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samedi 19 juin 2021

Un jour, un opéra – Saison 2


Un an et demi de crise universelle après, reprise de ce petit défi : chaque jour, j'explore un opéra donné dans un théâtre du monde, en donnant quelques éléments sur son intrigue, sa musique, son contexte esthétique, l'histoire du théâtre où il est représenté.

(Et, lorsqu'il est possible, un lien avec des extraits.)

Cette balade, déjà amorcée pendant les années passées, permet de découvrir des mondes insoupçonnés : beaucoup de titres locaux qu'on ne trouve pas aisément au disque, dans des langues inattendues, ou bien des titres qui existent, mais qu'on n'aurait jamais trouvés en cherchant au hasard !  Le répertoire d'opéra, à l'échelle d'une année ou, comme ici, d'une journée – où je sélectionne chaque jour le titre et le lieu qui me paraissent les plus piquants ou les plus parlants –, révèle une grande diversité de contenus, et souvent très accessibles. Beaucoup d'opéras contemporains pour la jeunesse, par exemple, tirés de livres spécialisés à succès !  Et puis des opéras qui servent de doublage à des films, qui exploitent des intrigues d'exploration du globe, de recherche mathématique, d'histoire grande (Kennedy, Marily Monroe) ou petite (les employés des partis politiques américains dans les années 60), de fantastique…

On peut aussi y trouver, dans certains pays à la politique tendue, des échos d'influences – lire les titres donnés actuellement à Lviv ou Kiev par rapport à ceux de Donetsk est à ce titre éclairant !  Ou voir la place des autocrates locaux dans l'édification des lieux, l'inclusion dans le tissu urbain ou au contraire la façon dont la maison d'Opéra a redessiné une part de la ville…

http://operacritiques.free.fr/css/images/opera_novara.jpg

Ce sont des vignettes écrites pour Twitter dans le train pendant mes 3h de trajet quotidien, aussi la syntaxe en est-elle un peu plus sommaire qu'à l'habitude. Je les importe, ici, supposant que ce genre de curiosité doit être au cœur des inclinations d'une partie du lectorat de CSS…

→ Le fil Twitter d'origine.
Saison 1, épisode 1 sur CSS.
Saison 1, épisode 2 sur CSS.
→ L'ancêtre de la série : catalogue mondial ordonné des opéras donnés en une saison (2017-2018).

(Et entre day job, reprise des concerts, de la vie sociale et poursuite des balades pédestres patrimoniales étendues, je manque de temps, pardon, pour produire des notules de qualité ces dernières semaines. Retour prochain.)

jeudi 14 mai 2020

[Défi 2020] – Un jour, un opéra – n°2


Le télétravail gourmand et les indispensables balades (dans Paris déserté ou dans la nature retrouvée) épuisent le plus clair de mon temps et font tourner CSS à plus petite cadence qu'à l'accoutumée.

Pour autant, on prépare quelques nouveautés piquantes, comme un panorama des arrangements des symphonies de Beethoven (certains savoureux !), ainsi que la suite de la série Une décennie, un disque – qui contiendra une étrange aventure, à savoir le bannissement des femmes (pour des raisons à la fois morales, liturgiques, politiques et musicales) des cérémonies funèbres officielles parisiennes pendant la Monarchie de Juillet !

En attendant, je continue de reporter ici le parcours « Un jour, un opéra », qui devrait vous apporter, en ces temps de restrictions spatiales, un peu de dépaysement légal et bienvenu.



Durant la saison 2017-2018, je m'étais lancé le défi d'éplucher la programmation lyrique mondiale et d'en proposer un catalogue (organisé par langues), en présentant les opéras rares qui, au milieu des milliers de soirs de Carmen(s) et Traviate, permettaient en réalité d'élargir réellement notre vision du genre, dans des styles extraordinairement divers. Les sujets des opéras contemporains (il y en a tant d'étonnants… que je ne pus finir) étaient particulièrement éclairants sur l'époque… et tout à fait intrigants, quand ce n'était pas résolument appétissants !  Le résultat est lisible ici.

Exploration passionnante mais extrêmement gourmande en temps (lecture de chaque saison, relevé, écoute, documentation, écriture, recherche d'illustrations, mise en forme, chaque notule représentait quelques dizaines d'heures), à laquelle je ne me suis pas prêté pendant la saison 2018-2019 – 2019 étant l'année du défi de l'écoute des nouveautés discographiques, comme vous avez vu.

Pour débuter 2020, la fantaisie m'a pris de reprendre l'exploration (quel fascinant biais de découverte de lieux, de compositeurs, de langues, d'histoire locale !), mais cette fois sans accumuler ni hiérarchiser : sous forme d'éphéméride, chaque jour un opéra (rare / révélateur / insolite si c'est possible) dans une ville du monde. Avec des liens vers des extraits. L'occasion de découvrir des maisons d'opéra, l'état réel du répertoire dans des pays dont nous connaissons mal la programmation, des figures musicales locales, des langages sonores sinon nouveaux, du moins différents. Un panorama de l'état du répertoire mondial par la bande des particularismes patrimoniaux et de la création contemporaine…

À suivre là.

Comme l'ensemble du parcours peut finir par intéresser les lecteurs de CSS, je reproduis ici le début de l'aventure.




🔵 Ce 26 janvier, à Greifswald en Poméranie Occidentale (tout au Nord-Est de l'Allemagne, sur la côte baltique, quasiment dans l'axe Sud de Malmö), on donne Snödrottningen (« La Reine des Neiges ») de Benjamin Staern, probablement dans sa version allemande Die Schneekönigin.

maisons d'opéra du monde


Le théâtre, inauguré en 1915 pour remplacer le précédent qui avait, comme c'est la tradition, raisonnablement été réduit en cendres quelques années plus tôt, dispose d'une salle – ainsi que vous le voyez – d'architecture assez originale.

maisons d'opéra du monde

La ville a la particularité d'avoir été sous domination suédoise de 1630 à 1815. Sous l'influence de la Réforme, son abbaye a été attribuée aux ducs locaux et ses briques réutilisées pour d'autres constructions.
(Beaucoup de bâtiments locaux, comme sur toute la côte Sud de la Baltique, sont érigés en Backsteingotik, en « gothique de briques ». Outre l'abbaye, il reste trois églises de ce style dans la ville.)

maisons d'opéra du monde

L'intrigue peut-être ? D'après le conte d'Andersen. L'ami de Gerda, Kaj, est frappé par un éclat du miroir de la (méchante) Reige des Neiges, ce qui lui fait un cœur de glace. Gerda brave tous les dangers et tous les sortilèges pour atteindre le palais où il est retenu, mais… elle demeure impuissante face au pouvoir de la Reine. Elle fond en pleurs, ce qui fait dégeler le cœur de Kaj.
Quelques citations ici.

L'œuvre ne dure qu'1h15, mais peut se destiner à un plus vaste public que les enfants : écriture tonale, certes, mais enrichie d'un grand nombre d'effets du XXe siècle, avec des sections assez intenses et impressionnantes. Très belle réussite !

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=a2J7ggsjdWk .




🔵  Aujourd'hui, 27 janvier, la Komische Oper de Berlin donne Jim Knopf und Lukas der Lokomotivführer d'Elena Kats-Chernin (1957-). Opéra pour enfants d'1h40, créé l'année dernière, d'après le best-seller de 1960 (depuis adapté au cinéma) de Michael Ende – l'auteur de L'Histoire sans fin.

maisons d'opéra du monde

Jim, Lukas et Emma la locomotive à vapeur quittent leur village de l'île de Lummerland, et mènent un voyage initiatique où ils gagnent finalement, des mains de l'Empereur de Chine, une île pour eux-mêmes.

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Langue musicale simple et jouissive, aux jolies mélodies bien faites et sans facilité. La production est de surcroît un enchantement pour les yeux, le plein d'aventures et de dépaysement.

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Dans ce théâtre inauguré en 1892, ayant servi à l'opérette et aux variétés, la compagnie (incluant un très bon orchestre permanent !) peut aujourd'hui se comparer à notre Opéra-Comique : œuvres légères, créations ambitieuses jeune public, œuvres contemporaines radicales.

Trois différences importantes néanmoins :
¶ la Komische Oper est moins portée sur le service du patrimoine spécialisé ;
¶ elle dispose d'un orchestre résident ;
¶ les mises en scène sont très orientées Regietheater-bidouille, pas du tout le tradi soigné de Favart.

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=8R8S5ZrGr0Y .




🔵 Aujourd'hui, 28 janvier, au Théâtre National de Weimar, on joue Die Königin der Farben d'André Kassel – dont le style, même dans ses œuvres pour la jeunesse, appartient plutôt à une atonalité aux matériaux épurés, laissant libre cours à la déclamation.

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Tiré d'un conte pour enfants conçu pour la télévision, cette Reine des Couleurs est aussi un livre de Jutta Bauer, illustré et interactif, bilingue allemand-anglais, dont on peut colorier la dernière page et où l'on peut découvrir le processus des couleurs complémentaires.

Malwida, reine des Couleurs, abuse de son pouvoir, si bien que les couleurs lui désobéissent et que le gris, qui échappe à son contrôle, remplace tout. Les couleurs finissent par revenir de leur plein gré.

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J'ai aussi choisi cette production à cause de son lieu : si la Staatskapelle de Weimar n'est plus l'un des orchestres les plus virtuoses de d'Europe, le lieu demeure un centre culturel important ; centre culturel goethéen, évidemment, mais aussi un creuset musical séculaire.

Patrons : Schein, Bach, Hummel, Liszt (qui y créa *Lohengrin*, et *Der Barbier von Bagdad* de Cornelius), R. Strauss (création de son *Guntram*, et de *Hänsel und Gretel*)… *Samson et Dalila* y connut sa première mondiale, et Abendroth en fut le directeur musical après 1945… !




🔵 Aujourd'hui, 29 janvier, l'Opéra de Vilnius (re)donne Kornetas d'Onutė Narbutaitė (1956-), mélange assez stimulant de nappes atonales assez nues et de lignes mélodiques lyriques & marquées par le folklore – chœurs hors scène très évocateurs !

maisons d'opéra du monde

Ce Cornette s'inspire de celui de Rilke – où son ancêtre du XVIIe siècle est supposé, après une nuit d'amour avec une comtesse autrichienne, chercher une mort héroïque face aux Turcs.

Le livret exploite, dans les derniers instants du porte-drapeau, l'aller-retour entre son présent et ses souvenirs, ce à quoi font écho le langage musical aux sources multiples et les réminiscences folkloriques, dans une mise en scène assez traditionnelle, mais transposée au XXe s.

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0FlKNgJV49k .

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Depuis quelques années que je surveille la programmation mondiale, je suis frappé par la vivacité de la production lyrique lithuanienne : par saison, plusieurs titres de divers compositeurs inconnus ailleurs, dans la langue nationale.

Une exception tandis que beaucoup de pays, quelle que soit leur langue officielle, commandent leurs créations largement en anglais ou en allemand.

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Et la qualité du fonds (notamment parce qu'il puise à la tradition et respecte les contraintes vocales) se révèle très stimulante !

Pourtant il n'y eut une maison d'opéra nationale qu'à partir de 1920, comme on s'en doute (et le bâtiment actuel date de 1976).

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Un des hits récents semble Lokys de Bronius Kutavičius, d'après la nouvelle fantastique d'ours-garou de Mérimée, située dans la région.




🔵 Aujourd'hui, 30 janvier, on donne à l'Opernloft de Hambourg, ancien entrepôt portuaire, un Krimioper (Opéra policier), Mord auf Backbord (« Meurtre à babord ») de Susan Oberacker (autrice).

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Je n'ai pas pu entendre l'œuvre ; je devine qu'il s'agit d'un pot-pourri de pièces célèbres ou pittoresques : une cantatrice et une touriste (en réalité enquêtrice) s'allient sur la trace d'un criminel pendant la croisière.. Avec de la chanson napolitaine et de la habanera…

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🔵 Ce 30 janvier, l'Opéra de Riga donne I Played, I Danced (en réalité chanté en letton) d'Imants Kalniņš, d'après la pièce de Rainis, conte scénique épique rempli de folklore.

maisons d'opéra du monde

Kalniņš est une figure particulièrement emblématique (et inhabituelle) en Lettonie : d'abord compositeur de rock, il écrit de la musique symphonique hybride, de la chanson, mais aussi des pièces de concert tout à fait 'conformes'.

Un festival, entièrement consacré à sa musique, avait même été interdit par les Soviétiques – qui redoutaient l'affirmation culturelle des Lettons, transmise par la musique et la poésie, les dainas notamment.

maisons d'opéra du monde
(Photo de Chris Belsten.)

Dans cet opéra, on retrouve sa manière hybride d'utiliser l'orchestre en grandes masses verticales, comme des riffs, tout en utilisant de nombreuses techniques de composition selon ses besoins.

Le livret déborde d'action, comme dans un vrai conte développé : à la suite d'une vilaine prédiction, le château s'embrase lors du mariage et la mariée meurt. Un joueur de kokle (sorte de cithare-psaltérion lettonne), Tots, descend dans l'autre monde pour accomplir les rituels qui sauveront la jeune épousée (pas la sienne, vous avez trop cru la vie c'est un opéra de Monteverdi).
Cependant à la dernière étape, la Terre absorbe le sang de sa résurrection et (attention PLOT TWIST) Tots donne le sien (fin du SPOILER) pour la faire revivre, ce qu'elle fait en reprenant ses chants.

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Chose amusante, il se trouve que ma pièce favorite de tout Kalniņš (une merveille de simplicité dansante) est une mise en musique du Psaume 80/81 : « Jouez des instruments, frappez le tambourin, jouez de la douce cithare et de la harpe ! », ce qui produit en letton Mostieties, stabules un kokles !

La maison d'Opéra de Riga existe depuis 1782 (théâtre alors de langue allemande), et le bâtiment date de 1863, rouvert en 1995 après rénovations post-soviétiques. Pour un opéra composé en langue lettonne, il faut attendre 1893 (Spoku stunda de Jēkabs Ozolsl).

Et le merveilleux Operavision.eu propose la vidéo sous-titrée intégrale pour six mois !
https://www.youtube.com/watch?v=gVCCGV0OxKY




La série a duré une bonne partie du mois de février, avant que la vie microscopique ne menace celle des gros (et bons) sons. Il reste encore un bon petit nombre de titres à vous faire découvrir !

Portez-vous bien, vous et vos oreilles.

samedi 25 janvier 2020

[Défi 2020] – Un jour, un opéra


Durant la saison 2017-2018, je m'étais lancé le défi d'éplucher la programmation lyrique mondiale et d'en proposer un catalogue (organisé par langues), en présentant les opéras rares qui, au milieu des milliers de soirs de Carmen(s) et Traviate, permettaient en réalité d'élargir réellement notre vision du genre, dans des styles extraordinairement divers. Les sujets des opéras contemporains (il y en a tant d'étonnants… que je ne pus finir) étaient particulièrement éclairants sur l'époque… et tout à fait intrigants, quand ce n'était pas résolument appétissants !  Le résultat est lisible ici.

Exploration passionnante mais extrêmement gourmande en temps (lecture de chaque saison, relevé, écoute, documentation, écriture, recherche d'illustrations, mise en forme, chaque notule représentait quelques dizaines d'heures), à laquelle je ne me suis pas prêté pendant la saison 2018-2019 – 2019 étant l'année du défi de l'écoute des nouveautés discographiques, comme vous avez vu.

Pour débuter 2020, la fantaisie m'a pris de reprendre l'exploration (quel fascinant biais de découverte de lieux, de compositeurs, de langues, d'histoire locale !), mais cette fois sans accumuler ni hiérarchiser : sous forme d'éphéméride, chaque jour un opéra (rare / révélateur / insolite si c'est possible) dans une ville du monde. Avec des liens vers des extraits. L'occasion de découvrir des maisons d'opéra, l'état réel du répertoire dans des pays dont nous connaissons mal la programmation, des figures musicales locales, des langages sonores sinon nouveaux, du moins différents. Un panorama de l'état du répertoire mondial par la bande des particularismes patrimoniaux et de la création contemporaine…

À suivre là.

Comme l'ensemble du parcours peut finir par intéresser les lecteurs de CSS, je reproduis ici le début de l'aventure.






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🔵 Aujourd'hui, 15 janvier, à Kaunas, au centre de la Lithuanie, on donne *Mr X.*, adaptation (en lithuanien ?) de *Die Zirkusprinzessin* de Kálmán, une pièce légère d'un compositeur dans le top 10 des plus joués au monde. (Car Csardás et Mariza sont présentes partout en Allemagne et à l'Est.)
La preuve, on joue l'œuvre aussi en Allemagne ce soir, à Hof.



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🔵 Aujourd'hui, 16 janvier, à Plzeň, à l'Ouest de la République Tchèque, on donne *Broučci* (« Les Coléoptères ») de Jan Jirásek, d'après un standard de la littérature tchèque pour enfants (publié en 1876, de Jan Karafiát), déjà l'objet de nombreuses adaptations !·
Jirásek a écrit beaucoup de jolie musique d'accompagnement pour des documentaires, dessins animés… de même pour sa musique sacrée, puisant à la tradition avec une petite pointe de vivacité supplémentaire. S'il écrit bien pour la voix, ce doit être très efficace et ravissant !



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🔵 Aujourd'hui 17 janvier, la « scène alternative » de l'Opéra d'Athènes propose Λεπορέλλα de Γιώργος Κουρουπός (Leporella ou Derrière le mur de Giorgos Kouroupos), d'après la nouvelle de Zweig. Opéra de chambre accompagné par 11 musiciens, en grec. (20€ maximum !)
L'intrigue : Leporella, rude femme du Tyrol, vient servir un baron viennois (forcément décadent), favoriser ses amourettes… jusqu'à ce que l'amour mutuel devienne incontrôlable. (Fin toute en catastrophes.)
Dans la langue musicale naïve, consonante et planante de Kouroupos.




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🔵 Aujourd'hui 18 janvier, on joue à Erevan, capitale de l'Arménie, *Anoush* d'Armen Tigranian, grand opéra du patrimoine d'après le poète national Tumanian, composé à peine avant le génocide (1912). Dans un genre évidemment tout à fait romantique, façon Danses Slaves de Dvořák.
Intrigue rurale : Anush se marie au berger Saro. Lors de la noce, celui-ci se prête au combat traditionnel avec le beau-frère – qu'il est supposé perdre. Mais il gagne, et le frère outragé le tue. Anouch se jette, selon une tradition éprouvée, du haut de la falaise. #SentaAttitude #HalkaStyle
Comme bien des opéras-emblèmes nationaux, existe en audio et même en vidéo.



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🔵 Aujourd'hui 19 janvier, l'Opéra de Budapest donne *János Vitéz* ('Jean le brave') de Pongrác Kacsóh, une adaptation musicale de 1904 d'un des grands poèmes épiques du XIXe – il y en a beaucoup de très beaux, comme La mort de Buda d'Aranyi (qui raconte l'ascension d'Attila).
János, enfant trouvé dans un champ, devient hussard et parcourt le monde. Il soumet le royaume des Géants, extermine les Sorcières, occit un dragon, parvient en bateau aux confins du monde, où les Fées l'unissent à sa défunte bien-aimée pour une vie éternelle. (si !)
Musique limpide et 'positive', très appréciée en Hongrie, pas du tout jouée ailleurs. [version historique miraculeusement chantée]



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🔵 Aujourd'hui, 20 janvier, on donne au Staatsopera unter den Linden, à Berlin, *Usher* d'Annelies Van Parys, compositrice flamande (1975-), qui écrit (d'après Poe, ici) dans une langue atonale aux impressionnantes bigarrures. [extrait]



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🔵 Aujourd'hui, 21 janvier, à Split (seconde scène de Croatie), on donne le grand standard de l'opéra croate (1935) *Ero s onoga svijeta* (« Ero de l'Autre Monde » traduit en anglais par « Ero le farceur ») de Jakov Gotovac, compositeur romantique très tardif (1895-1982).
L'intrigue rurale est fondée sur un plot twist : on ne découvre qu'à la fin que Mića (qui se fait passer pour 'Ero de l'Autre Monde') est un riche héritier du village voisin, venu trouver une fille qui l'aimera pour lui-même. Il trouve son bonheur avec Djula, et tous deux s'enfuient à la fin de l'acte II, avant la réconciliation générale de l'acte III, occasion de belles danses dalmates.
Un lyrisme simple, sans raffinement particulier, enrichi de quelques modes orientalisants. Vraiment pas du niveau des chefs-d'œuvre de Zajc ou surtout Hatze – les chœurs de paysans finissent, dans leur répétition et leur dépouillement sommaire, par ressembler à du Orff. Pour autant, c'est agréable (il faut penser à Mascagni ou Sorozábal pour situer).
Operavision avait capté la production, moins 'provinciale' mais tout aussi 'couleur locale', de Zagreb.



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🔵 Aujourd'hui 22 janvier, l'Opéra de Kiev donne *Les Zaporogues au delà du Danube* de Semen Gulak-Artemovskiy, opéra en ukrainien sur un sujet spécifiquement ukrainien – la libération des Cosaques de Zaporijia prisonniers des Turcs, à travers une petite histoire de fuite amoureuse manquée. (Finalement tous obtiennent leur pardon et peuvent retourner sur leurs terres.)
Gai et folklorisant, on peut y voir une collection de chansons autant qu'un opéra !  [extrait]

Depuis la guerre civile en Ukraine, les principaux opéras du pays reflètent la politique : patrimoine en ukrainien (Lysenko !) ou européen à Kiev et Lviv d'une part, *La Fiancée du Tsar* (Rimski-Korsakov) et *Une vie pour le Tsar* (Glinka) à Donetsk, d'autre part ! [lien]



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🔵 Aujourd'hui, 23 janvier, au Long Center d'Austin (Texas), on donne *Everest* de Joby Talbot, un opéra qui tisse le voyage au sommet et son récit, avec des tournures majoritairement minimalistes / très tonales, et des scènes de foule atonales façon The Ghosts of Versailles de Corigliano – où l'intrigue du passé, dans une musique très consonante, alterne avec un langage de nappes atonales pour les fantômes qui la commentent.
Fondé sur le récit d'une expédition de 1996, sur un livret par l'auteur de l'adaptation Moby-Dick (le bijou de Jake Heggie !), l'opéra a déjà été pas mal donné (y compris en Europe, à Hagen), notamment à Kansas City et Dallas. [extraits vidéo]



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🔵  Aujourd'hui, 24 janvier, on donne *Ermak* d'Alexander Tchaïkovski (neveu du grand compositeur soviétique Boris Tchaïkovski), à Krasnoïarsk : une commande au sujet remarquablement local, autour d'une figure historique de l'expansion russe, dans cette région ouest-sibérienne.
Alexander Tchaïkovski écrit ici dans la langue musicale des néos- de Russie, revenant à une écriture ultra-tonale, ramassée, presque sommaire (*Ermak* évoque par endroit le diatonisme simple, les rythmes, doublures et percussions alla Orff). [extrait]

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Ermak Timofeïévitch, brigand de la Volga, est devenu, sous Ivan le Terrible, le grand général qui ouvre la voie de l'Oural et soumet les tribus turcophones (notamment tartares) de l'Ouest de la Sibérie.

Figure coloniale ou Alexandre le Grand septentrional, comme on veut.

Le lieu est aussi particulièrement significatif : Krasnoïarsk, ville fondée quelques décennies seulement après la conquête, est située sur le Iénisseï, aux confins de ces terres de khanat sauvage (gentiment civilisées par les soldats d'un tire-laine caucasien).



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🔵 Aujourd'hui, 25 janvier, on donne *Manru* d'Ignacy Paderewski à Poznań, creuset d'un romantisme intensément lyrique, où un tsigane doit choisir entre l'amour de la liberté et la sédentarité en épousant la femme qu'il aime. Très bel opéra de 1901 (l'année de Rusalka !), très séduisant, où passe tout le XIXe siècle avec beaucoup d'élan, sur un sujet où les époux hors de leurs communautés (discrimination envers les Roms incluse) deviennent des Roméo & Juliette alternatifs. [extrait vidéo]

Ici aussi, représentations très symboliques (et régulières en Pologne) : Paderewski, immense pianiste concertiste des années 1880, fut le chef du gouvernement polonais en exil pendant les deux guerres mondiales (et ministre des affaires étrangères dans la foulée de la première !). Cet opéra était d'ailleurs, jusqu'à une date récente, le seul opéra polonais jamais donné au Met (a-t-on fait le Roi Roger depuis 2012 ?) : clairement un objet de prestige local, mais dont la musique généreuse vaut largement l'écoute.





Le prochain épisode demain sur le fil Twitter correspondant !
(et plus tard, pour un résumé de ce genre, sur CSS)

Beaucoup de ces œuvres, malgré leur confidentialité à l'international, sont disponibles en extraits, voire en intégralité. N'hésitez pas à suivre les liens – ou à demander.

Par ailleurs, les comptes-rendus de concert et nouveautés discographiques continuent d'être alimentés au jour le jour (sous ces formats plus flexibles qui permettent d'écrire pendant mes 4h de train quotidiennes !).

dimanche 1 juillet 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #8 : opéras contemporains et bizarreries (n°1)


Précédents épisodes :
 principe général du parcours ; 
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ; 
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français ;
#5 programmation en anglais ;
#6 programmation en polonais, tchèque, slovaque, slovène et croate ;
#7 programmation en espagnol, gaélique irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien, hongrois.



A. Le bout du chemin

Ce dernier volet est probablement le plus intéressant ; depuis onze mois, je relève et écoute patiemment les opéras donnés cette saison, avec pour résultat un panorama de ce qui est réellement donné à l'échelle d'une année dans le monde.

Certes, considérant la quantité (et le fait que tous n'ont pas été captés et diffusés, même s'il existe aujourd'hui un choix immense et inattendu en la matière), j'ai dû faire des choix, et j'ai fait porter l'effort sur ceux dont j'estimais déjà les compositeurs ou dont le sujet me paraissait fécond ou simplement amusant. Ce ne constitue donc pas une étude méthodique.

En revanche, cette assez vaste exploration permet tout de même de constater des tendances contre-intuitives.

Considérant les dizaines de titres à décrire (et certains qui me restent encore à écouter, n'ayant été donnés ou captés pour la première fois que cette saison), je livre ici une première partie de la fournée : certaines entrées sont déjà bien remplies, d'autres, vous le verrez, encore assez vides. C'est en cours.

Inutile de vous immerger en une notule sur ce que j'ai exploré en un an (voire davantage pour les reprises…), voici déjà une première livraison.



B. Langues

Sans surprise, deux langues dominent clairement la création mondiale : l'anglais et l'allemand.

Plus étonnant, il existe un microclimat de création dans certaines parties du monde : 4 opéras contemporains à l'échelle de la République Tchèque (dont certains sont des œuvres pour enfants, certes), 8 dans les pays baltes (dont la plupart dans les langues locales) !



C. Styles

Autre fait dont on pouvait se douter, mais dont je ne mesurais personnellement pas l'ampleur : de même que pour les mises en scène, hors du cœur de l'Europe dominante (Allemagne, Autriche, France, Italie, Espagne, éventuellement Angleterre), la plupart des œuvres sont écrites dans une langue musicale encore tout à fait tonale, ou au minimum une atonalité très polarisée et traditioonnelle… Les opéras expérimentaux bizarres sur les livrets abscons ne sont absolument pas la norme à l'échelle du monde – contrairement à ce que je croyais, beaucoup de créations & reprises aux États-Unis… à ceci près que ce sont des créations dans une veine néo-tonale (post-Puccini, post-Barber, etc.), pas du tout dans l'innovation, beaucoup plus proche de l'esprit des musiques filmiques.

Et il se trouve que beaucoup d'entre elles ne m'ont pas paru fades ni conventionnelles, mais réellement personnelles (à défaut d'inventer quoi que ce soit, mais l'opéra n'est pas vraiment le bon vecteur pour cela). Plusieurs très belles découvertes dans des veines variées, des opéras que j'ai pris plaisir non seulement à découvrir, mais à réécouter, et sis sur des livrets qui fonctionnent sur une scène théâtrale et ne versent pas dans l'hystérie phonématique ni la verbosité philosophisante avinée.

Il existe donc encore (pas en France ni en Allemagne, il est vrai) des gens qui écrivent de l'opéra traditionnel, ils semblent être au moins aussi nombreux que les compositeurs officiels qui occupent les scènes de l' « Europe culturelle » et, plus étonnant, qui réussissent des propositions assez abouties. Je ne saurai trop vous engager à faire le test, même si vous n'aimez pas le contemporain : j'ai laissé, lorsque c'était possible, les liens vers les vidéos (beaucoup sont disponibles), et la plupart sont plus faciles d'approche de Berg / Chostakovitch / Prokofiev / Britten, je vous le garantis.

