Carnets sur sol

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samedi 30 mars 2019

Une décennie, un disque – 1770 – C.P.E. Bach : l'invention de la sonate classique


1770


cpe bach christopher hinterhuber

[[]]
Premier des deux mouvements de la Sonate en ut de 1775 (Wq. 65/47, H. 248).

    Nous arrivons à une période où les genres commencent à se multiplier : il va devenir de plus en plus cruel d'arbitrer entre de davantage de genres (musique de chambre ambitieuse, lied…) et d'écoles nationales (opéras de langue allemande, éclosion du répertoire russe…). Je tâcherai de diversifier au maximum, quitte à laisser de côté des corpus essentiels. Le but restant de dresser une histoire de la musique sous un maximum d'aspects… et de vous surprendre aussi (donc en laissant de côté les titres que vous avez / allez forcément entendre, voire ceux dont j'ai déjà beaucoup parlé dans ces pages).
    Privilégiant en général la densité musicale (ou le rapport au texte) sur la virtuosité, il risque de manquer de piano prioritaire dans la portion XIXe (surtout en excluant Chopin qui n'a pas besoin d'être aidé…) ; aussi, en cette décennie capitale pour l'histoire de l'opéra (imposition du langage classique dans le seria en Europe, réforme gluckiste en France…), je propose un peu de musique pour clavier.

Un peu de contexte : 1770 et C.P.E. Bach :
    Deuxième fils du premier mariage de J.S. Bach, C.P.E. Bach s'est illustré également dans la musique sacrée avec de fort nombreux Motets, Cantates, Oratorios, Passions, mais son rayonnement reste surtout lié à la musique pour clavier – claveciniste et clavicordiste émérite. Il est l'auteur d'une méthode importante sur le jeu au clavier (Essai sur l'art véritable de jouer du clavier) incluant aussi bien les doigtés (par accord et par enchaînement d'accord) que l'ornementation et l'improvisation. Sa musique instrumentale solo ne fut pas particulièrement fêtée par les commanditaires, pour ce que j'en ai lu, mais admirée des autres compositeurs, dont Haydn.
    Second sujet d'admiration, dont il ne sera pas question dans cette notule : Emanuel Bach est le premier compositeur (célèbre) à avoir écrit ce qui s'apparente à des lieder au sens du XIXe siècle (voix accompagnée au clavier). Son œuvre la plus célèbre dans ce domaine a même la particularité d'être écrite sur des poèmes d'édification religieuse (les Odes du philosophe Gellert) – mis en musique à son tour par Beethoven. Point de départ d'un genre entier.

Compositeur : (Carl Philip) Emanuel BACH (1714-1788)
Œuvre : Sonate en ut H.248 (1775, publication posthume) + Sonate en la H.146 (1765, publication 1779)
Commentaire 1 : Les Sonates d'Emanuel Bach peuvent s'expliquer comme des héritières de celles de Domenico Scarlatti, souvent une idée mélodique / rythmique répétée, et réexposée dans une seconde tonalité avec des modifications mineures. Elles sont en revanche en plusieurs mouvements (deux ou trois), dans un style de plus en plus clairement lié à l'écriture classique (nature des rythmes et de la virtuosité, patrons harmoniques…).
    La Sonate en ut se distingue par un caractère profusif, presque errant (on songe, toute distance stylistique bue, à l'esprit des Fantaisies de Mozart, à certaines Sonates de Mendelssohn), ses tentations du silence (énoncés nus comme un départ de fugue…), au sein d'un langage qui demeure formellement assez austère, une étonnante rencontre, l'une de ses sonates les plus surprenantes et nourrissantes. Celle en la est plus simplement séduisante, mais là aussi une grande réussite dans l'union de mélodies immédiatement séduisantes et d'un sens de la poussée (notamment en agilant les rythmes par des triolets ou sextolets), de l'harmonie aussi (qu'on sent dû par endroit à l'influence de la pensée harmonique riche de son père-professeur).
    Dans le cadre de la sonate (pré)classique, le corpus de C.P.E. Bach contient un peu ce qu'on peut trouver de plus varié et marquant (par rapport à Galuppi par exemple). De surcroît, on n'y souffre pas encore des sommaires basses d'Alberti et autres platissimes accords brisés dont abusent Haydn et Mozart…

Interprètes : Christopher Hinterhuber
Label : Naxos (2004)
Commentaire 2 : Le choix est vaste au disque, mais contraint par les pièces que je souhaitais inclure. J'aurais volontiers recommandé le revigorant mouvement liminaire de la Sonate en la H.133, pas exclusivement engistrée par les organistes, mais elle n'était pas dans la bonne décennie, et aucun disque ne contenait simultanément la H.248, d'un intérêt musical supérieur si je mets de côté mes inclinations intimes et mes madeleines santeuillées.
    J'aurais évidemment été ravi de suggérer un enregistrement sur pianoforte, mais il se trouve que le gigantesque Hinterhuber (qui réapparaîtra en fin de parcours, dans un classique du dernier quart du XXe siècle) prête son goût très sûr à ses doigts d'airain : malgré le piano moderne surdimensionné, il offre une lecture d'une limpidité et d'une netteté remarquables, au discours très clairement organisé, sans fondu de pédale forte, sans rubato hors de saison, un diamant qui va droit au but. Et la sélection des pièces est très avisée.

