que le compositeur ou les modes d'exécution ajoutaient pour procurer plus de relief aux phrases musicales). On appelle aussi ces "ornements" des diminutions, parce qu'on utilise plusieurs valeurs rythmiques plus brèves pour exécuter la valeur rythmique d'origine (plus longue).
Enfin, on parle plus généralement de variation pour désigner l'ornementation d'un même thème repris plusieurs fois. Chez les baroques français, le mot de doubles pour désigner les variations est la norme (car ce sont à la fois des duplicata d'un original, et des augmentations en nombre de notes).

La variation / diminution / ornementation était donc un des procédés privilégiés pour faire durer un morceau, c'est-à-dire qu'on renouvelait sans cesse le matériau rythmique, sans changer l'harmonie en principe (à l'ère classique, on fait des incursions en mineur, mais on ne module pas). Il existe cependant des cas (Magnificat H.73 de Charpentier par exemple) où le compositeur indique expressément des harmonies différentes à chaque reprise : la basse reste la même, mais pas les accords.

1.2. Et concrètement ?

Exemple d'un thème (Variations K.179 de Mozart) :


Et voici ces trois mêmes mesures transformées dans la onzième variation :


On constate très aisément que les valeurs sont plus brèves (d'où le nom de diminutions), le débit plus rapide à tempo égal, le nombre de notes supérieur.

1.3. Et sans musique ?

Pour ceux de nos lecteurs qui ne liraient pas du tout la musique, on pourrait expliquer le principe de la variation ainsi avec des mots :

Thème :
Le chat danse.

Variation 1 :
Le chat bleu et blanc danse.

Variation 2 :
Jovial, le chat de Violette et Suzanne danse.

Variation 3 :
Le chat qui observe le beurre fondre danse.

Variation 4 en mineur :
Le chat qui observait le beurre fondre danse.

Variation 5 :
Le chat dont la queue est mauve danse.

Variation finale :
Le chat jovial qui observe le beurre fondre dans la rue danse.

On voit donc que la quantité d'informations s'intensifie dans une même phrase. Or, la variation, en musique, ne s'étend pas à la manière du langage, en ajoutant des expansions qui allongent la durée de la phrase. La phrase ne dure pas plus longtemps, mais dans cette même durée, on va donner plus d'informations, avec des rythmes plus nombreux - et plus brefs (c'est pourquoi on parle de diminutions).

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Il en allait donc de même pour thèmes variés dans la musique baroque française, même si la variation n'y était pas synonyme - comme dans l'opéra seria ou bien à l'ère classique et romantique - de rapidité et de virtuosité accrues. En particulier dans les chaconnes orchestrales, le thème circule dans les différentes parties sans forcément s'agiter très significativement.

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2. La vérité sur les diminutions françaises

La variation, à l'époque baroque, n'était généralement pas écrite. Le compositeur pouvait imposer certains agréments (voir §1) en plus de ceux ajoutés par les interprètes, mais l'ornementation des reprises n'était pas prévue. On trouve ainsi quantité d'airs répétés simplement qui peuvent nous paraître charmants mais un peu plats ou répétitifs, alors qu'ils étaient censés être variés.

Mais dans quelle mesure faut-il varier ? On dispose bien sûr de témoignages, de données musicologiques, de conseils dans les traités... mais pas des partitions dans la plupart des cas. Alors, quelle juste mesure entre le changement timide de quelques valeurs (puisque cela suppose de modifier aussi la mélodie, acte lourd de conséquence qui fait de l'interprète un co-compositeur !) et la surcharge ridicule de virtuosités superfétatoires ?

Après une période assez longue où les interprètes de la renaissance du baroque n'osaient pas ornementer les reprises, on a assisté à un développement du goût de l'ornementation, plus audacieuse désormais qu'il y a quelques années, mais qui reste encore à la marge, surtout dans le domaine du baroque français où cela ne se fait quasiment pas.

En cela, la découverte toute récente d'un exemplaire de L'Art de bien chanter, et particulièrement en ce qui concerne le Chant Français de Bénigne de Bacilly (1625-1690, qui était déjà une source privilégiée pour la théorisation des modes de déclamation lyrique, mais dont cet ouvrage précis semble n'avoir jamais exhumé) a été un témoignage de première main pour tous les amoureux de la période. Car on y trouve, chose assez peu ordinaire, le contenu des ornementations pour les reprises des chansons de cour qui y sont proposées !

Et l'on s'aperçoit de ce que la virtuosité des diminutions était absolue, en tout cas en termes de quantité et de rapidité, à telle enseigne que les lignes mélodies disparaissent totalement sous les débordements de notes rapides. L'ambitus vocal utilisé reste toujours assez court, mais l'agilité est elle maximale. En réalité, c'est la démesure qui était la norme, avec un résultat étonnamment italianisant.

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3. Programme A 2 Violes Esgales & Monique Zanetti

Cette découverte s'est faite par la remise d'une édition de cet Art de bien chanter à Sylvia Abramowicz et Jonathan Dunford, les deux gambistes fondateurs de l'ensemble A deux Violes Esgales. Découvrant la richesse et la précision des diminutions, ils se sont empressés de le préparer avec leur ensemble pour en proposer la substance au public, substance qui sera bientôt proposée sur disque, soit par Casa Editions comme le précédent disque Boësset, soit par le label attaché au délicieux Théâtre de l'Archipel, Saphir Productions, qui produisait le concert.

Car c'était ce qui constituait le programme d'une soirée donnée dans le cadre extrêmement intime de l'Atelier de la Main d'Or (une cinquantaine de places très serrées sans une pièce des dimensions d'une grande salle à manger), en alternance avec des pièces instrumentales du milieu du XVIIe siècle.

Bénigne de BACILLY
1a Fleurs qui naissez sous les pas de Sylvie
1b Je brûle jour et nuit

Louis COUPERIN
2 Fantaisie de Violes par M. Couperin

Bénigne de BACILLY
3a J'ay mille fois pensé
3b Quand des subçons

Nicolas HOTMAN
4 Chaconne pour le théorbe

Bénigne de BACILLY
5a Qui conte les faveurs mérite qu'on l'en prive
5b Sortez petits oiseaux

François DUFAUT
6 Prélude, Allemande, Courante (extraits de la suite en ut mineur)

Bénigne de BACILLY
7a Estoille d'une nuict plus belle que le jour
7b Que je vous plains, tristes soupirs
7c Vous l'avez entendu, ce soupir tendre et doux

Jean de SAINTE-COLOMBE
8 La Rougeville, chaconne extraite des concerts à deux violes esgales

Bénigne de BACILLY
9a Que l'on m'assomme
9b Je vivais sans aimer

François DUFAUT
10 Sarabande et Gigue extraites de la suite en ut mineur

Bénigne de BACILLY
11a Mon cher troupeau cherchez la plaine
11b Le printemps est de retour

Bis : à nouveau la première pièce du programme

Monique Zanetti, soprano
Paul Willenbrock, basse
Sylvia Abramowicz, dessus & basse de viole
Jonathan Dunford, basse de viole
Claire Antonini, luth
Thomas Dunford, théorbe, archiluth & guitare baroque

Un programme admirablement équilibré, donc, qui ménage sans entracte 115 minutes de musique de haute volée. Tout d'abord, une formation idéale, sobre et dépouillée, sans clavecin, mais riche dans ses alliages timbraux : deux cordes frottées et deux cordes grattées, sur des instruments de diverses hauteurs.

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4. Les compositeurs

La musique de Bénigne de Bacilly__ est d'un grand raffinement, et se place parmi les grands auteurs d'airs de cour, aux côtés de Moulinié, Lambert ou Guédron, sans atteindre peut-être la qualité des meilleures pièces de ceux-ci, bien moins uniforme que Boësset. Il y a chez lui une forme de délicatesse omniprésente, jusque dans les airs à boire, et même une petite italianité qui s'entend d'autant mieux dans ces redoutables diminutions très nombreuses et rapides jusqu'à déformer complètement la ligne originale.
Beaucoup d'airs à deux voix également, comme c'était alors la coutume, même lorsque le texte est écrit à la première personne : on trouve la même souplesse que pour le lied par exemple, où une femme peut tout à fait chanter, en je, l'amour d'un homme pour sa bergère... ou sa meunière.

Les intermèdes instrumentaux, eux, présentent le meilleur de la musique instrumentale du XVIIe siècle. Louis Couperin pour viole a un relief assez extraordinaire, où son austère mélancolie trouve, plus encore qu'au clavecin, des échos très humains. La chaconne de Nicolas Hotman surprend par la qualité de son écriture, alors qu'à son époque la tradition n'avait pas encore la générosité à laquelle on pense désormais. Les variations de Sainte-Colombe dans la chaconne La Rougeville s'inscrivent, en écho à Bacilly, dans une tradition assez italienne, avec une grande virtuosité ; assez dépouillé, son langage harmonique n'en est pas moins bien plus touchant pour moi que ce que produit la génération suivante. Enfin, le sommet de la soirée était peut-être la suite en ut mineur de François Dufaut, qui n'a pourtant pas les hardiesses de Jacques Gallot ni même les originalités de Vieux-Gaultier. Et pourtant, grâce à cet arrangement pour luth et archiluth dû aux interprètes, ce soir-là, dans sa sobre poésie, François Dufaut était le plus grand compositeur pour luth du monde.

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5. Les interprètes

Suite de la notule.

mardi 14 septembre 2010

Poulenc en anglais & Barber en français - [Le Roux, Cohen, Adyar]


[On en profitera, comme d'habitude, pour proposer une présentation des corpus.]

La toute jeune Association Capricorn (2009 !), consacrée au rayonnement français de la musique de Samuel Barber, produisait un récital très intéressant dans le cadre confortable (acoustiquement) d'un des tout petits théâtres de Paris, la Salle Adyar. S'y croisaient mélodies et songs des deux compositeurs, grands amis, avec une brève présentation de Pierre Brévignon, président de l'Association, et quelques indications remarquablement érudites (et claires), lors des bis, de François Le Roux.

Le concert, filmé sous plusieurs angles, sera sans doute disponible auprès de l'association.


Très joli parallèle visuelle de la plaquette, dont nous conservons donc l'illustration pour notre compte.


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1. Contenu

Les partenaires de toujours, François Le Roux et Jeff Cohen, interprétaient le programme suivant, contenant un certain nombre de classiques, marqués par des astérisques (même si on les entend peu en concert !), et aussi des choses rares. Les deux compositeurs, et singulièrement Barber, étant peu servis au concert (et encore moins ensemble !), c'était de toute façon une occasion délectable.

Francis POULENC : Fancy
Francis POULENC : 2 Poèmes de Louis Aragon**
Samuel BARBER : Hermit Songs**
Francis POULENC : Banalités**

ENTRACTE

Samuel BARBER : Mélodies Passagères*
Francis POULENC : Tel jour, telle nuit
Samuel BARBER : 3 Songs Op.45

Bis :
Francis POULENC : Dernier poème
Samuel BARBER : Last song
Francis POULENC : Fancy

Je précise peut-être par honnêteté, pour que le lecteur ait une idée d'où je parle, que Poulenc, n'est pas, et de loin, le compositeur de mélodies qui m'est le plus cher. J'y trouve des platitudes prosodiques ou des trivialités qui me font lui donner une place moins centrale que celle qu'il occupe généralement lorsqu'on parle de mélodie française. De façon un peu différente, alors que j'admire sans bornes Barber dans sa musique pour piano et que je rêve d'une remise à l'honneur de Vanessa sur les scènes, ses deux grands cycles de mélodies m'avaient jusqu'ici peu bouleversé.

Ce récital confirme certaines choses qu'on peut entendre au disque, mais que les quantités homéopathiques administrées lorsque ces compositeurs apparaissent dans un programme ne permettent que rarement de vérifier sur scène.

Les mélodies de Poulenc sont toujours écrites dans un entre-deux mêlant la consonance agréable, presque rétrograde, et des sortes de distorsions harmoniques, comme si les accords étaient perçus par un miroir déformant. C'est idéal pour le ton burlesque qu'il affectionne, pour cette écriture sans façons qui entre très bien en résonance avec la désinvolture, fausse ou réelle, affichée par ses poètes.
On retrouve néanmoins ici, dans ces abondantes pièces, une forme de recette récurrente, que ce soit avec les cavalcades à la façon de catalogues (tournures mélodies et rythmiques, "solutions" de composition très proches), ou bien avec ses mélodies un peu psalmodiées, soit un peu peu plates (notes répétées ou très conjointes), soit assez déceptives, refusant résolument le moindre lyrisme, assumant et revendiquant un prosaïque parfois un peu frustrant. Par ailleurs, sa fascination pour la litanie est patente, aussi bien dans le choix des poésies que dans les formes répétitives de son écriture ou dans l'aspect des mélodies.

Fancy (1959) est la seule mélodie en anglais de Poulenc, sur un extrait délicieux du Marchand de Venise de Shakespeare (III,2), très consonante sans jamais donner dans la naïveté, quelque chose d'une chanson ancienne rieuse teintée de romantisme légèrement mélancolique. Très beau. La pièce est redonnée comme dernier bis, de façon très avisée.

Les Deux poèmes de Louis Aragon ("C" et "Fêtes Galantes", 1943) sont très souvent enregistrés et assez régulièrement joués. On retrouve ici la poésie un peu paresseuse d'Aragon, avec ses fulgurances de vocabulaire d'un premier jet inspiré, mais comme sans retouches, avec un sens flou, des parallélismes faciles, une cohérence sacrifiée à une jolie consonance, etc.
Poulenc en tire de belles choses poétiques dans "C", en donnant presque un sens narratif à ce non-sens : en ce qui concerne Aragon, la recherche du son avec un sens très décousu et une syntaxe indéfinie a quelque chose d'un futurisme à la russe, avec "le mot en tant que tel" de Khlebnikov et Kroutchonych (de sens moins précis que l'un, sans verser dans l'abstraction phonématique de l'autre), mais avec quelque chose d'un peu mol et galant.
"Fêtes galantes" est l'une des nombreuses cavalcades prisées par Poulenc, très réussie, qui donne vu la rapidité du débit la priorité au flux musical, ce qui diminue peut-être la richesse de sens du poème, mais qui lui permet aussi de survivre de façon convaincante - alors qu'à la lecture, on peut discuter...

Les Banalités (Chanson d'Orkenise ; Hôtel ; Fagnes de Wallonie ; Voyage à Paris ; Sanglots - 1940) sur les textes d'Apollinaire ont peu besoin d'être présentées. Leur célébrité, mais aussi le caractère badin et immédiat de leur ton, jamais dépourvu d'un charme un peu canaille, les rendent tout de suite sympathiques. En cela, Poulenc épouse remarquablement la désinvolture affichée par Apollinaire dans des poèmes qui ne sont pas ses meilleurs, mais qui livrent beaucoup de choses une fois mis en musique.
La dernière est un peu plus solennelle et moins personnelle, aussi bien de texte que de musique, mais l'ensemble demeure bref et frappant.

Tel jour, telle nuit (1936-1937) était l'autre rareté du concert, côté Poulenc : cinq poèmes de Paul Eluard, dans lesquels on retrouve . Il vaut dire que la simplicité affichée de cette poésie me semble toujours plus décousue que réellement inspirée, considération certes hautement subjective, mais qui n'aide pas, une fois encore à apprécier ces mélodies autant que d'autres auditeurs peuvent le faire. Les choix de poèmes sont la véritable malédiction de la mélodie française... et Poulenc a malgré tout, dans l'esthétique qui était la sienne, choisi autre chose que les terribles bluettes que beaucoup d'auteurs du XIXe siècle peuvent mettre en musique (même les Hugo les plus choisis sont les plus mièvres...).
Neuf poèmes dans ce cycle : "Bonne journée", "Une ruine coquille vide", "Le front comme un drapeau perdu", "Une roulotte couverte en tuiles", "A toutes brides", "Une herbe pauvre", "Je n'ai envie que de t'aimer", "Figure de force brûlante et farouche", "Nous avons fait la nuit".
On y retrouve beaucoup (arrivant en dernier) les mêmes formules : petits refrains anodins, lignes mélodiques délibérément aplaties, mouvements lents dépouillés, syllabations débridées et burlesques. La thématique dualiste "jour / nuit" est assez agréable dans le cadre d'un cycle et se trouve assez bien exploitée par Poulenc. Pas forcément un cycle majeur, mais assez supérieur à ceux qu'on choisit généralement lorsqu'on joue Poulenc (notamment les Chansons gaillardes et Chansons villageoises). Néanmoins pas de la personnalité du Bestiaire ou des Banalités.
Bref, rien de majeur, mais bien plaisant !

Les trois cycles de songs de Barber présentés sont très rarement donnés en concert, et on disposait ici notamment des deux seuls un peu célèbres.

Les Mélodies Passagères (1950-1951), sur des poèmes français de Rainer Maria Rilke, reste avant tout une curiosité : le piano demeure intéressant (on y revient tout de suite), mais la prosodie assez plate et le mélodisme toujours faussement erratique produit, sur ces poèmes déjà un peu lisses, l'impression qu'on se trouve un peu... nulle part. Le but des phrases musicales est difficile à cerner, comme si on ressentait ici plus qu'ailleurs une forme d'arbitraire qui donne le sentiment d'un à quoi bon ?. Beau cycle au demeurant, mais le plaisir y reste très inférieur aux deux autres, parce que l'objet ressemble plus à une esquisse qu'à un aboutissement.
Il est piquant de constater qu'ayant été interrogé par Barber, Poulenc l'avait rassuré sur sa qualité prosodique - certes très respectueuse, mais peu naturelle et surtout peu expansive... exactement comme ce qu'il fait en anglais, et pas si loin du côté psalmodique de Poulenc en français, évidemment ! Le conseil n'était donc pas si bon, mais il fallait considérer à qui on le demandait, aussi !

Les Hermit Songs (1953) constituent de leur côté le corpus mélodistique et songuisant le plus célèbre de Barber. Avec quelque raison d'ailleurs, révèle la confrontation aux deux autres recueils de ce concert. En voyage en Irlande, le compositeur rencontre dans une anthologie comprenant de singuliers poèmes recueillis à partir de manuscrits de moines copistes. Ceux-ci, littéralement en marge des textes qu'ils calligraphiaient, écrivaient quelques textes de leur cru, prière sincère et naïve, apologues chrétiens pas toujours très en conformité avec la doctrine ou même pensées plus profanes. On rencontre ainsi, dans ces pensées dont la production s'étend du VIIIe au XIIIe siècle, l'histoire de frère Edan qui ne dormira pas seul ce soir ou celle, pas plus orthodoxe mais néanmoins plus respectable, du chat blanc Pangur qui tient sa vie monastique à lui. Et puis des réflexions personnelles sur les textes bibliques, appropriations souvent psychologisantes, assez loin du message doctrinaire et du contenu essentiel de la foi - par exemple cette petite glose autour de la plus grande souffrance du Christ sur la Croix, celle qu'il sait infliger à sa mère.
Contenu : 1 - At Saint Patrick's Purgatory / 2 - Church Bell at Night / 3 - Saint Ita's Vision / 4 - The Heavenly Banquet / 5 - The Crucifixion / 6 - Sea-Snatch / 7 - Promiscuity / 8 - The Monk and his Cat / 9 - The Praises of God / 10 - The Desire for Hermitage.
Barber en tire une écriture qui lui est typiquement propre, et qui montre son meilleur visage. La ligne vocale n'est pas toujours d'une grande évidence ni d'un mélodisme très intense, et en cela le rapprochement avec Poulenc est d'autant plus pertinent. Cette caractéristique se trouve ici tempérée, cependant, par les figures humoristiques ou à tout le moins très caractéristiques que permettent ces textes incongrus. L'essentiel du climat et de l'intérêt se trouve plutôt porté par la partie de piano, assez passionnante, disposant de cette harmonie tortueuse et de ces lignes mélodiques dont l'aspect est erratique, et qui frappent pourtant l'imagination : on songe à plusieurs reprises au mouvement lent de sa Sonate pour piano (une superbe antimélodie pas vraiment tonale). Les pages tempêtueuses sont très impressionnantes, les babillages très évocateurs.

On retrouve sensiblement les mêmes traits dans les Three Songs Op.45 (1972), à un degré d'originalité moindre et avec des climats plus recueillis. C'est par ailleurs dans cette douceur que se situe l'unité musicale du recueil, même dans l'excentricité douce de "A Green Lowland of Pianos" (Czesław Miłosz traduit en anglais par Jerzy Harasimowicz). Toute le poème développe une métaphorisation incongrue de la salle de concert en pré, dont voici la seconde moitié traduite en français :

Après les vacances
Ils provoquent des scandales
Dans les salles de concert
A l'heure de la traite artistique
Voilà soudain qu'ils se couchent
Semblables à des vaches

Observant d'un oeil morne
Le massif de fleurs blanches
Du public
Les gesticulations
Des ouvreuses

Les deux autres poèmes, plus sérieux, sont traduits de l'allemand. [Car l'unité du cycle est en réalité d'abord littéraire, avec des sujets bucoliques tous de poètes étrangers traduits en anglais.] Le premier, "Now Have I Fed and Eaten Up The Rose" est de Gottfried Keller traduit par James Joyce, le troisième, "O Boundless, Boundless Evening", de George Heym traduit par Christophe Middleton. Il constitue une jolie conclusion de récital, aussi bien par son sujet assez en situation (la "soirée sans fin") que par sa qualité évocatrice assez intense (dans le moment toujours priviligié de la dernière pièce du concert) ; et d'un point de vue musical, les couleurs nocturnes en sont assez belles aussi.

Voilà pour la présentation des oeuvres. C'est un peu long, mais si un compte-rendu n'est que l'occasion de parler d'interprétation, on passe tout de même à côté de l'essentiel, puisqu'il doit être l'occasion d'échanger avec ceux qui ont assisté aux mêmes oeuvres, ou d'informer ceux n'ont pu s'y rendre.

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2. Exécution musicale

Suite de la notule.

vendredi 20 août 2010

Meyerbeer Strikes Back : Fortune de Robert le Diable

(Alors un des côtés de la pierre se soulève lentement, entraînant ses remblantes attaches de lierre, laissant pendre des cheveux d'herbe, et, de l'ombre humide du trou de Robinson, on voit sortir à demi un Flambeau mystérieux et cocasse, l'uniforme verdi, les moustaches pleines de brindilles, le nez terreux, l'oeil gai.)

FLAMBEAU, tout en soulevant la pierre, entonnant d'une voix
sépulcrale le grand air du dernier succès de l'Opéra

Nonnes !...

Edmond ROSTAND, L'Aiglon (IV,10)

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Plus que les Huguenots, c'est Robert, le premier opéra français de Meyerbeer, qui est resté dans les mémoires. Pourquoi diable, et où cela, au juste ?


Retour sur le contenu, mais aussi sur le contexte de Robert et de l'oeuvre de Meyerbeer.

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1. Les Huguenots, le chef-d'oeuvre de Meyerbeer

Bien que Robert ait eu le prestige, Les Huguenots est cependant son oeuvre qui a été la plus jouée et enregistrée, avec justice d'ailleurs : de tous ses ouvrages, c'est celui où l'inspiration musicale est la plus variée et la plus constante, absolument aucune baisse de tension et un livret qui est sans doute aussi le chef-d'oeuvre d'Eugène Scribe. Un sens de la danse permanente, partout des modulations (ce qui est alors fort rare), des formes à "numéros" [1] toujours ponctuées d'ensembles et très bien intégrées aux récitatifs, ces récitatifs étant extrêmement mélodiques et cependant parfaitement justes prosodiquement, du lyrisme non dépourvu d'humour... Chaque acte a sa couleur propre (festif au I, bucolique au II, pieux et tempêtueux au III, éclatant et lyrique au IV, sombre et menaçant au V), ce qui est également très rare à cette époque. Et même très rare en règle générale : les compositeurs les plus doués parviennent à varier leur coloris d'une oeuvre à l'autre (le champion absolu en étant Massenet), mais on a rarement vu des actes aussi finement "typés".


Les Huguenots sont tout simplement, ne serait-ce qu'eu égard à leur date, un jalon majeur de l'histoire de l'opéra, par leur originalité et leurs richesses. Et cela, quoi qu'on puisse lire par ailleurs sur le prétendu pompiérisme ou la vacuité de la partition : ce sont des affirmations qui attestent souvent, pour l'une qu'on n'a pas perçu les audaces musicales ni l'humour, pour l'autre qu'on n'a jamais lu la partition et pas souvent entendu de Rossini, de Verdi ou de Gounod.
[Evidemment, il va sans dire qu'on peut tout à fait légitimement ne pas aimer Meyerbeer, mais ces procès sont souvent commis par des gens qui ne l'ont guère écouté ou qui s'appuient sur des arguments plus politiques - un symbole bourgeois...]

Dans les autres oeuvres majeures de Meyerbeer en français (Robert, Le Prophète, Dinorah ou Le Pardon de Ploërmel [2]), on rencontre de grandes fulgurances, mais aussi des moments plus convenus ou plus plats musicalement. Clairement, Les Huguenots mérite sa fortune scénique et discographique.


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2. Mais dans la culture commune ?

En dépit de tout ce que nous avons dit, c'est Robert le Diable qui hante les mémoires. Il y a plusieurs raisons à cela.

Première étape allemande

Meyerbeer était à l'origine un pianiste doué et admiré dès le jeune âge (des concerts à sept ans), formé notamment par Muzio Clementi, puis en puis en composition par Carl Friedrich Zelter (la parenté est réellement intéressante...). A l'âge de vingt ans (1811), il commence à présenter ses quatre premières oeuvres lyriques (en allemand : un oratorio, un opéra deux sinspiele), mais elles n'obtiennent aucun succès malgré ses voyages (après Berlin, Vienne, Paris, Londres...).

La strate italienne

Il se rend finalement en Italie (possiblement sur les conseils du bon Salieri). C'est là qu'il entend Tancredi de Rossini, une révélation pour lui. Il écrit alors force ouvrages dans le genre de l'opera seria romantique (six opéras), avec ses formes closes (récitatif totalement utilitaire et airs très développés) et sa vocalisation d'agilità e di forza ("agile et puissante"), qui contraste avec les moirures certes virtuoses du XVIIIe siècle. Clairement de la littérature pyrotechnique, dont l'intérêt n'est pas toujours très élevé [3].

Néanmoins, il otient un véritable succès en 1826 avec son Crociato in Egitto ("Le Croisé en Egypte"), qui le voit joué partout en Europe.


L'aboutissement parisien

Rossini quittant l'Italie pour venir composer à Paris, Meyerbeer profite de sa propre programmation au Théatre-Italien en 1827 pour suivre les pas de son modèle.

A l'exception de la parenthèse 1842-1847 où il est appelé à diriger l'Opéra de Berlin (nommé directeur général de la musique de Prusse !), composant un singspiel (Ein Feldlager in Schlesien : "Un camp en Silésie") et programmant Wagner (Rienzi et Der Fliegende Holländer), Meyerbeer demeure à Paris et élabore très longuement ses ouvrages. Qu'on en juge : 1826-1831 pour Robert le Diable, 1832-1836 pour Les Huguenots, 1835-1849 pour Le Prophète, 1849-1854 pour L'Etoile du Nord (version française du Feldlager écrit en 1843-1844), 1854-1859 pour Le Pardon de Ploërmel (renommé Dinorah lors de la première révision, incluant des récitatifs à la place des dialogues parlés - pour Londres) et 1837-1864 pour L'Africaine ! Un rythme très inhabituel pour un compositeur professionnel, mais ses succès parisiens étaient tels qu'il pouvait se permettre ce soin sans risquer l'indigence (avec seulement deux opéras-comiques, dont un adapté d'un singspiel précédemment composé et l'autre révisé en comédie lyrique ; et quatre "Grands Opéras").

Conséquences

Robert le Diable est donc le premier jalon d'une période de triomphe qui n'a que peu d'équivalents dans l'histoire de la musique. C'est sans doute pour cela qu'il frappa tellement l'imagination.


L'Apothéose de Meyerbeer, entouré des personnages de ses quatre drames sérieux pour Paris : Nélusko et Sélika pour L'Africaine, Robert et Bertram dans Robert le Diable, en train de boire à l'acte I(Alice en Jeanne d'Arc derrière ?), Jean de Leyde et les trois anabaptistes (Jonas, Zacharie et Mathisen) dans Le Prophète, enfin Valentine et Raoul qui semblent dans la seconde moitié de l'acte IV des Huguenots, mais Marcel l'épée au repos laisse penser qu'il s'agit du mariage informel de l'acte V.
Si ce n'est pas de la vénération, peindre un tel tableau !


Par ailleurs, cette première pièce française du compositeur remporte en elle-même un triomphe dont les auteurs rapportent qu'il n'eut guère d'équivalent dans l'histoire du spectacle lyrique.

Il n'est pas douteux non plus que la matière elle-même a impressionné fortement les contemporains, avec son sujet non plus seulement historique, mais aussi fantastique - et pas du merveilleux biblique, mais plutôt du fantastique moyenâgeux, assuré non pas par la main salvatrice de Dieu (comme dans Moïse et Pharaon de Rossini en 1827 d'après la version italienne de 1818 ou Nabucco de Verdi en 1842), mais pas les démons contre les hommes. Si le sort de Robert reste incertain, celui de Raimbaud, parti gaîment se damner à l'acte III, n'est tout simplement pas traité, et laisse craindre le pire.

Causes endogènes

Comme ce sera plus tard le cas de façon encore plus saisissante pour Les Huguenots, chaque acte dans Robert a sa couleur propre (ce qui est nouveau et qu'on retrouvera moins nettement dans ses drames ultérieurs). Les actes impairs sont dévolus à la question de l'enfer et du salut (actes de Bertram), les actes pairs à l'amour (actes d'Isabelle).

  • I : Scène de jeu dans un camp médiéval, avec ses allures dansantes et babillardes, ses défis, ses exactions.
  • II : L'espérance d'un amour malheureux.
  • III : Scènes infernales.
  • IV : L'amour forcé.
  • V : Victoire des forces angéliques.


Chaque acte est donc extrêmement typé. Mais les liens d'unité restent forts, car Meyerbeer utilise quelques motifs récurrents. Certains n'ont rien de spécialement nouveau, ils servent d'écho (Bertram reprend des thèmes pour rappeler des souvenirs à Robert). En revanche, on y trouve des choses qui annoncent le leitmotiv, et donc c'est, à titre personnel, la première occurrence que j'aie rencontré dans le répertoire que j'ai pu parcourir.
Il n'apporte pas encore de sens comme ce sera le cas à partir du Wagner de la maturité (qui est le premier à lui faire jouer un rôle de complément indispensable au livret - c'est peu le cas avant Tristan et Rheingold), mais contrairement aux échos thématiques qui pouvaient exister ponctuellement chez les compositeurs antérieurs (on trouve de ces citations déjà dans les récitatifs de Serse de Haendel, en 1738 !), Meyerbeer attribue à ce motif :

  • un lien avec un personnage : Bertram a son motif très reconnaissable (allers-retours d'arpège en majeur), qui accompagne chacun de ses mauvais conseils à Robert ;
  • une orchestration précise : cordes en pizzicato [4] et timbales, ce qui procure une impression d'étrangeté assez saisissante (le procédé est furieusement original à cette date, et même Berlioz osera peu ce genre de nudités, cet espèce de squelette sonore) ;
  • une récurrence forte, sur plusieurs actes ;
  • une irradiation de toute l'oeuvre : dans le grand air de l'acte V (Je t'ai trompé, je fus coupable), on réentend ces figures de pizzicato mêlés à des arpèges majeurs, sans que le motif soit textuellement cité.

On ne tire pas un sens profond de cela, mais cette identité musicale marque la première pierre du leitmotiv.
Par ailleurs, Meyerbeer est un très grand orchestrateur, l'un des tout premiers à utiliser les couleurs (et textures, témoin l'alliance pizz / timbales !) instrumentales pour soutenir le drame. Ce n'est plus simplement un solo de violon, de trompette, de hautbois ou de clarinette, comme on en trouvait au XVIIIe siècle, pour dialoguer avec le soliste vocal, mais réellement une recherche de couleur, de climat. C'est très perceptible par exemple à l'arrivée d'Alice à l'acte III, où les bois seuls parlent, sans réelle assise grave, donnant l'impression du frémissement de la forêt et du silence relatif qui entoure la fiancée abandonnée. Et ce sera encore plus vrai avec l'usage de la clarinette basse, instrument sans doute pour la première fois soliste, seule dans tout l'orchestre pendant cinq bonnes minutes au dernier acte des Huguenots !
A part les ébouriffantes Variations sur la Follia d'Espagne de Salieri (1815), je ne vois pas d'exemple semblable, à cette date, d'usage de l'orchestre comme une ressource de coloris brut.

Les figures rythmiques aussi caractérisent fortement, sous forme de danses imaginaires ou stylisées, les différences sections (valse infernale, figures lancinantes dans le grave des menaces de Bertram à Alice...). C'est l'une des forces de Meyerbeer, son drame bondit toujours, y compris physiquement.

