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Anniversaires 2013


Le principe de l'anniversaire demeure en lui-même profondément stupide. Si les musiques concernées ont survécu au temps, pourquoi tenir compte de dates aléatoires, avec des années maigres (ou éclipsées par un grand nom) et des années surchargées ? Il serait, à tout prendre, plus judicieux de programmer selon des thématiques au gré des modes ou des événements politiques. Comme si l'intérêt d'une musique tenait à ce genre de contingence...

Alors que l'année 2013 va être avisément utilisée par les programmateurs pour célébrer deux obscurs compositeurs lyriques de deux nations sous-représentées dans les salles de concert, l'italien Giuseppe Verdi et l'allemand Richard Wagner, un petit coup de projecteur sur ce que les programmateurs, partant du même super-argument de l'anniversaire, auraient pu proposer au public - manière que la notion de célébration prenne plus de sens qu'en jouant exactement ce qu'on joue d'habitude.

Petite balade chez les compositeurs fêtables

John Dowland => Né il y a 450 ans.
L'immortel songwriter et luteplayer ne sera évidemment pas joué dans les hangars à bateau des grandes capitales, sauf à ce qu'un arrangeur exalté entreprenne de le massacrer galamment.

Carlo Gesualdo => Mort il y a 400 ans.
Présentation superflue ici aussi, pour le maître du chromatisme, insurpassé avant Liszt et Wagner. Evidemment, comme il n'a pas écrit de concertos, symphonies ou opéras, il est plus compliqué de faire déplacer le grand public. Mais quelques concerts avec les deux derniers livres de madrigaux seraient fort bienvenus.

Arcangelo Corelli => Mort il y a 300 ans.
Son nom n'est peut-être pas assez célèbre pour faire déplacer le public, mais sa musique plaît généralement à une très vaste frange d'auditeurs, bien au delà des amateurs de classique. Par ailleurs, l'expérience a montré que même noyé dans un gros orchestre symphonique, le résultat pouvait être convaincant. Une petite pièce en ouverture, ça ne pourrait pas faire de mal !

Jacques Hotteterre => Mort il y a 250 ans.
La figure tutélaire du traverso en France, l'équivalent local de Quantz à quelque sorte. Sa musique est comparable aussi : belle, sans être indispensable si on ne s'intéresse pas spécifiquement à l'instrument.

Johann Ludwig Krebs => Né il y a 300 ans.
Organiste fréquemment représenté dans les anthologies consacrées à la musique germanique du temps. Pas forcément très singulier, mais de la musique de qualité.

Antoine Dauvergne => Né il y a 300 ans.
Jadis surtout célèbre pour son pastiche d'opera buffa qu'il avait présenté comme la traduction d'une oeuvre d'un italien, Les Troqueurs, Dauvergne n'est pas que le compositeur de musique légère que la postérité a fait de lui. A la tête de l'Académie Royale de Musique, il a composé des oeuvres plus sérieuses. Il a déjà bénéficié de sa "résurrection" lors de la saison 2011-2012 du CMBV, avec en particulier la recréation de sa tragédie lyrique Hercule mourant - un pont très intéressant entre deux époques, une survivance des proportions et outils de la "deuxième école", dans laquelle on entend déjà des formules mélodiques plus élancées, plus ramistes, voire plus classiques.

Franz Danzi => Né il y a 250 ans.
En particulier joué dans le domaine chambriste, de la bonne musique, même s'il existe plus exaltant (et moins célèbre) parmi ses contemporains.

Charles-Valentin Alkan => Né il y a 200 ans.
Très mal vu à cause de ses oeuvres virtuoses souvent décrites comme creuses, Alkan mérite néanmoins l'écoute, au moins pour ses quelques oeuvres de musique de chambre, assez simplement écrites, mais d'une belle couleur sombre.