Complément discographique :
    Pourquoi ne pas aller voir du côté de l'orgue ?  Il existe une superbe intégrale de Jorg-Hannes Hahn (chez Cantate), sur des orgues historiques chaleureux et parfaitement adaptés, dont le volume II contient mouvements de danse (Menuet, Marche, Polonaise…), pièces isolées (Prélude, Fantaisie, Allegros, Adagios), fugues et la fameuse sonate H.133.

jeudi 21 mars 2019

Les chaînes vidéo (gratuites) des orchestres


Aujourd'hui, pour les amateurs de musique en vidéo, l'offre donne le vertige – le problème est plutôt d'imaginer que telle maison qu'on aime met tout à disposition, que de trouver de quoi s'occuper… Je parlerai prochainement des opéras rarissimes sous-titrés disponibles en ligne, mais pour l'heure, un petit tour de ce qu'on trouve aisément en musique symphonique. De très grands orchestres, parmi les meilleurs du monde, se sont prêtés à l'exercice, et sans organiser de paywall à la façon du Philharmonique de Berlin – je suppose qu'ils sont les seuls à disposer de la notoriété suffisante pour faire payer sur leur seul nom, mais j'avouerai que cela me paraît presque indécent, considérant le prix très élevé (et sans réduction pour catégories sociales spécifiques) alors qu'on trouve sans peine gratuitement des concerts en HD d'orchestres sensiblement aussi passionnants.

Je propos donc un petit tour de quelques chaînes vidéos testées par mes soins.


http://operacritiques.free.fr/css/images/goteborg_orchestra.png


FRANCE
National de France
L'orchestre « de prestige » de la Radio, dévolu au patrimoine français (oui, c'est marqué dans les statuts même si…), au grand répertoire, à l'accompagnement de productions vocales extérieures de prestige. Site de France Musique.
Philharmonique de Radio-France
Possiblement l'orchestre le plus virtuose de France. La présentation des vidéos dans le site de France Musique rend à peu près impossible une recherche cohérente, mais on peut retrouver au fil du temps les derniers concerts (du moins ceux captés, ou diffusés, ou laissés en ligne).
National de Lille
Avec l'arrivée d'Alexandre Bloch, l'orchestre entreprend de vidéodiffuser ses concerts (dont la qualité a vertigineusement augmenté, comme en témoignent les récents Pêcheurs de Perles et Poème de l'Amour et de la Mer, de grands, grands concerts & disques). Pas encore beaucoup de chose, mais il y a au moins une intégrale de Mahler en cours (certes, ça ne va pas changer la face du répertoire si on joue du Mahler, mais d'autres choses sont susceptibles d'apparaître désormais). Merci Eusèbe.

ESPAGNE
Sinfonica de Galicía (Youtube)
Énormément de choix depuis des années, et interprété avec un entrain et un professionalisme qu'on pourrait par préjugé ne pas attribuer à un petit orchestre. Une des meilleures chaînes d'orchestre. Et les chefs ne sont anodins : Slobodeniuk, Skrowaczewski, Orozco-Estrada, Maazel, Segerstam…

ROYAUME-UNI
London Symphony
Beaucoup de vidéos pédagogiques remarquablement conçues, et le grand répertoire vu sous des jours très différents selon les chefs.
London Philharmonic
Essentiellement des vidéos à la fois promotionnelles et pédagogiques très courtes, avec partition.

IRLANDE
RTÉ
Des extraits de tout genre. La chaîne est finalement moins riche qu'il m'avait semblé (peu d'intégrales). Mais on peut entendre Pirates des Caraïbes joué proprement par un orchestre de haut niveau. Pourquoi pas.

ALLEMAGNE
Radio de Francfort (YouTube)
Ou sous son nom actuel hr-Sinfonieorchester, je vous renvoie à cette vaste notule pour l'histoire (contorsionnée) du nom et le répertoire de la formation. Beaucoup de vidéos, surtout du grand répertoire très bien joué (orchestre pas très coloré, mais très discipliné et engagé, toujours un plaisir), mais aussi pas mal de XXe siècle et de contemporain de diverses obédiences (Walton, Blacher, Macmillan, Eötvös, Widmann, Hillborg, Say…). Essentiellement des concerts des directeurs musicaux P. Järvi (assez exceptionnels, comme leur Huitième de Mahler) et Orozco-Estrada (toujours très bons).
Gürzenich de Cologne
L'orchestre « de concert » de la ville, par opposition à la WDR (l'orchestre de radio). Sur sa chaîne, essentiellement du grand répertoire, mais le niveau s'est beaucoup élevé sous Kitayenko (et surtout Stenz), donc de belles versions. Beaucoup de concerts récents dirigés par Roth.
Herford, Nordwestdeutsche Philharmonie

PAYS-BAS
Concertgebouworkest (YouTube, Bachtrack)
Seulement des extraits ces dernières années, mais dans les archives de la chaîne, on peut trouver leurs Mahler entiers, par exemple. Un mot sur l'orchestre et sa place dans le paysage néerlandais.
Chambre des Pays-Bas
Philharmonique des Pays-Bas
Deux orchestres couplés au fil des fusions, à retrouver dans le premier volet de notre série (trois notules pour l'instant) autour des orchestres des Pays-Bas, de leur onomastique complexe, de leur histoire extrêmement tournmentée – une des explorations les plus stimulantes de CSS et aussi un de ses plus gros bides.
Des œuvres moins issues du grand répertoire.

DANEMARK
Radio Danoise
Pas l'orchestre le plus virtuose ni le plus incisif du monde, mais très dynamique, répertoire original (Nielsen, vastes suites de concert de films, dont la plus complète jamais diffusée pour Star Wars – mais aussi les grands westerns, le Parrain, Avatar, etc.). Hélas, il semble qu'on ne trouve plus que des extraits.

