Gabriel DUPONT - Les Mélodies
Par DavidLeMarrec, lundi 19 novembre 2007 à :: Mélodie française :: #772 :: rss
1878-1914
Gabriel Dupont est fort mal connu, on en convient. Pourtant, il incarne, on pourrait dire, comme un idéal de la mélodie française. Ni hiératique comme Debussy, ni maussade comme Fauré , ni solipsiste comme Duparc. Et cependant, il partage beaucoup avec ceux-là .
1. Aspect des mélodies
L'intégrale tient en trente mélodies tout rond - si l'on ne tient pas compte de la chanson de Myrrha, extraite de la cantate homonyme.
Cette musique, d'un abord assez facile, est d'un aspect assez fauréen, bien que des debussysmes s'y glissent ici et là . Une musique de son temps, tout simplement. Pourtant, pas une musique banale.
Plusieurs choses frappent chez Dupont.
- Le piano ne cherche nullement à fusionner avec la voix en une oeuvre totale. Il s'agit bien d'un accompagnement, très présent, délicat, figuratif à l'occasion, mais pas d'un partenaire égal. Cela procure à ces mélodies un sentiment de naturel, d'évidence, assez délectable.
- Le soin du texte extrême se mêle avec une très belle inspiration mélodique, ni immédiate, ni tortueuse - raffinée, tout simplement. Les courbes musicales épousent avec bonheur et force la prosodie de textes originaux pourtant dotés pour beaucoup d'une personnalité très prégnante.
- Un sentiment constant, dans cet accompagnement, d'un potentiel dansant, quelque chose qui tient de l'intermède de tragédie lyrique, toujours disponible pour esquisser un pas - bien qu'absolument conçu en « musique pure ». Un balancement envoûtant et entraînant, assez rare dans ce genre musical. Que vous ne trouverez pas chez Fauré, Debussy ou Boulanger, par exemple.
En effet, la séduction directe de la mélodie vigoureuse s'appuie sur le flot enthousiaste du piano, souvent des formes arpégées tout à fait à la mode d'alors, mais qui profitent des propriétés rythmiques assez remarquables de l'écriture de Dupont - que nous évoquions à l'instant.
Jugez-en par vous-même :
Les Effarés, texte d'Arthur Rimbaud, 1903.
Le ton est certes à rapprocher d'un Fauré, mais sans cette morosité un peu gluante, cette amertume constante qui pèse sur "l'âge d'or" de la mélodie française. En cela, la liberté de Dupont est à rapprocher de Duparc, bien que sa tristesse soit toujours plus jubilatoire que chez son vieil aîné.
Point non plus de poses charmantes conçues pour le salon, d'affects apprêtés chez Dupont. Le texte se révèle avec une grande vigueur, et la musique épouse sans détour ses lignes de force.
L'invention, quant à elle, n'est pas absente non plus. La comparaison des donneurs de sérénades de la « Mandoline » des Festes Galantes avec ceux de Debussy et Fauré est extrêmement éloquente à ce titre. Fauré propose une lecture lanscinante, presque lascive, un érotisme adapté à la compagnie charmante des salons. Debussy, plus conscient des enjeux du texte, expose une scène virevoltante, éclairée par un sourire ironique, mordante. Dupont, en ce qui le concerne, révèle minutieusement les expressions successives du poème, avec un éparpillement qui rejoint la claudication élégante propre au cycle de Verlaine - on songe à Pantomime -, le sourire à la lèvre. Sans disposer de l'élan communicatif de Debussy dans cette pièce, il parvient, par rapport à ses collègues, à approcher le travail du poète de façon très convaincante. Et quelle féérie dans les éclats de la fête !
Ce corpus est à notre sens, dans l'esprit de Fauré ou Boulanger, plus essentiel encore dans le paysage de la mélodie française. Bien entendu, il n'est guère comparable aux autres courants majeurs (Debussy-Ravel-Cras, Poulenc-Sacre...).
2. Catalogue des mélodies
Les poèmes mis en musique par Gabriel Dupont ne sont pas, vous en jugerez, tous de troisième ordre. On échappe à quelques inspirations plus plates d'Armand Silvestre, par exemple - également car le poème choisi en est vraiment mis en valeur admirablement.