Pour ceux qui au contraire cherchent dans le contemporain le prolongement des langages du XXe siècle, il y a aussi de quoi s'amuser – j'ai été très impressionné par l'aboutissement d'Anne Frank de Frid, dont je n'attendais pourtant rien. Et on rejoue les quasi-classiques (créations ou reprises de compositeurs d'opéra contemporain emblématiques) de Reimann, Rihm, Hosokawa, Adams, Eötvös, Glass, Adès, Benjamin, on présente aussi des nouveautés très stimulantes de Dean et Battistelli…



D. Sujets

L'autre grand sujet d'émerveillement a été non seulement la diversité, mais aussi l'audace, la liberté des sujets, n'hésitant pas à enfreindre les règles tacites sur la dignité du genre.

On se permet de refaçonner l'histoire récente (JFK, Marilyn, Anne Frank), on ose toucher aux plus grands classiques (le Minotaure, Ovide, le nô, Hamlet, Richard III, FrankensteinCyrano, Dracula, The Importance of Being Earnest, Usher, Canterville, Moby Dick, Solaris, Fin de Partie, Streetcar), aux contes et à la littérature de jeunesse (Le Chat botté, Les Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies…), aux films aussi (Marnie, Hercules vs. Vampires, Dead Man Walking, The Addams Family), aux bandes dessinées (Max et les Maximonstres), aux livres de psychiatrie (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), et on propose même des suites d'opéras (de la trilogie de Figaro, d'Aida ou de Gianni Schicchi), ou l'exploration d'aspects plus sociaux (alpinisme, homosexualité, Alzheimer, nucléaire), voire des opéras quasiment érotiques (en tout cas tout le sujet de la courtisane de Powder her Face, ou de Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…

J'ai même mis sur lan main sur quelques grands exemples de drames lyrico-nawak : une œuvre tout en glossolalies (splendide d'ailleurs : Svadba), un lipdub opératique pour un film de Bava (dans le goût des Maciste, sauf que c'est Hercule, contre des vampires), et même, mon préféré, l'opéra « d'espionnage onirique mathématique » de Mancuso, qui convoque Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie. À part ça l'opéra c'est triste et conventionnel, hein, et on va voir les Avengers au cinéma pour être surpris. Mais bien sûr.

Certes, on n'a toujours pas l'opéra de zombies (mais pas mal de vampires, c'est déjà ça !) ni celui sur Star Wars que j'appelais de mes vœux, mais avouez qu'on s'en approche beaucoup.



Je vous souhaite une excellente balade dans cet univers étrange… étendez les frontières de votre univers lyrique, vous verrez, de belles surprises, en plus grand nombre et en plus haute intensité que j'aurais jamais cru !



E. Histoire

Adams, Girls of the Golden West (San Francisco, Dallas, Amsterdam)
→ Le dernier opéra d'Adams se fonde sur des lettres écrites par une femme au moment de la Ruée vers l'or. Il s'éloigne plus que jamais du minimalisme et touche même à une forme de folklorisme hypertonal [vidéo], voire d'opéra populaire, au langage extrêmement consonant, aux limites du sirupeux [vidéo].
→ Je n'ai pas l'impression que ce soit le plus grand Adams, plutôt une utilisation de ses talents au profit d'une œuvre réellement adressée à tous. Je suis cela dit convaincu que c'est cette veine un peu filmique qui peut réconcilier un vaste public avec la création, plutôt l'univers de Marius et Fanny de Cosma, d'Il Postino de Catán, de The Fly de Shore, de Fellow Travelers de Spears, voire mes souhaits d'opéra-Star Wars ou d'opéra-zombies, que les explorations « sérieuses » autour de collages de poèmes d'auteurs d'avant-garde d'il y a soixante ans, enfermés dans leur bureau avec leurs fantômes et les psychoses, sis sur des musiques défragmentées impossibles à apprivoiser en un soir. Indépendamment de la qualité, d'ailleurs : il faut un sujet accessible et une musique acessible si l'on veut intéresser le plus grand nombre (c'est-à-dire ceux qui n'ont pas passé des heures d'écoutes dans le maquis des écoles sonores contemporaines, ceux qui écoutent volontiers la musique en fond, etc.). Au demeurant, à l'opéra, je suis convaincu que le langage est plus contraint, car l'on associe depuis l'enfance des émotions à des enchaînements du système tonal, et aussi, plus simplement encore, parce que la prosodie a ses contraintes, plus compatibles avec les mélodies conjointes qu'avec les grands sauts d'intervalle.

(Jay) Reise, Rasputin (Helikon de Moscou) – traduit en russe
→ Autour de la figure politique intriguante de la fin de l'Empire, un opéra plutôt bien écrit (dans un langage intermédiaire), déjà donné dans une mise en scène olé-olé (défilé de nus…) typique du potentiel du Helikon. Doit assez bien fonctionner en vrai – pas seulement visuellement, je veux dire.



F. Histoire récente

U. Zimmermann
, Die Weiße Rose (Gera)
→ Un bel oratorio sur le destin de Sophie & Hans Scholl, miliants pacifistes dans l'Allemagne nazie (bien évidemment exécutés). Seulement deux voix, sur une écriture modale, presque tonale, très douce et méditative – rien de planant ni de néo-, c'est bien de la musique contemporaine, mais qui hérite finalement de l'esprit des oratorios méditatifs ou hymniques du XIXe siècle, façon Mendelssohn ou Dubois, l'intimité en sus. Finalement donné assez régulièrement dans les pays d'Europe où le répertoire est le plus étendu.
→ Il en existe plusieurs belles versions au disque (celle chez Berlin Classics est particulièrement réussie.)

(David) Little, JFK (Montréal)
→ Là aussi, reprise d'une commande pour Fort Worth et l'American Lyric Theater. Assez étrange matériau musical : des boucles d'arpèges en accompagnement (qui évoquent presque plus les musiques de séries DC Comics que l'influence minimaliste, d'ailleurs), et une écriture mélodique qui sent l'influence du musical, sans être particulièrement évidente. Toutefois, ça a l'air de fonctionner avec une certaine fluidité, en tout cas musicalement – je n'ai pas réussi à bien suivre en audio seul (et je n'ai pas le livret).

Adams
, Nixon in China (Würzburg)
→ Sans doute l'œuvre la plus jouée d'Adams, malgré le succès fulgurant (et la qualité supérieure, me semble-t-il) de Doctor Atomic. C'est aussi le plus purement minimaliste de ses opéras, et celui dont le style est le plus proche de Philip Glass ; certes, l'harmonie en est plus riche (et moins fautive), mais les boucles d'arpèges à l'infini peuvent légitimement irriter les ennemis de l'immobilité. Opéra à part, que je trouve physiquement difficile à écouter, mais qui n'est pas dépourvu d'intérêt comme tant de glasseries. (Et qui marque par l'originalité de son sujet, sa place dans l'histoire contemporaine de l'opéra, etc.)



G. Bio-ops / Vies d'artistes ou célébrités

Rihm, Jakob Lenz (Bielefeld)
→ Le deuxième opéra du jeune Rihm (il l'écrit pendant l'année de ses vingt-cinq ans) se ne fonde pas sur un texte très tendu ni même toujours clair, mais il demeure écrit dans une veine qui, quoique atonale, demeure toujours pulsée, et prompte aux références à la musique du passé. Ce n'est pas constamment passionnant, mais on y trouvera de très belles choses, surtout si l'on est sensible à ce jeu d'échos.
→ Publié au disque, et présenté plus en détail sur CSS à l'occasion d'une représentation en 2006.

(Avner) Dorman, Wahnfried (Detmold)
→ Opéra satirique protéiforme, tantôt atonal post-bergien, tantôt cabaret grinçant, qui met en scène l'univers domestique des Wagner. Chamberlain (le théoricien racialiste) y fait un discours sur fond de défilé de walkyries, et à l'exception du Maêêêêêtre, tous sont là : Cosima, Siegfried, Winifred, Isolde, Bakounine, Hermann Levi, l'Empereur… et même un Wagnerdämon !
→ Ce doit être du grand n'importe quoi (et un peu prêchi-prêcha, vu les personnalités en présence – difficile de présenter Chamberlain autrement qu'avec distance, à tout le moins), mais les extraits disponibles en ligne laissent penser que ce doit être assez amusant. Déjà donné ces derniers mois, au moins à Karlsruhe.

Frid, Das Tagebuch von Anne Frank
→ L'opéra d'une heure de Grigori Frid mélange de façon très étonnante les styles du XXe siècle… le Prélude est d'une atonalité acide, avec des stridences et des agrégats hostiles, tandis que le chant s'apparente bien davantage à l'univers des lieder de Max Reger, du jazz, en tout cas de la tradition. Tout cela se mélange, alterne, avec un résultat qui peut ressembler à du Berg de jeunesse comme à de l'atonalité libre du second XXe… assez séduisant en réalité, d'autant que dans la représentation que j'ai vue, Nina Maria Edelmann chante avec un timbre, une diction et une éloquence magnétisants. [vidéo]

Bryars, Marilyn Forever (San Francisco)
→ Créé à au Long Beach Opera il y a deux ans, je crois – en tout cas pas une création. Le projet est de montrer Monroe dans l'intimité plutôt que dans la gloire publique, et utilise des styles musicaux assez variés, ça se déhanche comme du jazz blanc, les voix ne sont pas toujours purement lyriques. Joli (malgré le sujet qui m'intéresse très peu), mais je n'en ai entendu que des extraits.



H. Littérature patrimoniale

(Alexander) Zhurbin, Métamorphose[s?] de l'Amour (Stanislavski de Moscou)
→ Adapté d'Ovide, je suppose.
→ De la tonalité errante typiquement soviétique (mais capable d'être authentiquement primesautier, chose rare dans cette génération – né en 1945) dans ses symphonies, mais aussi de véritables chansons… je suis plutôt curieux de ses opéras. [Les crochets sont de moi, je ne disposais que du titre traduit en anglais, où le pluriel est indécelable.]

Hosokawa, Matsukaze (Nouveau National de Tokyo)
→ Le sujet est tiré d'une pièce de nô de Zeami (fin du XIVe siècle) et, comme Hosokawa en a pris l'habitude, chanté dans une langue européenne influente – ici, l'allemand.
→ On y retrouve le sens des textures et des atmosphères propre au compositeur, sac et resac de la mer, tintement des clochettes des portiques sacrés… toujours beaucoup de poésie chez Hosokawa. (Des bandes enregistrées diffusent en outre les bruits de l'eau de l'Océan.)
→ Vocalement, il y a là sans doute moins d'intérêt, l'essentiel se trouvant plutôt dans le climat et l'évocation que dans le drame et l'élocution, mais le tout fonctionne très bien. (Lorsque ça a été créé à Bruxelles, il y avait néanmoins de quoi se remplir la glotte : Hannigan, Hellekant, Olsen, Vocalconsort Berlin… et c'était dirigé par Heras-Casado !)
→ À écouter ici.

(Brett) Dean, Hamlet (Glyndebourne)
→ Dean confirme son affinité avec l'opéra : un savoir-faire d'orchestre remarquable, pour commencer, avec une qualité de fondu et de cohésion rare dans les écritures contemporaines ; vocalement aussi, les lignes ont vraiment une direction, et ne s'opposent pas aux nécessités de la prosodie et de l'expression. Par ailleurs, le langage accessible (atonal, mais très polarisé et avenant) permet réellement de s'approprier ses œuvres. Il n'y a plus dans Hamlet l'aspect un peu expérimental de Bliss, belle réussite également, mais dont le geste ne paraissait pas à ce point assuré. Il est bon de constater qu'il reste des compositeurs d'opéra.
→ Court extrait vidéo de la production.

Battistelli, Richard III (Venise) – en anglais
→ Dans un langage quelque part entre l'atonalité polarisée et la tonalité élargie, Battistelli écrit dans une langue non dépourvue de lyrisme… Il fait un grand usage des chœurs, notamment dans la scène finale, où ils flottent en beaux agrégats, impalpables, au-dessus de la scène jonchée des cadavres que foule le nouveau roi. Mérite d'être entendu.
→ [extraits vidéos captés au Grand-Théâtre de Genève en 2012 : 1, 2]

Tamberg, Cyrano de Bergerac (Tallinn) – en estonien
→ Compositeur estonien contemporain (mort en 2010). Cyrano (1974) est écrit dans une langue sonore délibérément archaïsante, que je trouve assez irrésistiblement charmante – un peu à la façon du Henry VIIIde Saint-Saëns ou du Panurge de Massenet, pour situer. Cela sied si bien au ton à la fois lointain et badin, épique et familier qui parcourt l'ouvrage. Contrairement à Alfano (à mon sens plus loin de l'esprit, même si l'acte V est une merveille), ici Cyrano est baryton et non ténor – ce qui paraît beaucoup plus cohérent avec toute sa dimension d'anti-jeune-premier. 
→ L'écriture manque peut-être de contrastes (et les épisodes sont réellement très raccourcis, peu de discours !), mais elle recèle aussi de belles trouvailles, comme la délicieuse cavatine de Christian qui ouvre la pièce (tout l'acte I est supprimé étrangement, point de tirade du nez ni de ballade du duel, on débute au II avec les « ah ! » de l'aveu manqué). Le personnage de Roxane est remarquablement servi : Tamberg lui attache une harmonie plus archaïque et une orchestration spécifique (qui ne se limitent pas à son leitmotiv, mais accompagnent ses interventions tout au long de l'ouvrage), qui traduit de façon particulièrement persuasive l'empire et la fascination qu'elle exerce sur les protagonistes qui l'entourent.
→ [extraits vidéos] ; on peut aussi voir l'intégrale dans une production filmée que j'ai dénichée sur le replay de la télé estonienne (on a les passe-temps qu'on peut). L'opéra est aussi disponible chez le label ♥CPO !

(David) DiChiera, Cyrano à Charlotte (Caroline du Nord) – en français
→ Il s'agit du véritable texte (coupé et parfois arrangé – « hanap » devient « coupole »), mis en musique par David DiChiera (né en 1935) dans une langue complètement tonale, et simple (beaucoup d'aplats, pas particulièrement virtuose). L'accent porte évidemment davantage sur le texte (d'ailleurs les facéties de l'acte I sont conservées, pas seulement l'histoire d'amour), mais je trouve cependant le résultat moins prégnant musicalement que chez Tamberg, clairement.
→ Voyez par exemple la tirade du nez et le quintette des noces (production de Detroit 2008), très traditionnels.

Reimann, L'Invisible (Deutsche Oper de Berlin) – en allemand
→ L'opéra réunit trois courtes pièces de Maeterlinck, L'Intruse, Intérieur et La mort de Tintagiles ; on y retrouve la langue postberguienne de Reimann, peut-être moins aride que dans Lear. Je trouve personnellement la langue musicale de Reimann (à la fois grise et très dramatique) assez incompatible avec l'univers de Maeterlinck, mais les critiques ont été dithyrambiques. Il faut dire que la distribution, réunissant le délicieux Thomas Blondelle et la miraculeuse Rachel Harnisch, magnifie tout ce qui peut l'être dans cette partition.

(Jack) Heggie, Moby-Dick (Pittsburgh, Salt Lake City)
→ L'opéra de Jack Heggie est manifestement un succès (puisqu'il aussi été donné, ces dernières années, à San Francisco et Adelaide, au minimum), et il faut dire que sa veine tonale mais riche, lyrique mais variée ne manque pas de séduction. Le texte du livret, simple et sans façon, la place efficace des chœurs, permettent d'entrer aisément dans cette veine épique, très directe.
→ [extraits vidéos]

Kurtág
, Fin de partie (Milan)
Kurtág a déjà mis en musique les poèmes de Beckett, qui cadrent bien avec ses énoncés musicaux énigmatiques et son matériau raréfié. Dans les pièces plus longues, ou bien pour grand orchestre ou pour voix, je ne l'ai jamais trouvé convaincant, sa grâce fragile habituelle se dissout dans un langage et un discours difficiles à saisir, sans les pôles ou restes de folklore qui affleurent dans ses aphorismes weberniens accoutumés. Pour la voix, ce sont aussi les intervalles trop disjoints, qui s'éloignent vraiment de la parole tandis que la musique ne compense pas par une richesse accrue (comme c'est souvent le cas dans les opéras ambitieux, à partir de Wagner).
→ Je ne parie donc pas vraiment, structurellement, sur un succès, mais je suis tout de même curieux d'entendre cette œuvre (qui doit faire à elle seule la durée d'un tiers ou un quart de son catalogue…), de voir ce qui a pu pousser ce poète, qui n'a plus rien à prouver et qui ne cherche pas l'exposition superflue, à se lancer pour la première fois dans une aussi vaste et délicate entreprise. (C'est le texte qu'il lui fallait, en tout cas ! – même si j'aurais personnellement davantage aimé un Pilinszky.)
→ Repoussé à la saison prochaine.

Previn, A Streetcar Named Desire (Pforzheim en Bade-Wurtemberg, Boise dans l'Idaho)
→ Sur le texte littéral (bien sûr coupé) de la pièce de Tennessee Williams, un bijou absolu de conversion musicale à l'américaine : naturel du galbe des mots, aspect nonchalant de l'accompagnement discret mais mobile… l'atmosphère est très exactement campée, et les mots croqués avec gourmandise. Un Capriccio à l'américaine, en mieux.
→ Existe au disque (Fleming-Previn, chez DGG).



I. Contes et jeunesse

(Jonathan) Dove, Le monstre du labyrinthe
→ Livret assez didactique (et bavard sur les émotions), musique qui cherche à être accessible, mais qui n'est pas toujours très séduisante – on dirait que Dove prend garde à appauvrir son langage pour ressembler à de la comédie musicale plus qu'il n'en trouve les clefs grisantes (ça ne pulse ni ne mélodise guère). Pour autant, de la jolie musique tonale très accessible, pas très saillante certes, mais qui ne rebutera personne. Pensé pour le jeune public (parce qu'il y a des chœurs d'enfants très présents ?), mais vraiment sérieux et immobile pour cela.
→ Avait été diffusé en vidéo par Arte Concert.

(Jens) Joneleit, Schneewitte-
→ Théâtre musical. Mélanges étranges entre chuchotements conceptuels, longs textes parlés, bouts de ponctuations sonores, chant amplifié mi-mélodique mi-atonal… il faut plutôt le voir comme une musique de scène, vraiment un habillage sonore plutôt qu'un opéra.

(Efrem) Podgaits, Lord of the Flies (Théâtre Musical des Enfants de Moscou) – en russe
→ Joli sujet bien dramatique pour un opéra. Par ailleurs, Podgaits écrit remarquablement pour chœur (tonal mais avec beaucoup de notes étrangères et d'accords très riches), dans une tradition sophistiquée qui évoque plutôt les Scandinaves et les Baltes que les Russes. Très appétissant.



J. Fantastique

(Gordon) Getty, Usher House (Santa Monica en Californie)
→ Dans un langage qui évoque l'atonalité romantique (héritage revendiqué de Schönberg), un peu gris, mais avec un certain sentiment de naturel et de liberté, une variation autour de la nouvelle de Poe. Getty parle de la prévalence de sa propre nécessité intérieure sur le fait de faire de la nouveauté. (pour autant, cela ressemble bien à de l'opéra du second XXe)
→ Se trouve au disque chez PentaTone (2013) avec notamment Christian Elsner, Étienne Dupuis, Lawrence Foster.

(Gordon) Getty, The Canterville Ghost (Santa Monica en Californie)
→ Ce versant plus comique du legs de Wilde a aussi été capté chez PentaTone, avec le Gewandhaus de Leipzig (direction Foremny, le chef de la monographie Oskar Fried). La déclamation est évidemment plus à nu, sans être particulièrement savoureuse, mais cela s'écoute sans grand effort, même si l'absence de séduction particulière du langage renforce un peu le côté braillard inhérent à l'opéra post-1800 en général.

(Frank) Wildhorn, Dracula (Detmold)
→ Bien que référencé sur Operabase, il s'agit d'un musical (amplifié, émissions en belting, musique semi-synthétique, pulsation et harmonie caractéristiques), assez joli d'ailleurs. L'influence des Miz de Schoenberg est frappante, ce qui propose une bien belle fresque, très fluide et vivante, culminant dans de beaux ensembles ! 
→ L'intrigue suit de très près le roman, tout en en changeant l'end game : Dracula cherche ultimement à séduire Mina plutôt qu'à conquérir le monde, et l'ambiguïté érotique du vampirisme est beaucoup plus explicitement développée (de façon assez convaincante d'ailleurs).
Vidéo complète et sous-titrée en anglais.

(Victoria) Borisova-Ollas, Dracula, en suédois (Stockholm)
→ Un orchestre mahlérien à oiseaux et cloches, un souffle lyrique au parfum nordique, du chant aux mélodies conjointes pénétrantes, une petite merveille, qui puise à bien des influences, et s'organise comme une douce cantate, au service des douceurs de la langue suédoise.



K. Science-fiction

Fujikura
, Solaris (Augsburg)
→ Une des trois adaptations de Solaris de Lem présentées sur  les scènes d'opéra. En anglais, et mêlé de ballets et de doubles. Présentation de l'œuvre dans cette notule de 2015.



L. Cinéma

(Nico) Muhly, Marnie (ENO de Londres)
→ Adaptation du roman de Winston Graham, mais il est évidemment que la proposition, sans rien récupérer de la partition de Bernard Herrmann, compte sur la notoriété du film de Hitchcock.
→ Je n'ai pas réussi à trouver la bande complète (mais elle doit exister, ayant été jouée et filmée au Met)… on y entend manifestement un vrai lyrisme tonal, mâtiné d'influences adamsiennes, aussi bien dans les recherches harmoniques que dans les orchestrations à coups de boucles… Lorsque ce fut joué à New York, avec Isabel Leonard qui a un physique très actrice-des-fifties (outre le timbre splendide, bien sûr), ce devait être saisissant.



M. Suites ou échos d'opéras

Langer : Figaro Gets a Divorce (Poznań)
→ Le sujet, supposément la suite (un brin actualisée) de La Mère coupable, rate complètement son objectif. Texte sans saveur, sans humour, sis sur un langage sonore contemporain très standard (atonal gris indifférencié), sans le moindre esprit qui puisse cadrer avec les personnages, réussir les références à Rossini-Mozart-Milhaud, ni quoi que ce soit. Et quand, avec un sujet en or comme cela, on assiste à cet objet médiocre, il y a de quoi être grognon.
→ Avait été diffusé sur Arte Concert, doit encore se trouver. Mais à quoi bon ?

Ching, Buoso's Ghost (Wilmington au Delaware)
→ Une fois que Gianni Schicchi a dupé les cupides cousins de Buoso, ceux-ci tâchent de récupérer le bien de leur défunt parent. Schicchi découvre qu'ils avaient planifié l'empoisonnement de Buoso.
→ Musique assez sommaire (d'aimables ostinatos), mais agréable. Quelques citations de l'original, d'ailleurs (« Addio, Firenze »).
→ Un extrait vidéo avec accompagnement de piano, ici.

Eötvös, Radames (Neue Oper de Vienne)
→ Plus qu'une suite, c'est un « opéra des coulisses », comme l'Opera seria de Gassmann ou El dúo de La Africana de Fernández Caballero : en raisons de coupes budgétaires, le chef d'orchestre ne peut réunir que trois musiciens (saxophone soprano, cor, tuba, et lui-même au piano) ; il embauche un contre-ténor (qui peut tenir la tessiture sans coûter aussi cher) et qui fera à la fois Radames et Aida. Au bout des 35 minutes de l'œuvre, le contre-ténor (ainsi que tous les participants, si j'ai bien suivi) meurt, écrasé sous la pression de la production. L'œuvre suit les répétitions.
→ Une œuvre de 1975 (révisée en 1997), d'un jeune Eötvös, contient beaucoup de « bruit blanc » et de dialogues parlés, majoritairement en allemand. Musicalement, rien de très bouleversant, malgré des ensembles intéressants (mélangeant le chant du chanteur de l'intrigue et le chant de assistants de production, sur différents niveaux de rythme et de vgolume). Mais il n'est pas un secret que je n'ai jamais beaucoup estimé Eötvös compositeur (comme chef, c'est autre chose).
→ Quelques extraits sur sa page professionnelle.



O. Aspects de la société & actualité

Hosokawa, Stilles Meer (Hambourg)
→ Conçu comme un hommage au aux victimes de Fukushima, cet opéra explore plusieurs des facettes de Hosokawa (notamment son intérêt pour les percussions seules, dans la veine du très impressionnant taiko traditionnel japonais), avec un résultat très contemplatif (tout le monde est assis sur le bord d'une plate-forme et commente).
→ Je n'ai pas encore eu l'occasion de l'écouter en intégralité, ni surtout avec le livret du grand Hirata ; mais le tout est facile d'accès, puisque publié en DVD par EuroArts dans une belle distribution (Fujimura, B. Mehta, Nagano).

Adès, Powder Her Face (Magdebourg, Detmold, Brno)
→ Conçu pour un accompagnement alla jazz, la décadence d'une demi-mondaine ambitieuse dans la première moitié du XXe siècle. Pas exactement plaisant, vu le sujet (bien plus réaliste et sordide que Lulu), ni très joli musicalement, mais comme toujours avec Adès, accessible et très bien intégrée au théâtre. L'œuvre est d'ailleurs régulièrement reprise depuis sa création, ce qui est loin d'être la norme. [Pour ma part, c'est The Tempest que j'aime vraiment de lui, du Britten en plus animé.]

(Gregory) Spears, Fellow Travelers (Chicago)
→ Amours uranistes entre un jeune diplômé et un officiel sexagénaire du Département d'État, dans l'entourage de McCarthy et l'action anticommuniste américaine. Créé à Cincinnati, un beau succès ; il en existe même un disque, chez le label de l'orchestre, Fanfare Cincinnati.
→ Musique purement tonale, à l'accompagnement très étale, au matériau très simple (petites volutes de vent sur aplats de cordes…), avec des accords de quatre sons, la plupart du temps en tonalité majeure, qui permet de se dédier à la conversation en musique (très peu d'ambitus, on comprend tout sans livret !) sans être concurrencé par l'orchestre. Très belles atmosphères, le livret (plaisant sur l'univers administratif et militant) se situe quelque part entre Le Consul de Menotti et un épisode de The West Wing, la romance en prime ; la musique entre la simplicité du musical, Hahn (début de l'acte II de L'Île du Rêve, tout est écrit sur ce patron), Martinů (Juliette, Ariane, Jour de bonté), Barber (plutôt l'Adagio et les moments limpides de Vanessa), Damase (L'Héritière plutôt que Colombe), Adams (les parties les plus simplement mélodiques d'El Niño ou Doctor Atomic)… Beaucoup de formules régulièrement motoriques (façon petit train), de petits rebonds comme les accompagnements de Damase (doublure de piano permanente), et même une petite imitation du début de Rheingold dans le tableau à St. Peter.
→ À l'échelle de l'histoire de la musique, vraiment simplet – surtout en ce que les accompagnements sont repris lorsque revient une situation comparable ! (très beaufinal qui s'enrichit et s'irise légèrement, cela dit)
→ À l'échelle d'un opéra où l'on peut suivre le texte (pas mauvais d'ailleurs), un petit bijou, si l'on aime les couleurs claires, les climats apaisés. Vraiment rien de tourmenté là-dedans, tout est toujours joli. [Ça me parle énormément, mais je conçois très bien qu'on trouve que ça manque de corps.]
→ Quelques extraits, avec un aperçu de la multiplicité des lieux, sur un des interludes instrumentaux (on entend bien la nudité de cette musique apaisés, à défaut de pouvoir vérifier la qualité très réelle de la déclamation-conversationnelle).
→ Repris dans une [notule].

Dayer, Alzheim (Berne)
→ Comme l'indique son titre, l'évocation de la maladie autrefois décrite comme simple démence sénile.

Nyman
, The Man who Mistook his Wife for a Hat (Krefeld, Mönchengladbach)
→ D'après un livre à succès du neurologue Oliver Sacks, paru en 1985, décrivant les systèmes et symptômes les plus étranges croisés pendant sa carrière.
→ Musique typiquement répétitive, bien sûr. Je dois m'y plonger avant d'en parler sérieusement.



P. Langues minoritaires

(Jan) Gorjanc (né en 1993 !), Julka in Janez (Ljubljana) – en slovène
→  Du contemporain défragmenté, traversé de répétitions plus minimalistes et de bouts de tonalité, pour ce que j'ai pu en juger.
→  [très bref extrait vidéo]



Q. Zarby

(Ana) Sokolović, Svadba (Montréal)
→ Objet particulièrement étrange, donné à Aix-en-Provence en 2016. Un opéra sans texte, essentiellement des chants vocaliques qui miment un mariage, pour six voix de femmes, quasiment sans accompagnement. D'une imagination sonore et d'une virtuosité qui n'ont que peu d'exemple : déroutant et enchanteur, sur une durée d'une heure à peine.
→ [Capté en vidéo à Aix, cela se trouve en DVD me semble-t-il, et en tout cas en ligne – sur Arte, plus sûr que ça y soit. Extrait ici, mais cette étrangeté se goûte sur la longueur.]