Le tout culmine évidemment à l'acte III, avec son alignement de morceaux de bravoure et son atmosphère incroyable. En 1831, qui était préparé à entendre cela ! Ceux qui avaient un peu fréquenté l'opéra allemand, certainement (dès 1821, le Freischütz de Weber utilise des recettes fantastiques semblables, puis bien sûr le Vampyr de Marschner en 1828). Les amateurs d'opéra-comique et d'opéra italien, sans doute pas du tout.
On trouvera donc dans cet acte :

  • Un duo bouffe entre le fiancé d'Alice et le démon de l'histoire.
  • Valse infernale et air de Bertram (le démon révèle alors être le père de Robert), avec vocalisation et aigus spectaculaires, suivi d'un interlude en forme d'orage (très belles harmonies).
  • Un air élégiaque d'Alice, suivi d'un duo avec Bertram puis d'un trio attacca [5] avec Robert. C'est un peu la partie molle de l'acte, plus contemplative et statique, moins riche musicalement.
  • Un duo patriotique exaltant où Bertram pousse Robert à dérober une relique magique.
  • Invocation des nonnes damnées par Bertram. Puis levée des spectres : sans voix, tout est fondé sur le rythme deux croches / blanche, avec des pizzicati aux cordes graves et entrecoupés de duos de bassons solos. Enfin intervient le ballet des nonnes damnées, assez joyeux, mais plutôt mystérieux, une sorte d'exultation infernale, auquel se mêle la pantomime de Robert, tour à tour courageux, effrayé et enfin séduit par la danseuse principale, jusqu'à commettre le sacrilège. Enfin le choeur infernal en coulisse hurle sa joie.


C'est ce dernier ensemble qui a le plus fortement marqué l'imaginaire, on en voit bien la dimension spectaculaire.

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3. Qu'en reste-t-il ?
Représentations intégrales

Robert, plus encore que les Huguenots remontés très épisodiquement, a totalement disparu des scènes depuis le milieu du XXe siècle, avec l'internationalisation du répertoire (qui supposait bien évidemment la disparition de certains titres "locaux"). On pourra bien citer quelques exceptions, comme ses exécutions au Festival de Martina Franca (2000) et au Staatsoper de Berlin (2001), mais globalement, plus rien depuis très longtemps.

Il faut dire qu'en plus de la mauvaise réputation de ces oeuvres, renforcée par la malignité de certains envieux (à commencer par le proverbialement ingrat Wagner), cela coûte cher puisqu'il faut beaucoup de décors, beaucoup de personnages, beaucoup de répétitions - et que la majorité du public rechigne à des spectacles trop longs (parce qu'il faut alors débuter avant le repas ou finir après les derniers bus). De leur côté, les "experts" (selon les cas, on peut ou non y inclure la critique) tempêteront si on leur coupe telle ou telle partie qu'ils jugent importante.
Beaucoup d'investissement pour un retour un peu hypothétique, donc. Mais on a déjà exposé plus en détail tout cela.

Discographie

Autant la discographie des Huguenots, parsemée d'intégrales indisponibles, existe, autant celle de Robert est des plus réduites.

  • Sanzogno 1968 : Version en italien, bien chantée, mais archicoupée (et en dépit du bon sens, y compris des moments très valorisants et "faciles").
  • Fulton 1985 : Tiré des représentations de Garnier, avec une splendide distribution (Anderson, Lagrange, Vanzo, Ramey). Joué avec esprit et une grande exactitude dans le style et les couleurs d'un répertoire dont Fulton était un brillant spécialiste. Soirées électriques, dont il existe aussi un témoignage, assez différent mais tout aussi intéressant, avec Rockwell Blake (alternant avec Alain Vanzo). Souvent épuisé et souvent réédité chez divers labels plus ou moins officiels (en ce moment, c'est Gala qui est disponible).
  • Palumbo 2000 : Les représentations de Martina Franca. Plutôt bien chanté dans l'ensemble, malgré un Robert pas très élégant (Warren Mok), mais l'orchestre n'est pas un premier choix et la captation en plein air rend tout un peu sec. Tout à fait convenable, mais pas très exaltant : on perd beaucoup du climat, on entend tout d'un peu loin.


Il existe aussi une captation des représentations berlinoises de 2001 (Minkowski), mais elle est uniquement publiée par des labels pirates en ligne qui ne reversent pas de droits aux interprètes, je le crains - et aussi je m'abstiendrai de les indiquer. De toute façon, elles sont correctes mais un rien tièdes.

On constate aisément l'état de délabrement avancé (et d'accessibilité toute relative) de l'héritage. Dans le commerce, on ne trouve couramment que Palumbo en fin de compte, qui ne rend pas tout à fait justice aux beautés d'écriture de la partition.

Souvenirs visuels

Ce qui nous reste, c'est donc, déjà, l'image. Car si vous feuilletez un ouvrage qui parle de Meyerbeer ou effectuez une recherche en ligne, vous serez immédiatement confronté à la célèbre gravure du ballet du troisième acte de Robert qui se trouve également... au frontispice de Carnets sur sol ! (Les lutins l'ont simplement inversée pour des raisons esthétiques et un peu retouchée.)


C'est même une image qu'on emploie souvent pour évoquer l'Opéra de Paris au XIXe siècle (alors situé salle Le Peletier). Il faut admettre qu'elle a une certaine allure, qu'elle a souvent été reproduite, qu'elle évoque un épisode important, et qu'elle évoque toute une esthétique à elle seule.

(Il existe aussi un tableau de Camille Roqueplan, plus anecdotique, représentant la seconde partie de l'acte IV des Huguenots, on a dû le mettre en illustration d'une autre notule. Le voici.)

Souvenirs littéraires

Ce succès rend Robert quasiment proverbial, au même titre que Rachel-quand-du-Seigneur se substitue chez Proust au prénom seul sous l'influence du succès de La Juive d'Halévy.

Ensuite ils prièrent [Mme Bordin] de leur désigner un morceau.

Le choix l’embarrassait. Elle n’avait vu que trois pièces : Robert le Diable dans la capitale, le Jeune Mari à Rouen, et une autre à Falaise qui était bien amusante et qu’on appelait la Brouette du Vinaigrier.

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet (1881), chapitre V (celui dévolu à la littérature).

Dans le village de Chavignolles, cette veuve, propriétaire de terres, qui ne songe qu'à obtenir la parcelle des Écalles par tous les moyens, n'a vu qu'une seule pièce de théâtre "sérieuse" et à Paris : Robert le Diable (nous sommes dans les années quarante du XIXe siècle, elle a donc dû assister à une représentation des premières années). Moment éclairant sur l'aspect absolument central de cette oeuvre dans la culture lyrique, musicale et théâtrale française.

La juxtaposition saugrenue avec le commentaire positive sur La Brouette du Vinaigrier ne fait qu'accentuer l'impression que cette oeuvre appartenait à la culture commune, et que chacun, du moins au delà d'une certaine élévation sociale, était susceptible de la voir, quand bien même il n'aurait eu aucune idée des règles et enjeux qui y sont mis en oeuvre.

Plus encore, Mme Bordin découvre juste avant ces lignes Phèdre de Racine, et affirme immédiatement après notre extrait « on sait ce qu'est un Tartuffe » - sans avoir, manifestement, lu la pièce. Aussi, Robert (avec tout ce que cela peut contenir de moqueur évidemment) constitue ici la seule référence littéraire, et de façon plausible, dans le domaine du théâtre de prestige. Voilà qui est frappant (à défaut de prouver quoi que ce soit) sur sa place singulière - les auteurs utilisent récurremment Robert comme le type même de la pièce à succès que tout le monde va voir. Et c'est rarement fait avec une grande tendresse, d'abord pour les besoins des oeuvres (l'opéra n'y étant qu'un lieu ou une référence qui sert de support à l'intrigue), mais aussi en raison du statut de référence académique de Meyerbeer, déjà considéré de son vivant (et malgré son succès démentiel) avec circonspection, représentant l'ordre établi (alors même que les livrets de Scribe sont assez subversifs par certains aspects) - ce qui n'est jamais très sympathique à des romantiques.

Bref, une citation qui confirme, l'air de rien, la place singulière de Robert dans l'imaginaire collectif.

Au passage, les ressources de la recherche numérisée permettraient d'opérer, d'une façon peu coûteuse en temps, une recherche à large échelle pour mesurer la façon dont l'oeuvre resurgit dans les textes du temps et d'après.

De plus, son imaginaire fantastique prête plus aisément au trouble du romanesque que l'Histoire-fantaisie des Huguenots.

On a déjà vu comment Georges Rodenbach dans Bruges-la-Morte (1892) fait naître le trouble à partir d'une ballerine qui interprète Hélène, l'abbesse damnée qui entraîne Robert au sacrilège. On perçoit d'emblée, et plus encore à la lecture, tout l'intérêt symbolique que peut en retirer un romancier.

Cependant l'orchestre venait d'entamer l'ouverture de l'œuvre qu'on allait représenter. Il avait lu, sur le programme de son voisin, le titre en gros caractère: Robert le Diable, un de ces opéras de vieille mode dont se compose presque infailliblement le spectacle en province. Les violons déroulaient maintenant les premières mesures.
Hugues se sentit plus troublé encore. Depuis la mort de sa femme, il n'avait entendu aucune musique. Il avait peur du chant des instruments. Même un accordéon dans les rues, avec son petit concert asthmatique et acidulé, lui tirait des larmes. Et aussi les orgues, à Notre-Dame et à Sainte-Walburge, le dimanche, quand ils semblaient draper par-dessus les fidèles des velours noirs et des catafalques de sons.
La musique de l'opéra maintenant lui noyait les méninges; les archets lui jouaient sur les nerfs. Un picotement lui vint aux yeux. S'il allait pleurer encore? Il songeait à partir quand une pensée étrange lui traversa l'esprit: la femme de tantôt qu'il avait, comme dans un coup de folie et pour je baume de sa ressemblance, suivie jusqu'en cette salle, ne s'y trouvait pas, il en était sûr. Pourtant elle était entrée au théâtre, presque sous ses yeux. Mais si elle ne se trouvait pas dans la salle, peut-être allait-elle apparaître sur la scène ?
Profanation qui, d'avance, lui déchirait toute l'âme. Le visage identique, le visage de l'Épouse elle-même dans l'évidence de la rampe et souligné de maquillages. Si cette femme, suivie ainsi et disparue brusquement sans doute par quelque porte de service, était une actrice et qu'il allait la voir surgir, gesticulant et chantant? Ah! sa voix? serait-ce aussi la même voix, pour continuer la diabolique ressemblance – cette voix de métal grave, comme d'argent avec un peu de bronze, qu'il n'avait plus jamais entendue, jamais ?
Hugues se sentit tout bouleversé, rien que par la possibilité d'un hasard qui pourrait bien aller jusqu'au bout; et plein d'angoisser il attendit, avec une sorte de pressentiment qu'il avait soupçonné juste.
Les actes s'écoulèrent, sans rien lui apprendre. Ii ne la reconnut pas parmi les chanteuses, ni non plus parmi les choristes, fardées et peintes comme des poupées de bois. Inattentif, pour le reste, au spectacle, il était décidément résolu à partir après la scène des Nonnes, dont le décor de cimetière le ramenait à toutes ses pensées mortuaires. Mais tout à coup, au récitatif d'évocation, quand les ballerines, figurant les Sœurs du cloître réveillées de la mort, processionnent en longue file, quand Helena s'anime sur son tombeau et, rejetant linceul et froc, ressuscite, Hugues éprouva une commotion, comme un homme sorti d'un rêve noir qui entre dans une salle de fête dont la lumière vacille aux balances trébuchantes de ses yeux.
Oui! c'était elle ! Elle était danseuse ! Mais il n'y songea même pas une minute. C'était vraiment la morte descendue de la pierre de son sépulcre, c'était sa morte qui maintenant souriait là-bas, s'avançait, tendait les bras.
Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer, avec ses yeux dont le bistre accentuait le crépuscule, avec ses cheveux apparents, d'un or unique comme l'autre...
Saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientôt le rideau tomba.
Hugues, la tête en feu, bouleversé et rayonnant, s'en retourna au long des quais, comme halluciné encore par la vision persistante qui ouvrait toujours devant lui, même dans la nuit noire, son cadre de lumière... Ainsi le docteur Faust, acharné après le miroir magique où la céleste image de femme se dévoile !

(Fin du troisième chapitre.)

Et puis on trouve aussi ce même moment-culte dans cette parodie de l'invocation des nonnes damnées qu'on citait pour commenncer. L'ancien grognard Flambeau, agent de conspirateurs français pour faire revenir un Napoléon sur le trône impérial, cherche à faire fuir le duc de Reichstadt. Lors du bal, il s'est dissimulé dans une infractuosité du jardin autrichien dont il avait été question aux actes précédent. Il y parle donc depuis "sous terre", avant de ressusciter comme l'abbesse Hélène, d'où la charmante plaisanterie.

Il se trouve que l'épisode est parfaitement en situation, puisque Robert est créé en 1831, et que le Duc meurt de la tuberculose en 1832 (et sa mort se produit peu de temps après sa tentative d'évasion). Pour plus ample propos sur cette pièce, on peut se reporter à cette notule.


Mais de quel air parlez-vous ?

Précisément, cet air est celui qui survécut à l'oubli, et aujourd'hui encore, les jeunes basses le chantent en récital et les chanteurs célèbres l'enregistrent. Il faut dire que c'est facile, spectaculaire et très valorisant. Pour mémoire, le voici par les forces du Lutin Chamber Ensemble, il nous avait servi à tester l'incorporation de vidéos sur le service YouTube.


Oui, il figure plusieurs fois à la suite, pas nécessaire de tout vous infliger. C'est dommage, j'ai coupé la suite avec la procession des Nonnes, cela vous obligera à aller jeter une oreille au disque.

Non ? Vous êtes trop épuisés par cette longue notule ? Alors voici (oui, je suis très gentil, on me le dit souvent).


Thomas Fulton dirige l'Orchestre de l'Opéra de Paris en 1985.


C'est ce passage aussi (Invocation et Procession) qui est parodié par Korngold, en en explosant le matériau dans un bref instant de Die Tote Stadt, opéra inspiré du roman de Rodenbach. On en avait détaillé le procédé ici, avec tous les exemples musicaux nécessaires.

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4. Ebauche de conclusion

Avec cela, vous avez déjà un petit panorama et une explication de la fortune de Robert le Diable, premier opéra français de Meyerbeer, aux qualités musicales inédites, au sujet assez saisissant. Sa place chronologique et son caractère onirique expliquent pourquoi, alors qu'il n'est plus guère joué, et pas forcément le plus estimable des Meyerbeer, il demeure très présent dans un certain imaginaire collectif, essentiellement au travers de la fin spectaculaire de son acte III.

Et on espère que la balade, suscitée par l'envie de partager ces quelques métamorphoses (et de lire, pour une fois, du bien de Meyerbeer, quitte à l'écrire soi-même...) vous aura diverti.

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5. Prolongements internes

Quelques autres entrées autour de Meyerbeer sur CSS :




Et, d'une façon générale, beaucoup de correspondances avec les autres Grand Opéras étudiés dans la catégorie appropriée.

Notes

[1] Les moments musicaux forts, qui s'opposent aux récitatifs plus sobres pour faire avancer l'action. Ce sont les airs, duos, trios, quatuors, choeurs censés communiquer des émotions ou faire briller les solistes. On les numérotait sur les partitions (et on les vendait ensuite en fascicules séparés), d'où leur nom.

[2] L'Etoile du Nord est assez faible et L'Africaine souffre d'un esprit de sérieux assez pénible, sans que la musique, certes assez recherchée, soit tout à fait la hauteur. Quitte à faire prétentieux, Wagner soutient son projet. Par ailleurs, Meyerbeer n'ayant pas pu retoucher son oeuvre après les représentations, les tunnels ou faiblesses auraient peut-être, comme il l'avait toujours fait, été rectifiées à l'épreuve de la scène, avant impression.

[3] A ce propos, je précise cependant que je pense quasiment la même chose de certains Rossini de la même esthétique, et qu'il faut donc relativiser, peut-être, mon sentiment à ce sujet. Toutefois Il Crociato est assez loin d'une certaine forme de grâce et de mélancolie présentes dans La Donna del Lago, on est plus proche de la glottolalie monumentale de Semiramide, sans le moment extraordinaire du songe d'Assur.

[4] Pizzicato : Pincement avec les doigts d'une corde d'instrument à archet.

[5] Attacca : Enchaîné sans pause. C'est-à-dire qu'ici Robert survient dans le duo sans que celui-ci ne se soit interrompu.

mercredi 21 avril 2010

Sémélé de Marin Marais par les Goûts Réunis (représentations en cours)


Les Goûts Réunis proposent une formule originale : réunir un choeur amateur à un orchestre formé de musiciens en fin d'apprentissage et encadrés par quelques professionnels, afin de fournir à tous une expérience formatrice.
Avec une oeuvre par an, une fois sur deux assez originale, l'ensemble a l'occasion de fournir un vrai travail de qualité.

Ce spectacle sera redonné (sans la chorégraphie) le samedi 8 mai à 20h, Eglise de Pentemont dans le VIIe arrondissement de Paris (106, rue de Grenelle). (Tarif 15€, 10€ si réduction. Sans réservation.)

Pour 4€ (livret fourni), on pouvait ainsi assister samedi à la Maison de la Musique de Nanterre, dans une salle de quatre cents place tout à fait pleine, à un spectacle complet : une mise en espace entrecoupée de danses (pendant un divertissement sur deux) assurées par les Fêtes Galantes (une compagnie que dirige Béatrice Massin, chargée de recréer la chorégraphie de l'Atys de Villégier la saison prochaine).

J'ai été agréablement surpris de constater que les couleurs harmoniques de Marais me paraissaient décidément moins sinistre dans Sémélé que dans l'ensemble de ses autres oeuvres, même si l'on a perdu la dimension en principe souriante de cette oeuvre au fil de quelques coupures...

Evidemment, on ne pouvait pas exiger dans ces circonstances une réalisation musicale de qualité tout à fait professionnelle, et cependant le résultat était assez remarquable.

Quelques points faibles :

Suite de la notule.

dimanche 28 mars 2010

Omar Khayyâm et Jean Cras : Cinq Robaiyat ("Serviteurs, n'apportez pas les lampes")


Les notes renvoient régulièrement à des quatrains de Khayyâm, pour éclairer le propos.

1. Un poète

Le persan Omar Khayyām (1048-1131) était surtout connu, à l'origine, pour ses travaux de mathématicien et d'astronome. Il a eu son importance historique dans l'algèbre (en établissant notamment, de façon rigoureuse, que les équations cubiques pouvaient avoir plus d'une racine), même si ses travaux n'ont été diffusés en Europe qu'au milieu du XIXe siècle. On lui a également prêté plusieurs prédictions réalisées, dues à son étude des astres.

Ce n'est que deux siècles plus tard que la réputation de Khayyâm comme poète se fait jour. La première difficulté que nous rencontrons est que Khayyâm était décrit comme un musulman exact, et que rien ne laisse véritablement transparaître dans ses autres écrits (sans contredire fondamentalement non plus) l'aspect très matérialiste de sa pensée sur la mort [1] [2], ses railleries du clergé et des dévots [3] [4], voire son scepticisme sur le sens de la science [5] - toutes choses que l'on rencontre dans son oeuvre poétique.
On peut penser qu'il s'agit d'une posture poétique, ou au contraire d'un vrai visage intérieur qu'il ne pouvait révéler qu'à travers une forme poétique. Mais diverses hypothèses ont aussi vu le jour, bien que rien ne les ait jusqu'à présent étayées : l'existence d'un homonyme (puisque de son vivant Khayyâm n'avait la célébrité qu'en tant que scientifique, la postérité a pu faire confusion), voire un 'roman' (dont rien n'atteste la trace) qui attribuerait des sentences à un personnage célèbre, Omar Khayyâm en l'occurrence - mais un Khayyâm de fiction. En l'absence d'éléments sérieux pour accréditer ces positions, on est obligé de les considérer avec intérêt, mais d'en rester à ce qui est le plus évident : les faces multiples d'un Khayyâm polygraphe comme c'était du reste l'usage chez les savants du temps.

Ses Quatrains (Robaiyat) rimés traitent en effet obsessionnelle de la mort inconnue, du destin de poussière des corps vivants, de jouissance instantanée dans le vin et de défiance vis-à-vis du paradis à crédit [6]. Avec beaucoup de scepticisme vis-à-vis de la teneur de l'au-delà, bien qu'il ait la reconnaissance d'un Etre suprême - mais impénétrable, peu intéressé par les mortels... et n'intéressant pas ceux-ci ! A ce titre, il y a quelque chose d'un épicurisme qui a perdu sa tempérance antique dans la philosophie véhiculée par ces quatrains. Il faut croire que la tempérance est soluble dans la boisson de la treille dont il fait si vaste dithyrambe.

Vous pouvez retrouver quelques autres quatrains de l'auteur sur CSS, en regard du texte original.

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2. Un traducteur et un corpus

La première traduction française date du milieu du XIXe siècle : en 1867, J. B. Nicolas (dont tout le monde érudit semble avoir rangé les prénoms au placard), interprète principal à l'Ambassade de France en Perse, traduit plus de quatre cents quatrains (464) attribués à Omar Khayyâm. Or, il se trouve que dans les éditions du XVe siècle, on n'en comptait qu'un peu plus d'une centaine. La tradition a ainsi considérablement augmenté le nombre réel de quatrains écrits au douzième siècle, en incluant des oeuvres de mêmes dimensions et préoccupations - jusqu'à rendre le corpus incohérent et parcouru de contradictions. Encore que ces aphorismes soient assez autonomes les uns des autres et que si Khayyâm a pu se contredire dans la vie, il puisse aussi bien en faire de même en poésie.
La langue de Nicolas est très raffinée, assez typée XVIIIe, avec ses longues périodes sophistiquées. Les pointes y perdent en efficacité, mais le galbe d'ensemble est assez réussi.

On va ici s'intéresser à la traduction de Franz Toussaint utilisée par Jean Cras. Elle est publiée en 1924 par les éditions Piazza, et, même si elle opère un tri, atteint les 170 poèmes, dont beaucoup ne sont pas retenus par Gilbert Lazard dans son édition sérieuse chez Gallimard - qui s'efforce justement d'effectuer le choix le plus restreint pour s'assurer autant qu'il est possible d'inclure seulement les poèmes originaux. (On choisir une autre démarche, au demeurant, puisque l'imitation et le palimpseste constituent aussi une vérité historique.)

La traduction en prose de Franz Toussaint est assez dépourvue de charme, transcrivant les vers sans rythmes, et les idées sans esprit. On est très loin du travail profondément inspiré de Gilbert Lazard (2002). Ce dernier reprend en effet le schéma qui donne leur nom de rubaiyat aux quatrains (rimes disposées de façon AABA), et qui était déjà fidèlement adopté par le premier traducteur, l'anglais FitzGerald, et beaucoup de ses successeurs. Gilbert Lazard césure de plus ses vers de quatorze syllabes à la moitié (alors sans rime, mais souvent avec des rimes intérieures pour compenser). Cette césure organisée comme une fin de vers lui donne en réalité une plus grande souplesse syllabique, quiconque s'est essayé à la versification a pu s'en apercevoir (à cause de liberté de la dernière syllabe), et rend beaucoup plus dynamique la progression des quatrains. Du reste, on l'a déjà dit :

Avec un beau respect des rimes originales, et un très beau rendu en français, aussi bien les pointes des quatrains que pour le naturel du rythme français (vers de quatorze syllabes régulièrement césurés).

La version Toussaint est néanmoins celle, la plus récente à son époque, qu'a adoptée Cras et qui est le prétexte à notre balade.

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3. Jean Cras : un homme, deux vocations, trois styles

Jean Cras à longtemps hésité entre la carrière militaire dans la Marine et la composition. Sur les conseils d'Henri Duparc, qui était devenu un proche, il se lance pleinement dans les armes, servit durant la Première guerre mondiale, devint enfin contre-amiral major général du port de Brest.
Ce qui ne l'empêcha pas de produire une quantité amplement respectable de musique, à bord, bien qu'il fût toujours interrompu par ses tâches. Une application qui force l'admiration vu la qualité de la musique, effectivement baignée par les images maritimes : témoin Journal de bord, poème symphonique divisé en quarts de veille, ou encore Polyphème, chef-d'oeuvre parent de Pelléas (en un peu plus stable et lyrique) sur le poème dramatique de Samain (écourté à cause du débit chanté sensiblement plus lent) - on se situe sur une île, près des côtes, et la musique évoque amplement cet élément, en contrepoint avec l'intrigue.
Même pour quelqu'un qui à mon exemple ne goûte pas démesurément l'élément marin, c'est profondément émouvant.

Lui aussi était doué en mathématiques, mais du côté de la géométrie : sa règle Cras est toujours en vigueur dans la marine (surtout en France) - il s'agit d'un instrument destiné à traver les routes sur les cartes, très commode, et employé y compris dans l'aviation.

Son style est très divers suivant les oeuvres.
Ce peut être un postromantisme français de type un peu international, doucement lyrique, sombre, fortement mélancolique, sans doute pas la meilleure partie de sa production, à rapprocher des grandes cantilènes du type de l'Elégie-tube de Fauré, témoin sa Sonate pour violoncelle et piano. Parfois avec un peu plus de légèreté et de thématiques populaires, comme dans son Quintette.
Il a aussi développé des pistes plus typiquement françaises dans les harmonies, parentes des wagnérismes à la française. On peut ainsi rapprocher son Trio avec piano des langages proches de Chausson ou Ropartz par exemple, avec une qualité musicale intrinsèque assez hors du commun, vraiment un des sommets de l'époque (voilà qui fera peut-être un bon sujet à venir, la musique de chambre française d'après le romantisme). D'une manière générale, ce Cras-là est plutôt parent de Chausson, Ropartz ou du Fauré chambriste tardif.
Enfin, il existe tout un versant de type debussyste, plus stable (y compris dans les figures rythmiques et les phrasés), plus tonal, mais doté de couleurs similaires, de ce minéral extraordinaire. C'est le cas de Polyphème, et de certains cycles de mélodies comme les Fontaines ou... les Cinq Robaiyat d'Omar Khayyâm. On y trouve certains sommets de sa production.

On pourrait bien évidemment citer les quelques oeuvres, d'inspiration populaire, comme les deux (très brefs) chants bretons Le roi Loudivic et Le Barde, mais ce n'est pas non plus une composante majeure de sa production (de même que pour les Chansons bretonnes pour violoncelle et piano de Koechlin), contrairement à Paul Le Flem par exemple, qui clôt très souvent ses oeuvres instrumentales par des thématiques inspirées du folklore breton.

Bien entendu, cela correspond à une évolution chronologique, mais ces différentes composantes, et particulièrement les deux dernières, restent étroitement mêlées dans nombre de ses oeuvres.

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4. Cinq Robaiyat d'Omar Khayyâm

Les Cinq Robaiyat d'Omar Khayyâm sont donc composés sur les traductions de Franz Toussaint. Les poèmes retenus ne sont que d'un intérêt limité, et c'est aussi pourquoi j'ai longuement insisté sur la qualité intrinsèque de l'oeuvre d'Omar Khayyâm, en particulier à travers la splendide traduction de Gilbert Lazard.
Il faut dire qu'il s'agit, à mon humble avis, essentiellement de quatrains apocryphes qui figurent dans la sélection (pas très avisée) de Cras. Pas seulement apocryphes parce que très inférieurs dans les traits d'esprits (quand il y en a), mais surtout parce que très éloignés de la philosophie générale des Robaiyat.

Par exemple celui-ci (n°147 dans le recueil Toussaint) :

Quand tu chancelles sous le poids de la douleur, quand tu n'as plus de larmes, pense à la verdure qui miroite après la pluie.
Quand la splendeur du jour t'exaspère,
quand tu souhaites qu'une nuit définitive s'abatte sur le monde,
pense au réveil d'un enfant.

On est très loin de la certitude de la réduction en poussière, de la dénonciation des plaisirs incertains du paradis et des interdits hypocrites, de l'éloge du présent et du vin, seules valeurs sûres.
Cet espèce d'adage niais qui veut rassurer n'a rien du tranchant joyeusement désabusé de la poésie de Khayyâm : ce n'est pas la traduction qui affadit, juste que ce n'est pas bon (et très vraisemblablement pas du tout de Khayyâm).

Le texte de la mélodie que je vais présenter (n°146) est plus intrigant, à défaut d'être saillant ou profond - on y retrouve la préoccupation centrale de la finitude, mais il manque la composition à la fois réflexive et badine qui fait la marque de Khayyâm. C'est simplement un petit texte à chute, mais il n'est pas si mauvais.

Serviteurs n'apportez pas les lampes,
puisque mes convives exténués se sont endormis.
J'y vois suffisamment pour distinguer leur pâleur.
Etendus et froids, ils seront ainsi dans la nuit du tombeau.
N'apportez pas les lampes, car il n'y a pas d'aube chez les morts.

J'en profite pour indiquer en notes la traduction anglaise que j'ai réalisée pour une notice en anglais autour de ce lied, dont cette notule est la version développée - si jamais il y avait des anglophones de passage : [7]

Musicalement, ce cycle de Cras, comme celui des Fontaines, s'apparente à son versant debussyste, avec beaucoup de figuralismes liquides, d'harmonies complatives et suspendues, de couleurs assez froides, bleutées, minérales, mais toujours diaphanes et tendres.

Cette mélodie-ci est très intrigante : elle est fondée seulement sur quatre accordstoujours identiques. Et une fois sur deux, un petit motif répété, légèrement oriental comme un trait d'oûd, apparaît sur le troisième. Seule la voix progresse du grave vers l'aigu, jusqu'à l'éclat spectaculaire des fa dièses aigus répétés, pour retomber dans le néant - en effet le sol dièse grave, pour une voix qui peut monter si haut, est généralement un peu timide. C'est un très grand ambitus pour une mélodie (près de de deux octaves), un genre qui a des origines plus légères que cela ; et cela contraste grandement avec le statisme planant (mais grave et sombre) du piano.

En voici ma proposition d'enregistrement libre de droits (fait maison) :



Comme toujours, l'extrait est conçu dans le but de donner une idée à partir d'un matériau librement téléchargeable, pas de proposer une référence.

De plus, ici, cela a déjà été enregistré (et superlativement) par le couple de rêve Lionel Peintre et Alain Jacquon, peut-être chacun le plus grand représentant de la mélodie française de tous les temps, s'il fallait jouer au jeu vain des podiums et des lauriers.
C'est disponible chez Timpani, qui est sans doute aussi, en concentration de chefs-d'oeuvre, le label le plus intéressant du marché (TOUS les disques y sont indispensables, passionnants... et excellemment interprétés). Dans ce cas, le couplage avec d'autres mélodies de Cras permet d'explorer tous ses courants (postromantique, debussyste, populaire...), et le choix des mélodies (j'en ai lu ou déchiffré d'autres qui n'y figurent pas) est très avisé. Indispensable pour qui aime Cras, indispensable pour qui aime la mélodie française, indispensable pour qui aime la bonne musique, indispensable pour qui veut se cultiver.


On trouve une très belle illustration de cette mélodie à la fin de la partition éditée chez Salabert. A l'occasion, je la mettrai en ligne - mais ce n'est pour l'instant pas envisageable techniquement.

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Et on espère que le voyage a été à votre gré.

Notes

[1] Quand la vie vient à son terme, / qu'importe Bagdad ou Bactres ? // Et dans la mesure est pleine, / qu'importe douce ou saumâtre ? // Prends ton plaisir : on verra / longtemps après toi et moi // Au firmament bien des fois / croître la lune et décroître.

[2] Serons-nous captifs longtemps / de la raison quotidienne ? // Qu'importe que nous mourions / dans cent ans ou la semaine ? // Viens, vidons ce pot de vin / avant que dans l'atelier // Fatidique du potier / nou devenions pots nous-mêmes !

[3] Mieux vaut un bon coup de vin / que l'empire de Darius, // Que la lampe d'Aladin, / que les trésors de Crésus ; // Mieux vaut la plainte à l'aurore / d'un buveur sans foi ni loi // Que l'oraison à grande voix / des très religieux tartuffes !

[4] On nous promet dans le Ciel / des houris aux yeux de braise, // Et du vin, du lait, du miel, / pour notre joie et notre aise. // Pourquoi donc d'aimer le vin / et l'amour nous faire honte, // Puisque c'est en fin de compte / ce qu'on nous offre demain ?

[5] Un temps, durant notre enfance / nous nous voulûmes savant ; // un temps, de notre science / nous eûmes contentement . // Mais écoute maintenant, / ami d'exactes mesures, // La somme de l'aventure : / de l'eau courante et du vent.

[6] Je ne sais pas si mon âme / par Celui qui m'a pétri // Est abandonnée aux flammes / ou promis au paradis. // Un verre, une belle, un luth / dans quelque jardin : à moi // Ces trois au comptant, à toi / le paradis à crédit !

[7] Servants, do not bring lamps, / since my exhausted guests fell asleep. / I can see enough to distinguish how pale they are. / Cold, lying down, so they will be in the funeral night. / Do not bring lamps, because there is no dawn among the deads.

samedi 9 janvier 2010

Clavecin, épinette, virginal et clavicorde


On l'avait promis au moment de luthiner, voici l'épisode autour des instruments à cordes pincées, autrement dit de la famille des clavecins.

Comme précédemment, un panorama relativement vaste, avec de nombreuses illustrations et vidéos pour se faire une idée précise de la nature de chaque instrument. Quelques informations aussi sur la facture, les contraintes, les modes de jeu. Et quelques sites pour continuer à aller conter virginette.

Suite de la notule.

lundi 28 décembre 2009

Luth, théorbe, guitare baroque & associés


Avant que de commenter brièvement le concert auquel nous avons eu le bonheur d'assister, nous aimerions poser quelques préalables simples.

Pour chaque instrument, une photo et une vidéo significative (mise en ligne par les interprètes), de façon à obtenir un panorama assez parlant.

On travaille aussi sur l'évolution de leur usage.

Suite de la notule.

mercredi 2 décembre 2009

La création française du Quatrième Quatuor de Boris Tichtchenko ('Tishchenko') par le Quatuor Danel à la salle Cortot


Salle idéale (petite, toute capitonnée en bois), interprètes qui révélent en plus de leur son extraordinaire une profondeur de vue et un tempérament hors du commun, et une oeuvre de mon point de vue majeure par son caractère.