- La Pluie (Paul Verlaine / 1895)
- Chanson d'automne (Paul Verlaine / 1895)
- Le Foyer (Paul Verlaine / 1901)
- Monsieur Destin (Georges Vanor, 1901)
- Mandoline (Paul Verlaine / 1901)
- Le Jour des morts (Georges Vanor / 1901)
- Annie (Leconte de Lisle / 1902)
- À la nuit (Auguste Lacaussade / 1902)
- Les Effarés (Arthur Rimbaud / 1903)
- En aimant (Armand Silvestre / 1903)
- Cycle : Poèmes d'automne (1904)
- Si j'ai aimé (Henri de Régnier)
- Ophélie (Arthur Rimbaud)
- Au temps de la mort des marjolaines (Suart-Merrill)
- La Fontaine de pitié (Henry Bataille)
- La Neige (Paul Verlaine)
- Le Silence de l'eau (Fernand Gregh)
- Douceur du soir (Georges Rodenbach)
- Sur le vieux banc (Léon Dierx)
- Journée d'hiver (Léon Dierx)
- Le Jardin mouillé (Henri de Régnier / 1906)
- Les Caresses (Jean Richepin / 1908)
- Chanson des noisettes (Tristan Klingsor / 1908)
- Les Caresses (Jean Richepin / 1911)
- La rencontre
- Le Baiser
- Deux mélodies (1909)
- Pieusement (Émile Verhaeren)
- Ô triste, triste... (Paul Verlaine)
- Deux poèmes de Alfred de Musset (1910 / 1911)
- Chanson
- Sérénade à Ninon
- Crépuscule d'été (Cécile Perin / 1912)
- Chanson des petits oiseaux (Jean Richepin / 1912)
Par ailleurs, il existe des oeuvres pour piano, vantées par Marie-Catherine Girod (qui les a jouées en concert) et Emile Naoumoff (qui a enregistré l'intégrale et attend à ce jour un financement pour distribuer le disque...), notamment ses cycles Les Heures dolentes et La Maison dans les Dunes ; des pièces pour orgue ou piano à pédalier ; des opéras (La Cabrera sur un livret d'Henri Cain, La Glu de Cain d'après Jean Richepin, La Farce du Cuvier et Antar) ; quelques poèmes symphoniques, dont une orchestration des Heures dolentes ; deux pièces de musique de chambre : la brève Journée de Printemps pour violon et piano (deux mouvements : Au matin et Au soir), et surtout le Poème pour quatuor à cordes et piano (trois mouvements : Sombre et douloureux, Clair et calme, Joyeux et ensoleillé).
Il faut noter que Gabriel Dupont a planché en même temps que Ravel sur les cantates imposées au Prix de Rome en 1901 (Myrrha), lorsqu'André Caplet, autre grand mélodiste, l'emporta, et 1902 (Alcyone), année de la victoire du franchement oublié Aymé Kunc. Il obtint le Second Grand Prix de Rome en 1901.
Si les trois cantates de Ravel (avec Alyssa, le livret imposé en 1904) ont fait l'objet d'un très bel enregistrement (Michel Plasson chez EMI), celles de Dupont n'ont évidemment jamais été rejouées. On attend toujours un programme, discographique ou non, qui nous ferait entendre les mises en musique d'une même année. Quitte à prendre une année où Ravel se trouvait sur les rangs, manière de pouvoir vendre le concert ou le disque. 1901, avec Caplet-Dupont-Ravel, ce pourrait être probant.
3. Ecouter Gabriel Dupont
L'intégrale des mélodies a été publiée par le providentiel label Timpani, au sein d'une riche collection consacrée à la mélodie française - sur laquelle il nous faudra revenir afin de guider l'auditeur potentiel dans les nombreux noms assez inconnus qui la composent.
Seule manque la dernière, faute de place sur le disque, que Timpani propose en téléchargement. Mais elle demeure très anecdotique face au reste.
Accompagnés par le piano souple de Marie-Catherine Girod - qui n'est sans doute pas étrangère à cette atmosphère de danse, par ses retenues judicieuses, sans la moindre affèterie au demeurant - Florence Katz, mezzo-soprane, et Lionel Peintre, baryton, se partagent assez également les mélodies, selon une judicieuse disposition non seulement chronologique, mais aussi distribuée par groupes, en alternance, ce qui permet tout à la fois de se familiariser avec chacun et de varier les couleurs vocales.