(Patrick) Morganelli, Hercules vs. Vampires (Nashville, Tucson)
→ On est tenté de ricaner et d'insinuer qu'il ait en préparation un Maciste contro gli morti caminanti ou un Lannister ed i Argonauti… à ceci près que cet Hercule est bel et bien une adaptation d'un film de Bava !  Et davantage encore, une proposition de bande son, censée être jouée pendant le film, les chanteurs prenant la parole lorsqu'on les personnages sont dans le champ de la caméra (spoiler : le lip dub n'est pas parfait…). Un objet très étrange, commandé par l'Opéra de Portland, mais repris en plusieurs endroits depuis 2010.
→ Des bruitages ont été conservés, et le langage est traditionnel, plutôt proche d'une musique de film, en un peu plus planante, et au dramatisme accentué par le langage opéra ; très américain aussi, dans ses harmonies, on sent bien la nation de Barber là-dedans. Assez beau, même si la juxtaposition avec les images n'est pas parfaite. Malgré le débit par essence beaucoup plus lent, les chanteurs sont finalement beaucoup plus bavards que les acteurs du film !
Extrait ici.

Mancuso, Atlas 101 (Trévise)
→ Créé en novembre à Trévise sur une seule date, il se présente lui-même comme un « opéra d'espionnage onirique mathématique », où apparaissent, comme personnages chantés, Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie. Oui, voilà.
→ Je n'ai pas réussi à en entendre des extraits (pas sûr qu'il y ai eu une captation officielle sur si peu de dates, hors des archives du théâtre), mais ce semble à coup sûr bizarre.

Rihm, Das Gehege (Bruxelles, Stuttgart)
→ Il s'agit seulement d'un monodrame, commandé par l'Opéra de Bavière, écrit en 2004-2005, créé par Gabriele Schnaut (ouille). Mais on n'est pas si loin de l'opéra dans la mesure où l'Aigle dont il est question est incarné sur scène par un mime.
→ Le texte tiré de Botho Strauß : une femme rêve de se faire déchirer [sic] par un aigle, ouvre sa cage, mais constatant qu'il est vieux et impuissant, le tue. Deux lignes. Une heure. De sucroît la musique est tout sauf vénéneuse, tourmentée ou paroxystique, une atonalité douce assez poliment ennuyeuse à mon gré – sorte d'Erwartung délavé.
→ Vous pouvez en voir une représentation (sans Schnaut !) ici et même suivre la partition sur le site de l'éditeur.



Et pas encore présentés, mais à titre d'indication :



R. Opéras de compositeurs vivants, mais tchèques

Schiffauer, Zob, Zob, Zoban !!! – en tchèque (Ostrava, en Moravie)
Kubička
, Jakub Jan Ryba – en tchèque (Plzeň)
Acher, Sternenhoch – en tchèque (Prague)
Nejtek, Règles de bonnes manières dans le monde moderne, en tchèque (Brno)



S. Opéras de compositeurs vivants, mais baltes

Puur, The Colours of Clouds – quelle langue ? (Tallinn)
Lill, Dans le feu – en estonien (Tartu)
Liepiņš, Turaidas Roze – en letton (Riga)
Ešenvalds, The Immured – en anglais (Riga)
Mickis, Zuikis Puikis – en lituanien (Vilnius)
Šerkšnytė, Cinq Miracles de Marie – en lituanien (Vilnius)
Tamulionis, La petite Airelle – en lituanien (Vilnius)



Troublantes propositions, n'est-ce pas ?  À bientôt pour la suite !

(avec le bilan de ma propre saison francilienne dans l'intervalle… peut-être aussi quelques ténors verdiens et une histoire de la contrebasse, nous verrons)

(et je vous dois les images des jolis-théâtres pour cette notule ! ; leur collecte, leur mise en forme et leur commentaire vont me demander un couple d'heures que je n'ai pas présentement)

dimanche 10 juin 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #7 : espagnols, celtiques, scandinaves, finno-ougriens


Précédents épisodes :
 principe général du parcours ; 
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ; 
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français ;
#5 programmation en anglais ;
#6 programmation en polonais, tchèque, slovaque, slovène et croate ;
#7 programmation (ci-présente) en espagnol, gaélique irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien, hongrois.

À venir : il ne reste plus que la grosse notule sur les les opéras contemporains ; pas tous, seulement ceux intriguants, amusants (ou même réussis, car cela arrive quelquefois).



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La salle du Teatro Solis, une des scènes d'opéra de Montevideo.



Opéras en espagnol

Les raretés sont essentiellement des zarzuelas, évidemment – c'est-à-dire des opéras espagnols d'essence légère. Légèreté qui est plus théorique qu'absolue, de même que l'opéra comique en France… on y trouve aussi bien des fantaisies loufoques comme El dúo de La Africana de Fernández Caballero (histoire de préparation dysfonctionnelle d'une représentation de Meyerbeer) que des histoires d'amour plus traditionnelles et sérieuses. Néanmoins, il ne faut pas se laisser abuser par l'utilisation générique du titre hors d'Espagne pour désigner quasiment tous les opéras espagnols qu'on ne joue pas ailleurs : les opéras à sujet véritablement sérieux, comme Marina d'Arrieta ou El gato montés de Penella Moreno, ne sont pas des zarzuelas.

Les quatre pièces que j'ai retenues comme raretés sont en réalité des standards du répertoire hispanohablante, largement et luxueusement enregistrées ; régulièrement données malgré leur peu de notoriété à l'échelle mondiale.

Bretón, La verbena de la paloma à Montevideo (Uruguay)
→ Le grand standard de la musique légère (género chico). Le livret a abouti dans les mains de Bretón à la suite d'une série de défections, et bien que moins expérimenté que les premiers pressentis, ce fut un grand succès dès la première de 1894.
La musique, malgré la date, demeure très simple, surtout au service des scènes pittoresques et piquantes, de morceaux de chansons, de personnages de caractère, tout cela pendant une fête de la Vierge à Madrid.
→ [vidéo]

Penella Moreno, El gato montés (Zarzuela de Madrid, Kaiserslautern)
→ L'un des titres les plus célèbres (alors qu'on serait souvent bien en peine de citer le compositeur), en particulier à cause du paso doble qui a acquis sa célébrité propre hors du contexte de l'opéra.
→ Juanillo, un hors-la-loi, aime et est aimé de Soleá, gitane protégée de Rafael, le torero (qui l'aime également, que croyiez-vous). Les deux hommes s'affrontent à coup de navaja mais sont séparés par la fille de bohème. Tout cela m'évoque confusément quelque chose de familier, mais quoi ?  (Spoiler : ça ne finit pas très bien.)
→ L'œuvre, quoique de 1917, est écrite dans un romantisme tout à fait traditionnel (post-verdien, disons), qui prend simplement en compte certaines avancées de l'orchestration et de l'harmonie (de jolies doublures de bois qu'on ne trouve pas en 1850 et des enchaînements un peu plus variés) – les doublures de lignes chantées par les cordes, typiques de Puccini, sont aussi adoptées par Moreno comme Sorozábal. Du point de vue de la composition, ce n'est pas un chef-d'œuvre particulièrement singulier, mais l'œuvre est robustément écrite et, parmi les œuvres de langue espagnole, fait figure de modèle dans ce genre lyrique et pathétique.
→ [écouter]

Sorozábal, La tabernera del puerto (Zarzuela de Madrid)
→ Alors que nous sommes en 1936, Sorozábal écrit un opéra qui s'apparente davantage à du Delibes. Là aussi, du véritable romantisme, mais il s'agit d'une zarzuela, donc pas du tout dans le même esprit pathétique qu'El gato montés : la musique demeure toujours intensément lyrique et lumineuse, dotée d'une veine mélodique évidente et généreuse qui a fait son succès. Là non plus, on ne révolutionne rien, mais le résultat est très séduisant, quelque part entre l'Élixir d'amour et le postromantisme puccinien.
Le livret se déroule, à une époque contemporaine de la composition, dans un port imaginaire de la côte Nord de l'Espagne, où la tavernière Marola fait tourner toutes les têtes sans rien demander. Pour se débarrasser de Leandro (qu'elle aime), le père de Marola l'envoie s'occuper d'un chargement de cocaïne (!). Leandro est englouti dans les mers et réapparaît miraculeusement à la fin, ce qui entraîne la confession du père sur le piège tendu (il finit en prison).
→ L'air de Leandro (le soupirant cocaïné) « Non puede ser » reste donné quelquefois en récital par les ténors de langue espagnole.
→ [écouter]

Piazzolla
, María de Buenos Aires (Staatsoperette de Dresde, Halle, Graz, Nashville, San Diego, Eugene dans l'Oregon)
→ Est-ce réellement un opéra, ou une comédie musicale écrite dans le style tango, difficile à dire. L'œuvre, qui n'est pourtant pas célèbre en soi, connaît en tout cas une fortune impressionnante à travers le monde, forte de la notoriété de Piazzolla… Et de fait, ça ressemble à un concerto pour bandonéon et voix, sis sur des textes d'Horacio Ferrer… Il faut dire que le résultat est réjouissant et véritablement accessible à quiconque n'a pas en horreur le tango – une sorte de version étoffée et complexifiée des chansons et danses habituelles.
→ [écouter]



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La grande salle de concert de Dublin, où Eithne a été donné cette saison.



Opéras gaéliques

Le gaélique irlandais est institutionnellement la première langue officielle de la République d'Irlande, devant l'anglais (quoique beaucoup moins parlée et comprise). Elle est indo-européenne, mais d'un groupe qui n'a beaucoup de locuteurs et n'est adossé à aucun état. Elle est parente du gaulois ou, plus proche, du gallois et du breton. À l'opéra, elle est essentiellement présente par Eithne d'O'Dwyer, encore régulièrement donnée.

O'Dwyer, Eithne en irlandais (Dublin)
→ Militant de la mise en valeur de la culture gaélique, O'Dwyer est le premier à proposer un opéra représenté en gaélique, et cela explique le caractère emblématique d'Eithne, régulièrement redonné en Irlande ces dernières années, après une période d'éclipse… à chaque fois une sorte de célébration nationale, quelque chose que les locuteurs de langues plus dominantes que menacées, comme l'anglais ou le français, ne peuvent pas pleinement appréhender.
→ La première tentative remontait à 1903 (un opéra de Thomas O'Brien Butler), mais l'opéra Muirgheis avait finalement été représenté en anglais !
→ Son style demeure très romantique, et m'évoque beaucoup celui des opéras anglais du milieu du XIXe siècle (même vocalement, on pourrait croire, en entendant les timbres anglophones et les accentuations, qu'il s'agit d'anglais mal articulé, alors que la langue parlée n'a véritablement aucun rapport) : on songe vraiment à Macfarren (Robin Hood), voire Balfe (Satanella) ou Wallace (Maritana, Lurline…) – ces deux derniers nés irlandais, au demeurant – avec un orchestre (un peu) plus riche.
→ Rien de très singulier, donc, mais agréablement écrit, et sans doute émouvant quand on connaît la langue – sinon, à l'oreille, la différence n'éclate pas, et à tout prendre j'aime davantage les fantaisies de Macfarren.
→ [vidéo]… du concert de cette saison !



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L'intérieur du célèbre Opéra de Copenhague.



Opéras danois

Kuhlau, Lulu (Copenhague)

→ Grand succès national, ce n'est évidemment pas la Lulu de Wedekind en 1824, mais le Prince Lulu, emprunté au conte de Weiland qui servit également de source à la Flûte enchantée de Schickaneder et Mozart. Opéra très vivant, nombreux dialogues entre solistes et chœurs, flux très animé, comparable aux opéras de Spohr et de Schubert, avec quelques airs vocalisants qui se rapprochent davantage du Rossini seria. La fin inclut même du mélodrame (voix parlée accompagnée), et le chœur final navigue quelque part entre Mozart et Hérold. Mérite vraiment d'être connu : le nombre de parentés qu'on est obligé de cité montre bien sa singularité, car le langage en est très cohérent et personnel, d'une grande plasticité dramatique.

→ La vie de Kuhlau est peut-être plus célèbre que son œuvre : reconnaissable sur les portraits à son œil manquant (il est tombé sur la glace à sept ans), il a quitté Hambourg en 1810 (six ans après le début de sa carrière locale) pour fuir la conscription napoléonienne. L'essentiel de sa production de maturité est donc danoise, au point de devenir l'emblème de l'opéra de ce pays et dans cette langue.

→ Son premier opéra danois se fondait sur son équivalent littéraire qui fait la bascule vers le romantisme, Oehlenschläger. Quant à son opéra le plus glorieux en son temps, une comédie (ElverhøjLa Colline aux Elfes), il n'est plus guère joué, alors qu'il inclut des thèmes (sonores) folkloriques et un hymne à la royauté… c'est aujourd'hui Lulu, un drame plus pur, qui occupe la place de principal opéra national danois.

[Vidéo tirée de la production de cette saison.]



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La grande salle de concert d'Oslo – où l'on se rend compte que, dans ces villes du Nord, l'absence d'enjeu du nombre permet de réaliser de belles salles sans doute très satisfaisantes acoustiquement et visuellement.



Opéras en bokmål

Il existe en réalité deux langues qu'on nomme norvégien en français ; apparues toutes deux de façon délibérée au milieu du XIXe siècle, elles ont suivi une logique exactement inverse. Le nynorsk (néo-norvégien, 20% des locuteurs) se fonde sur l'unification de vieux dialectes du fonds nordique commun, plus proches de l'islandais et du féroïen ; à l'inverse, le bokmål, la langue des villes (80% des locuteurs), est une adaptation du danois à la prononciation et au vocabulaire spécifique de la Norvège. Les deux ont leur littérature, mais le bokmål est celui des deux norvégiens qui est connu à l'étranger : c'est la langue d'Ibsen, la langue des opéras de Borgstrøm, celle dans laquelle on chante Les Miz, celle aussi des fictions télévisuelles (comme la remarquable série Okkupert de Nesbø… on y entend du bokmål, du russe, de l'anglais, du suédois… mais pas un pouce de nynorsk, même dans les parties qui se déroulent à la frontière Nord).
J'avais retracé rapidement cette bizarrerie dans cette ancienne notule.

Irgens-Jensen, Heimferd en bokmål, à Oslo
→ Un postromantique norvégien de valeur (sa Symphonie vaut le détour), ici c'est un oratorio qui est donné, au caractère très évocateur, dans la tradition de la grande cantate symphonique et épique qui court de Schumann (La Malédiction du Chanteur, Le Page et la Fille du Roi) et Gade (Comala) à Mahler (Klagende Lied) et Schönberg (Gurrelieder).
→ [extraits] tirés du disque Ruud avec Stene, Bjørkøj et le plus bel orchestre du monde…




opéra göteborg
Couleur locale de l'Opéra de Göterborg.



Opéras en suédois

Menotti, Le Téléphone en suédois (Göteborg)
→ Un des titres les plus charmants de tout le répertoire, musique très accessible (mais plus en conversationnel qu'en sirop flonflonnisant), une saynète sur l'intrusion des technologies dans la vie sociale et amoureuse. Il est souvent traduit en langue vernaculaire (je l'ai vu sur scène en français il y a quelques années), et c'est un moment délicieux dont je me sens encore imprégné.




opéra tallinn
Architecture ecclésiale (et blancheur russisante) à l'Opéra de Tallinn.
Le bâtiment extérieur est pourtant immense, mais la salle de taille réduite.



Opéras estoniens

L'estonien n'est pas une langue balte, mais ouralienne, très proche du finnois. On l'entend bien, même à l'Opéra, à la répétition de syllabes, en fin de mot… Les techniques de chant aussi, souvent un peu rocailleuses (pas totalement en avant, avec des timbres un peu râpeux), sont très comparables.

Tamberg, Cyrano de Bergerac (Tallinn)
→ Compositeur estonien contemporain (mort en 2010). Cyrano (1974) est écrit dans une langue sonore délibérément archaïsante, que je trouve assez irrésistiblement charmante – un peu à la façon du Henry VIII de Saint-Saëns ou du Panurge de Massenet, pour situer. Cela sied si bien au ton à la fois lointain et badin, épique et familier qui parcourt l'ouvrage. Contrairement à Alfano (à mon sens plus loin de l'esprit, même si l'acte V est une merveille), ici Cyrano est baryton et non ténor – ce qui paraît beaucoup plus cohérent avec toute sa dimension d'anti-jeune-premier.
→ L'écriture manque peut-être de contrastes (et les épisodes sont réellement très raccourcis, peu de discours !), mais elle recèle aussi de belles trouvailles, comme la délicieuse cavatine de Christian qui ouvre la pièce (tout l'acte I est supprimé étrangement, point de tirade du nez ni de ballade du duel, on débute au II avec les « ah ! » de l'aveu manqué). Le personnage de Roxane est remarquablement servi : Tamberg lui attache une harmonie plus archaïque et une orchestration spécifique (qui ne se limitent pas à son leitmotiv, mais accompagnent ses interventions tout au long de l'ouvrage), qui traduit de façon particulièrement persuasive l'empire et la fascination qu'elle exerce sur les protagonistes qui l'entourent.
→ [extraits vidéos] ; on peut aussi voir l'intégrale dans une production filmée que j'ai dénichée sur le replay de la télé estonienne (on a les passe-temps qu'on peut). L'opéra est aussi disponible chez le label ♥CPO!



theater basel
Le Theater Basel, qui donne Hubay cette saison.



Opéras en hongrois

Erkel, Hunyadi László (Budapest)
Hunyadi est le second opéra romantique hongrois le plus célèbre, après Bánk Bán du même compositeur. Le sujet est, de même, inspiré de l'histoire politique des rois hongrois. Ici, épisode du XVe siècle : le successeur du roi Hunyadi János (qui appartient à un parti adverse) veut tuer le fils de son prédécesseur, pourtant un brillant général de l'armée ; multipliant les tentatives, tombant amoureux de sa fiancée, le tout culminant dans l'horreur d'une mort injuste que rien ne peut suspendre – quatre coups de hache pour séparer le la tête du corps de László.
→ On décrit en général Erkel comme l'équivalent de Verdi en Hongrie. Et, de fait, le modèle est totalement verdien (avec des touches de valses rythmées de triangle, plus à la façon des opéras légers germaniques). Mais sans la même évidence mélodique, sans la même urgence dramatique. Je ne le trouve pas particulièrement savoureux – dans le genre simili-verdien, Foroni, Faccio ou Catalani me paraissent beaucoup plus excitants.
→ [vidéo]

HubayAnna Karenina (Bâle)
→ L'œuvre est originellement écrite en hongrois, mais il est très possible, comme cela se fait souvent dans les pays germanophones pour les œuvres rares tchèques ou hongroises (voire les opéras comiques français, pour lesquels il existe toujours une tradition vivace d'interprétation en traduction), qu'elle soit jouée en allemand.
→ HUBAY Jenő (né Eugen Huber) est surtout célèbre comme violoniste ; virtuose, ami de Vieuxtemps, pédagogue, la discographie le documente essentiellement comme compositeur de pièces pour crincrin. Néanmoins, cet opéra, fondé sur une pièce française (Edmond Guiraud), lorsqu'il est écrit en 1914 (mais représenté seulement en 1923), appartient plutôt à la frange moderne, d'un postromantisme assez tourmenté et rugueux. Très intéressante et intense.
→ Hubay a écrit neuf opéras, dont certain sur des livrets assez intriguants : Alienor en 1885 (traduction d'un livret d'Edmond Haraucourt), Le Luthier de Crémone en 1888 (traduction d'un livret de François Coppée et Henri Beauclair), La Vénus de Milo en 1909 (d'après Louis d'Assas et Paul Lindau) et plusieurs inspirés de contes et récits populaires hongrois.
→ [extrait]



Et ensuite ?

Ne reste plus que l'ultime notule, sur les opéras contemporains (rien qu'avec les titres, c'est assez passionnant).

Il aura donc fallu une saison pour faire le tour de… la saison !  Mais que de richesses à découvrir au fil des épisodes… je vous recommande vraiment, puisque beaucoup sont disponibles en ligne dans de bonnes conditions (vidéos, parfois sous-titrées…), de vous laisser amuser ou surprendre par cette diversité qu'on ne se figure pas, lorsqu'on a ses habitudes dans une maison ou un pays, ou qu'on feuillette simplement la programmation mondiale.

Des gemmes tout à fait inhabituelles et stimulantes sont disséminées, et si on ne peut y aller, on peut cependant aisément les découvrir, ou simplement s'interroger sur ce que ces différences disent des identités (ou des identifications) locales. Puisse CSS avoir contribué à votre émerveillement !

mercredi 14 mars 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #6 : slaves occidentaux et méridionaux


Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français ;
#5 programmation en anglais.

À venir : celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



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Plaisante perspective de l'Opéra de Poznań, qui vient de programmer Nowowiejski.



1. Opéras slaves occidentaux : en polonais


Moniuszko, Straszny dwór (« Le Manoir hanté ») (Varsovie, Cracovie)
Moniuszko, Halka (Varsovie, Bydgoszcz)
→ Comme La Dame blanche, Le Manoir hanté (prononcez « strachné dvour ») a été un succès considérable dans la veine du fantastique comique (une mystification peu prise au sérieux), et demeure un grand classique des scènes polonaises.
→ Les deux opéras sont écrit dans un langage qui s'apparente beaucoup à ceux d'Europe occidentale, les opéras allemands légers (façon Martha de Flotow) et les opéras comiques français (beaucoup, beaucoup de convergences avec D.F.E. Auber !). Le livret du Manoir semble par ailleurs devoir beaucoup à l'influence d'Eugène Scribe, alors un modèle jusqu'en Russie.
→ Autant le Manoir me paraît assez pauvre, presque donizettien, autant Halka (sans dialogues parlés, entièrement composée), une histoire d'amour romantique et tragique assez ordinaire, dispose de beaux climats, d'une déclamation soignée, qui mérite réellement le détour – par la Pologne en l'occurrence, car si vous attendez de le voir passer au bas de votre porte…
→ Les disques existent, mais les livrets sont rarement fournis ; The Opera Platform avait diffusé une version vidéo (sous-titrée) du Manoir, si vous pouvez mettre la main dessus… Pour Halka, on trouve en ligne plusieurs versions, dont la belle Satanowski (avec Wiesław Ochman !).

Żeleński, Goplana (Varsovie)
→ Cet opéra dispose d'une entrée autonome sur CSS. Là aussi, diffusion sur The Opera Platform avec sous-titres français, qui a bien sûr se trouver quelque part.
Żeleński, de la génération suivante (né en 1837 contre 1819 pour Moniuszko), propose une musique globalement plus intéressante : le discours musical est continu, et à défaut de beaucoup moduler, l'accompagnement adopte un peu plus de variété.
Goplana (1895) raconte les manipulations des fées pour trouver un mari à leur gré, menaçant le pauvre navigateur ou manipulant le prince, à coups de sorts, de mensonges, de doubles amours, d'épreuves, de jalousies, de menaces. Cette tragédie terrible appuyée sur du vaudeville féerique (les contes slaves peuvent priser très fort le nawak) propose un véritable dépaysement, et la  musique continue, sans être très marquante, échappe à la fragmentation en numéros et coule très agréablement, le petit frisson folklorique (du sujet, mais aussi des danses) en sus.

Różycki, Eros i Psyche (Varsovie)
Cet opéra de de 1916 constitue un bijou d'aspect étonnant : on peut y entendre, sans aucun effet hétéroclite, l'influence de nombreux courants. On entend passer des tournures qui renvoient à Lalo (Le roi d'Ys), Massenet (Panurge), Debussy, Puccini (les moments comiques de Tosca), R. Strauss (grandes poussées lyriques, ou la fin quelque part entre Daphne, avec l'harmonie plus slave des chœurs patriotiques de Guerre et Paix de Prokofiev…). Tout cela dans une belle unité, un sens de la poussée, vraiment de la très belle musique, une synthèse de l'art européen.
→ Różycki a aussi écrit de la musique symphonique, des concertos, et notamment  des poèmes symphoniques sur Le roi Cophetua, ou Mona Lisa (complation très richardstraussienne) !
→ La production donnée au Théâtre Wielki (la salle de l'Opéra National de Varsovie) était de surcroît très accomplie musicalement (c'était en octobre), on peut en attraper des bouts en ligne – cet opéra est une rareté jusqu'en Pologne !

Szymanowski, Król Roger (Wrocław)
→ Malgré son statut de classique moderne, le Roi Roger n'est pas si souvent donné. Pas une rareté (une belle discographie, même), mais une œuvre à laquelle on pense moins, et que je mentionne.
→ Outre la langue, outre le livret mystico-uraniste très étrange (même sans les têtes de Mickey), il faut dire que ce n'est pas exactement une œuvre accessible : les modulations sont incessantes, la tonalité change de base à chaque mesure, sans exagérer, les appartenances sont brouillées, les lignes simultanées du contrepoint très nombreuses et complexes… et pourtant, quelque chose d'à la fois pesant et extrêmement chatoyant s'en échappe, vraiment un univers singulier, à découvrir absolument.
→ Au disque, c'est la version Kaspszyk qui met tout le monde d'accord (quoique un peu plus difficile à se procurer), sur tous les aspects (à défaut, Stryja chez Naxos a beaucoup de qualités ; ou le beau DVD Pappano). Il faut en revanche se défier de la version Rattle, sabotée par la prise de EMI complètement opaque, hélas – et puis la plupart des autres versions intègrent des chanteurs masculins polonais (et remarquablement chantants), bel atout.

Nowowiejski, Legenda Bałtyku (Poznań)
→ Autant son opéra Quo vadis ? manifeste un romantisme (même pas très post-) très traditionnel et tout à fait fluide, autant la Légende de la Baltique (où un pêcheur part à la recherche d'un royaume merveilleux au fond de la mer) s'exprime en flonflons un peu dégoulinants. Je n'ai hélas pas pu entendre l'œuvre dans son intégralité, donc ne puis procéder que par extrapolation, on y trouve sûrement de réelles beautés. Et avant qu'on voie cela hors des frontaliers de la Baltique, précisément…
→ Entre le moment de l'écriture de cette portion de la notule et sa publication, une vidéo a été captée et publiée par Operavision.eu (ex-The Opera Platform), où elle peut être visionnée gratuitement pendant six mois en haute définition et avec des sous-titres français. Occasion assez unique d'approcher cette œuvre (il doit bien exister un disque, mais pour trouver le livret, même en VO ou en anglais, sans doute pas évident du tout). En commençant à regarder, je révise mon avis : tout n'est pas conforme à l'extrait entendu, une histoire traditionnelle de prétendant pauvre qui est traitée avec un langage romantique peu original, mais bien calibré. À découvrir dans tous les cas : comme pour Goplana, l'occasion ne se représentera pas de sitôt !





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Rideau de scène, balcons et coupole de l'Opéra de Plzeň, où l'on joue Libuše.
(Le site des théâtres lyriques de
Plzeň permet des visites virtuelles assez impressionnantes.)



2. Opéras slaves occidentaux : en tchèque


La plupart évidemment en République Tchèque, d'où les indications sous forme de points cardinaux.

Smetana, Libuše à Plzeň (Ouest) et Prague.
Smetana, Les deux veuves à Liberec (Nord)
Smetana, Le Baiser à Brno (Moravie)
→ Trois titres qu'on ne voit jamais en Europe occidentale. Libuše est le plus célèbre des trois, le seul sérieux, dans une veine épique proche de Dalibor, d'un lyrisme très intense et dramatique, vraiment à découvrir.

Dvořák, Le Diable et Katia (Prague, Brno)
→ Très sympathique Dvořák comique, qui réexploite la veine des contes à base de diables amoureux ou dupés. Belle musique (mais ce n'est pas Rusalka ni Armida pour autant).

Janáček, Osud / Destin (Leeds)
Osud est un objet assez particulier : un opéra qui raconte la composition impossible d'un opéra par un compositeur tourmenté (oui, débuté en 1903, la même année que Der ferne Klang de Schreker sur cette même matrice, vraiment l'air du temps), agrémenté en son acte médian d'un horrible accident domestique bien concret, façon Jenůfa – [début spoiler] la mère qui a séparé les futurs époux pendant des années se jette par le balcon et sa fille chute avec elle en voulant la retenir [fin spoiler].
→ Mais c'est plus encore par ses circonstances de composition qu'il étonne : la suggestion d'une dame, rencontrée au spa, qui s'estimait dénigrée dans un opéra de Čelanský et demande à Janáček de composer ce contre-portrait ! Qui fait des choses pareilles ?

