Richard Strauss - ARABELLA, pistes vidéographiques et discographiques
Par DavidLeMarrec, lundi 29 décembre 2008 à :: Discographies - Disques et représentations - Vienne décade, et Richard Strauss :: #1102 :: rss
Au départ sur demande, dans le but d'aider au choix d'un DVD, les lutins qui peuplent ces carnets se sont, partis dans leur enthousiasme (et désoeuvrés [1] après la grande mobilisation de la Nativité), chargés d'une rapide discographie de l'oeuvre. On n'aime pas beaucoup ça par ici, c'est toujours beaucoup plus superficiel que le traitement des oeuvres, mais puisque c'est fait, n'est-ce pas.
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En vidéo :
Notes
[1] Les lutins, pas moi, malheureusement.
On précise que pour les quatre versions vidéo publiées, on s'appuie sur le visionnage d'extraits et non sur l'intégralité du produit, l'avis formulé vaut donc ce qu'il vaut. Mais avec un peu d'habitude des différents interprètes, des esthétiques de telle ou telle maison, on ne devrait pas tomber trop loin du compte, et ce sera toujours un point de repère pour l'ingénu de passage.
Et qu'on nous pardonne l'emporte-pièce inhérent à ce genre d'exercice stérile, ce n'est guère que du ressenti jeté à la volée, sans prétention de jugement.
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1) Solti 1970 - Janowitz, Ghazarian, Kollo, Weikl. Philharmonique de Vienne, studio.
Vraiment un film, filmé de trop près (on a l'impression que ça se passe dans un placard), Janowitz ne mime pas du tout le chant, elle parle presque (et ne joue pas, à son habitude).
Par ailleurs, mise en scène littérale pas très riche voire tout de bon indigente (normal, c'est du Schenk).
2) Haitink 1984 - Putnam, Rolandi, Lewis, Bröcheler. Orchestre Philharmonique de Londres, à Glyndebourne.
Je ne connais absolument pas cette version (et je vais en parler quand même, non mais), sans doute moins bien distribuée commercialement (DVD Kultur) ou moins prisée en raison d'une distribution moins prestigieuse du côté des femmes. En revanche, côté masculin, on se prend à rêver, avec l'ampleur ronde de Keith Lewis et les grands talents de liedersänger - et de Wotan - de John Bröcheler. Il n'y a que la rectitude de Haitink qui incite à la prudence, mais c'est de toute façon toujours nettement mieux qu'honnête avec lui.
3) Thielemann 1996 - Te Kanawa, McLaughlin, Kuebler, Weikl. Au Met.
Tout à fait honorable, mais il vaut mieux aimer ce qui est statique et littéral. Ce n'est pas gênant pour Arabella, certes, mais à cela il faut ajouter Te Kanawa qui minaude toujours un peu : la voix est toujours comme appuyée sur la gorge, un peu contrainte, et glisse d'une note à l'autre. On sent des efforts de diction bien supérieurs par rapport à sa version de studio avec Tate en 1986, mais son allemand est mal assuré, on sent qu'elle y pense, essaie d'exprimer des choses, mais ici, pour de la conversation viennoise et de la fine psychologie féminine, c'est un tout petit peu insuffisant pour créer l'illusion.
Ca ne me renverse pas vraiment.
Mais la (tout à fait bonne) bande-son est audible intégralement et légalement sur Musicme.
4) Welser-Möst 2007 - Fleming, Kleiter, Weigel, Larsen. Opéra de Zürich.
Je ne recommanderais pas. D'abord, mise en scène étrange, qui transpose, certes, mais dans un appartement récent, bleu, dépouillé qui ne convient pas spécialement au rang ruineux entretenu par les Waldner. L'action perdant son cadre perd aussi de son sens - pourquoi ces ornements du langage, ces complications, si nous sommes entre gens normaux ; on retrouve régulièrement, chez Hofmannsthal, cette fascination pour le langage raffiné qui est aussi la source de la plupart des problèmes, et on en perd un peu la clef ici.
Par ailleurs, Renée Fleming est assez effrayante, la voix dégouline sans arrêt dans une épaisseur qui rend tout dialogue invraisemblable. L'allemand n'est pas bon, elle est vraiment dans ce qu'elle peut faire de pire [1]. Et encore une fois, elle peine à se donner une élégance (c'est encore plus net dans le Capriccio de Carsen), à habiter un personnage en style - j'ai toujours l'impression, et pour le chant et pour le maintien, d'avoir affaire à Blanche Dubois du Tramway nommé désir.
A mon goût plutôt pénible, mais il est évident que je ne suis pas le meilleur défenseur des vertus de Renée Fleming (bien qu'elle ait produit plusieurs très belles choses assez incontestables, bien sûr [2]).
S'il fallait recommander quelque chose, sans doute plutôt Thielemann, mais ce n'est pas tout à fait satisfaisant comme point d'arrivée eu égard au potentiel de l'oeuvre.
