(Troisième Symphonie, à la Philharmonie de Paris, le 20 octobre 2015.)
J'ai toujours trouvé très injuste la mauvaise réputation faite à Franz Welser-Möst (désigné chez les
perfides anglophones par l'homophonie approximative Worst than most,
ce qui n'est pas gentil). À l'Opéra de Zürich, en particulier, il
a laissé des interprétations sensibles aux recherches musicologiques ;
dans ses autres postes, sans chercher la nouveauté, il a toujours été
un interprète fiable et respectueux du style.
Il est d'ailleurs amusant de le voir diriger – avec son habit de
concert, sa chevelure volumineuse et ses lunettes rondes, on croit voir
Mahler lui-même dans les grands gestes de crescendo (un soir d'excès de
Vallium®), tout en entendant… autre chose.
Et c'est un peu là que le bât blesse, me concernant : certes, l'Orchestre de Cleveland
est d'une vaillance admirable (la capacité des cuivres à résoudre en
douceur les attaques, avec une complète continuité de son, est peu
commune), si pas toujours délicat (son très brillant en permanence) ;
mais ce qu'en fait Welser-Möst
paraît un peu vain. Au lieu de profiter de la force de cette musique
(les tuilages infinis qui,
au moment où la tension devrait se relâcher, embarquent sur un nouvel
aspect du thème, dans une succession ininterrompue de montées vers
l'apothéose), il en exalte au contraire les coutures, la juxtaposition arbitraire des thèmes
de caractère les plus disparates. Joué ainsi, on y retrouve la
sensation des caricaturistes un peu dépassés qui le représentaient à la
tête d'un Barnum hétéroclite.
Dans le dernier mouvement, c'est
quasiment un crime : au lieu de cette spirale ascendante infinie, il
laisse retomber les phrases au moment où elles s'attellent aux
suivantes, si bien que même le dernier aplat de la symphonie paraît
simplement juxtaposé, là où devrait paraître résulter des premières
notes aux cordes, vingt minutes plus tôt.
Je ne dis pas que ce soit facile à réussir, mais tous les chefs de ce
niveau le font, d'ordinaire, à des degrés de réussite plus ou moins
élevés (Kondrachine, Rögner, Inbal, Ozawa, Chailly, Salonen, Litton,
Stenz y parviennent particulièrement bien, parmi d'autres…). Et
lorsqu'ils ne lorgnent pas de ce côté, ils s'efforcent de rendre les
épisodes particulièrement saillants, et logiques les successions
(Abbado-Lucerne).
Comment fait-on ?
¶ D'abord, on ne relâche jamais le son (sostenuto), et on attend tout simplement l'entrée du
pupitre qui prend le nouveau thème pour commencer à laisser décroître
le volume du précédent (Welser-Möst, lui, laisse la phrase retomber
avant la nouvelle entrée).
¶ Ensuite, il y a beaucoup d'astuces
de phrasé
qui augmentent la densité en énergie – dans le dernier mouvement, les
chefs allongent souvent le dernier temps (temps faible, dans une mesure
à quatre temps), pour procurer une forme d'étirement, d'accumulation de
la tension avant de se hisser jusqu'au temps fort qui ouvre la mesure
suivante. Le procédé a déjà été décrit,
justement à propos de cette symphonie et de ce mouvement.
… et sans doute bien d'autres astuces de chefs dont je n'ai pas
connaissance.
Toujours est-il que, sans ce supplément (entendu pourtant chez des
chefs d'orchestres universitaires américains, pas forcément réservé aux
superstars hyperrémunérées de la baguette), on ne bénéficie que de la
symphonie brute, superbe, mais sans l'enthousiasme très particulier qui
saisit facilement le spectateur d'une symphonie de Mahler. Le public a
d'ailleurs réservé un accueil assez mesuré (surtout pour un orchestre
prestigieux, surtout pour une symphonie de Mahler !) à l'ensemble,
alors que c'est d'ordinaire un titre particulièrement payant.
Lors de ma dernière écoute en salle, par Simon Hewett,
pas particulièrement un titulaire des premières pages de magazine (je
veux dire, encore largement moins que Welser-Möst), j'avais justement
été cueilli par la fascination hypnotique inchangée de ce final. Je
voulais seulement souligner que mon commentaire n'est pas seulement le
fruit d'années de blasage au
sein des meilleures salles de concert de France, ni de fréquentation
des indigènes ronchons.
[Depuis le premier balcon latéral (côté jardin), mis à part les violons
très peu audibles, l'aération (sans réverbération parasite) et l'impact
physique du son sont très impressionnants.]
--
Le biais
des pistes
Considération (partiellement) accessoire, mais un peu fascinante tout
de même : sur les disques (et même au format dématérialisé, donc la
remarque restera valable encore quelque temps), le découpage des pistes
trahit des visions de l'œuvre.
J'ai été très amusé de constater, en écoutant plusieurs versions du Rosenkavalier
ces derniers temps (si ça vous intéresse : E. Kleiber 52, Schippers 64, C. Kleiber 73
et De Waart 76 en entier, et puis les premiers actes de Busch 46, Knappertsbusch 55, Böhm 58, Böhm 69, Karajan 60, Solti 69, Bernstein
71, Haitink 90, et un inédit napolitain de Prêtre en 1971), que le découpage des pistes trahissait
la représentation qu'on se fait de l'œuvre… et le public que l'on vise.
On peut déjà le remarquer dans les opéras à numéros, où les récitatifs sont en général placés sur
une piste à part, voire rejetés en fin de piste, quelquefois
alors qu'ils conduisent directement à la situation suivante. Dans la
logique dramatique et macrostructurelle, il serait plus logique de les
placer avant qu'après – l'action du récitatif ou du dialogue
conduisant à l'émotion exprimée par l'air. Mais pour pouvoir les
supprimer à loisir, ils ne sont presque jamais situés au début
(exception notable dans un enregistrement récent justement très théâtral et intégré), sauf
connexion explicitement prévue par le compositeur (le petit récitatif
où le personnage se trouve soudain seul, le récitatif accompagné,
etc.).
Mais le procédé devient beaucoup plus spectaculaire dans un opéra écrit
d'un flux continu, et où l'orchestre tient une place majeure. Ainsi,
alors que la plupart des versions font débuter l'échange de prénoms par
le solo archaïsant de clarinette (plutôt typé XVIIIe, et avec un
accompagnement de vents essentiellement), la version d'Erich Kleiber en 1952 (d'une
distribution à teneur hautement glottophile : Reining-Grümmer, paru
chez le spécialiste MYTO, qui ne publie que des prises sur le vif
d'intégrales d'opéras du grand répertoire par de grands chanteurs
d'autrefois) débute immédiatement sur l'échange vocal. Cela n'est pas
logique : ce solo ouvre une nouvelle séquence, avec le déjeuner, et
même musicalement, c'est nettement lui qui annonce la suite. Mais MYTO
s'adresse manifestement à des auditeurs susceptibles de s'impatienter
s'il y a trop de musique avant de faire entendre les voix.
<L'extrait en question.
(On a laissé la césure entre les pistes pour les besoins de la
démonstration.)>
À l'inverse, dans la version de Karajan
1960 à Vienne (pourtant avec Schwarzkopf & Della Casa !),
le projet est peut-être conçu avant tout autour du chef : les pistes
concernent les grandes scènes (l'entrée des voix est laissée avec
l'introduction orchestre, et pas de deuxième piste avant le
travestissement d'Octavian, puis une troisième l'entrée d'Ochs), et ne
mettent pas en valeur les répliques de bravoure des personnages.
Dans cette perspective, le Pelléas et Mélisande dirigé par Boulez (le studio de Sony), ne dispose que d'une piste
par scène, voire par tableau. Il ne s'agit pas de préparer les entrées
de telle ou telle tirade, on suit la logique littéraire et musicale de
l'unité des scènes, hors de question de laisser l'auditeur batifoler
autour des grands airs de bravoure, ça s'écoute en entier ou ça ne
s'écoute pas (à quand une piste par acte, chez Wagner ?).
Ce n'est pas si malcommode dans un opéra où il n'y a pas vraiment de
moments vocaux à isoler, et on arrive finalement d'autant plus vite à
l'emplacement voulu, mais il est vrai que, lorsqu'on cherche un endroit
précis (vérifier un détail, exercer une comparaison, ou tout simplement
se faire plaisir), c'est une contrainte.
Ce n'est pas tout à fait un hasard, à mon avis, si le pistage « vocal »
est chez MYTO et si le pistage global intervient dans des
enregistrements où le chef est la plus grande vedette. Reflet d'une
vision du monde, rien de moins.
Très étonnant, à découvrir : Sibelius, dont l'évolution a toujours été
plus homogène (si la forme change totalement, le lyrisme et les
couleurs de la Septième ont beaucoup en commun avec la Première),
semble avoir mangé du Nielsen
des Cinquième et Sixième Symphonies, ce jour-là !