Janáček, Les Voyages de M. Brouček (Prague)
→ Fondé sur une nouvelle de l'écrivain emblématique Čech, Janáček voulait pousser le public à l'antipathie envers cet inculte mal dégrossi qui, par la magie de la boisson, se retrouve propulsé dans la Lune, puis, à l'acte II, au XVe siècle. Le résultat est cependant plus attendrissant qu'attendu sur le pauvre bougre totalement désorienté.
→ Dans la veine du Janáček coloré (beaucoup d'effets orchestraux, plus que de lyrisme vocal, assez récitatif), plus du côté de la Renarde que de Jenůfa ou Kat'a, une de ses œuvres les plus chatoyantes.

Martinů, Juliette ou la Clef des Songes à Wuppertal (Rhénanie) et Prague ; livret en français (il existe aussi une version traduite en tchèque, utilisée en l'occurrence à Prague).
→ De la conversation en musique dans un univers surréaliste (le personnage découvre qu'il est en réalité piégé dans ses rêves, et risque la folie s'il n'en sort pas à l'heure du réveil), avec des dimensions par moment quasiment épiques (l'orchestre lors du meurtre !). Un des plus beaux opéras jamais écrits, à mon sens : la pièce de Georges Neveux, avec ses courtes répliques, ses discontinuités, donne un terrain de jeu incroyable pour l'orchestre le plus versatile et luxuriant qui soit, avec un sens de la prosodie française toujours très précis chez Martinů.
→ Les représentations ont été données à présent… et figurent sur Operavision.eu, où l'opéra peut être vu gratuitement avec sous-titres français !

Martinů, La Passion grecque à Karlstad (Suède centre-Sud), Olomouc (Moravie) ; livret en anglais (peut-être en tchèque à Olomouc ?).
→ Son opéra le plus célèbre (écrit en anglais), mais beaucoup plus sérieux, aux couleurs très grises (une aspiration épique qui ne prend pas vraiment, comme pour son Gilgamesh), pas du tout le même charme – jamais été séduit pour ma part.
→ Il est question d'une reconstitution de la Passion, dans un village grec, où les villageois prennent peu à peu la place, pour de bon, des originaux. La résurrection en moins.

Martinů
, Ariane à Düsseldorf et Moscou (au Stanislavski).
→ Là aussi, quelles langues seront utilisées ?  (en français initialement, une autre adaptation directe, seulement avec des coupures, d'une pièce de Georges Neveux, Le Voyage de Thésée)
→ Son troisième opéra le plus célèbre, écrit dans une étonnante veine archaïsante, néo-baroque plutôt que néo-classique, mais pas naïf comme l'Orfeo de Casella, ni grinçant comme beaucoup de pièces néoclassiques… une sorte de musique ancienne fantasmée, un peu (dans un style pas du tout comparable) comme la Renaissance dans Henry VIII de Saint-Saëns. Probablement pas majeur, mais toujours plaisant.

Toutes ces œuvres sont documentées par le disque et trouvables.



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La grande salle et les spectaculaires atlantes de l'Opéra de Bratislava.




3. Opéras slaves occidentaux : en slovaque

Suchoň, Krútňavaen slovaque (Bratislava)
→ Eugen Suchoň (à prononcer Sourogne) est le seul compositeur slovaque à disposer d'une réelle notoriété, même si elle se limite largement à ceux qui s'intéressent au pays…
→ Il naît au XXe siècle (1908), meurt en 1993, mais écrit dans un langage totalement romantique traditionnel – pas particulièrement spécifique d'ailleurs.
Krútňava (1949), son œuvre la plus célèbre, est une histoire de fait divers (un meurtre dans les bois), mais qui donne lieu à des scènes de danses traditionnelles (mariage). Une sorte de Jenůfa dans un langage beaucoup plus sage et dans une atmosphère plus « nationale ». Très grand succès local, mais aussi remarqué hors des frontières.
→ Il en existe une version communisée qui était donnée pour correspondre à l'idéologie du Parti (l'enfant n'est pas du meurtrier, les méchants ne pouvant être rétribués).
→ L'autre opéra de Suchoň, Svätopluk (1959), raconte au contraire l'histoire de complots, alliances et batailles dans la Grande Moravie du IXe siècle (personnages fictifs, mais non sans lien avec l'Histoire, ai-je lu – sans l'avoir encore vérifié).
→ Voici un extrait de Krútňava (un monologue du meurtrier).




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L'élégance (fastueuse) de l'Opéra de Ljubljana, ville qui a davantage tiré sa célébrité musicale des enregistrements de l'Orchestre de la Radio (notamment les volumes de très belle qualité musicale avec Anton Nanut, multiréédités en collection économique chez Bella Musica / Amadis / Arpège / Classica Licorne…). Nouveau titre de gloire plus récent, le Philharmonique de Slovénie dans une magnifique Iolanta chez DGG conçue en écrin pour Netrebko – et cependant le plus bel orchestre que j'aie entendu à ce jour dans une salle de concert. Il existe pourtant des disques de l'Orchestre de l'Opéra, notamment Gorenjski slavček, mais évidemment peu diffusés à l'international.



4. Opéras slaves méridionaux : en slovène

Foerster, Gorenjski slavček – en slovène (Ljubljana)
→ Un des opéras majeurs du répertoire slovène. Musicalement, quelque chose de Martha de Flotow (écriture romantique germanique plutôt sur le versant léger, on a même des duos au comique de répétition assez dans le genre Barbier de Séville) mais avec des aspects plus sérieux, presque épiques, de grands finals choraux, dans un mélange qui évoque davantage Dalibor de Smetana (plus pour la langue et la déclamation que pour la couleur musicale, qui reste très allemande).
→ Moment amusant : un des interprètes se met soudain à chanter slovène avec un accent français, et c'est criant de vérité !
→ Il existe au moins un disque de 1953 (reporté en CD) avec les forces de l'Opéra de Ljubljana, qui se trouve en ligne (1h30).

Parma, Ksenija – en slovène (Ljubljana)
→ Autre opéra populaire en slovénie, court (40 minutes), une intrigue mi-vaudevillesque (des dames se sauvent dans un couvent où elles croisent un ancien amant chevalier fait moine) mi-tragique (tout finit par tourner très mal, duel et dommages collatéraux), et une musique plus dramatique et lyrique que chez Foerster ci-dessus, quelque part entre Weber et Żeleński.
→ On peut l'écouter en ligne ici. Il faut notamment entendre les beaux duos homophoniques qui apportent le duel final.
→ Tout Viktor Parma ne ressemble pas à ceci : son opérette Zaročnik v škripcih (de 1917, mais créée seulement en 2011), « Le fiancé en difficulté », est écrite dans une veine considérablement beaucoup plus légère, peut-être plus encore que le grand-œuvre de Foerster : du Suppé ou du Lehár un peu plus ambitieux. À découvrir ici par exemple.




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L'Opéra de Zagreb, atlantes et intimité. Outre Split (autant le niveau est remarquable à Zagreb, et pas seulement pour l'opéra, autant Split peut être considérée comme une destination musicale plus « provinciale »), les villes de Rijeka et Osijek, peu connues en France, disposent néanmoins de leur maison d'Opéra avec orchestre et troupes de chanteurs et de ballet !



5. Opéras slaves méridionaux : en croate

Ces opéras sont donc spécifiquement écrits dans le dialecte chtokavien de ce qu'on appelle le serbo-croate (et qui comprend quatre principales variantes elles-mêmes démultipliées en sous-variantes selon chaque région, et franchissant allègrement les frontières… balkanisation linguistique, au sens propre). Ce que nous appelons, de notre point de vue, le croate (même si cette variante chtokavienne s'étend très au delà du pays et que l'on parle majoritairement d'autres dialectes dans certaines parties de la Croatie…) ; mais cette spécificité nationale est très importante dans ce contexte d'opéras de la première moitié du XXe siècle, où servir des sujets nationaux avec une langue nationale n'a rien d'anodin, et dépasse d'assez loin le seul goût de la musique.

Zajc, Nikola Šubić Zrinjski – en croate (Zagreb)
→ Le grand opéra national, d'envergure épique, dans un langage résolument romantique malgré son époque, comme pour toutes ces nationalités, à la fois isolées et garanties contre la lassitude ou la décadence des grandes nations. (Les langages du doute pénètrent plus difficilement chez les nations qui en sont encore à l'espoir d'exister et d'être respectées !)
→ Ce n'est pas de la très grande musique, mais cela s'écoute très bien. Se trouve en ligne ici.

Hatze, Adel i Mara – en croate (Zagreb)
→ Des harmonies orientalisantes, tziganes peut-être, sur une prosodie russisante. On entend passer beaucoup de belles parentés dans cette musique, le romantisme généreux des scènes polovstiennes du Prince Igor de Borodine, le lyrisme nordique post-Vaisseau fantôme (façon Thora på Rimol de Borgstrøm), et même les grosses doublures de cordes pucciniennes (en l'occurrence très réussies). Un mélange très avenant et accessible, mais nullement vulgaire, vraiment réussi et très agréable à découvrir.
→ Superbe version de concert récente ici.

Gotovac, Ero s onoga svijeta – en croate (Zagreb)
→ Celui-ci est plus rustique – le sujet n'est d'ailleurs pas si loin d'une Cavalleria rusticana croate. Là aussi, on trouve des modes orientalisants, mais sans la même subtilité ; un lyrisme simple, sans raffinement particulier (Mascagni reste une comparaison valide). J'avoue même avoir senti la longueur (alors qu'Adel i Mara passe comme un songe, et se réécoute même très bien), lorsque la répétition des chants paysans finissent, dans leur dépouillement sommaire, à ressembler de plus en plus à du Orff.
→ On peut en trouver une production scénique (très conservatrice) donnée par l'Opéra de Split, dont les standards ne sont pas les mêmes qu'à Zagreb, clairement, mais qui se laisse écouter.



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L'Opéra Nouveau de Bydgoszcz, au centre-Nord de la Pologne (où l'on joue Halka de Moniuszko cette saison). La ville est aussi connue sous le nom allemand de Bromberg, adopté pendant l'une de ses multiples annexions prussiennes.



    Certes, ce corpus ne constitue pas l'avant-garde de la musique, et revisite, à l'exception des Tchèques, de Różycki et Szymanowski, des langages déjà connus, tandis qu'aux mêmes périodes l'Europe romane et germanique explorait les délices de l'hyperchromatisme, de l'atonalité, des séries, de la musique concrète, du spectralisme…
    Pourtant, que de merveilles à découvrir, dans cet approfondissement des langages familiers… soit pour le plaisir de la curiosité et du dépaysement (Żeleński, Nowowiejski, Parma, Zajc…) soit, pour certains d'entre eux (notamment Różycki et Hatze, comme vous avez pu voir), de véritables accomplissements en matière d'objet opéra.

Belles découvertes à vous, par le voyage ou par la magie des sons dématérialisés !

samedi 20 janvier 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #5 : en anglais




opera house
L'opéra de Debrecen et l'étrange géométrie de son plafond.
On y donne Acis and Galatea de Haendel.




Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français.

À venir : polonais, slaves occidentaux (tchèques, slovaques) & méridionaux (slovène, croate), celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



opera house
La salle du Pinchgut Opera a un plan en « boîte à chaussures » inhabituel pour une salle prévue pour le scénique, surtout avec ses sièges latéraux orientés à 90°.
Pinchgut est une île qui fait face à Sydney, presque entièrement occupée par son Fort Denison, à l'image d'If à Marseille. La compagnie qui a pris son nom se situe dans la ville, bien sûr, et est spécialisée dans l'exécution d'opéras du XVIIe et XVIIIe siècle sur opéra d'époque, de très bon niveau ainsi qu'en témoignent quelques disques.

On y donne Athalia de Haendel.



Opéras baroques

Pas d'Arne, rien que du Haendel, désolé – mais quelqu'un doit bien faire Blow quelque part, au moins une version de concert dans une petite salle.

Haendel, Acis and Galatea (Debrecen)
Haendel, Athalia (Pinchgut de Sydney)
Haendel, Saul (Mainz, an der Wien)
Haendel, Apollo e Dafne (Graz)
→ Trois « oratorios » (en réalité des opéras en anglais, même pas toujours sur sujet religieux) et une cantate, Apollo e Dafne – il a aussi existé une Daphne, son quatrième opéra et le dernier de sa période hambourgeoise, mais la musique en est perdue.
Acis contient des airs assez marquants et hors de l'ordinaire (les graves profonds de Polyphème ont leur célébrité chez les basses), tandis que Saul est beaucoup plus varié et mobile qu'un seriastandard,mais je trouve, étrangement, que cela ne se ressent quasiment que dans l'antique studio Harnoncourt, là où les plus informés, fût-ce Jacobs, ne parviennent pas tout à fait à rendre cette force du verbe biblique et cette atmosphère très singulière. Je ne puis donc préjuger du rendu en salle.

opera house
La salle de l'Opéra d'Edmonton, en Alberta.
On y donne HMS Pinafore de Sullivan.




Opéras romantiques

Là aussi, on aurait pu espérer les bijoux (mélanges de belcanto, de fantastique weberien et de numéros assouplis à la française…) comme Robin Hood de Macfarren, Satanella de Balfe ou Lurline (Loreleï…) de Wallace. Mais je n'ai rien vu, et il est vrai que même dans les Îles Britanniques, cette part du patrimoine reste tout à fait occultée, hélas – ceux que j'ai pu entendre valent largement les opéras d'Adam et Auber, dans un style similaire (mais plus ambitieux qu'eux, ils ont de toute évidence respiré Weber et Marschner).

Sullivan, The Pirates of Penzance (Leipzig, Ulm, Meiningen, San Diego)
Sullivan, HMS Pinafore (Edmonton en Alberta)
Sullivan, Trial by Jury (Leeds)
→ Répertoire léger mais prégnant qu'on ne joue guère hors des îles britanniques et de l'Amérique anglophone… la musique en est très consonante et formellement tout à fait simple, mais pas sans séductions mélodiques ; les livrets originaux et piquants ; l'ensemble virevoltant avec beaucoup de finesse en fin de compte – moins virtuose que Rossini, sans doute, mais aussi beaucoup moins souligné que les Offenbach : le meilleur du comique anglais.
→ À présent qu'il est ordinaire de jouer des opéras, même dotés d'une veine comique verbale significative, en langue originale – sans mentionner la généralisation de l'usage de l'anglais dans la population –, il n'y a pas vraiment de raison de ne pas en donner au moins les titres emblématiques : Penzance (qui existe en français, d'ailleurs), Pinafore, Mikado, Yeoman… en ce qui me concerne, je les trouve plus stimulants à tout point de vue (musicalement, mais surtout beaucoup plus amusants) que les petits Offenbach qu'on redonne ici et là. J'avoue cependant ne pas en être assez familier pour disposer d'une opinion sur les petits Gilbert & Sullivan, qui ne valent peut-être pas mieux !

Chadwick, Burlesque Opera of Tabasco (New Orleans)
→ George Whitefield Chadwick est un des plus beaux représentants du romantisme musical américain, à la fin du XIXe siècle (1854-1931) – de la Second New England School, comme Amy Beach. Sa Deuxième Symphonie témoigne d'une belle maîtrise de tous les aspects d'écriture, dans une veine simple et lumineuse. Mais les Symphonic Sketches sont encore plus intéressants, plus personnels – culminant dans le mouvement lent, « Noel », tout à fait dans l'esprit folklorique de la Neuvième de Dvořák !
→ Son opéra Tabasco de 1894 en témoigne. (Oui, Tabasco comme la sauce.) Intrigue minimale : : Hot-Heddam Pasha menace de décapiter son cuisinier français (en réalité un imposteur irlandais) si celui-ci ne relève pas davantage ses plats. Après une recherche désespérée à travers la ville, c'est la mystérieure fiole d'un mendiant aveugle qui fait l'affaire, en réalité une bouteille de sauce au piment Tabasco.
→ C'était au départ une simple commande locale d'une milice de Boston, à l'occasion d'une levée de fonds pour une nouvelle armurerie. Mais le succès fut grand, les droits rachetés par un producteur ambitieux, un accord passé avec l'entreprise créatrice de la sauce, ce qui a transformé la petite pièce légère en grand événement traversant le continent dans une forme de cirque extraverti (distribution de produits, immense bouteille en carton-pâte sur scène).
→ Musicalement, nous avons affaire à de la pure veine légère anglophone, quelque part entre Sullivan et Candide de Bernstein, très agréablement réussi. [Je ne crois pas qu'il en existe d'intégrale officielle, mais YouTube en fournit plusieurs extraits.]



opera house
L'Opéra de Tel Aviv évoque de l'extérieur un de ces hôtels de luxe de la côte.
On y donne A Midsummer Night's Dream de Britten.




Opéras du XXe siècle

On y trouve essentiellement des compositeurs dans une veine tout à fait tonale, artisans d'un héritage raisonnable du passé, à exceptions près (qui ne sont pas du tout de l'opéra d'ailleurs, mais figuraient dans les saisons de respectables maisons).

Je les ai laissés dans l'ordre suggéré par leurs dates de naissance.

Barber
, Vanessa (Frankfurt-am-Main)
→ Je tiens Vanessa pour l'un des opéras les plus aboutis de tout le répertoire, sa cohérence entre livret et musique, sa fluidité, sa façon de toucher simplement à la vérité du théâtre et à la beauté de la musique n'ayant que peu d'égales.
→ Une notule le présente plus amplement (ainsi que les contraintes de distribution et circostances de création).

Britten
, The Rape of Lucretia (Cologne)
→ L'opéra (le troisième de ses quinze) a l'originalité de convoquer des coryphées, mais j'aurais peu de bien à en dire. Langage sonore très gris, livret très lent (et qui fait du viol de Lucrèce un semi-rêve assez déplaisant dans ses insinuations – comme la jeune mère de Merlin, elle fait un rêve érotique, bien fait pour sa tronche), où même la scène-titre se déroule très lentement, habillé d'échanges bavards et flous… Et tout ce qui précède et suit a finalement un rapport dramatique assez lâche avec ce que devrait être l'histoire de Lucrèce – tout l'apparat romain a disparu, en tout cas. Même la prosodie, parfois le point fort de Britten, est ici noyée dans un semi-lyrisme récitatif sans grand relief. Bof.

Britten
, Gloriana (Madrid)
→ Commande de Covent Garden pour le Couronnement d'Elizabeth II, en 1953, Gloriana est une variation sur l'épisode des amours et de la mort de Robert Devereux, amant d'Elizabeth Ière. Chez Britten, Devereux est moins perdu par ses ennemis à la Cour que par ses propres faiblesses à la guerre, voire par ses propres partisans – sa mort est signée devant l'aplomb de ses soutiens, le considérant indispensable au gouvernement du royaume. Et tout cela sert de support à une méditation sur l'âge (Elizabeth est déjà mûre), sur la solitude de l'individu, sur l'avenir de tout amour et de toute vie…
→ Musicalement, le sujet est bien sûr l'occasion pour Britten d'écrire dans une langue assez claire, au besoin néoclassique, et plutôt en aplats d'accords, comme accompagné sur orgue positif. Pas forcément très saillant, mais d'une belle sobriété ; peut-être un peu régulier pour se montrer efficacement dramatique.
→ Le sujet n'est finalement pas très révérencieux, présentant cette reine déclinante, hésitante, sensible aux morsures de l'amour-propre. Mais, au demeurant, Elizabeth II n'a pas choisi son nom de règne (un souverain d'Angleterre peut changer son prénom, comme les papes) en référence à son inégalable devancière, simplement décidé de conserver son nom de baptême – peut-être plus de la modestie que de l'ambition, mais je ne suis pas assez familier des biographes de ladite majesté pour m'avancer sur le sujet.
→ Il existe une bande de la création – avec Peter Pears en jeune galant (!), mais aussi Geraint Evans en Lord (!) et Monica Sinclair en Lady (!!). Mais le son un brin ouaté accentue plutôt les limites du style de Britten, à mon sens.

Britten, A Midsummer Night's Dream (an der Wien, Tel Aviv)
→ Même si les parties amoureuses sont plus grises, le Songe de Britten, au milieu de sa carrière (1960) est l'un de ses opéras les plus coloré et inventifs, en particulier dans toutes les parties féeriques : le contre-ténor inhabituel d'Oberon, écrit pour Deller, les fanfares grêles des Elfes, les interventions parlées savoureuses de Puck… Vraiment du Britten inhabituellement bigarré, et très inspiré par endroit.

Britten, The Prodigal Son (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Antépénultième opéra (ou assimilé) et troisième de ses paraboles pour représentation d'église, c'est aussi la moins convaincante (Noye's Fludde dispose d'un certain impact dramatique ; The Burning Fiery Furnace s'essaie à une modernité un peu plus radicale), très peu saillante à mon gré – un peu comme du mauvais Billy Budd.

Britten, Death in Venice (Stuttgart, Linz)
→ Un cas étonnant de Britten beaucoup plus germanisant, décadent même, d'un langage plus hardi (enfin, de la tonalité avec de légères touches un peu plus berguiennes, pour les années 70…) et plus romantique à la fois. Bien sûr, la déclamation très en avant et un peu indifférenciée reste toujours la sienne, mais le changement de couleur est patent, et ce n'est pas si souvent donné.

Menotti, The Medium (Berne, Chicago, New Orleans)
Menotti, The Consul (Dayton, Lawndale en Californie)
Menotti, Amahl and the Night's Visitors (Lausanne, Sofia)
Menotti, célèbre pour avoir été le librettiste (et compagnon) de Barber, a produit un grand nombre d'œuvres scéniques (2 ballets-pantomimes, 18 opéras dans tous les genres, de la piécette bouffe d'une demi-heure à l'opéra historique néo-romantique, en passant par toute une gamme de sujets et langages intermédiaires). D'un langage tout à fait tonal, mais puisant à de très nombreuses écoles, le résultat n'en est pas musicalement unique, mais toujours très opérant en tant qu'objet de théâtre musical.
Amahl est un gentil opéra pour enfants, qui existe, comme The Telephone ou The Medium, en plusieurs langues dont le français. Mais aussi en allemand, comme The Consul – qui sera donné en allemand en Allemagne et en Autriche pendant cette saison.
→ Les deux autres sont plus dramatiques, quoique intégrant des éléments plaisants, en particulier dans The Consul, son opéra le plus sombre (du moins parmi ceux enregistrés), où pourtant le comique absurde abonde, culminant dans d'improbables tours de magie (au départ minables, à la fin presque surnaturels) au sein même du Consulat.
The Consul est une histoire terrible, une tragédie bureaucratique kafkaïenne épouvantable, écrite dans un langage qui emprunte à la déclamation et aux atmosphères oppressantes de Britten, au lyrisme de Puccini, à l'harmonie de Poulenc, et pourtant traitée avec une vivacité particulière et une prédominance de l'humour. Une notule lui est consacrée.
The Medium, son œuvre la plus jouée, est probablement la plus travaillée sur le plan musical, avec une variété de textures, un travail sur l'orchestration, sur les contrastes entre scènes, sans rien céder à ses qualités prosodiques et théâtrales habituelles. C'est un rôle où ont brillé les grands mezzos déclinants mais glorieux – Mödl, Crespin, Gorr… [Vous pouvez par exemple l'aborder avec cette version en français – Metz 1994 avec Gorr, Raphanel, Zanetti !]
→ Assez peu donné sur les grandes scènes, Menotti est en revanche très régulièrement programmé dans des théâtres de taille moyenne – car, je suppose, ne réclamant pas d'orchestres immenses, n'obligeant pas à des pyrotechnies invraisemblables, et toujours très payant scéniquement. Il doit, en fin de compte, figurer parmi les compositeurs nés au XXe dont les opéras sont le plus joués. Et ce n'est que justice : sans être un compositeur majeur, chaque œuvre, prise comme un tout, fonctionne à la perfection, pas de longueurs, pas de faiblesses, surtout dans sa première période – The Saint of Bleecker Street et bien plus tard Goya, plus sérieux, ont moins de saillances. [Mon chouchou reste la courte conversation en musique The Telephone.]

opera house
À la Taschenoper (« Opéra de poche ») de Vienne.
On y donne A House Full of Music de John Cage.


Partch, Barstow: Eight Hitchhikers' Inscriptions (Buenos Aires)
→ Je l'ai vu classé dans un saison d'opéra, mais Barstow est loin de répondre à la définition stricte, ni même élargie de l'opéra : il s'agit d'inscriptions d'auto-stoppeurs lus sur une rambarde routière à Barstow, en Californie (1841).
→ Harry Partch est resté célèbre pour ses créations d'instruments ; pendant la Grande Dépression, il a vécu comme vagabond auto-stoppeur / intérimaire itinérant (hobo), et a réalisé quantité d'instruments nouveaux à partir de matériaux sommaires.
→ Cette œuvre, originellement écrite pour voix guitare adaptée, a aussi été révisée (en 1954 et 1968) pour deux voix, et des instruments propres à Partch que même la base de l'IRCAM ne nomme qu'en anglais : surrogate kithara (cithare de substitution, je dirais), chromelodeon, marimba diamant et boo. Très accessible et sympathique, mais cela ne dure que dix minutes.

Cage, A House Full of Music (Taschenoper de Vienne)
→ Je l'ai vu, de même, mentionné dans des saisons d'opéra, mais enfin, malgré quelques glossolalies (et explications parlées surimprimées), c'est plutôt une forme de poème symphonique de chambre (produit notamment avec des batteries de cuisine…). Du vrai Cage, très ludique, pas forcément intéressant musicalement.

opera house
Le Noah Liff Opera Center accueille l'Opéra de Nashville (Tennessee).
On y donne Susannah de Floyd.
(Et on y propose aussi, dès le 27 ce mois, j'en parlerai dans la notule consacrée aux créations, un très prometteur et subtil Hercules vs. Vampires !)


Floyd, Susannah (Nashville)
→ Le grand classique du patrimoine américain (avec A Streetcar Named Desire, dans le genre très différent de la conversation en musique et du théâtre d'auteur). Susannah est au contraire une histoire où les enjeux moraux et sociétaux sont très conservateurs, écrite dans un langage hors de son temps, complètement romantique, très lyrique.
→ Musique pas du tout neuve (le livret davantage, puisqu'il fait écho à une culture qui n'est pas directement européenne, mais il n'est pas fabuleux), mais très beau si on aime l'opéra dans ce qu'il peut avoir d'élancé, de simplement lyrique – un Puccini sans sophistication post-wagnérienne et sans sirop, si vous voulez. J'aime assez, je dois dire. Je l'ai déjà dit : je suis un garçon simple.

opera house
Le pittoresque orientalisant de l'Opera North, marque qui s'est imposée pour désigner l'Opéra de Leeds (phtographie de Don McPhee pour le Guardian).
On y donne Trouble in Tahihi de Bernstein.

Bernstein, Trouble in Tahiti (Amsterdam, Leeds, Semperoper de Dresde, Boston, Opera Parallèle de San Francisco… et l'Athénée à Paris)
Bernstein, On the Town (Saint-Gall)
Bernstein, A Quiet Place (Kammeroper de Vienne)
→ Trois comédies musicales : les premières, et puis la dernière, qui reprend Trouble in Tahiti en y adjoignant de nouveaux actes. Les trois sont de la très bonne comédie musical, dans un style de… comédie musicale. Ne surtout pas y chercher de l'opéra (ni même l'éclectisme de la Messe).



opera house
Intérieur coloré de du Théâtre de Saint-Gall (Sankt Gallen) en Suisse.
On y donne On the Town de Bernstein.




Ce n'est pas une année de redécouvertes particulièrement fastes en langue anglaise, mais à l'échelle du monde, il y a tout de même de quoi admirer quelques beautés.

En revanche, hors patrimoine, on verra beaucoup de créations et de reprises d'œuvres récentes (certaines intriguantes, voire terrifiantes), que je traiterai dans une notule à part… (mais d'ici à ce que je la publie, je pourrai sans doute en écouter certaines qui auront été jouées !)

mardi 19 décembre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #4 : en français


Il est temps de compléter cette série par un petit tour des opéras rares en langue française donnés à travers le monde. Quoi ? Où ?
Mais rassurez-vous, Carmen et Faust se portent très bien, merci pour eux.

Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand.

À venir : anglais, polonais, slaves occidentaux (tchèques, slovaques) & méridionaux (slovène, croate), celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



landestheater detmold
Côté cour de l'Opéra d'État de Budapest, manière assez peu gallicane de débuter le parcours.