NORVÈGE
Tronhdeim SO
Le plus bel orchestre du monde. Le compte est moins alimenté désormais, mais on peut y retrouver les étincelles produites lors de l'ère Urbański sur les quelques vidéos intégrales diffusées pendant son mandat. Des Beethoven 3 ou Carmina Burana qui sont des références absolues pour moi.
Bergen PO (ou Bachtrack)
L'autre prétendant au titre. Un peu moins typé depuis l'ère Litton, dont on peut voir tout de même mainte merveille, et à présent le mirifique Gardner. Fonds assez varié, pas de raretés absolues mais des standards à  l'opéra et la musique de film, il y a de quoi se faire plaisir, dans des lectures qui, là aussi, sont peu ou prou les plus grisante qu'on puisse trouver.
Chambre Norvégienne
Les classiques pour petit orchestre par cet ensemble de haut niveau. (Merci Iskender.)

SUÈDE
Göteborg SO (ou Bachtrack)
Intéressant pour suivre le jeune prodige Rouvali qui y rode ses Symphonies de Sibelius avant enregistrement chez Alpha : des Sibelius complètement atypiques, où les transitions deviennent les parties thématiques, très frémissants et panthéistes, pas du tout dans la veine lyrique ou mélodique habituelles, une sorte de vie étale et profusive, très agitée, mais en souterrain, voilà qui renouvelle beaucoup l'écoute !  (au disque, c'est Saraste qui s'en approche le plus, mais ce n'est pas à ce point différent)
Pour le reste, le niveau actuel de l'orchestre m'a paru en deçà de ce dont témoignent les nombreux disques N. Järvi, mais je n'ai pas encore bien exploré le fonds. (Merci Ptitof.)
Stockholm, Philharmonique Royal (ou Bachtrack)
Le Royal Philharmonic local était, comme l'anglais, un peu à la traîne dans une nation aux orchestres de très haut niveau, plutôt opaque, un peu mou. Sous Oramo cela a complètement changé et, prises de son BIS aidant, sans être devenu le plus mordant de la discographie, il se pare de couleurs extraordinairement variées, chaleureuses et transparentes, plus proche du Berlin de Rattle que du Philharmonia de Klemperer, disons.

RUSSIE
orchestres de la Philharmonie de Moscou
Site en russe uniquement. Beaucoup d'audio exaltant, mais aussi de vidéos.

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Il en manque évidemment. Je n'ai pas trouvé grand'chose du côté américain : que des extraits brefs chez New York, Boston, quelques rares concerts déjà anciens chez Chicago (de toute façon l'ère Muti reste un mauvais moment à passer), même les dynamiques San Francisco et Buffalo ne proposent rien. Mais si vous avez de bonnes adresses, n'hésitez pas à les partager !

Les chaînes les plus stimulantes sont à mon sens celles de Bergen (vraiment une expérience sonore !), du Symphonique de Galice (vaste choix et grands chefs moins bien documentés), le dépaysant site de la Philharmonie de Moscou et pour le grand répertoire Francfort, LSO, Gürzenich.

Belles balades sonores à vous !

Suite de la notule.

mercredi 20 mars 2019

Rimski-Korsakov – La Pskovitaine / La Jeune Fille de Pskov / Ivan le Terrible – Sokhiev, Bolchoï 2019


Comme il est question d'une œuvre rare, autant mettre le commentaire du concert en évidence – pardon, contrairement à l'usage, je n'ai pas le temps d'inclure des extraits sonores et des bouts de partition, il faudrait vraiment un temps de travail supplémentaire non négligeable pour écrire une véritable notule sur le sujet, en me replongeant dans le détail… Voyez-le comme une incitation à aller écouter, ou même simplement un témoignage sur certaines propriétés des opéras russes (usage du folklore, des chœurs et des cors…).

http://operacritiques.free.fr/css/images/pskovitaine_bolchoi.png

#ConcertSurSol #109

La Pskovitaine de Rimski-Korsakov par le Bolchoï (troupe, orchestre, chœur), direction Sokhiev.
Le concert portait le titre de la création, Ivan Le Terrible, pour des raisons de remplissage, je suppose – je n'ai pas lu qu'il ait été question de proposer une version musicologique d'origine, mais peut-être était-ce également le cas.

Une œuvre dans la veine des grands opéras historiques où la musique est moins sophistiquée que dans les orientalismes mystérieux et les contes comme Sadko, Le Coq d'or… Par exemple La Fiancée du Tsar, déjà avec Ivan. Ici, un aspect légendaire de la vie d'Ivan Le Terrible – avec comme réel sujet principal les massacres qu'il commet régulièrement dans les grandes villes de Russie (cet homme avait de très graves désordres mentaux, il n'était pas terrible dans le sens de grand et redoutable, mais plutôt de quelqu'un qui tue n'importe qui sous n'importe quel prétexte, ses propres amis, les notables, des villes entières…). L'intrigue, tirée d'un drame contemporain de la composition, le présente sous un jour plus positif (et assez fantaisiste) de père de la nation presque sage, sévère mais juste.

