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Les plus beaux récitatifs - I - Récit d'Aronte (Armide de Lully)


Liste indicative. Extrait sonore. Commentaire.

(Pour une introduction à l'histoire du récitatif, voir au préalable.)

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Ce n'est nullement une rareté, juste l'un des extraits du répertoire qui sont les plus chers aux farfadets qui peuplent allègrement les notules de CSS. Essentiellement des récitatifs, parmi lesquels, en particulier (pour entendre un extrait, cliquez sur le lien) :

  • "Ô Ciel ! ô disgrâce cruelle !" dans Armide de Lully ;
  • "Ma fille, aux Immortels quels voeux venez-vous faire ?" dans Callirhoé de Destouches ;
  • "Jeune chasseur, n'avez-vous pas vu mes compagnes ?" dans Céphale & Procris de Grétry ;
  • "Don Ottavio, son morta !" du Don Giovanni de Mozart ;
  • "Que vois-je ? - C'est Alphonse !" dans Zampa d'Hérold ;
  • "Meinst du ? Ha ! versuch' es nur !" dans Der Vampyr de Marschner ;
  • "Mais quelle étrange figure" dans Les Huguenots de Meyerbeer ;
  • "À la voûte azurée" de la Damnation de Faust de Berlioz ;
  • "Ah taci - il vento ai tiranni" dans Simone Boccanegra de Verdi ;
  • "Des présents de Gunther" dans Sigurd de Reyer ;
  • "Tunge Tanker trykker Nordmaends Sind" dans Thora på Rimol de Hjalmar Borgstrøm ;
  • "Je ne pourrai plus sortir de cette forêt" dans Pelléas & Mélisande de Debussy ;
  • "Ja, aber Mensch, vergißt du denn ganz" dans Die Gezeichneten de Schreker ;
  • "Ihm helfen - o mein Gott !" dans l'Arabella de R. Strauss.


Particulièrement remarquables, mais parmi pas mal d'autres aussi. Comme les lutins ont eu l'impression récurrente que ce goût pour le récitatif (la forme la plus aboutie de fusion texte / musique) n'était pas vraiment partagé par une majorité du mélomane, plus réceptifs aux airs, où la mélodie prime, on se propose une petite séance promotionnelle.

... D'où l'idée de mettre en oeuvre une petite série sur les récitatifs particulièrement enivrants du répertoire.


Récit d'Aronte

Celui-ci est particulièrement court, il tient en une minute. C'est aussi la seule intervention du personnage, qui n'est nommé qu'en lisant la pièce.

A l'acte I, les réjouissances du triomphe d'Armide sont interrompues par l'arrivée d'Aronte, qui rapporte la délivrance des prisonniers par Renaud, sans le nommer.
Il est emmené hors scène, pour mourir probablement. Le procédé du blessé avait été utilisé dès Thésée (troisième opéra de Lully / Quinault) de façon encore plus cruelle, avec un suppliant qui expire dans le Temple en quittant la bataille d'Athènes ("Sauve un malheureux qui te prie").

La force dramatique de ce moment est considérable par seule sa situation : elle renverse toute la couleur de l'acte, rendant sans objet la joie qui s'y exprimait.

Mais c'est surtout le chef-d'oeuvre le plus poussé qu'on puisse rêver en termes d'exploitation musicale des consonances du vers classique.
Voyez comme les voyelles expressives (celles qui portent le sens des mots) sont mises en valeur par la ligne vocale.
Notez aussi les très légères tensions harmoniques (appoggiatures uniquement [1]) et de jolies couleurs en mode mineur.

Il n'y a guère d'autres exemples (peut-être les Destouches et Berlioz ci-dessus) qui aient porté aussi loin la puissance de faire dire autant à un texte en se coulant exactement dans sa musicalité propre.

Dans la nudité pour piano de cet arrangement de la fin du XIXe siècle (plutôt réussi, même s'il faudrait enjoliver ici les accords de quelques transitions agréables, ce que j'ai fait depuis), on entend particulièrement nettement, il me semble, ces caractéristiques.

En gras, les voyelles "remplies" par la phrase musicale.

ARONTE
Ô Ciel ! ô disgrâce cruelle !
Je conduisais vos captifs avec soin -
J'ai tout tenté pour vous marquer mon zèle,
Mon sang qui coule en est témoin.

ARMIDE
Mais où sont mes captifs ?

ARONTE
Un guerrier indomptable
Les a délivrés tous.

ARMIDE & HIDRAOT
Un seul guerrier, que dites-vous ?
Ciel !

ARONTE
. . . . . De nos ennemis c'est le plus redoutable
Nos plus vaillants soldats sont tombés sous ses coups.
Rien ne peut résister à sa valeur extrême.

ARMIDE
Ô Ciel ! C'est Renaud !

ARONTE
. . . . . . . . . . . . . . C'est lui-même.

On constate aisément l'alternance de syllabes fortes et faibles (une forte sur deux ou trois), un peu à la façon des vers à accent anglais ou allemands...

A suivre.

Notes

[1] En matière harmonique, une appoggiature est une anticipation qui fait débuter une partie d'un accord sur l'accord précédent, créant une attente de résolution.