Lionel Peintre, pilier de l'édition mélodique de Timpani, y conserve ses caractéristiques habituelles ; voix de baryton tout à fait standard, ni claire « à la française », ni sombre à la mode d'opéra, belle, pas très personnelle, souvent « i » nasalisés à la façon de François Le Roux [1], certes mieux négociés, mais un peu esquivés sur le principe, quelques petites sensations de forçage, des harmoniques métalliques résiduelles qu'on oublie fort vite ; mais surtout une voix solide, capable d'une extension aiguë considérable sans altération du timbre, une diction parfaite, une capacité à habiter avec conviction ces textes pourtant neufs.
A défaut de posséder une personnalité vocale qui le rendrait très célèbre, un interprète qui vaut mieux que « l’excellente tenue » qu'on serait tenté de lui prêter - d'une curiosité, d'une probité extraordinaires, tout simplement.
Le suivre dans ces Dupont est un régal, qui outrepasse de beaucoup la fréquentation de spécialistes légendaires - qui ne savent pas aussi bien plier leurs moyens au style propre d'un compositeur. Et constamment engagé.
La réserve sur ce disque - relativement conséquente, eu égard au minutage concerné - proviendra de Florence Katz, une voix dont le timbre est hélas mal placé [2], ce qui cause de nombreux désagréments comme ces harmoniques désagréables (métalliques, ternes, un peu vertes), son opacité et son intelligibilité vraiment moyenne. Plus gênant, un sentiment (très probablement erroné, mais malheureusement présent à l'écoute) d'une relative indifférence aux oeuvres chantées, abordées comme une suite de contraintes, qui rappelle trop les massacres de mélodies dans les examens et concours, faute de moyens techniques et de connaissances stylistiques, voire tout simplement d'intérêt. Or, ce ne peut pas être le cas de Florence Katz, qui a également participé à ce disque si remarquable consacré à Guy Sacre.
Ce n'est en rien catastrophique, au demeurant, mais les conditions d'écoute moyennement adaptées des lutins, le contraste difficile avec l'excellence de Lionel Peintre, la déception de voir ces mélodies inégalement servies ont sans doute causé cette appréciation trop sévère de notre part. On songe à quelque chose entre Frauke May et Françoise Pollet, si vous voulez.
On regrette surtout que ces aspects un peu disgracieux ne soient pas compensés par l'engagement, que la distance demeure. Et qu'on puisse rêver à quelqu'un d'autre.
Il n'empêche, à ce qu'il nous en semble, que ce disque demeure indispensable pour connaître cette merveilleuse musique, et dans de très bonnes conditions quoi qu'il en soit.
A noter, Timpani a publié un autre disque, consacré à de la musique instrumentale : l'étonnant et charmant Poème pour quintette, ainsi que le second cycle pour piano La Maison dans les dunes, très réussi, vraiment touchant, mais plus commun en son temps.
L'opéra La Cabrera a été enregistré et publié par Bongiovanni - tremate, empi, tremate ! Au titre de son inspiration « vériste », et comme vainqueur de la dernière édition du concours Sonzogno en 1903.
Pour finir, une bonne nouvelle : l'auteur est certes mort le premier jour de la guerre de 14, mais de tuberculose, ce qui nous évite les trente années de prorogation des droits en cas de « mort pour la France ». Les partitions sont ainsi dans le domaine public, et toute exécution bénévole pourrait donc les diffuser largement - ce qui n'est pas le cas, à ce jour, de Ropartz, Cras ou Sacre, et d'une façon plus générale de cette musique française « nouvelle école ». [Le dernier de la liste étant aux dernières nouvelles suffisamment bien portant pour ne pas faire toucher ses droits par sa veuve.]
Commentaires
1. Le mardi 27 novembre 2007 à , par Morloch
2. Le mercredi 28 novembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mercredi 12 décembre 2007 à , par aymeric :: site
4. Le mercredi 12 décembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le jeudi 10 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
6. Le vendredi 11 janvier 2008 à , par sk†ns
7. Le vendredi 11 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
8. Le mercredi 23 janvier 2008 à , par sk†ns
9. Le mercredi 23 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
10. Le mercredi 23 janvier 2008 à , par sk†ns
11. Le mercredi 23 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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