George Alexander Macfarren => Né il y a 200 ans.
Je comptais mentionner ce compositeur sur CSS depuis une bonne année à présent, le calendrier fera que ce sera peut-être pendant cette année de fête. Macfarren est particulièrement intéressant, dans la mesure où il transpose en langue anglaise les recettes de l'opéra italien et du grand opéra à la française, avec un résultat personnel où l'on sent très nettement affleurer les différentes influences. Un jalon important dans l'exploration du répertoire lyrique européen du milieu du XIXe siècle.

Alexander Dargomyzhsky => Né il y a 200 ans.
La graphie française Dargomijski, du fait de sa réputation plutôt confidentielle hors de Russie, est peu usitée. Il est essentiellement célébré comme le compositeur du Convive de pierre, opéra très largement écrit en récitatifs, qui se fonde sur le texte même de Pouchkine. Avec ce grand dépouillement, l'oeuvre parvient assez bien à rendre justice au propos de l'original, avec quelques moments musicaux réussis. Les plus russophiles se sont aussi penchés sur son Esmeralda (pas fantastique à mon gré) et sur sa Rusalka (encore Pouchkine, mais cette fois-ci adapté par le compositeur).

Francis Poulenc => Disparu il y a 50 ans.
Présentation superflue. En plus, son corpus contient des pièces majeures de tous formats.

Paul Hindemith => Disparu il y a 50 ans.
Son fonds mérite d'être exploré, une plus ample présentation serait bienvenue.

Karl-Amadeus Hartmann => Disparu il y a 50 ans.
Symphoniste de qualité parmi les novateurs, toujours soucieux de mesure et d'intelligibilité.

Hans Henkemans => Né il y a 100 ans.
Un des compositeurs néerlandais inspirés par le postromantisme, mais qui prend chez lui un tour bien particulier, très marqué par les innovations de son époque. De la très belle musique qui mérite grandement d'être découverte.

René Leibowitz => Né il y a 100 ans.
Elève de Webern, plus célèbre comme théoricien que comme compositeur, mais l'un n'allait pas vraiment sans l'autre dans son esthétique. Je ne suis personnellement pas du tout convaincu par sa musique, dont je ne perçois pas bien la direction, et que je ressens souvent en décalage avec les effets annoncés - ainsi qu'assez peu variée au sein d'une même pièce.

Benjamin Britten => Né il y a 100 ans.
Présentation inutile. Lui aussi est de toute façon abondamment joué partout, même si (comme pour tous les compositeurs) certains titres sont bien plus présent que d'autres dont la valeur n'est pas forcément moindre.

Witold Lutosławski => Né il y a 100 ans.
Un des compositeurs importants de l'exploration des possibles orchestraux du vingtième siècle, dans une perspective à la fois radicale et sans rupture profonde d'avec la tradition, quelque chose d'équidistant de Bartók et Ligeti. Il est néanmoins très peu présent dans les salles de concert, alors que son importance, son influence et même sa discographie sont considérées comme parfaitement respectables.

Tikhon Khrennikov => Né il y a 100 ans.
La célébrité de Khrennikov provient essentiellement de son poste de Secrétaire Général de l'Union des Compositeurs Soviétiques, qu'il occupe de 1948 jusqu'à la fin de l'URSS en 1991 ; et en particulier de son comportement peu confraternel, mettant volontiers en cause ses collègues (avec les conséquences radicales que cela pouvait avoir dans ce régime). Musicalement, on y retrouve le goût de la rupture et des mélodies peu évidentes, aux parcours parfois "déceptifs". Mais le langage est bien moins subtil que chez Chostakovitch ou Prokofiev, et le résultat souvent assez lourd à mon gré (moins vulgaire que Khatchaturian, mais moins riche aussi).
Ce n'est pas une priorité de redécouverte comparé à Chtcherbatchov (Shcherbachov), Popov, Zhivotov ou Tichtchenko (Tishchenko), mais eu égard à sa place historique, à présent qu'il est mort (2007) et que ses droits d'auteurs ne lui reviendront plus, il n'y a pas de raison de ne pas le faire entendre au public, au moins à titre d'information - je ne suis pas certain que ça vaille tellement plus.

