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La rouée Omphale - (Destouches / La Motte)


En première mondiale, un extrait de la tragédie en musique d'André Cardinal Destouches et Antoine Houdar de La Motte.

L'occasion pour moi de revenir sur une présentation plus structurée de l'oeuvre.


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1. Contexte esthétique

Omphale (1701) est écrite dans le style galant à la mode depuis L'Europe Galant de Campra (1697) : la trame dramatique est le prétexte à d'innombrables ballets.

Le livret d'Antoine Houdar de La Motte fait de l'amour d'Hercule pour Omphale l'occasion de divertissements sans grand contenu dramatique (des fêtes pour plaire à la reine). Par ailleurs mollement versifié, si bien que les inégalités de mètres ne semblent plus dues, comme chez Quinault, à la volonté de varier les rythmes et d'éviter les ronronnements, mais à une sorte de contrainte maladroite pour retomber sur ses syllabes.

C'était ce qui plaisait alors au public post-lullyste (et toujours nostalgique), concomitamment avec des pièces beaucoup plus noires à partir de Médée de Charpentier (1693, année également de Didon de Desmarest, très lullyste mais peu optimiste), et surtout de Philomèle de La Coste et Roy (1705), qui étaient plus controversées, et néanmoins assez nombreuses sur les scènes. Voir par exemple les explications ici et .

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2. Oeuvre

Musicalement, la qualité des récitatifs de Destouches reste assez exceptionnelle, à la fois très respectueuse de la prosodie, comme le modèle Lully, et extrêmement élancée, avec beaucoup de "poussée" mélodique vers l'avant.

Les parties vocales et orchestrales (on n'en entend pas de significatives dans cet extrait) sont elles bien plus contrapuntiques, plus encore que dans la Callirhoé (1712) du même compositeur, avec des contrechants très chantants.

Et on repèrera quantité d'italianismes (au sens de l'époque), en particulier dans l'harmonie, très modulante. Typiquement, alors que nous sommes en ré majeur, la disparition de la sensible do dièse (remplacée par un do naturel qui change en un instant la tonalité en sol majeur), puis sa réapparition au sein du même phrasé, créant une instabilité harmonique assez troublante. Ecoutez par exemple les deux vers "Que ceux qui m'ont suivi se préparent aux jeux / Que je dois offrir à la Reine". On trouve exactement la même chose dans Hippodamie (1708) de Campra (versant "noir" des tragédies de l'époque).

Le livret est donc faible, mais la musique de grande qualité le rachète grandement partout où il est possible - mais elle ne peut pas non plus supprimer les inspirations malheureuses comme les répétitions plates du type "J'ai sauvé par la mort d'un monstre furieux / Tout ce que sa fureur était prête à détruire."

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3. Exécution

J'utilise ici une édition fin XIXe dont les réalisations sont assez bien faites. Et comme illustration, l'exemplaire copié par Philidor (André Danican) en 1704... et sans les chiffrages !

Au passage, on remarquera que le rôle d'Alcide - basse-taille, puisque le véritable amoureux, comme dans Roland de Lully, est haute-contre - se trouve écrit réellement haut pour sa tessiture, avec un certain nombre de fa dièse 4, ce qui est plutôt exceptionnel. C'est presque l'écriture d'un rôle de taille (ténor grave / baryton clair), ce qui n'est certainement pas la couleur d'Alcide prévue par le compositeur. D'ailleurs ses lignes mélodiques sont celles d'une basse de l'époque, clairement.

Précision habituelle à apporter : l'enregistrement que je propose est un document, pas un produit fini qui serait exempt de défaut. Je m'accompagne en même temps que je chante, sur un instrument de plus totalement inadéquat : aussi il s'agit plus de donner accès à l'aspect général et à l'esprit de l'oeuvre que d'en fournir une version complètement honnête et aboutie.

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4. Livret

ACTE I

Scène 1 : Iphis seul

IPHIS

[...]

[On entend un bruit de trompettes.]

D'Alcide on va chanter la nouvelle victoire,
Ce bruit de son triomphe est l'éclatant signal.

Tout retentit, tout parle de sa gloire,
Tandis que pour la Reine épris d'un feu fatal,
Je perds le soin de ma mémoire,
Lâche ! L'ai-je suivi pour l'imiter si mal ?

Scène 2 : Iphis, Alcide et sa suite

[Ritournelle avec trompettes. Entrée d'Alcide et de sa suite.]

ALCIDE
Les rebelles soumis gémissent dans les fers ;
Mais c'est assez des maux qu'ils ont soufferts,
Rassemblez-les pour voir briser leur chaîne.
Vous, allez ; que vos soins répondent à mes voeux.
Que ceux qui m'ont suivi se préparent aux jeux
Que je dois offrir à la Reine.