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L'oeuvre

Ce Quatrième Quatuor est fondé sur des motifs obstinés d'une façon absolument fascinante. Beaucoup d'influences de Chostakovitch (le maître de Tichtchenko), dont on retrouve : le chambriste désolé des derniers quatuors, l'amateur de motifs récurrents (plus que de développements, un esprit plus wagnérien que brucknerien, disons pour prendre un parallèle germanique), la gaîté minée par des harmonies déceptives, etc. Cependant on ne trouvera pas chez Tichtchenko la même tendance au flux mélodique cabossé mais continué : son expression lyrique est beaucoup plus mesurée ; et de même pour sa tristesse ou son ironie, qui demeurent d'une certaine façon moins névrotiques, plus contrôlées. La segmentation du discours autour de ces motifs récurrents et même la luminosité des thèmes (avec finalement peu de déraillements grinçants au cours d'une même phrase) donne véritablement un relief singulier, qui n'existe pas dans les grands flux qui caractérisent souvent le langage des compositeurs soviétiques.

Ce peut aller jusqu'à une forme de minimalisme, comme dans le mouvement lent où le même motif est incessamment répété, et rarement en formation complète. Mais sans cesse varié (grâce aussi et d'abord à l'investissement phénoménal des interprètes), sans qu'on puisse parler d'évolution à proprement parler - mais bien de mélanges. Cependant, loin de créer une fascination glassienne, un planage feldmanien ou une lassitude, ces répétitions incantatoires sans aucune emphase ont quelque chose de véritablement loquace - oui, c'est assez étrange.
On pourrait penser pour ce deuxième mouvement à un Kurtág tonal qui se mettrait à écrire longuement ; en tout cas à un ascétisme dont la densité est assez étrangère à Chostakovitch - dont l'empreinte est si sensible dans ce quatuor mais qui ne sait pas se départir d'un certain lyrisme presque 'rond' jusque dans ses moments les plus aphasiques et les plus noirs.

Malgré le caractère désolé de l'ensemble, l'évidence et d'une certaine façon l'optimisme du scherzo frappent. Les climax aussi, quoique tout à fait tourmentés, ont quelque chose de réjouissant dans la densité du propos musical qui enchevêtre les textures avec une autonomie assez étonnante, pour un résultat parfaitement lisible.

Suite de la notule.

dimanche 22 novembre 2009

De la musique savante avec n'importe quoi

Le téléphone portable est entré dans la vie des concerts. Je me souviens de la radiodiffusion mondiale d'un concert des Proms au Royal Albert Hall, où le basson solo du Philharmonique de Berlin, nouvellement dirigé par Simon Rattle (alors fort admiré du monde musical), était interrompu par une sonnerie aussi sonore que le soliste. Dans le silence recueilli et l'atmosphère solennelle, l'orchestre a dû recommencer, et le contrevenant à coup sûr vivre l'humiliation de toute une vie. Encore heureux qu'une caméra ne l'ait pas identifié, sans quoi il pouvait prendre son billet pour la Papouasie.

On sait que les compositeurs peuvent aimer s'emparer du quotidien, comme l'avait fait Bruno Mantovani pour son trio à cordes You are connected (1999), fondé sur le motif sonore de l'éphémère modem d'alors (56 kbps/s.), indiquant le progrès de la connexion à laquelle les profanes se trouvaient suspendus, et lassant les habitués blasés - à l'époque où l'acte de connexion était fréquent (l'illimité n'existant pas de façon très répandue).

Ils ont fait de même pour cet empêcheur de concerter en rond, le téléphone cellulaire omniprésent.

Suite de la notule.

samedi 21 novembre 2009

Eléments objectifs sur la différence entre tragédie classique et tragédie lyrique


On peut s'en remettre à Charles Perrault. Un article récent de Buford Norman (publié aux presses du CMBV) donne quelques pistes qu'il est intéressant d'aller creuser de ses propres yeux, ce qu'on s'est proposé de faire pendant un petit moment de loisir.

Perrault, dans son Parallèle des Anciens et des Modernes, fait intervenir à plusieurs reprises, dans sa forme dialoguée, des considérations sur la tragédie lyrique. L'une d'elles, en particulier, mérite attention, parce qu'elle pose peut-être des catégories essentielles pour juger le livret d'opéra en général.
On s'est déjà mainte fois étendu en ces pages sur les différences structurelles entre les deux genres (vraisemblable contre merveilleux, unité contre éclatement, sobriété contre divertissement). Mais sur la qualité même des vers, il existe un paramètre très important pour l'ère non surtitrée où l'on jouait devant un public qui parlait la langue chantée sur scène.

Ainsi Perrault, dans son Quatrième dialogue des Parallèles (consacré à la poésie), confie-t-il à l'Abbé une vaste tirade sur Quinault, au sein de laquelle on trouve ceci :




Que nous pouvons retranscrire pour les petits yeux fatigués :

Suite de la notule.

jeudi 20 août 2009

Découvrir le lied : essai de discographie réduite et essentielle

Lied et lieder, une discographie essentielle (essential discography)

(Remarques pratiques : Si le texte vous paraît trop petit, vous pouvez utiliser sous Windows la commande "Ctrl" + "+". Ou bien le zoom de votre butineur préféré. Par ailleurs, cet article se trouve également ici pour que vous puissiez, si cela vous paraît plus pratique, le télécharger sur votre disque dur pour consultation ultérieure... ou impression pour faire les courses ! Il apparaît en pleine page, beaucoup plus agréable à lire.)

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Pour prolonger notre série d'initiation au lied, on tente ici un essai de discographie très sélective, équilibrée autant que possible entre les époques, différents types de voix et d'interprétation, et tâchant de recouvrir aussi bien les incontournables célébrités du répertoire que les raretés souvent encore plus passionnantes.
Avec ces quelques disques, on peut estimer bien connaître l'essentiel du lied et bon nombre de ses meilleurs interprètes, chanteurs et pianistes. 

On a fait le calcul : si vous utilisez notre guide au plus serré, vous disposez de l'essentiel en 23 disques !


Quelques remarques formelles :

1) On a séparé les oeuvres que tout amateur de lied doit connaître de celles que nous estimons incontournables, mais qui ne sont pas forcément très connues (voire extrêmement peu, comme les lieder de Reger et Holl ou le cycle de Gurlitt...).

2) Le fond jaune indique qu'il s'agit d'un cycle de lieder avec orchestre (ou d'une interprétation avec orchestre). Cela n'a rien à voir avec une quelconque mise en valeur : souvent, les cycles orchestraux de lieder sont quasiment plus des poèmes symphoniques avec voix, plus musicaux que réellement une mise en musique d'un texte révéré.

3) On a essayé de diversifier les interprètes recommandés pour couvrir un spectre d'interprétations à la fois irréprochable et varié.

4) On adopte l'ordre chronologique d'exercice des compositeurs. (Entre parenthèses figurent les poètes et les labels.)

5) Lorsqu'on propose le choix entre plusieurs interprétations assez différentes et difficiles à départager, on essaie de placer la référence qui nous paraît la plus recommandable en premier.

Poèmes et traductions :

Dans le cas où il manquerait les textes (indispensables pour apprécier pleinement le genre), pas de panique, il faut consulter le site formidable d'Emily Ezust qui en contient énormément de traduits. Et s'ils y figurent non traduits, Google Traduction dégrossit un peu l'affaire. On essaie de préciser tout cela, mais nous n'avons pas tous ces disques sous la main à l'instant où nous rédigeons ces lignes...

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Compositeur

Oeuvre

Version

Commentaires

Indispensables célèbres

Première période : romantisme

Schubert

Die Winterreise

« Le Voyage d’Hiver »

(Müller)

Fischer-Dieskau / Moore

Prades 1955 (INA)

- Cycle fondamental, une marche dans et vers l'anéantissement.
- DFD dans ses meilleures années et dans un bon son, avec Moore concerné, la quadrature du cercle entre lyrisme et expression. Attention, pas de livret, il faut utiliser le site d'Emily Ezust, ou alors acheter plutôt la version Goerne / Johnson (Hyperion) avec traduction anglaise, ou pour une traduction française Fischer-Dieskau / Demus (très, trop lyrique). Goerne / Brendel, peut-être préférable à cette dernière, devrait logiquement comporter une version française.

Schubert

Intégrale

G. Johnson (Hyperion)

Une somme immense, à pricorer au gré des volumes disponibles séparément à la vente (l'intégrale existe d'un seul tenant, mais présentée de façon moins pratique - en mélangeant les interprètes et les sujets au profit de la chronologie - et surtout en ôtant les commentaires musicologiques et littéraires remarquables des notices de Graham Johnson). Traductions anglaises des textes allemands.

Schubert

Lieder (épiques et antiques)
(Schiller, Mayrhofer...)

Rolfe-Johnson / Johnson (Hyperion)

Deux volumes particulièrement aboutis de l'intégrale. Ils ont l'avantage d'être extrêmement convaincants tant au niveau des pièces que des interprètes, de ne pas être contemporains du Winterreise pour changer un peu les atmosphères, et de ne comporter qu'un nombre réduit de tubes, ce qui laisse ensuite toute latitude ensuite pour écouter ses interprètes favoris dans les standards dont on ne parvient pas à se débarrasser dans les récitals les plus courants... 

Schubert

Lieder (nocturnes)
(Goethe, Schiller, Ossian...)

Hampson / Johnson (Hyperion)

 

Schumann

Liederkreis Op.39

« Cycle de lieder » (Eichendorff)

Goerne / Schneider (Decca)

- Une sorte d'idéal romantique, sur des poèmes parmi les plus beaux de langue allemande, avec des teintes crépusculaires et mélancoliques, jubilatoires parfois aussi...
- Si l'on privilégie une version féminine, peut-être moins prenante mais tout aussi bien dite (quelques petites imperfections ici ou là, notamment au niveau de l'accent gallois), M. Price / Johnson chez Hyperion est également un excellent choix.

Schumann

Dichterliebe Op.48 

« L’amour du poète »

(Heine)

Fassbaender / Reiman (EMI)

- Une suite de miniatures ironiques sur l'amour déçu. 

- Fassbaender en accentue particulièrement la dérision amère ; le disque RCA, lui, contient en complément l'opus 90 et plusieurs lieder majeurs de Schumann. Enfin, la version disponible sur Carnets sur sol est tout aussi bonne et légalement gratuite, puisque ses droits d'auteur patrimoniaux et voisins sont arrivés à expiration.

 

ou Gerhaher / Huber (RCA)

ou libre de droits disponible sur CSS : Souzay / Cortot

Deuxième période : romantisme tardif
 

Wagner

Wesendonck-Lieder

« Lieder sur des poèmes de Mathide Wesendonck »

Minton / Boulez (Sony)

- Cycle de lieder sur les poèmes de la maîtresse de Wagner, épouse de son mécène d'alors. Ce sont largement des esquisses de Tristan und Isolde, également inspiré par leur relation. Le dernier lied a été orchestré seulement pour une sérénade d'orchestre de chambre sous les fenêtres de Mathilde, à l'occasion de son anniversaire. Les autres orchestrations (pas bien meilleures...) sont dues à Felix Mottl (l'assistant de Hans Richter pour la création du Ring). Cependant, l'oeuvre sonne mieux avec orchestre - au piano, on entend des silences et des redondances, un déséquilibre voix-piano aussi.
- Le problème réccurent est que la diction est totalement incompréhensible, ou alors avec peu de relief, chez la plupart des interprètes. La notre y échappe tout à fait, même s'il y a plus précis (Crespin / Prêtre chez EMI) ; la direction de Boulez fait de surcroît de l'orchestration là où il n'y en pas vraiment d'écrite.
- Le disque Sony est couplé avec de bons Rückert-Lieder, qui ne dispensent peut-être pas d'une version plus frémissante.

Brahms

Volkslieder

S. Genz / Vignoles (Apex)

Parmi les oeuvres très homogènes de Brahms (entre elles, et même à l'intérieur de chaque pièce), c'est là sans doute le corpus le plus avenant. Version très bien dite et chantée.

Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents ou raffinés)

Wolf

Lieder
(Mörike)

Bär / Parsons (EMI)

- Les lieder les plus célèbres de Wolf, interprétés par une voix très claire (qui tient depuis des emplois parfois voisins du baryton dramatique, voire du baryton-basse !), très raffinée, idéal équilibre entre la simplicité et la sophistication. C'est précisément cette simultanéité bizarre qui est le propre de Wolf.
- Epuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas on peut adopter le disque Goethe-Mörike de Kirchschlager / Deutsch Anakreons Grab (paru sous forme de livre-CD et sous forme CD).

Wolf

Spanisches Liederbuch

« Livre de lieder espagnol »

(Heyse & von Geibel)

von Otter / Bär / Parsons (EMI)

- Deux heures de lied sous sa forme populaire et joyeuse, mais toujours très travaillée chez Wolf. Sans doute le plus accessible de son corpus.
- Ce disque, un petit bijou vocal et verbal, est aussi épuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas le disque Schwarzkopf / Fischer-Dieskau / Moore (EMI) est excellent... sauf en ce qui concerne les interventions de Schwarzkopf, pourtant d'habitude plutôt à son aise dans Wolf.

Mahler

Des Knaben Wunderhorn

« Le Cor merveilleux de l’enfant »

(Arnim & Brentano)

Bonney, Goerne (Fulgoni, Winbergh) / Chailly (Decca)

- Des Knaben Wunderhorn, fondé sur le recueil de poèmes populaires d'Arnim & Brentano, est aussi un recueil de chants au ton badin ou insolent, écrits et orchestrés brillamment par Mahler.
- Cette version est la plus complète du marché (car aucune ne contient absolument tous les numéros), soit un lied de plus qu'Abbado. C'est aussi l'une des plus spectaculaires orchestralement et des plus vivantes tout court. 

Mahler

Trois cycles :
- Lieder eines fahrenden Gesellen

« Chants d’un compagnon errant » 

(Mahler)

 - Rückert-Lieder 

« Lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert »

(Rückert)
- Kindertotenlieder 

« Chants sur les enfants morts » (Rückert)

Hampson / Bernstein

(DG, existe également en DVD)

- Trois éléments indispensables de l'histoire du lied orchestral, conçu comme tel dès l'origine, même si Mahler est passé par une particelle (= version piano non destinée à publication), alors que la plupart des exemples précédents sont des orchestrations a posteriori, une fois la carrière des partitions faite en piano / voix.
- Il y a de surcroît quantité d'anecdotes attachées à leur composition dans la vie personnelle de Mahler, ce qui contribue d'autant plus à leur célébrité.
- Interprétation extrêmement incarnée, difficile de trouver beaucoup mieux.
- Moins cher, Henschel / Nagano, assez dans le même genre et avec le même programme, a paru chez Apex. Les petites budgets peuvent y aller voir aussi (sans attendre les textes qui sont chez DG...). On peut aussi citer, dans des cycles dépareillés, Siegfried Lorenz, Waltraud Meier, Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender, etc. Mais on préfère s'en tenir au plus petit nombre de disques possible, pour constituer cette discothèque 'essentielle'.
Mahler Das Lied von der Erde
"Le Chant de la Terre"
(Poètes chinois massacrés)
Thorborg / Öhman (parfois graphié Öhmann) / Schuricht
(domaine public, disponible sur CSS)
- Mahler rechignait à écrire une dixième symphonie, du fait de l'image de la malédiction qui pesait dessus depuis Beethoven et Schubert ; aussi, après sa Huitième, il imagine de présenter autrement sa prochaine grande fresque chantée, sous le titre de Lied, alors qu'il s'agit bien dans son esprit d'une symphonie - c'est au demeurant amplement autant une symphonie que la Huitième (pas moins en tout cas...).
Il utilise l'adaptation allemande de poèmes chinois assez méconnaissables, pour certains à partir d'une traduction française... avec de surcroît des ajouts de sa propre fantaisie ici et là.
- La version Schuricht dispose d'une atmosphère extraordinaire,  et le son est tout à fait bon pour l'époque (à part pour l'incident fameux de l'exaltée néerlandaise probablement nazifiante qui vient prononcer un petit slogan près du micro avant de sortir : on l'entend à peine, ce n'est absolument pas une gêne à l'écoute).
Pour les oreilles sensibles ou les âmes délicates, Klemperer, dans un tout autre genre, plus charnu mais sans sa lourdeur coutumière, est un enchantement.
[pour ceux qui n'aiment pas les versions anciennes :
Ludwig / Wunderlich / Klemperer (EMI)]
R. Strauss Vier Letzte Lieder
« Quatre derniers lieder »
(3 Hesse et 1 Eichendorff)
Te Kanawa / Soli (Decca) - Dans le versant ultralyrique et assez sirupeux du Chevalier à la Rose et d'Arabella, le grand classique du lied orchestral. D'une beauté hors du commun, il faut bien le reconnaître.
- Parmi les pléthoriques excellentes versions (Grümmer / R. Kraus, Stemme / Pappano, Janowitz / Karajan, Norman / Masur, Popp / Tennstedt, Della Casa / Böhm, Mattila / Abbado, Fleming /  Thielemann, Pollet / Weise, etc.), on a choisi celle-ci comme le meilleur équilibre entre la diction (secondaire mais appréciable), l'expression, la ductilité - et la présence de l'orchestre. De surcroît, le couplage avec d'autres lieder orchestrés de Strauss (nettement moins essentiels) correspondait mieux à notre projet que les autres couplages. Mais chacun peut aller voir ses chouchous et ne manquera pas de le faire s'il en a.
Berg Sieben Frühe Lieder
« Sept lieder de jeunesse »
(divers poètes)
von Otter / Forsberg (DG)
(version piano)
- Les Frühe Lieder sont encore dans un ton très décadent à la façon de Schreker ou du jeune Webern, tarabiscoté mais tout à fait dans une logique tonale. On préfère recommander la version piano, pour mieux goûter les délicieuses alternances tension-détente de l'harmonie, et tout l'intimisme sophistiqué de leur ton, mais ils ont été orchestrés par Berg vingt ans plus tard (très belle chose également).
- Les Altenberg-Lieder, eux, sont déjà du côté des recherches d'avant-garde de Berg, et appartiennent vraiment au coeur du vingtième siècle (les strates alla Schreker se font de plus en plus libres et inquiétantes). Le texte chanté est très bref, et l'orchestre tient la première place (souvent l'introduction, les ponctuations et la conclusion sont plus longues cumulées que la partie chantée...). Le travail orchestral tient véritablement de l'orfèvrerie, mais l'on n'est finalement plus dans le lied. [C'est d'ailleurs une constante : après Wolf, le texte, même s'il est très soigneusement choisi, devient de plus en plus prétexte à une expression essentiellement musicale. C'est aussi lié aux langages musicaux de plus en plus libres qui s'accommodent mal des inflexions naturelles de la voix parlée. Et à la prédominance au fil du temps du lied orchestral - un contresens d'une certaine façon par rapport à la nature initiale du lied.]
- On a choisi deux versions superlatives, mais qui ont le défaut d'être séparées, pour deux cycles assez court. Il est donc possible, pour économiser, d'acquérir en un seul volume Banse (Frühe) / Marc (Altenberg) / Sinopoli  (Teldec, avant que ce soit épuisé...), avec une direction extraordinairement précise et intense de Sinopoli, mais Marc vraiment en difficulté vocalement (ça criaille, même si ce n'est pas grave ici - mais on est loin de la magie de Price) ou Balleys / Ashkenazy (Decca), très détaillé, assez sombre et un peu froid (mais peut-être plus préférable car plus équilibré). Tout cela est excellent et, pour le coup, ce sont les versions orchestrales des Frühe Lieder, moins essentielles, on l'a dit, mais c'est une économie possible.
Berg Altenberg-Lieder
« Lieder sur des poèmes de Peter Altenberg »
M. Price / Abbado (DG)
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Cycles contemporains Il existe bien sûr des cycles intéressants plus récents (en particulier Rihm), mais ils nous paraissent moins essentiels, aussi bien du point de vue de la célébrité que de leur intérêt intrinsèque. Il faudrait plutôt aller chercher du côté de la mélodie française symphonique : Poèmes pour mi de Messiaen, La Geôle & Deux Sonnets de Jean Cassou de Dutilleux, Pli selon pli (voire Le Soleil des eaux) de Boulez pour rencontrer des choses vraiment indispensables. Et qui, esthétiquement, doivent bien plus au lied que de la mélodie française. 
Au moins aussi indispensables, mais moins connus et commentés
(donc moins utiles pour nourrir la conversation, et peut-être moins urgents pour le néophyte qui voudrait pouvoir échanger)
Première période : romantisme
Wieck-Schumann Lieder Högman / Pöntinen (BIS) - Entre Schubert et Schumann, et certainement pas inférieure, inspiration et poésie au sommet. - Version superlative pour l'investissement des deux partenaires, la poésie et l'évidence du tout : peut-être le plus beau disque de lied du marché. Couplé avec d'autres indispensables de Fanny Mendelssohn-Hensel et Alma Schindler-Mahler, donc très économique.
- Pour aller plus loin : intégrale Gritton / Loges / Asti (Hyperion) ou  Craxton / Djeddikar  (Naxos). 
Deuxième période : romantisme tardif
On pourrait sans doute parler des lieder de Liszt, mais faute de disques vraiment monographiques (il n'y en a presque pas !), et surtout faute que le corpus soit totalement majeur (même s'il est passionnant !)... on s'abstiendra, en le mentionnant simplement pour mémoire.
Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents et raffinés)
Reger Duos Op.14
(divers poètes dont Eichendorff)
Klepper / M. Borst / Deutsch (Capriccio) - Attention, cela dure à peine un quart d'heure, mais c'est un sommet de délicatesse, le cycle de duos à connaître dans le répertoire du lied.
- Version remarquable avec pianiste remarquable. Couplé avec d'autres duos (intéressants) dans le domaine du lied également.
Reger Lieder May / Renzikowski (Arte Nova) - Ce disque parcourt l'ensemble de la production de Reger, de puis la jeunesse jusqu'à la maturité, et révèle un raffinement décadent dont on n'imaginerait pas capable l'auteur des poèmes symphoniques rondement et tristounettement postromantiques. Un corpus majeur, tout un monde ; dans le même goût que Wolf si l'on veut, mais infiniment plus travaillé et personnel.
- Excellente interprétation, sobre mais habitée.
Schindler-Mahler Lieder
(dont
Novalis et Dehmel)
Högman / Pöntinen (BIS) - Un corpus vertigineux, dont on ne connaît malheureusement que très peu de titres, ceux publiés par Alma de son vivant (on se rappelle que son mari lui avait défendu la composition). C'est véritablement l'une des fulgurances les plus étonnantes de l'histoire de la musique, en pointe de la modernité et de l'invention chez les décadents, bien plus moderne (et, disons-le, plus génial) que Mahler dans les mêmes années, par exemple. A connaître absolument, quasiment tous ceux qui l'ont découvert ont été conquis... 
- Disque superlatif décrit plus haut (Clara Wieck-Schumann) et qui contient aussi du Fanny Mendelssohn-Hensel, donc un véritable achat économique et forcément enthousiasmant.
- Pour aller plus loin : intégrale (de ce qui était alors publié) Ziesak / Vermillion / Elsner / Garben chez CPO.
Langgaard Lieder Dahl / Stærk (Da Capo) - Un corpus étrange, avec une sorte d'hypertophie du discours, quelque chose d'assez véhément et épique, dans un langage qui reste relativement postromantique. Assez insolite, cette manière de traiter la petite forme avec les moyens de la grande, y compris sur la durée assez étendue des pièces.
- Belle interprétation pour pas cher (la seule au disque).
Webern Intégrale Oelze / Schneider (DG) - Dans le coffret de la seconde intégrale Boulez de Webern, la véritable intégrale qui contient (à peu près) tout en deçà des numéros d'opus, on trouve cette intégrale des lieder, par un couple de rêve (ductilité et naturel... surnaturels d'Oelze dans cette musique si difficile, et rondeur très assurée chez Schneider). Les premières oeuvres sont les plus intéressantes, de la tonalité stricte des Frühe Lieder à l'atonalisme libre des autres premiers cycles. Le sens de l'atmosphère de Webern, sans s'attacher plus que cela au mot en tant qu'unité, est proprement exceptionnel. Peut-être l'ensemble le plus émouvant, le plus prenant depuis Schubert... Rien de sombre dans ces premières pièces, juste une sorte de lassitude chaleureuse, comme accablée sous un été gorgé de soleil. A connaître absolument.
Gurlitt Vier dramatische Gesänge
« Quatre chants dramatiques »
(Hardt, Goethe, Gerhart Hauptmann)
Oelze / Beaumont (Phoenix) - Ici aussi, peut-être l'exemple le plus réussi de lieder orchestraux, car le texte est au coeur du traitement de Gurlitt, qui choisi quatre extraits fondamentaux du théâtre allemand pour en faire un traitement relativement récitatif, mais toujours lyrique.
- Oelze participe bien entendu largement à la réussite de l'entreprise par la justesse de son ton mélancolique mais détaillé. (On se souvient qu'Antony Beaumont avait écrit une fin alternative à celle de Philipp Jarnach pour le Doktor Faust de Busoni...)
Schreker Vom ewigen Leben
« De la vie éternelle »
(sur traduction allemande de Whitman)
Barainsky / Ruzicka (Koch) - Dans le versant purement instrumental du lied avec orchestre, un complément très bienvenu au Vier Letzte Lieder, bien plus sinueux et sophistiqué, moins direct aussi. Une orgie orchestrale du meilleur Schreker. [Il s'agit en réalité de l'orchestration de ses deux derniers lieder.]
- Peu de versions disponibles (déjà rares) sont satisfaisantes, celle-ci l'est pleinement.
Korngold Lieder Kirchschlager / Deutsch (Sony) - Beaucoup de poèmes anglais en VO (y compris du Shakespeare) dans les deux cycles proposés dans ce disque, mais Korngold mérite tout de même d'être mentionné, vu son esthétique, en tant que compositeur de lied. Extrêmement tonal, se fondant sur la plénitude des harmonies et des tensions-détentes, il serait assez à comparer à Mahler sans les grincements ou à R. Strauss sans le sirop, pour ces oeuvres-là.  (Leur date de composition est très tardive - années 40, et la conception de ces cycles a donc eu lieu en Amérique où Korngold s'installe comme compositeur de film dès 1934.)
- Magnifique interprétation, ronde, fruité, très dite, très maîtrisée aussi ; avec un piano présent et inspiré.  Il s'agit du premier récital discographique de Kirchschlager - son meilleur au demeurant, et d'une audace programmatique plus que notable, puisque ces Korngold sont couplés avec le premier cycle d'Alma Schindler-Mahler et des extraits de Des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler en version piano. 
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Holl Lieder Holl / Jansen (Sonder) Robert Holl est surtout connu comme chanteur (encore en activité), mais son inspiration comme compositeur apparaît bien supérieure à celle de sa (bonne) qualité d'interprète. C'est une lecture très noire du lied, extrêmement tourmentée et qui reste cependant tonale ; cela se rapproche beaucoup de la couleur de Křenek (en mieux), ou du Berg des pièces orchestrales Op.6 et des Altenberg. En réalité, il s'agit d'un héritage direct de la décadence radicale, et ce n'est pas véritablement de la musique typée XXIe siècle que l'on entend là (encore qu'il y ait aujourd'hui beaucoup de courants postmodernes, néotonals ou syncrétiques - majoritaires d'ailleurs sur la stricte atonalité). Il n'empêche que pour le coup, on dispose d'un traitement étroit du texte et non pas de volutes abstraites ou d'une succession d'effets, et par conséquent, cela marche bien mieux pour le lied.
En tout état de cause, il s'agit d'un très bel ensemble. On peut s'en faire une idée sonore sur son site personnel (les CDs ne sont de toute façon pas faciles à trouver dans le commerce) ; et pour en savoir plus... on peut lire CSS. Ceci, par exemple.
Jalons historiques
(Pour comprendre les origines du lied, mais pas majeur du tout.
On s'est limité aux très célèbres, mais C.P.E. Bach, Zelter et Loewe peuvent permettre de comprendre également des choses.)
Mozart Intégrale Ameling (Philips) - Des miniatures très naïves, vraiment sous forme de romances. On se trouve vraiment au moment où la chanson populaire fusionne avec la bluette de salon (ou plutôt juste avant, puisqu'on est encore dans quelque chose de galant).
- Très belle interprétation souple et gracieuse d'Ameling, mais la version de l'intégrale Brilliant Classics (avec Claron McFadden pour moitié), de surcroît pour partie avec pianoforte (ce qui devrait procurer un brin plus de relief) devait tout à fait faire l'affaire, inutile de se mettre en dépense.
Beethoven An die ferne Geliebte
(Jeitteles)
Goerne / Brendel (Decca) - La première oeuvre expérimentale du lied : le ton est très simple, sans affèteries, mais il s'agit d'un cycle continu où chaque lied s'enchaîne directement aux autres (la partition ne marque d'ailleurs aucune discontinuité), comme un tout. De surcroît, le travail malicieux (mais pas drôle non plus, entendons-nous bien, c'est Beethoven), presque expérimental, sur le matériau musical, le retour de thèmes, la manière de variations sur les motifs déjà énoncés, l'unité générale, tout cela fait véritablement de la chanson légère une oeuvre à part entière, destinée à ceux qui sont capable de l'apprécier - et non plus l'importation de thématiques populaires, même s'il en est encore question.
L'oeuvre en elle-même n'est pas d'une beauté bouleversante, mais sa modernité presque insolente est vraiment impressionnante - et fondamentale pour la suite.
- On propose une excellente version, profonde et intériorisée, couplée qui plus est au Schwanengesang de Schubert, autre morceau majeur du répertoire - une économie de plus !

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Mais... à part l'allemand ?

On a  délibérément écarté les autres langues germaniques, scandinaves et nordiques du corpus, pour des raisons de vastitude de l'entreprise, de documentation disponible moindre... et surtout de nature. Le ton des mélodies nordiques est extrêmement différent du lied ; on parle d'ailleurs de mélodies scandinaves...  Et à juste titre, car il s'agit plus de miniatures rondes et un peu populaires. On pourrait presque parler de chansons (en conservant la mélodie pour le salon poétique à la française). 

Pour ceux qui sont intéressés, on peut déjà indiquer quelques pistes, comme Toivo Kuula pour la part finnoise et la remarquable anthologie Aulin / Rangström / Nystroem / Alfvén / Larsson (et accessoirement Alqvist /  Frumerie / Linde) d'Anne Sofie von Otter et Bengt Forsberg, extrêmement représentative de la meilleure école suédoise (récital « Watercolours  » chez DG). Grieg et Sibelius nous paraissent moins urgents. 

Il manque bien entendu, au sein même des compositeurs de langue allemande, un nombre important de corpus, mais nous les détaillerons plus volontiers dans un autre tableau en préparation, qui tentera de rassembler tous les excellents enregistrements de lieder de notre connaissance, tous compositeurs confondus, destiné donc à ceux qui connaissent déjà le répertoire, ou qui veulent partir à l'aventure, collectionner, etc. 

On a aussi remarqué non sans une indicible horreur, à l'heure de publier ce petit récapitulatif, qu'il nous manquait Erwartung et Pierrot Lunaire de Schönberg. Faute d'avoir été séduits par le premier en quelque circonstance que ce soit, les lutins ne citeront pas de versions pour l'heure, et chercheront. Pour Pierrot Lunaire, la version DeGaetani / Weisberg (Nonesuch) s'impose absolument : les autres versions, trop parlées, trop chantées, trop minaudées, ne nous ont jamais convaincu, alors qu'ici tout prend évidence et poésie.
On tâchera de mettre le tableau à jour en conséquence, mais pour l'heure, il se peut que nous n'en ayons pas le loisir.

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La recommandation des lutins ?

Voici à  à notre gré, sans considération de célébrité, les corpus les plus intéressants, par ordre chronologique : Schubert / Schumann / Wieck / Reger / Schindler / Gurlitt / Webern  / Holl. 


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Pour aller plus loin qu'une discographie ?

Un certain nombre de ces oeuvres et la plupart de ces compositeurs ont été abordés sur Carnets sur sol ;  on peut y accéder : 

- par l'index (pratique, mais encore incomplet) ; 

- dans la série d'introduction au lied

- dans la catégorie indépendante, consacrée à la mélodie et au lied

- en effectuant une recherche dans le petit moteur de la colonne de droite ('Fouiner').

N'hésitez pas, parce qu'il y a très probablement du matériel autour du corpus qui vous intéressera. Et amusez-vous bien. 

samedi 1 août 2009

[comprendre] Les commas, le tempérament égal et le Clavier bien tempéré

Un essai de vulgarisation sur la question des tempéraments. D'après une contribution des lutins en un lieu voisin, très largement réorganisée et précisée.

1. Qu'est-ce que le tempérament ? - 2. Commas dépassés ? - 3. Tempéraments inégaux - 4. Le tempérament égal - 5. Le tempérament égal aplanit-il vraiment tout ? - 6. Le Clavier bien tempéré, le premier tempérament égal ? - 7. Vers un tempérament égal et parfait ?


Clavecin inspiré du facteur français Blanchet.


N.B. : Pour plus de clarté, on désignera par « accord » un groupe de sons et par le plus rare « accordage » l'accord au sens de l'acte d'accorder, de préparer un instrument pour le faire sonner avec justesse. C'est assez indispensable pour éviter les confusions. « Accordage » n'est au demeurant pas un néologisme, mais bien un terme attesté jusque chez le très-sérieux Trésor de la Langue Française - qui autorise même l'oublié « accordement » (non, pas accordailles tout de même).