Ces fragments (HUL vaut pour
Helsinki University Library) datent de la période du silence d'Ainola
(1930-1957), probablement plutôt du début des années 30. Il s'agit de courts brouillons, d'un stade plus
ou moins avancé, pourvus d'indication
d'orchestration (accomplie par Timo
Virtanen pour pouvoir les jouer). Alors qu'il ne publiait plus
rien, Sibelius continuait d'écrire (au crayon, l'encre n'étant plus
sûre à cause du tremblement de ses mains, et même ainsi, les traces
laissées sont paraît-il incroyablement difficiles à déchiffrer) ;
personne ne peut affirmer que ce soient effectivement des parties du
projet de la fameuse symphonie-fantôme, néanmoins ces rapides
évocations laissent percevoir l'orientation de l'art de Sibelius dans
ces années… et le saut qualitatif, en matière d'audace harmonique et de
radicalité des alliages, est assez impressionnant – à supposer que Timo
Virtanen ait pu déchiffrer ce qui est réellement écrit, mais cela
ressemble bel et bien à du vrai Sibelius, simplement du Sibelius d'un
peu plus tard…
Trois d'entre eux sont présents dans la remarquable intégrale John Storgårds / BBC Philharmonic
(Chandos), quatre (deux pages différentes du manuscrit 1326) par Okko Kamu / Lahti (BIS, le premier
enregistrement).
[Au passage, quelle abondance de biens ces dernières années, dans une
discographie longtemps mitigée (beaucoup d'épaisseur et de mollesse…) :
on dispose quasiment des meilleures références simultanément avec
Storgårds-BBC (2014), Rattle-Berlin (2015), bientôt P.Järvi-Paris (2016 ou 2017)…
Auparavant, il y avait quand même Maazel-Vienne (années 60),
K.Sanderling-Konzerthaus (années 70), Ashkenazy-Philharmonia
(années 80), Maazel-Pittsburgh (années 90), Saraste-Radio Finlandaise
(années 90) et Oramo-Birmingham (début années 2000), mais c'est
quasiment au rythme d'un par décennie, là où nous en avons trois en
trois ans…]
La presse (et les mélomanes qui la lisent) est en émoi : Bel Air Media
doit retirer ses DVDs des Dialogues des Carmélites
mis en scène par Dimitri (Feliksovitch) Tcherniakov.
Les ayants droit ont porté plainte en raison de la trahison du propos
de Bernanos : dans cette mise en scène, il n'est pas question de
catholicité (si jamais il y a foi, tout au plus d'une secte), et, point
capital dans la controverse, le sacrifice de Blanche sauve les autres
sœurs.
Cela soulève beaucoup d'indignation (et pose, il est vrai, beaucoup de
questions), autour de la liberté d'expression (évidemment, comme il est
question de religion).
Néanmoins, ici, autant il est, autant une telle relecture peut être vue
comme une mutilation de l'œuvre (comme si un éditeur récrivait la
dernière page d'un roman, en ôtait des passages, en changeait
l'époque…), et le droit moral des descendants peut être exercé dans ce
cas – il y a eu le cas de la suite des Misérables,
également attaquée (ce type d'exploitation n'est pas forcément
sympathique, car n'importe quel pékin peut vendre des livres en
convoquant ce type de références, mais la fanfiction, officielle ou non, est
aussi le signe très positif de la vivacité de l'appropriation de ces
œuvres par le public…).
En l'occurrence, s'agissant non pas d'un appendice, mais du dévoiement
d'une œuvre existante (il paraît que ça ne marchait pas bien,
d'ailleurs, les Dialogues
sans catholicité – sans blague), je déplore mais peux admettre que les
ayants droit puissent agir contre ce type de manipulation d'une œuvre
donnée (ce n'est pas du tout comparable à la très douteuse condamnation
des époux Girbaud, d'ailleurs révoquée en appel, pour des motifs intimes étranges).
Pourqoi en parlé-je ? Parce que je n'ai lu, jusqu'à présent, que
confusions entre droits patrimoniaux et moraux. Notamment en reliant
cette intervention au fait que Bernanos soit encore sous droits. Or,
cela n'a rien à voir.
En France, les droits patrimoniaux
expirent 70 ans après la mort du créateur (plus les années de guerre où
l'œuvre n'a pas pu être correctement exploitée) ; les droits moraux,
eux, sont imprescriptibles et incessibles, un auteur ou ses
représentants (donc, en bonne logique, ses descendants) peuvent
toujours intervenir, même après la fin des droits rémunérateurs. Il
s'agit alors de protéger l'intégrité de l'œuvre, et cela, dansl'esprit
du législateur, doit perdurer au delà de la rémunération du créateur.
Autrement dit, des représentants légitimes de l'intérêt des
librettistes ou compositeurs auraient pu contester sa réécriture de Don Giovanni, plus encore son Trovatore sans aucun rapport avec
l'histoire de départ (prise d'otage dans une famille incestueuse,
quelque chose comme ça) ; en revanche son subtil Onéguine parfois à rebours
(l'accident du duel) mais fidèle à l'esprit du roman (le regard
sarcastique sur Lenski revivifié), et plus encore sa Fiancée du Tsar (transposition
parfaitement plate) seraient difficiles à censurer, puisque respectant
les présupposés de l'œuvre originelle.
Pour une petite vulgarisation sur le sujet, on peut se reporter à cette
vieille
notule, mise à jour pour l'occasion.
--
Les
réseaux Equilbey
C'est un secret de polichinelle : Laurence
Equilbey a d'excellents réseaux.
J'ai la plus grande déférence pour la cheffe
de chœur (le recrutement, la splendeur sonore, la polyvalence,
la santé et la précision d'Accentus lui font honneur, vraiment – 1,2,3,4,5,6…), mais, comme à peu près tout le monde, je ne
suis pas convaincu par la cheffe
d'orchestre – assez molle, au point d'abîmer certaines œuvres
(mauvaises expériences avec Mendelssohn et surtout Schumann, plus difficile à réussir).
Pis, son disque pavillon-témoin du Requiem
de Mozart avec son orchestre Insula
Orchestra : d'une indolence comme les orchestres
traditionnelles n'osent plus en proposer.
Elle se rachète largement en faisant entendre des œuvres que personne
d'autre ne donne (voir les Weber, Mendelssohn et Schumann
sus-mentionnés, par exemple), mais on ne peut que se demander comment,
de son poste cheffe très moyenne, elle a pu, elle et elle seule,
obtenir la constitution d'un nouvel orchestre (on en manquait), dirigé
par elle seule (ou quasiment), adossé à un solide financement (la
Société Générale, et puis le Conseil Général du 9-2, tout le monde en
rêverait) et même à un lieu de résidence neuf et prestigieux (la Cité
de l'Île Seguin prochainement inaugurée).
Et voilà que Culture Box, qui ronronne méchamment ces dernières
semaines du côté opéra, capte non seulement ses concerts, mais lui
consacre une série de reportages !
Manifestement, elle sait déplacer les montagnes, même en ces temps de
disette subventionnelle… Il faut dire que le projet est
diablement séduisant : instruments anciens par de jeunes lauréats
encadrés par des chefs d'attaque expérimentés, avec une large partie
d'action culturelle, un répertoire centré une période à la fois
capitale pour la musique et très accessible – le tournant du XIXe
siècle –, qui permet aussi bien l'exploration d'inédits avenants que
l'exploitation de tubes… Mais d'autres projets semblables n'ont pas les
mêmes facilités du côté des pouvoir publics, clairement.
Tant qu'elle continue à proposer des programmes originaux, elle a ma
bénédiction (même si elle pourrait s'agiter un peu plus au pupitre et
travailler un peu plus vigoureusement ses plans et ses articulations).
--
Moses und
Aron « de » Castellucci
En ayant parcouru la retransmission, je suis assez rassuré (une suite
de tableaux plastiques, c'est à peu près le meilleur qu'on puisse
tirer, scéniquement, de cette œuvre, sauf à tout surinterpréter et
hystérisé). Ça n'a pas l'air très radical cela dit, même s'il y a un
peu de chair (plus ou moins, je n'ai pas demandé de comptes) fraîche
sur le plateau, et un taureau du terroir qui a fait jaser.
De jolies trouvailles, comme ce compteur dans le silence pour les
quarante années de désert, et globalement de belles images. Ça n'a pas
l'air aussi radical que le Volto nel
Figlio di Dio marinant dans les sécrétions corporelles, Parsifal en pénombre ou les danses
du Sacredu Printemps en poudre d'os
fertilisante de 75 vaches.
Rien de renversant non plus, je cherche toujours comment on peut crier
au génie avec si peu – de jolis symboles, un usage original du plateau…
Mais pour ce qui est du vertige sur les questions d'identité, pas
vraiment.
Thomas Johannes Mayer a l'air
totalement magnétique, même (et surtout) dans un rôle pas vraiment
chanté, et le Chœur de l'Opéra
semble à des sommets d'horreur (une concrétion de voix solistes lourdes
et opaques qui braillent une musique certes très inconfortable). Ce
doit être étrange, j'irai m'abreuver à la source d'ici une semaine.
Amusant d'entendre Stéphane Lissner,
en introduction, glisser un discours condescendant envers les
glottophiles (et même les mélomanes) en hiérarchisant implicitement
entre ceux qui vont à l'opéra pour écouter de la musique, et ceux qui y
vont pour donner du sens à la société et à la vie – autrement dit,
entre les œuvres qu'il est obligé de programmer. Mais alors, avec une
douceur diplomatique qui contraste avec l'aplomb guilleret des mépris
de Gérard Mortier.