Scène 3 : Iphis, Alcide

ALCIDE
Que servent les honneurs qu'on rend à mes exploits ?
Malheureux ! tout mon coeur s'ouvre au trait qui le blesse,
Mille cruels transports m'agitent à la fois :
O barbare ennemie ! implacable déesse !
Junon, tu t'applaudis du trouble où tu me vois.

IPHIS
Au sein de la victoire
Votre coeur laisse encore échapper des soupirs :
Vous ne sauriez désirer plus de gloire ;
Quel autre bien fait naître vos desirs ?

ALCIDE
Apprends, cher Prince, apprends ma faiblesse secrète :
On vante mon triomphe, et je sens ma défaite.

IPHIS
Quoi, Seigneur ?

ALCIDE
J'ai servi la Reine de ces lieux ;
J'ai puni les mutins qui troublaient son Empire ;
J'ai sauvé par la mort d'un monstre furieux
Tout ce que sa fureur était prête à détruire.
Que servent à mon coeur ces exploits glorieux ?
Il se trouble, il languit, tu l'entends qui soupire ;
L'Amour a bien servi la colère des dieux.

IPHIS
Vous aimez ! Eh ! quelle est la beauté qui vous blesse ?

ALCIDE
La Reine...

IPHIS
O Ciel !

ALCIDE
La Reine a surpris ma tendresse.
Dès le premier moment que je vis ses attraits,
Je sentis que mon coeur les aimerait sans cesse ;
Je tâchai vainement d'en repousser les traits.

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La première notule sur Omphale (janvier 2006) a été dûment mise à jour, en répondant aux questions que l'on s'y posait et en y adjoignant le contenu de cette nouvelle notule.


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Commentaires

1. Le dimanche 22 mai 2011 à , par Jérémie

Je suis impressionné que Destouches ait été édité fin XIXe avec réalisation. Ça semble vraiment être la preuve que l'idée comme quoi la musique baroque est complètement tombée dans l'oublie après 1750 est un peu une exagération ! :-)

Sinon, David, comme d'hab, bravo (même si l'intro au début est un peu speed et bizarre)... La prochaine redécouverte lemarréquienne sera Philomèle, je le sens !

2. Le dimanche 22 mai 2011 à , par DavidLeMarrec

C'est aussi le cas d'un certain nombre de Campra (au premier chef desquels Tancrède, dans une assez vilaine réalisation). Omphale a constituté un véritable et durable succès, en réalité. (On se demande comment aujourd'hui avec ce livret pourri et comparé à l'intérêt d'autres Destouches au premier rang desquels Callirhoé !)

Il faudrait que je vérifie, je crois que même Scanderberg de Francoeur / Rebel / La Motte avait été publié. Evidemment, ces éditions sont assez difficiles à trouver, et parfois sont en très mauvais état (impossible d'utiliser mon Thésée, il tombe en ruines).

Merci pour vos flatteries renouvelées. :) Mais erreur, la prochaine exhumation en TL, ce devraient être les trois fins (alternatives) de Tancrède ou l'air de Pélops à la fin du I d'Hippodamie de Campra. Les deux précèderont Philomèle, qui réclame plus de préparation puisque la partition n'est disponible que chez des maîtres de la rétention d'information célèbres...

3. Le lundi 23 mai 2011 à , par Ouf1er

A ne pas confondre, évidemment, avec Le Rouet d'Omphale...
;-))
(le Rouet de la rouée Omphale)...

4. Le mardi 24 mai 2011 à , par DavidLeMarrec

Bah, au Sud de la Loire, ça se prononce de la même façon...

Mais ça fait plaisir de voir que tu es toujours pourvu de tes cinq sens.

5. Le mardi 24 mai 2011 à , par Ouf1er

Voire un 6me, occasionnellement... ;-))

(Bon, as tu reussi à aller entendre le vilain barbier ?)

6. Le mardi 24 mai 2011 à , par DavidLeMarrec

Voire un 6me, occasionnellement... ;-))

Et dans certains cas, mille. De plus en plus subtil...

(Bon, as tu reussi à aller entendre le vilain barbier ?)

Si je t'avoue que les deux vendredis où j'aurais pu, je suis allé voir le Streetcar de Breuer et revoir Atys... je suis excusé ? Rien qu'un peu ?

7. Le jeudi 26 mai 2011 à , par Ouf1er

Excusé ??? Pffff... Même pas ! Honte, honte sur toi !

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