Suite de la notule.

mercredi 24 juin 2009

Carmen révélée - II - ... à l'opéra de Bizet (a, la révélation)



Elizondo, le village natal de don José.



Carmen de Bizet ; Acte I, scènes 3 à 6.
Dans la version de Michel Plasson chez EMI (2003), qui a le mérite de tout jouer à la façon de l'opéra français, ce qui est une véritable révélation, bien plus cohérente que les espagnolades. Par ailleurs, on entend ici les dialogues chantés d'Ernest Guiraud, d'une grande justesse et d'une grande force ; sans doute le plus beau de la partition... [Et une version alternative de la Habanera, mais par Bizet. Plus dramatique, mais moins lascive.]
Angela Gheorghiu (Carmen), Roberto Alagna (Don José), Ludovic Tézier (Moralès), le Choeur les Elémens et l'Orchestre du Capitole de Toulouse : que de l'excellence.


4. Retour sur la qualité de Carmen chez Mérimée

On l'a dit dans une première notule, l'opéra de Bizet est tout entier contenu dans la troisième partie de Mérimée, c'est-à-dire le récit enchâssé de don José, visité par le narrateur la veille de sa pendaison.

On le précise aussi si ce n'était assez clair, l'oeuvre de Mérimée n'est, d'assez loin, pas sa meilleure, un récit sans grand relief, ni verbal, ni ironique, comme peuvent l'être ses meilleurs titres. Pas de panache particulier à la lecture (pas le frémissement, par exemple, face au dénouement qui s'annonce pour le Vase Etrusque ou même La Partie de Trictrac), pas d'écriture assez personnelle pour refléter un projet.
On l'a déjà précisé : on ne sait trop, et plus encore avec cette absence de conclusion une fois le récit enchâssé terminé et cette quatrième partie informative comme jetée à la hâte, sans objet... où veut en venir l'auteur. Sans doute à une présentation exemplaire de la vie bohémienne - mais dans ce cas, une accroche plus claire aurait peut-être aidé. Et malgré sa longueur réduite, le sentiment par moment que c'est trop long par rapport au propos, mal ciblé aussi.

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5. La troisième partie et le livret de Carmen

Le personnage de Micaëla n'existe pas chez Mérimée, c'est une de ces inventions typiquement opératiques - il lui fallait bien une amoureuse candide. Qu'on songe qu'on faisait déjà de même pour la tragédie lyrique - tout ce qui n'était pas explicité par la tradition antique pouvait être ajouté.

Cependant, le livret de Meilhac et Halévy, à quelques concisions près, à la façon de Dumas, suit très fidèlement la nouvelle, jusqu'à en reproduire certains passages de façon quasiment littérale.

Partons, pour plus de netteté, du livret de l'opéra, et voyons. C'est aisé, car du fait du format de nouvelle du modèle, il ne manque guère d'épisodes essentiels.

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6. Découpage commenté

Acte I, scène 1 :
Pas de Micaëla, donc pas de scène d'attente de don José, qui ne peut évidemment, parlant de lui, commencer que par sa propre histoire. C'est un Navarrais (d'où son surnom de bandit andalou - José Navarro), c'est-à-dire un originaire de la province basque la plus méridionale, d'où son nom (José Lizarrabengoa) et sa langue maternelle à plusieurs reprises déterminante dans le récit. Il est hobereau, et l'histoire tragique de sa déchéance n'en est qu'accentuée, tout en justifiant le don qui précède son nombre. Mérimée lui prête, c'est amusant, la même caractéristique bagarreuse que le Navarrais de la Vénus d'Ille, un temps soupçonné d'avoir tué le fils de la maison pour une bête rivalité de jeu de paume : don José occit en effet un homme de l'Álava (autre province du Pays Basque) qui lui avait cherché querelle, et quitte le pays pour cela.
Il s'engage alors dans l'armée et sert si bien qu'il est en effet brigadier chez les dragons, et bientôt maréchal des logis, lorsqu'il fait la rencontre de Carmen.

La présentation est citée textuellement dans le dialogue de la scène 3 ; voici l'original :

Je suis né, dit-il, à Elizondo, dans la vallée de Baztán. Je m'appelle don José Lizarrabengoa, et vous connaissez assez l'Espagne, Monsieur, pour que mon nom vous dise aussitôt que je suis Basque et vieux chrétien. Si je prends le don, c'est que j'en ai le droit, et si j'étais à Elizondo, je vous montrerais ma généalogie sur parchemin. On voulait que je fusse d'église, et l'on me fit étudier, mais je ne profitais guère. J'aimais trop à jouer à la paume, c'est ce qui m'a perdu. Quand nous jouons à la paume, nous autres Navarrais, nous oublions tout. Un jour que j'avais gagné, un gars de l'Alava me chercha querelle ; nous prîmes nos maquilas, et j'eus encore l'avantage; mais cela m'obligea de quitter le pays.


Armes de la hidalguía colectiva d'Elizondo, avec leur damier sable et argent.


Acte I, scène 2 :
Relève de la garde. Un moment pittoresque, avec la course imitative des petits enfants.
La seule mention qui est faite de la relève se trouve au moment où don José conduit Carmen en prison et la laisse échapper. Les librettistes ont clairement ménagé à partir de là (car on y retrouve des termes communs) une scène chorale de couleur locale, nécessaire dans le cahier des charges de l'opéra.

Acte I, scènes 3 & 4 :
Scène d'exposition qui présente la fabrique de tabac, utile pour la suite. Le narrateur le fait en une phrase chez Mérimée. Mais pour Bizet, c'est l'occasion de faire à nouveau une scène de caractère, avec le chant des cigarières - il faut bien dire qu'il ne se passe absolument rien dans ce premier acte, y compris musicalement d'ailleurs, une satanée coquille vide... [Oui, ceci est un avis tout personnel, nous savons.]

Acte I, scènes 5 & 6 :
C'est là que se situe l'information la plus fondamentale. Carmen est cigarière et surtout bohémienne (étonnant, d'ailleurs, ce poste fixe, sans doute quelque couverture pour une contrebande) chez Meilhac et Halévy... chez Mérimée, on nous dit très souvent qu'elle est fille de rues. Or, si on lit une version complète du livret, on trouve dans les didascalies :

Entre Carmen. – Absolument le costume et l'entrée indiqués par Mérimée : – elle a un bouquet de cassie à son corsage et une fleur de cassie dans le coin de la bouche. – Trois ou quatre jeunes gens entrent avec Carmen ; ils la suivent, l'entourent, lui parlent ; elle minaude et caquette avec eux.

Et qu'on se reporte à Mérimée :

Suite de la notule.

samedi 20 juin 2009

Contemplation

Hier vendredi, alors que nous étions retenu - mais libre - tout l'après-midi dans la sympathique bourgade de Libourne, après avoir fait quelques choses utiles à la société et lu quelques brassées d'auteurs sympathiques (depuis Aulnoy jusqu'au jeune Hugo), il nous prit la fantaisie d'aller contempler le confluent, qui s'est alors révélé se situer à deux pas - la ville y est adossée.

Le théâtre représente une campagne où une rivière forme une île agréable.


A l'acte II d'Armide de Lully - manière d'éviter Smetana et Johann Strauss II -, l'assoupissement de Renaud (Paul Agnew) près d'une rivière. On remarquera le figuralisme ondulant des cordes. Les flûtes sont l'attribut traditionnel, dans la tragédie lyrique, du tableau bucolique et du sommeil. Représentation radiodiffusée du Théâtre des Champs-Elysées (novembre 2008), dirigée par William Christie.


Spectacle étonnant pour celui qui a renoncé depuis longtemps à l'admiration prolongée de la nature pour des édifices plus délibérées et plus sophistiqués.

Suite de la notule.

vendredi 12 juin 2009

Koechlin au concert, Koechlin en vidéo

Soirée musicale hier, dans le grand hangar bordelais (ancien palais des sports reconverti en salle pour concerts classiques). Le programme avait tout pour faire déplacer les lutins :

  • Charles KOECHLIN
    • Vers la voûte étoilée Op.129, nocturne pour orchestre dédié à la mémoire de Camille Flammarion.
  • Richard WAGNER
    • Wesendonck-Lieder
  • Olivier MESSIAN
    • Les Offrandes oubliées, méditation symphonique
  • Richard WAGNER
    • Prélude de Tristan und Isolde
    • Mort d'Isolde (chantée)
  • Interprètes : Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Kwame Ryan ; Jeanne-Michèle Charbonnet (soprano dramatique).


Original, et distribué pour un orchestre pléthorique, ce qui peut procurer un impact physique significatif qu'on ne rencontre pas au disque.


Un regard vers la voûte étoilée - en la cathédrale de Burgos, prodigue de ce genre de structures fastueuses.


Pour fêter l'événement, une longue vidéo intégrale d'un inédit de Koechlin, donné par un grand orchestre, figure en fin de notule.

Suite de la notule.

mercredi 27 mai 2009

Apparition du hors-scène sonore


Les trois extraits musicaux de la notule. On les retrouve plus loin, un par un.

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Le théâtre chanté permet d'utiliser le hors scène d'une façon bien plus riche que la parole parlée : sa technique de projection vocale est bien supérieure, on peut donc comprendre des phrases entières, être fasciné par la musique, et aussi bénéficier d'un choeur tout entier, pour créer des atmosphères. [La musique de scène assez spectaculaire, dans le théâtre parlé, apparaît trop tard pour pouvoir créer cela.]

Le procédé est peut-être plus ancien qu'on ne pense tout d'abord. Mais revenons à nos classiques.

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Les Romantiques à l'Opéra ont usé et abusé - avec quelque raison, le procédé marche à tout coup - du hors-scène chanté, en particulier pour créer des contrastes expressifs avec ce qui se joue sur la scène.

C'est généralement dans le sens misérable de la souffrance de l'individu tandis qu'une foule en liesse s'ébat à l'entour, à peu près jamais l'inverse.

L'exemple le plus net et le plus réussi est peut-être l'acte de Fontainebleau de Don Carlos de Verdi : tandis qu'Elisabeth et Carlos viennent de recevoir la terrible nouvelle qui ruine leurs rêves de jeunes gens, celui d'un amour déjà bâti en rêve depuis des mois, et qu'il faut à présent que la princesse de France reporte sur le vieux roi Philippe, le choeur du peuple chante la gloire de la Princesse devenue reine et la saveur retrouvée de la paix.

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Georges Prêtre dirige l'Orchestre de l'Opéra de Paris en 1987 dans la version originale de l'oeuvre. Michèle Lagrange (Elisabeth de Valois), Martine Mahé (Le Page Thibault) Jean Dupouy (Don Carlos), Jean-Philippe Marlière (Conte de Lerme).


Après s'être vus pour la première fois, ils sont relevés de leur ravissement par l'entrée du page qui salue en Elisabeth la reine d'Espagne - les vers de Locle et Méry ont un poids assez terrible, puisqu'ils font tomber tous les titres à la rime, des couperets qu'on sent venir. Première expression du désespoir. Soudain, en coulisse, les choeurs joyeux a cappella retentissent. Deuxième contraste.
Puis entre l'Ambassadeur d'Espagne, Comte de Lerme, qui vient réclamer le consentement. Faiblement donné. Explosions de joie de la foule, mais d'une façon tendre et exaltée ; à cela se mêle le premier thème du désespoir (en triolets), mais en majeur, faute de pouvoir faire cohabiter les modes majeur et mineur ; mais le thème demeure reconnaissable et l'expression fonctionne tout à fait.
Elisabeth est enfin amenée, et les échos se taisent, laissant seul Don Carlos, abandonné, toujours incognito, et aussi profondément amer que possible.

Ici, la scène de foule est donc le moment d'un cruel contraste entre l'émotion collective (joyeuse) et le désespoir individuel ; la figure publique est révérée, l'humain souffre. Une dualité typique du théâtre de Verdi (Macbeth, Boccanegra, Otello par exemple), et très fréquente de toute façon à l'Opéra et dans le théâtre en général. Car la dissociation est à la fois très efficace dans le dispositif théâtral et très vraie psychologiquement.
Exaltation du personnage intime dans la grande figure historique, c'est un sport romantique très développé.

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Il convient peut-être de citer un contre-exemple célèbre.

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Vous retrouverez l'Orchestre de Covent Garden de l'ère Pappano (qui plus est toujours la prise de son EMI), mais il est ici dirigé (avec goût) par Mark Elder. Roberto Alagna dans « Nessun dorma » tiré de Turandot (Puccini).


« Nessun dorma » est l'un des rares cas où l'exaltation du héros contraste avec la misère qu'il entoure - et qu'il ignore superbement. Se fixant à lui-même une nouvelle épreuve de mort alors qu'il a vraincu lors des les cruelles épreuves imposées par la froide princesse, il condamne le peuple à souffrir et amènera plus loin ses amis à mourir ou à souffrir. Mais ce qui le préoccupe pour l'heure, c'est avant tout la jouissance de la certitude de sa victoire sur la femme convoitée, qu'il lance en quelque sorte à sa fenêtre et aux étoiles, sans qu'il puisse être entendu. Pendant ce temps, on entend le choeur se lamenter sur le martyre qui découlera de cette nouvelle épreuve (des massacres aveugles).
Un tel air d'exultation est rare dans le répertoire, et qui plus est il renverse le schéma habituel (où l'on compatit pour le personnage brisé) - mais Calaf n'est, définitivement, pas un personnage sympathique.

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Mais ce dispositif est-il réellement propre à l'ère romantique ?

Non, non, on en trouve trace dès Quinault. Pour Thésée (1675) [1], tout le premier acte se déroule avec des clameurs de combat en coulisse, tandis que les affects des personnages se dévoilent sur scène, suscités ou ponctués par ces événements.

Il y a fort à parier qu'il n'en existe pas d'exemple antérieur : ce type spectaculaire, cette musique dansante et dynamique étaient alors le propre de la musique française (et le baroque français demeure sans doute son lieu privilégié aujourd'hui encore...). On imagine mal les contemporains de Francesca Caccini ou Cavalli, dans leur psalmodies, introduire ce genre d'effets. Peut-être plus dans le pré-seria du type de Legrenzi, mais on voit mal pourquoi (et comment !) faire un tel crochet esthétique entre les deux genres assez hiératiques que sont le premier opéra et le seria (même si Giovanni Legrenzi est incontestablement plus mobile dramatiquement).

Il existe bien, dans Alceste (1673), un siège contre le ravisseur Licomède, mais il occupe en réalité toute la scène, et les assiégés sont censés être visibles sur le rempart, sans compter les sorties contre les assiégeants. Le dispositif ici n'est pas un dispositif expressif destiné à révéler ou à exalter des affects. La vue d'Admète blessé n'est pas attendue, c'est une surprise d'Alceste après le départ d'Alcide victorieux. [2]

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Sophie Karthaüser (Aeglé), Aurélia Legay (Dorine), Salomé Haller (la prêtresse de Minerve), Nathan Berg (Arcas). Le Concert d'Astrée et Emmanuel Haïm, qui font mieux que rendre justice à cette partition, qui en exaltent grandement les qualités et en masquent tous les déséquilibres.


Vous pouvez suivre le livret ici. Nous avons pratiqué quelques coupures pour ne pas être trop long dans le cadre de cette notule.

On voit ainsi que le choeur des combattants caché suscite l'effroi, ponctue l'affliction et l'inquiétude d'Aeglé pour Thésée, contraste avec la tendresse comique du duo de valets [3], suscite les prières de la communauté, fait écho à l'horreur des mourants, annonce une victoire dont les coeurs amoureux ne savent s'il faut s'en réjouir pleinement ou se préparer à pleurer leur héros.
Le contrat est donc pleinement rempli par rapport à l'effet recherché. De plus, alors que les paroles du choeur évoluent de la lutte à la victoire, la musique de guerre conserve son unité thématique du début à la fin, et donne toute sa cohérence à l'acte entier.

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On peut donc, pour une fois, dater très précisément le procédé à 1675.

Dans toute la tragédie lyrique, cette configuration sera reprise. On peut songer à l'affrontement final de l'Ulysse de Jean-Féry Rebel, calqué en cela sur Lully comme en bien d'autres points [4], même si le livret de Guichard demande plutôt deux côtés de la scène qu'une coulisse (mais Pénélope souffre en attendant). Et bien sûr au combat mortel de Castor dans la version de 1753 (on l'entend crier comme le combattant mourant de Thésée), qui s'interrompt à l'entracte pour déboucher sur la déploration et les jeux funèbres.

Notes

[1] Notre présentation est antérieure à la parution de la première intégrale discographique et aux représentations du Concert d'Astrée. L'oeuvre avait été donnée à la fin des années 90 par William Christie dans plusieurs villes de province, mais on se fondait uniquement sur la partition.

[2] Le montage du librettiste par rapport au texte d'Euripide est d'ailleurs fort intéressant (et même franchement inspiré), ce sera pour une autre fois.

[3] Jusqu'à Isis (fausse séduction entre Iris et Mercure) et la disgrâce très temporaire de l'indispensable Quinault, on trouve des figures comiques dans les opéras de Lully et Quinault, y compris dans les dépits amoureux d'Atys, où les valets sont pourtant absents.

[4] Qu'on s'était promis de détailler un jour, il y a déjà longtemps.

samedi 16 mai 2009

Le blockbuster est un opéra - ancienne version

En fouillant dans mes archives pour reprendre un projet de notule amorcé en 2006 ou 2007, je le découvre déjà largement achevé. Mais pas publié en raison de ses longues digressions (avec pas mal de remarques sociétales). Je n'exprimerais sans doute plus les choses de la même façon (un peu touffue). Pourtant, il comporte quelques éléments qu'il serait peut-être intéressant de fouiller.

Quelques paragraphes subsistent sous forme de notes, mais c'est assez aisé à appréhender, je pense.

Suite de la notule.

jeudi 16 avril 2009

Puissance, volume, projection et résonance


Quelques termes souvent confondus. La distinction est simple.

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Volume (ou puissance) :
Le volume est le nombre de décibels produit par une voix (ou un instrument). C’est une valeur absolue, mesurable, et souvent liée à la nature de la voix (bien sûr développée par le travail).


Dans certains répertoires, mieux vaut disposer à la fois d'une grande puissance et d'une excellente projection.
Wagner vu par Kietz en... 1840 ! On n'avait encore rien vu.


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Projection :
La projection désigne la façon de « faire passer » un son, même faible, de façon à ce qu’il soit entendu. Cela passe tout simplement par une concentration du faisceau sonore. On peut ainsi rendre audible un son très fin et doux dans une grande salle.

Suite de la notule.

mercredi 15 avril 2009

Le baryton - II - une histoire sommaire (a)

L'avant-tragédie lyrique.

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3. Aux origines

A l’origine, la distinction entre catégories vocales n’existait pas, si l’on prend pour origine les chansons populaires (tranposables, et surtout dans une tessiture très centrale) ou le chant liturgique issu du Haut Moyen-Age (vieux-romain, messin et enfin grégorien). Sur les tessitures grecques, manifestement peu étendues (car limitées à la juxtaposition de deux tétracordes, souvent défectifs qui plus est), il est un peu difficile de se prononcer, mais à moins d’effets inconnus, elles étaient à peu près égales à l’octave.
Sachant que la tessiture standard au XIXe siècle (ne parlons pas du XXe !) se situe légèrement au-dessus de l’octave et demie pour les barytons, et autour des deux octaves pour les ténors et les basses, on se fait une idée de la différence de difficulté d’exécution.

De ce fait, n’importe quelle voix pouvait chanter, à l’unisson avec les autres, une séquence de plain-chant (comme c’est encore le cas, chez les catholiques, dans le rituel tridentin, et même dans les messes de Vatican II, dont on exige rarement qu’elles soient chantées à plusieurs voix). Toutes ces œuvres sont donc écrites (contrairement à la version originale de la Marseillaise, par exemple, requérant beaucoup de sol 3) dans une tessiture de baryton réduite au minimum.
D’une certaine façon, au commencement n’existait que le baryton.

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4. Le madrigal et l’apparition de l’opéra

Suite de la notule.

jeudi 9 avril 2009

[PRONONCIATION-DICTION] La qualité de la langue étrangère - quels critères ?


Pour en finir avec la subjectivité désordonnée.

Il est souvent question, sur Carnets sur sol, mais aussi dans de nombreuses autres circonstances , y compris professionnelles ou quotidiennes, de la qualité de la langue parlée. Pas seulement de la grammaire, mais aussi de la prononciation.

Or, on confond très souvent les critères, et on peut mélanger des choses différentes à l'importance très contrastée.

Le moment est venu pour nous d'opérer un tri pour plus de clarté pour nos lecteurs, en espérant qu'il ne se trouve pas dans nos notules endroits où, suivant une idée précise, nous n'avons pas respecté cette nomenclature a posteriori. Car les mots sont flous en la matière, et ce que nous proposons sont plus des entrées conceptuelles que des mots de vocabulaire, qui sont les nôtres et qu'on pourrait intervertir, sans doute, avec d'autres.

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Pour la qualité d'une langue parlée ou chantée, nous percevons quatre critères différents, du plus essentiel au moins essentiel (mais parallèlement du plus facile au plus difficile !). Les deux premiers concourent à l'intelligibilité, c'est-à-dire au caractère compréhensible de la parole, le deuxième et le troisième à l'idiomatisme, c'est-à-dire au respect de la langue, le quatrième étant plus de l'ordre de la coquetterie, falcultatif.

Pour plus de clarté dans nos explications, nous avons privilégié les textes en français, mais c'est évidemment valable pour toutes les langues - et au premier chef, à l'Opéra, pour l'italien, sévèrement massacré en tous lieux du monde.

Avec exemples précis et sonores, comportant comme invités : Joan Sutherland, Barbara Hendricks, Lorraine Hunt-Lieberson, Mireille Delunsch, Anna Netrebko, Charles Panzéra, Boris Christoff, Thomas Allen, Simon Keenlyside et Philip Addis.

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1. L'articulation

C'est-à-dire la clarté d'élocution. Toutes les voyelles et toutes les consonnes sont reconnaissables, ou du moins articulées de façon à ce que chacune soit identifiable au bout du compte.

C'est le plus important : être clair.

[On parle souvent d'intelligibilité sur CSS pour dire articulation, ce qui est peut-être un abus de langage, puisque l'intelligibilité dépend aussi grandement de l'accentuation. (Sinon même les Américains ne se comprendraient pas.)]

A l'Opéra, les voix placées en avant sont plus intelligibles (ce qui ne favorise pas toujours les francophones par rapport aux anglophones, mais c'est une autre histoire). On rencontre aussi des interprètes qui se font une spécialité de l'expressivité des consonnes détachées (particulièrement dans le lied), et, plus fort encore, des voyelles (Dietrich Fischer-Dieskau et Jérôme Corréas).

Bon point :
- Charles Panzéra, avec sa voix claire et placée très en avant, assez mixée aussi, représente un modèle absolu d'articulation.


[[]]
Invocation des follets chez Berlioz (Damnation de Faust).


Mauvais point :
- Lorraine Hunt-Lieberson, californienne, dispose d'une prononciation située très en arrière, ce qui rend, malgré une qualité de langue tout à fait honorable, un résultat très peu compréhensible. On ne reconnaît pas bien les consonnes et les voyelles qui se succèdent.


[[>]]
Menaces à l'acte I de la Médée de Charpentier.


- Joan Sutherland, australienne. Ici aussi, mollesse des consonnes, mais le désir de posséder une voix égale, un legato parfait, une couleur homogène (jusqu'à la monochromie chez elle) tend à gommer les qualités propres de chaque timbre dans la langue d'origine. On lit d'ailleurs chez certains théoriciens du chant (la référence Miller, pour ne pas la nommer) qu'il faut procurer au [i] la quantité du [a]. Ce n'est pas forcément faux (dans une perspective issue de l'école italienne), mais le but de la manoeuvre, exercice à l'appui, est de faire sonner et résonner le [i], de façon puissante et agréable - alors qu'il est naturellement petit (tout le temps) et laid (chanté). Certains chanteurs cependant poussent la fantaisie jusqu'à émettre de façon très identiques les voyelles. On recommander aussi d'émettre un [o] dans l'aigu pour le [a], afin de ne pas ouvrir le son et de ne pas se fatiguer. Bref, autant de petits arrangements qui, appliqués avec parcimonie, peuvent débloquer des difficultés physiques, mais qui systématisés sans esprit de perspective, peuvent produire une bouillie linguistique assez rebutante pour qui n'est pas glottovore certifié.


[[]]
Le Tribut de Zamora de Gounod : « Ce sarrasin disait... »

Contrôle surprise : Que racontait la dame ?
[Sachant que c'est pire en italien.]
A force de rechercher la rondeur et la plénitude de timbre, l'individualité des couleurs naturelles de la langue disparaît, jusqu'à brouiller le message.

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2. Accentuation

Suite de la notule.

dimanche 15 mars 2009

Pelléas & Мелизандь économistes


Alors que les lutins, persuadés que Pelléas ne pouvait être mis en scène avec succès, avaient toujours refusé de voir une représentation ou un DVD de la pièce, ils se sont laissés séduire par la formule du film de Philippe Béziat : des extraits commentés et montés de la mise en scène prometteuse d'Olivier Py à Moscou, pour la première représentation scénique de Pelléas en Russie. Première scénique, car Moscou avait déjà accueilli l'oeuvre en intégralité en 1987 avec un autre produit d'importation authentique, Manuel Rosenthal, mais en version de concert.

Nous en revenons, et malgré le fait qu'il nous a fallu quitter la salle avant la fin de la projection pour menus soucis personnels, on peut tout de même en décrire la saveur. Et répondre à quelques questions qui se posent légitimement.

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1. Modèle économique

Le plus intéressant, en fin de compte, réside peut-être dans la question économique, qui, on le sait, amuse toujours CSS.

Pourquoi faire un film de ce qui ressortit au concept du making of ?

Nous avions déjà quelques hypothèses en réserve qui se sont concrétisées au visionnage.


Entrée encombrée du cinéma Utopia à Bordeaux.


  1. Il y a de toute évidence chez Philippe Béziat une prétention à l'esthétique tout à fait réelle - et assez bien réalisée -, qui veut tirer le documentaire vers la poésie. On y reviendra.
  2. Le fait de sortir en salle permet accessoirement d'obtenir des subventions du CNC (Centre National de la Cinématographie), ce qui n'est jamais à négliger pour un film à ce point de niche (public d'opéra, qui aime Pelléas, et qui est prêt à se déplacer au cinéma pour voir des bouts de répétition...).
  3. La sortie en salle permet de prolonger la rentabilité du film : contrairement à une représentation en scène, reproduire un film ne coûte que peu par rapport au prix de la conception initiale. Seuls le projectionniste, l'ouvreur et le vendeur de billets sont mobilisés - et la salle occupée. Pas d'acteurs, de musiciens ni de techniciens, et plusieurs autres salles peuvent être remplies (à part le projectionniste sans doute, le reste du personnel se partage donc pour d'autres 'spectacles' projetés).
  4. Tout bêtement, le fait d'être diffusé, même très confidentiellement (quinze petites salles sur toute la France), permet de bénéficier d'un écho que n'aurait jamais un DVD, et à plus forte raison un DVD documentaire.


C'est donc à mon avis une fine analyse de la situation, qui devrait favoriser les ventes de DVDs, si le public ne boude pas le produit comme pas assez ambitieux pour un film.

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2. Un film ?

Le film se constitue de façon assez claire.

  • On suit l'ordre de l'action, à de rares (et bizarres) entorses près : de la rencontre à la Fontaine jusqu'à la mort (du moins on le présume, il ne restait plus que l'acte V lorsque nous sommes sorti).
  • Chaque scène de chaque acte, abordée méthodiquement, est précédée d'une citation en exergue (censée mettre en valeur la poésie universelle et allusive de Maeterlinck), et se concentre généralement sur un moment intense, l'acmé de la scène.
  • Au fil de l'action, les participants sont interrogés, essentiellement les russes (chanteurs instrumentistes), à l'exception d'Olivier Py bien sûr, et de François Le Roux. Chaque moment est l'occasion.
  • Aucune scène n'est filmée en entier, Béziat privilégie les interludes et les transitions, et puis quelques répliques fortes. J'aimerais mieux avoir perdu ce que j'ai, plutôt que d'avoir perdu cette bague !
  • On dévie souvent sur le quotidien des russes qui participent à l'aventure.


L'image est belle, bien qu'elle souffre de la monochromie (bleu-gris et blanc cru) et du décor - certes tournant - finalement unique de Py. La caméra, en tournoyant, joue de la verticalité des barreaux du décor, filme volontiers près, et parfois flou ou décadré, avec un réel bonheur.

Une des véritables faiblesses du film est que cette limitation aux moments forts :

  1. ne permet pas de saisir l'essence ou l'atmosphère réelle de la mise en scène de Py ;
  2. rend absolument impossible, malgré les bouts de résumé, au néophyte de suivre. Et s'il le peut, c'est en suivant une histoire à grands traits, très lointaine, pas franchement captivante.


Le résultat est qu'il s'agit bien d'un documentaire, même esthétisé, très intéressant (et remarquablement chanté), mais qui ne gagne pas nécessairement à être contemplé comme une oeuvre d'art et d'une traite.

J'étais curieux de connaître la réaction du public (pas très jeune) dans la salle, mais beaucoup sont partis, quelques-uns ont ronflé - et, il faut bien le reconnaître, moi-même, alors même que j'étais encore dans mon assiette, n'étais pas absolument magnétisé par ce qui se passait. Une paisible paraphrase, scène à scène, de l'opéra, certes réussie, mais était-ce à contempler gentiment pendant 1h48, d'une traite ? Cela appelait plutôt les commentaires, le visionnage en petit morceau, précisément scène à scène.

Par ailleurs, se trouvant dans des petites salles, le son, provenant d'une seule source peu puissante et de qualité assez moyenne, n'apportait aucune plus-value - et de même pour l'écran relativement modeste.

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3. Instants volés

Quelques moments de grâce méritaient cependant le détour.

On y découvrait l'envers misérable d'une vie de chanteur d'opéra en Russie, travailleurs peut-être plus glorieux que d'autres face à leur public, mais menant une existence aussi chiche une fois hors scène. Le petit appartement vétuste de Dmitri Stepanovitch dans une barre grise, certes ceinturée d'un parc, est assez éloquent - même s'il ne sert en réalité aucun propos.
Il faut tout de suite préciser que ce n'est pas un cliché - Galina Gorchakova, armée de sa mauvaise langue légendaire, l'avait amplement crié sur les toits du vaste monde, expliquant que les chanteurs du Kirov de l'ère Gergiev-Philips, en plus d'être corvéables à merci, répétant, tous les jours, des rôles différant des représentations du soir, étaient payés misérablement, et plus au moins au lance-pierres.

Après les précisions en particulier d'Olivier Py, sur les manipulateurs du décor, des jeunes gens qui ont souvent un autre travail sans tout à fait joindre les deux bouts, on perçoit étrangement ces figures furtives, manipulant les cages, comme un écho des bagnards damnés du quatrième acte de la Lady Macbeth de Mtsensk de Kušej.

L'égarement de l'orchestre, qui joue dès qu'il le peut la Pathétique ou Boris, sous les directives plaisantes mais très imagées de Minkowski, traduites avec beaucoup de concision, apparemment, par l'interprète, est aussi intéressant à voir, même si le résultat est beau. On ne peut s'empêcher tout de même de reconnaître Tchaïkovsky dans une certaine profondeur de son, une manière de rubato (jusqu'à ne plus suivre la battue, certes réputée singulière, de Minkowski) - et surtout Boris Godounov dans les motifs oscillants du début de l'oeuvre, qui se trouvent très nettement au début du IIe acte de Boris. Là, on sent que les russes lâchent la brident et parlent leur langue naturelle. Pour un résultat bizarre... mais qui sonne tout de suite.


L'orchestre du théâtre musical Stanislavski & Némirovitch-Dantchenko, malgré une dissolution temporaire le temps de la réfection du théâtre à la suite de deux incendies, reste d'un niveau tout à fait remarquable. Cet orchestre attaché à un théâtre secondaire, reprenant depuis peu le travail collectif, produit un résultat que pas mal d'orchestres de fosse dans le monde pourraient lui envier. Minkowski, sans se soucier de la relativité de l'humour, les chambre d'ailleurs avec douceur sur leur justesse parfois défaillante dans les moments d'application : « La pulsation était parfaite et l'harmonie... intéressante. ».

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4. Un bref instant, révélateur du noeud du film

Suite de la notule.

dimanche 8 mars 2009

Wagner en français, exemple (II) - les Adieux de Wotan

Manière de poursuivre notre gentil périple sur Wagner en français, dont on ne dispose que de scènes isolées par de grands chanteurs un peu à la ramasse (pour télécharger Germaine Lubin, c'est par ici), voici un extrait complémentaire par les lutins.

On rappelle les épisodes précédents :
- le point sur la diffusion (qui ménage quelques surprises) de Wagner en France et ses traductions en français ;
- l'Annonce de la Mort dans la traduction de Victor Wilder (où nous chantons Brünnhilde et Siegmund, avis aux amateurs d'exotique vocal).

Aujourd'hui, manière de faire tout aussi exotique et de poursuivre la démonstration (ça sonne drôlement bien en français) et l'information (ça n'a jamais été enregistré, du moins pour toutes les parties en duo), CSS propose à ses lecteurs les Adieux de Wotan, mais avec une large partie du duo qui précède (Nicht streb, o Maid, jusqu'à la fin de l'opéra). L'occasion de vérifier que votre hôte est sans conteste la meilleure Brünnhilde octaviste de la discographie.

Suite de la notule.

mardi 24 février 2009

Die Gezeichneten par Nikolaus Lehnhoff - la fausse réhabilitation, II : les choix

Ces aimables prolégomènes ayant été achevés, la mise en scène elle-même.