Gluck, Iphigénie en Aulide (Budapest)
→ Également donnée en allemand à Ostrava, en Moravie. L'œuvre qui, en 1774, renouvelle complètement le style de la tragédie en musique.
→ Diane retient les vaisseaux des Achéens en attendant le sacrifice ultime. Agamemnon tâche de tromper les dieux en éloignant sa fille, prétendant qu'Achille ne souhaite plus l'épouser.
→ Écrite pour Paris, la première présentée par Gluck. Dauvergne raconte dans ses mémoires qu'à la lecture de la partition, les directeurs étaient persuadés que, s'ils donnaient l'œuvre, ils allaient immédiatement ringardiser tout leur répertoire – ce qui advint, d'où la frénésie d'œuvres nouvelles et d'invitation de compositeurs italiens (Piccinni, Sacchini, Salieri, Cherubini…). C'est évidemment une vision rétrospective (et Gossec utilisait le même langage dans Sabinus donné quelques mois avant), mais elle marque bien l'importance de cet ouvrage dans l'esthétique lyrique française.
→ C'est la première partie de la légende d'Iphigénie (son sacrifice), la plus baroque-française des œuvres de Gluck, avec un aspect beaucoup plus galant, moins hiératique que ses tragédies ultérieures. Cela avait tellement touché la sensibilité du temps que les chroniqueurs rapportent que la salle était en pleurs pour les adieux d'Iphigénie (supposée aller épouser son fiancé Achille, mais que son père livre en réalité au sacrifice pour que les Grecs puissent retrouver des vents et partir pour Troie).

Cherubini
, Ali Baba – en français ou en italien ? (Milan)
→ Grand opéra écrit pour l'Opéra de Paris, sur un livret de Scribe et Mélesville (l'excellent librettiste de Zampa), où Cherubini s'adapte (après avoir écrit dans les veines du classicisme finissant et du premier romantisme) au langage nouveau de la musique romantique à flux continu – nous sommes en 1833, c'est le dernier ouvrage scénique du compositeur.
→ Pour ce dont on peut juger dans les (mauvais) enregistrements existants, les récitatifs sont assez empesés et la veine mélodique pas extraordinaire, mais précisément, nous ne disposons que de mauvais enregistrements (le seul un peu étendu, quoique coupé, et disponible commercialement, est en italien, pas très bien chanté malgré Kraus et joué tout à fait hors style).

Spontini, La Vestale (Budapest)
→ Jalon fondamental dans la fusion des styles (sorte de goûts-réunis du début du XIX siècle) entre l'ambition théâtrale de la tragédie en musique romantisée et les élans & effets vocaux de l'opéra italien, Spontini propose ce compromis entre grande déclamation dramatique et belcanto dans cet ouvrage, emblème du style musical Empire.
→ Voir là sur le contexte, le livret et la musique.



landestheater detmold
Intérieur de l'Opéra de Frankfurt-am-Main, maison de l'un des plus beaux orchestres du monde, qui jouera L'Africaine de Meyerbeer.



Donizetti, Le Duc d'Albe (Anvers)
Donizetti, L'Ange de Nisida (Londres)
→ Peu avant sa mort, en 1838, Donizetti s'installe à Paris. Il a remporté un grand succès aux Italiens en 1835 avec Marino Faliero et  prépare un opéra de type semiseria en français sur un livret de Royer et Vaëz, d'après une pièce à succès de la fin du XVIIIe siècle (Baculard d'Arnaud, en 1790) autour des amours malheureuses du Comte de Comminges. Mais la troupe du Théâtre de la Renaissance fait faillite pendant les répétitions et l'opéra L'Ange de Nisida n'est jamais représenté. Pis, je n'en n'ai trouvé aucun enregistrement, même épuisé, aucune bande non plus (mais ça a bien dû être donné quelque part). L'œuvre, qui contient des parties empruntées à l'opéra antérieur Adelaide est recyclée dans La Favorite (en 1840), sur un livret adapté par les mêmes librettistes pour le cahier des charges de l'Opéra de Paris.
→ Simultanément, Donizetti a réussi à obtenir une collaboration avec Eugène Scribe, à la fois la garantie d'un livret dense et d'une prise au sérieux par le public et la critique : c'est pour Le Duc d'Albe (avec Charles Duveyrier). Mais la mezzo Rosine Scholtz, redoutant d'être éclipsée par sa rivale Dorus-Gras dans ce beau rôle de soprano, obtient son abandon, l'opéra reste inachevé. On joue La Favorite à la place, dans laquelle Donizetti intègre aussi des portions du Duc d'Albe (dont l'air de ténor « Ange si pur »). Quant au livret, Scribe le recycle en partie dans Les Vêpres siciliennes, pour Verdi !
→ L'œuvre a été achevée par Matteo Salvi en 1882, puis révisée par Thomas Schippers en 1959, dans les deux cas en italien. Et elle a enfin été gravée en français pour Opera Rara. Je n'ai pas été très convaincu, ni par le livret, ni par la musique, assez peu marquante à mon gré (ni drame intense, ni belles mélodies). Très en deçà de la Favorite ou des Martyrs, clairement.

Meyerbeer, Le Prophète (Deutsche Oper de Berlin)
→  Parmi les 6 opéras français (dont 5 majeurs, dont 4 grands opéras à la française), Le Prophète a survécu pour sa pompe avec la fameuse Marche du Sacre très à la mode dans la première moitié du XXe siècle et souvent gravée, mais c'est aussi et surtout une œuvre aux grandes qualités esthétiques et musicales.
→ Comme pour Les Huguenots et L'Africaine, Eugène Scribe y propose une critique radicale du clergé, voire de la religion en général, et présente les fanatiques comme des destructeurs effrayants, tout traitant ses héros avec une certaine distance ironique – Raoul de Nangis comm Jean de Leyde ont leur naïvetés, voire leurs ridicules. L'armature implacable du grand drame y assure aussi bien un spectacle à peu près sans exemple – paysages pastoraux, armées, étangs gelés, grand sacre dans la cathédrale, incendie urbain généralisé… – qu'une tension dramatique qui s'étage sur plusieurs niveaux et s'augmente sans jamais se relâcher.
Musicalement, l'œuvre n'a pas le naturel mélodique de Robert, des Huguenots ou de Dinorah, mais le soin apporté à l'orchestration y est tout particulier (beaucoup de solos instrumentaux, pas forcément brillants ou ostentatoires, y viennent apporter des touches de couleur). De surcroît, les exigences vocales y sont spectaculaires, dans un genre plus sonore et dramatique que virtuose (on y est plus proche du dernier Verdi, là où les précédents sentaient encore, vocalement, le lien avec Rossini et Donizetti) : une œuvre qui n'est pas sa plus délicate, et pourtant d'une prégnance assez hors du commun.
→ Par ailleurs, les artistes réunis à Berlin (Mazzola et Kunde, notamment) sont des spécialistes de cette musique et de cet esprit. Les représentations ont lieu en ce moment, et c'est manifestement un franc succès.

Meyerbeer, L'Africaine (Frankfurt-am-Main)
→ Meyerbeer a longuement élaboré L'Africaine, mais est mort d'avoir pu proposer ses habituelles retouches d'après les premières représentations. Cela se sent, il manque quelque chose de naturel dans les différentes éditions entendues. Par ailleurs, peu de mélodies marquantes, pas vraiment de distanciation ni d'humour, une orchestration personnelle mais plus opaque… je trouve qu'on ne renoue pas avec l'équilibre idéal de ses quatre autres grandes œuvres françaises.
→ Pour autant, le livret, encore une collaboration de Scribe, travaille toujours sur ces hésitations morales impossibles, sur ces affrontements entre les mondes, entre les fanatismes – mais de façon un peu plus rigide, et en tout cas moins divertissante. On peut cependant y entendre de très belles pièces musicales, pas aussi bien articulées entre elles que de coutume… bien qu'il y ait finalement pas mal de bandes et de disques, on attend toujours une production à la fois luxueuse techniquement et adéquate sur le plan du style et du français pour lui redonner sans ambiguïté la possibilité de convaincre.

Auber
, Fra Diavolo (Palerme)
→ Un opéra comique atypique et charmant, où un brigand célèbre apparaît comme personnage galant et romantique, une sorte de zorro locksleÿsant. Quantité de comique de caractère (les touristes anglais, les sbires gauches) et de situation (tout le monde est déguisé, caché plus ou moins adroitement), sur une musique assez simple et légère, mais pas aux effets sûrs.
→ On le joue quelquefois en italien en Italie, je n'ai pas vérifié ici.
Déjà présenté sur CSS. D'Auber, j'attends désormais surtout une reprise de son plus haut chef-d'œuvre (de très loin), Les Diamants de la Couronne.



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Grand escalier de l'Opéra de Tours, où Jean-Yves Ossonce propose, au fil des saisons, une des offres les régulièrement plus originales au monde en matière de redécouverte du répertoire français… malgré une suvention sans commune mesure avec les grandes scènes oisives.



Verdi, Jérusalem (Parme)
Verdi, Les Vêpres siciliennes (Londres, Frankfurt-am-Main, Munich, Würzburg)
→ Les deux premiers Verdi composés pour Paris (le troisième étant bien sûr Don Carlos) sont joués cette saison.
Jérusalem est une refonte de son quatrième opéra, I Lombardi alla Prima Crociata (juste après Nabucco : d'un style encore redevable au belcanto, même s'il est déjà ailleurs), avec beaucoup de nouveaux éléments, une mise en avant de récitatifs très bien écrits et un bon livret (de Royer & Vaëz, ceux de la Favorite de Donizetti) à rebondissements multiples. Verdi n'aimait pas écrire pour Paris, mais peu le faisaient aussi bien que lui. Il n'y a pas beaucoup de tubes dans la partition – les grands ensembles à la fin du I avec les imprécations de Roger, la cabalette « Quelle ivresse » d'Hélène, le chant de guerre des croisés, peut-être le grand air de Roger… mais ce sont surtout les situations dramatiques, l'enchaînement des récitatifs et des ensembles, qui convainquent, comme un grand tout dramatico-musical très cohérent et abouti.
→ Les Vêpres (avec des portions du livret du Dom Sébastien avorté de Donizetti, récupéré par Scribe) ont les mêmes qualités organiques d'enchaînement entre récitatifs, numéros, ensembles, finals, mais à un niveau de maîtrise carrément meyerbeerien, et cette fois avec la qualité mélodique propre à Verdi… l'œuvre déborde de mélodies bien prosodiées, dont le sens claque et dont la musique s'imprègne immédiatement. Un de ses plus hauts chefs-d'œuvre, qui semble avoir repris racine en Europe depuis une quinzaine d'années.

Gounod, Cinq-Mars (Leipzig)
→ Ressuscité récemment par Bru Zane, l'un des fleurons de tout Gounod, dont il faut absolument entendre l'acte II (qui débute par « Nuit resplendissante » et se clôt par un grand ensemble irrésistible de conspiration patriotique). Le voici repris, en version scénique.

Gounod
, Philémon et Baucis (Tours)
→ Pas exactement trépidant dramatiquement, pas non plus le meilleur Gounod sur le plan musical, c'est néanmoins une belle partition, presque jamais donnée. Encore une contribution particulière de Tours au répertoire français, que peu d'autres maisons font à cette régularité, et avec ce soin de chanteurs adéquats !

Gounod, Le Tribut de Zamora (Radio de Munich)
→ Voilà le grand inédit attendu pour l'anniversaire Gounod !  Hélas, cette année, Munich ne se déplace pas à Versailles (ni à Vienne, comme pour Cinq-Mars), il faudra voyager ou se contenter de la bande et du disque. Je n'ai pas lu toute la partition, mais ce m'avait paru du bon Gounod, sur un sujet bien dramatique. On n'en a jamais eu qu'une méchante bande piano-chant très mal captée (et publiée seulement chez des pirates), je crois bien. En tout cas aucun enregistrement officiel écoutable, très clairement. Grand événement, il s'agit du dernier grand Gounod jamais redonné.



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Le Musical Arts Center de Bloomington, dans l'Indiana, où L'Étoile est prévue – et son caractéristique dégradé de balcons latéraux.



Chabrier
, L'Étoile à Bloomington (Indiana)
→ Cette petite merveille est revenue en cour depuis la fin du XXe siècle, depuis redonnée de loin en loin. Il s'agit d'un opéra-comique aux effets extrêmement soignés, aux ensembles très caractérisés (Quatuor des représentants de commerce, Trio de l'Enlèvement, Quatuor des Baisers, Couplets & Chœurs de la Noyade…), farci de sous-entendus égrillards. Je me figure que ce pourraît susciter l'adhésion d'un public adolescent un peu éveillé – la façon detout y suggérer assez clairement l'air de rien n'est pas sans charmes.
→ Outre le (très bon) disque de Gardiner et quelques bandes diversement accessibles de la RTF, il existe une captation vidéo de la mise en scène de Pelly à Bruxelles, remarquablement distribuée (d'Oustrac, Mortagne, Guilmette, Varnier, Boulianne, Piolino…), diffusée à l'époque en haute qualité sur CultureBox (et France 2 ?). Cela doit se retrouver aisément (peut-être même paru en DVD, je ne suis pas les sorties), et mettait en valeur toute la fantaisie (et les pointes de mélancolie) de ce leste livret.

Massenet, Cléopâtre (Saint-Pétersbourg)
→ Le dernier opéra de Massenet, à une époque où, à partir du Jongleur de Notre-Dame, sa veine mélodique et son invention de mondes (quel lien entre les profils sonores de Werther, Esclarmonde, Thaïs, Cendrillon ou Grisélidis, créés sur une dizaine d'années ?) s'étiole un peu dans du drame plus sec (Chérubin, Ariane, Thérèse, Don Quichotte, Roma, quels que soient leurs moments de grâce –  pour Quichotte en particulier – reviennent tous à du théâtre romantique un peu hiératique). Il y a pourtant de la variété dans Cléopâtre, mais la déclamation et la veine mélodique restent un peu sévères. Au demeurant une jolie partition, rarement donnée.
→ Des Massenet qu'on ne donne jamais, je voudrais surtout voir Grisélidis (là, le récitatif est savoureux !), la féerie sonore étrange d'Amadis, notamment dans son Prologue en mélodrame (pas du tout du figuralisme, ni vraiment debussyste, vraiment un monde singulier), ou bien les archaïsmes jubilatoires de Panurge.

Saint-Saëns
, Ascanio (Genève)
→ Inspiré du roman homonyme d'Alexandre Dumas et de la pièce qui en a été tirée par Paul Meurice (collaborateur de Dumas sur le roman), le livret de Louis Gallet se penche sur l'histoire de Benvenuto Cellini et de son apprenti Ascanio – en transfigurant le personnage peu sympathique, dont les mémoires étaient disponibles en français depuis 1822, en protecteur paternel.
→ Je ne sache pas qu'on dispose d'enregistrements couramment disponibles. Les rares extraits donnés en concert au fil du XXe siècle sont de nature légère, mais ce ne doit pas être le seul aspect, pour un opéra en cinq actes donné à l'Opéra de Paris – en 1890.



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Treppenhalle de l'Opéra de Graz, où vos pieds glisseront sur des lys si vous allez entendre l'Ariane de Dukas et Maeterlinck.



Dukas, Ariane et Barbe-Bleue (Graz)
→ Maeterlinck écrit ce texte spécifiquement pour être mis en musique… Il vise au départ la collaboration de Grieg, qui finit par se rétracter. Il y joue avec lui-même en donnant les noms de ses anciennes héroïnes aux femmes captivers de Barbe-Bleue (et Dukas fait même une jolie citation du motif de Mélisande lorsque celle-ci se présente).
→ Musique à la voix d'ampleur postwagnérienne et aux irisations très françaises, j'en ai touché un mot lors d'un précédent concert, salle Pleyel.
→ [Une vidéo, mise en scène Olivier Py.]

Martinů, Ariane à Düsseldorf et Moscou (au Stanislavski).
→ L'opéra est écrit en 1958, en guise de pause pendant la conception du plus sombre The Greek Passion (il est créé la même année, en 1961).
→ Il est écrit en langue française dès l'origine (quoique créé à Brno) et se fonde, comme Juliette ou la Clef des Songes (son chef-d'œuvre lyrique) sur Le Voyage de Thésée de Georges Neveux, une version surréaliste et psychanalysante du mythe du Minotaure : Thésée, en tuant son doppelgänger Minotaure, tue aussi une part de lui-même et son amour pour Ariane (qui semble de toute façon plutôt amoureuse du Minotaure). L'opéra s'achève sur la plainte d'Ariane.
→ La veine musicale en est très archaïsante, néo-baroque par certains aspects (dans l'introduction instrumentale, on entend les rythmes de la Toccata initiale de L'Orfeo de Monteverdi), néo-grec en d'autres instances (monodies de flûte et percussion, chœurs a cappella sur des tétracordes), et même quelquefois du diatonisme quasiment grégorien, tout en passant par du récitatif romantique ou de grands aplats lyriques de cordes homophoniques… Et le monologue final de l'abandon vraiment de ce postromantisme français mêlé de néoclassicisme. Malgré ces influences disparates, le résultat reste très séduisant.
→ Ces bizarreries s'expliquent par le projet : l'opéra ne dure que 45 minutes, la création s'est déroulée comme un programme à thème, incluant le fameux lamento de Monteverdi (seul vestige de l'opéra composé) et le mélodrame de Jiří Antonín Benda (sans doute le plus célèbre mélodrame du XVIIIe siècle).
→ [Son.]



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Pour finir, toute la sobriété authentique du Teatro Massimo de Palerme accueille la légèreté un peu plus attestée de Fra Diavolo.



Pas énormément de diversité de titres, donc, et c'est en particulier décevant pour le vingtième siècle, que ce soit chez les postwagnériens, les postdebussystes, les néoclassiques, les poulenquiens ou les landowskisants : beaucoup de bijoux à programmer qui seraient au goût du public.
Certes, pour cela, encore faudrait-il que les maisons des pays francophones programment des ouvrages patrimoniaux, ce qui n'est pas vraiment le cas cette saison – ce n'est pas tout le temps vrai, les deux dernières furent plutôt fastes, et pas seulement en France.

En revanche, du côté du grand opéra à la française, des œuvres historiquement importantes sont redonnées (Ali Baba de Cherubini, les Meyerbeer, les Verdi…), voire des quasi-inédits de compositeurs majeurs comme Nisida, Zamora ou Ascanio.

Ce que ça valait ?  Réponse à la fin de la saison !

mercredi 15 novembre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #3 : en allemand





landestheater detmold
Le Landestheater de Detmold (Rhénanie du Nord – Westphalie, 73000 habitants, la taille de Cannes hors saison, moins peuplé que Champigny-sur-Marne ou Béziers…), où l'on jouera l'Élégie pour jeunes épris de Henze.
Comme il est d'usage dans les villes moyennes d'Allemagne, il existe non seulement un opéra (650 places…) mais aussi un orchestre permanent (Orchester des Landestheater Detmold, tout simplement) et une programmation assez ambitieuse : Henze, Adès, Wagner, et le Dracula de Wildhorn (dont je parlerai dans la notule sur les rassemblant les œuvres récentes). Bien sûr Mozart, Puccini et Kálmán, comme partout ailleurs.
Malgré son aspect XVIIIe-pragois, le théâtre, détruit par un incendie en 1912, a été conçu à partir de 1914 et inauguré en 1919 (oui, parfaitement, ça ravage la France et ça se contruit des théâtres néoclassiques).




Avant de lire cette notule :
principe général du parcours ;
¶ programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
¶ programmation en langues italienne et latine.

Une surprise frappante, en observant la programmation du centre de l'Europe (et jusqu'aux franges les plus slaves comme la Bulgarie, l'Ukraine ou la Moldavie) : les opéras les plus donnés dans le monde, si l'on excepte la poignée d'ultra-tubes évidents (Don Giovanni, La Flûte enchantée, La Traviata, Carmen, La Bohème) sont manifestement Comtesse Maritza et Princesse Czardas de Kálmán !  Car l'opérette de langue allemande (éventuellement traduite) est réellement omniprésente à l'Est, de façon extrêmement massive, l'impression d'avoir lu ces titres dans tous les pays de cette région (jusqu'en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine) !

Par ailleurs, cette saison est remarquablement riche en véritables raretés de très haute qualité, et l'avoir épluchée me donne moi-même quelques envies de voyage…

J'ai tâché d'ajouter des liens vers les œuvres, lorsque c'était possible, afin de satisfaire davantage votre immédiate curiosité.



landestheater detmold
Intérieur du Théâtre National Antonín Dvořák d'Ostrava, seconde ville de Moravie et troisième du pays. On y donnera Iphigénie en Aulide de Gluck, manifestement en allemand.



1. Opéras baroques et classiques

Telemann, Pimpinone (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Intermezzo comique destiné à occuper l'entracte d'un opéra seria, comme c'était l'usage – et, selon la mode hambourgeoise, à la fois en italien et en allemand. Une intrigue de femme rouée qui veut se faire épouser par un riche vieillard, tout à fait standard. La musique n'en est pas vilaine, sans en être spectaculairement originale.
Extrait.

Gluck, Iphigénie en Aulide, en allemand (Ostrava en Moravie)
→ L'œuvre écrite pour Paris, la première présentée par Gluck. Dauvergne raconte dans ses mémoires qu'à la lecture de la partition, les directeurs étaient persuadés que, s'ils donnaient l'œuvre, ils allaient immédiatement ringardiser tout leur répertoire – ce qui advint, d'où la frénésie d'œuvres nouvelles et d'invitation de compositeurs italiens (Piccinni, Sacchini, Salieri, Cherubini…). C'est évidemment une vision rétrospective (et Gossec utilisait le même langage dans Sabinus donné quelques mois avant), mais elle marque bien l'importance de cet ouvrage dans l'esthétique lyrique française.
→ C'est la première partie de la légende d'Iphigénie (son sacrifice), la plus baroque-française des œuvres de Gluck, avec un aspect beaucoup plus galant, moins hiératique que ses tragédies ultérieures. Cela avait tellement touché la sensibilité du temps que les chroniqueurs rapportent que la salle était en pleurs pour les adieux d'Iphigénie (supposée aller épouser son fiancé Achille, mais que son père livre en réalité au sacrifice pour que les Grecs puissent retrouver des vents et partir pour Troie).
→ Il n'est pas inhabituel, même si moins fréquent qu'autrefois, de traduire Gluck en allemand, sans doute considérant ses origines linguistiques.

Mozart, Die Schuldigkeit des ersten Gebots (an der Wien)
Le Devoir du Premier Commandement, la première œuvre lyrique scénique de Mozart (D.35, à onze ans), est un « singspiel spirituel », c'est-à-dire une pièce de théâtre musical à sujet religieux, pas exactement un opéra.  Un oratorio allégorique où discutent l'Esprit du Christianisme, la Miséricorde et la Justice, occupés à secouer les chrétiens tièdes hors de l'Esprit du monde. Mozart n'a écrit que l'acte I, les deux autres – aujourd'hui perdus – étant confiés à (Michael) Haydn et Adlgasser, ses professeurs.
→ Je n'ai pas de données sur la quantité d'aide reçue de son père et de ses professeurs, mais il s'agit déjà de très belle musique, plutôt le haut du panier de son temps, avec déjà des couleurs harmoniques qui caractériseront Mozart toute sa vie. (Évidemment, musique très vocale et décorative, comme on peut s'y attendre avec le sujet et l'époque. Le Mozart dramaturge de génie n'éclot que plus tard.)

Mozart, La finta giardiniera, en allemand (Baden-Baden)
→ Déjà présenté dans la partie italienne, une œuvre qui revient à la mode, vraiment de la structure à numéro bien faite, mais très décorative. À tout prendre, j'aime davantage la Schuldigkeit !

Mozart & co., Der Stein der Weisen oder Die Zauberinsel (Innsbruck)
→ Œuvre collective (Henneberg largement, mais aussi Schak, Gerl et Schikaneder) sur un livret de Schikaneder, avec une équipe d'interprètes similaire à la Flûte. La partition a été retrouvée en 1996 et enregistrée pour la première fois en 1999.



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Les Fées de Wagner seront seulement donnée, cette année dans le monde, au Théâtre d'État (bâti de 1879 à 1899) de Cassovie (Košice), deuxième ville de Slovaquie. Ici, la vue enchanteresse des parterres d'eau qui le séparent de la cathédrale.



2. Opéras romantiques

Spontini, Agnes von Hohenstaufen (Erfurt)
→ Rareté des raretés, un Spontini qui figure parmi ses plus importants, mais qui n'existe au disque, sauf erreur, que dans des versions italiennes (mal captées et très molles).
→ Manifestement assez influencé par le genre spectaculaire français pré-grand opéra (beaucoup de points communs avec l'économie d'Olympie), à la fois vocalisant et recourant aux effets dramatiques issus de l'héritage Gluck (trémolos de cordes), avec un goût pour les grands ensembles, les effets de foule, les trompettes solennelles, mais aussi de très beaux élans vocaux…
→ Lien vers la meilleure bande disponible à ce jour.

Weber, Oberon (Budapest)
→ Bien que Weber se soit mis à l'anglais pour pouvoir mettre en musique Oberon, on s'obstine à le donner encore assez souvent en allemand. (Je crois que c'est le cas pour cette production.) Sans hésitation son meilleur opéra de mon point de vue, avec un sens de l'évocation du merveilleux tout à fait remarquable, sensiblement moins bon enfant et formel que le conte du Freischütz. Le quatuor de l'embarquement (le thème le plus virevoltant de l'Ouverture) ou l'invocation des démons marins par Puck sont des moments qui n'ont pas réellement d'équivalent dans l'histoire de l'opéra.
→ Privilégiez le studio Gardiner plutôt que les vieilles versions visqueuses en allemand (ou, si vous la trouvez, la bande de Minkowski à Anvers !).

Schubert, Fierrabras (Milan)

→ Bien qu'on insiste surtout sur l'image d'un Schubert en butte aux échecs lyriques (et, de fait, il le fut – c'est même la source d'autres théories fantaisistes le concernant), Schubert n'était pas du tout un mauvais compositeur d'opéra, au contraire. Tous ses singspiele ne sont pas d'égal intérêt, mais l'opéra avec récitatifs musicaux Alfonso und Estrella (qui débute par l'un des plus beaux airs de baryton jamais écrits, et dont l'un des thèmes est repris dans le Winterreise – n°16, « Täuschung ») est un bijou absolu.
→ Il en va de même pour Fierrabras, véritable pépite : livret étrange mais original (les amours secrètes de la fille de Charlemagne d'une part ; ceux de Roland avec une mauresque dont le père l'a traîtreusement fait prisonnier d'autre part), où le personnage éponyme ne tient que les utilités. Et surtout, une musique qui déborde de beautés comme Schubert seul sait les concevoir, tel le chœur a cappella ineffable des chevaliers prisonniers, la cabalette sauvage de la mauresque courant sauver Roland, de superbes ensembles, plusieurs mélodrames trépidants (car oui, Schubert est un prince du ton épique )…
→ Pourtant, ses opéras sont finalement assez peu donnés (une production d'un d'entre eux de loin en loin…).

Marschner
, Der Vampyr (Budapest)
→ Une des grandes séries estivales de CSS explorait le détail de l'adaptation depuis les soirées littéraires de Byron jusqu'au livret de cet opéra. Musicalement, c'est une œuvre très marquante (Wagner en a décalqué à la fois l'Ouverture et la Ballade d'Emmy pour son Hollandais Volant), à la fois terrible (spoiler : beaucoup d'innocents meurent) et dotée d'étranges sections comiques (les buveurs persécutés par la matrone).
→ L'œuvre est rarement respectée (son mélodrame au clair de lune, où Ruthven guérit de sa blessure mortelle accompagné par une monodie de cor, est rarement donné avec le texte… certaines versions coupent le texte parlé, etc.), pas beaucoup bien jouée (Rieger et surtout Neuhold sont à écouter au disque), mais elle est à connaître, aussi bien pour son importance sur la scène lyrique du temps que pour ses sommets, dont certains inégalés : le grand récitatif où le vampire raconte son sort, comment il est revenu dévorer la petite dernière qui le suppliait (« Tu vois son visage innocent s'incliner, / Tu voudrais au loin fuir, tu ne peux l'épargner ! / Ton démon t'entraîne, ta soif te possède : / Tu dois verser ce trop cher sang ! »). D'un impact, musical comme théâtral, assez inégalé. Et quel texte au cordeau !

Flotow
, Martha à Annaberg (Saxe) et Innsbruck
→ Martha est restée un classique sur les scènes germanophones et, bien qu'on l'ait jouée en France en français, a surtout connu sa fortune là. Une partition assez riche sur un sujet à la Véronique, où une aristocrate joue à la servante ; l'harmonie n'en est pas pauvre, et les ensembles y sont omniprésents (même s'ils tendent à être écrits uniformément en homophonie, chacun débitant sa ligne de croches). Résultat plein de douceur, d'élégance et de jovialité, qui explique sans doute, avec son livret espiègle et familial, aux héros austeniens un peu tombés de leur piédestal.
→ La version Wallberg vaut le détour chez EMI, aisément disponible, superbement captée, belles rondeurs orchestrale et plateau vertigineux : Popp, Soffel, Jerusalem, Nimsgern, Ridderbusch. Que des chouchous. [ par exemple.]


