Lully - CADMUS & HERMIONE - Dumestre / Lazar (DVD, Opéra-Comique 2008)
Par DavidLeMarrec, jeudi 30 octobre 2008 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Disques et représentations :: #1063 :: rss
Une petite déception par rapport à nos espoirs en visionnant ce Cadmus.
Extraits, liens vers d'autres comptes-rendus, et un bref rappel sur la nature des dialogues parlés de l'opéra-comique.
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Mise en scène
- L'éclairage à la bougie produit toujours l'effet d'un tableau de La Tour, jetant un voile poétique sur la scène, la rendant d'emblée surnaturelle.
- Cependant, les couleurs très vives et mêlées ne produisaient pas, loin sans faut, la même atmosphère très prenante que pour Il sant'Alessio. La juxtaposition des tons, quoique lissée par l'éclairage à la bougie, paraissait assez modérément gracieuse. Bien entendu, pour la fête très optimiste de Cadmus, où le héros se trouve à tout instant secondé par des divinités propices, ou le comique et le visuel exotique ont toute leur place - avant que, selon les goûts du roy, une esthétique plus lissée ne prenne la place - il ne s'agit pas de nier leur justification ; toutefois le résultat demeure peu enthousiasmant - le La Tour pouvant se muer en Gauguin, dans le Prologue en particulier.
- Le problème réside dans l'impossibilité de se laisser captiver par autre chose. Faute de place sur la scène de l'Opéra-Comique, sans doute, et faute de mobilité aussi dans la direction d'acteurs. A l'ancienne, toujours de front, avec une gestuelle baroque minimale. Il est pourtant possible de procéder autrement : Marshall Pynkowsi dans son Persée de Toronto, avec des moyens bien moindres, se montrait bien plus prodigue en gestes expressifs, en décalage humoristique et même en spectaculaire, dans une mise en scène sensiblement plus mobile.
- Indépendamment de la fidélité à une lettre du XVIIe, il fallait composer avec une certaine mollesse de la réalisation - des ballets très parcimonieusement mobiles et assez chichement expressifs en particulier. La danse des statues animées à l'acte III montrait quelque chose d'assez peu saisissant, plutôt un mécanisme d'horlogerie qu'une manifestation du surnaturel.
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Exécution musicale
- De surcroît, à la réécoute, un peu de frustration musicale se fait jour chez les lutins. Nous étions resté plus attaché à la version donnée en 2001 par Christophe Rousset, dont il nous est demeuré une bande radio, dans un style extrêmement élégant et concerné - bien loin des alanguissements systématiques dont le chef se repaît depuis quelques années.
- Toutefois, lors de la radiodiffusion du spectacle de Dumestre, en janvier dernier, nous avions trouvé séduisante l'idée d'appuyer la filiation italienne - Lully s'étant d'abord exercé comme compositeur de ballets pour l'Ercole Amante de Cavalli, donné à Paris. La séduction de ce théâtre vocal à machines fut tel que le pouvoir décida de produire sa propre gamme de spectacles, avec un cahier des charges similaire, mais en français. La tragédie lyrique était en marche.
- De ce point de vue, le choix de Dumestre d'exalter la couleur "premier XVIIe italien" dans Cadmus était fort bienvenu, et extrêmement réussi dans les ballets - servi par un ensemble dont on peut vérifier, au DVD, l'enthousiasme jusque sur le visage du dernier altiste (tenant pourtant une ligne fort peu exaltante sur un instrument malcommode, sans effets expressifs particulier requis pour cette partie). La danse, les couleurs bigarrées y triomphent d'une façon extrêmement communicative (avec un très beau son).
Dernière ritournelle de l'acte I. On entend que les récitatifs fonctionnent bien, avec un petit côté solennel cependant. Version Dumestre ; Luanda Siqueira, Junon ; Eugénie Warnier, Pallas ; André Morsch, Cadmus.
- Malheureusement, et il faut peut-être sentir ici la jeunesse de cet ensemble à l'Opéra (c'est-à-dire dans la continuité d'une oeuvre intégralement chantée, pour la première fois dans ce répertoire), les récitatifs se révèlent assez distendus - beaucoup de blancs entre les répliques, et un manque de feu assez patent dans le rythme et l'élocution.
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La question du français classique
- Le plateau, peut-être plus prudent à cause de la prononciation restituée, semble en effet plus joliment musical qu'investi. S'il faut saluer André Morsch pour sa maîtrise non seulement du français, mais du surcroît de difficulté imposé par la prononciation restituée, la voix comporte un léger souffle, probablement dû à l'inconfort linguistique. On remarque surtout David Ghilardi, dont le Soleil rayonnant et le prince tyrien ductile flattent nos sens, et son pendant, Vincent Vantyghem, également remarquable dans la tessiture basse. (Le reste du plateau étant constitué de voix légères, de caractère pas toujours affirmé, mais très bien placées.)