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Aspect scénique

Avant toute chose, il faut reconnaître que le dispositif de la statue, et le décor de manière générale, avec ces galeries ouvertes qui observent la scène, sont de toute beauté. Et même profondément adéquats.

Cette statue hellénistique démesurée et brisée évoque bien évidemment l'ère décadente, mais sert surtout tout au long de l'oeuvre de support. Ainsi le badinage amoureux se fait-il sur ce corps dénudé et déformé par l'érosion - on ne peut décider si marcher sur ce ventre doit être considéré comme troublant, ou bien évoquer le soubassement constant de la difformité de Salvago. Et, de même, Carlotta asseoit sa domination intellectuelle et émotive (toujours paradoxale) depuis le crâne renversé de la statue.
La main encore rattachée au corps tient lien d'évocation du tableau caché de Carlotta. L'usage de la main à terre pendant la bacchanale du III est sans doute moins heureux, mais s'inscrit dans ce désir de ne pas faire du décor qu'un support visuel qui évite la littéralité et stylise de façon un peu poétique les situations.

Bref, le décor de Raimund Bauer et son usage par Lehnhoff est admirable, le gros point fort de la mise en scène - de quoi, sinon approfondir le livret, du moins nourrir la réflexion d'autres mises en scène à venir. La littéralité scénique, le prosaïsme ou la laideur auraient été terribles à supporter ici.

De ce point de vue, on connaît de toute façon la valeur de Lehnhoff, l'assurance d'une direction d'acteurs précise et d'atmosphères évocatrices.

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Déplacement de concept

Nikolaus Lehnhoff fait le choix de présenter la difformité de Salvago comme purement sociale, c'est-à-dire comme un jugement moral porté sur une différence qui n'est pas apparente. On le voit ainsi se travestir durant l'ouverture, en contradiction avec le propos du Prélude, mais il est de tradition depuis longtemps d'occuper l'oeil pendant les débuts de spectacle. Il serait donc déprécié pour ses penchants invertis, ou du moins son caractère insaisissable.


Une fois n'est pas coutume, pour nous faire gagner du temps (c'est toujours ça de dérobé à la Mort, diront les plaisantins), un extrait du site maudit qui s'est par ailleurs nettement amélioré en matière éthique.


Suite de la notule.

jeudi 29 janvier 2009

La tragédie lyrique : l'intégrale - III - de CAMPRA à DESTOUCHES

(Comprend également la radiodiffusion intégrale, manifestement téléchargeable avec l'accord des artistes, du Carnaval & la Folie de Destouches / Houdar de La Motte, par Hervé Niquet et l'Orchestre de l'Académie d'Ambronay.)

Suite de la notule.

mardi 27 janvier 2009

Opérette ou ne pas

Qu'est-ce au juste que l'opérette ?

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Il faut absolument signaler ici l'article de J.-Lou de Libellus sur la question, abordée d'abord sous l'angle des définitions confuses des dictionnaires, ensuite sur le caractère propre au genre.

J'avais promis une réaction plus ample, la voici.

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L'abbé Bridaine (1701-1767), religieux-comique ou curé d'opérette ?


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1. Les définitions

Les rédacteurs de dictionnaires, qui ne sont pas musicologues, insistent très souvent sur le ton de l'oeuvre ('comique', 'léger'), voire sur sa qualité musicale supposée ('mineure', 'divertissante', 'prétexte'). On entend parfois ce résumé qui n'est jamais que l'extension de ces définitions : L'opérette, c'est un opéra qui finit bien. [Nos lecteurs sont heureux d'apprendre en ce jour que Parsifal est une opérette.]

Ce n'est pas sot non plus, parce que si l'opérette est essentiellement une affaire de dates, on peut aussi essayer d'en faire un genre, et c'est très souvent comme cela que le genre est perçu. Pour faire rapide, on parle d'opérette, en principe, pour le genre léger allemand à partir de Johann Strauss II et Lehár (donc très reconnaissable) , et pour l'opéra-comique (donc avec dialogues parlés obligés) du vingtième siècle.
Mais on peut aussi tâcher d'établir une distinction entre le genre opéra-comique, pas forcément comique (comme la Médée de Cherubini ou la Carmen de Bizet...), très théâtral mais où les numéros de bravoure vocaux, par leur virtuosité ou par leur caractère, sont essentiels, et l'opérette, où le comique est obligatoire et où le théâtre prévaut, chaque 'numéro' musical servant surtout à dresser des portraits des personnages, à apporter une touche de pittoresque, un décor, une respiration à l'action.

Dans le cas rigoureux, Les Mousquetaires au Couvent de Varney (1880), La Mascotte d'Audran (même année), et Véronique de Messager (1898) sont des opéras-comiques, c'est-à-dire des oeuvres de théâtre lyrique fondées sur l'alternance entre chant et parole aux XVIIIe et XIXe siècles.
Dans le cas où l'on cherche à caractériser chaque genre, ces trois oeuvres peuvent être classées comme opérettes, même si j'aurais personnellement tendance à conserver Varney du côté de l'opéra-comique pour une question de ton beaucoup moins burlesque que chez Audran et beaucoup moins sirupeux que chez Messager, avec une thématique théâtrale nettement inspirée de ses prédécesseurs. Ce ne sont pas la fantaisie citadine des opérettes d'Yvain ou les espagnolades de Lopez, mais vraiment une petite histoire théâtrale qui fait un tout, assez proche de la logique du Postillon de Longjumeau d'Adam par exemple. Et musicalement, l'écriture n'en est pas si éloignée non plus, même si l'on perd, air du festin de Brissac excepté (des sol3 tenus, et un sillabando très rossinien), la virtuosité dans les exigences vocales.

=> Sur ces questions, on peut aussi consulter la classification de CSS.

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2. L'origine de l'opérette

Suite de la notule.

jeudi 15 janvier 2009

Pourquoi l'alto a-t-il mauvaise réputation ?

Tiré du même enregistrement, à une minute d'intervalle.

Les violons :


Les alti :

Suite de la notule.

vendredi 9 janvier 2009

Dinorah, ou comment les questions génériques rendent chèvre

A la suite d'un petit débat avec Morloch, spécialiste international des pirates généreux et des expéditions extrême-orientales ratées, le moment est venu pour les lutins de revenir sur cette oeuvre, l'objet de deux des premiers articles publiés sur Carnets sur sol. Retranscription informelle.



La question du genre

Le Pardon de Ploërmel (création londonienne sous le titre de Dinorah, la même année qu'à Paris), sans doute en raison de sa création à l'Opéra-Comique, est désigné comme un opéra-comique. L'occasion de vérifier, encore une fois, le caractère flottant et peu rigoureux des dénominations que les compositeurs eux-mêmes accolent à leurs oeuvres.

Au sens technique, donc, Dinorah est plutôt une comédie lyrique, c'est-à-dire une oeuvre certes d'essence comique (et encore...), si on prend en considération la légèreté de son ton (plus que de son sujet, pas si éloigné de la Sonnambula de Bellini) et certains passages d'essence drolatique. (Attention toutefois, c'est celle qu'on propose, mais la dénomination n'est pas encore employée à l'époque. C'est la catégorie d'Arabella ou de Colombe.)

Ce n'est pas un opéra-comique dans le sens où il ne se trouve pas de dialogues parlés entre les numéros lyriques, mais seulement des récitatifs (et des numéros pas toujours très individualisés, mêlés de récitatifs ou s'enchâssant, comme c'est l'usage chez Meyerbeer). [Sur la question du genre de l'opéra-comique, voir ici.]

Ce ne peut pas être un Grand Opéra pour des raisons qu'on rappelle :
- pas de sujet historique ;
- pas cinq actes, ni même quatre ;
- pas de grand ballet ;
- pas de ténor lyrique à contre-notes ;
- pas d'enjeux potentiellement tragiques (au sens le plus élevé).

En réalité, faute de pouvoir utiliser un terme anachronique, et surtout faute d'être parfaitement convaincu par le caractère essentiellement comique (?) de Dinorah (il s'agit plutôt d'un 'sérieux léger'), nous proposerons une autre appartenance un peu plus loin.

Suite de la notule.

mardi 30 décembre 2008

Arabelle et Didon

Le prénom singulier d'Arabella dériverait, dit-on, de l'Arabelle française. Il aurait été popularisé par tantôt le roman, tantôt le conte d'Alexandre Pope, dont elle était l'héroïne.

Il est temps d'y mettre un peu d'ordre.

Si vous suivez notre esprit tortueux, nous ferons un petit voyage assez loin du point de départ.


Gravure de la Quatrième édition (Bernard Lintott, Londres 1715) de ce que vous verrez.

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1. Quel texte ?

Le texte d'Alexander Pope est bel et bien un conte, en vers, écrit en 1712 et organisé en cinq chants [1]. Un conte typique de son temps, qui n'a rien d'une histoire pour enfants mais, bien dans l'esthétique du conte d'alors, multiplie les références, aussi bien à Galileo qu'à Proculus, les jeux d'allusions érudites ou malicieuses.

Témoin la fin du quatrième chant :

See the poor Remnants of these slighted Hairs !
My hands shall rend what ev'n thy Rapine spares :
These, in two sable Ringlets taught to break,
Once gave new Beauties to the snowie Neck.
The Sister-Lock now sits uncouth, alone,
And in its Fellow's Fate foresees its own ;
Uncurl'd it hangs, the fatal Sheers demands ;
And tempts once more thy sacrilegious Hands.
Oh hadst thou, Cruel ! been content to seize
Hairs less in sight, or any Hairs but these !

... que la traduction de 1763 transcrit, librement mais justement, comme ceci :

Voici ces restes malheureux de ma tête blonde. O malheureux restes ! Ne crains point, Belinde, d'arracher toi-même ce que le Ravisseur a épargné. O destin cruel ! triste souvenir de mes boucles si bien frisées, qui tombaient avec tant de grace [sic] sur mes épaules ! Hélas ! il ne m'en reste plus qu'une qui prévoit sa triste destinée dans celle de sa compagne : elle attend le ciseau fatal : viens donc, Traître : ravis-la encore d'une main sacrilége [sic]. Ah ! cruel, pourquoi m'as-tu dérobé cette Boucle si glorieusement exposée à la vue des humains ?

L'allusion finale est moins martelée, et le ton de délibération presque tragique, moins travaillé que dans l'original, c'est certain (de petites interjections ou apostrophes font office de vocabulaire éloquent).

Au fait, il est peut-être temps de signaler le titre du conte : « La boucle de cheveux enlevée », ou encore « La boucle dérobée ». Ce qui ne traduit qu'imparfaitement le jeu du titre anglais. The Rape of the Lock. Et vous comprenez de quelle façon, à la lecture de l'extrait proposé par les lutins, la métaphore peut être filée.

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2. Quelle héroïne ?

Mais, vous l'aurez peut-être noté à la lecture de la version française, la femme à la boucle [2] se prénomme Belinde, soit Belinda dans le texte anglais.

Trahison ! Point d'Arabelle !

En revanche, l'épître dédicatoire qui précède le texte s'adresse à Madame Arabella Fermor (avec une magnifique coquille en 'Femor' dans la traduction de 1763...) - par politesse, car la dame est alors demoiselle [3]. Point d'Arabelle pour autant.

Mademoiselle Fermor était connue pour ses grâces, chantée par des poètes dont on s'étonne (à peine) de l'oubli. Thomas Parnell, par exemple :

From town fair Arabella flies ;
The beaux, unpowdered, grieve ;
The rivers play before her eyes,
The breezes softly breathing rise,
The spring begins to live [...]

Elle est, comme le rappelle l'épître, à l'origine de l'anecdote réelle de la boucle de cheveu volée. Un jeune noble de vingt ans, Lord Pretre, lui avait réellement dérobé cette boucle sans son accord, ce qui avait été vécu comme un affront par Arabella et causé un différend entre les deux familles, différend que des médiateurs avaient proposé de tourner en art pacificateur, à travers une historiette qui présenterait l'anecdote de façon légère et plaisante. Seulement, Pope, bien que s'étant chargé de la mission, ne connaissait pas la famille et, satisfait de son travail, publia le conte sans l'accord de la demoiselle, en prétendant en introduction avoir été chargé par elle d'écrire l'histoire. En fin de compte, c'est par cette nouvelle introduction, une dédicace plus respectueuse, que l'affaire finit par être apaisée.

On tire comme leçon de cette histoire, outre l'origine circonstancielle du poème, la préexistance d'Arabella à La Boucle sous forme écrite, et la fascination autonome qu'elle a pu exercer sur ses contemporains. Par ailleurs, la nature (ou infamante, ou dérisoire) de l'anecdote, et le destin proposé par la fin du Quatrième Chant pour Belinda n'incitent pas trop à doter sa fille d'un tel prénom encombrant. (Et comme par hasard, on ne rencontre plus guère de Belinda... On dit ça, on dit rien.)


Belinda vue par Peters & Dukarton en 1777...

Si, il est bien une Arabella qui apparaisse suite à cette histoire : la propre fille de Mademoiselle Fermor et de Monsieur Perkins. Mais il est douteux que la boucle y ait quelque part.

Certes, la fin du Cinquième Chant promet une consolation de la perte de la boucle dans la gloire littéraire donnée par le poème. Mais quelle gloire paradoxale, après tant de sous-entendus licencieux...

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3. Quel lien ?

Eh bien, point d'Arabelle du tout, point d'Arabella justifiable... pour le prénom, un point de départ peu convaincant. Et puis d'abord, dans Arabella, la seule chose licencieuse, c'est le verre d'eau.

La preuve :

Acte II :
MANDRYKA
So fliesst der helle stille Donau mir beim Haus vorbei,
und hat mir dich gebracht! du Allerschönste !
(Geheimnisvoll)
Und heute abend noch, vor Schlafenszeit -
wärst du ein Mädchen aus der Dörfer einem meinigen,
du müsstest mir zum Brunnen gehen hinter deines Vaters Haus
und klares Wasser schöpfen einen Becher voll
und mir ihn reichen vor der Schwelle, dass ich dein Verlobterbin vor Gott
und vor den Menschen, meine Allerschönste !

Acte III :
ARABELLA
(zu Mandryka hin, sehr leicht)
Kann Ihr Diener
im Hof zum Brunnen gehn und mir ein Glas
recht frisches Wasser bringen dort hinauf?
[...]
MANDRYKA
(traurig vor sich)
Sie hat gar nichts gemeint, als ein Glas Wasser haben
und Ruh vor meinem Anblick. Oder spotten hat sie wollen,
vielleicht - ? Wenn sie nur spottet wenigstens,
ists doch schon eine Gnade, eine unverdiente, das weiss Gott ! [...]
ARABELLA
Das Glas da habe ich austrinken wollen ganz allein
auf das Vergessen von dem Bösen, was gewesen ist
und still zu Bett gehn, und nicht denken mehr an Sie und mich,
und an das Ganze was da zwischen uns gewesen ist
bis wieder heller Tag gekommen wäre über uns,
vielleicht - vielleicht auch nicht. Das war in Gottes Hand.
Dann aber, wie ich Sie gespürt hab hier im Finstern stehn
hat eine grosse Macht mich angerührt
von oben bis ans Herz
dass ich mich nicht erfrischen muss an einem Trunk :
nein, mich erfrischt schon das Gefühl von meinem Glück,
dass ich gefunden hab den, der mich angebunden hat an sein Geschick
mich angebunden dass ich mich nicht mehr losmachen kann -
und diesen unberührten Trank credenz ich meinem Freund,
den Abend, wo die freie Mädchenzeit zu Ende ist für mich.
(Sie steigt von der Stufe und reicht ihm das Glas hin. Welko nimmt ihr geschickt das leere Tablett aus der Hand und verschwindet.)
MANDRYKA
(Indem er schnell in einem Zug austrinkt und das Glas hoch in seiner Rechten hält.)
So wahr aus diesem Glas da keiner trinken wird nach mir,
so bist du mein und ich bin dein für ewige Zeit !
(Er schmettert das Glas auf die Steinstufen.)

(Pour ne pas surcharger notre emploi du temps sensible, on renvoie chacun à sa traduction du livret, mais les extraits sont sélectionnés.)

Et, comme on le voit, de surcroît d'une licence bien honnête (de celles qu'on acquiert avec certain anneau).

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4. Et le lien avec Didon ?

Ma foi, tant qu'à causer, ne pas causer totalement pour rien.

Nous songions que les coupures (très généreuses) dans Arabella, bien dommage tant elles privent d'une musique et d'un texte qui, quoique volubiles, ne connaissent pas les longueurs, faisaient miroiter différentes Arabella. Ainsi, chez Keilberth, à la réouverture de l'Opéra de Munich en 1963, la réplique où Arabella donne l'une des clefs de son pardon est supprimée : il s'agit de l'éloge de Zdenka, une sorte d'émulation, d'inspiration ou de prétexte qui à défaut d'expliquer complètement, procure certaines pistes. Ajoutée au jeu de Lisa Della Casa, cette suppression donne l'image d'une Arabella pour qui le désir du mariage n'a jamais été fêlé - contrairement à ce que peut laisser supposer le texte ou la mise en scène de Mussbach mêlée au jeu mélancolique de Mattila. Lisa Della Casa semble affligée, indignée peut-être, mais jamais profondément déçue, comme acceptant l'erreur d'un mari abusé. Le découpage, en tout cas, laisse paraître cela, protestant peu, le rappelant immédiatement, ne laissant guère de doute ou de distance à son retour.

C'est ce désir de perfection, présent dans le texte complet, qui rapproche peut-être Arabella de la Didon de Nahum Tate.

De même qu'Arabella rêve, en plus d'une vie idéale, une rencontre idéale, mise en scène par ses soins (témoin la série des adieux badins et cruels au bal), si bien que le monde se dérobe sous ses pieds à la première erreur (et de taille !) du promis, Didon porte une conception de l'amour extrême, aussi bien envers le défunt Sychée, qui ne peut connaître de successeur, qu'envers Enée.

En assistant en début de saison à l'opéra de Purcell / Tate, nous avons été frappé par deux moments du texte qui laissent entendre que Didon est fautive.

Jusqu'à présent, nous trouvions très logiquement Enée abject, obéissant à sa destinée enviable et aux menaces des dieux, au mépris de ses engagements et des soins empressés pour renverser les murailles de vertu qui entouraient Didon. Une fois brisés les repères de sa vie et sa fierté, il délibère au premier rappel d'abandonner la malheureuse. Qui, privée de sens - ayant détruit l'ancien, ne pouvant fonder le nouveau -, ne peut guère que mourir, la pauvrette.

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5. La faute à Didon

Pourtant, Tate semble suggérer autre chose, sans amoindrir les torts d'Enée.

For 'tis enough,
What'er you now decree,
That you had once
A thought of leaving me.

(Traduction maison : Car il suffit / Quoi que tu décides à présent / Que tu aies une seule fois / Pensé pouvoir me quitter.)

Lorsque Enée vient prendre congé, Didon ne laisse absolument pas d'issue, tandis qu'il hésite encore : la moindre fêlure est inacceptable pour celle qui vit l'amour absolu. Une faiblesse est une trahison, l'amour est une entité complète qui ne peut pas être modulée et encore moins réduite, il est ou n'est pas.

Evidemment, Enée ne peut plus que suivre la décision première, le départ. Mais le choeur semble à la mort de Didon, comme nous, s'interroger sur la nature très absolue des reproches à Enée, si bien qu'il semble qu'un tel coeur ne pouvait être heureux.

Great minds
Against themselves conspire,
And shun the cure
They most desire.

(Les âmes fières / Conspirent contre elles-mêmes / Et fuient le but / Qu'elles désirent par-dessus tout.)

Ce choeur, qui précède directement la mort de Didon, donne assez clairement pour cause de sa disgrâce son désir d'absolu, comme si les sorcières étaient internes à Didon.

Quelle ressemblance avec la peur panique des fiançailles imparfaites chez Arabella, d'une certaine façon !

Et c'est ici que s'achève notre rêverie sinueuse.


Le Départ d'Enée par Francesco de Mura.

Notes

[1] La dénomination originale indique : Poème héroï-comique, ce qui n'est pas contradictoire.

[2] Non, elle ne doit pas suivre l'homme à la pomme.

[3] Elle ne se marie à Francis Perkins qu'en 1715.

mardi 23 décembre 2008

Les néo- et les post-

Beaucoup de confusion existe dans la question de ce qui néo- et de ce qui ne l'est pas. Nous tentons d'y mettre un peu de clarté, comme nous nous efforçons de le faire à intervalle régulier sur CSS.


Saint Stephen Walbrook (de Wren), à Londres. Néo-romain ou néo-Renaissance ?


Carnets sur sol vous propose sa propre nomenclature (en musique, car le reste serait l'objet d'autres notules !).

D'abord, puisque les deux préfixes existent, nous tâchons d'en profiter pour mieux catégoriser les choses, et toujours nous différencions les néo- des post-.

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1. Définitions

C'est assez simple :

=> Les post- poursuivent un langage existant.
Soit ils peuvent le reproduire de façon servile (on peut considérer Scharwenka comme un post-romantique encore tout à fait romantique, qui écrit du Chopin au début du vingtième siècle), soit ils prolongent le langage existant, mais sans rompre avec la tradition (Rachmaninov, encore tout à fait romantique en 1943).

=> Les néo- recréent un langage.
Ou de façon fantasmatique (Stravinsky dans The Rake's Progress, un opéra écrit à la façon du XVIIIe mozartien), ou de façon très éloignée dans le temps (le Concerto pour piano de Sheila Silver est, dans les années 90, d'un goût chopinien teinté d'un peu de Debussy).

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2. Les types de néo-

Ensuite, les types de néo-. Nous en voyons trois formes principales, qui peuvent se mêler.

=> néo-imitation : on cherche à reproduire fidèlement une illusion, en laissant au besoin quelques indices.
Exemples : l'Adagio d'Alboni, composé par le musicologue italien Remo Giazotto en 1949 (et qui est d'ailleurs d'un baroque un peu romantisé, mais involontairement sans doute), Première Symphonie de Prokofiev (imitation plaisante de Haydn, mais l'orchestration, par exemple, n'est pas aussi exacte que Prokofiev aurait pu le faire s'il l'avait souhaité).

=> néo-hommage : on souhaite retirer le meilleur d'une production antérieure (souvent sa simplicité), on écrit quelque chose qui s'inpire librement de qualités anciennes (Le Tombeau de Couperin de Ravel).
Chez certains compositeurs, dont Stravinsky, le néo-hommage devient tout de bon une néo-invention, qui conçoit un langage nouveau à partir de la simplicité fantasmée des classiques, revendiqués comme source d'inspiration - et non d'imitation (Apollon Musagète, par exemple).

=> néo-persiflage : on amasse tout un tas de caractéristiques passées de modes qu'on relève pour en faire une composition amusante.
La catégorie inclut souvent le pastiche (Sonata da caccia d'Adès, l'opéra de l'acte III de Colombe...), car elle dépasse souvent la simple imitation pour singer plutôt un type.
Le néo-persiflage relève de l'humour en musique, que nous avons déjà nomenclaturé récemment.

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3. Vers une chronologie

Pour entrer un peu plus dans le détail (et les complexités, au cas par cas). On peut en profiter pour détailler un peu l'usage des différentes compositions possibles. (Nous soulignons les termes usuels et nous grassons les termes utiles.)

Suite de la notule.

samedi 29 novembre 2008

La tragédie lyrique : l'intégrale - II - de JACQUET DE LA GUERRE à MARAIS

Même protocole que précédemment :

  • classement par ordre approximatif d'exercice des compositeurs dans le domaine de la tragédie lyrique (en ce sens, il aurait fallu inverser Rebel père et Jacquet de La Guerre) ;
  • en gras, ce qui a été recréé dans les vingt dernières années ;
  • en italique, ce qui n'a pas été enregistré ;
  • les trois écoles de tragédie lyrique, classement proposé par CSS, sont définies ici ;
  • enfin, la première partie du panorama se situe ici ;
  • on nous pardonnera, on l'espère, les nombreuses formules un peu hâtives ; il s'agit surtout d'un guide commode à consulter, pas d'un commentaire digne de ce nom.

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  1. JACQUET DE LA GUERRE, Elisabeth Claude (1665-1729)
    • Dernière représentante de la Première Ecole, elle en tire les meilleures conclusions, avec une mobilité harmonique très accrue (largement digne de Charpentier), un soin de la couleur très développé. (Ses suites pour clavecin sont à connaître impérativement, parmi les plus belles pièces écrites pour l'instrument - il existe un superbe disque proposé par Carole Cerasi chez Métronome.) Après Céphale, son style se tourne vers la cantate déjà proche de la Troisième Ecole, plus proche de Blamont et Rameau que de Clérambault.
    • Céphale et Procris (1694) - Duché de Vancy
      • 1989 - Malgoire
      • 2005 - Dolci
        • Initialement recréé par Malgoire, Céphale & Procris s'inscrit dans une forme d'apogée de la tragédie lyrique, où la hauteur de l'expression lullyste se combine avec une recherche musicale inhabituelle dans le genre - qu'on retrouvera sous une autre forme, cette fois plus polyphonique qu'harmonique, chez Destouches. Le livret, en outre excellent, ménage une scène finale saisissante. La tragédie n'a cela dit connu aucun succès, puisqu'elle n'a été représentée intégralement qu'une fois à l'époque de sa création, et jamais reprise. Malgré la qualité linguistique et vocale parfois discutable des protagonistes, il s'agit d'un jalon majeur de l'histoire du genre, à connaître absolument.
        • Le sujet du livret exploite une miniature moins célèbre des Métamorphoses d'Ovide (VII, 661-865), une figure de double inconstance, dans une symétrie relative que goûte beaucoup ce théâtre-là.
  2. DESMAREST, Henri (1661-1741)
    1. Didon (1693) - Mme Gillot de Saintonge
      • 2002 - Rousset
        • A Beaune. Un magnifique concert, avec notamment la délicieuse Brigitte Balleys et un Jérôme Corréas à son sommet. Retransmis sur la télévision française en cinq morceaux et à une heure impossible. Très belle prestation de Christophe Rousset ; et la mise en place du concert était très esthétique. Impossible de mettre la main dessus, alors que l'oeuvre est largement plus intéressante que tout ce qui est publié à l'heure actuelle de Desmarest, et que le concert a bel et bien été enregistré...
        • La partition a en revanche paru aux presses du CMBV, mais son prix relativement élevé et surtout l'absence de réduction pour formation plus standard la rend assez peu utilisable en dehors des ensembles spécialisés. La qualité graphique n'est en outre pas exceptionnelle - Finale peut produire mieux que cela, en principe... Sinon, évidemment, beaucoup d'émotion en parcourant ce beau texte et cette musique élevée.
    2. Circé (1694)
      • Sur un sujet semblable à l'Ulysse de Rebel. Jamais de reprise depuis la création.
    3. Vénus et Adonis (1697) - Jean-Baptiste Rousseau
      • 2006 - Rousset
        • Un livret plutôt distendu, un drame tout pastoral. Ressemble furieusement à du Lully, avec ses types d'ensemble, ses nombreux récitatifs ou ariosos. On retrouve la patte de Rousset, qui bride un plateau potentiellement excellent, et un peu d'indolence, de sècheresse, de manque d'engagement. Toutefois, cette discrétion, dans une oeuvre à tel point en pastel, prend du sens, une espèce de volupté sobre dans la lenteur, dans ce son très instrumental. On salue par-dessus tout la Vénus de Karine Deshayes, qui n'a pas dans ce répertoire les trous de projection dans le médium qu'on lui connaît dans les oeuvres postérieures, et qui fait valoir une qualité de déclamation comparable en un certain sens à la hauteur de Blandine Stakiewicz.
    4. Iphigénie en Tauride (1704) - achevé par Campra à la suite de la fuite de Desmarest
      • Initialement prévu pour Montpellier 2007 avec Hervé Niquet. Annulé et remplacé par un (certes très bon) Don Giovanni du même chef. En revanche, une soirée avait eu lieu à Versailles en 1999 avec Véronique Dietschy, Monique Zanetti et Jérôme Corréas.
    5. Renaud ou la suite d'Armide (1721) - Abbé Simon Joseph Pellegrin
      • L'oeuvre entend prendre la suite du chef-d'oeuvre de Lully, mais le livret de l'Abbé Pellegrin (surtout connu pour son Hyppolite & Aricie) laisse dubitatif sur la réussite de l'ensemble.
  3. MARAIS, Marin (1656-1728)
    1. Alcide (1693) - en collaboration avec Louis Lully (livret de Campistron)
      • 2006 - Corréas
        • Prévu pour le 8 octobre 2006 à Versailles, avec Aurélia Legay, Salomé Haller, Brigitte Balleys, Paul Agnew, Nicolas Cavallier. C'est inespéré - les collaborations, si à la mode au dix-neuvième siècle pour faire vendre, comme si les talents s'accumulaient au lieu de se diviser, inspirent aujourd'hui la plus grande défiance, avec le culte du créateur démiurge - qui ne saurait être entravé par la moindre contrainte. (On rejoint les enjeux de la création contemporaine d'opéras.) On accueillira donc cette recréation avec enthousiasme - à ceci près que les deux compositeurs n'étant jamais joués, on ne pourra guère être catégorique sur leurs styles respectifs. Louis Lully avait rencontré en 1690 un grand revers avec Orphée, en collaboration avec son frère Jean-Baptiste fils ; la police dut même interdire les sifflets ! Il assura tout de même bon nombre d'oeuvres de la transition, comme Colasse (et, dans une moindre mesure Desmarest) avant les grands succès de Campra (à commencer par L'Europe Galante, opéra ballet).
        • Une fois écouté, Alcide révèle un livret modérément inspiré (sans grande surprise, Campistron ayant commis le peu immortel Acis & Galatée) et surtout une musique servie de façon un peu sage (ce qui est peut-être assez logique eu égard à la jeunesse de l'ensemble). On y retrouve le ton mélancolique de Marais, et ses admirateurs y trouveront sans doute de l'intérêt - mais étrangement, CSS n'apprécie pas trop ce ton de rêverie un peu larmoyante qui caractérise Marais - comme s'il employait la viole de gambe en permanence dans tous les registres.
        • Le livret a bien peu convaincu à son époque également. Les musicologues n'ont pas établi avec clarté, semble-t-il, la part de chaque compositeur dans l'ouvrage. Quoi qu'il en soit, le ton en est très proche des autres oeuvres de Marais, et la fluidité du résultat rattache sans grande ambiguïté Alcide aux débuts de la Deuxième Ecole.
    2. Ariane et Bacchus (1696) - Saint-Jean
      • 2006 - Discrète année Marais, on attend une à peu près intégrale de ses opéras. A suivre.
        • Manifestement annulé. Il n'y a pas eu de recréation.
    3. Alcyone (1706) - Houdar de La Motte
      • 1990 - Minkowski (CD)
        • Beau disque, mais le livret de Houdar de La Motte fait véritablement dans le stéréotype pataud et la musique ne soutient pas forcément l'attention des lutins - qui sont manifestement seuls dans ce cas, ce qui laisse penser qu'il s'agit plutôt d'une réticence de notre part au langage de Marais. Pas du tout prioritaire à notre avis, mais c'est un jalon important de la Deuxième Ecole, quoi qu'il en soit.
      • 1991 - Christie
        • Représentations seulement.
    4. Sémélé (1709) - Houdar de La Motte
      • 2006 - Niquet
        • Dans une veine plus sarcastique, une assez belle réussite de Marais / La Motte, une tragédie aussi ironique que lyrique, qui peut rappeler la tendresse semi-cruelle de Busenello envers ses personnages, mais qui ne se départit pas non plus des exigences élevées du genre. Distribution de premier choix pendant les représentations scéniques, menée par Blandine Staskiewicz... une fois de plus scandaleusement remplacée au disque. (Même si c'est encore une fois une excellente alternative qu'on nous propose.)
        • Au disque, Niquet a fini par enregistrer le Prologue (à force de se faire conspuer pour son attitude charcutière). L'élan de l'ensemble est tout à fait délectable, et le Prologue vraiment excellent de surcroît, peut-être même, une fois n'est pas coutume, le meilleur (musicalement s'entend) de l'oeuvre. Le riche livret de Glossa comprend comme il est devenu d'usage des articles indispensables (ce qui rend le produit impiratable), notamment sur l'instrumentation de Marais.

Suite de la notule.

samedi 8 novembre 2008

Franz Liszt - VIA CRUCIS - II, Contexte et dévotions

Introit

Les lutins conseillent de façon récurrente l’écoute du Via Crucis de Liszt, en ce qu’il s’agit d’une œuvre d’une économie et d’un climat extraordinaires.

Il arrive pourtant fréquemment que de véritables esthètes, très sensibles à la qualité d’œuvres épurées et raffinées, manifestent un scepticisme appuyé devant cette œuvre, trop religieuse ou trop indigente. Presque un cantique provincial qui anticiperait sur l’ambiance Vatican II.

On en tient sans doute une explication dans la discographie, relativement étendue, mais souvent peu convainquante. A notre grand étonnement, au demeurant, tant l’œuvre nous semblait parler d’elle-même.

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Liszt et la vocation

Liszt, dès son plus jeune âge, avait été plongé dans de forts sentiments religieux, et ce n’est qu’en cédant aux prières de sa mère qu’il avait renoncé à se faire prêtre. Déjà fortement inspiré par la rencontre de Lamennais à l’âge de vingt-trois ans, il franchit le pas définitivement en 1865 en entrant chez les Franciscains (ordre où la sobriété règne en maître), à la suite de l’impossibilité de faire annuler le mariage de sa compagne Carolyne de Sayn-Wittgenstein, épouse d’un prince russe. C’est à son contact qu’il élabore son projet de réforme de la musique religieuse, délivrée de toute théâtralité romantique, fondée sur un retour aux références grégoriennes.