Lucia Ronchetti => Née il y a 50 ans.
Peu de choses existent d'elle, mais il se trouve un disque contenant Il sonno di Atys, propre à attirer l'attention car fondé sur (l'évocation) du matériel dramaturgique de Quinault. Pas de lien thématique avec Lully, à ce qu'il m'a semblé (l'intérêt propre de l'oeuvre ne m'a pas non plus sauté au visage).

On pourrait aussi s'amuser à prendre des dates liées à des genres, des créations d'oeuvres, ou meilleur prétexte encore, des interprètes du temps jadis jamais enregistrés. Tout est bon pourvu que ça numérologise plus ou moins ostensiblement.

Bref, une année passionnante s'annonce... si les programmateurs ont osé.

On peut voir aussi la liste alternative réalisée pour l'année 2007.


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Commentaires

1. Le vendredi 18 janvier 2013 à , par Joël :: site

Tu as oublié Georges o, dont on fête le 175e anniversaire de la naissance ! Cf. http://mupa.hu/en/program/french-connections-peter-kovats-and-the-szeged-symphony-orchestra-2013-02-02_19-30-bbnh (où l'on apprend aussi qu'en 2013, on va commémorer le 50e anniversaire de la mort de László Lajtha, dont on fêtait déjà en 2012 le 120e anniversaire de la naissance.) À ce niveau de n'importe quoi, il serait bon de trouver d'autres prétextes que des anniversaires pour jouer des compositeurs !

2. Le vendredi 18 janvier 2013 à , par Joël :: site

Oups, je ne sais pas ce qui s'est passé, mais le "Georges o" ci-dessus aurait dû être "Georges Bizet".

3. Le vendredi 18 janvier 2013 à , par Olivier

Bonsoir,

La Liste ou le Souvenir Musical de CsS, qui a le mérite de rappeler les compositeurs connus et de dévoiler les compositeurs ignorés.
En reliant C.Gesualdo à F.Liszt et à R.Wagner, ne le désignez-vous pas comme le plus moderne du Souvenir Musical?

Il neige.

4. Le dimanche 20 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Bonsoir Joël !

Je me suis limité aux cinquantenaires et (pluri-)centenaires, sans quoi on n'en serait pas sorti. Mais de toute façon, je suis bien d'accord, prendre le prétexte d'anniversaires (dont le caractère est de toute façon, par définition, arbitraire et décorrélé de l'intérêt musical) pour continuer de jouer autant les mêmes compositeurs... c'est dans l'ordre du risible.

Quant à Lajtha, si on doit attendre les anniversaires pour parler de lui... son entrée dans la postérité ne sera pas pour tout de suite.

Des événements motivés par des intentions esthétiques ou pratiques (publications, mises à disposition de lieux) comme le fait le CMBV sont tout de même autrement plus stimulants et justifiables. Année Verdi-Wagner, franchement ! Si encore ça pouvait servir à faire jouer Das Liebesverbot...

5. Le dimanche 20 janvier 2013 à , par David Le Marrec

Bonsoir Olivier !

Pas facile de comparer Gesualdo à ce qui se passe après, en fait - même si je l'ai suggéré pour essayer de se représenter la 'radicalité' de son écriture (là encore, le mot est impropre). Parce que Gesualdo entre dans le cadre d'un type d'écriture du madrigal qui était alors à la mode (le chromatisme expressif), même s'il en est le représentant à la fois le plus audacieux et le plus abouti. Liszt et Wagner créent, en plus du langage innovant, des formes musicales inédites, et vont plus loin, même relativement à leur époque, dans l'exploration des confins du système tonal.
Mais dans cette liste arbitraire, oui, c'est peut-être bien lui (avec Lutosławski) qui serait le plus 'moderne' !

Il neige sur moi aussi.

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