Verdi, I Masnadieri (Volksoper de Vienne)
→ Également donné, en italien, à Monaco, Bilbao et Rome. Présenté dans la notule consacrée à la programmation italienne mondiale.

Wagner, Die Feen à Košice (Slovaquie)
→ Premier essai (achevé, du moins), et un bijou, qui puise à toutes les écoles du temps, aussi bien Weber que Bellini, avec un certain humour et un savoir-faire très impressionnant. Très beaux airs récitatifs ou quasiment belcantistes, superbes ensembles très densément écrits. J'y avais consacré une série au moment de son passage à Paris : place dans le catalogue, livret, influences musicales, innovations majeures, et la mise en scène d'Emilio Sagi.

Wagner, Rienzi (Innsbruck)
→ Le seul ratage lyrique de Wagner. On le décrit souvent comme du mauvais grand opéra, n'en croyez rien : Rienzi ressemble à un seria de Rossini, en deux fois plus long, et sans aucune mélodie (excepté la jolie Prière, mais ça fait pas bien long). Une sorte de pudding très vertical (n'y cherchez pas des trouvailles de contrepoint !), très long, très fade – mais aussi très lourd. Je ne le dirai pas souvent, mais je ne vois pas trop l'intérêt de se forcer à écouter ça.

Offenbach, Die Rheinnixen (Budapest)
→ Ouvrage sérieux en allemand complètement éclipé d'Offenbach, redevenu à la mode en vingt ans, et qui, sans être devenu un standard, est joué quasiment tous les ans quelque part (et plusieurs fois en France). C'est de là que provient la Barcarolle des Contes d'Hoffmann, certes, néanmoins le reste de l'ouvrage est également d'une très belle qualité (pas seulement mélodique).

Suppé, Die schöne Galathée (Plauen-Zwickau)
→ « Opéra comique mythologique » d'après le livret de Barbier & Carré pour la Galathée de Massé. Une jolie opérette.



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Pour voir Tiefland d'Eugen d'Albert cette année, il faut aller au vaste Opéra de Budapest ou découvrir l'étonnant Opéra de Sarasota, sur la côte Ouest de la Floride. C'est un ancien théâtre de vaudeville, également utilisé comme cinéma, contruit en 1925 dans ce style néo-mexicain, très hacienda-La-Vega – de l'extérieur également.



3. Opéras postromantiques et « décadents »

Cornelius, Der Barbier von Bagdad (Plauen-Zwickau)
→ Toujours donné de loin en loin en Allemagne, même s'il n'est plus autant à la mode (je voix au moin six enregistrements, tous avant 1975 !), supposé dans la veine comique, mais très soigné musicalement, avec des effets orientalisants assez marqués. Pas sans points commun avec Mârouf de Rabaud, dans son genre plus lyrique et plus… allemand.
→ Une vieille version de référence par ici.

Wolf, Der Corregidor (Budapest)
→ Une sacrée rareté. La partition est foisonnante, abstraite, difficile comme du Wolf. Figurez-vous l'harmonie retorse du maître plongée dans un moule dramatique et contrapuntique plus wagnérien, où Wolf aurait mis toute son application. Comme la Pénélope de Fauré, je ne suis pas complètement sûr, à la lumière du seul enregistrement (ancien) trouvéet de la partition piano, que ce soit tout à fait digeste, mais c'est à coup sûr riche et fascinant. Et je ne crois pas que ça ait été donné depuis fort longtemps – ni que ce devienne jamais un hit européen.
→ Une gravure très attirante (Donath, Soffel, Fischer-Dieska) que je n'ai pas encore essayée.

d'Albert, Tiefland (Budapest, Sarasota en Floride)
→ Retour en grâce progressif pour Les Terres basses (même donné à Toulouse en début de saison !), d'un postromantisme aux élans irrésistibles – la descente vers les Terres Basses, c'est de l'ordre de celle chez les Hommes dans Die Frau ohne Schatten de Strauss, à ceci près que le livret est totalement réaliste / vériste, une histoire sordide de berger simplet envoyé épouser la maîtresse (plus ou moins forcée) du potentat local. [Évidemment, ça finit en La maîtresse du roi !  Tout leur sang et le mien ! en mode berger-tueur-de-loups-à-mains-nues.]
→ Plusieurs très belles versions au disque (Zanotelli, Schmitz, Janowski…), au moins dix de disponibles, dont un DVD. Présentation rapide par le passé dans cette notule. Le reste du legs d'Eugen d'Albert n'est pas à négliger, en particulier la formidable Symphonie en fa, qui n'est jamais exécutée en concert, mais a elle aussi été plusieurs fois gravée (au moins trois bonnes versions).

Janáček, Das schlaue Füchslein, version allemande de la Petite Renarde rusée (Aix-la-Chapelle, Hagen, Koblenz)
→ Le meilleur Janáček à mon sens (je ne suis pas le seul), d'assez loin. Probablement le plus coloré, assurément le plus poétique. Celui où l'on entend moins ce côté Puccini chic mais sans mélodies. Et une jolie histoire atypique, qui, issue de vignettes (plus ou moins une bande dessinée, me semble-t-il) parues dans la presse, interroge l'essence de la vie.
→ Assez fréquemment donné en tchèque (y compris sous forme de réductions et arrangements divers – versions de chambre, version en dessin animé…), plus rarement en allemand.

Schreker, Der ferne Klang (Lübeck)
Schreker, Die Gezeichneten (Munich, Komische de Berlin, Saint-Gall)
→ Deux œuvres centrées autour de paraboles artistiques, sur de très beaux livrets du compositeur (surtout la seconde, désormais régulièrement donnée, presque chaque saison, dans les trois principaux pays d'Europe germanophone) qui explorent des formules musicales très riches (contrepoint complexe permanent, superposition d'accords, modulations sophistiquées, etc.) tout en exaltantle détail du texte et sans refuser un lyrisme assez irrésistible. L'écho entre les différents niveaux de lecture et d'écoute les rend tout à fait passionnants, parmi les fleurons de leur époque (années 1910), et Schreker était ainsi perçu jusqu'à sa mise à l'écart par les nazis – qui goûtaient peu le trouble de sa musique et de ses livrets. Ses figures d'artistes errants, criminels et impuissants documentaient assez exactement la société amollie et dégénérée contre laquelle toute leur rhétorique était bâtie.
→ Ce sont ses deux meilleurs opéras. Die Gezeichneten est inapprochable, mais Der ferne Klang reste assez rarement donné, il faut en profiter.
→ Et il en est abondamment question dans le chapitre dédié de Carnets sur sol.

Busoni, Doktor Faust (Osnabrück)
→ Parmi les compositeurs innovants de sa génération, ce Doktor Faust fait partie des rares titres d'opéra à rester peu ou prou à l'affiche au fil des ans. Sans doute grâce au sujet, mais cette vision héritée de Marlowe sans passer par Goethe, sise sur une musique tonale mais qui sent le voisinage de Berg, cherchant de nouvelles possibilités musicales sans renverser la table (Busoni avait théorisé des développements possibles en microtonalité, allant jusqu'à proposer des schémas d'aménagement sur les pianos pour les rendre confcrètement réalisables), ne manque pas de matière ni de qualités. Son principal défaut et que le rythme dramatique n'est pas très effréné, évoluant dans un mystère qui évoque davantage les Scènes de Faust de Schumann que la tension théâtrale la plus spectaculaire du temps. Pour autant, dans ces couleurs ramassées, sombres et discrètes, il se passe réellement quelque chose.

Hubay, Anna Karenina (Bâle)
→ L'œuvre est originellement écrite en hongrois, mais il est très possible, comme cela se fait souvent dans les pays germanophones pour les œuvres rares tchèques ou hongroises (voire les opéras comiques français, pour lesquels il existe toujours une tradition vivace d'interprétation en traduction), qu'elle soit jouée en allemand.
→ HUBAY Jenő (né Eugen Huber) est surtout célèbre comme violoniste ; virtuose, ami de Vieuxtemps, pédagogue, la discographie le documente essentiellement comme compositeur de pièces pour crincrin. Néanmoins, cet opéra, fondé sur une pièce française (Edmond Guiraud), lorsqu'il est écrit en 1914 (mais représenté seulement en 1923), appartient plutôt à la frange moderne, d'un postromantisme assez tourmenté et rugueux. Très intéressante et intense.
→ Hubay a écrit neuf opéras, dont certain sur des livrets assez intriguants : Alienor en 1885 (traduction d'un livret d'Edmond Haraucourt), Le Luthier de Crémone en 1888 (traduction d'un livret de François Coppée et Henri Beauclair), La Vénus de Milo en 1909 (d'après Louis d'Assas et Paul Lindau) et plusieurs inspirés de contes et récits populaires hongrois.
→ Extrait de la version originale ici.

Řezníček, Benzin à Bielefeld (Westphalie)
→ Řezníček appartient à la mouvance des décadents mais sa musique s'apparente souvent à un postromantisme assez formel et opaque, pas très chaleureux. Benzin (pas été donné depuis 2010 à Chemnitz, me semble-t-il) échappe à cela, avec des couleurs orchestrales et des grincements plus caractéristiques, mais j'attends toujours d'être réellement saisi par ce grand représentant du temps, ami de R. Strauss, partagé entre sa formation à Graz et ses succès à Prague et à Berlin.
Court extrait de la production de Chemnitz.

Krása
, Brundibár (Sassari, Linz)
→ Opéra pour enfants (le protagoniste étant un chœur d'enfants), récrit dans les camps pour les prisonniers du camp, où est mis en scène une sorte de croquemitaine dérisoire, de tyranneau vaincu par l'union des enfants et des animaux. Plus simple que le Krása habituel, pas vraiment passionnant en soi, plutôt un témoignage culturel de l'art (et de l'humanité) qui pouvaient survivre dans les camps. La première version en 1938 exalte plus le patriotisme, ai-je lu, que la version de 1943 habituellement donnée, plus tournée vers le retour d'une forme de justice.

Waltershausen
, Oberst Chabert (Bonn)
→ Une merveille. Du postromantisme à la fois généreusement lyrique et très complexe ; très chantant et accompagné d'un orchestre très disert ; à la fois profusif et assez lumineux. Et tout à fait personnel : ce n'est ni du Strauss versant lyrique, ni du Schreker gentil, ni du Puccini germanisé… vraiment un équilibre que je n'ai pas entendu ailleurs, quelque part entre le commentaire orchestral wagnérien et une gestion beaucoup plus directe (italienne ?) de l'action, un lien plus évident entre mélodie vocale et déclamation.
→ Il existe un très beau disque CPO capté à la Deutsche Oper, merveilleusement dirigé par Jacques Lacombe et impeccablement chanté (M. Uhl, Very, Skovhus, tous trois dans un très bon jour) – extrait ici.

Hindemith, Mathis der Maler (Gelsenkirchen)
→ Resté très célèbre grâce à sa suite, une des œuvres les plus enregistrées de Hindemith, et toujours donné de temps à autre, Mathis trace le portrait de la société qui entoure un peintre (anachroniquement) visionnaire, forcément esseulé au milieu des enjeux de la politique – et même de l'amour. Le langage y est riche, mais homogène, sans recherche du spectaculaire, fondé essentiellement sur la recherche harmonique. Sans être complètement austère non plus, un opéra assez regerien, ce que ne dévoile pas complètement la Suite, qui en regroupe les passagesles plus chatoyants (pas forcément les meilleurs, au demeurant, l'opéra me paraît autrement intéressant !).
Hindemith, Cardillac (Florence, Salzbourg, Tallinn)
→ Mâtiné d'enquête policière, ici encore écrit dans une logique qui reste postromantique, un lyrisme réel mais peu expansif, et largement tourné vers la recherche harmonique interne. Déjà donné et même repris à Paris par Gérard Mortier qui avait vivement milité pour cette œuvre…
Hindemith, Neues vom Tage (Schwerin)
→ Opéra « joyeux » (lustige Oper) mettant en scène un couple qui (essaie de) divorcer. Créé en 1929 au Kroll-Oper de Berlin par Klemperer (les wagnériens de l'Âge d'Or seront intéressés de savoir la présence de Dezső Ernster dans la distribution), et retravaillé pour une première napolitaine en 1954 en italien, avec Giuseppe Valdengo dans le rôle du mari, mais aussi Plinio Clabassi… et qui faisait le Quatrième Chef de cuisine (c'est-à-dire le dernier des ténors chantant un chef de cuisine), à votre avis ?  Piero De Palma. Je n'invente rien.
→ L'œuvre est écrite dans un langage étrange, mélange de couleurs néoclassiques, de tonalité sans direction nette influencée par Schönberg… Elle s'ouvre par un magnifique échange de noms d'oiseaux (dans le sens le moins ornithologique possible).

Schoeck, Penthesilea (Bonn)
→ Le Schoeck le plus vindicatif qui soit. Un drame de 1925, d'une heure et quart, qui claque et qui tranche terriblement, très loin du Schoeck poétique des lieder ou des pièces orchestrales, un bel équivalent d'Elektra dans un langage plus intériorisé mais tout aussi dramatique. Un chef-d'œuvre bien connu des amateurs de musiques décadentes, et trop peu représenté sur les scènes.
→ À écouter ici.
Schoeck, Das Schloß Durande (Bonn)
→ Son dernier opéra, de 1943, fondé sur Eichendorff. Rarissime. Et il y a de ces poussées lyriques là-dedans, comme ce duo emblématique !  L'œuvre a peu été redonnée pour des raisons politiques/éthiques évidentes – son association (quoique purement artistique, semble-t-il) avec les artistes nazis avait été assez mal perçue dans sa Suisse natale.

Korngold, Der Ring des Polycrates (Dallas)
→ Premier opéra de Korngold (achevé en 1914, créé en 1916) – c'est-à-dire  avant Violanta et Die tote Stadt. On y entend déjà le lyrisme débordant et l'orchestration rutilante qui font sa marque, même dans cette virvoltante conversation en musique : glissandi de harpe et fonds de célesta et glockenspiel y sont la norme. Un bijou.
→ [Une seule version, chez CPO, superbement distribuée et interprétée par le DSO Berlin, qu'on peut préécouter ici.]
Korngold, Das Wunder der Heliane (Anvers, Berlin)
→ L'opéra qui suit La ville morte (et précède son dernier sérieux, Die Kathrin), nettement plus vénéneux, et au sujet parfaitement décadent, à base d'expériences cruelles, de nudité et de surnaturel. Beaucoup plus tourmenté, moins franchement lyrique que ses autres pièces. La série d'Anvers est finie à présent.
→ [Voyez ici une vidéo certes imparfaitement exécutée, mais mise gracieusement en ligne par le chef.]

Orff, Der Mond (Prague)
Orff, Die Kluge (Prague)
→ Quelle n'est pas la surprise lorsqu'on souhaite découvrir Orff, se disant qu'après tout il avait bien saisi une forme d'essence archaïsante dans ses chansons à boire de moines… et qu'on s'aperçoit qu'il a en réalité tout écrit dans le style des Carmina Burana !  Que ce soient des textes de Catulle ou des actions dramatiques, on y retrouve les mêmes mélodies naïves, les mêmes harmonies brutes, les mêmes grosses doublures orchestrales à coups de cors…
Der Mond (« La Lune ») laisse vraiment affleurer ces répétitions assez pauvres, quasiment pré-minimalistes (sans du tout le même projet de renouvellement, évidemment), tandis que Die Kluge (« La jeune fille avisée »), peut-être grâce à son sujet, réussit un peu plus de légèreté populaire, sans s'abstraire non plus de ces formules. [La jeune fille prévient son père de ne pas remettre le trésor au roi pour ne pas être emprisonné, répond à trois énigmes pour sauver sa propre vie, réussit un jugement de Salomon pour attribuer un petit âne et enferme finalement le roi qu'elle a épousé… Mais l'opéra n'est pas très mobile pour autant. Disons que la musique sied bien aux enfants.]
→ En principe, ce devrait être chanté en langue originale, comme c'est l'usage au Théâtre National de Prague ; néanmoins, je l'ai entendu, donné en ukrainien à Kharkiv en 2015… tout reste envisageable. On peut écouter ici et .


von Einem, Dantons Tod à Magdebourg et Vienne (Staatsoper)
von Einem, Der Besuch der alten Dame à Vienne (an der Wien)
→ Étrange chose que le legs de von Einem. Beaucoup de patrimoine littéraire, déjà  : son Proceß a déjà été remonté et capté, on pourrait faire de même avec Kabale und Liebe ou Jesu Hochzeit – Noces de Jésus avec la Mort (« Tödin »), si j'ai bien suivi, rien de trop blasphématoire.
→ Pour Der Besuch, Friedrich Dürrenmatt a lui-même adapté sa tragi-comédie restée très célèbre (toujours représentée, et il existe même une assez jolie comédie musicale dessus…) ; la musique en est assez conforme aux modèles de Gottfried von Einem (Bruckner et Reger, bien qu'on soit en 1971 !), plutôt traditionnelle mais assez grise – une sorte de Hindemith plus conservateur et plus lyrique.
Dantons Tod, son premier opéra et le plus représenté ou (à l'occasion) enregistré, se fonde (avec l'aide de Boris Blacher) sur le drame de Büchner, et est à mon sens plus réussi – mais encore plus troublant. Au Festival de Salzbourg de 1947, il propose ainsi cet opéra hindemithien, où l'on s'exprime par de grandes tirades lyriques (sur ce texte détaillant parfois la Constitution ou les formes juridiques du procès…) proche des véristes (les lignes vocales n'y sont pas si éloignées d'Umberto Giordano…), tandis que l'orchestre semble parfois partir en ponctuations modernistes autonomes, issues de l'écoute des dodécaphonistes. Certains endroits paraissent très traditionnels quoique peu chaleureux, d'autres touchent à une certaine grâce (le Prélude du procès, et d'une manière générale les interludes). Quelle bizarrerie, entendre des comptes-rendus de réunion du Parti Communiste chantés comme Turandot avec des accompagnements qui s'ébrouent comme du Schönberg dernière manière mais dans un langage qui reste fidèle à Reger !  [Sans parler de Robespierre tenu par un ténor de caractère, quelle fantaisie…]
→ Aucune des éditions que j'ai consultées ne contiennent de livret traduit (uniquement monolingue), aussi cette vidéo d'une mise en scène d'Otto Schenk (remarquablement dirigée par Leitner), qui comporte les sous-titres anglais, pourrait-elle sauver quelques-uns d'entre vous.



landestheater detmold
Le Schleswig-Holsteinisches Landestheater (théâtre du Land du Schleswig-Holstein) de Flensburg – une des villes majeures de la région, même si elle rayonne moins à l'international que Kiel ou Lübeck. Le seul endroit où sera donné Le Grand Macabre de Ligeti cette saison. Parmi les autres théâtres de la ville, il en existe notamment un spécialisé dans les pièces données en danois.



4. Opéras du second vingtième siècle

Menotti, The Consul en allemand (Bremerhaven, Goerlitz, Krefeld, Innsbruck)
→ Un sujet original, qui mêle le sort de la famille d'un opposant politique traqué et l'attente dans le consulat — qui est à la fois le lieu d'une indifférence cruelle, et le terrain propice à toutes les facéties librettistiques. Mélange musical de conversation en musique, de Puccini, de Britten et de plusieurs des veines de Poulenc…
→ Un opéra qui n'est pas majeur sans doute, mais très payant scéniquement. Plus de détail (et des sons) par ici.

B. A. Zimmermann
, Die Soldaten (Madrid, Cologne, Nuremberg)
→ Considéré comme le second Wozzeck du XXe siècle, pour un orchestre encore plus démesuré et un sujet tout aussi sordide, dans un langage similaire d'une atonalité à la fois apparemment sèche et extraordinairement riche en détails. Donné ponctuellement dans les pays d'Europe qui valorisent ce répertoire (de langue allemande essentiellement, en plus du microclimat madrilène, où fut tout de même donné l'autre Wozzeck, celui de Gurlitt).

Ligeti
, Le Grand Macabre à Flensburg (Schleswig-Holstein)
→ L'opéra où triomphent le burlesque et l'absurde. Ça rugit de partout. Grand classique dont l'impact dépend surtout, je crois, des affinités littéraires. Mais on ne fait pas plus vivant et bigarré, du véritable théâtre musical.

Henze, Das Floß der Medusa (Amsterdam)
Henze, Elegie für junge Liebende (Detmold)
Henze, Der junge Lord (Hanovre)
Henze, Pollicino (Cologne)
→ Trois opéras des années 60. Le Radeau de la Méduse (écoutez) explore une atonalité avec des pôles très audibles, comme les quatre premières symphonies du compositeur, beaucoup de parties parlées en sus. Très séduisant dans ce genre-là. L'Élégie (écoutez) s'en rapproche, mais surtout chanté, sans doute moins facile d'accès, et plus intéressé par les agrégats, les volutes vocales : moins direct et dramatique. Le Jeune Lord est écrit dans une atonalité plus libre, plus horizontale, avec des touches orchestrales qui évoquent le cabaret expressionniste – j'aime moins, mais c'est purement une affaire de goût individuel.
Pollicino, plus tardif (1980), est totalement différent, opéra pour enfants, sorte de patchwork alliant l'archaïsme baroqueux, le piano, le xylophone et le célesta.



 
landestheater detmold  landestheater detmold
Le Landtheater de Bremerhaven (le port en aval de Brême) propose seulement un immense parterre et un petit balcon, uniquement de face, dans une boîte capitonnée (qui doit être assez satisfaisante acoustiquement si les matériaux sont à la hauteur). On y jouera Le Consul de Menotti en allemand, tout comme à Krefeld (entre Düsseldorf et Duisburg), qui adopte le même principe, en moins luxueux. Ce patron semble avoir été assez en vogue en Allemagne – c'est aussi celui de la Volksbühne de Berlin, voyez vous-même.



Une saison germanophone extrêmement riche en découvertes, à la fois particulièrement rares et de qualité éprouvés, donc. Peut-être est-ce lié à des impulsions mémorielles pour mettre en valeur les artistes classés comme sous l'étiquette entartete, ou bien à l'abondance de l'offre (et au public, un des plus avertis au monde, il n'y a voir comme le moindre étudiant allemand devient konzertmeister dès qu'il atterrit dans un orchestre universitaire français…). En tout cas, de quoi goûter les plus hauts régals.

Il existe sans doute quantité d'opéras et oratorios baroques en langue allemande, donnés dans des salles qui ne sont pas spécialisées dans l'opéra (je n'ai regardé que les maisons d'opéra, quasiment pas les salles de concert symphoniques), ainsi que bien d'autres productions peut-être données en format radio… La liste des réjouissances était en tout cas fournie !

Une grande quantité d'opéras contemporains est écrite en allemand (l'autre langue massivement utilisée étant de plus en plus l'anglais). J'en parlerai dans la notule consacrée précisément aux œuvres (choisies, car nombreuses, et toutes rares par définition, puisque neuves) de compositeurs vivants. Il y a beaucoup à dire là-dessus, et cette liste est assez révélatrice des tendances à l'œuvre. À bientôt !

jeudi 26 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #2 : italiens (ou en latin)


L'opéra italien, en plus de constituer à la fois l'origine et l'étendard du genre, est bien sûr majoritaire à l'échelle mondiale ; surtout grâce à Mozart-Verdi-Puccini, mais cela n'exclut pas la présence de raretés parfois assez stimulantes.

En rouge, les recommandations personnelles – non pas qu'il soit conseillé de prendre l'avion pour un seria (possiblement interchangeable), mais disons que si on les apprécie, dans le genre rare et abouti, on peut au moins trouver son compte en allant en écouter un disque ou une bande !

Avant de commencer, pour une vue plus globale de l'histoire de l'opéra italien, et de ses enjeux à travers ses différentes périodes et esthétiques, vous pouvez vous reporter à cette notule.



salle opéra
Opernhaus de Wuppertal (Est de Düsseldorf, sur la route de Dortmund), où l'on jouera Francesca Caccini. Moche, mais un théâtre à l'italienne où l'on est partout de face (et capitonné bois) est une si belle utopie !



1. Opéras baroques de première génération

De' Cavalieri : La Rappresentazione di Anima, e di Corpo (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Oratorio en réalité ; ces dialogues allégoriques (et même prosopopéisants) sont restés en vogue jusqu'au début du XVIIIe siècle dans les compositions (semi-)religieuses – pas exécutées pour un office, mais ce ne sont pas fictions conçuespour le divertissement.
→ L'œuvre a connu ces dernières années une certaine fortune (Savall, Pluhar, Jacobs en ont proposé des versions très élaborées)

F. Caccini : La liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina (Wuppertal)
→ Donnée en tournée par l'ensemble Huelgas (qui doit le publier), et récemment documenté pour la première fois au disque par Sartori (chez Glossa). D'assez loin un des opéras les plus réussis de la période, avec un des livrets les plus littéraires de tout l'opéra italien, des psychologies détaillées dans une belle langue, un très beau sens musical des flux de parole, des harmonies simples mais plus colorées que chez la plupart des contemporains.



salle opéra
Teatro Rossini de Lugo (Est de Bologne, Ouest de Ravenne), où l'on donnera Orlandini.



2. Opéras baroques d'esthétique seria


♦ On peut commencer par lire ces anciennes notules autour des principes de l'opéra seria et des néo-chapons, qui expliquent certaines des réticences que je ne vais pas manquer d'exprimer çà et là. Que cela ne vous décourage nullement, tout dépend évidemment des composantes auxquelles vous êtes le plus sensible à l'opéra !  [Par ailleurs, c'est l'opéra baroque – et d'abord le seria – qui m'a fait aimer l'opéra, aussi ne voyez rien de rédhibitoire dans ces réserves…]


Albinoni
, Zenobia, regina de' Palmireni (Venise)
→ Considérant que l'Adagio en si mineur n'a jamais été réellement cru de lui, seuls les mélomanes baroqueux un peu chevronnés ont vraiment entendu Albinoni. Il y a de jolies choses, plus typiquement baroques que les compositions de Remo Giazotto, forcément – pas toujours sans parenté au demeurant (et pour cause: l' Adagio part d'emprunts de mélodies et de basses à Albinoni, même si son orientation est néo-baroque un peu romantisante, à la façon des pastiches des Casadesus).
Zenobia est un témoignage très intéressant de la période intermédiaire qui emmène l'opéra purement déclamatoire de Monteverdi puis Cavalli à l'opéra seria. On sent qu'on est déjà après la période Legrenzi (1694), et les lignes vocales sont déjà très ornementées, mais on y trouvera aussi quelques beaux récitatifs assez mélodiques, des accompagnements qui dialoguent avec les chanteurs (plutôt que la compétition simultanée de virtuosité comme c'est ensuite l'usage). Par ailleurs, une jolie inspiration mélodique : ce n'est pas toutà fait le seria du XVIIIe, et c'est plutôt plus sobre et plus libre.

Haendel, Almira (Boston)
Haendel, Scipione (an der Wien)
Haendel, Riccardo Primo (Madgebourg)
Haendel, Berenice (Halle)
Quatre opéras peu donnés, pas nécessairement des chefs-d'œuvre néanmoins – j'ai ainsi été fort peu impressionné par Richard Ier (Cœur de Lion), malgré le sujet original (histoire médiévale, et même pas par le biais littéraire du Tasse ou de l'Arioste). La réalisation musicale m'en paraît assez peu exaltante, peu d'airs saillants, pas vraiment de tension dramatique non plus – il est vrai que la version discographique longtemps unique, de Rousset, expose ses manques habituels dans ce répertoire (vraiment mou et translucide).
→  Almira, Königin von Castilien est tout de même son premier opéra, mêlant allemand et italien, où figure déjà la fameuse sarabande (d'abord instrumentale) qui sert de base à « Lascia la spina » du Trionfo del Tempo et « Lascia ch'io pianga » de Rinaldo.
(→ Les oratorios-opéras anglais seront traités dans la partie anglophone du parcours.)

Orlandini, Serpilla e Bacocco (Lugo)
→ Refonte de 1730 d'un intermezzo comique de 1715, par un contemporain exact de Haendel (1676-1760). Pourtant, la musique n'en est pas du tout comparable aux opéras bouffes connus du temps : la langue paraît déjà tout à fait classique, avec ses récitatifs secs truculents à la façon de Mozart et Rossini, ses airs de caractère avec notes répétées (là aussi, on songe plutôt à Paisiello et Rossini). Ce n'est pas du tout un chef-d'œuvre ultime, mais sa langue musicale est en avance d'une façon troublante que je ne me suis jamais bien expliqué – sans doute est-ce une affaire de région (il est florentin, on en a peu de célèbres à cette époque), ou d'illusion d'optique en considérant les œuvres comiques célèbres contemporaines, pas nécessairement représentatives.