J'avais méjugé l'œuvre au disque : les quelques versions disponibles, même les plus récentes, placent les voix très en avant et l'orchestre en retrait, si bien que l'on n'entend bien les détails… Or, malgré son aspect un peu simple de drame romantique sans fantaisie excessive, de prime abord, j'étais passé à côté de la matière de l'accompagnement des récitatifs, très variée, toujours des contrechants (très beaux ; dans les scènes d'amour, on reprend le premier thème des amants au hautbois tandis qu'ils en énoncent un autre), des effets d'orchestrationles cors, en particulier, travaillent à temps plein pour doubler les cordes ou même tenir seul des notes qui apportent de l'atmosphère ou de la tension ! 
On y entend des procédés d'accompagnement (palpitations vives des flûtes et hautbois comme dans les jeux des princesses aux pommes, au début de l'Oiseau de feu), des touches instrumentales (flûte alto sur la chanson satirique chantée par Ivan), des alliages qui font dresser l'oreille.

À ce titre, l'interlude du toscin, entre les deux tableaux de l'acte I, est complètement dément, étendant progressivement la sonnerie à tout l'orchestre (avec la même texture que les scènes du couronnement et de l'horloge dans Boris Godunov, dont cet opéra de 1872 s'inspire vraisemblablement). L'effet de résonance est obtenu par l'écho de deux accords, l'un médium avec pizzicatos de violoncelle, cors et tam-tam chinois, le second avec un pizz plus grave, clarinette basse et timbale.

Le plus hallucinant se trouve probablement dans les scènes de foule assez délirantes : tel le grand accord chargé du chœur, qui s'étage progressivement par entrées successives à la fin de l'œuvre, ou la surenchère effrayée du peuple à la fin de l'acte I, et même les nombreux chœurs folkloriques, dont les thèmes (tirés de chansons traditionnelles célèbres, comme chez Tchaïkovski et Moussorgski) irriguent ensuite toute l'œuvre.

On note la présence de quelques motifs récurrents (parternité d'Ivan, par exemple), mais cela réclamerait réécoute attentive ou ouverture de partition pour préciser leur nombre, leur ampleur et leur usage.

Le drame aussi se tient bien, étonnamment : alors que le dénouement est assez frustrant (se passe ce qu'on avait deviné, et assez platement), toute l'attente qui précède l'arrivée d'Ivan est très réussie : la moitié de l'opéra, trois tableaux sur six, se déroule hors de sa présence, à commenter ses destructions et à redouter son arrivée. Pskov en paix, Pskov effrayée, Pskov combattive, Pskov abattue… Chaque fois l'occasion de changements de climats assez aboutis.
Même l'entrée tardive d'Ivan au second tableau de l'acte II, pourtant chichement spectaculaire en musique et en mots, atteint pleinement son objectif glaçant : ce quasi-silence, cette courtoisie du tsar qui demande l'autorisation de prendre une chaise dans une ville conquise, tout épouvante en comparant l'explicite avec la réputation, laissant pressentir tout en la niant l'ampleur du malheur qui frappera les habitants.

Un opéra très réussi, dont on pourrait faire bien des choses en scène.

Les musiciens du Bolchoï m'ont paru plus typés qu'en 2017, en particulier les bois (hautbois un peu acide, plus clair, et superbe), mais quoi qu'il en soit, le niveau est toujours aussi exceptionnel, magnifié par Sokhiev tout en rondeur et en densité.
Ce sont évidemment les chanteurs qui marquent le plus de différence avec les habitudes occidentales, remplissant la Philharmonie défavorable, comme rien, et avec des techniques vocales qui sont très, très loin de l'orthodoxie italienne et des écoles affiliées. Particulièrement admiré Denis Makarov (le père de la jeune fille éponyme), dont le timbre est peut-être un peu gris, mais dont la projection et la diction se diffusent, encore plus que l'abyssal Stanislas Trofimov (moins sonore dans ce rôle qui sollicite davantage l'aigu que dans l'archevêque de la Pucelle d'Orléans), planant toujours au-dessus de l'orchestre et à proximité du public. Moins convaincu par Dinara Alieva, qui fait une belle carrière hors de Russie (Cio-Cio San la saison prochaine à Bastille !), mais qui est vraiment, vraiment émise très en arrière, compromettant totalement la diction – je suis admiratif qu'elle puisse tenir une tessiture de soprano avec une émission aussi basse (on aurait dit qu'elle chantait un rôle une quarte plus bas que la réalité !), mais je n'aime pas beaucoup cette posture qui la rend mécaniquement monochrome (et floue verbalement à faire passer Netrebko pour Gérard Souzay).
Plus que tout, c'est le chœur qui me cueille encore une fois : le niveau individuel est hallucinant (tous potentiellement de très grands solistes) et la rondeur du résultat, inconnue des chœurs d'opéra ailleurs dans le monde (toujours un peu bruts) semble atteindre le meilleur des deux mondes, entre la puissance épique de leur volume et un moelleux, une discipline des nuances qui évoquent plutôt les meilleurs chœurs d'oratorio.

Très grande expérience. Ils reviennent pour Mazeppa la saison prochaine, avec une de leurs très grandes basses dramatiques, Azizov (un impact très impressionnant là aussi, et une véhémence remarquable – je ne puis plus écouter d'autre Prince Igor…).

Suite de la notule.

dimanche 17 mars 2019

Une décennie, un disque – 1760 – symphonie classique mais concerto grosso (Haydn)


1760


quichotte duchesse

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Premier mouvement de la symphonie par The English Concert.