C'est un théâtre public et il a donc, par delà cette
définition, une
mission de service public [ouvert sur le monde, etc.].
(Ceci pour plaire aux décideurs qui ne s'intéressent pas nécessairement
à l'opéra.) Et puis :
Il y a des œuvres de pur divertissement, des œuvres où la
musicalité,
la vocalité remplissent un rôle essentiel ; et puis il y a d'autres
œuvres qui permettent une réflexion sur le monde dans lequel nous
sommes, et qui permettent à des artistes de poser les questions, sans
tabou, sur ce monde.
Parce que, bien sûr, l'opéra est le meilleur moyen de faire de la
philosophie (même si ce n'est pas facile pour tout le monde). Mais au
moins, il ne cherche pas à faire semblant d'aimer les œuvres qu'il
programme (Mortier faisait toujours des contorsions énormes pour
justifier ses lubies, ou bien les œuvres qu'il programmait simplement
pour faire des sous) ; je me demande comment il faisait à la Scala, vu
qu'il ne devait pas programmer beaucoup d'œuvres qu'il
connaissait aimait.
Curieux de voir cette production sur place.
--
Pourquoi
les nouveautés ?
J'ai remarqué qu'alors que je me glorifiais de ne pas me tourner vers
les nouveautés aux débuts de CSS, je le faisais de plus en plus, et
assez systématiquement. Je me suis demandé pourquoi.
Les nouveautés limitent le champ de
découvertes en incitant à réécouter les mêmes œuvres – en
dehors des réelles premières, mais pourquoi attendre les nouveautés,
alors que le fonds en contient déjà tant, parfois en voie d'épuisement,
qu'il est donc plus urgent d'aller dénicher ! Autrefois (il y a
dix ou quinze ans) les nouveautés étaient chères, on ne pouvait les
écouter (sauf à importuner le disquaire) qu'en les achetant, avec toute
l'incertitude afférente, puisque seuls quelques critiques (diversement
compétents, et de toute façon pas souvent du même goût que soi) avaient
pu y jeter une oreille. Bref, se jeter sur une nouveauté, c'était cumuler plus d'incertitude et plus
de dépense, sans forcément faire de grandes découvertes, qui
gisaient déjà dans le fonds disponible.
Mais aujourd'hui !
¶ Les nouveautés sont disponibles gratuitement (ou incluses dans le
forfait) sur les sites de flux légaux (Naxos Music Library, Qobuz,
Deezer, MusicMe…). L'argument de la cherté et du risque ne tient plus, il suffit d'essayer.
¶ Il faut bien l'avouer, il est plus
facile de dire un mot de la version (ou de l'œuvre) qui vient de
sortir que de traiter d'un disque qui nous tient à cœur depuis
longtemps – motivation soudaine, et surtout moins de choses à dire,
moins d'enjeu à porter, celui de rendre enfin justice au sujet.
Et, il faut bien l'avouer, s'y
adjoint le petit frisson (d'autant que les sorties numériques
sont en général anticipées sur les sorties physiques !) de voir sortir
du four les nouveaux programmes, les nouvelles interprétations. On est
en outre incité dans ce travers par le fait que les nouveautés incitent
les gens à venir lire, ouvrent plus facilement des discussions…
¶ Dans le principe de la nouveauté, je n'aimais pas me laisser dicter
mon agenda par les producteurs ; encore, pour un concert, on n'a pas le
choix, mais pour un disque ? Néanmoins, il est vrai que dans certains répertoires (musique
ancienne, baroque, opéra français, musique de chambre…) les premières mondiales fréquentes
donnent réellement l'envie, quand on est déjà un peu familier du
répertoire, d'élargir la troupe des œuvres connues.
Beaucoup de domaines sont en réalité en cours de documentation :
tragédies en musique (un peu passées de mode, la faute aux incessantes
publications Rameau et aux désertions, Rousset excepté, de ses
défenseurs historiques Christie, Gardiner, Minkowski, Niquet, Reyne…),
opéra français de la fin du XVIIIe et du XIXe (merci Bru Zane),
symphonistes europées du tournant du XXe siècle (merci CPO), opéra
allemand du XXe siècle, symphonistes français de la même époque (merci
Timpani), chambristes alternatifs du XIXe siècle (merci encore CPO),
répertoire pianistique de toutes les nations, bien sûr la musique
contemporaine (même pour documenter des œuvres qui ne viennent pas
d'être composées, chez Kairos, Neos, etc.)… et le fonds existant n'est
pas toujours si grand qu'une nouveauté ne devienne pas en soi un petit
événement.
¶ À cela s'ajoute un paramètre pratique : la quantité de disques
publiée est telle (jamais aussi grande, rien qu'en musique classique,
il y en a bien une dizaine ou une vingtaine par jour) qu'on a tout intérêt à les recenser, au
minimum, au fil de leur sortie, avant qu'il ne se perdent dans les
masses plus ou moins bien documentées de la discographie.
Je remarque surtout que le format
d'écoute influence radicalement (sauf à avoir des goûts très
restreints ou un planning d'écoutes scientifiquement composé) le
contenu de ce que l'on écoute.
Au disque, on a
tendance à remettre plusieurs fois la même chose, le même CD de l'opéra
ou de l'intégrale, c'est déjà dans la platine…
Puis avec le mp3,
on pouvait stocker dans un coin de PC ou dans un lecteur des listes
toutes faites : soit des disques, soit les bandes radio de son choix.
Favorisait, là aussi, la réécoute, mais pas forcément limitée aux
enregistrements du commerce.
Puis viennent les flux (streaming) qui ouvrent l'infinité des
catalogues, à la manière de ce préconisait le mythe de la licence globale – on en est là
finalement, mais c'est nettement plus compliqué à négocier pour les
entreprises concernées ! Et même avec ce nouveau modèle, qui incite à
écouter les nouveautés (gratuites…) et à se perdre dans le fonds
immense mis à disposition, je remarque que les usages changent selon la
plate-forme.
Deezer et MusicMe favorisent la
recherche au cas par cas, peu transversale : il faut vraiment savoir ce
que l'on cherche pour trouver. Possibilité de stocker des favoris chez
Deezer, mais de façon purement linéaire, en les empilant. On est incité
à suivre l'impulsion du moment, à rester dans ses goûts, à écouter
beaucoup d'albums différents.
Qobuz, avec ses
playlists, permet de stocker en prévision, de réécouter aisément aussi.
C'est une approche plus construite, avec beaucoup de ponts et
d'explorations possibles.
Naxos Music Library
favorise carrément l'investigation encyclopédique, grâce à la qualité
exceptionnelle de l'architecture de sa base de données : possibilité de
visualiser toutes les œuvres d'un compositeur (et de choisir ensuite sa
version, éventuellement ses arrangeents), tous les enregistrements d'un
interprète (classés par genre ou par album)… Si l'on veut être sûr
d'écouter tout ce qui se trouve d'un compositeur, le service est
vraiment formidable – vu son prix, il s'adresse de toute façon avant
tout aux universités.
Et je remarque, en effet, que mes propres usages ont grandement évolué
selon les périodes : les disques en boucle avec les livrets dans
les mains, à mes débuts ; les bandes inédites – car gratuites, copies
privées de radiodiffusions qui me donnaient les moyens de découvrir
plus de répertoire que mon jeune porte-monnaie ne l'aurait supporté –
sur les logiciels mp3, les explorations exhaustives de la discographie
(encore plus de raretés qu'en cumulant les bandes de concert, en fait)
depuis l'apparition des sites de flux…
Et je n'écoute pas les mêmes œuvres
selon les supports, ai-je remarqué. Pas de la même façon non
plus – on zappe moins, on réécoute plus, lorsqu'il y a la barrière
physique du stockage, de ce qui est déjà sur le disque, alors qu'avec
le flux, on a envie d'épuiser ce qui est à disposition, on court de
disque en disque.
Bien sûr, chacun peut se maîtriser et hiérarchiser ses besoins, mais
l'inflexion, avec la meilleure honnêteté du monde, est assez
significative malgré tout.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Robert de Visée
& Charles Dollé – Robin Pharo, Thibaut Roussel
Au 38 Riv', un programme rare – pas les tubes LULLYstes ou
chaconnisants de Visée, et puis l'introduction de Dollé, fort peu
documenté et fréquenté en dehors de quelques gambistes.
Robert de Visée est toujours le prince de l'épure sublime, loin
de toute galanterie, de tout pittoresque, une musique à l'état brut,
assez étonnamment pour l'époque et le genre – il n'est pas forcément
plus séduisant que Gaultier ou Gallot de prime abord (moins mélodique
sans doute), mais il s'est sans doute forgé cette réputation de maître
à part (le premier nom français qu'on entend lorsqu'on s'intéresse aux
pincés de la période) précisément en raison de cette abstraction
singulière, qui force l'admiration.
Charles Dollé n'est pas une
révélation majeure (les quelques pièces de Marais introduites dans le
programme, pourtant plus anciennes d'une génération, présentent une
telle évidence mélodique et instrumentale, un tel entrain naturel, un
tel sens du climat en comparaison !), mais contient de la bonne
musique, en particulier la très pittoresque Suite en la incluant une preste
Allemande, un Rondeau entraînant, un Carillon presque sauvage, un
Tambourin adroitement stylisé.