Vivaldi
, Motezuma (Ulm)
→ L'un des tout meilleurs opéras seria et le haut de la production de Vivaldi. Pas tant pour les airs, au demeurant, que pour l'élan général en lien avec le livret, une façon de tout articuler de façon inhabituellement fluide pour ce répertoire.[Attention, au disque, Malgoire a enregistré un pasticcio avant la redécouverte de la partition ; c'est Curtis qu'il faut écouter pour entendre la musique d'origine.]

Zelenka, Il serpente di bronzo (Frankfurt-am-Main)
→ Un oratorio en réalité. Dieu envoie une plaie – aux Hébreux qui se plaignent dans le désert – sous la forme de hordes de serpents, puis son remède (la recette pour un serpent de bronze qui sert d'antidote). Le langage en est typique de la période (1730), et plutôt sombre et dense comme souvent dans le baroque allemand de ces années. Ça ne me bouleverse pas, mais si on aime Bach ou les airs les plus mélancoliques de Haendel, c'est assez réussi – et en tout cas fort bien écrit.
→ Particularité : Dieu intervient en personne, sous la forme d'une voix de basse. Assez déstabilisant d'entendre Jéhovah répéter en boucle les mêmes mots tout en exécutant des vocalises en escalier. Mais indubitablement divertissant.


Vinci, Siroe (Naples)
Leo, L'Olimpiade (Naples)
→ Les deux Léonard napolitains écrivaient des opéras d'un postvivaldisme particulièrement virtuoses ; je n'ai rien entendu chez eux qui égale les meilleurs Haendel et Vivaldi (en revanche, qui surpasse les mauvais, oui, sans difficulté), mais je n'ai pas trop insisté : ce sont vraiment des archétypes du seria. Si l'on aime ce type de virtuosité brillante un brin extérieure au drame, ce sont des compositeurs au talent très sûr.


Ristori, Fidalba e Artabano (Lugo)
Pergolesi, La serva padrona (Helikon de Moscou)
→ Deux intermezzi comiques. La Serva padrona, peut-être plus célèbre pour la controverse involontaire dont elle fut le point de départ (la « Querelle des Bouffons » de 1752…) que pour sa musique, au demeurant délicieuse. Le sujet est comparable à Serpilla d'Orlandini, trois ans plus tôt, avec un peu plus de comique d'intrigue en sus des caractères (une servante opiniâtre prend le dessus sur un maître faible, au sein d'un enjeu amoureux).
→ Ici aussi, la musique est déjà d'une grammaire pour partie assez classique pour 1733 (sans parler des onomatopées qui feront le sel de Rossini !), on sent très bien tout ce que lui doivent Cimarosa et Paisiello. Au demeurant, une œuvre réjouissante où se manifestent un très beau sens mélodique, une véritable originalité dans la structuration des thèmes, l'aspect général de la musique, et une jovialité particulièrement délectable.


Hasse, Siroe (Amsterdam, Mainz)
Hasse, Artaserse (Pinchgut de Sydney)
→ Le grand successeur de Haendel, sensiblement sur les mêmes bases ; un peu plus virtuose que frisonnant, sans doute, même il existe bien des pépites dans le legs – je voudrais réentendre Cleofide dans une belle interprétation, par exemple (le disque de Christie est assez sec et terne).
→ N.B. : C'est l'excellent ensemble spécialiste Orchestra of the Antipodes (à l'origine de superbes Rameau, notamment) qui officie au Pinchgut.



salle opéra
Le Théâtre Académique d'Opéra et de Ballet de Saratov, à quelques mètres de la Volga – équidistant d'Oulianovsk (au Sud de Kazan) et de Volgograd. On y jouera le Mariage secret de Cimarosa – dans des conditions probablement pas très musicologiques.Mais quelle allure de temple grec – un petit côté Lincoln Memorial !



3. Opéras classiques

On a beau passer dans l'ère classique (progressivement à partir des années 1750, et façon claire dans les années 1770), dont les contours ne sont pas si faciles à définir (les improvisations de basse continue persistent jusqu'à assez tard, et les genres canoniques inchangés…), les opéras sérieux sont toujours écrits sous le format de l'opéra seria, avec ses numéros clos longs et très virtuoses. Seule la langue musicale évolue.

Gluck, Le Cinesi (Valencia).
→ Œuvre quasiment mythique dans la communauté lyrique numérique francophone, à l'origine de la scission et de l'effondrement de plusieurs vieilles maisons.
→ Pour le reste, l'étonnant témoignage d'un Gluck aux accents plus guillerets, dans lequel demeurent encore des traits de la période précédente (on est en 1754, et les traits de basson ramistes de l'Ouverture !). Les récitatifs secs en sont très longs (et peu passionnants), les accompagnements « affectifs » plus tournés vers le style classique, les tapis de trémolos et les pointés de cor déjà fréquents, mais ce reste une œuvre d'ambition limitée.

Traetta
, Antigona (Osnabrück, Oldenburg)
Antigona (1772) est déjà marquée par les innovations gluckistes qui se manifestent dans des opéras italiens dès les années soixante, avec Orfeo ed Euridice (1762) et Alceste (1767), bien avant la réforme musicale française qui advient avec Sabinus de Gossec (1773) et Iphigénie en Aulide de Gluck  (1772). [Pour les détails sur ces questions, voir la notule L'Imposture Gluck.]
→ Malgré son hiératisme, Antigona tire aussi assez, dans les mélodies des récitatifs et dans l'harmonie, vers le Mozart des Da Ponte (en particulier Nozze et Don Giovanni). On y rencontre également de grands récitatifs accompagnés par des accords d'orchestre. L'œuvre est vraiment intéressante, et la musique en vraiment inspirée [davantage que les Gluck, à mon gré]. Assez proche du style de la Chimène de Sacchini, sensiblement plus tardive (1783, après dix ans de bouleversements musicaux).

Gassmann, Gli uccellatori (Kassel)
→ Gassmann est d'abord célèbre pour sa très amusante parodie, L'Opera seria, écrite dans le style exact d'un genre qui était encore plein de vitalité, mais dans l'envers du décor d'une troupe aux personnalités dysfonctionnelles. D'une modernité librettistique étonnante, tout en sonnant réellement comme ses modèles.
Les Oiseleurs sont une autre œuvre comique (sur un livret de Goldoni!), elle aussi encore très nettement baroque malgré sa date de naissance tardive (1729) ; mais après tout, on n'est qu'en 1759 et à Venise !


Haydn, Orlando paladino (Munich, Hagen)
Haydn, Armida (an der Wien)
→ Le Haydn seria n'est pas très mystérieux (ses opéras légers non plus), mais Armida contient de beaux airs héroïques qui exploitent très bien le sujet médiévalisant. On peut difficilement le considérer comme un progrès après LULLY (déjà que celle de Gluck…), mais en tant que seria classique, il a sa réelle personnalité, et est agréable à écouter, à défaut de constituer un drame intéressant.


Piccinni, Il regno della luna (Venise)
Piccinni, La Cecchina (Trévise)
→ Respectivement opera buffa (c'est-à-dire une comédie) et dramma giocoso (c'est-à-dire pas seria, que ce soit comique ou d'un genre plus mêlé comme Don Giovanni), deux œuvres où se manifeste une tout autre veine que celle du Piccinni français, où domine vraiment la fluidité mélodique (non sans truculence au besoin) – ce qui explique les divergences de composition pour le répertoire français d'avec le modèle gluckiste. Pas fanatique de ce confort sans angle très saillants, personnellement, mais c'est au minimum tout un pan d'histoire !

Cimarosa, Il matrimonio segreto (Théâtre Musical des Enfants à Moscou, Saratov)
→ Là aussi, je diverge assez de l'appréciation des contemporains. Pas d'imagination musicale très hardie, cette jolie musique demeure tout le temps assez polie (quoique d'une tournure personnelle), et tout cela dure fort longtemps pour une intrigue aussi prévisible, même pour l'époque (secrètement mariée à Paolo, la bourgeoise Carolina devrait épouser le Comte désigné par son père, s'attirant la jalousie de sa sœur). Pourtant, succès gigantesque à l'époque. J'aime beaucoup, mais l'époque a fourni sensiblement mieux (à commencer par Cimarosa, témoin son irrésistible Maestro di cappella où la basse bouffe appelle un à un les instrumentistes, les félicitant ou les gourmandant).

Mozart, La finta giardiniera (Milan, Saint-Pétersbourg)
→ Un Mozart de prime jeunesse que je trouve assez gentillet (et assez long pour son sujet), mais qui dispose de quelques jolis airs. Bien en cour en ce moment, redonné sur un assez grand nombre de scènes de premier plan.

Zingarelli
, Giulietta e Romeo (an der Wien)
→ 1796, en pleine transition. L'orchestration, le langage demeurent classique, mais les récitatifs secs sont très rossiniens, les duos s'alanguissent en s'infléchissant progressivement de Mozart vers le belcanto romantique. Très intéressant, sans être non plus trop profondément prégnant.



salle opéra
Le Teatro Donizetti de Bergame (au pied des Alpes, Nord-Est de Milan, entre Côme et Salò), où l'on donnera un opéra bouffe de Mayr, et un autre de Donizetti (évidemment), tous deux rarissimes.



4. Opéras romantiques belcantistes

Cherubini, Ali-Baba ou les Quarante Voleurs – en français ou en italien ? (Milan)
→ Cherubini se situe à cheval sur toute la série d'esthétiques franco-italiennes du temps : opéra sérieux sur les livrets à la mode (Armida abbadonata, Adriano in Siria, L'Allessandro nell'India…), opéras bouffes (Lo sporo di tre et marito di nessuna, La finta principessa), l'opéra-comique ambitieux  (Les deux journées), la tragédie en musique (Démophoon), l'opéra-ballet (Anacréon), les commandes révolutionnaires (collaboration au Congrès des Rois), et tout un tas de choses intermédiaires, comédies héroïques (Lodoïska), drames lyriques (Pygmalion), l'étrange Médée (tragédie en musique dans un moule formel d'opéra-comique), avant de verser dans l'esthétique romantique (Les Abencérages en 1813), comme en témoigne tout à fait ce dernier opéras, créé à l'Opéra de Paris, entièrement mis en musique (sans dialogues), dans une veine très continue italienne un peu lisse. La seule version discographique à ce jour, me semble-t-il, en est d'ailleurs une traduction italienne, fort peu soucieuse du style musicale (très lent et épais).

Mayr, Che originali ! (Bergame)
→ Opéra-bouffe d'un des compositeurs importants du temps, assez bien documenté au disque, rarement bien servi (versions très lentes et molles, pas mal de choses mal captées aussi). Ce qu'on peut en percevoir n'est vraiment pas exaltant, une sorte de Donizetti archaïque, aucune invention musicale ni même mélodique, du sous-sous-Piccinni romantisé. J'avoue être passé tout à fait à côté – sont succès doit bien avoir quelque cause. Mais je ne connais que ses œuvres sérieuses, pas celle-ci.

Spontini, Le Metamorfosi di Pasquale (Venise)
→ Je ne connais pas spécifiquement ses opéras bouffes. Ses opéras-comiques contiennent très peu de musique (en quantité), pas très marquants non plus, mais l'esthétique n'est pas la même qu'en italien, il faut donc tenter.


Rossini, La Donna del Lago (Lausanne)
Rossini, Mosè in Egitto (Hanovre)
Rossini, La Scala di Seta (Lausanne)
Rossini, La Gazza ladra (Saint-Pétersbourg)
Rossini, Il Viaggio a Reims (Hanovre)
Rossini, Il Turco in Italia (Sydney)
→ Du Rossini sérieux (la fresque animée sur Walter Scott de la Donna del Lago est à mon sens le meilleur seria de Rossini – et cette fois donnée par un « baroqueux » très animé, Petrou), du Rossini léger, parfois anecdotique (la Pie voleuse est charmante, sans atouts majeurs sorti de l'ouverture), parfois grisant (les typologies endiablées du Voyage à Reims, assez en vogue ces dernières années).
→ Quant au Turc, je le distingue non pas en raison de sa suprême rareté – il est relativement peu donné, et bien moins que son pendant L'Italienne, mais donné tout de même –, mais parce qu'il constitue, à mon sens, un sommet assez absolu du genre comique à l'opéra. Le livret autoréférentiel de Felice Romani (le Poète est un membre majeur de l'action), les ensembles endiablés, le sens mélodique, les récitatifs éloquents, les personnages à la serpe mais touchants, la couleur locale, et une douce nostalgie qui baigne parfois tout cela (le trio final) quand ce n'est pas la franche rigolade (le trio de la bastonnade du poète interventionniste)… tout concourt au succès final. Inexplicable pour moi que ce soit le Barbier qu'on joue autant, en comparaison. En somme, écoutez-le au disque, au minimum (Conti chez Naxos ou Chailly chez Decca).


Donizetti, Poliuto (Barcelone)
Donizetti, Pia de' Tolomei (Pise, Lucques, Livourne)
Donizetti, Maria di Rohan (Washington)
Donizetti, Pigmalione (Chicago)
Donizetti, Adelia (Hildesheim, Nienburg, Fulda)
Donizetti, Rita (Chicago)
Donizetti, Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Prague, Krasnoïarsk)
Donizetti, Il borgomastro di Saardam (Bergame)
→ Beaucoup de Donizetti bouffes peu célèbres cette saison, et pas seulement en Italie. Je serais mal placé pour faire la fine bouche sur cette part de son legs, même s'il est très inégal (pour en rester aux deux plus fameux, autant L'Elisir me paraît vertigineux, autant Don Pasquale me semble très commun). De même, bien que j'aime assez prendre Donizetti en mètre-étalon de la chicherie musicale du premier romantisme italien, il existe de quoi se repaître dans son répertoire sérieux, et Poliuto, source des Martyrs, mérite un peu d'attention. Moins convaincu par les Gemma, Pia, Maria ou Anna (voire tout de bon ennuyé), mais pour ceux sensibles au genre, il y a de quoi varier de Lucia en voyageant un peu.


Bellini, Il Pirata (Saint-Pétersbourg)
Bellini, La Straniera (Washington)
→ Enfant prodige du belcanto romantique, tôt emporté, Bellini rend la tâche assez facile pour faire le tour de sa production, pour la plupart régulièrement donnée. Ces deux-là (et bien sûr l'Ernani inachevé mais très réussi) illustrent assez bien ses deux facettes : le belcanto aimable un peu fade (Sonnambula, Beatrice di Tenda, voire les Capuletti, déjà plus ambitieux) pour Il Pirata (très formel de surcroît) ; les raffinements discrets de l'harmonie et de l'orchestration derrière le lyrisme, le sens dramatique aussi (comme pour I Puritani) dans La Straniera, son meilleur opéra à mon sens après Norma et Puritani.

salle opéra
L'Opéra National de Szeged (Sud de la Hongrie, aux confins de la Serbie et de la Roumanie). Son amphithéâtre… amphithéâtral est sur le même modèle que celui de l'Opéra de Budapest. On y jouera Ernani de Verdi.



5. Révolution verdienne


Verdi, Oberto (Wrocław)
→ Son premier opéra, déjà caractérisé par sa liberté structurelle, ses récitatifs remarquablement mélodiques (et au cordeau prosodique), ses airs très dramatiques,ses ensembles riches où chaque personne est individualisé. Une de ses grandes œuvres, en réalité. Une fois Oberto et Nabucco (son troisième) composés, il faut attendre Stiffelio (13 titres plus loin !) pour
Verdi, I Lombardi alla prima crociata (Turin)
→ Encore belcantiste, mais très abouti, et la source (le sujet et une partie de la musique) de Jérusalem, sa première commande française.
Verdi, Ernani (Monaco, Barcelone, Szeged, Istanbul)
→ La censure autrichienne a un peu défiguré (les Autrichiens n'appréciaient pas le roi dans l'armoire, en particulier) le livret, devenu assez inoffensif. La musique aussi, malgré ses énormes qualités (les récitatifs sont des moments assez glorieux du catalogue de Verdi), demeure encore pensée en « numéros », et sensiblement marquée par le moule belcantiste (tout en étant déjà autre chose).
Verdi, I due Foscari (Bonn)
→ Réputé l'un de ses coups de génie de jeunesse. Il y a là certes de belles choses, mais je n'y trouve pas la prégnance mélodique ni la liberté de ses meilleures œuvres des « années de galère ». Une très bonne œuvre néanmoins, qu'on n'entend guère en France.
Verdi, Giovanna d'Arco (Konzerthaus de Berlin, Rostov)
→ Du Verdi très belcantiste, pas son meilleur ouvrage.
Verdi, Alzira à Buxton (Derbyshire)
→ Sa mauvaise réputation comme un des Verdi les plus faibles me paraît exagérée (il vaut très largement Jeanne d'Arc et Legnano), sans constituer un sommet non plus.
Verdi, I Masnadieri (Monaco, Bilbao, Rome, en allemand Volksoper de Vienne)
→ De très beaux ensembles, des airs moins passionnants.
Verdi, Il Corsaro (Valencia)
→ Un des meilleurs Verdi (de la première période, en tout cas). Le sujet, emprunté à Byron (mais sans humour, ici), propose un panache scénique remarquable, et bien que le plan en demeure assez formel (avec des airs très identifiables), le tout se suite comme une fresque aux jolies mélodies et à la tension dramatique tout à fait réussie. Un charme très particulier, pour une des œuvres les moins données de son auteur.
Verdi, La Battaglia di Legnano (Florence)
→ Probablement le Verdi que j'aime le moins. Vraiment peu d'airs saillants, une forme très scolaire… un dirait du (pas très grand) Donizetti écrit un peu plus tard.
Verdi, Stiffelio (Budapest)
→ L'œuvre est totalement du niveau de la Trilogie Populaire, encore plus aboutie que Luisa Miller, elle mérite clairement une entrée au répertoire. Les imprécations désespérées du pasteur trahi par sa femme (oui, une femme adultère dans un premier rôle féminin de grand soprano !), les ensembles étourdissants, le brouillage récurrent entre récitatifs, « scènes », ariosos, airs et ensembles, tout concourt à l'admiration du traitement d'un sujet déjà plutôt ébouriffant.
        ► Verdi change tout. Vu à l'échelle de l'histoire musicale, il ne se passe rien ici (ou. presque.), les Germains (et quelques français) ont vraiment poussé les moyens de composition beaucoup plus loin. À l'échelle de l'Italie, ou même de l'histoire de l'opéra, il en va tout autrement. Verdi fait passer l'opéra, qui baignait depuis 150 ans dans une fascination complaisante envers les voix agiles au détriment des livrets et de la variété musicale, dans l'ère d'une recherche d'impact dramatique, de couleur unique pour chaque ouvrage.
        ► Oh, certes, Verdi exalte toujours les voix, et c'est ce qui fait son succès, il n'est pas italien pour rien. Dans le même temps cependant, il impose à ses librettistes un chemin qui fait de lui, aujourd'hui encore, l'un des compositeurs d'opéra les plus efficaces de tous les temps. Il peut, en une quarantaine de mesures, vous renverser une situation, vous peindre cinq sentiments contradictoires, tout en restant parfaitement clair. Il écrit des airs, oui, mais n'alanguit jamais l'action, qui frappe comme la foudre.
        ► Par ailleurs, il est aussi (de très loin), aussi étrange que cela puisse paraître, le compositeur italien le plus avancé dans le langage proprement musical, avant que n'arrive la nouvelle génération menée Leoncavallo et Puccini : personne pour oser ces modulations, ou même ses effets orchestraux (mesurés) ; pas non plus de meilleur serviteur de la prosodie, et pourtant il est celui qui ose les choses les plus hardies. Quand on explore le fonds de ses contemporains, on est frappé par le fait qu'ils écrivent encore du Donizetti enrichi, là où Verdi est vraiment, totalement, incontestablement ailleurs (et au-dessus). S'il y a vraiment un domaine où le tri établi par l'Histoire paraît inattaquable, c'est bien l'opéra italien du milieu du XIXe siècle. Je veux bien discuter la suprématie absolue de Mozart (je n'ai pas dit que c'était évident : 1,2,3), pas celle de Verdi dans son domaine.
        ► À l'exception de Stiffelio qu'on peut considérer comme œuvre de maturité (juste avant Rigoletto qui ouvre les années de gloire incontestée, et juste après Luisa Miller qui en est peu ou prou), du fait de sa grande liberté, ces œuvres rares susmentionnées sont toutes de jeunesse (tout simplement parce qu'on joue abondamment toutes celles qui suivent Stiffelio, sa refonte en Aroldo exceptée).

De Giosa, Don Checco (Naples)
→ Contemporain de Verdi, Nicola De Giosa propose dans Don Checcho un opéra bouffe qui évoque Rossini, voire Martín y Soler. Rare, mais pas indispensable.

Foroni, Margherita (Wexford)
→ Cadet d'une douzaine d'années de Verdi, Jacopo Foroni avait dû fuir l'Italie après avoir participé à la révolte anti-autrichienne de 1848. Il dirige alors des opéras de Bellini et Donizetti en Europe, et s'établit en Suède. Il y écrit ainsi notamment Christina, regina di Svezia (« Christine de Suède »).
→ On sent chez Foroni l'impact de la révolution verdienne, avec un goût pour les situations dramatiques et les ensembles, un soin de la finition vraiment délectable. Le langage est certes un peu plus policé et rétro que celui de Verdi, mais considérant son jeune âge (mort à 33 ans, il écrit Margherita à 23 ans), il constitue l'une des figures les plus prometteuses de l'opéra italien d'alors. Voyez par exemple ces extraits de Christina. Encore une belle résurrection (avait-on rejoué Margherita ? guère en tout cas) au crédit de Wexford.



salle opéra
Comme vous n'irez probablement pas cette année après le mal que vous lirez sur La Wally et Iris, contemplez ici la façade typiquement italienne du Teatro del Giglio (Théâtre du Lys) de Lucques, un jour de marché.



6. L'après Verdi, l'après Wagner


Catalani, La Wally (Lucques, Wexford)
→ Emblématique à cause de son bel air de Diva aussi bien que par sa place emblématique dans le vérisme : on parle souvent d'opéras véristes pour qualifier un style musical commun qui s'adapte à des sujets tout à fait traditionnels en réalité (I Medici de Leoncavallo, Edipo de Mascagni, Andrea Chénier de Giordano… où est le naturalisme là-dedans ?). Dans La Wally, tout est vériste : l'intrigue présente les déviances de pauvres gens (probablement consanguins) perdus dans la montage, leur vie mesquine et déroire, leur mort ridicule.
→ Au demeurant, il n'est pas très étonnant que ce ne soit que peu donné : ni le livret ni la musique (qui culmine en effet dans l'air) ne sont vertigineux.

Puccini
, Edgar (Saint-Gall)
→ Ce Puccini-là fait encore du Verdi, et le fait diablement bien. Un Verdi plus souple et élégant, sans avoir la même force dramatique ou mélodique, certes. Une très belleœuvre qui, comme le bijou Le Villi, mériterait abondante présence sur les scènes. Pour cette saison, il faudrait voyager jusqu'au cœur de l'Helvétie pour pouvoœir en profiter. Il y aura d'autres occasions.

Puccini, La rondine (Gênes)
→ (C'est-à-dire « L'hirondelle », rien à voir avec Schnitzler.) Supposément du Puccini plus conversationnel, mais en réalité, c'est aussi l'une de ses œuvres les plus sirupeuses, et sans la contrepartie d'un livret un peu méchant comme pour Tosca ou Turandot.
→ Intrigue de salon, un peu comme Fedora de Giordano (dont la musique est moins complexe, mais aussi moins dégoulinante). À noter, le rôle p'incipal (Ruggero Lastouc) fut créé par Tito Schipa !

Giordano, Fedora (Stockholm, Saint-Pétersbourg)
→ Giordano, plus connu pour son Chénier, n'est pas réputé, et non sans fondement, pour sa finesse ; néanmoins dans Fedora, même si la langue demeure celle du lyrisme vériste, le dispositif du salon, à l'acte II (requérant un pianiste virtuose qui doit jouer sur scène pendant que les chanteurs conversent), est d'une originalité et d'une réussite remarquables. C'est le dénouement qui est beaucoup plus banal, et paraît assez éloigné de l'atmosphère d'intrigue des deux premiers actes, plus nourrissants musicalement au demeurant.

Mascagni, Iris (Lucques)
→ Réputé comme l'un des meilleurs Mascagni, ce reste… du Mascagni. Certes, l'intrigue sort de l'ordinaire : au Japon, une fille naïve enlevée par un séducteur, puis jetée dans les lieux de perdition de la ville. Mais la musique demeure très sommaire, purement italienne, l'orchestre bardé d'unissons inutiles, comme toujours avec Mascagni – son Edipo aussi, roi grec tout de même, s'exprime comme le Compare Alfio. On attendrait des couleurs orientalisantes ou au minimum un climat plus voilé et tourmenté, rien de tout cela – il nous refait même le coup de l'intermezzo de Cavalleria. À l'intérieur de l'œuvre, les situations ne sont pas contrastées non plus, impossible de distinguer la vie paisible de la jeune fille de l'enlèvement, le village du lupanar… tout est écrit dans le même lyrisme un peu droit.
Je n'aime pas beaucoup Madama Butterfly, autre sujet japonais au soprano expiatoire, mais c'est indéniablement de la grande musique ; ici, tout est beaucoup moins clivant (moins de sirop, clairement), mais aussi beaucoup moins intéressant.

Cilea, L'Arlesiana (Deutsche Oper de Berlin)
→ Par rapport à Adrienne Lecouvreur, L'Arlésienne représente un moyen terme : ni les trépidations jubilatoires des archaïsmes du début des actes I et III, ni les langueurs sirupeuses des grands airs des héros… Une musique assez continue, fluidement italienne, pas d'un grand relief, mais dont l'intrigue et le charme tiennent très bien en haleine, surtout avec le renfort de la scène (et de bons chanteur).

Alfano, Risurrezione (Wexford)
→ D'après Tolstoï, un titre très post-puccinien, mais d'un Puccini un peu crépusculaire, vraiment menaçant. Bel opéra, très différent des aspects plus modernes d'Alfano (mais supérieur à son achèvement servile de Turandot). Compositeur décidément protéiforme, entre les influences françaises de la musique de chambre, le décadentisme germanique des symphonies, la bizarre conversation en musique chargée de Cyrano


salle opéra
Le Staatsoper Stuttgart (1912), où se tiendra Le Prisonnier de Dallapiccola.



7. Opéras des écoles du XXe siècle

Casella, La Favola d'Orfeo (Stanislavski de Moscou)
→ Il ne faut pas en espérer le grand Casella décadent : il s'agit d'une œuvre très néoclassique, et pas dans le sens d'un langage épuré mais nouveau. Cet Orfeo est plutôt comparable aux œuvres mineures de Milhaud, la simplicité harmonique italienne et le sirop un peu visqueux en sus. Aussi éloigné que possible de ses grandes œuvres symphoniques (même celles avec voix). [La Donna serpente, remontée l'an passé à Turin, ne vaut pas mieux : étranges imitations de Boris et proximité avec Prokofiev, mais sans du tout, là encore, la même matière musicale, particulièrement plate.]

Wolf-Ferrari, Il segreto di Susanna (Turin)
→ Une délicieuse conversation en musique aux accompagnements délicieusement boisés. Totalement tonal et rafraîchissant, un très courte pièce (moins d'une demi-heure) au charme archaïsant irrésistible.

Dallapiccola, Il Prigioniero (Bruxelles, Stuttgart, Florence, Dresde)
→ J'ai hésité à le mentionner, dans le Prisonnier est devenu un grand standard des scènes ouest-européennes. Son sujet militant (tiré du Dernier jour d'un condamné de V. Hugo) sur un domaine pas trop conflictuel (la torture psychologique, c'est mal), son côté « humaniste », sa référence littéraire, sa musique très sombre mais accessible (une tonalité élargie mais tout à fait polarisée, complètement intelligible), son climat oppressant, sa petite durée, tout en fait une excellente passerelle pour les publics vers la musique du XXe siècle. [À titre personnel, c'est plutôt Volo di notte que je voudrais voir s'imposer, cette œuvre est d'une poésie remarquable tout en clair-obscurs, et absolument de son temps tout en empruntant un langage parfaitement familier.]

Maderna, Satyricon (Salzbourg)
→ Grande masse de textes en patchwork innombrables, pas forcément très musicale, mais assurément foisonnante – j'avoue préférer les œuvres plus domestiquées de Maderna (le Concerto pour hautbois, au hasard), mais l'expérience ne doit prendre son sel qu'en vrai. (Plus encore que pour Prometeo de Nono, par exemple).

Rota
, Il cappello di paglia di Firenze (Naples)
→ Autre bijou de conversation en musique, peut-être pas très marquant musicalement, mais qui, joint au texte, laisse planer le sourire sur les lèvres. De la belle comédie qui suit de près la pièce de Labiche.