Compositeur : Joseph HAYDN (1732-1809)
Œuvre : Symphonie n°6 (1761)
Commentaire 1 : Cette symphonie constitue une étape importante à plusieurs titres.
♦ Elle marque un tournant assez flagrant entre deux styles.
La forme générale est celle de la symphonie classique : en quatre mouvements, menuet avec trio, usage du développement de forme sonate dans les mouvements I et IV – c'es-à-dire que deux thèmes s'enchaînent reliés par des ponts, avant de se déformer et de se mélanger, base de toute la musique instrumentale de Haydn jusqu'au post-postromantisme du milieu du XXe siècle, par opposition aux juxtapositions ou aux variations de l'époque baroque…
Dans le même temps, la nomenclature est celle d'un concerto grosso baroque : 1 flûte, 2 hautbois, 1 basson, 2 cors en ré, qui prennent fréquemment le devant de la scène dans des traits exposés quand ce n'est pas dans de véritables solos, comme dans le trio du menuet (solos simultanés de basson et de contrebasse !). Le violon et le violoncelle solos occupent aussi beaucoup d'espace, renvoyant à la forme du concerto multiple très prisé du premier XVIIIe italien. Il reste même une ligne de basse continue.
♦ À l'échelle de la carrière de Haydn, elle marque le début de la résidence chez les Erterházy. Le thème donné par le Prince était lié aux heures du jour, et l'effet d'illumination du début (entrées en tuilages des vents sur une batterie lente de cordes) évoque immanquablement un lever de soleil – procédé repris au début de La Création, à l'autre extrémité de sa carrière créatrice.
Par ailleurs, tout simplement, cette œuvre est un bijou – outre la surprise des solos osés, d'une générosité qui n'est pas commune dans le baroque, et encore moins dans la symphonie classique, la veine mélodique s'y montre particulièrement prégnante et roborative. Et, déjà, à l'aube de son corpus symphonique, on admire la science des jeux de réponse, des effets de couleur en alternant les interventions de bois, les doublures ponctuelle de la même ligne, les effets tuilés d'entrées en contrepoint… On est frappé par le fait qu'au sein de cette forme assez contrainte, Haydn ne laisse jamais courir la plume en laissant la même disposition d'orchestration durer pendant le thème entier, il apporte toujours une touche de couleur, interrompt le soutien ou renforce l'effectif, si bien qu'un thème n'est jamais présenté en lui-même, toujours enrichi d'apports, de touches, de clins d'œil… et évolue dans des développements déjà assez joueurs pour une époque aussi précoce.

Interprètes : The English Concert, Trevor Pinnock
Label : Archiv (1996)
Commentaire 2 : Dans la discographie qui déborde de propositions, et quelquefois exaltantes, il fallait choisir un seul disque. J'en ai réécouté (et découvert) beaucoup pour préparer (parmi lesquelles des propositions aussi diverses que Leitner, Marriner, Hogwood, Müllejans, Haselböck…), et la sélection ne reflète évidemment que mon goût personnel.
    J'ai beaucoup aimé Kuijken avec la Petite Bande d'une part, mais le traitement en est vraiment baroque, très mince et incisif, avec un spectre sonore aéré (ou troué, si l'on n'aime pas) ; par ailleurs les soli sont un peu rudes si l'on n'a pas une grande tolérance au jeu sur boyaux sans vibrato.
    Autre proposition exaltante, Thomas Fey avec les Heidelberger Sinfoniker (son intégrale sans doute à jamais interrompue par sa grave chute d'escalier contient à mon sens les meilleures symphonies de Haydn jamais gravées), sur orchestre traditionnel (me semble-t-il à l'oreille, mais comme il a été fondé par Fey pour jouer de façon « informée », je me trompe peut-être), en conséquance sans la même netteté de trait, mais avec un esprit incroyable : chaque motif, chaque détail d'orchestration est mis en valeur et prend sens au sein de la grande architecture. [Évidemment, on peut détester ça et le trouver trop intrusif si on veut du Haydn majestueux plutôt que joueur. Dans ce cas, Leitner est un choix vraiment attachant.]
    Pinnock et l'English Concert, plus apaisé sans doute, a l'avantage de présenter à la fois un fondu agréable qui laisse sentir la distance par rapport au style baroque, et un grain instrumental assez extraordinaire (la saveur généreusement fruitée des flûtes et des hautbois n'a que peu d'exemple !), le tout dans une belle cohérence d'ensemble et une véritable vivacité. Le tout autorise la poésie sans se priver de la vie ou des couleurs des versions « informées », le meilleur de tous les mondes en quelque sorte – et certainement pas poli ou terne, comme on accuse parfois très abusivement Pinnock de l'être.
    Du côté des intégrales, Hogwood et l'Academy for Ancient Music, enfin réédités il y a peu, apportent une conscience musicologique et un investissement dans chaque recoin, une grande valeur sûre –  même si, pour ces trois symphonies des heures en particulier, j'ai suggéré d'autres références qui me paraissent encore plus abouties.

mardi 5 mars 2019

Choses vues


Un mot pour indiquer que les commentaires de concerts vus en février ont été mis à jour en commentaires de l'annonce du planning : invendus de Sondheim, Quatuors de Gassmann & Pleyel, le crépuscule énigmatique de Maurizio Pollini, Victor Hugo, Star Wars…

Pour les concerts à partir de mars, ils figureront également sous la notule d'annonce.

Je poursuis aussi l'alimentation régulière du survol des nouvelles parutions (dernièrement Perbost, Chédeville, Camboulas…).