J'ai particulièrement admiré la réalisation très sobre et adéquate de Thibaut Roussel
(beaucoup d'arpèges, mais aussi des contrechants qui ne cherchent pas
le spectaculaire et remplissent parfaitement le spectre harmonique
laissé libre par la viole – modestie et richesse, le Credo des
continuistes), ainsi que des appuis très clairs, sans le caractère de
mesure flottante qu'affectionnent volontiers les luthistes, surtout en
solo.
Par ailleurs, les cordes en nylon
rendent l'instrument bien plus audible (et facile à timbrer : Robin Pharo
a lui lutté en permanence avec l'accord de sa gambe et même la
projection du son, beaucoup plus étouffé avec les boyaux), c'est un
choix avisé. Première fois que je vois un
théorbe (oui, c'en était bien un, pourtant) à chœurs simples (d'ordinaire le
luth et le théorbe utilisent les cordes par groupes de deux,
accordées à l'unisson ou à l'octave),
comme un chitarrone:
le son ne s'en fait pas ressentir (au contraire, il est plus facile de
tenir les cordes simples), et cela fait onze cordes à entretenir au
lieu de seize, à instrument égal – les cordes les plus graves sont
toujours seules.
Sur le modèle berlinois,
il s'agissait à l'origine de débrouiller en quelques mots les
dénominations étranges (reflets d'une évolution de la langue…) de
l'orchestre de radio de Francfort-sur-le-Main. Et bien distinguer avec
l'orchestre symphonique de Francfort-sur-l'Oder. Mais la vie musicale
dans la première Francfort est tellement riche, comme dans tant
de cités allemandes, qu'il n'était peut-être pas inutile d'élargir un
peu le panorama.
En avant pour le voyage.
Deux villes
Première évidence : lorsqu'on parle des orchestres de Francfort, il
faudra distinguer entre deux villes.
¶ D'une part Frankfurt am Main, cinquième ville
d'Allemagne en population (717.000 habitants intra muros),
cité prospère du Land de Hesse, celle dont on parle en général par
défaut aussi bien vu de France (plus proche géographiquement, de
l'ancienne RFA, et importante économiquement) que d'Allemagne (vu le
poids respectif des deux cités dans l'équilibre national)
¶ D'autre part Frankfurt (Oder) – quelle graphie
étrange –, quatrième ville du Brandebourg, de 60.000 habitants. À
l'opposé sur la carte de l'Allemagne. On va commencer par là, il y a
moins à faire.
1. Frankfurt
(Oder)
Située dans le Brandebourg, la ville est en perte de vitesse : issue de
l'ancienne RDA, elle a perdu, entre 2000 et 2010, 16% de sa population.
Et pourtant, elle dispose d'un orchestre de premier plan (plus un autre
partagé), ce qui est plus que ne peuvent en dire Orléans, Caen ou
Argenteuil. Frankfurt (Oder), qui accueille l'une des plus belles
phalanges musicales au monde, dotée d'une généreuse discographie,
compte sensiblement moins d'habitants que Calais, Saint-Nazaire,
Colmar, Bourges, Mérignac, Ajaccio, La Seyne-sur-Mer, Quimper, Valence,
Villeneuve-d'Ascq ou Vénissieux. L'Allemagne est décidément un autre
pays.
On y trouve deux orchestres.
¶ Les Brandenburger
Symphoniker, issus d'un orchestre militaire du XIXe
siècle. Bien que basés au Brandenburger Theater de Brandenburg an der
Havel, jouent régulièrement à Berlin, Potsdam, Stendal ou au Kleist
Forum de Frankfurt (Oder). C'est un orchestre à rayonnement local, dont
je n'ai vu passer aucun disque à ce jour ; leur seul chef permanent un
minimum célèbre est Peter Gülke, qui vient de prendre ses fonctions
cette année (2015). Les autres ne figuraient pas du tout parmi les
annuaires des chefs susceptibles d'être invités par des orchestres de
premier ou second plan.
Ils semblent jouer un vrai répertoire sérieux et être dotés d'une
véritable ambition ; je ne les ai jamais entendus, hélas, et ne puis
donc rien en dire. De toute façon, ils ne sont pas à strictement parler
attachés à Frankfurt, même s'ils y passent régulièrement.
¶ Le Brandenburgisches
Staatsorchester Frankfurt (Oder). Peut-être (à en juger
par le disque) dans sa meilleure période (années 90) l'orchestre que
j'aime le plus en Europe – en compétition avec Trondheim et la
Philharmonie Slovène. La précision du trait, la coloration vive,
l'aération du spectre peuvent évoquer par certains aspects les
exécutions sur instruments d'époque – mais aucune stridence, la
cohésion des tutti allemands s'y entend aussi à son meilleur.
C'est cette chaleur sans rien débrailler qui fait tout le prix de cet
ensemble, généreusement servi au disque.
Fondé en 1842, l'orchestre n'a pas été
dirigé par les chefs les plus célèbres du circuit : Wolfgang Bothe
(1971), Heinz Struve (1982), Andreas Wilhelm (1986), Nikos Athinäos
(1990), Heibert Beissel (2001), Howard Griffiths (2007) – ce dernier
étant le seul,grâce au disque (et aux labels défricheurs comme CPO), à
disposer d'une petite notoriété.
Le legs discographique, en revanche, est généreux,
concentré chez Signum, Christophorus (dont des rééditions duprécédent),
Genuin et CPO. De façon non exhaustive, on trouve (classé par
chronologie approximative des compositeurs) :
Bach – Passacaille & Fugue BWV 582 dans des arrangements de
Töpfer, Reger, d'Albert et Stokowski – la version Sokowski est dirigée
par Athinäos (Christophorus)
On distingue clairement les trois dernières périodes :
— Athinäos chez Signum/Christophorus. La grande
période aux couleurs éclatantes, aux prises de son aérées, où
l'enthousiasme est palpable. Dominante premier romantisme, avec des
œuvres peut-être naïves mais pour certaines très abouties (et
jubilatoires).
— Beissel chez Genuin, aux orientations moins
lisibles.
— Griffiths chez CPO, dans l'exploration des
répertoires postromantique, décadent et moderne rares qui font la
spécificité de la firme. Israel
Yinon dirige beaucoup de ces volumes.
Que faut-il écouter ?
=> En premier lieu la Première Symphonie de
Czerny, unique version d'une œuvre majeure, dans une
interprétation véritablement fulgurante : à mon sens l'un des plus
grands disques de tous les temps. On croirait avoir affaire à des
spécialistes d'instruments anciens à qui l'on mettrait dans les mains
le confort des instruments modernes : couleurs incroyables, aération et
lisibilité des plans, mais aussi une rondeur, une ampleur et une
générosité impressionnantes. Le reste du programme et surtout l'autre
disque Czerny sont sensiblement moins aboutis.
=> Les deux Symphonies d'Alfano,
des bijoux décadents, parmi les très plus grandes symphonies de la
première moitié du vingtième siècle, dans une interprétation où l'on
retrouve les mêmes qualités de coloris (quelle petite harmonie,
capiteuse, jamais acide !) mêlées à un vrai sens du discours.
=> Le volume Lalo est superbe aussi (pièces très
généreuses, pas si éloignées des œuvres symphoniques de Grieg),
interprété avec une belle ampleur. Moscheles conserve
les mêmes qualités, avec de belles œuvres (qui ne sont pas majeures
cette fois).
=> Pour les œuvres, il faut écouter les Bet- und
Bussgesänge deReznicek ; ce n'est pas
le volume où l'orchestre est le plus mis en avant, mais la découverte
mérite le détour.
=> Pour entendre pleinement les spécificités de la phalange, c'est
du côté de la Quatrième Symphonie d'Erdmann qu'il
faut aller chercher, les pupitres y sont tous mis en avant de façon
très avantageuse pour les individualités de l'orchestre.
Si vous vouliez les évaluer par là, soyez prévenu que les symphonies de
Brahms avec Griffiths sont plutôt molles. On entend bien le grain très
particulier de la clarinette solo et des cors, mais ce n'est pas un
enregistrement (quoique très valable) qui fait de l'ombre à la
concurrence, clairement.
Je doute au passage que ces enregistrements (en particulier ceux de
Signum/Christophorus et CPO) reflètent l'activité réelle de ces
orchestres. CPO, en particulier, commissionne des enregistrements dont
les programmes ne sont même pas forcément donnés en concert ! (Il
faut dire que pour remplir une salle avec une intégrale Jadassohn ou
une série Reznicek-Holbrooke-Erdmann-Rathaus-Tansman…) En
revanche, dans le cadre du disques, ils tracent tout de même des lignes
de force sur une partie de l'activité (et des qualités intrinsèques) de
l'orchestre.
2. Frankfurt am Main
Plus de dix fois plus peuplée, la quantité d'orchestres de la ville est
en conséquence. Et, vous le verrez, comme pour Berlin,
certaines dénominations évoluent étrangement.
2.1. Orchestre de fosse
En résidence à l'Opéra de Francfort, le Frankfurter Opern- und Museums
Orchester est fondé en 1792, et tire sa dénomination actuelle
des concerts organisés par le Musée dès 1808.
