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Retour sur authenticité


On a déjà mainte fois abordé ces sujets sur CSS, que ce soit dans la rubrique consacrée au baroque français ou dans celle vouée aux papotages théoriques (certaines notules se situent d'ailleurs dans les deux catégories) ; c'est ici l'occasion d'opérer un petit bilan de quelques questionnements importants en forme de pistes de réflexion.

  • L'authenticité est un leurre, parce qu'en plus de jouer avec les mêmes instruments dans les mêmes salles et les mêmes conditions d'écoute (donc avec des bavardages !), il faudrait aussi, pour entendre la même chose, qu'on écoute avec la même culture, ce qui est bien évidemment impossible à nous qui avons entendu Stravinsky et Schönberg. Car si l'on écoute la même oeuvre, même dans les mêmes conditions, on ne peut pas entendre la même chose en découvrant Don Giovanni si l'on n'a jamais entendu un frottement de neuvième ou si l'on ne dispose quasiment que des Da Ponte comme représentants de l'ère classique à l'Opéra... Le charme mozartien opère sur nous par ce qu'il a de naïf, mélancolique et un peu désuet, tandis qu'on imagine à peine le saisissement des spectateurs devant ces rythmes en quinconques dans les ensembles et ces modes inusités dans les gammes qui accompagnent l'avertissement du convive de pierre.
  • Néanmoins, on ne peut pas dire que tout se vaut. Des choses qui sont établies : des effectifs, les réalisations des abréviations notées sur les partitions et des agréments [1], des phrasés (inégalité des notes égales à la française [2], par exemple), des effets expressifs... En jouant du baroque comme du Bruckner, on risque dénaturer cette musique - et cela peut être beau malgré tout... ou totalement abstrait et ennuyeux.
  • C'est pourquoi il est nécessaire de s'interroger. Après cela, tous les interprètes honnêtes reconnaîtront, lorsque leur éditeur ne les surveille pas en vue de promotionner leurs disques, qu'ils font de l'interprétation d'aujourd'hui avec des outils d'hier qui ont surtout pour mérite de stimuler leur imagination.
  • Et tout cela est fondamental en particulier pour le baroque, où la place laissée à l'interprète est véritablement celle d'un co-créateur qui écrit lui aussi de la musique ! Puisque la partition note en abrégé des choses à restituer, éventuellement à compléter, voire à improviser.


Il y aurait là, pour une prochaine fois, matière à questionnement sur l'essence d'une musique composée - se trouve-t-elle dans la partition ou dans le produit fini de l'interprétation ?

Notes

[1] Agréments : ce que l'on appelle aujourd'hui l'ornementation. Les Ornements désignaient alors le procédé de la diminution, c'est-à-dire de l'ajout de variations avec des valeurs rythmiques plus brèves, comme on le faisait par exemple pour les da capo des airs d'opéra seria. L'ornement écrit donc pleinement de la musique, tandis que l'agrément est une note de goût, une sorte d'épice.

[2] Inégalité des notes égales, à la française : Dans certains cas, les notes écrites à valeurs égales devaient être interprétées avec souplesse, une sorte de demi-pointé qui rendait le phrasé plus bondissant et inégalisait ce qui était écrit pourtant de la même façon. Une sorte de rubato - liberté dans la mesure - codifié.


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Commentaires

1. Le mercredi 30 juin 2010 à , par Thomas Savary

De l’influence sur l’écoute de la musique ancienne des musiques ultérieures
Suis-je donc un drôle d’animal ? J’ai écouté pendant près de vingt ans de la musique ancienne sans avoir jamais entendu une seconde de Stravinsky ou de Schoenberg. Hormis les cours de musique au collège, je suis entré dans la musique classique avec Carlo Gesualdo, Giaches de Wert, Heinrich Schütz et Johann Sebastian Bach. Je connais bien mieux les œuvres de ces compositeurs ou celles de Nicolas Gombert, Thomas Tallis, Christopher Tye, William Byrd, Francisco Guerrero, Roland de Lassus, John Dowland que celles de Beethoven ou même celles de Mozart ; et Chopin, Brahms ou Liszt ne sont pour moi quasiment que des noms. Ma culture musicale s’arrête à Bach et ne reprend pratiquement qu’avec Chostakovitch — depuis quelques années, j’écoute un peu de musique contemporaine, de façon très éclectique : György Ligeti, John Cage, Arvo Pärt, John Tavener, Jonathan Harvey, Wolfgang Rihm, James MacMillan, Lera Auerbach... Mais, dans mon cas, ce sont plutôt des années d’écoute quasi exclusive de musique ancienne qui ont conditionné mon approche des musiques ultérieures : par exemple, ce que je préfère chez Mozart, ce sont ses fugues.
Peut-être me répondrez-vous qu’il n’en va pas de même des interprètes des musiques en question. Harnoncourt a été violoncelliste au Wiener Symphoniker avant de fonder le Concentus musicus Wien — d’ailleurs, il m’a semblé que le passage auquel je réagis est une paraphrase d’Harnoncourt, qui, si ma mémoire est bonne, évoquait précisément Stravinsky et Schoenberg pour souligner l’influence de la musique du XXe siècle sur l’écoute de la musique ancienne. Admettons ; mais ce qui était vrai autrefois l’est de moins en moins aujourd’hui : beaucoup de musiciens se sont spécialisés, et j’ai pu discuter avec des interprètes de musique ancienne à peu près aussi incultes que moi dans la musique romantique et postromantique. Si l’influence des musiques ultérieures se fait toujours sentir dans la pratique des musiques anciennes, c’est d’une façon qui n’a cessé de se diluer au fil des ans.
Cela dit, je partage votre opinion : l’authenticité est un fantasme. Mais quel beau fantasme !
Cordialement