Malgré le soutien de Pie IX, son adhésion au mouvement cécilianiste se trouve en butte à des réticences de sa hiérarchie : Pustet, l’éditeur attitré du mouvement, refuse son Via Crucis, et l’ensemble de sa démarche se trouve finalement condamnée pour modernisme par sa hiérarchie.

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Source

Dès janvier 1874, Liszt souhaite écrire cette œuvre, inspiré par les aquarelles de Johann Friedrich Overbeck (réalisées en 1855).

Jésus est condamné à mort (comme chez Liszt, c’est la lâcheté de Pilate qui est mise au sommet de la scène) – Jésus est chargé de la croix (« Ave, crux ! » – « Salut à toi, croix ! »)

Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croixDéploration des femmes de Jérusalem

Jésus est cloué sur la croix

On se passera de commentaire sur la qualité exceptionnelle de ces aquarelles sur carton, qui ont surtout pour elles d’avoir été réalisées par un luthérien fraîchement converti au catholicisme – ce qui peut excuser bien des fautes de goût.

Liszt emprunte, pour mener à bien son projet de rénovation musicale du culte religieux, aux modes grégoriens (ce qui est en particulier sensible dans le Vexilla Regis initial et lors de sa reprise dans les deux derniers tiers de la quatorzième station) comme le font les cécilianistes, mais aussi à Palestrina, à l’esthétique luthérienne et, ponctuellement, à Bach (on y trouve au moins une citation de la Passion selon saint Matthieu).
Ce qui ne l’empêche nullement, dans cette atmosphère épurée, de produire une œuvre extrêmement personnelle, au style très reconnaissable, avec une belle unité et une audace harmonique réelle. Comme on l’a déjà souligné, l’atmosphère musicale du Via Crucis tient pour bonne part du Tristan réduit à l’essentiel – sans trop d’audaces et sans trop de notes. Pour une émotion très directe.

Eu égard à la niaiserie de son modèle pictural, la puissance de la musique parcimonieuse et de la dramaturgie minimale du Via Crucis tient tout de bon du miracle.

Suite de la notule.

samedi 13 septembre 2008

Histoire sommaire du dodécaphonisme sériel (2) - le fondateur

Volets précédents :


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Un mot un peu plus développé à présent sur le créateur du système, en insistant sur les articulations logiques de sa démarche.

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Peinture d'Arnold Schönberg,
Vision rouge, 1910
huile sur carton, 35x25,
Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus.
On notera le caractère très subjectif de ce qu'est une vision, ici.


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a) L'héritage

Arnold Schönberg, héritier culturel de l'esthétique du postromantisme plus qu'adepte d'une posture 'décadente' (bien que nous suggérions que la démesure de ces postromantiques-là ait quelque chose de décadent), connaît une première période d'un postwagnérisme assez tiède, plus caractérisée par le gigantisme et la prétention universalisante que par son invention musicale.
Néanmoins, son oeuvre de jeunesse, restée la plus populaire de toute sa production, la très-romantique Nuit transfigurée (1899) pour sextuor à cordes d'après Dehmel [1], fondée sur l'héritage d'un Wagner assez propret, a déjà fait scandale par l'usage d'un accord impossible à analyser.

S'étant plongé dans le sérieux mythique et médiévalisant du wagnérisme avec ses titanesques Gurrelieder, Schönberg va pousser très loin l'évolution de son langage : le Deuxième Quatuor à cordes (1908) débouche sur des accents certes encore romantiques, mais bien plus libres et inquiétants ; et les Cinq Pièces pour orchestre (1909) relèvent déjà de l'atonalité. Cependant, ces musiques conservent des pôles encore très forts : la musique semble attirée d'un point vers un autre, et se grouper autour de notes et d'accords forts, sortes de pivots, comme dans la musique tonale.

La même année, Erwartung dépasse ce stade, vers une atonalité extrêmement libre, où les différentes parties du discours musical semblent se dérouler indépendamment les unes des autres [2]. Ses lieder aussi se déplacent vers un langage de plus en plus libre, de plus en plus flou 'tonalement', de plus en plus angoissant aussi pour l'auditeur.

En 1912, Schönberg tente de théoriser un mode de déclamation semi chanté, le fameux Sprechgesang (« chant parlé ») du Pierrot Lunaire, oeuvre librement atonale aux accents de cabaret - revus par le prisme très intellectuel d'une composition sérieuse d'avant-garde. Notées par de petites croix, les notes indiquent des hauteurs approximatives à atteindre en voix parlée, une tentative (parmi d'autres) de noter de façon plus rationnelle la déclamation. Si les rythmes fonctionnent très bien, la notation des hauteurs s'est avérée assez approximative en réalité.
A cette époque, Schönberg est en train de s'émanciper totalement de la tradition d'écriture tonale, dans un univers absolument libre, mais encore relativement intelligible (enfin, pour l'époque, sans doute pas tant que ça). On y retrouve beaucoup de réflexes issus de la musique tonale, notamment les tensions et les pôles.

En détricotant ce qui fait le fondement de la musique même, Schönberg s'est probablement senti un peu désemparé devant l'ampleur des possibles qui s'ouvraient à lui, et, soucieux de transmettre son savoir, a vraisemblablement ressenti le besoin de théoriser quelque chose.


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b) Vers une non tonalité en système

Il est temps de faire un petit bilan.

Schoenberg hérite d'une situation où l'harmonie tonale (donc l'agencement des gammes et accords) est de plus en plus instable, rongée par le chromatisme (donc pas le mélange de gammes différentes, jusqu'à perdre les repères). Lui-même poursuit dans cette voie et accroît cette instabilité, jusqu'à quitter partiellement ou totalement la tonalité - mais en en conservant les caractéristiques, c'est-à-dire les impressions de tension, d'attraction, de repos (un accord en appelle un autre, on peut sentir la fin arriver, etc.). Peu à peu, cette liberté nouvelle dilue également ces repères (comme dans Erwartung). Devant l'immensité du champ qui s'offrait alors, Schoenberg a estimé (avec raison) que la tonalité disparaissait de fait et qu'il s'agissait d'en prendre acte et de fonder quelque chose d'autre.

En 1923, dépassant la "suspension des fontions tonales" - c'est-à-dire l'abolition de la logique de tension / détente qui fondait toute la musique occidentale, pour faire vite -, il propose le "système des douze sons" (lui-même ne parlait ni d'atonalité, ni de dodécaphonisme), où chaque son, égal aux autres, doit être exploité au cours de la série de base de chaque composition, et ne doit pas être répété avant que tous aient pris la parole.
Cela produit donc une "gamme" différente par composition, l'omniprésence de la dissonance (qui perd sa valeur expressive, donc), et de grands sauts d'intervalle pour exploiter tous les douze sons disponibles en Occident dans une octave. C'est avec sa Suite pour piano qu'il inaugure le système, qu'il transmet à ses deux élèves, Berg et Webern.

Le Troisième Quatuor à cordes (1927), les Variations pour orchestre (1930) et son opéra inachevé Moses und Aron (qui emploie en outre partiellement le sprechgesang, pour le rôle de Moïse) se plient à cette technique.

Le souhait de Schoenberg était de produire un système qui résolve la crise de la tonalité, et qui puisse être compris et apprécié de tout le monde. Pour des raisons structurelles que nous avions notamment évoquées dans le domaine vocal, il a sans doute péché par excès d'idéalisme. La démocratie n'était pas transposable en musique : rendre les sons égaux n'était pas nécessairement une solution efficace , les sons n'ont pas de subjectivité et se fichent d'être respectés. Seule compte la réception par le public de l'agencement de ces sons, et il existe des contraintes culturelles, physiques et pratiques que, dans l'effervescence créatrice de la Vienne intellectuelle, Schoenberg n'a pas semblé apercevoir.


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c) Caractéristiques du système

Les compositeurs, eux, se sont montrés enthousiastes.

L'ouverture d'esprit de Schönberg - qui ne désirait en rien imposer son intuition - lui a permis de travailler avec un autre artisan d'un système dodécaphonique sériel, Josef Matthias Hauer (1883-1959), en essayant de concilier leurs points de vue (finalement un échec, Hauer s'étant montré peu enclin à assouplir son propre système).

Car Schönberg prévoyait, pour laisser plus de liberté, la possibilité de :

  • transposer la série (c'est-à-dire de changer la série de tonalité, de hauteur - comme on le fait en musique tonale) ;
  • renverser la série (c'est-à-dire d'utiliser les mêmes intervalles entre les notes, mais dans le sens inverse : un demi-ton vers le haut devient un demi-ton vers le bas, et ainsi de suite) ;
  • rétrograder la série (c'est-à-dire d'utiliser les mêmes intervalles, mais en partant de la fin de la série vers le début) ;
  • combiner le le renversement et la rétrogradation (c'est-à-dire utiliser les intervalles en partant de la fin de la série vers le début, mais en inversant le sens des intervalles entre aigu et grave).


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d) Réception dans le monde musical

Le procédé implique, Schönberg s'en aperçoit vite, des difficultés pour le développement

Lire la suite.

Notes

[1] Fondé sur le poème de Dehmel, « Zwei Menschen » - ‘Deux humains’ - tiré du célèbre recueil Weib und Welt - ‘Femme et Monde’.

[2] Le contrepoint, c'est-à-dire la relation entre plusieurs lignes mélodiques simultanées, en est en effet comme privé de règles.

Suite de la notule.

vendredi 5 septembre 2008

Introduction à l'atonalité et au dodécaphonisme sériel

La question est si souvent posée... Qu'est-ce que l'atonalité, l'atonalisme, le dodécaphonisme sériel, le sérialisme ?

Essai de poser des jalons historiques et esthétiques, en partant de la tonalité et du chromatisme.


Généralement, les définitions de ces termes s'adressent d'abord aux musiciens. Elles sont abstraites et réclament beaucoup de préalables pour être comprises. Avec souvent assez peu d'exemples.

Nous avons essayé de produire une synthèse qui rassemble sur une seule page tous les principaux termes en débutant du point de départ (la tonalité). Elle se veut accessible même aux non musiciens, du moins sur le principe des différents outils utilisés par les compositeurs.

N'hésitez donc pas à demander des éclaircissements ou d'autres exemples si tel ou tel point vous paraît obscur.

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1. Présentation

Le dodécaphonisme sériel, théorisé par Schönberg, prévoit de substituer à la gamme une série de base, composée des douze sons de la gamme chromatique, choisie par le compositeur pour une oeuvre, qui peut être renversée selon des procédés de miroir. Cette série, fondée sur des intervalles entre notes et non sur des notes à hauteur précise, remplace les fonctions tonales, qui sont abolies - et par là même, la valeur expressive de la dissonance.

La série est utilisée comme la gamme tonale, en mélodie et en harmonie.

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2. Terminologie : tonalité, modulation, chromatisme, atonalité, atonalisme, dodécaphonisme, dodécaphonisme sériel, sérialisme et boulézien

Tonalité :

Mode d'organisation des sons dans le système classique (et populaire) occidental. A partir d'une gamme de sons, on conçoit des mélodies et des harmonies tirées de cette gamme et hiérarchisées de façon précise.

La plupart des musiques du monde se fondent sur des gammes, qui ne sont autre que des modes, c'est-à-dire une suite de sons de référence qu'on va employer dans ses morceaux. La tonalité est un type de mode propre à l'Occident (on peut la faire remonter à la Renaissance). Il en existe une version majeure et quelques versions mineures (souvent signalé dans les intitulés de morceaux).

Dans ce qui nous intéresse, la tonalité représente la norme employée par tous les compositeurs à la fin du XIXe siècle.

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Modulation :

Il s'agit du changement de tonalité en cours de morceau. En principe, la modulation conserve les mêmes intervalles et le même nombre de notes dans la gamme (seule la hauteur de la gamme se modifie), mais le contraste entre l'ancienne gamme et la nouvelle crée aux oreilles de l'auditeur l'impression d'un changement de couleur.
C'est pour cela que le baroque et le classique, qui modulent peu, ou les musiques extrêmes-orientales, qui ne connaissent pas la modulation, peuvent paraître uniformes au bout d'une trop longue écoute.

Exemples de compositeurs qui modulent peu :
=> Rossini, Donizetti... (les morceaux restent très homogènes au niveau des gammes utilisées, modulations très rares)
Exemples de compositeurs qui modulent énormément :
=> Wagner, Ravel, Richard Strauss, Szymanowski, Schreker...

Pour bien prendre conscience de l'intérêt d'une modulation, le mieux est d'écouter Schubert, les siennes sont très audibles et toujours heureuses.

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Chromatisme :

Dans un contexte tonal, on peut introduire des notes qui n'appartiennent pas à la gamme de départ, ce qui crée des surprises, des étrangetés. C'est ce que l'on appelle le chromatisme.
(La gamme chromatique est constituée des douze demi-tons occidentaux : do, do#, ré, ré#, mi, fa, fa#, sol, sol#, la, la#, si.)

Exemples de compositeurs très chromatiques
=> Wagner (on cite à bon droit Tristan en exemple), Alma Schindler-Mahler...

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Atonalité :

Etat d'un morceau qui ne peut plus être analysé selon les grilles de la tonalité.

Cela peut se manifester par des accords inconnus de l'harmonie tonale (la présence d'un accord inanalysable a été fortement reproché à Schönberg pour sa pourtant très postromantique Nuit Transfigurée d'après Dehmel) ou sans fonction harmonique détectable.
Bien sûr, dans les cas les plus avancés, plus rien ne ressemble à de la tonalité. L'atonalité peut donc désigner soit une tonalité qui n'est plus compréhensible, soit un langage qui ne doit rien à la tonalité.

Exemples de compositeurs ayant recours à l'atonalité :
=> Richard Strauss dans la scène de Clytemnestre d'Elektra, Abel Decaux dans ses Clairs de lune... Et tous les atonalistes exclusifs (voir définition suivante).

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Atonalisme :

Position de principe du compositeur qui choisit de composer en dehors de la tonalité. Comme Schönberg est le seul théoricien de l'atonalité a avoir connu quelque postérité, on rattache plutôt le mot à ses héritiers (qui vont refuser les fonctions tonales habituelles) qu'aux compositeurs qui vont exploiter des modes hors de la tonalité (avec de micro-intervalles par exemple) tout en conservant une hiérarchie entre les sons. Peut être péjoratif (accusations d'idéologie). Voir définitions suivantes pour plus de clarté.

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Dodécaphonisme :

Au sens large, le dodécaphonisme est l'usage des douze sons de la gamme chromatique (voir ci-dessus). Le « Premier Prélude » du Clavier bien Tempéré ou la Fantaisie chromatique de Bach, dans ce sens-là, sont donc des oeuvres dodécaphoniques.

Dans son sens le plus courant, il s'agit d'une abréviation de dodécaphonisme sériel.

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Dodécaphonisme sériel :

C'est le terme exact, bien qu'on rencontre souvent 'dodécaphonisme', 'sérialisme dodécaphonique', ou même 'sérialisme' tout court pour désigner ce même langage.

Le dodécaphonisme sériel, inventé par Schönberg, postule le remplacement des fonctions tonales (c'est-à-dire la hiérarchie entre les accords, le fait qu'un accord en appelle un autre) par un système égalitaire des douze sons entre eux, organisés par série comme exposé en introduction (et comme nous y reviendrons).
La polarité disparaît : il n'est pas possible de sentir comme chez Mozart qu'un accord en appelle forcément un autre de précis, que l'accord de fin va venir comme chez Beethoven, et la répétition de la note est interdite (pour ne pas créer de 'pôle' artificiel autour de la note répétée).

Nous aimons dire que le dodécaphonisme est la démocratie appliquée à la musique par Schönberg : abolition des rangs et des privilèges, tous les sons sont égaux. Un son = une voix, en quelque sorte : on ne s'exprime pas deux fois.

Cette technique rend le développement difficile et se révèle, malgré les souhaits de Schönberg, fort peu accessible pour la grande majorité du public, même quatre-vingts ans après son invention : un des plaisirs de la musique réside dans la sensation de ses tensions-détentes permanentes, des successions prévisibles ou au contraire trompeuses, etc.
Schönberg souhaitait que l'enfant suçât le sérialisme avec le sein maternel, mais pour des raisons structurelles (notamment physiques : la difficulté vocale de chanter une série, avec de grands sauts d'intervalle et une bien plus grande étendue que les chansons populaires) que nous avions évoquées, cela n'a pas pu être le cas. Et ce n'est peut-être même pas la force d'inertie des acquis culturels : nous y reviendrons, mais nous penchons de plus en plus vers l'idée qu'il existe des obstacles objectifs à ce type de langage.

Quoi qu'il en soit, cette démarche schoenbergienne a profondément influencé toute la musique écrite subséquemment, et certains chefs-d'oeuvre sont écrits dans ce langage, d'où l'intérêt de se pencher sur la question, qui en amène, on le voit, bien d'autres.

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Sérialisme :

On l'a dit, très souvent, le terme est employé comme synonyme de 'dodécaphonisme sériel'.
Toutefois, il peut désigner un langage qui n'a rien à voir avec celui-ci : tout simplement un langage fondé sur une série, c'est-à-dire une suite de sons qui n'est pas une gamme. Per Nørgård est souvent cité en modèle du sérialisme non dodécaphonique (avec l'usage de sa « série infinie »).

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Boulézien :

Insulte employée par les atonalisticosceptiques. Synonymes : dictatorial, abscons, soporifique, laid, criard.

N.B. : Boulez le leur rendant bien, attention au pluriel de tonal, qui est tonals (comme pour festival, mais contrairement à modal), et non tonaux comme le dit la plaisanterie récurrente du Maître des Marteaux.

Suite de la notule.

mardi 15 juillet 2008

A la découverte de Saintes (2)

2. La ville gallo-romaine et l'îlot vert

Faute d'avoir consulté nos notes et de l'avoir réclamé à notre guide bienveillant, faute de temps aussi, nous avons dû faire l'impasse sur les thermes de saint Saloine.


L'arc de Germanicus, sur la rive droite (du côté de l'abbaye), pièce d'apparat bâtie par un riche saintongeais de l'époque gallo-romaine, se trouve face au fleuve - le seul édifice de ce type aisément visible, les autres étant noyés dans l'îlot vert ou en retrait.


A droite, vue depuis la Charente.


L'amphithéâtre (parfois désigné par les arènes), au bout de l'allée qui traverse sur sa largeur le centre vierge de Saintes, présente de très beaux vestiges, et les responsables de l'aménagement ont eu l'excellente idée de combler l'arène, ce qui permet de saisir, de l'intérieur, l'aspect du lieu. Plusieurs passages sont possibles à l'intérieur des vomitoires, sur les gradins ou encore dans les galeries qui desservent l'arène, dont il reste des pans suffisants pour prendre conscience du manquant - excepté, peut-être, la hauteur réelle de l'édifice.



En haut à gauche, la situation de l'amphithéâtre, dans cette cuvette veroyante loin de toute circulation, avec Saint-Eutrope au loin, au niveau de la rue.
En haut à droite, la situation du visiteur dans l'arène comblée, assez touchante.
En bas à gauche, une vue d'ensemble des vestiges les plus conséquents, où l'on peut déambuler à travers les vomitoires éboulés.
En bas à droite, l'amphithéâtre perçu depuis l'entrée des artistes (bouchée quelques mètres plus loin par des coulées de boue épaisse). Photographies très réussies dues à MatheoPC.


Devant le peu de population présente, il est de surcroît loisible de flâner dans ces ruines où seuls les endroits dangereux ont été interdits au public, ce qui laisse un bon tiers d'amphithéâtre (le plus intéressant) en visite totalement libre. Calme parfait, bien évidemment, est-il besoin de le préciser.

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Pour finir, le très beau dépôt lapidaire (baptisé « musée archéologique »), une salle de taille moyenne où figurent des vestiges consistants et originaux, mais assez totalement dépourvus de documentation. Nous ne saurons pas de quelle époque datent ces angelots chrétiens aux allures de Bacchus, ni d'où proviennent ces généreux piliers (temples ? basiliques ? autres édifices publics ?).



(Photos CSS.)

Une petite pensée pour Vartan qui n'a eu l'heur de passer par là.

mercredi 2 juillet 2008

[déchiffrage] Balade dans la musique pour piano française du premier XXe siècle

Après-midi de congé consacré au déchiffrage chez les lutins. D'une façon plus originale que de coutume : majoritairement autour du clavier solo (clavecin et piano).

L'occasion d'une petite introduction à ces oeuvres - triées sur le volet - pour les lecteurs de CSS. (Par ordre chronologique.)

Au programme : Anglebert, F. Couperin, Chopin, Thomas, Elgar, Dukas, Koechlin, Decaux, Vierne et Dupont.

Suite de la notule.

lundi 5 mai 2008

Premières 'Rencontres européennes de musique de chambre' de Bordeaux - I - Concert d'ouverture (Quatuor ATRIUM)

Vendredi 2 mai, ouverture du bal avec le quatuor lauréat du dernier concours Evian-Bordeaux (juillet 2007).

Au programme, deux raretés et une 'oeuvre angulaire' :

  • Le Quatuor d'Edouard LALO (Op.45)
  • Le Deuxième Quatuor - in memoriam Indira Gandhi de Chary NURYMOV
  • En seconde partie, le Cinquième Quatuor de Dmitri CHOSTAKOVITCH


Ce concert a renforcé notre opinion avec plus de sûreté que dans l'ivresse de l'amoncellement de prestations extraordinaires, en juillet dernier ; aussi bien à propos des oeuvres qu'à propos des interprètes.

Petite visite, comme promis.

Suite de la notule.

samedi 3 mai 2008

A la découverte de la mélodie française - parcours discographique commenté - VII - Esprit français - Henri DUPARC (discographie)

Disques recommandés :


1. Introduction

Il existe en réalité assez peu de véritables intégrales, tandis que les mêmes pièces dépareillées (pas nécessairement les meilleures) affleurent dans une quantité innombrable de récitals. Et elles ne convainquent pas souvent, tant il semble difficile d'être exactement en ton simultanément chez l'ensemble des interprètes. Or, c'est bien du côté des intégrales qu'il faut se tourner pour obtenir La fuite et même, souvent, Au pays où se fait la guerre.

Jusqu'à une date récente (les années 90), il n'existait quasiment rien de conséquent.



2. Intégrales

On peut donc se pencher sur les intégrales suivantes (par intérêt décroissant à notre goût). Attention, selon les goûts et les habitudes de fréquentation, les avis divergent. Hormis sur le premier de la liste, nous avons mainte fois changé d'avis... C'est pourquoi on tâche d'être descriptif plus que normatif dans nos pages. Le classement par ordre d'intérêt est tout simplement une commodité pour le lecteur, une indication - de ce qui n'est pas plus que notre avis.
L'enregistrement Lee a ainsi largement chu à cause d'une certaine tiédeur, et Pikulski, et plus encore Kerdoncuff, nous ont fortement séduit à la longue pour leur personnalité, même si éloignée de ce que nous rêvions.

=> Catherine Robbin / Gerald Finley / Stephen Ralls (CBC)

Peut-être la plus convaincante de toutes. On regrette le piano assez mou (il n'y a pas d'autre mot) de Stephen Ralls, qui ne rend pas justice par ses discrétions un peu lisses, loin s'en faut, à l'écriture très riche harmoniquement de Duparc. En revanche, Catherine Robbin et Gerald Finley disposent tous les deux d'une véritable personnalité vocale et interprétative, dans un français parfait et très clairement articulé - surtout Finley. Ce dernier réussit l'exploit, avec une nature vocale très différente de ce qu'on pourrait attendre dans ces pages, plus sombre, un timbre moins pur, plus riche, à se trouver parfaitement en style. Chaque mot se charge de son poids avec une gourmandise et une justesse admirables. Au pays où se fait la guerre est également une très belle réussite pour Catherine Robbin, qui maintient une tension dramatique assez similaire à Mireille Delunsch, mais tout en conservant l'aspect naïf de la ballade.
Bref, peut-être l'intégrale (quasiment) idéale que nous cherchions.
Sans doute introuvable dans les bacs en France, mais aisément disponible sur Amazon.

=> Mireille Delunsch / Guy Flechter / Vincent Le Texier / François Kerdoncuff (Timpani)

CSS ne pouvait ignorer la prestation de Mireille Delunsch (majoritaire dans cette intégrale), bien entendu. (Guy Flechter, ténor, intervient seulement dans La Fuite, en tonalité originale de mi mineur. Le résultat ne parvient pas au degré d'aboutissement des autres volumes de la collection Mélodie Française de Timpani, surtout en comparaison de la discographie déjà plus généreuse que sur les autres titres (pour beaucoup les premières monographies au disque).
La voix de Vincent Le Texier a vieilli : moins de richesse, plus d'opacité, des voyelles beaucoup plus uniformes (donc moins compréhensibles), une présence interprétative moindre. Néanmoins, à y regarder de près, un vrai soin. Quant à Mireille Delunsch, il est évident que son tempérament très dramatique, sa tension quasiment électrique conviennent mieux à l'opéra. Dans les deux volumes Vierne chez Timpani, elle parvient à conjuguer mystère et tension de façon très convaincante, mais c'est là aussi vraiment une question de goût. Dans ces Duparc, on s'accoutume, mais le texte demeure parcellairement intelligible et cette délicieuse acidité inquiète n'est pas toujours pleinement en contexte.
En salle, ce devrait être phénoménal, parce qu'on retrouve bien - dans la Sérénade Florentine notamment - ce frémissement si singulier, mais qu'il faut ressentir physiquement, sur place. Pour qui l'a entendue à plusieurs reprises à son sommet, comme nous autre sur CSS, évidemment,
Le piano de François Kerdoncuff, toujours très dépouillé, se révèle mystérieux et délicat dans ces pages - ou au contraire déchaîné avec une clarté appréciable. Très français.
Aisément disponible. Attention toutefois : il s'agissait de la version que nous trouvions la moins convaincante, initialement. Sa forte personnalité a fait le reste du chemin, mais il faut accepter de se laisser conduire, attentivement.

Suite de la notule.

lundi 31 mars 2008

Retour sur Ibsen (Hedda Gabler)

A l'occasion de la tournée française du spectacle mis en scène par Thomas Ostermeier, Carnets sur sol revient aux sources, après deux années assez largement consacrées à Ibsen - et singulièrement à sa frange la plus épique, celle qui hérite d'Adam Oehlenschläger.

L'occasion de replacer l'oeuvre dans la production théâtrale d'Ibsen et ses caractéristiques singulières. L'occasion aussi de s'interroger sur les ressorts du théâtre tout entier - le plaisir doit-il réellement avoir lieu pendant la représentation ?

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Les soirées

A Bordeaux les 28 et 29 mars derniers, la production s'est promenée à Marseille en septembre dernier, et sera du 2 au 4 avril tout prochains à Rennes (Théâtre National de Bretagne).

Les lutins de CSS s'y trouvaient, tout émoustillés à la promesse du texte en allemand surtitré - à défaut du norvégien bokmål de l'original. Une expérience qui peut être très excitante - l'adaptation de Guerre et paix par Piotr Fomenko représente sans doute, opéra compris, l'une de nos plus exaltantes expériences théâtrales.

Le verdict sera sans surprise. On se souvient de Brand qui avait fourni, voici bientôt trois ans, l'une des toutes premières notes de Carnets sur sol. Sans représenter un choc comparable, bien évidemment, les propriétés théâtrales en sont, malgré les sujets et les formats fort divergents, assez comparables.

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De Brand à Hedda Gabler

Brand était un lesedrama, et par conséquent absolument pas destiné à être représenté. Une scène entre fjord et fjeld à imaginer. Hedda Gabler, a l'inverse, appartient au théâtre domestique de l'Ibsen dernière manière, extrêmement économe de paroles, facile à porter au théâtre. Avec de longs silences, cette représentation de deux heures parvenait donc tout juste à la moitié de la durée de Brand mis en scène par Braunschweig (sans traîner ostensiblement). Il faut cependant préciser que les représentation de Gabler contenaient des coupures (nullement annoncées, comme il se doit [1]).

Brand succède immédiatement, dans le catalogue d'Ibsen, aux Kongs-Emnerne (« Les Prétendants à la Couronne »), formés sur un patron totalement emprunté à Hakon Jarl hin Rige (« Hakon Jarl le Puissant ») d’Oehlenschläger (la confrontation des deux textes offre de vraies surprises !). C'est-à-dire à la période de la veine historique d'Ibsen, dont il ne restera plus guère que Kejser og Galilæer (« Empereur et Galiléen »), un drame à la portée plus philosophique autour de la personne de Julien l'Apostat - dont la dimension historique n'est perçue qu'au travers d'un cadre assez strictement domestique, malgré les changements très généreux de lieux. Brand amorce déjà une préoccupation portée à la relation intrafamiliale, aux tragédies du foyer.

En cela, Hedda Gabler, débarrassée de tout le folklore des paysages de Brand, de tout ce que cette situation et ce personnage avaient de singulier, prolonge et radicalise cette conception d'un théâtre intime, où les grands sentiments se manifestent (en franchement miniature) dans des êtres ordinaires, des situations quotidiennes, des lieux banals.

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La gêne

Notes

[1] Eternelle récrimination de CSS. Par le moteur de recherche de la colonne de droite, vous pouvez retrouver nos réflexions sur les coupures dans la tragédie lyrique, dans le Vampyr de Marschner, dans le Sigurd de Reyer, chez Richard Strauss, dans les Gezeichneten de Schreker...

Suite de la notule.

mercredi 12 mars 2008

Faut-il acheter les intégrales à prix minuscule ? - III - Johannes BRAHMS chez Brilliant Classics

Le billet original se trouve dans la rubrique Astuces.

Le contenu de l'intégrale Brilliant Classics consacrée à Brahms vient de paraître en avance. Carnets sur sol, sur demande, joue dans la mesure de ses possibilités le guide.

Avant toute chose, il faut rappeler les deux précédentes étapes de cette réflexion :

  1. Autour de Mozart et Bach.
  2. Autour de Mozart, Bach, Chopin et Beethoven. Avec inventaire commenté du coffret Beethoven. Et surtout avec quelques considérations sur le modèle économique de Brilliant et l'intérêt ou non, selon les profils, d'acquérir de telles intégrales.

Aujourd'hui, inventaire commenté du coffret Brahms.

Suite de la notule.

mardi 11 mars 2008

Musique libre de droits - XXXVI - Airs pour théorbe & voix : le lied à l'ancienne

Un récital idéalement intimiste, sans les effectifs généreux des "restituteurs à l'ancienne" aux couleurs souvent splendides et ostentatoires - et régulièrement de premier intérêt, comme la poésie sonore de Dumestre ou le folklore réinventé de Pluhar. Ici, à l'essentiel.

Caccini, Mazzochi, Lully et Purcell pour la partie vocale. Kapsberger et Hotman pour la partie instrumentale.

Suite de la notule.

vendredi 7 mars 2008

Liederspielwerk - balade parmi les solutions

Les réponses de notre petite boîte à lied (Liederspielwerk). Avec une présentation des extraits (oeuvres et interprètes), les références discographiques, les liens vers les notices, etc.

. . . . .

Charger les extraits
ou bien
Ecouter directement dans votre lecteur

Ceux qui désirent encore jouer le peuvent bien sûr. Mais les réponses figurent tout de même ci-dessous.

Chacun est bien entendu cordialement invité, qu'il ait participé ou non, à émettre un avis sur ces oeuvres et interprétations.

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Palmarès :

  1. Sylvie Eusèbe : 43 points.
  2. Morloch : 34 points.
  3. Zoilreb, au nom de Martha : 2 points.
  4. HerrZeVrai : En attente.

J'attends vos souhaits pour les lots libres de droits (piloris@free.fr).

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Chaque entrée est reliée à l'article correspondant. Vous pouvez donc écouter les morceaux de l'épreuve tout en vous rafraîchissant la mémoire aux sources farfadesques.

Suite de la notule.

Faut-il acheter les intégrales à prix minuscule ? - III - Johannes BRAHMS chez Brilliant Classics

Le contenu de l'intégrale Brilliant Classics consacrée à Brahms vient de paraître en avance. Carnets sur sol, sur demande, joue dans la mesure de ses possibilités le guide.

Avant toute chose, il faut rappeler les deux précédentes étapes de cette réflexion :

  1. Autour de Mozart et Bach.
  2. Autour de Mozart, Bach, Chopin et Beethoven. Avec inventaire commenté du coffret Beethoven. Et surtout avec quelques considérations sur le modèle économique de Brilliant et l'intérêt ou non, selon les profils, d'acquérir de telles intégrales.

Aujourd'hui, inventaire commenté du coffret Brahms.

Suite de la notule.

lundi 18 février 2008

Les concerts de CSS - II - Une (autre) introduction au lied

Carnets sur sol propose épisodiquement des concerts à entrée libre, dans divers lieux de vie, de loisirs ou d'études.

Cette fois-ci, ce sera à la faculté de Bordeaux III, dans l'amphithéâtre 700.

En raison de (rudes) démêlés avec le Service Culturel [1], la date de la manifestation n'a été fixée qu'aujourd'hui même... à jeudi prochain (le 21), de 16h30 à 18h. De ce fait, la réservation de la salle ne sera définitive que demain (et dans le cas contraire ?).

Du fait de la grande proximité de la date, nous la signalons tout de suite, et la confirmerons demain. L'entrée est libre, tous les lecteurs de CSS sont cordialement invités bien entendu.

Mise à jour : concert confirmé.

Pour le programme qui suit :

Notes

[1] La notule correspondante a été trappée par la rédaction des lutins comme trop sanglante pour le havre de paix que doit rester, en toute circonstance, un bac à sable.