Au sein de l'immense répertoire du Mariinsky (Théâtre Marial, ancien Kirov), on jouera cette bizarrerie d'opéra en latin d'un gamin de onze ans.



8. Opéras en latin

Mozart, Apollo et Hyacinthus K.38 (Saint-Pétersbourg, Helikon de Moscou)
→ Le premier opéra de Mozart (si on compte Die Schuldigkeit comme oratorio), composé à onze ans. Étrangement, seule la Russie semble le donner cette saison.

salle opéra
Étages vertigineux de la salle très scaligère du Teatro Comunale Mario Del Monaco de Trévigny (au Nord de Venise).



Pas si mal pour un répertoire encore plus défini que les autres par ses têtes de gondole.

Restent encore beaucoup d'ères linguistiques à parcourir, à ce train-là j'aurai fini de présenter la saison en décembre. Mais peu importe, c'est aussi l'occasion de prendre conscience de ce qu'est le répertoire des maisons du monde, concrètement, et il est assez différent de ce que peuvent suggérer les disques.

Et puis si vous n'êtes pas content de la sélection ou du rythme de publication, vous pouvez toujours jouer pour passer le temps – l'exercice est vraiment difficile (13/15 en ce qui me concerne, et ce score inclut des compositeurs que je n'ai, en toute honnêteté, pas encore écoutés).

mardi 17 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #1 : slaves orientaux (et voisinage)


Pour le principe de cette exploration, voir la première notule de la série.
◊ Les opéras sont d'abord classés par langue (quels que soient le lieu de la représentation, la langue d'origine du compositeur – ou même de l'œuvre), puis par âge des compositeurs ; les villes par ordre supposé d'accessibilité depuis la France.
En rouge, les titres qui donnent bien l'envie de s'engouffrer dans un avion. Avis personnel.

J'ai la fantaisie de débuter avec les Russes.

Ils sont assez nombreux en raison du choix d'inclure les titres peu donnés en France, voire en Europe centrale et occidentale ; à l'échelle de la Russie, les Glinka et Rimski sont tout à fait habituels.

Le reste du répertoire y est extrêmement conventionnel – opéras romantiques italiens surtout (et célèbres), mais j'ai été surpris de remarquer une assez grande présence de créations de compositeurs vivants (certes, uniquement à Saint-Pétersbourg et Moscou).

Beaucoup de concerts ou représentations sont donnés avec une date unique, surtout dans les villes moyennes (enfin, les grandes villes de Russie, mais pas les deux grandes). Même à Saint-Pétersbourg, les raretés du Mariinsky sont en général données un seul soir, en version de concert.
 



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Opéra de Yoshkar-Ola.




1. Opéras romantiques composés en russe

Glinka, Rouslan et Loudmila (Perm)
Glinka, Une vie pour le Tsar (Frankfurt-am-Main, Saint-Pétersbourg, Novgorod, Saratov)
→ Encore très marqués par les modèles européens, et en particulier italien, les opéras de Glinka ont la réputation d'inaugurer le genre – en réalité, il existe même des opéras de type seria au XVIIIe siècle écrits en langue russe. Mais Glinka a la particularité d'inventer un équilibre nouveau, et malgré le langage musical très dépouillé (un peu nu à mon gré, on n'est pas si loin des récitatifs italiens « blancs » ajoutés à la Médée de Cherubini), de donner une coloration locale forte à ses œuvres.
→ Le résultat a quelque chose du durchkomponiert de Weber (même si le climat n'est pas le même, la comparaison structurelle aec Euryanthe ne me paraît pas absurde). En tout cas une écriture assez continue, pas forcément très saillante, mais qui a fait école dans la façon très souple qu'on eu les Russes de traiter leurs « numéros » : même les grands mélodistes s'arrêtent peu pour écrire de grands airs.
→ À noter, à Francfort, l'opéra Une vie pour le Tsar est donné sous le titre préféré par les Soviétiques, Ivan Soussanine (pour exalter le sacrifice individuel pour le bien commun, plutôt que la religiosité tsariste, évidemment), mais je ne crois pas qu'il y ait de divergences musicales significatives entre ces versions.

Dargomyzhsky, Le Convive de pierre (Bolchoï de Moscou)
→ L'opéra est très populaire en Russie, souvent donné (même capté en studio pour la télévision à l'époque soviétique) : il reprend littéralement la pièce de Pouchkine, et se compose surtout de récitatifs austères, ponctués de quelques numéros musicaux plus galants. Une belle œuvre qui place le verbe au premier plan, et qu'on ne donne guère hors du pays. [Quant à sa Rusalka là aussi pouchkinienne, on ne la donne plus guère, même en Russie, malgré ses qualités.]
→ Don Juan est ici pour la première fois sincèrement et fidèlement amoureux, mais c'est de Donna Anna en pleurs sur la tombe du Commandeur.
→ La version usuellement donnée est celle de 1903 (créée en 1907), achevée par César Cui, réorchestrée par Rimski-Korsakov – et partiellement remaniée par le même, notamment avec l'ajout du Prélude.

Rubinstein, Le Démon (Barcelone)
→ Moins russisant que ses camarades de la même génération (années 1830-40), Rubinstein propose un opéra qui combine une forme de lyrisme mélodique russe à une violence dramatique qui évoque plutôt les Allemands (Marschner en particulier, sujet fantastique aidant). Un démon veut triompher d'une femme vertueuse. Et c'est compliqué.

Borodine, Le Prince Igor (Saint-Pétersbourg, Novaya Opera de Moscou, Rostov, Saratov)
→ Le grand classique inachevé, d'un patriotisme assez simple (le Prince trahit sa parole envers ses ravisseurs pour sauver l'Empire), toujours à la mode en Occident pour ses danses barbares polovstiennes (dont je n'ai jamais trop saisi la force, je l'admets). Complété par ses potes du Groupe des Cinq, il contient de belles choses, mais on demeure dans cette première manière de l'opéra russe, assez hiératique. Il y a tout de même le merveilleux air du Prince captif, une mélodie envoûtante, un récit poignant, dans le même esprit que le grand air deBoris sur le pouvoir (dans la révision de 1872) – on pourrait le donner plus fréquemment en récital.

Moussorgski, La Khovanchtchina (Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
→ Fréquent en Russie, plus rare ailleurs, même s'il est quelquefois donné dans les maisons d'Europe et des États-Unis. Grande fresque bien connue sur les bouleversements politiques russes, là aussi inachevée, disposant de multiples adaptations, et se répandant en longues scènes closes très impressionnantes.

Tchaïkovski, Opritchnik (Saint-Pétersbourg)
→ Il n'en existe que peu de versions discographiques, toutes anciennes (pas forcément des prises officielles, pas forcément disponibles non plus), et aucune avec livret. Pourtant, une vaste œuvre de 2h40, de TCHAÏKOVSKI, pas du neveu de ma belle-sœur… Une de ses partitions les plus russes, pourtant, très contrastée et intense – dont l'atmosphère culmine dans un grand chœur masculin a cappella suivie dans une grande scène emportée de ténor avec choral de cuivres… Une merveille qui s'élève au niveau d'Onéguine et de la Dame de Pique, expansive dramatiquement, foisonnante musicalement, et regorgeant de mélodies merveilleuses.
→ Sensiblement aussi incompréhensible pour moi reste l'absence de L'Enchanteresse (dont j'ai peiné à trouver le livret – russe seulement – et la partition), musique remarquable (du Tchaïkovski très romantique, tout simplement), livret très exploitable, qu'on ne joue jamais, pas même en Russie (au disque, deux enregistrements, sans livret). Et Vakoula le Forgeron (version originale des Souliers de la reine), dont il n'existe RIEN au disque.

Tchaïkovski, Mazeppa à Gera (Thuringe), Saint-Pétersbourg (Mariinsky), Moscou (Helikon), Kharkiv (Ukraine Nord-Est) et Novgorod.
Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans (Leberec en Tchéquie septentrionale, Ufa en Russie centrale)
Mazeppa a un peu été donné en Europe, la Pucelle très peu. Le premier est dans un langage romantique très sobre, avec beaucoup de scènes champêtres, d'ensembles assez simples… l'œuvre regarde plutôt du côté de Glinka. La Pucelle est plus étrange, bidouillant l'histoire-historique très au delà de la vie intime des protagonistes ; assez disparate musicalement aussi, mais pourvue de réelles beautés d'un style assez inédit.

Rimski-Korsakov, Snegourotchka (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou)
Rimski-Korsakov, Sadko (Saint-Pétersbourg, Krasnoïarsk)
Rimski-Korsakov, Mozart et Salieri (Helikon de Moscou, Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
Rimski-Korsakov, La Fiancée du Tsar à Kaunas (Lituanie), Minsk (Biélorussie), Donetsk (Est de l'Ukraine, voyage pas recommandé), Rostov, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou, Ekaterinburg, Tcheliabinsk (Russie, au Nord du Kazakhstan), Novgorod?
Rimski-Korsakov, Tsar Saltan (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou, Tel Aviv)
Rimski-Korsakov, Servilia (Opéra de Chambre de Moscou)
Rimski-Korsakov, Kastcheï l'Immortel à Minsk (Biélorussie) et Yoshkar-Ola (Russie)
Rimski-Korsakov, Kitège (Saint-Pétersbourg)
Rimski-Korsakov, Le Coq d'or (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Péterbourg)
→ On ne joue que ponctuellement Rimski hors de Russie, mais en Russie, son répertoire y tourne assez bien, même si l'ensemble de ses opéras n'y sont pas forcément joués. Par rapport à l'état du legs de César Cui (dont on attend une remise au jour de Mateo Falcone, pour commencer !), c'est vraiment la gloire intersidérale.
→ Le catalogue comporte des œuvres très diverses, entre le récitatif très brut de Mozart et Salieri, les saynètes de contes bigarrés (Sadko, Saltan) ou plus lyriques (La Fille de Neige), voire ténébreux (le Coq), les grands opéras historiques (la Fiancée) ou féeriques (Kitège)… J'aime particulièrement pour ma part le caractère très direct de l'harmonie, le galbe de la parole dans la Fiancée, mais c'est pure inclination personnelle, le reste est remarquable aussi.
→ Ladite fiancée est régulièrement jouée, certes, mais tout de bon plébiscitée cette année dans la zone d'influence, et ce n'est pas sans implication géopolitique, j'en parlerai.

Taneïev
, Oresteïa (Saratov)
→ Dans L'Orestie, Taneïev présente plutôt le jour paisible et assez académique de ses quatuors à cordes ou de ses symphonies, même si les trouvailles y sont plus saillantes. Il ne faut pas nécessairement en espérer les moments de grace de ses trio avec piano, quatuor avec piano, quintettes à cordes ou avec piano… Pour autant, c'est peu donné, et pas du tout dénué d'intérêt.





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Opéra d'Ekaterinburg.





2. Opéras des écoles du XXe siècle composés en russe

Rachmaninov, Aleko (Kiel, Glasgow)
Rachmaninov, Francesca da Rimini (Kiel, Glasgow, Saint-Pétersbourg)
→ Deux bijoux absolus, qui sont assez régulièrement donnés en Europe occidentale ces dernières années (Paris en concert pour Rimini, Nancy, Bruxelles…).
Aleko, à défaut d'intrigue complexe, propose une sorte de quintessence de l'épanchement russe – dans une veine post-Rimski plutôt que réellement rachmaninovienne, et réellement calibrée pour l'opéra. Quant à Francesca, elle demeure une expérience proprement hallucinatoire en salle, avec l'effet tournoyant de son chœur de damnés qui mime les premiers cercles des enfers dantesques.
(Pas de Chevalier ladre cette année sur Terre.)

Stravinski, Mavra (Opéra de Chambre de Moscou)
Stravinski, Le Rossignol (Saint-Pétersbourg)
→ Encore une fois un choix varié, entre l'opéra comique Mavra et la féerie ineffable du Rossignol, sorte de parent vocal de l'Oiseau de feu, mais creusant déjà des univers beaucoup plus modernes et sophistiqués, moins mélodiques aussi.

Prokofiev, Le Joueur (Anvers, Bâle, Staatsoper de Vienne, Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, L'Ange de feu (Glasgow, Varsovie)
Prokofiev, Semyon Kotko (Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, Les Fiançailles au couvent (Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Opéra de Chambre de Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
Prokofiev, Velikan, pièce pour enfant (Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg)
→ Sans surprise, l'Amour des trois Oranges est le plus joué dans le monde, et un peu partout (donc absent de la sélection). Pour le reste, le plus impressionnant reste bien sûr L'Ange de feu, d'un expressionnisme flamboyant et redoutable, composé sur près d'une décennie, et qui fournit l'essentiel de la matière thématique de la Troisième Symphonie : l'atmosphère en est saisissante, même si ce n'est pas, en ce qui me concerne, mon langage d'élection.
Les Fiançailles au couvent sont une comédie assez chargée musicalement (donc intéressante) et pas vraiment drôle ; quant à Kotko, vraiment peu donné, c'est un opéra autour d'un soldat de retour du front (mais le père de sa bien-aimée est contre-révolutionnaire), du véritable réalisme soviétique (1939 !) avant l'Homme véritable, et dont la matière dramatique et musicale m'a toujours paru un peu mince, mais c'est peut-être trop loin de mes inclinations pour que j'en saisisse toute la portée. [Je ne connais personne qui aime ça très fort, cela dit.]

Chostakovitch, Moscou, Quartier des cerises à Braunschweig (Basse-Saxe) et Gelsenkirchen (Ruhr).
→ Opéra léger charmant, qui ne contient pas de matière musique de première classe, mais qui n'est pas dépourvu d'attraits. Plutôt le Chosta des Suites de jazz, mais plus du côté de la chansonnette que du sirop.
Chostakovitch, Les Joueurs (Saint-Pétersbourg)
→ Opéra inachevé qui laisse voir de très belles choses, en particulier des ensembles intéressants.

Vainberg / Weinberg, La Passagère à Frankfurt (Hesse), Aarhus (Danemark), Saint-Péterbourg, Moscou (Novaya Opera), Ekaterinburg.
→ Véritable hit européen inattendu, cette saison, après une résurrection assez récente (première exécution complètement scénique en 2010 !) – et une renommée certes flatteuse du compositeur, mais pour autant loin d'occuper les saisons symphoniques ou chambristes européennes.
→ Il faut dire que le sujet a tout pour séduire la communication d'un opéra européen : le pitch inclut à la fois les PTSD (Syndromes post-traumatiques) et les Camps de la mort. Cela dit, force est d'admettre que Vainberg réussit remarquablement son affaire.
→ Car le livret repose sur un dispositif double : la Passagère sur un bateau de croisière, croit reconnaître une prisonnière, ancienne détenue au camp d'Auschwitz (où elle exerçait comme garde, ce qu'ignore son mari). La prisonnière est morte, en principe, mais cela donne l'occasion de faire dialoguer le « présent » sur le pont supérieur avec la vie du camp représentée sur le pont inférieur.
→ Musicalement, on reste dans l'univers soviétique, mais avec une douceur inhabituelle : rien de mélodique ni de suave, bien sûr, mais pas de paroxysmes ni de grincements non plus, une évocation assez subtile, qui épargne aussi, musicalement, la complaisance lugubre.
Vainberg / Weinberg, L'Idiot (Saint-Pétersbourg)
→ Beaucoup plus tardif (1985), pas encore testé : très rare, contrairement à la Passagère qui a été captée en vidéo et a parcouru l'Europe ces dernières années.

Chtchédrine, Les Âmes mortes (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Un Conte de Noël (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Le Gaucher (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Pas seulement de l'amour (Saint-Pétersbourg)
(ou Shchedrin)
→ Compositeur toujours vivant mais emblématique et patrimonial depuis longtemps (l'auteur de la Suite balletistique de Carmen pour cordes et percussions, à l'intention de son épouse Maria Plissetskaïa !), pas forcément le plus fascinant en musique instrumentale, mais extraordinairement à l'aise avec la scène, auteur de multiples ballets et opéras. J'avais mentionné dans une notule certains détails du Vagabond ensorcelé.
→ Je n'ai entendu aucun des quatre (sont-ils seulement disponibles ?), mais l'adaptation de Gogol rend très curieux !

Butsko, Nuits blanches (Saint-Pétersbourg)
→ Le langage de Yuri Butsko est très consonant et tonal – voire un brin pépère, mais joliment atmosphérique – dans ses symphonies, mais je n'ai pas essayé ses opéras, c'est là le genre de défaut qui peut être très utile pour écrire de la musique dramatique.





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Théâtre académique musical Stanislavsky de Moscou.





3. Opéras traduits en russe

Wagner
, www.nibelungopera.ru – adaptation en russe ? (Helikon de Moscou)
→ Compositeur allemand, contemporain exact de Dargomyzhsky, assez connu dans les pays germanophones semble-t-il. Le titre du spectacle est aussi l'adresse d'un site réel, cliquez dessus pour apprécier le sens esthétique russe. Je suppose qu'il doit s'agir d'une version réduite (et probablement russe, vu le nom de domaine ?) du Ring, un pluri-opéra assez long à base de folklore scandinave qui a fait la réputation de son auteur.

Rota
, Aladin et la lampe magique – en russe (Stanislavski de Moscou)
→ Compositeur d'opéras délicieusement consonants et rétro, ici traduit en russe. Quelle curiosité piquante !

Menotti, The Telephone – probablement en russe (Helikon de Moscou)
→ Un des titres les plus charmants de tout le répertoire, musique très accessible (mais plus en conversationnel qu'en sirop flonflonnisant), une saynète sur l'intrusion des technologies dans la vie sociale et amoureuse. Il est souvent traduit en langue vernaculaire (je l'ai vu sur scène en français il y a quelques années, et il est donné cette saison en suédois à Göteborg), un moment délicieux dont je me sens encore tout imprégné.





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Opéra Helikon de Moscou.





4. Opéras en russe de compositeurs vivants

(Sergueï) Banevich, L'Histoire de Kai et Gerda (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou)
→ Je ne connais que son œuvre pour piano. Très consonante et même naïve – du Chopin simplifié.

(Alexander) Zhurbin, Métamorphose[s?] de l'Amour (Stanislavski de Moscou)
→ De la tonalité errante typiquement soviétique (mais capable d'être primesautier, chose rare dans cette génération – né en 1945) dans ses symphonies, mais aussi de véritables chansons… je suis plutôt curieux de ses opéras. [Les crochets sont de moi, je ne disposais que du titre traduit en anglais, où le pluriel est indécelable.]

(Efrem) Podgaits, Sa Majesté des Mouches (Théâtre Musical des Enfants de Moscou)
→ Joli sujet bien dramatique pour un opéra. Par ailleurs, Podgaits écrit remarquablement pour chœur (tonal mais avec beaucoup de notes étrangères et d'accords très riches), dans une tradition sophistiquée qui évoque plutôt les Scandinaves et les Baltes que lesRusses. Très appétissant.

(Jay) Reise, Rasputin – traduit en russe (Helikon de Moscou)
→ Autour de la figure politique intriguante de la fin de l'Empire, un opéra plutôt bien écrit (dans un langage intermédiaire), déjà donné dans une mise en scène olé-olé (défilé de nus…) typique du potentiel du Helikon. Doit assez bien fonctionner en vrai – pas seulement visuellement, je veux dire.

(Alexander) Manotskov, Chaadsky (Helikon de Moscou)
→ Alexander Manotskov écrit ses opéras dans un mélange pas forcément tonal mais très polarisé, naviguant entre le post-varésien très édulcoré et le folklorisme d'unissons dans une veine plus Carmina Burana slave, avec beaucoup de langages intermédiaires (accords de piano minimalistes aussi bien que simili-Britten, par exemple). Particulièrement versatile et varié, sans être toujours excellent dans chaque exercice. Je n'en ai pas assez écouté jusqu'ici pour déterminer si c'est plaisant ou irritant en fin de compte.

(Alexander) Tchaïkovski, Motiy et Saveloy (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Plusieurs opéras de lui (manifestement pour enfants, je ne les ai pas mentionnés) au programme. A. Tchaïkovski aime beaucoup les ostinati, sa musique est assez planante, sans refuser les frottements – un peu dans la veine de Silvestrov, si l'on veut, mais un Silvestrov davantage dans le ressassement et moins dans la contemplation étale. Pas sûr que ça sonne très bien à l'opéra, mais ce n'est pas désagréable du tout en instrumental, à défaut d'être toujours nourrissant.





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Opéra de Lviv.





5. Opéras en ukrainien

Lysenko, Natalka Poltavka (Kiev, Lviv à l'Extrême-Ouest)
→ Contemporain de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov (né en 1842, mort en 1912), ethnomusicologue, on ne fait pas plus emblématique d'un patrimoine.
→ Par ailleurs, l'œuvre n'a pas été conçue comme un opéra, mais comme une musique de scène pour la pièce d'Ivan Kotlyarevsky, qui raconte une histoire d'amour constant. Natalka attend son fiancé parti travailler à l'étranger plutôt que d'épouser le riche prétendant du coin – un peu l'histoire des enfants que les primatologues testent pour vérifier s'ils attendent de manger leur bonbon lorsqu'on leur en promet un second. La version de Lysenko (ébauchée en 1864 mais présentée en 1889 !) n'est qu'un habillage musical étendu des chansons folkloriques qui émaillaient déjà les représentations de la pièe : accompagnement orchestral, ajout de numéros musicaux.
→ Le langage musical de Mykola Lysenko est celui d'un compositeur centre-européen du temps, dans la veine de Gade, Smetana, Hamerik… Rien de spectaculairement inspiré néanmoins (je n'ai pas écouté Poltavka cela dit !), mais de la musique romantique bien faite.
→ Je ne sais pas si l'on joue toujours à Kiev la révision de 2007 qui avait ajoué des instruments folkloriques et n'avait pas suscité l'enthousiasme. À Lviv, en principe, c'est la version d'origine de Lysenko qu'on joue – et dans un coin tranquille de l'Ukraine.

(Je ne connais quasiment rien en ukrainien, mais les Polonais la décrivent en général comme une langue extrêmement proche, plus que du russe… Pourtant, la création, en 1889, eut lieu à Odessa, en langue russe.)





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Opéra de Kazan.
(Je n'avais pas été très impressionné par leur orchestre… ni leurs décors carton-pâte.)






6. Opéras en tatar

Langue du groupe turc, peuple répandu sur toute la frontière Sud de la Russie, aux extrémités Est et Ouest du Kazakhstan, nombreux en Crimée et à l'Ouest de la Biélorussie…

Cihanov (russisé en Zhiganov), Cälil (ou Jalil) – à Kazan (en Russie, capitale de la République du Tatarstan – c'est-à-dire le long d'un coude de Volga)
→ Ce que je connais de Näcip Cihanov (Nazib Zhiganov, né en 1911) n'est pas le raffinement même – plutôt les grosses fanfares avec cuivres en fffff toutes percussions dehors et les cordes en unisson qui débouchent sur de grands climax filmiques éclairés par les zébrures des fifres ! –, mais dans un opéra exaltant un minimum patriotique, ce doit pouvoir très bien fonctionner.
→ Il faut dire que le sujet s'y prête particulièrement : Musa Cälil, poète kazakh, par ailleurs auteur d'un livret d'opéra, est fait prisonnier en Pologne en 1942. Il rejoint alors la « légion nationale » Volga-Tatar formée par les prisonniers des allemands pour combattre les soviétiques sur leur propre sol. Enrôlé sous un faux nom, il infiltre l'unité de propagande, utilise ses moyens pour diffuser des tracts séditieux, prépare la rébellion, jusqu'à ce que le premier bataillon tatar parte sur le front… et abatte tous ses officiers nazis. Les mutins sont arrêtés par la Gestapo en Biélorussie, et Cälil (âgé de 38 ans) et ses compagnons, non sans laisser des carnets (Le Serment de l'Artilleur), sont guillotinés à Berlin.





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Opéra de Tbilissi.





7. Opéras en géorgien

Même aire culturelle, mais le géorgien appartient à une branche isolée (langues kartvéliennes) qui n'est ni indo-européenne, ni même forcément reliée à la grande famille eurasiatique – jusque dans la théorie non validée des langues nostratiques, tous les linguistes n'incluent pas le géorgien dans ce groupe pourtant immense.

Paliaşvili (/ Paliashvili / ფალიაშვილი), Abesalom da Eteri (Tbilissi)
→ D'allure très folklorisante, l'œuvre de Zakaria Paliaşvili, d'une tonalité très confortable (né en 1871), met en valeur la danse locale, quelque part entre Le Prince Igor, Carmen et Aladdin (de Nielsen). Vocalement, on est plutôt du côté d'Aida et de la Dame de Pique. Vraiment pas vilain !





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Opéra de Donetsk.





8. Remarques générales

Saint-Pétersbourg. Vous aurez remarqué la quantité de titres (fussent-ils à date unique) qui circulent au Mariinsky (un seul des opéras relevés est au Mikhaïlovski). La plupart des raretés mentionnées y sont, et le grand répertoire y est tout autant représenté !

Petit détail qui m'a frappé en parcourant toutes ces saisons. À Kiev (et Lviv, tout à l'Ouest, proche de la Pologne), on joue l'opéra de Lysenko en ukrainien, une composition de la fin du XIXe siècle sur une pièce locale du début du XIXe siècle, débordant de chansons empruntées au folklore. Dans le même temps, à Donietsk, on joue La Fiancée du Tsar, pilier du répertoire russe – certes, le Tsar y est méchant (on parle d'Ivan le Terrible enlevant ses femmes…), ce n'est pas Ivan Soussanine non plus… mais tout de même, un fleuron de la culture russe, et le Tsar.
Ce n'est évidemment pas anodin : même dans un lieu aussi peu déterminant sur les consciences politiques que l'opéra, la guerre s'insinue et dicte les commandes ou les envies artistiques. Frappant d'y être replongé au détour de cette promenade virtuelle festive.





À bientôt pour la solide centaine d'autres opéras rares au programme cette saison, quelque part sur Terre !

Les opéras rares cette saison dans le monde – certains vont vous surprendre


Je viens donc de survoler à peu près tout ce qui existera, cette saison, en opéra à travers le monde. Les versions de concert ne sont pas toujours bien référencées (il manque donc beaucoup de baroque, par exemple), je n'ai pas vérifié toutes les programmations de l'ensemble des salles non plus, mais tout de même parcouru les grandes maisons d'Allemagne, Royaume-Uni, Portugal, Espagne, Monaco, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Lithuanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Autriche, Suisse, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Serbie, Monténégro, Albanie, Macédoine, Grèce, Bulgarie, Roumanie, Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Russie, Mongolie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan, Iran, Azerbaïdjan, Géorgie, Arménie, Turquie, Irak, Jordanie, Israel, Liban, Chypre, Malte, Tunisie, Algérie, Maroc, Afrique du Sud, Égypte, Arabie Saoudite, Émirats, Qatar, Koweït, Pakistan, Inde, Chine (et Hong-Kong), Corée, Japon, Taïwan, Malaisie, Singapour, Australie, Chili, Argentine, Uruguay, Brésil, Paraguay, Pérou, Colombie, Puerto Rico, Cuba, Mexique, États-Unis, États-Unis, Canada.

Il faut être honnête : hors de l'Europe, et même d'une portion très centrale de l'Europe, peu d'offre et peu de raretés (avec les îlots que constituent Montréal et quelques maisons US). Moins la tradition lyrique est forte, plus les titres se limitent aux trente mêmes scies. Mais on rencontre encore de fortes imprégnations locales, et des créations très étonnantes en langue vernaculaire. Des traces de géopolitique aussi (frappant en Ukraine, vous verrez).

Je n'ai finalement laissé de côté que les œuvres régulièrement données, et, pour les œuvres de compositeurs vivants, écarté celles qui me tentaient le moins (Satyagraha de Glass est bien programmé une demi-douzaine de fois dans le monde, pour votre gouverne). Pour le reste, quasiment tout ce que j'ai trouvé y est recopié. Il en manque tout de même, mais il y en a beaucoup.

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Opéra d'État du Kirghizistan, à Bishkek.

C'est l'occasion d'un voyage assez exaltant, vers des villes dont on ne soupçonnait pas les traditions vivaces.

Je vous propose d'explorer tout cela en procédant par langue des opéras. Les compositeurs sont présentés par époque (approximative) d'exercice. Les villes entre parenthèses le sont par ordre d'accessibilité (et, quand c'est incertain, de kilométrage).

Ce parcours exclut la France, déjà traitée dans une précédente notule – cela explique en partie la faible proportion de raretés françaises dans le total.

Pour des raisons évidentes de place, puisque je vais déjà m'efforcer de présenter les différents titres, je ne tiens pas compte des distributions, je vous laisse y regarder de plus près (ou demander !) si vous êtes tenté par le voyage.

Et je proposerai quelques recommandations pour orbe-trotteurs.

David Le Marrec

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