Mais il m'en reste beaucoup d'écoutés à commenter :

Le Dernier Sorcier de Viardot & Tourgueniev, les variations berlioziennes de Braunfels, le récital original de Harpe de Gaudemard, les derniers Haydn d'Antonini, la première discographique de Das Schloß Dürande de Schoeck (même bidouillé, ce reste le disque de la décennie), Herminie d'Arriaga, lieder par Hasselhorn, récital original de piano par Ghraichy, Penelope de Liebermann (réédition), L'École des Femmes de Liebermann, les Schubert de Gardner, Roll Over Beethoven d'Adams, nouveaux liederspiele de Schumann chez Naxos, l'intégrale pianistique Tansman du multi-spécialite Koukl, Fauré & Poulenc par Aedes, Symphonie du brésilien Alberto Nepomuceno, l'intégrale pianistique Bernstein de Tozzetti, la Troisième Symphonie de Liatochynsky par Bournemouth & Karabits…
(Quasiment que des disques complètement enthousiasmants, d'ailleurs !)

… et de pas encore écoutés à découvrir (puis commenter éventuellement)
:
la délirante Herbstsymphonie de Marx dans une captation CPO, l'album Sirènes de Stéphanie d'Oustrac, Chausson par Gens, Cendrillon de Prokofiev pour piano par Latchoumia, transcriptions d'opéras de Rameau par Mélisande McNabney, une nouvelle version de Prometeo de Nono, Suite pour orchestre de Lundquist, intégrale du piano de Röntgen en cours par Mark Anderson, Passion selon Jean par le mirifique Dijkstra et la Radio Bavaroise (en mode HIP), Au Long de la Loire par l'ensemble Jacques Moderne, le bouleversant Via Crucis de Liszt par le Collegium Vocale Gent, Mahler 7 par le Festival de Budapest, Erlkönigs Tochter de Gade, Imaginées d'Ibert (réédition), Les Heures dolentes de Dupont pour la première fois en version orchestrale, ballets français d'Ibert et Sauguet par N. Järvi, Caccini vocal par Le Nuove Musiche, récital Kermes, Dussek par Sofronitzky (une demoiselle, pas le fou qui met des pains partout), Concerto pour violon n°1 de Szymanowski par Vahala, Concertos pour orgue et cordes de Bach par les Muffati, récital Peretyatko, I Cherusci de Mayr (courage…), récital Heimweh d'Anna Lucia Richter, une vérification de pépites éventuellement manquées dans le coffret Berlioz intégral de Warner (très dubitatif sur le caractère intégral de la chose, en regardant rapidement…), Missa 1660 de Cavalli, 1001 Nuits de Say, Minnesang de Nunes…

Oui, avec la quinzaine qui s'ajoute chaque vendredi, même en allant très vite, ça va être difficile de tenir le défi… Je n'avais pas l'impression d'autant de nouveautés grisantes l'année dernière.

dimanche 3 mars 2019

Printemps 2019 – Les concerts franciliens que le Guoanbu ne veut pas que vous voyiez


Afin de dégager du temps pour d'autres sujets plus exaltants, le planning est publié dans ce PDF . Les commentaires des spectacles seront placés en commentaires, sauf entrée spécifique, et ceux de janvier-février se trouvent sous cette notule (ou bien sur le compte Twitter de CSS).

♦ En violet, les événéments qui me paraissent considérables, immanquables (en général œuvre rare et très intéressante, avec exécution prometteuse).
♦ En bleu, ceux qui me paraissent importants, à tenter vraiment de voir.
♦ En vert, diverses propositions séduisantes (tubes par des interprètes stimulants, œuvres rares qui ont potentiellement moins ma faveur…).

Mais à peu près tout ce qui est relevé ici est attirant.



J'insiste sur quelques événements.

Hervé, Le Retour d'Ulysse (version comique). À partir du 13 mars, relecture offenbachien du mythe.

La Finta Pazza de Sacrati (16-17 mars), par Alarcón, qui revient chargée de critiques enthousiastes, une œuvre fondatrice dans l'histoire de la diffusion de l'opéra en France.

¶ Le Quatuor vocal à un par partie Bonelli (15 & 17 mars), constitué de chanteurs époustouflants individuellement et collectivement, dans des programmes originaux et jubilatoires.

Symphonie n°10 Chostakovitch par l'ONDIF et Kaszpczyk… un très grand chef (meilleurs Szymanowski de tous les temps) et l'orchestre le plus engagé qu'on puisse trouver… dans la meilleure symphonie de Chostakovitch, ce devrait être très impressionnant. (Mais on a aussi le droit d'aimer roupiller sur les tapis moelleux des R. Strauss du Concertgebouworkest.). 22 mars.

Symphonie n°2 de Howard Hanson, et à l'orgue encore, par Cameron Carpenter (23 mars).

Programme Donna par l'ensemble Il Festino. Excellent programme, mais prévoyez d'investir dans les tout premiers rangs de la première catégorie, si vous voulez entendre quelque chose dans la Cathédrale des Invalides. (28 mars).

L'Orestie d'Eschyle à la BNF. (30 mars) Je n'ai pas vérifié sous quel format la chose était donnée.

Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók, joué et chanté par des Hongrois – ce qui advient fort rarement.

Refonte XVIIIe d'Armide de LULLY (1er avril).

Tchaïkovski, Symphonie n°6 par l'Orchestre Ut Cinquième. Amateurs de très (très) haut niveau… Sibelius 2 comme je ne l'avais jamais entendue, même au disque… et excellents dans Cavalleria Rusticana, La Bohème, etc. Ce devrait être une grande lecture. (4,6,7 avril)

Ravel, L'Enfant et les Sortilèges dans une version de chambre (de Nemoto, qui avait joliment instrumenté le Voyage d'hiver il y a quelques années), avec une distribution épatante : Masset, Poupard, Boisvert, Sargsyan. À Herblay le 9 avril.

Legrenzi, La Divisione del mondo, Rousset (13-14 avril). Le meilleur compositeur italien du XVIIe siècle, l'une de ses figures les plus inventives également, dans cet opéra inédit.