- La prononciation restituée voulue par Benjamin Lazar (sur le modèle d'Eugène Green), bien que conçue de façon un peu systématique pour être exacte, a le mérite de faire sonner les rimes dans leur entièreté et de redonner du relief à la langue, de refaire découvrir des beautés noyées sous le parler usuel. A l'opposé, on y perd en spontanéité, l'émotion du texte passe nécessairement par le filtre d'une langue qu'il nous faut réapprivoiser. C'est pourquoi nous nourrissons sans doute une petite préférence pour la prononciation moderne, mais il faudrait le confirmer à l'usage - les enregistrements où la prononciation à l'ancienne est adoptée, maîtrisée et intelligible, bien qu'en forte augmentation, ne sont pas encore légion.
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Le noeud de la déception
- La difficulté essentielle du spectacle réside donc dans ce que l'on ne saurait se limiter à la restitution historique - quand bien même elle se montrerait en tout point fidèle - pour soutenir l'intérêt du spectateur. (Il faudrait aussi restituer l'atmosphère dans la salle, la culture des spectateurs, et l'idéal d'authenticité ne peut donc jamais être approché.)
- Benjamin Lazar revendique de faire du théâtre d'aujourd'hui tout en recherchant et respectant les codes d'antan. Dans ce Cadmus, malheureusement, on ne bénéficie pas du cadre captivant d'Alessio, et le statisme, la bousculade de ces choeurs et ballets convainquent assez peu au milieu de ces costumes bariolés et de ces décors factices. On aurait attendu plus d'idées à l'image de l'intervention des divinités dans des médaillons à la fin de l'acte I... Un peu plus de liberté ou de mobilité. Un peu plus de sens aussi que ce tableau en deux dimensions, assez univoque.
- Le matériau convainc donc, mais on a à plusieurs moment l'impression qu'il ne sert en rien la compréhension ou la profondeur de ce qui se passe en scène, qu'il l'illustre seulement. Comme si Benjamin Lazar, cette fois-ci, avait renoncé à sa part de création au profit d'une restitution rêvée.
- De même, le rythme des abondants récitatifs de Cadmus semblaient regarder, sur la longueur, la musique comme une pièce précieuse, à manipuler avec précaution, au lieu de s'en emparer de façon plus subjective. (Un manque d'urgence dans le rythme de déclamation, tout simplement, mais qui à la réécoute de la captation radio, est essentiellement dû au visuel et non pas aux musiciens.)
- On peut supposer que l'espace scénique supplémentaire, le temps et la familiarité aidant, les représentations de Luxembourg et de Caen, en mars prochain, auront partiellement résolu cette difficulté.
- Par ailleurs, il y a fort à parier que l'impact visuel de l'éclairage, l'atmosphère de reconstitution aient été terriblement émouvants une fois dans la salle. Derrière leur écran, les lutins ont été moins fascinés que pour Alessio - peut-être aussi parce qu'à l'endroit où la mise en scène valorisait une musique limitée, elle semble ici brider un chef-d'oeuvre de nous chéri.
Enchaînement de deux scènes comiques de l'acte II. On entend ici l'urgence de la version Rousset, avec en particulier la Nourrice virtuose de Thibaut Lenaerts. Daphné Touchais en Charite, et plus encore Vincent Billier en Arbas impressionnent assez.
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Les bonnes adresses de CSS :
- Licida développe un sentiment assez proche du notre sur Alma Oppressa : séduction, mais petite frustration du côté de l'urgence dramatique. Une crainte aussi, si ce concept venait à se systématiser (reléguant, sous l'impératif d'authenticité, la recherche de sens au rang des traditions poussiéreuses du vingtième siècle).
- Morloch, notre conteur badin préféré.
- Bajazet, le plus circonspect du lot, revient avec force détails sur les enjeux et les difficultés de ce Cadmus. Sur le même article insulaire, il aborde également les représentations des parodies de la Foire, très intelligemment données par l'Opéra-Comique dans le même temps. [1]
Notes
[1] La chose est d'autant plus judicieuse que l'opéra-comique en tant que genre provient lui-même de ces comédies des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent. L'opéra-comique n'est pas un opéra allégé de ses récitatifs ; il s'agit en réalité d'un théâtre qui inclut, pour des raisons de contraintes pratiques (à la suite de diverses interdictions), des « numéros » chantés. Le récitatif n'a jamais été pensé dans la forme de l'opéra-comique, qui d'une certaine façon ne peut se comparer à l'opéra, ayant une tout autre constitution. Le plus amusant est bien sûr que la musique prendra progressivement le pas sur le théâtre, comme pour l'opéra, et que des compositeurs comme Ernest Guiraud finiront par écrire des récitatifs pour exporter les opéras-comiques les plus consistants comme Carmen de Bizet ou les Contes d'Hoffmann d'Offenbach.
Commentaires
1. Le samedi 1 novembre 2008 à , par Morloch
2. Le samedi 1 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le samedi 1 novembre 2008 à , par WoO
4. Le samedi 1 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le samedi 1 novembre 2008 à , par Morloch
6. Le samedi 1 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
7. Le dimanche 2 novembre 2008 à , par Morloch
8. Le dimanche 2 novembre 2008 à , par vartan
9. Le dimanche 2 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
10. Le dimanche 2 novembre 2008 à , par Morloch
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