Il figure parmi les orchestres les plus prestigieux d'Allemagne
(même officiellement, en matière de règlementation !), aussi bien pour
ses qualités objectives (quelle différence avec celui de l'Opéra de
Stuttgart, ville à peine moins peuplée – davantage à la pointe en
matière d'oratorio) que pour son passé prestigieux où se sont succédés
quelques figures majeures de l'histoire de la direction d'orchestre,
notamment.
Ainsi, rien que parmi ses directeurs
musicaux, on trouve Louis Spohr (1818-9) et à partir de Siegmund
von Hausegger (1903-6), une ribambelle de noms révérés au plus haut
sommet (parmi quelques figures au rayonnement assez limité localement)
:
Willem Mengelberg (1907),
Hermann Scherchen (1922),
Clemens Krauss (1924),
Hans Wilhelm Steinberg (1929),
Bertil Wetzelsberger (1933),
Karl Maria Zwissler (1937),
Franz Konwitschny (1938),
Bruno Vondenhoff (1945),
Georg Solti (1952),
Lovro von Matačić (1961),
Theodore Bloomfield (1966),
Christoph von Dohnányi (1968),
Michael Gielen (1977),
Gary Bertini (1987),
Hans Drewanz (1991),
Sylvain Cambreling (1992),
Klauspeter Seibel (1997),
Paolo Carignani (1999),
Sebastian Weigle (2008 à aujourd'hui)
Orchestre très impressionnant par ses capacités techniques, sa
netteté de plan et son coloris très vif et évocateur – je
trouve très éloquent de comparer le grand retour scénique des Gezeichneten
par Gielen-Francfort en 1979 (précision absolue pour une
musique très peu pratiquée, évidence musicale) et le Don Giovanni
tout pâteux de la Radio Bavaroise en 1985 : il y a certes un effet de
chef (Gielen vs. Kubelik, pas exactement la même école ni le même
standing), mais on peut se rendre compte à quel point l'Opéra de
Francfort, dès les années 70, sonnait comme les meilleurs orchestres
d'aujourd'hui, avec des pupitres très bien individualisés et une
discipline collective imparable.
La fin de l'acte I des Gezeichneten de Schreker
dans la production de l'Opéra de Francfort dirigée par
Michael Gielen (on entend Trudeliese Schmidt en Carlotta). Tiré
d'une bande inédite.
Très peu servi au disque jusqu'à une
date récente, on peut désormais trouver quelques archives – une Jenůfa
dirigée par Matačić avec Goltz, Schlemm et Kozub, par exemple (chez
Myto). Mais, surtout Oehms a débarqué, documente désormais l'essentiel
des grandes productions de l'ère Weigle ; une double
bénédiction, dans la mesure où Sebastian Weigle est (un bonheur ne
venant jamais seul) l'un des tout plus grands chefs de notre temps.
On peut donc entendre beaucoup
de monuments du répertoire allemand, révérés mais pas tous
souvent joués : Wagner (Lohengrin par Billy, Die Feen,
Das Liebesverbot, Rienzi, Der Ring par Weigle), Humperdinck (Königskinder
par Weigle), R. Strauss (Ariadne, Die Frau ohne Schatten, et
même deux disques symphoniques, toujours par Weigle), Pfitzner (Palestrina
par Kirill Petrenko), Korngold (Die tote Stadt par Weigle),
Reimann (Lear par Koch, Medea par Nielsen)…
À cela s'ajoutent d'autres œuvres peu courues : La Fanciulla del
West de Puccini (par Weigle), L'Oracolo de Leoni (par
Solyom), Caligula de Glanert (par Stenz).
Les prises de son aérées, rondes mais assez réalistes (l'orchestre
prend place dans sa salle un peu sèche et enveloppe vraiment les
chanteurs) permettent de profiter de lectures passionnantes dans
d'excellentes distributions et surtout avec d'immenses chefs (Weigle,
K. Petrenko, Stenz !).
À ce titre, le Ring de Weigle est vraiment
un incontournable, l'une des meilleures intégrales ; ce n'est pas la
distribution la plus superlative, encore que tout le monde donne son
meilleur – Stensvold est un superbe Wotan mûr, Streit un Loge à la fois
moelleux et expressif… il y a surtout Lance Ryan en Siegfried qui pose
un problème, capté vraiment trop tard, la voix en pleine désagrégation
; pourtant, le souffle permanent insufflé par la direction (cursive,
mais surtout très attentive à la moindre articulation des phrasés,
aussi bien musicale qu'expressive, au point de rendre Wagner plus
évident que jamais, de sembler nous faire comprendre la nécessité
de chaque élément) rend toutes considérations glottophiles très
superflues, ce qui n'est pas fréquent, par nature, à l'opéra
!
De même, Die Frau
ohne Schatten par Weigle est
assez hallucinante, je ne suis pas persuadé d'avoir déjà entendu un
orchestre aussi virtuose, pour lequel les traits straussiens les plus
retors semblent couler de source comme une fusée mozartienne… Le
plateau n'est pas fabuleux (en dehors du squillo formidable de Tamara
Wilson, ce n'est pas forcément très bien chanté), mais c'est à entendre
au moins pour s'extasier devant les musiciens (et le naturel de Weigle).
2.2.
Orchestre de radio
L'autre grand orchestre de la ville est celui de la Radio, l'un des
premiers ensembles dédiés à la radiodiffusion fondés en Allemagne
(1929).
C'est lui qui motive cette notule, car son nom est étrangement
incohérent au fil des périodes. Comme pour les
orchestres de radio berlinois, il évolue et se contredit, jusque
dans les options graphiques ou syntaxiques.
¶ De 1929 à 1950 : Frankfurter
Rundfunk-Symphonie-Orchester.
¶ De 1950 à 1971 : Sinfonie-Orchester
des Hessischen Rundfunks.
¶ De 1971 à 2005 : retour vers Radio-Sinfonie-Orchester
Frankfurt.
¶ Depuis 2005 : à nouveau retour vers hr-Sinfonieorchester.
On remarque donc un aller-retour entre le niveau municipal et le niveau
régional. La graphie actuelle, avec le sigle sans haut de casse, épouse
le logo du Hessischer Rundfunk (Radio Hessoise).
Il y a cependant fort à parier que la Hesse soit beaucoup moins
évocatrice au niveau international (d'autant que Francfort n'étant pas
la capitale de la Hesse, Wiesbaden n'évoque pas exactement les grands
horizons musicaux au grand public… ni aux mélomanes). C'est pourquoi,
malgré ce choix, les disques récents de l'orchestre destinés au marché
international sont en général publiés sous la désignation Frankfurt Radio
Symphony Orchestra.
Autre fait notable, l'évolution
linguistique au fil du XXe siècle.
Lexicale :
Hésitation entre la graphie grecque ou simplifiée (Symphonie vs. Sinfonie) – j'ai d'ailleurs
l'impression que « Sinfonie » était une fantaisie du XXe siècle un peu
passée de mode, mais c'est toujours la dénomination du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin,
et les allers-retours ont tout de même été assez anarchiques chez les
orchestres, sans qu'on puisse vraiment en tirer de conclusions ;
Alternance entre le mot germanique et le mot latin pour
désigner la radio (Rundfunk vs.
Radio) – là aussi,
difficile d'en tirer des conclusions (on est à nouveau, avec le sigle «
hr », à Rundfunk aujourd'hui, qui me semble un usage majoritaire, mais
les fluctuations ont été assez anarchiques dans les diverses maisons).
Je serais assez curieux d'investiguer les raisons de ces changements…
il doit bien y avoir une représentation de la langue, pour ne pas dire
une idéologie, derrière.
Syntaxique :
L'ordre des mots, à
chaque fois différent !
Cette réorganisation laisse percevoir une disparition progressive des structures
génitives, allant de plus en plus vers une juxtaposition (la
plupart des orchestres ont désormais leur nom + leur ville, sans lien
casuel).
Comme pour l'Opéra, l'orchestre de la Radio dispose également d'un beau
plateau de chefs depuis sa création (je grasse ceux qui ont laissé le
plus de témoignages) :
— Hans
Rosbaud (1929). Le disque en conserve peu de traces, me
semble-t-il, vu les dates. Ses grands disques allemands sont plutôt aux
côtés de Baden-Baden ou de la Radio(-Est) de Berlin.
— Otto Frickhoeffer
(1937).
— KurtSchröder
(1946). Essentiellement resté à la postérité pour ses enregistrements
radiophoniques d'opéras – donc avec le son de radio un peu sec de
l'époque, qui ne permet pas de bien entendre l'orchestre, mais Schröder
le compense par une grande énergie,
tout est fouetté bien méchamment.
On trouve notamment des Strauss avec
Borkh (Salome en 1952, Elektra en 1953), Macbeth de Verdi (en allemand), Boulevard Solitude de Henze (dont
il n'est pourtant pas le créateur), un Boccacio de Suppé et par-dessus
tout un Don
Giovanni électrisant (1948, en allemand =>écouter ici<=),
exhumé par Walhall et depuis réédité en dématérialisé par divers
minuscules labels – on y entend la ferme aristocratie de Karl
Schmitt-Walter (don Giovanni) et surtout le Leporello abyssal
(simultanément au verbe acéré) d'Otto von Rohr (Scherchen en a ensuite
fait, en bonne logique, un Commandeur… et Leitner l'un des plus grands
Gurnemanz jamais captés).