¶ Récital d'Andrea Pichanik avec guitare baroque / théorbe. Premier XVIIe italien (15 avril). Voix extraordinairement généreuse et véritable diseuse, avec le luthiste spécialiste Egüez (partenaire de Bárbara Kusa au sein de La Chimera, explorations semi-populaires hispanohablantes, notamment).

¶ Le Quatuor Quiroga (ce fruité un brin acide, inimitable, très grands musiciens d'une saveur rare) dans Ginastera 1, Turina, Chosta 8. Le 15 avril.

Leçons de Ténèbres de Gesualdo par les spécialistes de Graindelavoix. Pas aussi aventureux que ses madrigaux, mais plutôt rare (18 avril).

Leçons de Ténèbres de Lambert par Marc Mauillon (20 avril), mais hors de prix en ce qui me concerne, 90€ minimum pour moins d'une heure de musique, si j'ai bien lu les tarifs en début de saison.

Ibsen, Un ennemi du peuple. Pièce très peu donnée d'Ibsen, mise en scène Sivadier à l'Odéon, pendant le mois de mai.

Un opéra (contemporain) de Barry d'après The Importance to Be Earnest, pas si fréquent d'oser des textes un peu légers désormais. À partir du 16 mai.

Perrault par d'Estalenx et Aboulker, pour chœur d'enfants. (28 mai et 11 juin)

Roussel, Le Testament de tante Caroline (à partir du 6 juin), un Roussel léger !

Hervé, Mam'zelle Nitouche (à partir du 7 juin). Servi par les Frivolités Parisiennes, même si la musique en est vraisemblablement peu dense, ce sera un régal (quel entrain scénique !  quels chanteurs !  et surtout quel orchestre !).

Berlioz, cantates (dont l'immortelle aux Chemins de fer) et Symphonie Funèbre & Triomphale, par un très gros effectif (24 juin).

Stockhausen, Samstag aus Licht (28 et 29 juin). Moins marquant que Donnerstag donné par l'Opéra-Comique à l'automne, mais toujours assez étonnant, pas exactement un opéra (beaucoup de parties purement instrumentales qui tournent sur elles-mêmes sans que leur dimension dramatique soit tout à fait évidente), mais une très belle expérience, de la musique bien faite et étonnamment polarisée et accessible.



Bien sûr, en s'approchant des échéances, quantité de petits concerts très originaux surgissent… Je les posterai en commentaires, ainsi que mes éventuelles impressions sur les spectacles que j'aurai moi-même tentés.

Bon printemps à vous !

Suite de la notule.

samedi 2 mars 2019

[pré-annonce] Saison définitive de l'Opéra de Paris 2019-2020


Si vous êtes agité par la perspective de ne pas savoir encore ce que vous ferez en décembre 2020, cette notule est pour vous.

À la suite d'une avance délibérée ou d'une maladresse involontaire, la saison officielle de l'Opéra de Paris, attendue fiévreusement par les amateurs d'opéra (la plus étendue de France en nombre de titres, de dates, et en prestige des chanteurs et metteurs en scène invités), est connue : les premières brochures ont été envoyées et reçues – tandis que la présentation officielle n'a lieu qu'à la mi-mars.

Pour les plus impatients donc :

ITALIEN (11)
¶ Mozart, Don Giovanni – Van Hove & Jordan – J. Wagner, d'Oustrac, Barbeyrac, Sly, Pisaroni
¶ Mozart, Così fan tutte – De Keersmaeker & Manacorda – J. Wagner, Lauricella, Costello, Sly, Szot
¶ Rossini, Il Barbiere di Siviglia – Michieletto, Montanaro – Oropesa, Anduaga, Lepore, Sempey / Filonczyk, Baczyk
¶ Bellini, Il Pirata (version de concert)  – Frizza – Radvanovsky, Spyres, Tézier
¶ Bellini, I Puritani – Pelly & Frizza – Dreisig, Camarena / Demuro, Bertin-Hugaut
¶ Verdi, Rigoletto – Guth & Scappucci – Dreisig, Antoun, Lučić, Siwek
¶ Verdi, La Traviata – Stone & Mariotti / Montanaro – Yende / Machaidze, Bernheim / Ayan, Tézier / Lapointe
¶ Verdi, Don Carlo (5 actes « Modène ») – Warlikowski & Luisi – Kurzak / Car, Rachvelishvili, Alagna / Fabiano, Pape
¶ Puccini, La Bohème – Guth & Viotti – Jaho / Stikhina / Costa-Jachson, Fuchs / Tsallagova, Demuro / Grigolo / Bernheim
¶ Puccini, Madama Butterfly – Wilson & Sagripanti – Martínez / Alieva, Lemieux / Hubeaux, Berrugi / D. Popov
¶ Cilea, Adriana Lecouvreur – McVicar & Sagripanti – Netrebko / Stikhina, Semenchuk, Eyvasov,  Lučić

ALLEMAND (5)
¶ Wagner, Das Rheingold – Bieito & Jordan – Gabler, Gubanova, Vasar, Paterson
¶ Wagner, Die Walküre – Bieito & Jordan – Westbroek, Serafin, Gubanova, Kaufmann, Paterson (Wotan), Relyea
¶ Wagner, Siegfried – Bieito & Jordan – Fuchs, Serafin (Brünnhilde), Lehmkuhl, Schager, Paterson
¶ Wagner, Der Götterdämmerung – Bieito & Jordan – Gabler, Merbeth (Brünnhilde), Connolly, Kränzle, Schmeckenbecher (il me manque Hagen)
¶ Reimann, Lear – Bieito & Luisi – Herlitzius, Skovhus, Saks