2. Le mercredi 30 juin 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Thomas,

Et merci pour cette réaction !

Je vais préciser ma pensée : même en découvrant la musique par ordre chronologique, les chansons qu'on entend par ailleurs (même de façon involontaires) et bien sûr les comptines de notre enfance peuvent remonter peut-être jusqu'au XVIIIe (il ne doit pas y en avoir beaucoup), et pour la plupart à partir de la seconde moitié du XIXe. Nous sommes donc exposés à une harmonie et une esthétique, à toute une philosophie de la société aussi, qui n'a plus aucun rapport avec celle des spectateurs de naguère.

Peut-on ressentir de la même façon les sujets des opéras lorsqu'on n'a pas lu les mêmes auteurs, écouter de la même façon les oeuvres quand on a été formé à la culture du musée musical, du rituel solennel qui l'entoure, de l'admiration très postromantique pour la figure singulière du compositeur ?

Ca ne se limitait donc pas à l'ordre de découverte de la musique, mais on ne peut pas demander à une cervelle du XXe d'entendre la même chose, subjectivement, qu'une du XVIIe.

Bonne soirée !

3. Le jeudi 1 juillet 2010 à , par Thomas Savary :: site

Bonjour David,

Merci de votre réponse. Bien sûr que, en substance, nous sommes d'accord. Même lorsqu'on ne regarde pas la télévision, qu'on n'écoute pas la radio, qu'on ne lit pas la presse, qu'on boude la littérature contemporaine (quel brillant portrait je suis en train de brosser de moi-même ;-), il est impossible de s'abstraire de son temps. J'ai simplement voulu suggérer que l'influence des musiques savantes postérieures à 1750 pouvait être d'un degré très variable selon la culture des uns et des autres : dans mon cas, j'estime qu'elle a été et demeure très faible. Cela dit, le formatage de mon écoute par la musique baroque m'a longtemps empêché d'apprécier la musique de la Renaissance antérieure à Gesualdo et Monteverdi. Et je ne goute toujours pas la musique romantique, hormis une trentaine de lieds de Schubert et la musique de Bruckner (j'adore en particulier la Huitième et ses motets) — s'agissant de Wagner, désolé, je peine à dépasser les ouvertures, et je ne sais pas si j'aurai le courage de Glazounov, qui s'obstina à retourner voir la Walkyrie, qu'il détestait, près d'une dizaine de fois jusqu'au jour où soudain il comprit et se mit à aimer cette musique. J'ai tenté la méthode Glazounov avec Mozart, que je n'aimais pas, et qu'aujourd'hui je déteste à quelques exceptions près (si, si!). Avec Bernstein et Chostakovitch, ce fut payant. Pour Britten, ça coince toujours, et j'ai jugé prudent de marquer une pause d'au moins quelques mois afin d'éviter l'effet Mozart.

Si on peut à mon sens relativiser l'importance de l'influence exercée par les musiques postérieures à 1750 sur l'écoute des musiques dites anciennes, je considère toutefois que les enregistrements ont eu une influence bien plus grande. On n'écoute certainement pas de la même façon la Johannes-Passion de Bach au Bachfest Leipzig quand on l'a déjà écoutée au moins deux-cents fois au disque dans son salon ou au casque un peu partout, plutôt qu'à l'office lors de la semaine sainte.

J'en profite pour vous remercier de ce blog passionnant. Chanteur amateur d'un médiocre niveau, j'apprécie particulièrement les billets techniques sur la voix. Pas totalement hermétique au lied, je lis aussi avec intérêt les billets sur le sujet.

À une prochaine fois ! Bonne journée !

4. Le jeudi 1 juillet 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Thomas,

Et merci encore pour toutes ces précisions. Oui, c'est un portrait singulier que vous dressez là, et qui explique, sous certains aspects, vos inclinations et certains de vos rejets. Nous avons donc quelques vices en commun (dont les Motets de Bruckner... et la méthode Glazounov).

Je suis bien content si les notules sur la voix peuvent être utiles, d'autant que j'en ai quelques-unes à venir.
Il est tellement difficile d'approcher certaines réalités, même avec un professeur, que ce support multimédia est vraiment pratique pour parler de ces choses.

Bonne soirée !

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David Le Marrec

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