— Otto Matzerath
(1955).
— DeanDixon (1961).
— Eliahu
Inbal (1974). Énergie, sens dramatique, personnalité, Inbal y
déploie les qualités qui font toujours ses succès. Ses responsabilités
de Francfort représentent sa période de notoriété la plus faste – avec
ses Bruckner alternatifs chez Teldec
(son intégrale, sans pathos
mais sans chercher la vivacité, fait par exemple le choix du mouvement
original de la Troisième, celui avec les citations de Wagner =>écouter ici<=),
avec ses Mahler chez Denon (les
premiers enregistrés en « digital », une véritable sensation à l'époque
du fait de la prise de son extraordinaire – enregistrements largement
reniés depuis par la critique, du côté de l'interprétation, et qui
figurent pourtant parmi les tout meilleurs jamais proposés…).
On note aussi quelques explorations
dans le domaine du premier vingtième siècle, concomitamment avec l'ère
Gielen à l'opéra : la Deuxième Symphonie de Scriabine pour Decca (par
Inbal), Der Traumgörge de
Zemlinsky dans la série décadente de Gerd Albrecht pour Capriccio, mais
on y rencontre aussi des versions de référence du grand répertoire,
comme le Te Deum de Berlioz, Má Vlast
de Smetana…
L'orchestre n'a pas été trop fêté au disque, mais recèle ainsi quelques
belles références.
— Dmitri
Kitajenko (1990, également graphié Kitayenko, voire Kitaïenko).
En bonne logique, on y entend beaucoup de musique soviétique, mais
étrangement, Kitajenko a infniment plus enregistré avec le Gürzenich
dont il n'a jamais été directeur musical. Avec Frankfurt, on ne trouve
surtout les concertos (piano, violon) de Prokofiev et les Suites de
Chostakovitch… Dommage, grand chef.
— Hugh Wolff (1997).
Wolff n'a guère laissé de trace au disque. C'est d'ailleurs un
recrutement un peu étonnant, sous-dimentionné en quelque sorte,
considérant qu'il a surtout laissé des témoignages de son passage à la
tête du Saint-Paul Chamber Orchestra, certes fort bons, mais pas
exactement prestigieux (ni très originaux). Passer du New Jersey
Symphony et du Saint Paul Chamber à la Radio de Francfort, c'est une
promotion impressionnante, et qui n'a même pas laissé l'impression de
la reconnaissance d'un prodige – je me demande comment la chose s'était
décidée et avait été présentée à l'époque, mais la notule étant
suffisamment copieuse, j'avoue ne pas m'être trop longuement penché sur
la question.
— Paavo
Järvi (2006). Période faste, qui arrive au moment où la
notoriété croissante de Järvi demande de proposer des disques au
public. Järvi grave donc avec l'orchestre les œuvres qu'il fait tourner
sur ses différents orchestres, avec ainsi une habitude et une hauteur
de vue supérieures, surtout considérant les talents exceptionnels du
chef : mainte fois évoqué dans ces pages, son art de la tension ininterrompue et de la
transition naturelle en fait l'un des plus grands en activité.
Toujours en cours d'enregistrement et
de publication en 2015, on peut ainsi trouver un vaste choix dans les
bacs, couvrant l'essentiel des époques (alors qu'il enregistre
simultanément d'autres œuvres avec le National d'Estonie, Cincinnati,
la Philharmonie de Chambre de Brême ou l'Orchestre de Paris) :
— concertos pour piano de Mozart (21 & 27 avec Lars Vogt, chez
CAvi),
— concertos pour violon de Beethoven et Britten (avec Janine Jansen,
chez Decca),
— le Premier Concerto pour piano de Brahms (avec Nicholas Angelich,
chez Virgin),
— un beau Deutsches Requiem de Brahms
(pâte traditionnelle mais légère et lumineuse, avec hélas des solistes
en demi-teinte, chez Virgin),
— une intégrale Bruckner en
cours (à la fois subtile, électrisante et particulièrement lisible, une
référence ultime à venir, chez RCA =>écouter ici<=),
— concertos pour violoncelle de Dvořák & Herbert (avec Gautier
Capuçon, chez Virgin),
— la Symphonie en mi de Rott
(chez RCA, couplée avec ce qui est peut-être le premier enregistrement
de la Suite en si bémol =>écouter ici<=),
— des symphonies de Mahler
l'une des plus franches, simples et vives n°2 chez Virgin, et 1 & 2, en
vidéo chez Unitel),
— des monographies Hindemith pour violon et alto (partagées avec les
sonates correspondantes, chez BIS et Naïve),
—Prokofiev & Chostakovitch (Concertos pour violoncelle chez
Hyperion),
— les concertos pour piano de Chostakovitch (avec Toradze, chez Pan
Classics),
— la Septième Symphonie de Tüür chez ECM,
— une anthologie Kagel-Furrer-Ruzicka-Widmann (chez Pan Classics)
(mouvements isolés des 1-2-3-10 chez Virgin.
— Andrés Orozco-Estrada (2014).
Difficile de m'en faire une représentation, tandis que paraissent
encore les disques avec Järvi et que le filon semble se poursuivre
malgré le changement de directeur musical.
L'orchestre, fidèle à sa vocation radiophonique, effectue
aussi un travail de documentation et
de création dont le disque se fait l'écho : ainsi une vaste série Hindemith chez CPO (dirigée
par Werner Andreas Albert) qui s'ajoute aux volumes déjà donnés par
Järvi, et bien sûr l'intégrale Maderna
parue chez NEOS (dirigée par le talentueux spécialiste Arturo Tamayo).
Par ailleurs, une superbe série a paru autour des musiques
originales des grands films muets : Berlin
de Meisel, Die Nibelungen et Metropolis(de loin la meilleure version, musicologiquement et
interprétativement) de Huppertz…
Pour se faire la meilleure image de
l'orchestre, ce sont bien sûr les
Mahler d'Inbal qu'il faut écouter au premier chef ; les Bruckner de Järvi (par exemple
la périlleuse Cinquième) sont fantastiques et permettent de bien saisir
les timbres, mais ils témoignent avant tout de l'exaltante lecture du
chef. Dans un genre moins original, la Deuxième
de Mahler du même Järvi est captée avec suffisamment de
transparence pour rendre justice à l'orchestre.
Sinon, moins révélateurs des timbres de l'orchestre (captation moins
franche), le Don
Giovanni de Schröder et
la Symphonie de Rott par Järvi
sont des disques particulièrement originaux et exaltants, qu'il faut
absolument écouter de toute façon.
De toute façon, si sa maîtrise impressionne, l'orchestre n'est pas
caractérisé par la personnalité de ses timbres : son haut niveau et sa
grande plasticité lui permettent d'épouser des conceptions très
différentes et abouties dans les meilleures conditions, mais la pâte
elle-même n'a rien de furieusement spécifique.
2.3. Orchestres de concert
Les deux orchestres dédiés au concert, à Francfort, sont au moins en
partie dévolus au cross-over.
2.3.1
Johann-Strauß-Orchester
Frankfurt
Fondé en 1986 et incluant 34 musiciens permanents (l'adresse de leur
site les nomme « Frankfurter Sinfoniker »), il s'appuie sur des membres
de l'Orchestre de la Radio de Francfort et d'autres issus des
orchestres des opéras de Hesse (Francfort, Wiesbaden, Darmstadt).
Tenues très étudiées et festives (tenue de soirée blanche pour les
messieurs, robes de couleur pour les dames).
Il joue essentiellement des musiques festives : recueils de valses et
polkas, arrangements d'opérette allemande ou de musical anglophone, suites de
musiques de film… (et cachetonne un peu, à en voir la promotion faire
sur leur site pour leurs « programmes combinables »)
2.3.2. Neue Philharmonie Frankfurt
Né en 1999 pour célébrer le nouvel an, cet orchestre joue du répertoire
tout à fait traditionnel (Mozart, Brahms, Mahler), mais se prête aussi
à des soirées de partenariat pour des styles mélangés : accompagnement
de chanteurs lyriques hors classique ou de chanteurs d'autres styles,
et plus encore (José Carreras, David Garrett, Vanessa Mae, Sarah
Brightman, Deep Purple, Paul
Potts… !).
Je n'ai pas pu en entendre d'enregistrement.
2.4.
Orchestres de chambre et ensembles spécialistes
2.4.1. Deutsches Kammerorchester Frankfurt am Main
L'Orchestre de Chambre Allemand de
Francfort (la dénomination peut paraître étrange, mais il faut
voir « allemand » comme l'équivalent de notre « national »), établi en
1989, réunit de jeunes lauréats de grands prix internationaux, encadrés
par des chefs de pupitre provenant des grands orchestres allemands (je
n'ai pas vérifié ce qui était appelé grand).
C'est en tout cas un ensemble qui, malgré quelques disques, ne dispose
pas d'un très grand rayonnement international, mais qui se situe à un
haut niveau d'excellence néanmoins. Leurs
Haydn, avec le moelleux des orchestres traditionnels et la
fièvre mordante des ensembles musicologiques, méritent vraiment le
détour.