Suite de la notule.

jeudi 14 février 2008

Résultats, lauréats, palmarès & autres sotti(s)es autour des "Victoires de la Musique Classique" 2008


Naïve vainqueur !

Notule juste pour la plaisanterie : on ne va pas s'étendre, ce qui était intéressant, c'était précisément, au delà du prisme déformant de la manifestation, de présenter un peu les artistes présents, de s'interroger sur les ressorts de la manifestation.

Petite ironie du sort : la grève a pu être contournée par des moyens privés - autrement dit les fonds privés ont sauvé la culture sur le service public. On aurait voulu servir du paradoxe qu'on ne s'y serait pas pris autrement.

Le décompte de la lutte à mort entre Virgin Classics et Naïve suit, avec quelques farfadetteries habituelles.

Suite de la notule.

mercredi 6 février 2008

Guide pour les 'Victoires de la musique classique' - 3 - "Soliste instrumental de l'année" et "Ensemble de l'année"

Soliste instrumental de l'année

Suite de la notule.

dimanche 3 février 2008

Enregistrements, domaine public - XXXII - Germaine Lubin dans Weber, Wagner et Reyer (tout en français)


Germaine Lubin est réputée comme la gloire du chant wagnérien entre les deux guerres, l'Isolde inégalée, qu'elle chanta à Bayreuth avec Lorenz sous la direction de Sabata.

Aussi, CSS s'est fait un devoir de permettre à ses lecteurs de l'entendre dans quelques-uns des témoignages qui ont subsisté.

(Surtout, avouerons-nous, les commentaires à faire sont minces, ce qui nous épargne un temps précieux pour la préparation d'autres notes un peu plus profondes que des jeux puérils de reconnaissance à l'aveugle, n'est-ce pas...).

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Que dire ?

1. Répertoire intégral de Germaine Lubin

Ces airs d'opéras sont enregistrés par Germaine Lubin entre 1929 et 1930. Parmi eux, également un Gounod dont nous ne disposons pas, et deux extraits de Tosca de Puccini (non libres de droits, bien que composés en 1899 et créés en 1900...).

Suite de la notule.

lundi 28 janvier 2008

Franz SCHUBERT - Die Schöne Müllerin D.795 (La Belle Meunière) - Stutzmann, Södergren (Bordeaux 2008)

Lutins ! Lutins ! Sylvie est de retour !

Bordeaux, Grand Théâtre, samedi 26 janvier 2008, 20h.
Récital, Franz Schubert : Die schöne Müllerin D.795 (« La Belle Meunière »)
Nathalie Stutzmann : contralto ; Inger Södergren : piano.

Compte-rendu de Sylvie Eusèbe.

Suite de la notule.

jeudi 20 décembre 2007

Enregistrements, domaine public - XXVII - Antonín DVOŘÁK, Concerto pour violoncelle (Leonard Rose, Artur Rodziński, NYPO)

CSS imagine à présent qu'ayant digéré l'ensemble des oeuvres de Mahler et Wagner proposées à l'écoute, on trouvera nos lecteurs tout disposés à souffrir quelques nouvelles friandises.

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Le concerto pour violoncelle de Dvořák représente un petit bijou rhapsodique, dont les mérites sont bien connus, pilier incontournable du répertoire de l'instrument.

Des thématiques folkloriques s'y enfilent, s'y prolongent, tout à tour sur le mode lyrique, le mode dansant, le mode élégiaque.

De ce point de vue, le premier et le troisième mouvement semblent se répondre - ce dernier semblant un écho animé et dansant de l'esprit plus mélancoliquement contemplatif d'un premier mouvement comme abîmé dans la contemplation de paysages démesurés et inviolés.

La richesse de la section initiale est sans doute supérieure aux deux autres, par sa variété de ton, qui produit avec un sens stupéfiant de la transition les mutations du thème, exposé sans ostentation au travers d'un grand nombre d'affects différents. On ne s'étend pas sur le dernier mouvement qui est son pendant évident, en légèrement plus bref (hélas) et plus vif.
Le deuxième mouvement se montre, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, d'une grande pudeur de ton, malgré les épanchements écrits. Son discours si modeste semblerait même, lors de l'écoute rapide, étonnamment discret, presque insaisissable thématiquement - ce que l'écoute attentive dément vigoureusement, bien entendu. Sans doute sera-ce en raison du partage très généreux avec l'orchestre - le soliste s'y trouve constamment soutenu par des contrechants très audibles, notamment aux bois. Ou peut-être également par contraste avec l'expansivité exceptionnelle des deux autres parties - ce qui semblerait un mouvement lent éloquent ou émouvant dans un autre concerto pourrait alors paraître dans celui-ci comme doté d'une honnête réserve.

Chef-d'oeuvre, donc. Que les lutins de CSS livreront ainsi avant Noël.

Suite de la notule.

jeudi 29 novembre 2007

TIHANYI László - Genitrix - Bordeaux, 28 novembre 2007

Puisque le fil consacré à cette saison devient un peu encombré, notamment par les développements un peu trop « généreux » sur Genitrix, autant reprendre ici, pour plus de clarté.

Nous présentons par avance nos excuses aux lecteurs de CSS pour le caractère informel du texte, pas aussi léché qu'il aurait fallu, et qui est loin de présenter de façon suggestive et complète, à ce qu'il nous en semble, la soirée. C'est qu'il s'agit avant tout de classement, et pas véritablement d'une entrée d'article conçue comme telle. La texte s'améliore probablement petit à petit, au fur et à mesure que nous songeons à rendre le propos plus complet.

Que cette entrée plus apparente soit aussi l'occasion de renouveler nos remerciements chaleureux à qui se reconnaîtra aisément.

Suite de la notule.

lundi 19 novembre 2007

Gabriel DUPONT - Les Mélodies


1878-1914

Gabriel Dupont est fort mal connu, on en convient. Pourtant, il incarne, on pourrait dire, comme un idéal de la mélodie française. Ni hiératique comme Debussy, ni maussade comme Fauré , ni solipsiste comme Duparc. Et cependant, il partage beaucoup avec ceux-là.

Suite de la notule.

mardi 13 novembre 2007

Traînée de Mélisande

Comparaison et surprise.

Prolongements dans Pelléas (II,1 : la fontaine et l'anneau - et Golaud dans tout ça ?).

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Aviez-vous déjà imaginé que cette enfant apeurée, que cet être opaque et énigmatique, que cette féérie translucide puisse être, par delà son sérieux sinistre, une séductrice infâme, dévoyant les jeunes hommes de bonne famille, déchirant les fratries par le seul jeu de ses avances, aussi rouée qu'éhontée ?

Ecoutez donc Mélisande qui, jouant avec l'anneau de son mari Golaud, le laisse échapper au fond de la fontaine :

[[]]

Une enfant, n'est-ce pas ? L'expression est si simple, sans fard, dépassée par ces enjeux symboliques qui se jouent au-dessus d'elle. Avec peut-être même une pointe de désinvolture joyeuse lorsque l'anneau encombrant est définitivement rejeté au rang des souvenirs.

Plus solennel encore :

[[]]

Sérieuse, appliquée, d'une résignation qui confine au tragique. Non pas un tragique grandiose, mais le tragique de la petite âme applatie par un destin trop vaste, trop incompréhensible. Ces sons droits qui sonnent comme un voile, une petite caisse qui résonne faux - cette petite âme comme creuse.

Oui, bien sûr, on peut toujours avoir dans l'oreille une véritable femme :

[[]],

mi-attristée, mi-coquette - la perte l'affecte autant qu'elle la réjouit comme prétexte à mettre en valeur ce qui était masqué par la bague.

Cette ambiguïté se trouve encore plus sensiblement dans cet être-ci :

[[]],

diaphane, mais d'une transparence opaque, un objet qui laisse filtrer la lumière sans être toutefois éclairé par elle. Cette transparence mystérieuse pourrait être un gage de pureté s'il n'y avait cet vibrato brûlant, troublant. Aux confins de l'éthéré et du voluptueux.

Cette Mélisande aussi immaculée et prompte à blesser que de la chaux fraîche incarne véritablement cet oiseau qui n'est pas d'ici - non pas parce qu'incompréhensible, mais au contraire dotée d'une éloquence merveilleuse. Apte, aussi, à se travestir en de si nombreux tons - les mensonges à Golaud sont extraordinaires d'autopersuasion ou de sincérité forcée.

On imaginera sans doute, à bon droit, qu'on se situe ici au faîte des Mélisande maîtresses du jeu, presque rouées. Pas en raison d'une délibération élaborée que vivrait le personnage, mais par une capacité de manipulation instantanée très saisissante ; aptitude rendue sans nul excès de pédagogie limpide pour le spectateur.

Pourtant, pourtant :

[[]],

exact, ce n'est pas une illusion, on dirait furieusement de l'opérette du côté d'Yvonne Brothier. Mais plus encore, on est frappé par l'impudeur joyeuse, presque insoutenable, qui révèle plus qu'une maladresse complaisante : un geste délibéré.
Insoutenable à cause de ce qu'elle nous présente sur ce personnage qui ne dispose plus d'une once de mystère, et ce pour le pire, à savoir la manipulation (pas trop) vaguement libidineuse. Insoutenable aussi en raison de cette pesanteur dans la caractérisation, qui pousse étrangement cette figure insaisissable vers le type de la femme coquette - pour ne pas dire de la cocotte - à la façon de l'opéra comique et de l'opérette du début du vingtième siècle. Sans atteindre la vulgarité du modèle de la Dorette de Terrasse (Monsieur de La Palisse), chanteuse lyrique attachante mais passablement délurée (à côté de qui Carmen paraît une Lucrèce), cette caractérisation semble s'inspirer sensiblement de ce genre d'emploi - Mélisande ressortissant plutôt à la fausse ingénue qu'à la femme-enfant insaisissable (tantôt habile à manipuler un univers masculin, tantôt victime innocente et expiatoire).

Et ce n'est pas un extrait tiré de son contexte : à l'acte IV, lorsque les amants sont surpris et occis (C'est Golaud.), il semblerait qu'elle annonce le retour de son mari en effet, mais dans un vaudeville.

Eclairage singulier donné par ces incarnations sans mystère au Pelléas de Debussy et plus encore de Maeterlinck, en en révélant tout le fonds humain - on a beau être hors du monde [1], on n'en est pas moins très contingent ; la féérie paraît alors un prétexte au dépaysement, tout en y exposant les ressorts traditionnels du triangle amoureux, connus de tous, dans toute leur prévisibilité, et avec un goût de l'explicite très prononcé chez les personnages.
On est en droit de penser - et c'est ce que nous soufflent, semble-t-il, les lutins - que Pelléas, bien que disposant des composantes du vaudeville (ou, plus consensuellement, du drame bourgeois), ne limite cependant pas sa portée et son originalité à cela, et que si l'on y rencontre indubitablement des éléments de dramaturgie totalement rebattus et épuisés, ceux-ci, en fin de compte, représentent plutôt la condition de l'intelligibilité d'un théâtre. D'un théâtre d'abord régi par la géométrie d'un réseau de motifs et la création d'atmosphères ineffables par l'affichage, précisément, de l'indicible.

Et la présente balade à travers plusieurs interprétations très diverses (même si, vous l'aurez deviné, l'émerveillement devant la dernière a motivé cette note) atteste bel et bien, il nous semble, les infinies possibilités de ce texte allusif et de cette prosodie imaginaire réinventée. [Le sujet serait à développer prochainement, ici aussi.]




A propos - on l'a déjà dit à plusieurs reprises au détour de notre série - on perçoit bien ici la dimension symbolique concrète de l'anneau, qui représente le mariage même de Mélisande. Le perdre, c'est défaire le mariage. Toute la métaphore est patiemment filée tandis que le drame se déroule à sa propre allure. Mélisande joue avec son mariage, ne souhaite pas le retrouver, ment sur son mariage et son dénouement, profite de son mariage pour se rendre dans la grotte avec Pelléas, etc. [Vous pouvez interchanger mariage et bague, ici.]

C'est d'ailleurs ici un point fondamental de la pièce, puisque Golaud découvre à la scène suivante (II,2) le fonctionnement même de l'écriture de Maeterlinck ! Son obsession devant l'anneau crée une faille vertigineuse dans le processus dramatique : Golaud a compris que l'anneau était symbolique du mariage, et que dans la logique de la pièce, s'il perd l'anneau, il perd Mélisande.
Soudainement, un personnage s'empare donc de cette trame symbolique pour interpréter à l'intérieur même de la pièce les informations qui sont soumises au spectateur. Très troublant ; mais ce ne sera pas un hasard s'il s'agit du personnage le plus humain de la pièce, celui avec lequel s'exerce le mieux l'empathie.
Car Golaud est tout à la fois fortement caractérisé (contrairement à Arkel et surtout Geneviève, plus flous et fragmentaires, presque abstraits), doté d'affects très humains (loin de l'éther un peu incompréhensible du couple d'amants, à moins d'interpréter à la façon d'Yvonne Brothier), et surtout le seul dont les motivations soient bien intelligibles - un étalon d'humanité auquel il est possible de s'identifier au sein du drame ; ce qui ne rend sa tragédie que plus déchirante pour nous qui voyons son crime et le plaignons sincèrement.

Bref, auprès de cette fontaine en II,1 se met en place un dispositif fondamental, peut-être le plus subtil et le plus fascinant de la pièce de Maeterlinck. [2]







Avec de la musique de Debussy, de surcroît - à ce qu'il paraît.







Annexe : Interprètes

(sans commentaires, pour éviter d'y passer cette nuit et celle de demain)

  1. Colette Alliot-Lugaz & Didier Henry
    • Charles Dutoit, Orchestre Symphonique de Montréal
    • Decca 1990, disque épuisé - pourtant notre référence personnelle, du moins au disque
  2. Anne-Sofie von Otter & William Burden (le merveilleux Michel de la Juliette de Martinů à Paris - première série)
    • James Levine, Orchestre du Metropolitan Opera de New York
    • New York, radiodiffusion de février 2005
  3. Angelika Kirchschlager & Simon Keenlyside
    • Simon Rattle, Orchestre Philharmonique de Berlin
    • Salzbourg, radiodiffusion d'avril 2006
  4. Magdalena Kožená & Sébastien Bou
    • Marc Minkowski, Mahler Chamber Orchestra
    • Paris (Opéra-Comique), radiodiffusion (représentation du 30 avril 2002, pour le centenaire)
  5. Yvonne Brothier & Charles Panzera (lequel, malgré son « émission haute », coupe nombre d'aigus)
    • Piero Coppola, Orchestre du Grammophone
    • Disque d'extraits de 1929, première apparition de l'oeuvre au disque (hors les très brefs extraits avec piano par Mary Garden et Debussy). Il n'est pas impossible cependant que des tirades isolées aient été furtivement placées au fond de quelque récital, mais cela demeure improbable vu la nature desdites tirades aussi bien que desdits récitals. Il existe trois éditions de Coppola disponibles à ce jour :
      • Chez VAI, couplée avec des extraits intéressants, assez complémentaires, gravés par Georges Truc, légèrement postérieurs et légèrement inférieurs. Il s'agit de l'édition (très peu chère) que nous recommanderions.
      • Chez Pearl, couplée avec un récital Panzera Debussy-Milhaud-Duparc - dans le goût de Camille Maurane, en encore plus limpide et rayonnant, et avec une distance un peu moindre au texte, mais très similaire. Très peu cher également.
      • L'onéreux pressage chez Andante (dont les techniciens sont réputés pour leurs bonnes restaurations), dans le coffret Desormière, avec, également, les scènes gravées par Truc. Cher pour des enregistrements disponibles à prix plancher ailleurs.

Notes

[1] Hors du monde, mais dans une certaine mesure seulement ; nous devons aborder le sujet à quelque occasion. Même sans développer l'évidence de l'humanité des passions représentées par Maeterlinck (faute de pouvoir en imaginer d'autres peut-être, mais surtout pour que le drame puisse être reçu par des spectateurs, voire les toucher), on peut assez aisément relever de nombreuses incidences du réel qui fissurent le calme suspendu d'Allemonde - dont le drame aristocratique et familial, somme toute restreint, semble laisser à dessein dans l'ombre un univers manifestement violent et tragique.

[2] On peut le mettre en balance avec les métaphores horizontales et (dans une moindre mesure) Allemonde fissuré par le réel, c'est entendu. Chacun son goût.

samedi 20 octobre 2007

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - I - Discographie & équilibre de l'économie dramatique

Nous avons déjà feuilleté ensemble les oeuvres de Franz Schreker et leur discographie.

Vous le savez, le choix de CSS est d'éviter autant que possible la facilité discographique - on se perd bien rapidement dans des arguties préférentielles qui n'ont pas grand sens, tant elles sont attachées aux attentes de chacun (qui la voix, qui le théâtre, qui la musicalité, qui la chatoyance, etc.). On préfère inciter à la découverte d'oeuvres, à tout prendre, et s'y balader tout à loisir en compagnie des lecteurs de CSS.

Néanmoins, ici, devant l'immensité de la tâche que représente l'abord de ces Gezeichneten - dont le titre français a pour nous tant de charmes -, on biaise un peu. Et pour une raison bien simple : parce que les versions sont piégeuses, beaucoup sont coupées et la critique ne les signale pas. De plus, l'oeuvre est difficile à distribuer et une petite description avant achat peut s'avérer utile.

Toutefois, cette entrée était prévue pour intégrer l'article présentatif de Schreker, et n'a pas le caractère que nous aimons dans les discographies : à savoir la description des caractéristiques et non l'énonciation de jugements. Ici, du fait de leur caractère initialement informel (c'est-à-dire pas prévues pour être publiées de façon autonome), les notices ne sont pas expurgées de sentences parfois laconiques, ce que nous regrettons avec vous. On espère tout de même que le contenu en sera suffisamment informatif pour vous guider, notamment relativement aux coupures.

Et, pour se faire pardonner :

  • une astuce pour déceler les coupures avant écoute ;
  • quelques réflexions sur l'économie dramatique de l'oeuvre et sa mise en péril majeure par les coupures ;
  • une petite écoute comparative illustrative des versions inédites. (Les Lutins ont bien travaillé.)


Concevez-le donc bien comme une annexe discographique à l'article original.

Suite de la notule.

lundi 3 septembre 2007

Magdalena KOŽENÁ

Voilà quelques jours que nous songions à parler de cette interprète, chérie depuis longtemps par les équipes de CSS.

A la faveur de la réécoute de sa Mélisande, commentée ici même, puis de sa Shéhérazade, sans parler de ses récitals Dvořák/Janáček/Martinů et Ravel/Britten/Chostakovitch/Respighi/Schulhoff/, chez DGG ou en concert, on désirait en dire un peu plus long peut-être.

Mais, quoi qu'il en soit, le prétexte nous est fourni par cette entrevue, filmée pour Virgin avec des moyens rudimentaires, mais très intéressante quant à notre réception des choix interprétatifs de cette artiste :

Suite de la notule.

jeudi 9 août 2007

[liens] Les sites consacrés aux partitions gratuites (et aux meilleurs revendeurs)

Découverte il y a quelques mois du site de Nicolas Sceaux, largement consacré à la tragédie lyrique et l'opéra seria . On y trouve, réalisées par ses soins, des copies manuelles des partitions intégrales d' Armide et Psyché de Lully, de Giulio Cesare de Haendel...

L'occasion de faire un point sur les sites proposant des partitions gratuites (et sur les meilleurs revendeurs payants). Car on se trouve bien souvent face à des doses homéopathiques de partitions, redondantes, célébrissimes, ou face à des annuaires d'annuaires. Le fruit de plusieurs années de guet sur la Toile...

Il va de soi que toutes les adresses proposées sont respectueuses de la propriété intellectuelle, c'est ce qui fait tout leur intérêt.

Lien aisément mémorisable pour retrouver ou lier l'article :
http://piloris.free.fr/partitions.html .

Suite de la notule.

mercredi 1 août 2007

Franz SCHUBERT - Die Schöne Müllerin (La Belle Meunière) D.795 - N. Stutzmann, I. Södergren

Un nouveau compte-rendu diligemment fourni par Sylvie Eusèbe.

Genève, Cour de l’Hôtel de Ville, jeudi 26 juillet 2007, 20h30.
Récital, Franz Schubert : Die Schöne Müllerin D.795 (La Belle Meunière)
Nathalie Stutzmann : contralto ; Inger Södergren : piano

Suite de la notule.

samedi 7 juillet 2007

Feuilleton - Concours International de Quatuor à Cordes de Bordeaux 2007 - VIII - Fin de la deuxième épreuve

Notre petite note quotidienne de l'état des lieux, avant la synthèse prévue.

Le concert du jury, le niveau de la journée, les critères du choix, la mode actuelle du jeu international.

(et, mise à jour : les quatre formations retenues pour l'épreuve finale)

Suite de la notule.

mercredi 4 juillet 2007

Diffusion légale - X - Felix MENDELSSOHN-BARTHOLDY, Quatuors à cordes Op.12 (Quatuor Franciscus)

Dans le cadre de ces premières épreuves marquées par Mendelssohn, comme l'année bénie des Psophos (2001), voici un concert archivé par la radio néerlandaise Avro, et fourni gracieusement sur leurs serveurs.

Avec une transcription-surprise de premier choix.

Suite de la notule.

jeudi 12 avril 2007

Faut-il acheter les intégrales à prix minuscule ? - II - Mozart, Bach, Chopin, Beethoven et Brilliant Classics

N.B. : Le commentaire de la dernière intégrale (Brahms) figure ici.


Un essai d'étude rationnelle du phénomène des intégrales à prix plancher. Les raisons ; les enjeux, avantages et inconvénients ; le moyen de se décider ; les alternatives.
Commentaire également du contenu précis du coffret Beethoven.


Suite de la réflexion amorcée avec Mozart et Bach.

J'apprends aujourd'hui qu'un site maudit [l'histoire sera pour une autre fois] a dévoilé la prochaine intégrale Brilliant, à savoir une intégrale Beethoven. [J'ai l'honneur de vous annoncer que, devant témoins, interrogé sur le contenu possible d'une intégrale en cent disques, j'avais avancé le nom du sourd grincheux de Bonn. Un emploi de directeur de la communication m'attend à Brilliant.]


Comment cela fonctionne-t-il ? 

Faut-il acquérir ces intégrales ?

Avec en bonus les recommandations si l'on choisit de se passer d'intégrale.

Suite de la notule.

mercredi 4 avril 2007

Bac à sable diphonique

Puisque je fus perfidement accusé de conserver jalousement Bajazet pour moi seul, alors même qu'il figure explicitement dans mon carnet mondain (voir colonne de gauche), étalons notre effroyable compromission au grand jour. Séduit par son parcours fortement évocateur autour de l'alouette, je le prolonge ici brièvement.

Suite de la notule.

dimanche 18 mars 2007

Exercice pratique

Nous avons récemment rappelé l'existence du cours théorique, passons à la pratique.

Et incidente sur le Noé de Halévy/Bizet.

Illustrations musicales idoines.

Suite de la notule.

samedi 17 mars 2007

Vivaldi fréquentable - I - difficultés méthodologiques

Où l'on s'interroge sur la difficulté méthodologique de l'ingurgitation sérieuse de l'opéra seria.

Suite de la notule.

jeudi 22 février 2007

Castor & Castor (II)

Histoire de faux jumeaux

II - Quelles versions retenues au disque ?

Suite de la notule.

jeudi 15 février 2007

A la découverte de Franz SCHREKER

A été (profondément) mis à jour le 20 août 2009.

A titre de repère : 1878-1934.

Pas vraiment une présentation, son univers est à ce point riche qu'on s'y perdrait. Mais quelques repères parmi les disques existants : oeuvres et interprétations.

Je me prête rarement au jeu discographique ici, par choix. Il me semble qu'il s'agit toujours d'une solution de facilité pour ne pas parler des oeuvres. C'est un badinage agréable, mais peu instructif en fin de compte, à part pour faire impression dans des dîners.

Dans la grotte sur la butte Baccalan où je vis prisonnier du palais enchanté du mauvais mage Sourdis (ennemi mortel du mage blanc Berland), cette fonctionnalité ne me serait guère utile, aussi décochai-je l'option dans le cahier des charges de CSS.

Ici, c'est une motivation bien précise qui me mène à aborder le sujet. Je suis souvent amené à chanter les louanges de Franz Schreker, mais il faut bien reconnaître que le faire en tant que tel ne mène pas bien loin, tant on rencontre de tons différents dans son oeuvre, malgré une certaine homogénéité stylistique.
C'est pourquoi je propose ici quelques repères pour y naviguer en connaissance de cause.




Avec un extrait à savourer pendant la lecture. Michael Gielen et l'Orchestre de la Radio de Berlin, un extrait de Vorspiel einer Drama.

Suite de la notule.

dimanche 28 janvier 2007

Les chorals de Bach - prérequis culturels (1)

Enrique Blanco[1] amorce une série tout à fait nécessaire sur le choral.

Comme il s'agit d'un article en espagnol, j'en résume les idées principales. Mais je vous invite fortement à le lire directement, Enrique Blanco écrit dans une langue élégante, fortement structurée mais non sans souplesse.

Notes

[1] Les lecteurs de Carnets sur sol l'avaient déjà rencontré ici.

Suite de la notule.

lundi 11 décembre 2006

Concert Bach/Saint-Saëns du 1er décembre 2006 (John Nelson, Nathalie Stutzmann)


Un compte-rendu de Sylvie Eusèbe.

Paris, Cathédrale Notre-Dame, vendredi 1er décembre 2006, 20h.

Concert, J. S. Bach : Cantates BWV 51 et 147, C. Saint-Saëns : Oratorio de Noël

Ensemble orchestral de Paris ; John Nelson, direction ;
Liliana Faraon, soprano ; Clémentine Margaine, mezzo-soprano ; Nathalie Stutzmann, contralto ; Leif Aruhn-Solén, ténor ; Henk Neven, baryton ;
Jean-Michel Ricquebourg, trompette ; Maîtrise Notre-Dame de Paris ; Lionel Sow, direction de chœur.

Suite de la notule.

vendredi 1 décembre 2006

Wolfgang RIHM - Jakob Lenz, opéra - une présentation - d'après la représentation du 14 novembre 2006 à Bordeaux


La dernière représentation, celle du 19 novembre, sera diffusée le 16 décembre sur France Musique[s], couplée avec la Florentinische Tragödie de Nancy (K. Karabits/V. Le Texier).


1. Wolfgang Rihm et Jakob Lenz


1.1. Wolfgang Rihm

Jakob Lenz
s'inspire de la folie du dramaturge, telle que mise en scène par Georg Büchner.

Il s'agit d'un opéra de chambre en 13 tableaux, créé à l'Opéra de Hambourg le 8 mars 1979, une pièce du jeune Wolfgang Rihm, depuis devenu une figure majeure et peu contestée de la musique contemporaine internationale[1], aussi bien du côté des radicaux qui goûtent sa personnalité et sa violence que de celui des tenants de la continuité musicale, qui y trouvent une musique pulsée, remplie de références, délimitée, intelligible.
C'est ce double aspect qui porte, précisément, tout l'intérêt du compositeur. Beaucoup de disques ont été publiés, je tâcherai, à l'occasion, de proposer une discographie sélective et commentée.

On reviendra plus loin sur les caractéristiques musicales de son écriture, par le truchement de Jakob Lenz.

Mais on ne peut que se réjouir de l'idée de faire vivre une pièce de qualité déjà créée, plutôt que de soutenir la fuite en avant des créations mortes-nées, parfois commandées au même créateur !  Même si, en l'occurrence, il s'agit plutôt d'éviter de creuser le gouffre déjà abyssal des finances de l'Opéra - l'oeuvre a déjà été payée, le matériel existe, et ne restent que les droits à acquitter.


1.2 Jakob Lenz

Le livret de Michael Fröhling s'appuie sur la pièce de Georg Büchner, et développe le cheminement vers la folie de Lenz.

Jakob Michael Reinhold LENZ (1751-1792) est assez peu connu en France, bien qu'il ait été l'un des fondateurs du Sturm und Drang et un grand artisan, avec Goethe, de la renaissance shakespearienne. Son oeuvre et sa vie se démarquent par une grande radicalité, que ce soit dans la dureté de la critique sociale, dans son individualisme revendiqué et absolu, dans son refus de transiger... Au lieu, comme bien d'autres, de suivre une évolution vers le classicisme, façon Goethe, vers un affinement des techniques après divers essais fiévreux, tel Schiller, Lenz reste toute sa vie attaché au même absolu, ce qui lui vaut bien entendu un rejet assez total, y compris en amour - et c'est tout cela qui le mène au délire de persécution qui fait l'objet de la pièce, puis de l'opéra.

A noter, l'opéra ne s'achève nullement avec la mort de Lenz, mais avec l'état irréversible de folie et l'éloignement des dernières âmes compatissantes. Historiquement parlant, au terme d'une douloureuse errance européenne, il fut retrouvé mort dans une rue de Moscou.


2. Distribution


Jakob Lenz (baryton dramatique) : Johannes M. Kösters
Père Oberlin (basse profonde) : Gregory Reinhart
Kaufmann (ténor de caractère) : Ian Caley

Orchestre National Bordeaux Aquitaine (ONBA),
Membres du Choeur de l'Opéra National de Bordeaux,
Jeune Académie Vocale d'Aquitaine issue de "Polifonia Eliane Lavail",
dirigés par
Olivier DEJOURS.

Mise en scène : Michel Deutsch (philosophe)
Décors, costumes : Roland Deville
Lumières : Hervé Audibert

Nouvelle coproduction, avec l'Opéra National de Nancy et de Lorraine.


3. La représentation

3.1. Texte et mise en scène

Le rideau s'ouvre, en silence, sur une scène nue, et l'on devine, en voyant entrer les enfants, combien la mise en scène sera pauvre, gauche et peut-être pénible. Si on échappe au troisième travers et aux provocations superflues, les deux premiers qualificatifs sont hélas bien justes.

Texte difficile à mettre en scène que celui qui développe l'observation d'un seul objet : la folie du personnage principal. Scéniquement, deux personnages se succèdent, les figures d'amis. Le père Oberlin, basse profonde, pasteur qui recueillit Lenz et toujours à sa recherche pour le ramener vers le sentier de la maison, de l'autre, de la vie. Et Kaufmann, plus cassant mais tout aussi compatissant, qui le sauve du suicide sans écarter une lecture cynique de l'état de décrépitude de l'ami ; c'est à lui qu'est confié le soin d'emporter Oberlin dans la lumière, loin de Lenz, disparaissant aux yeux de Lenz dans la ténèbre - pour mieux l'y abandonner.
Les autres incarnations scéniques, notamment la bien-aimée Friederike - partie intégrante des choeurs avec un seul court vrai solo -, ainsi que les choeurs mixtes (et, au moins partiellement, les choeurs d'enfants), relèvent de l'imaginaire de Lenz, se tenant ici à l'arrière de la scène, sur les côtés, et toujours séparés de lui par quelque accessoire (tronc, chaise, lit...).

Les costumes de Roland Deville campent un XVIIIe sobre, plutôt aisé pour Oberlin et surtout Kaufmann, et populaire pour les choeurs. Le plateau est nu à l'extrême, juste quelques acessoires pour marquer des pôles scéniques : le baquet, le tronc, le lit. Tout juste changera-t-on le lit de place dans les premiers tableaux. La direction d'acteur, elle aussi, est réduite autant que possible : les chanteurs, talentueux acteurs, sont fichés dans une partie du décor, et font usage de leur visage - et surtout de leur excellente diction. Le résultat scénique est tout de même décharné et figé. Qu'en faire d'autre, je ne sais, véritable gageure que de servir un tel texte, mais les couleurs complaisamment grisâtres des décors, les souillures aux vêtements de Lenz tiennent alors lieu de présence scénique. A choisir, une mise en espace sans costumes aurait été tout aussi agréable, surtout qu'on ne constate aucun jeu avec la lumière logiquement crue, mais fort peu variée.
Sans être grotesque, gauche ou indigne (en partie grâce à l'excellence des chanteurs acteurs, semble-t-il), cette mise en scène n'était ni très efficace, ni très esthétique, ni très signifiante. Encore une fois, la pièce n'était pas un cadeau pour un metteur en scène, qui a au moins le mérite d'éviter l'histrionisme gratuit et les relectures absconses, à défaut d'échapper tout à fait à un statisme pas très informatif.

Le livret reprend l'idée assez éculée, entre le dix-neuvième (vision esthétisante) et le vingtième (vision apocalyptique), du poète maudit, du créateur incompris qui sombre dans la folie, etc. Rien de bien neuf, et pour résultat une simple exposition d'états psychologiques contradictoires, sans lien logique - jusque là tout va 'bien', si j'ose dire - ni dramatique. C'est sur ce dernier point que le bât blesse.
La pièce, qui dure environ quatre-vingt minutes, se maintient jusqu'à l'heure dans une progression dramatique crédible, avec une folie qui se déploie, depuis l'égarement initial, les disparitions, puis les délires, jusqu'à l'impossibilité de vivre et le suicide empêché. Jusque là, tout fonctionne à peu près. La trame est plus que mince : Lenz se trouve déjà largement instable aux débuts de la pièce, et la fin l'abandonne avant même la mort. Mais une certaine progression, une logique, non pas à la folie, mais au drame, est sensible. Les vingt dernières minutes, en revanche, plongent dans l'incohérence la plus intégrale, entre rémissions dissimulées et crises incomprises. Le rideau tombe sur les cris répétés de Lenz : "Lo-gi-que ! ... Lo-gi-que ! ...", comme il aurait pu le faire un quart d'heure auparavant, un quart d'heure plus tard : une fois que la mort de Friederike avait été rêvé, il ne restait plus aucun mystère au spectateur, plus aucun enjeu psychologique à percer ou à suivre, si ce n'est le développement, incohérent, impénétrable, de la folie.