FRANÇAIS (4)
¶ Rameau, Les Indes Galantes (à Bastille) – Cogitore & García-Alarcón– Devieilhe, Devos, Fuchs, Vidal, Barbeyrac, Duhamel, Crossley-Mercer, Sempey
¶ Offenbach, Les Contes d'Hoffmann – Carsen & Elder / Vallet – Devos, Gens, Arquez, Fabiano, Briand (il me manque les Diables)
¶ Massenet, Manon – Huguet & Ettinger – Yende / Fomina, Bernheim / Costello, Tézier, Tagliavini
¶ Boesmans, Yvonne princesse de Bourgogne – Bondy & Mälkki – Lyssewski, Uria-Monzon, Naouri

RUSSE (2)
¶ Moussorgski, Boris Godounov – Van Hove  & Schønwandt – Malevskaya, Conrad, Pape…
¶ Borodine, Le Prince Igor – Kosky & Jordan – Stikhina, Rachvelishvili, Černoch, Nikitin

Hors Traviata, Indes, Manon, Igor et le Ring, uniquement des reprises de productions existantes récentes (Don Giovanni est donné en juin de cette saison !) ou anciennes (Yvonne a 10 ans, les Contes davantage mais très régulièrement repris).

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Informations généreusement partagées par Adalbéron et Xavier (qui en plus d'être bien informés écrivent immanquablement des choses intéressantes !).

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Pas de grande éditorialisation à faire ici. Je ne puis dire que je sois déçu, puisque j'ai fini par accepter que la tendance Lissner (qui fut pourtant le grand promoteur de Janaček en France dans les années 90, contribuant aussi à faire d'Aix un lieu d'essais théâtraux plus tournés vers la mise en scène et le répertoire du vingtième siècle qu'un  simple festival Mozart) s'inscrit probablement un projet de fond, voulu par la tutelle, de faire de la maison un lieu de prestige – plutôt fondé sur des noms de metteurs en scène à la mode et de chanteurs-vedettes, pas destiné avant tout à servir la musique, le patrimoine, l'ouverture à des horizons variés et / ou nouveau.

Lorsqu'on a accepté que l'Opéra de Paris a décidé d'entrer dans un modèle de théâtre de répertoire type Vienne, où l'on rejoue en circuit fermé les mêmes titres dans les mêmes productions, en attirant les vedettes les plus en vue, on cesse d'être bougon et d'attendre de l'institution ce qu'elle (devrait peut-être mais) ne souhaite pas nous donner.
Les distributions vocales sont splendides et font toutes très, très envie, incontestablement.

J'ai déjà formulé mille fois ma frustration de ce que la maison qui a le plus de moyens (et un public captif, puisque les opéras de grand format ne sont donnés que par elle, que son prestige est tel que la province, les touristes accourent et remplissent les derniers sièges libres) ne propose pas des parcours qui permettent aussi d'élargir ses horizons, dans des œuvres, des langues, des adaptations, des traductions – que sais-je ! – qui fassent voir l'opéra sous un jour nouveau. Qu'il est beau d'entrer dans une salle et d'en ressortir en se rendant compte qu'en réalité il existait tout un pan artistique dont on ignorait l'existence !

À ce titre, même dans le cadre d'une programmation ultra-conservatrice comme ici, il est dommage que l'horizon linguistique et géographique soit aussi réduit : italien, français, allemand, russe. Rien en anglais (où le choix est pourtant vastissime, et justement du côté de genres hybrides, d'œuvres récentes et accessibles inspirées du cinéma ou de la culture populaire…), rien dans des langues plus rares.

Bien sûr, on peut se sentir floué dans la mesure où l'Opéra National de Paris est la seule maison de la région qui puisse proposer des saisons aussi vastes et monter certains ouvrages – le Comique et l'Athénée, même les Champs-Élysées peuvent difficilement monter des opéras de Schreker en version scénique (rien que les coûts fixes les mettraient en faillite, je suppose). Néanmoins, considérant l'offre démentielle dans la région, il est possible d'aller se consoler dans quantité d'autres endroits : en combinant Champs-Élysées, Favart, Jouvet, Versailles, CRR, Massy, Bouffes, Frivolités Parisiennes, Herblay, Saint-Quentin et les productions itinérantes, on trouve largement de quoi saturer son calendrier, même si l'on ne va voir qu'exclusivement de l'opéra mis en scène !

J'ose à peine ajouter que, si c'est pour entendre coincé au fond de Bastille un orchestre qui joue à l'économie et qui ne devient vaguement en place qu'en fin de série, on se console d'autant mieux d'aller voir ailleurs. (J'ai vraiment du mal à m'expliquer cette désinvolture, connue par quantité d'anecdotes, mais qui se voit et surtout s'entend tout au long de la saison, alors que le recrutement est probablement le plus exigeant de France… qu'est-ce qui peut se passer entre l'instrumentiste fulgurant qui entre et le gars qui s'ennuie ostensiblement, le groupe qui refuse d'écouter les chefs invités ?)


Cela n'empêche pas évidemment de passer d'excellentes soirées sur place – ma plus belle expérience de la saison 2018-2019 a sans doute été d'entendre Les Huguenots en action !  (mais c'était et une œuvre un minimum originale, et l'avant-dernière représentation – on entend clairement dans les vidéos officielles que ce n'était pas pareil les autres jours…)

David Le Marrec

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