La prosodie des Vier letzte Lieder (Quatre derniers Lieder) de Richard STRAUSS - [débat]
Par DavidLeMarrec, dimanche 30 septembre 2007 à :: Poésie, lied & lieder - Vienne décade, et Richard Strauss :: #669 :: rss
Il y a quelque temps, CSS a mené une joute fort sympathique sur ce sujet, et en profite pour proposer un petit résumé par ici, puisqu'il s'agit d'un petit exercice sur le rapport texte/musique. Nous soutenions que le travail prosodique de Strauss n'était absolument pas fin sur ces quatre derniers lieder, contrairement à ce qui nous était assuré.
Le terrain, malgré notre suggestion de Beim Schlafengehen, sur lequel nous avions déjà fourbi nos armes autrefois, fut déloyalement choisi sur Frühling.
Objet de la démonstration, notre énoncé qui faisait débat :
En réalité, Strauss demeure assez loin du texte, n'en traite que globalement les atmosphères (et les transfigure).
Frühling
In dämmrigen Grüften
träumte ich lang
von deinen Bäumen und blauen Lüften,
von deinem Duft und Vogelsang.
Nun liegst du erschlossen
in Gleiß und Zier,
von Licht übergossen
wie ein Wunder vor mir.
Du kennest mich wieder,
du lockest mich zart,
es zittert durch all meine Glieder
deine selige Gegenwart !
Faute de temps, on ne s'appesantira pas sur la traduction ni sur le poème lui-même - Beim Schlafengehen ne nous passionnait guère - ainsi que nos lutins - en tant que poème, de toute façon. Frühling est cependant plus séduisant, mais ces prolégomènes sont toujours dispendieux en temps et ne nous ont pas paru indispensables ici.
[Si toutefois vous ressentiez l'inverse à la lecture, les commentaires sont là pour ça, on précisera...]
Pour rappel, voici la mélodie en question :
Nina Stemme et surtout un Pappano inouï (avec Covent Garden), d'une délicatesse et d'une transparence exquises.
Un prêt sonore de Morloch qu'il faut remercier pour ses friandises.
Bien sûr, pour défendre le respect du texte, il y a la présence des interludes orchestraux entre les strophes.
Néanmoins :
- on rencontre beaucoup de coloratures, courtes ou non (Wogelsang, Wunder, lockest, Glieder, selige...). Le texte est en quelque sorte noyé dans cette longue ligne qui prime sur le rythme du poème - qui n'a plus de rythme, d'ailleurs. Qu'on compare avec Waldesgespräch ou Auf einer Burg d'Eichendorff/Schumann, par exemple (Liederkreis Op.39) ;
- la pensée textuelle de Strauss est ici plus encore que dans ses précédents lieder largement soumise à la musique. Les insistances sur les mots qu'on y rencontre n'ont en réalité rien d'expressif, tout au plus descriptives. Des insistances musicales qui poursuivent la ligne, l'épanchent, plutôt que de se rompre sur le sens. Tout au plus se suspend-on ainsi sur un mot fort. Mais que nous en dit-on ? Rien de plus ;
- de surcroît, la prosodie de Strauss est assez surnaturelle, avec des lignes (montées infinies [übergossen, Wunder...], longueur de souffle) que ne pourrait pas soutenir la voix parlée. Si bien, d'ailleurs, que le texte n'est jamais intelligible.
Ensuite, bien sûr, on ne peut qu'abonder avec ceux qui défendront la science de ces climats qui changent en un instant, s'illuminent... (übergossen !) Mais c'est précisément là la marque d'un sens de l'atmosphère, et non de la prosodie. Car la prosodie de l'allemand et le rythme du poème (faible-forte ou faible-faible-forte) sont impossibles à discerner, la musique enveloppe totalement l'ensemble qui n'est plus autonome. Il n'est pas envisageable de produire du parlando sur cette musique, par exemple.
L'allemand est accentué sur les mots forts, et notamment le verbe. Pour la versification, nous avions proposé un point ici sur un exemple précis. On garde plus ou moins cette accentuation, mais pour ce qui est du rythme de Hesse (assez original, pas de régularité à court terme), il est totalement perdu. Ce n'est pas précisément ce qu'on pourrait appeler exalter un poème - qui se trouve plutôt transfiguré, et en tout cas méconnaissable.
Il ne s'agit pas ici de souligner un défaut, mais bien plutôt de relever une caractéristique. C'est-à-dire que Strauss n'a pas à écrire des rythmes calqués sur Hesse ; cependant ses grandes lignes étouffent totalement, rendent impossibles à saisir ces rythmes premiers.
Pour travailler finement un texte, il ne s'agit pas de confirmer servilement ses inflexions ; on pourrait attendre, pour ceux qui soutiennent l'accomplissement du travail de Strauss sur ce point, que la mise en musique, à tout le moins, n'empêche pas que lesdites inflexions soient sensibles...
[Et il s'agit bien d'un choix, car cette conformation au texte n'a rien de monstreusement périlleux à réaliser, surtout pas pour un compositeur et homme de lettres de la trempe de Richard Strauss. La plupart des compositeurs de lied y parviennent sans la moindre peine - même Schumann, c'est dire (et dans une moindre mesure Reger).]
CSS aussi admire profondément ces pièces, s'en repaît régulièrement, de même que pour quelques autres « tubes » récurrents comme Morgen ; mais le plaisir s'en situe, pour tout dire, à un niveau purement musical - aucune émotion textuelle ici. Soit que les poèmes soient sans intérêt majeur, soit qu'ils soient tout simplements anesthésiés par ce flot musical merveilleux.
Ces pièces ne sont quasiment pas du lied, mais des poèmes symphoniques avec voix.
C'est en tout cas la conclusion de CSS, qu'il vous est loisible de contester autant que votre bon plaisir vous y invitera.
Pour prolonger la réflexion sur l'écriture liederistique de Richard Strauss.
Commentaires
1. Le dimanche 7 octobre 2007 à , par Bajazet
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3. Le lundi 8 octobre 2007 à , par Bajazet
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