On peut trouver la sorte de nécessité qui pousse tout le drame de Wozzeck exagérée et artificielle, mais on peut également trouver ici le lien logique ténu. Et sans la virtuosité dans l'absurde d'un Aperghis.
D'autres que moi (enfin, un, celui dont il est question à la fin) ont trouvé la chose séduisante, et je les comprends aisément, si peu que la folie soit un objet de fascination ou d'intérêt. Je n'ai aucune idée de la fidélité du rendu psychologique, en revanche.


Montrer les poètes, les musiciens, les artistes, les philosophes au théâtre est à mon sens, à moins d'une solide intrigue (de type philosophique et autobiographique dans le Torquato Tasso de Goethe, de type imitatif et de construction presque vaudevillesque dans le Corregio d'Adam Oehlenschläger), d'une intrigue qui dépasse l'oeuvre, qui ait un intérêt en soi, une erreur. Quelle efficacité dramatique peut avoir la vie d'un poète qui fait ? Quel intérêt esthétique a-t-on a utiliser sa vie plutôt que son oeuvre ?  Cette espèce de narcissime, ou de philosophie à bon compte, est assez irritante lorsqu'on voit le résultat - et toujours autant à la mode, si j'en crois les programmations, on est censé venir voir Bacon comme on venait jadis voir les aventures Giulio Cesare. Sauf que, dans le cas de Bacon ou de Lenz, ce n'est pas un prétexte, mais vraiment une réflexion proche du solipsisme.

C'est en cela, qu'en somme, ce manteau dérisoire et souillé, principal outil de scène, tentative de rythmer les tableaux, s'insère très bien dans l'absurdité dramatique développée par le livret. Dans cette multitude de tableaux minuscules et contradictoires, de nature assez kurtágienne, en somme.
La seule image à retenir l'attention, qui frappe inévitablement, malgré sa démesure, est l'image du cri immense et assourdissant, sur tout l'horizon - le silence. Les dernières minutes, pesantes dans leur exposition forcenée d'un délire sans coordination dramatique, sont ainsi sauvées par le choc de cette formule, inversant de façon si terrifiante le monde réel.


On le voit, je ne saurais me prononcer au juste sur la valeur de ce texte et de cette mise en scène - et là n'est pas mon but, simplement d'en rendre compte. La langue en est très simple, tout à fait compréhensible pour les germanistes moyens même sans surtitres. Pour ne pas les voir, se placer au paradis vu le taux de remplissage à la première et les tarifs plus avantageux en cas d'opéra contemporain (c'est-à-dire sans public) demandait de toute façon une grande dose de bonne volonté. (sans compter d'autres charmants imprévus)

3.2. La musique de Rihm

Elle est la grande héroïne de la soirée. La crainte était, dans un ouvrage aussi ancien, d'avoir affaire à quelques expérimentations plus ou moins âpres, plus ou moins heureuses. On aurait pu rencontrer les masses hostiles de Hamletmaschine, aussi. Surtout sur ce texte plus que difficile. Il n'en est rien, et le langage est déjà aussi diversifié qu'aujourd'hui. Rien ici des déchaînements percussifs, de l'écriture vocale héroïque et stable, presque verdienne, du souffle épique des choeurs dans Die Eroberung von Mexico (« La Conquête du Mexique »), rien non plus de la folie des quatuors, du climat désolé, quasi 'winterreisien' de son trio Fremde Szenes, nous sommes dans un tout autre registre, plus proche de sa musique pour ensemble (comme Jagden und Formen, rendu célèbre par sa diffusion dans la collection « grand public » 20/21 de DG) et surtout des grandes pièces orchestrales ou, parfois, des Hölderlin-Fragmente (non enregistrés à ma connaissance).
La différence réside en réalité dans le degré de complexité, bien moindre ici que dans sa période plus récente, ou un contrepoint clair apparaît souvent.

Dans un moule formel plus traditionnel, en somme, mais avec les caractéristiques qui font toutes sa valeur, nous retrouvons ici Rihm. Avec une pièce parfaitement aboutie et style qu'il développera de façon encore plus impressionnante par la suite - mais qui ne souffre d'aucune verdeur dans Jakob Lenz

Die Eroberung von Mexico Jakob Lenz Wolfgang Rihm La Conquête du Mexique
Die Eroberung von Mexico, formidable opéra chez CPO.
[Attention, le livret n'est pas fourni, ce qui est plutôt fâcheux.]


Un des charmes de Rihm, outre la richesse de son langage, la beauté de ses textures, la force de son son, l'invention motivique et particulière rythmique, merveilleuse, est qu'il tient à employer une écriture pulsée. On dit souvent que la musique contemporaine est incompréhensible parce qu'elle n'est pas mélodique (le fameux 'argument' du sifflotement), voire parce qu'elle n'est pas harmonique (du moins dans le sens classique) - mais l'obstacle le plus réel n'est-il pas l'absence de repère pulsé ?  Après tout, la musique électronique populaire, qui connaît de grands succès auprès de populations pas nécessairement lyricophiles ou classicomanes, n'est elle non plus guère passionnante mélodiquement. De même, le minimalisme fascine surtout par son pouvoir rythmique - pour de bonnes ou de mauvaises raisons, et sur quels critères, c'est une autre affaire.
En tout cas, force est de constater que le repère rythmique - et c'est déjà le cas en partie chez Bruno Mantovani - donne une intelligibilité surprenante au propos, et procure indubitablement un véritable plaisir à l'écoute. Et ici, dans Jakob Lenz, la conduite du drame impose une simplification du langage qui le rend encore plus direct, peut-être moins raffiné, mais toujours immanquablement esthétique et efficace simultanément.
Tout y est pulsé, jusqu'au martellement. De longues séquences sont marquées sur chaque temps, aux timbales, sans effet d'emphase, mais comme un soutien à la compréhension, un repère instinctif sur lequel vient s'inscrire l'ensemble de l'écriture - tout de même pas si simple - de Rihm.

La composition de l'orchestre n'est guère excentrique, et son usage non plus : orchestre traditionnel, peu nombreux (le fosse de Bordeaux est de toute façon minuscule, mais elle ne débordait pas), avec un clavecin, et peu de percussions, hormis une cloche[2]. Les traditionnelles timbales sont utilisées, mais sans effets particuliers, les cordes sont largement utilisées non vibrato, les accents varésiens aux cuivres[3], peu de Flatterzunge et autres détournements sonores aux bois - tout cela concourt à donner une image plutôt classique, quasiment "contemporain-premier-vingtième" à cet orchestre.
L'écriture demeure fondée, comme si souvent, sur cette écriture boisée et dense, où les bois, puis les cuivres dominent le spectre sonore, lui donnent sa coloration si spécifique, une sorte de choral au milieu de l'orchestre. Souvent la progression se déroule par accidents, petits sauts, blocages ; le tremolo est souvent le moyen de la tension. Bref, des outils simples, directs, efficaces. Evidemment, le résultat est moins saisissant que le tellurique Eroberung von Mexico et ses pôles de percussions fous, le début manque un peu de nerf et d'urgence dramatique, mais force est de le reconnaître : la pièce est soutenue de bout en bout par cet orchestre attentif, cette musique intelligemment commentatrice et protagoniste. Une fois l'immersion réalisée (l'accroche est un peu douce), la fascination est sans partage, décidément.

L'écriture vocale, quant à elle, fait le choix, mais distinctement du lyrisme héroïque de l'Eroberung, de se tenir le plus près possible du texte. Des sauts d'intervalle étranges, mais jamais démesurés, toujours dans une tessiture où le spectre phonétique demeure aisément compréhensible - l'action est intelligible sans surtitres, grâce qui plus est au grand soin des interprètes. Bien entendu, on y trouve des effets - qui peuvent également évoquer Kurtág, mais que Rihm ne devait alors connaître - bien typique des expérimentations contemporaines, mais prévues (et réalisées) avec parcimonie et goût : tremblements, fausset, ribatuto, sprechgesang, mélodrame. Les tessitures sont beaucoup exploitées dans le grave, dans la partie naturellement exploitée par la voix parlée. De même, les merveilleux mélodrames[4] s'insèrent avec une grande simplicité, sans le moindre histrionisme expressionniste - simplement la parole à nu, lorsqu'on ne peut plus la chanter.
Tout cela, en somme, rappelle furieusement l'esthétique dépouillée, proche de l'aphasie, des Hölderlin-Fragmente[5]. Une grande simplicité dans les lignes, avec en ligne de mire l'esthétique du parlando, sans viser non plus l'ostensoir à braillements.
Une demie-teinte intelligemment pensée, qui donne le texte avec vie et gourmandise. Il ne faut pas y attendre un lyrisme développé ni un laboratoire vocal débridé, simplement un service du texte avec les moyens du temps, et la réussite en est fort belle.

La suite : références et échos dans la musique de Rihm, interprétation, autres remarques futiles. (Avec de jolies images de partitions malheriennes dedans, si vous êtes sages.)

Suite de la notule.

samedi 4 novembre 2006

Le disque du jour - XII - Intégrale Graham Johnson des lieder de Schubert (Hyperion)

[J'ai considéré que le portrait d'Elzbieta Szmytka constituait également le onziène de la série.]


Voilà un disque du jour qui peut occuper longtemps !





Je ne recommande pas l'achat du coffret intégral, par ailleurs : cela ferait beaucoup à digérer d'un coup, et malgré les économies potentielles, très franchement, les lieder par ordre chronologique, voilà qui est très pédagogique mais pas extrêmement agréable à l'écoute.

Car la série a été fondée en distribuant des récitals d'un disque thématique (en suivant un ordre chronologique assez libre) chaque fois à un seul chanteur pour la première moitié des parutions, puis des groupements semi-chronologiques très à propos nommés schubertiades.
Ainsi, en écoutant le coffret intégral, non seulement on risque inévitablement de n'écouter que les ultimes volets en délaissant les premiers disques, mais surtout, le zapping permanent entre les interprètes, à chaque plage, est assez pénible pour entrer paisiblement dans une esthétique de liedersänger, ou aller écouter spécifiquement un chanteur apprécié.

Je recommande donc plutôt une collection progressive et patiente, pas nécessairement exhaustive (pour quoi faire ?).





1. Les raisons

Pourquoi recommandé-je alors ceci, si ce n'est pas pour l'exhaustivité ?

On peut y voir plusieurs raisons que je vais tâcher d'exposer.

  • D'abord, bien sûr, l'intérêt musical. Plusieurs superbes récitals, très aboutis, figurent dans cette collection - j'ai voulu dresser une liste, et force est de constater que je les citais quasiment tous : 1,2,3,4,5,6,7,8,13,14,15,30 au moins disposent à la fois d'un programme exaltant et d'une très haute réalisation ! Les autres pèchent le plus souvent plus par la baisse d'inspiration des pièces que par la médiocrité des chanteurs, de très loin.
  • Des qualités constantes et essentielles s'y trouvent, dans une démarche cohérente. J'y reviens ci-après.
  • On peut réaliser une collection, sans forcément viser l'intégrale, mais en évitant tout doublon : trente Auf dem Wasser zu singen, quarante-sept Roi de Thulé, soixante Erlkönig, sans parler des Ave Maria (le troisième chant d'Ellen - parfois, ô blasphème, en latin !). A ce titre, l'intégrale est fort intéressante, même pour en acquérir un disque par an.
  • Pour qui désire véritablement l'intégrale, on dispose même de lieder inachevés comme la première version du Gruppe aus dem Tartarus (D.396, alors que celle complète bien connue est classée D.583 !), ou des lieder complétés par le musicologue Reinhard van Hoorickx.
  • Les notices, en anglais seulement, présentent avec bonheur une traduction et un commentaire pas à pas par Graham Johnson de chaque lied, un haut standard.
  • Et, pour finir de façon plus futile, les pochettes sont dans un style british absolument délicieux, volontiers badin. Ici, on ne cherche pas à rajeunir (bien au contraire !), à obtenir les meilleures poses, à faire dans le sérieux sinistre ou dans le racoleur flashy. On fait vivre une esthétique assez proche du contenu des disques. Je reproduis tout au long de la note quelques-unes des plus sympathiques.





Tout cela est bel et bon, qu'il y ait quelques fort beaux récitals, que l'ensemble soit cohérent, les doublons inexistants, que les notices soient stimulantes, que les pochettes soient aimables. Mais en quoi l'ensemble constitue-t-il uniformément un tout recommandable ?

Tout d'abord, tous ne sont pas au même niveau, question de programmes avant d'être question d'interprètes. Je tâcherai de dresser une petite liste pour aider à parcourir cette jungle, un tout petit peu plus loin dans la note.

Ensuite, il existe en effet des constantes.





2. Le contenu artistique

Les chanteurs partagent tous la même exigence de naturel qui semble dictée par Graham Johnson - ils chantent différemment, même avec lui, en d'autres circonstances. Tous ont un sérieux potentiel de liedersänger, mais tous ne sont pas célèbres pour cela (ou d'abord connus pour l'opéra, ou encore jeunes). Le choix suivi est de ne jamais surcharger l'expression et les intentions : on laisse parler Schubert, on interprète avec cohérence et sincérité. Et pour moi qui suis le premier à détester la littéralité, j'atteste que cela fonctionne à merveille. Pas de premier degré, mais un respect scrupuleux des indications et des motivations devinées de Schubert. Le lied se livre alors dans sa simplicité, dans l'atmosphère amicale, directe qu'on imagine dans les schubertiades - de haut niveau sans nécessairement rechercher une nouveauté sur des pièces pas encore rebattues. Ce vent de fraîcheur fait découvrir les pièces dans leur nudité, avec un rare bonheur.

La plupart des chanteurs sont anglophones, voire anglais, et cette école a admirablement étudié le lied, même si quelques accents pas tout à fait catholiques - voire franchement anglicans - subsistent ici ou là (Anthony Rolfe-Johnson ou Gerald Finley, par exemple).
Par rapport à la moyenne des récitals disponibles, beaucoup de voix de femmes sont présentes, mais sans aigus ronds et incompréhensibles, on peut se rassurer, des liedersängerin tout à fait accomplies. Dont certaines qu'on ne soupçonnait guère (Elizabeth Connell !).

Graham Johnson les a admirablement distribués par récitals et par thématiques, parfois de façon surprenante, mais toujours réussie. Auf dem Wasser zu singen, Der König in Thule et Seligkeit échoient ainsi à Brigitte Fassbaender (au lieu d'une voix claire), tandis qu'Ann Murray hérite de Viola (idem) et de Der Zwerg (au lieu d'une voix masculine), Sarah Walker d' Erlkönig (au lieu d'un baryton), le Schwanengesang à John Mark Ainsley et Anthony-Rolfe Johnson (parties Rellstab et Heine totalement séparées, et atypiquement confiées à des ténors au lieu d'un baryton ou baryton-basse), etc.
On nous épargne ainsi avec beaucoup d'habileté un enième enregistrement de telle ou telle pièce semblable aux autres. On sait bien que les cycles constituent la vitrine de la publication (s'ils sont médiocres, on rechignerait sottement à acquérir le reste de l'intégrale), et la gageure est soutenue avec constance : McLaughlin/Hampson pour les Faust et Lady of the Lake, Goerne pour les Abendröte et le Winterreise, Bostridge(/Fischer-Dieskau) pour Die schöne Müllerin, Finley pour les italiens, Ainsley/Rolfe-Johnson pour le Schwanengesang. Toutes des versions originales, personnelles, hautement abouties ; au niveau des meilleures références (à l'exception peut-être du Schwanengesang, difficile à évaluer identiquement, coupé en deux).
Je soupçonne par ailleurs Graham Johnson d'avoir distribué l'accent un peu moins naturel que la moyenne de Gerald Finley aux mélodies italiennes, qu'il interprète avec sa belle façon sans ambages coutumière, en rendant, au final, le caractère hésitant, voire égaré, de la prosodie italienne de Schubert, qui est en effet soit un peu forcée, soit un peu allemande, comme dans les trois pièces D.902.

Quant à notre universel et indéfectible accompagnateur ? J'ai changé d'avis sur son compte. On peut, dans d'autres séries, le trouver légèrement précieux, et surtout fort peu engagé, d'une couleur assez neutre. C'est ce que je regrettais dans cette entreprise : la présence d'un seul pianiste qui soit Graham Johnson.
Pourtant, le temps aidant (et c'est pour cela que je me garde bien de réaliser ici des discographies comparées, exercice solipsiste et périssable au possible), on devient de plus en plus sensible au sérieux et à la rigueur de cette lecture. Oui, la couleur n'est pas extraordinaire, et si on considère le Winterreise, l'intensité du discours n'est pas ce qui frappe le plus sûrement. Toutefois, la rigueur, il faut le répéter, est là, une valeur en soi ; le plus souvent, les accompagnateurs sont ou transparents (le cas typique de Moore, son rond, sans arêtes, dépourvu de chant, variant du piano au mezzo piano), ou des recréateurs qui modifient des nuances, des phrasés ; point de cela ici.
Graham Johnson propose une lecture d'une précision extrême de la partition de Schubert : chaque rythme est rigoureusement respecté, et surtout chaque nuance, chaque indication de phrasé sont minutieusement exécutées. Avec une attention proverbiale aux chanteurs. Pas d'invention folle, mais l'exécution, avec humilité et sérieux, du texte. Et cela fonctionne. On échappe aux pâtes rondes des solistes, qui noient un peu les intentions sous le rubato et les jeux de pédale ; on échappe aux sons uniformes, feutrés, à l'indifférence des accompagnateurs professionnels.
Nous sommes vraiment au coeur de la réussite d'un pari, imposé également aux chanteurs : Schubert est simplicité, et l'exécution rigoureuse de sa musique peut lui donner, à elle seule, son plein essor. Pari absolument réussi, sans faute.

Ajoutons que la prise de son est très naturelle (pas trop proche, dans une pièce de moyenne ampleur dotée d'une toute minuscule réverbération, mais parfaitement audible) et équilibrée, que le chanteur comme le piano sont intelligibles dans le détail, comme si le premier se trouvait à l'avant-scène et le second, couvercle entrouvert, à un mètre ou deux de lui.





3. Description des volumes

En quelques très brefs mots, pour que chacun puisse se repérer et picorer à son gré. Je cherche à préciser les détails les plus significatifs de l'esprit de chaque disque. Les qualités de Graham Johnson sont constantes, je les ai décrites plus haut, je les renomme pas (il apparaît y compris dans les disques où figure Stephen Layton).
Je rappelle que l'ordre des volumes est à peu près chronologique, ce qui explique la teneur des programmes au début ou à la fin de la série.
Il va de soi aussi que mon appréciation porte sur l'intérêt relatif des volumes entre eux. Quasiment tous sont au minimum excellents, si l'on passe un ou deux programmes moins appétissants.

Lire la suite (liste exhaustive commentée, autre intégrale, où écouter, trouver les partitions).

Suite de la notule.

dimanche 22 octobre 2006

Elzbieta SZMYTKA (Frédéric Chopin - Mélodies polonaises complètes, Malcom Martineau)

Voici un de mes disques favoris, une des interprètes les plus bouleversantes.



Smutna Rzeka, "Rivière triste" Op.74 n°3.


Elzbieta Szmytka séduit par ce timbre à la fois léger et charnu, ce ton désinvolte et malicieux, le tout avec un aigu qui devient légèrement strident dans le haut de la tessiture - ce qui donne un aspect populaire absolument délicieux à son chant.

Mais Elzbieta Szmytka est avant tout une diction - et quelle diction ! Une des plus belles qu'il m'ait été donné d'entendre, et sans doute la première diction à me bouleverser à ce point hors de ma langue natale[1]. Très habitée, bien sûr, mais une clarté parfaite, tout à fait exaltante : il possible, même sans parler polonais, de retranscrire lettre à lettre son chant. Une très grande performance, surtout avec un chant aussi maîtrisé par ailleurs - nullement parlando.
Avez-vous entendu le chant de ses cz[2], le frémissement de ses rz[3], la fermeté délicieuse de ses r[4] ?



Śliczny Chłopiec, Op.74 n°8. Rien que pour la beauté des chuintantes.


Dans ce disque de mélodies[5], Malcom Martineau se montre égal à lui-même, accompagnateur scrupuleux et honnête, pas d'une folie débridée pour du Chopin, mais tout à fait estimable. On préfèrera bien sûr, côté accompagnement, Abdel Rahman El Bacha dans son disque (Forlane) avec Ewa Podles, elle d'une neutralité expressive assez frustrante. Son tempérament la prédispose mieux aux cycles de Szymanowski. En revanche, très, très beau disque de Teresa Zylis-Gara chez Erato (avec son accompagnateur, discret à l'extrême). Toutefois quelques réserves : le minutage très chiche, la présence de quatorze mélodies seulement (même si ce sont les meilleurs) sur les dix-neuf qui auraient parfaitement pu tenir dans le disque.
A propos, on prononce Chmétka, avec un [ch] doux.



Elzbieta Szmytka est de prime abord difficilement classable par ce disque, on ne saurait même dire s'il s'agit d'un soprano ou d'un mezzo-soprano. La tessiture semble assez haute, mais les réserves dans l'aigu ne paraissent pas inépuisables avec souplesse, et surtout cette voix charnue pour un soprano. Difficile à dire. Comme cela, on dirait une soprane assez centrale, spécialiste de la mélodie, n'est-ce pas ?
Que nenni. Une soprane qui vogue entre rôles aigus et rôles centraux plus lourds.

Et c'est aisément vérifiable. Car Elzbieta Szmytka n'est certes pas une inconnue, et si le patronyme exotique s'oublie peut-être vite sur les pochettes, on retrouve aisément sa trace dans la discographie et les programmes de concert. Et ils révèlent une identité de pur soprano lyrique, tout simplement pourvu en sus de cette voix corsée.

La liste suit dans l'article.

Suite de la notule.

samedi 23 septembre 2006

Schneewittchen ('Blanche-Neige') de Heinz Holliger

Suite à la remarque de Christian sur la disparition du site hébergeant l'article sur la Blanche-Neige de Holliger, j'en reproduis ici la page principale, légèrement amendée.

Il faut savoir que l'article en question date de quelques dizaines de mois déjà, rédigé fin 2003-début 2004, à vue de nez. Il serait à réécrire pour en lever quelques maladresses, mais je n'en ai pas le loisir. C'est donc à simple titre d'archive que je vous le propose.


Heinz HOLLIGER



      Né en 1939.
      Actuellement sont disponibles quelques notes sur quelques spécificités de [Schneewittchen].
     







*  Schneewittchen  *

Oeuvre familère et interrogative
      Le livret de Schneewittchen ('Blanche-Neige') a été rédigé par le compositeur d'après Walser. On dit souvent qu'il s'agit d'une oeuvre à part dans la production de Holliger, une des plus accessibles aussi - cas rare pour l'opéra dans le panorama contemporain. Ici, ce ne sont pas les crissements sarcastiques qui prédominent. L'ironie mordante est plutôt convoyée par un figuralisme hypocrite.

      L'oeuvre, en somme, ressemble assez à du Schreker actualisé, si l'on en croit la place d'un orchestre très homogène, au rythme comme étiré, et le mode de traitement d'un drame très littéraire, presque un essai. Les situations représentées versent souvent, il est vrai, dans le statisme - corollaire inévitable de l'utilisation de textes contemporains, faisant plus de place au commentaire et au doute, abolissant la science des effets, avant même de considérer la force dramatique. En cela, on retrouve aussi le souci d'approfondissement psychologique des Gezeichneten, sur le mode de scènes parfois arrêtées. Le grand souci plastique en moins, au profit de la réflexion sur le sens même de la représentation dramatique, de la portée des contes, etc...
      En effet, la recherche théâtrale ne peut plus se fonder sur la représentation d'un imaginaire mythique commun (il y aurait beaucoup à dire sur le sujet : télescopages de systèmes de valeurs, démentis à l'intérieur même des civilisations, etc.), ni le plus souvent sur l'expression de l'interrogation d'un collectif, pour les mêmes raisons, ni même, dans le cadre de la recherche littéraire, sur la simple efficacité dramatique, trop usée - et surtout passablement méprisée. Le principe d'un 'métaquestionnement', à l'oeuvre durant tout le vingtième siècle, se pose sans ambiguïté dans cette oeuvre de Holliger.
      De même que les personnages se permettent, tout en remplissant la fonction initiale d'un type, de contester le contenu et l'orientation du conte auquel ils sont pourtant soumis, la musique n'a pas la valeur exacte de ce qu'elle montre, dès qu'elle n'est plus abstraite.




Théâtre du métaconte
      Schneewittchen apparaît ainsi comme une illustration flagrante de la recherche littéraire au vingtième siècle, sous l'égide du doute, sinon du soupçon. A cela s'ajoute un accomplissement assez impressionnant pour une oeuvre de théâtre, genre comme on l'a succinctement suggéré assez difficile à manier avec les outils contemporains, fournissant peu de prises aux spectateurs.
      En effet, en lieu et place de l'efficacité dramatique, ici absente - à peine trouve-t-on un rien d'urgence dans la description des amours de la reine et du chasseur, scène de voyeurisme qui n'a rien d'active -, Holliger utilise le second degré, et le doute lui-même, pour porter son drame. Le traitement du début de la seconde scène est à ce titre exemplaire.


      Dans cette scène, l'orchestre se met à bruisser, à chanter, le prince à effectuer des coloratures sans fin qui voilent son discours. Ils deviennent les oiseaux qu'ils évoquent, comme en écho aux contestations des personnages sur un narrateur biaisé, qui choisirait la caricature. [Mais les personnages, tel le chasseur s'assurant indépendant de la reine, savent aussi mentir, ce qui rend complexe le démêlement des revendications légitimes et des faux-semblants.] Ainsi, cette musique à programme, par son évident excès de représentation concrète, avertit le lecteur par le biais de l'auditeur : le choix de la simplification coupable peut être fait, qu'il prenne garde.
      On pense beaucoup à un parallèle avec Rinaldo ("Augelletti, che cantate, Zefiretti, che spirate"
), admiré mais dont l'insouciance psychologique ne paraît plus possible aujourd'hui ; une référence qui place l'oeuvre dans une filiation en même temps qu'elle confirme l'impossibilité d'une imitation qui serait limitée dans son sens et privée de sincérité.
      Pourtant, au-delà de l'emphase ironique, se développe une véritable poésie. Le premier degré donne tout de même accès à une musique merveilleuse, descriptive mais quasi onirique, à un touchant tableau.
      Sans doute ce mélange entre références au passé, dans le style hérité (Schreker) ou dans l'esprit imité (Haendel), et doute posé sur la validité d'un drame concret aujourd'hui, éclaire-t-il un peu les choix d'esthétique musicale de cette oeuvre au profane holligerien, pour lequel cette rencontre constitue donc un excellent début.
     
      Plus précisément, cette scène, outre sa portée générale sur l'ouvrage dramatique et sa fonction éclairante dans la pièce et la musique, met également l'accent sur la duplicité de l'attitude d'un personnage que les contes traditionnels laissent somme toute peu connaître.
      Dans la première scène, un double couple délibère. La reine et le chasseur, Blanche-Neige et le prince. Nous nous situons en quelque sorte après l'issue du conte, mais c'est plutôt l'impression d'une émancipation des personnages qui prédomine, tels des acteurs contestant en plusieurs point la pièce qu'on leur fait jouer, le rôle réducteur qu'on leur fait tenir. La reine est particulièrement révoltée contre l'image figée et uniformément négative que lui donne le média narratif. Le prince, quant à lui, protège Blanche-Neige, sans grande conviction. En plusieurs endroits des protestations se sont élevées, il n'a pas toujours pris, en bon étranger, le parti de sa promise. La scène suivante place le jeune couple ensemble dans les jardins retrouvés.
      Le prince, peu empressé voire peu intéressé par sa compagne, se justifie en invoquant l'adage ('la sincérité n'a pas besoin de mots') qu'il se défend de transgresser en d'interminables explications bien bourbeuses, jusqu'à se compromettre, se faisant l'illustration négative de son précepte. Une fois sa sincérité douteuse placée aux yeux du spectateur, il fera bénéficier Blanche-Neige d'une description qu'elle désire bien peu : son voyeurisme se porte avec enthousiasme sur les ardeurs de l'autre couple. Mais ce n'est pas pour avertir Blanche-Neige qui proteste et réclame un peu d'attention.
      Dans ce contexte, les roucoulades du prince semblable à l'oiseau le font précisément penser bien trop volubile pour être sincère. Surtout que la quantité de paroles apparaît en réalité bien maigre, comme stoppée par ces ornementations inutiles et surtout inauthentiques. Leur surabondance masque même le contenu du texte. Le prince ne dit rien à Blanche-Neige de consistant, et encore, lorsqu'il parle, rend incompréhensible ses paroles. Seul le narrateur lui impose, en déduit-on, ce rôle de héros épris.




Une réussite de théâtre musical,
remarquable avec les outils propres au vingtième siècle

      On l'a compris, les textes littéraire et musical se lient ici étroitement pour faire sens. Rarement la musique posée sur un livret aura autant eu une valeur de confirmation ou d'interrogation, selon les cas, et en tout cas une valeur d'orientation de l'écrit. Une réussite et un régal qui rendent secondaire la seule esthétique, ce qui en facilite grandement, bien entendu, l'accès.

      Contestation vivifiante et littéralité de la merveille, dans les textes, nourrissent semblablement le doute spontané du spectateur. La représentation concrète, le recours aux usages n'est jamais dupe. Le traitement musical adramatique, qui rappelle souvent le procédé schrekerien, juste modernisé, de la toile de fond évolutive, tantôt discrète et presque oubliée de l'auditeur, tantôt revendiquée comme source de la poésie (et ici, du commentaire) de certains tableaux, convient admirablement à cet 'essai théâtralisé'.
      La poésie n'est jamais loin des questionnements : le texte de Walser fait interroger le conte par les personnages qui l'animent, en quelque sorte émancipés de la force créatrice qui les contraignait - un peu comme les personnages d'une fresque qui nargueraient le peintre en choisissant de renier leur pose caractérisante.


      Enfin, suprême satisfaction, l'interprétation 'Holliger par Holliger', la seule disponible à ce jour au disque, est très équilibrée, et dotée d'une distribution très sérieuse, qui ne peut qu'être louée pour l'homogénéité de ses membres et de ses talents (vocalité et diction en tête).
      Un opéra contemporain réussi, puisqu'il parvient à donner sens à la littérature du vingtième siècle dans une forme qui décuple la force de ses significations. Remarquable en tout point et bien que riche, très accessible, usant d'un langage musical en outre assez consonant, dans une interprétation de haute volée.
La preuve que le théâtre musical peut trouver une voie sans recourir à l'impact dramatique, en effet plus rare dans la littérature contemporaine.

jeudi 3 août 2006

A la découverte de Pelléas & Mélisande de Debussy/Maeterlinck - VI - Balade dans l'oeuvre - Acte I, scène 1 (c)

Devant l'immense succès de l'épisode précédent.

La suite.

Suite de la notule.

samedi 8 juillet 2006

La tragédie lyrique : l'intégrale - I - de Lully à J. F. Rebel

Répertoire des oeuvres jouées et éditées dans le domaine de la tragédie lyrique. Avec de brefs commentaires.

Modèle :

  1. COMPOSITEUR, Prénom OU INDISPONIBLE, Prénom
    1. Oeuvre (date de création) (en italique si l'oeuvre a seulement été donnée en concert ; certaines oeuvres indisponibles sont tout de même citées, mais ne figurent pas en gras)
      • Enregistrement
        • Commentaire de l'enregistrement. Commentaire de l'oeuvre.
      • Exécution en public sans enregistrement

Les compositeurs sont placés par ordre chronologique de carrière.
Les oeuvres et interprétations par ordre chronologique.


L'intérêt est de pouvoir disposer d'un bréviaire sur les oeuvres disponibles, d'un plan pour se repérer.

Suite de la notule.

samedi 1 juillet 2006

Jean-Jacques Rousseau compositeur

Une question tout récemment posée : qu'est-ce que cela vaut ?

Suite de la notule.

jeudi 29 juin 2006

Intruments d'époque et authenticité

Eternel débat, alors même que tout le monde écoute et apprécie des ensembles qui jouent à partir de sources « musicologiquement informées »

Suite de la notule.

lundi 26 juin 2006

Les coupures aujourd'hui - économie, habitudes, opportunisme, incurie, dogmatisme ? - Don Giovanni (1787)

Voilà fort longtemps que je me demande, en vain, pourquoi, alors que n'importe quel non puriste wagnérien hurlerait à bon droit si on coupait encore dans le duo Siegfried-Wotan ou dans les monologues de Gurnemanz, on continue à couper impunément Richard Strauss. Parmi d'autres.

La mode est aux archi-intégrales. On vend Mozart en entier (ou presque). On réalise de nombreuses intégrales Bach, mais aussi celles de compositeurs moins prestigieux, pour lesquels on espère que le fantasme d'exhaustivité incitera plus à la curiosité que de simples anthologies. On republie même des pasticcios vivaldiens pas très vivaldiens, comme le Montezuma putatif proposé par Malgoire, comme le Bajazet contenant de nombreux morceaux "volés" à d'autres compositeurs.
Et pourtant, certains répertoires demeurent inexplicablement coupés. Sans que grand monde s'en émeuve.

Exemples.

  1. La tragédie lyrique.
  2. Mozart.
  3. L'opéra français du XIXe siècle : Meyerbeer, Halévy, Gounod, Thomas, Reyer...
  4. Richard Strauss.

Aujourd'hui, Don Giovanni de Da Ponte / Mozart.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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