Wagner, c'est trop long / bon
Par DavidLeMarrec, vendredi 22 avril 2016 à :: Saison 2015-2016 :: #2792 :: rss
Wagner – Die Meistersinger von Nürnberg – Herheim, Ph. Jordan
Production précédée et suivie d'une réputation non usurpée. J'avais délibérément attendu la dernière pour entendre l'Orchestre de l'Opéra à son meilleur (quitte à risquer la fatigue des chanteurs), et, de fait, même si l'option de Jordan est toujours celle du moelleux, jamais de l'incisif ou de l'antagonique, la tenue d'ensemble et la tension continue étaient très réussies, dans une salle (Opéra Bastille) toujours parfaite pour entendre un orchestre – il faudrait vraiment construire un bon opéra et la changer en salle de concert, ça battrait la Philharmonie !
¶ L'œuvre est objectivement trop longue : enfermé de 17h30 à 23h30 pour voir une intrigue de mariage contrarié à peine détaillée, c'est un peu exagéré. Et pourtant, pas la moindre impatience à l'écoute, pas la moindre impression de superflu, en tout cas dans la musique. Malgré sa réputation itigée, l'œuvre est d'une qualité de construction équivalente à Parsifal, et même à avis supérieure à Tristan (qui se distingue des autres Wagner par l'harmonie sophistiquée plus que par la structure). Un des plus grands Wagner, assurément : une abondance de détails en permanence renouvelés, le petit frisson de l'archaïsme contrapuntique en sus.
¶ Stefan Herheim prend un parti pris assez peu original, eu égard à ses habitudes : l'intrigue est vue par Sachs en train d'en écrire le poème en chemise en nuit. Mais visuellement, cela s'incarne de façon très appropriée pour Bastille : le secrétaire géant figure ainsi les stalles et tribunes d'où tous les personnages viennent chanter l'office, la rue tient dans l'intervalle entre deux meubles, etc. Simple, mais beau et lisible. La différence vient surtout de la direction d'acteurs fine et très active : jamais un personnage, même lorsqu'il ne chante pas (et Wagner Dieu sait que Dieu Wagner peut abuser des tunnels de parole), n'est en repos. Dès qu'il est sur le plateau, chacun joue, tout le temps.
Par ailleurs, Herheim creuse l'un des endroits les plus intéressants du livret : la tentation de Sachs, poussé par Eva elle-même, de concourir pour remporter sa main.
¶ Vocalement aussi, c'est une belle fête.
Un peu déçu par Julia Kleiter, merveilleuse Zdenka, mais qui peine à projeter sa voix pharyngée dans la tessiture très centrale d'Eva – elle pourrait aller contre sa nature dans de petites salles, plus difficilement dans Bastille.
Gerald Finley (Sachs), pourtant à peine convalescent, parvient à sonner remarquablement, avec un grain (et, chose rarissime à Bastille, des mots) immédiatement perceptible. On n'entend pas que le volume de la voix, on en perçoit les détails (et je n'ai pas eu l'impression qu'il était sonorisé, le son restait très localisé et cohérent) ; dire qu'il a longtemps été considéré comme un format Mozart & lied ! Pas la moindre difficulté dans la tessiture hybride de Sachs, ni dans la projection, ni dans l'espression, très fine (et je n'ai pas perçu son petit accent anglais habituel).
Très admiratif aussi de Günther Groissböck, qui évoquait ce soir-là le halo caractéristique du timbre de Kurt Moll, pour un des meilleurs Pogner qu'on puisse entendre et espérer. Bo Skovhus (Beckmesser) semble inaltérable, la voix a la même rugosité et la même solidité qu'il y a vingt ans (où il semblait fruste, alors qu'il paraît désormais tout frais pour son âge). Quant à Niina Keitel, elle arrivait au pied levé le jour même et se fondait en Magdalene avec une voix claire et expressive très persuasive ; la mise en scène semblait ne lui poser aucun problème, et pourtant je ne crois pas qu'elle l'ait chantée ailleurs. Impressionnant, une fille sur laquelle on peut compter.
J'attendais beaucoup de Brandon Jovanovich (Stolzing), qui chante les grands rôles dramatiques en Amérique du Nord et en Allemagne ; le plus beau Florestan qu'on puisse entendre, un très beau José, etc. Je craignais que le moelleux du timbre annonce une voix moyennement projetée, mais il n'en est rien : d'une matière barytonnante, il tire des aigus mixés et souples, tout à fait radieux, et particulièrement bien audibles. Sur des moyens peut-être similaires, la technique comme l'effet sont à l'inverse de Kaufmann (qui est d'ailleurs sensiblement moins sonore, soit dit en passant) : Jovanovich devient plus flexible et détendu en montant, ce qui lui confère un côté aisé, radieux, victorieux, tandis que Kaufmann devient de plus en plus tendu, ce qui crée cette impression de personnage tourmenté, sans cesse au point de rupture sans jamais l'atteindre. Et, mystère de la notoriété, Jovanovich n'a manifestement pas de fan-club (moi excepté, donc).
Avec ça, six heures passent comme rien. Le plus agréable étant qu'on les sent s'écouler, sans que l'émerveillement cesse jamais. Mais prenez une journée de congé tout de même, parce que tenir ça après s'être levé à cinq heures et bossé les huit subséquentes, ce doit faire mal.
Commentaires
1. Le mercredi 27 avril 2016 à , par Faust
2. Le jeudi 28 avril 2016 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 28 avril 2016 à , par Faust
4. Le jeudi 28 avril 2016 à , par DavidLeMarrec
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