L'orchestre voyage beaucoup. Actuel directeur musical, Rista Savic – apparemment personne
ne l'écrit Savić, peut-être une volonté de sa part, étant naturalisé
allemand.
2.4.2.
Ensemble Modern
Créé en 1980, c'est un des plus célèbres ensembles
spécialistes de musique contemporaine, l'équivalent allemand de
l'EnsembleIntercontemporain. Comme son collègue, il est plutôt
spécialisé dans les artistes institutionnels (donc plutôt les langages
divers del'atonalité, disons – soit à peu près tout sauf les « néos »
simples ou complexes), et documente quelquefois des compositeurs plus
anciens,parmi les décadents / « dégénérés : Varèse, Ives, Wellesz,
Weill, et déverse des quantités vertigineuses parutions dans les bacs,
chezDeutsche Grammophon, EMI, RCA, Naïve, Montaigne, Kairos, Ars
Musici, NEOS, Musiques Suisses, Bridge, æon, Nimbus, Col Legno… dans
desesthétiques aussi diverses que celles de Weill, Nancarrow, Henze,
Murail, Zappa, Yun, Adams, Reich, Rihm, Birtwistle, Dufourt,
Nunes,Spahlinger, Fujikura, Ruzicka, Benjamin, Mernier…
Parmi ses innombrables disques, ceux de la collection 20/21
sont les plus distribués et les plus célèbres, à commencer par le vaste
Jagden und
Formen de Rihm,
parcouru par une énergie et une maîtrise qui forcent le respect, ou
leur album Birtwistle (Theseus Game).
Mon goût personnel m'a poussé vers le Quodlibet de Nunes (chez
Montaigne – ce qui se trouvait de mieux avant des albums de refontes
plus récentes d'œuvres de Nunes ne paraissent), les ensembles à vent de Yun,
sinistres mais d'une grande beauté (chez Ars Musici), les Vigilia de Rihm (chez NEOS), pas un disque
prioritaire dans le cadre du Rihmliturgique, mais qui mérite le détour
– cela dit, ce n'est pas là que les musiciens sont le plus mis en
valeur.
2.4.3. La Stagione Frankfurt
Ensemble baroque fondé en 1988, il est le mieux représenté au
disque des ensembles baroques de la ville : chez Capriccio (Piramo e Tisbe,
l'une des premières gravures officielles d'un opéra intégral de Hasse, je crois ; mais aussi des
œuvres d'A. Scarlatti, des Bach, de Geminiani…), chez CPO (quantité de concertos de
Telemann, notamment une intégrale desconcertos pour vents ; mais aussi
des œuvres plus classicisantes : Benda, Beck, Abel, intégrale
symphonique de Simon le Duc…). Il existemême un album chez Deutsche
Harmonia Mundi accompagnant Dmitry Egorov dans des airs écrits pour
Nicolini.
Des timbres bien mordants, toujours un bel engagement ; ce
sont des valeurs sûres, aussi bien pour les concertos de Telemann (très
réussis) que pour les raretés comme les belles symphonies deSimon le Duc.
2.4.4. Barockorchester Frankfurt
Couramment dénommé sur tous les disques par sa traduction anglaise Frankfurt Baroque Orchestra.
Né deux ans plus tôt, en 1986, mais de notoriété
discographique plus tardive, avec des gravures essentiellement limitées
à Naxos (plus unpeu de Hertel et Molter chez Aeolus), autour des grands
oratorios anglais de Haendel : Saul,
L'Allegro, Semele, Hercules, Theodora, mais aussi des titres
plus rares, Esther, Deborah, Athalia, Solomon, et plus rares encore, Nabal, Gideon, Tobit (trois pasticci réalisés dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle à partir d'œuvres de Haendel). Seul titre
italien, Il Trionfo del Tempo e
della Verità, refonte d'Il
Trionfo del Tempo et del Disinganno, dont c'est la première
gravure.
Ce sont de bonnes versions, solidement jouées dans un style
adéquat,sans chercher non plus l'originalité, la surprise ou l'éclat.
La version de L'Allegro, sans
être un premier choix (je recommanderais P. Neumann, Gardiner, et
mêmeMcCreesh et Nelson avant de se tourner vers celle-ci qui n'est ni
la plus ardente, ni très différente),
demeure un très bon témoignage aux équilibres sûrs.
2.5.
Orchestres hors classique
2.5.1
HR Big Band
Orchestre du Hessischer Rundfunk (Radio de Hesse) dédié au jazz en
grand ensemble.
2.5.2. NGO
Frankfurt
Soit Next Generation Orchestra Frankfurt, fondé par le saxophoniste
Thomas Groß en 2013 et destiné également au répertoire de big band.
--
Il en reste sans doute d'autres, en particulier dans les petits
ensembles spécialistes ou dans les institutions hors classique, mais
voilà déjà un petit tour d'horizon de ceux pourvus de la meilleure
notoriété. Où l'on peut observer :
¶ l'évolution étonnante des usages syntaxiques dans la dénomination des
orchestres ;
¶ la place assez importante de beaucoup de ces phalanges dans
l'établissement d'un répertoire discographique ;
¶ l'intérêt particulier de l'orchestre de radio, et le niveau
hallucinant, quasiment hors de pair, de l'orchestre de fosse.
Dans le futur, il est prévu de parler de Munich, de Londres (pire que
Berlin), de Paris et de quelques autres.
Je l'avoue, je suis allé lire quelques antres glottophiles où ma fierté
me défend d'ordinaire d'aller m'égarer, pour voir ce qu'on en dit. Je
m'étais bien promis de ne pas consacrer le temps de CSS à gloser sur
les concerts à la mode, mais quand je vois ce à quoi le lecteur ingénu
serait confronté en cherchant des impressions de ce concert, je me sens
poussé à laisser traîner, dans un coin négligé de la Toile, un autre
type d'écho. Non sans mesurer la vanité qu'il y a à souhaiter avoir raison contre le reste du monde, mais c'est, à défaut de mieux, un essai de rendre compte de tendances à l'œuvre dans le goût du public et des recruteurs.
Très beau concert bien sûr, mais l'aspect qui m'a le plus frappé, au
delà des invidualité, était le caractère peu allemand des voix et des
élocutions, jusque chez les troupiers de Munich, et même les allemands
parmi eux. Jusqu'à Markus Eiche,
bon phraseur et excellent acteur (son Musiklehrer constamment
embarrassé est un régal) : la voix, honorablement projetée,
est très moelleuse, couverte avec son, et ne sort pas très violemment
du corps – il a notamment étudié, à Stuttgart, avec des anglophones et
cela s'entend. C'est évidemment encore plus patent pour Elliot Madore(Harlekin)
qui chante tout en
bouche (des [ou] avec luette complètement obturée dans l'aigu,
c'est périlleux, rare et pas déplaisant) ; la voix est
suffisamment sonore, mais la résonance essentiellement pharyngée
limite beaucoup le mordant et l'impact.
C'est surtout le succès de Brenda Rae
qui m'a laissé perplexe : typique des Zerbinette (et plus généralement
des sopranos colorature) qu'on privilégie à présent ; énorme aisance
dans l'aigu, sonore et facile, mais un médium particulièrement mou et
empâté (inintelligible aussi), qui ne sonne pas bien, tout malingre et
terne, presque invertébré. Ce n'est pas mauvais du tout, mais quand je
vois le délire général autour d'une Zerbinette avec un timbre un peu
bouché et aucun effort particulier de phrasé, je reste perplexe – et
nostalgique des voix qui, même aujourd'hui, proposent des attaques
franches, des mots vaguement perceptibles, un médium petit mais net.
C'est l'esthétique dominante actuellement (les verdiennes ressemblent à
ça, les wagnériennes ressemblent à ça, un certain nombre de
mozartiennes ressemblent à ça, et même chez Christie, le Grand-Prêtre
des petites voix grêles mais nettes, le biais semble de plus en plus
fréquent…), cela changera un jour.
Je n'ai jamais beaucoup aimé Alice
Coote (Komponist) pour des raisons différentes (les mêmes qu'en
retransmission : tout sonne « gros », sans que l'expression soit
détaillée ou que le timbre séduise suffisamment pour compenser), et ça
n'a pas changé en salle, goût personnel, rien à signaler.
Trois coups de cœur en revanche.
Le Maître de Ballet de Kevin Conners,
modestement doté vocalement (les aigus qui deviennent minuscules sur
une voix qui n'est déjà pas bien grande !) pour une si prestigieuse
maison, étale une science jubilatoire du récitatif allemand, dans
un staccato parfaitement
découpé et un sens de l'expression qui fait mouche (sans effet
histrionique, sans changer la ligne musicale : tout est dans la
prosodie).
Jonas Kaufmann bien sûr
(Bacchus), pas réentendu en salle depuis une dizaine d'années (tout est
si facilement plein avec lui, ou dans des œuvres déjà entendues, donc
pas prioritaires…), toujours très impressionnant. Il conserve cette
difficulté à nuancer sans laisser s'affaisser la voix en arrière, mais
le fait avec goût, et dès que la voix s'exprime en pleine force,
l'effet est magnétique. Je crois, que, comme Domingo, son succès vient
en grande partie de ce qu'on entend l'effort de la voix tandis que
l'artiste se joue de toutes les difficultés : coups
de glotte nombreux, tension articulatoire extrême (sans que la voix
soit forcée), et bien sûr cette couleur sombre, presque rauque.