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Commentaires

1. Le jeudi 30 juin 2011 à , par Guillaume

C'est amusant, avec cette liste, on a la liste des opéras préférés de CSS :-D ... à laquelle nous souscrivons pour partie (il serait vain de chercher un quelconque rapport de causalité)

2. Le jeudi 30 juin 2011 à , par Lavinie :: site

Ok, je suis en master II, je m'apprête à me lancer dans mon mémoire et je ne connais pas un tiers des compositeurs cités. Ahem. (Peut-être que je devrais te lire plus souvent?)

3. Le jeudi 30 juin 2011 à , par T-A-M de Glédel

@ Lavinie :

C'est normal ça. Moi-même qui le lis chaque semaine arrive presque au même constat, sauf que je suis prêt à parier que nous n'avons pas les mêmes carences...

@ David :

Moi, ce sont les récitatifs de Grétry que je trouve d'un naturel incroyable.

Au fait, aurais-tu la partition du Vampyr de Marschner ?
J'aimerai bien m'essayer à ce rôle (et si l'envie me prend, d'en bricoler une version traduite, celle-ci n'existant pas supposé-je!).

4. Le samedi 2 juillet 2011 à , par Jérémie

Ce récitatif est en effet un de mes moments préférés d'Armide !!

5. Le samedi 2 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

@ Guillaume :

Ce n'est pas faux, on y trouve effectivement les oeuvres dont j'ai le plus parlé ici (Armide, Don Giovanni, Zampa, Der Vampyr, Sigurd, Pelléas, Die Gezeichneten, Arabella), ou alors des marottes assez personnelles (Callirhoé, Céphale, Thora).

Ce n'est pas tout à fait par hasard évidemment, puisque le récitatif est l'un de mes critères d'inclination les plus importants, je crois.

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@ Belle princesse :
(Très beau récitatif de Phaëton, au passage : j'aurais dû le noter.)

Comme une partie de mon job ici est d'explorer le répertoire délaissé des salles de concert, voire des majors, ce n'est pas tout à fait étonnant. :)

A cela s'ajoute que je j'essaie, dans tout ce que je fais ici, de m'appuyer d'abord sur les écoutes des oeuvres, plutôt que sur de la documentation qui reproduit parfois des biais idéologiques. D'où la divergence qu'il peut exister avec l'enseignement habituel de l'Histoire de la Musique (qui est souvent une "histoire-bataille", avec ses grands hommes et ses grands événements).

Mais me lire religieusement pour compenser n'est pas défendu - a fortiori si j'y gagne de gentils commentaires comme celui-ci. :)

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@ T-A-M de Glédel

Grétry, d'un naturel incroyable ? Lequel ? Ca reste assez hiératique, voire un brin rigide, dans Andromaque et Guillaume Tell. Effectivement, dans Céphale, il y a des moments (pas tous) où c'est assez confondant de vérité.

Au fait, aurais-tu la partition du Vampyr de Marschner ?

Non, et ça fait longtemps que je veux m'acheter la version Pfitzner, avec récitatifs de liaison... Je rêve de chanter Geh hin ! Und brich deinen SchwuuUUUUUr !, qui est un air de forme récitative, formidable. Comme "Pyrame est mon rival" chez Francoeur & Rebel, d'ailleurs.

Ce rôle t'irait très bien, et je serais avide de lire ta traduction. Ca doit pouvoir s'acheter d'occasion chez des bouquinistes allemands, je te donnerai des adresses si tu veux.

6. Le samedi 2 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

Oh, j'avais manqué le commentaire de Jérémie...
[Explication après enquête : Le serveur a vécu un méchant bogue horloger qui a postdaté mon commentaire de six heures hier soir... et donc occulté celui réellement posté à deux heures du matin.]

Rien à ajouter cela dit : partager le goût de la gent korrigane est assez éloquent en soi...

7. Le mardi 5 juillet 2011 à , par Lavinie :: site

Oui, à propose d'histoire de la musique traditionnelle - un ouvrage très populaire dans les eaux germaniques dans lesquelles je me meus (je fais du français un pue classe, juste pour vérifier que ça marche encore. Quand je ne dirai plus que bière-saucisse, il sera temps de recommencer à articuler vin-fromage) (bref) donc un bouquin très in chez les Habsbourg, c'est l'histoire de la musique de Hans Heinrich Eggebrecht. Je sais pas si elle a percé en France. Il a tout rédigé tout seul et étoffe ses chapitres de commentaires et réflexions, notamment au sujet de la subjectivité forcée de toute histoire de la musique. En gros, il fait un truc hypra-subjectif pour bien montrer le problème et forcer le lecteur à la vigilance. Je n'ai pas beaucoup lu, mais le concept me plait bien surtout ses réflexions.

8. Le mardi 5 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

J'avoue que j'ai arrêté depuis longtemps de lire des histoires de la musique généralistes. Il existe d'excellentes monographies dans lesquelles ont peut vraiment se plonger avec délices, mais les entreprises trop vastes démontrent bien plus les limites des rédacteurs que des compositeurs critiqués...

Je n'ai pas lu Eggebrecht, mais je crois qu'en France Rebatet a suffisamment bien montré la part de subjectivité, d'arbitraire, de conformisme et de posture qu'on pouvait rencontrer dans ce genre d'entreprise.

Après, se confronter à un avis est toujours intéressant - même si aujourd'hui, avec la Toile, ses journaux, ses webzines, ses forums et ses carnets, c'est un peu moins essentiel qu'auparavant...

9. Le mardi 5 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

(Pour la germanification, lorsqu'on commence à écrire systématiquement 'Kobolde' dans la case du bas, on peut s'interroger.)

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