Paris insensé, I - Lady Macbeth de Mtsensk, Paris (30 janvier 2009)
Par DavidLeMarrec, mercredi 4 février 2009 à :: Disques et représentations :: #1129 :: rss
Lors d'une escapade imprévue en des temps peu propices, l'équipe farfadesque de CSS a pu assister à quatre concerts en trois jours, pour compenser sans doute une participation bien paresseuse de notre part à la saison bordelaise.
On débuta par Lady Macbeth de Mtsensk, et il faut préciser que nous n'avions, n'ayant l'occasion que depuis peu de pouvoir nous déplacer à Paris, et découvrant une salle après l'autre, jamais mis les pieds à Bastille. La salle répond tout à fait à sa réputation : confortable (pour autant que j'aie pu en juger, sur les marches grâce au providentiel Plan Mortier), assez chaude, une vision impeccable de partout, un orchestre extrêmement présent et détaillé, des chanteurs sans impact physique. Ce serait à changer en salle de concert, tant l'acoustique y est remarquable pour les instrumentistes (peut-être même légèrement flatteuse), et privée de tout contact physique avec le public pour les chanteurs - même des voix amples sonnent lointaines, un peu comme sur un CD EMI des années 80...
L'oeuvre en elle-même, surprise alors même que nous en connaissions déjà plusieurs versions dont le DVD de la même production, nous déçoit en salle, ce qui est toujours un fait exceptionnel... La musique si riche de cet opéra semble tellement 'verticale', se contentant d'aligner (avec un qualité d'écriture incomparable, naturellement) des effets, des ponctuations, des commentaires. Guère de contrechants, guère d'épaisseur musicale propre. Ce qui rend le prosaïsme du livret d'autant plus pénible : pas d'échappatoire du côté de la musique, contrairement à ce que nos écoutes antérieures nous avaient laissé entendre.
Et la dureté extrême de l'atmosphère est telle qu'on finit par s'interroger sur le sens de la démarche d'aller s'enfermer en salle pour se divertir de la sorte. Nous en discutions avec un lecteur de CSS qui se reconnaîtra ; en fin de course, on a l'impression que tout cela est inutile, parce qu'il n'y a aucune vision de l'homme, ou plutôt une seule sans équivoque : malveillant, intéressé, veule et en fin de compte irrécupérable. Finalement, cela nous dit bien peu de choses, tant il n'est pas possible d'écrire une telle musique (ou même un livret) en ayant véritablement cette conception des choses : le noir et blanc est plus subtil au bout du compte, parce qu'il y a au moins deux teintes au lieu d'une...
Sur la mise en scène de Martin Kušej, on ne peut qu'en dire le plus grand bien et l'admirer tout de bon : pour sa mobilité, sa force, sa pertinence, et sa beauté visuelle (malgré le caractère évidemment misérable et répugnant du milieu présenté). Plus encore, les choix qui nous avaient parus plus opaques au DVD se révèlent ici d'excellentes intuitions, avec éclat : ainsi cette cage au plafond bas, transparente, où Katerina est l'objet de la curiosité et de la convoitise d'un monde d'hommes, et constamment sous la surveillance de son beau-père ; ainsi sa perruque Monroe, une mode ces derniers temps qui nous faisait plutôt suspecter le manque de culture opératique des metteurs en scène, toujours prompts à rapprocher d'autres genres leurs références de mises en scène - mais elle est bien, pour ces gens qui l'entourent, un stéréotype.
Surtout, le dernier espace scénique, avec cette apparition progressive des damnés livides, marchant dans l'eau sous la passerelle, aux gestes arrondis et allentis par la lassitude et le désespoir, présente un tableau d'une très grande réussite visuelle. Tout se déroule en-dessous de la passerelle, ce qui permet de surcroît de régler avec une grande efficacité les mouvements de scène, en faisant disparaître dans le fond où derrière les poutrelles les personnages qui n'interviennent pas, au lieu de les laisser en présence où de les faire quasiment se croiser.
Côté interprétation, l'orchestre sous la direction de Hartmut Haenchen se montre absolument splendide, en particulier les bois. Et les chanteurs remarquables. Le russe d'Eva-Maria Westbroek sonne moins naturel à nos oreilles, du fait de l'éloignement peut-être ? (ou de la déformation au bout de plusieurs mois dans ce rôle ?) Sa voix, quoique un peu lointaine, sonne toujours ronde. A cette distance malheureusement, ses talents de diseuse ne sont pas perceptibles, et on remarque toujours son jeu toujours très appliqué - encore plus visible qu'avec les gros plans, elle semble toujours réfléchir très minutieusement à ce qu'elle fait. Ce qui ne l'empêche pas d'être pleinement convaincante, y compris théâtralement d'ailleurs.
Le beau-père de Vladimir Vaneev, doté d'une très belle expressivité et d'un superbe mordant typiquement russe, est un délice de tous les instants. Deux ténors admirables, LudovÃt Ludha d'une part, voix fine et sèche, droite, très franche, parfait pour ce rôle de bourreau au petit pied ; Michael König d'autre part, Siergueï dont la diction mérite d'être saluée, claire et articulée, assumant sans faiblir l'ensemble des contraintes du rôle, avec beaucoup de naturel.
Et parmi les seconds rôles, tous bien tenus, on peut distinguer le Pope rond, ample et profond d'Alexandre Vassiliev, très bien joué, et Lani Poulson, voix très corsée, en Sonietka.
Les choeurs d'Oulan-Bator, à défaut d'une diction soignée (on l'a dit, dans Chostakovitch, le rêve n'est pas permis), se sont montrés tout à fait honorables, nettement supérieurs à leurs Troyens en tout cas.
Au total, une soirée de très haut niveau, mais beaucoup de perplexité sur l'oeuvre : comment peut-on l'écrire, pourquoi veut-on la voir ? Avec ce décalage saisissant entre le disque, très valorisant, et la salle, qui montrait, à l'exception des valses ou fanfares grotesques très sympathiques, ses coutures et ses limites (ne parlons pas de faiblesses, ce serait hors de propos).
Commentaires
1. Le mercredi 4 février 2009 à , par Laurent :: site
2. Le jeudi 5 février 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 5 février 2009 à , par Laurent :: site
4. Le vendredi 6 février 2009 à , par Pois-de-senteur
5. Le samedi 7 février 2009 à , par Faust
6. Le samedi 7 février 2009 à , par DavidLeMarrec
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