J'ai été passablement amusé, en parcourant un antre glottophile où Vogt
s'était fait conspuer pour ne pas respecter la partition de Bacchus (en
n'exécutant pas une variante… non écrite), de lire que Kaufmann avait
fait un couac dans sa dernière phrase – façon très sommaire de
souligner un petit voilement du timbre sur les dernières notes (et, je
suppose, de le faire remarquer pour montrer à quel point on est un
esthète au-dessus de la plèbe).
Contrairement à tous ses partenaires (sauf Conners, donc), il frappe
par la concomitance de l'émission vocale la plus glorieuse et du soin
le plus rigoureux à la transmission du texte, très intelligible et
expressivement dit.
L'hystérie est forcément exagérée dans la mesure où il existe quelques
autres chanteurs aussi bons que lui, et qui sont loin de déclencher de
tels délires, mais ce type est quand même un dieu.
Troisième bénédiction, la présence d'Amber
Wagner en Ariadne – très peu de notoriété en France, mais elle
chante régulièrement les grands rôles wagnériens à Francfort et
Chicago, et a même fait Amelia du Bal
Masqué au Met ! Petit passage à Nice pour un Requiem de
Verdi à Nice il y a un an.
Amber Wagner a débuté comme mezzo (elle a fait Brangäne à Prague en
2010 !), mais sa voix est bel et bien celle d'un soprano dramatique. Il
est généralement difficile d'expliquer la spécifité de ces voix à
partir des titulaires des rôles : le point commun étant général le
timbre plus ou moins sombre, sans qu'on voie réellement ce qui
empêcherait des voix plus claires, légères et mieux projetées de s'en
emparer.
Avec Amber Wagner, la question ne se pose plus : plus besoin
d'expliciter la différence entre une voix bouchée (qui cherche à sonner
« héroïque ») et une voix dramatique (opulente, naturellement large et
très présente dans une salle, face à un orchestre). C'est le cas ici,
avec une voix qui impose dans l'instant son autorité : volume
considérable, aplomb, sans qu'on puisse dire si la voix est claire ou
sombre ; elle est simplement ample,
et remplit l'espace sans forcer, impose sa balance sonore à l'orchestre
dont elle se détache immédiatement.
Par ailleurs, la voix est connectée de bout en bout, jusqu'en bas, où
elle émet les graves abyssaux, qui mettent en difficulté toutes les
titulaires, avec une aisance incroyable (très rond, dense et projeté,
mais sans poitriner vraiment, une voix mixte
parfaitement dosée). Le timbre aussi étale un moelleux parfait : ce
n'est pas du chant de gorge (les femmes peuvent ouvrir leurs aigus de
cette façon, comme Schnaut, DeVol, Lang, Theorin…) ni du métal dur
(façon Nilsson, Behrens seconde manière, Secunde, Bullock…), mais un
équilibre beaucoup plus doux, greffé sur un instrument naturellement
puissant.
Avec cela, une présence scénique immédiate, même dans le rôle bref et
ingrat par excellence de la Prima Donna dans le Prologue, où elle brûle
les planches sans mise en scène.
Seule réserve : du fait de ces qualités de continuité des registres, de
rondeur de la voix, la déclamation n'a pas la variété ou le relief que
permettent plus aisément des voix moins parfaites et des techniques
moins aguerries. Mais tout de même, quelle leçon !
Elle ne fait pas encore Brünnhilde ni la Teinturière (plutôt Senta,
Elsa, Sieglinde), mais s'il y a bien quelqu'un qui peut ne pas s'y
brûler les ailes, nous la tenons. À suivre : à n'en pas douter, sa
présence dans ces soirées (munichoises aussi, du fait du remplacement
d'Anja Harteros) si prestigieuses va faire beaucoup pour sa visibilité
et sa carrière sur les scènes les plus renommées d'Europe.
Côté orchestre, j'ai été frappé du son de base rugueux des cordes de l'Opéra de Munich, pas du tout l'image
que je m'en faisais dans les retransmissions ; je serais curieux de les
entendre en formation complète, à présent. Clarinette allemande très
pure, droite et puissante, presque autant que chez le collègue de la
Radio de Munich (à ne pas confondre avec la Radio Bavaroise, qui
est un autre orchestre, distinction qui méritera en son temps une
notule).
J'attendais depuis plus de dix ans (son Dalibor avec le RSO Wien, à
l'été 2004) l'occasion d'entendre Kirill
Petrenko,
et ses récentes nominations prestigieuses m'avaient enchanté, mais j'ai
contre toute attente trouvé sa lecture assez standard, sans l'élan, la
transparence et l'évidence qui avaient caractérisé toutes les bandes
que j'avais entendues jusqu'ici. Très bien au demeurant, mais certains
chefs peuvent en tirer des moments de bravoure ; pas vraiment ici –
j'avais contre toute attente été beaucoup plus ému par Philippe Jordan
dans la dernière
reprise avec l'Orchestre de l'Opéra.
En revanche, il paraissait particulièrement stressé par les décalages
du trio de nymphes (pas toujours exactement sur le temps, un peu
pressées, rien de bien méchant), et leur multipliait, en vain
manifestement, les signes désespérés pour les remettre dans le rang –
souci de l'ordre de la finition, mais on peut se figurer l'agacement
d'un musicien dont la recherche de la plus haute excellence est
l'occupation constante.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Carnet d'écoutes a suscité :
Reproduction d'un rapide commentaire laissé ailleurs.
Alors que je viens
d'écouter les deux plus belles versions (discographiques) d'Aida jamais passées entre mes
oreilles (Molinari-Pradelli à
San Francisco en 1960 et surtout Solti
au Met en 1963), je reste très impressionné par cette version Pappano qui tient toutes ses
promesses et réunit à peu près toutes les qualités requises.
D'abord, avant tout (et contrairement à ce qu'on peut croire, élément
capital dans Verdi), un chef formidable, qui tire des
couleurs inédites, choisit des tempi neufs (le premier acte
est très marquant de ce côté) souvent très habilement fondés (j'aime
moins le ralentissement du trio de sidération du III), travaille la
présence des masses ou des chambrismes… Il y a eu plus subtil dans le
détail des phrasés, mais rarement plus beau dans les timbres.
Le plateau est très bon, à commencer par Erwin Schrott (contre
toute attente, choisir une basse chantante permet une expression assez
charismatique, on récupère donc largement de ce côté ce qu'on perd en
profondeur de son dans les ensembles – je n'avais jamais entendu un
Ramfis qui s'apparentait vraiment à un personnage) et Jonas
Kaufmann, toujours tendu et incroyablement nuancé (le duo du
Nil, le duo final, suspendus, murmurés, sur le fil de la voix,
fascinants).
Les pirates du concert romain donné au même moment révèlent une voix
assez limitée en volume, un peu masquée dans les grands tutti
et peu audible dans les graves – phénomène accentué par sa captation de
dos (Kaufmann a une voix assez directionnelle,
dont le volume sonore peut largement varier selon l'emplacement de
l'auditeur). Très beau, mais un rien malingre pour le rôle ; en
revanche, en studio, c'est évidemment la perfection incarnée. Un
Radamès sombre, maudit, torturé, pas du tout un général solaire, plutôt
un amant spectateur de sa propre chute, mais terriblement abouti.
J'aime moins le reste : Ekaterina Semenchuk irréprochable,
mais vraiment esthétiquement dans le registre de l'ogresse russe (à
tout prendre, je choisis plutôt le tempérament d'Obraztsova ou la
sobriété de Borodina), pas trop mon goût ici (en Lyubasha, pourquoi
pas) ; Ludovic Tézier dont le grain s'élime
irrémédiablement (moins de fermeté, une sorte de voile effiloché), et
surtout pourvu d'un accent français assez pénible (toutes les finales
sont lourdes, les mots accentués avec une minutie scolaire assez
maladroite), alors que je n'avais jamais ressenti cela chez lui (qui a
quand même passé l'essentiel de sa vie à chanter ce répertoire) ; Anja
Harteros impeccable vocalement, mais toujours impavide (et ce
vibrato lent blanchâtre, vraiment pas beau) – en revanche, les bandes
sur les genoux révèlent une voix qui, de loin, sonne au contraire
juvénile, avec une largeur d'émission couronnée par un superbe squillo
(éclat d'harmoniques aiguës), un peu à la façon de Janowitz ou
Isokoski. De toute façon, contrairement à la plupart des Aida, elle
chante le rôle écrasant sans difficulté (sauf l'ut, blanc et auquel on
a rajouté un maximum de réverbération… véniel, quasiment aucune voix de
ce format ne peut le faire proprement), c'est déjà suffisant pour moi –
le rôle est étrangement peu attachant, je trouve.
Donc pas une référence absolue pour moi, mais un réel émerveillement
qui se place parmi les plus belles réussites de la discographie. Disons
que ce serait la dernière des cinq versions que j'aime le plus, quelque
chose comme cela.
Cet aimable bac à sable accueille divers badinages :
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