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Pourtant, il existe deux versions en tout point formidables captées en vidéo, alors si vous pouvez mettre la main dessus :
- Keilberth 1963 - Della Casa, Rothenberger, Schock, Fischer-Dieskau. Orchestre de l'Opéra de Munich, capté à Monaco (Rudolf Hartmann).
Mise en scène bien sûr très littérale, mais qui fourmille de directives précises et expressives données aux chanteurs (qui s'en tirent plus ou moins adroitement il est vrai - seul DFD joue finement, Kohn jouant peu, Della Casa surjouant). Ainsi Matteo survient presque au garde-à-vous, intimidé, bien moins rustre et plus attachant ; ainsi Zdenka, en se tournant vers lui lors de leur première entrevue, se prépare à recevoir un baiser avant de se reprendre. Beaucoup de choses qui donnent de l'épaisseur aux personnages.
Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que le public méditerranéen se met à applaudir furieusement après le - certes sublime - duo Aber der richtige, et les deux chanteuses doivent se lever pour aller saluer, très modestement, en pleine pièce. Leur réserve permet bienheureusement de ne pas briser trop brutalement l'illusion théâtrale.
L'exécution est bien sûr exemplaire, avec un duo féminin merveilleux, frémissant (Rothenberger ne joue pas adroitement, mais quelle précision dans ses mots !), des voix légères et des vibratos serrés. Et Keilberth détaille fort bien la partition, avec l'allant qu'on lui connaît - exaltant à merveille la danse au II.
Cette version est demeurée à juste titre légendaire, et la direction d'acteur n'y fait pas défaut.
Bien sûr, la vision est simple, une Arabella assez joyeuse, une histoire d'amour bien moins tortueuse (et, étonnamment, mois pudique) que ce que peut peindre Mussbach ou sous-entendre le texte de Hofmannsthal, mais le résultat demeure tout à fait prenant.
Elle est éditée, mais ne se trouvant pas chez les revendeurs officiels, il s'agit sans doute d'un label pirate (sans rémunération des droits d'auteurs et droits voisins, donc).
- Dohnányi 2002 - Mattila, Bonney, Hugh Smith, Hampson. Orchestre Philharmonia, au Théâtre du Châtelet à Paris (Peter Mußbach).
Une version qui résout tous les problèmes. La mise en scène de Mussbach tranpose l'action un peu avant l'époque de la composition, dans un décor Art Nouveau qui pourrait être des années 20, et qui évoque volontier Klimt avec son escalier sinueux et doré, mais qu'il n'est en fin de compte pas possible de dater (les coupes de cheveux sont très contemporaines, les escalators et plexiglas du haut du décor également). Il s'agit néanmoins strictement du même contexte : de nobles Viennois déclassés, installés en parasites dans un palace qu'ils ne parviennent plus à payer ; et rien n'entre en contradiction avec le livret - pour une (rare) fois, la transposition rend l'action beaucoup moins précisément datée, plus intemporelle, plus directe aussi, mais sans embarrasser le sens originel de l'oeuvre.
Surtout, la direction d'acteur est extrêmement fine, et permet de changer chaque chanteur en grand acteur - Bonney et Hampson, sans être non plus placides d'ordinaires, sont totalement libérés ici. Le théâtre de Strauss / Hofmannsthal gagne tout de suite beaucoup à être bien servi visuellement.
Musicalement, c'est un ravissement constant, pour ainsi dire une orgie musicale. Lyrisme extraordinairement soutenu mais aussi lisibilité de Dohnányi (ce qui est fortiche avec le Philharmonia, l'orchestre le plus opaque du marché), très attentif à l'émotion scénique et d'une beauté plastique à couper le souffle. Ce qui est aussi valable pour les chanteurs hors du commun, sans doute dominés par Mattila, qui en plus de jouer les intermittences mélancoliques avec une rare vérité, de manifester une gaîté de petite fille qui nous la fait voir à l'âge du personnage, de distiller des gestes d'une élégance de ballet, soigne autant qu'il est possible texte et musicalité, servis par une voix ductile, ample, ronde, moelleuse, glorieuse et pudique tout à la fois.
Le spectacle est régulièrement rediffusé à la télévision française, sur diverses chaînes. Un peu de vigilance promet un petit bonheur de trois heures.
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Priorité à Dohnányi, qui est aussi prioritaire si vous ne récupérez que la bande son, de toute façon.
Une fois n'est pas coutume, on se permet d'indiquer un extrait vidéo de cette version.
Attention, la plupart des versions sont très coupées, comme il se doit ; mais ici, les exigences du théâtre et la continuité musicale font qu'il vaut mieux se contenter d'une version touchante coupée que de chercher une version complète mais appliquée. Les représentations récentes sont moins coupées en règle générale (mais attention à Glyndebourne : ils coupent encore dans le deuxième acte de Tristan de nos jours, ces sauvages !).
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Pour alléger la lecture, le versant CD de la discographie sera publié plus tard.
Notes
[1] alors qu'étrangement elle se trouve à son meilleur dans ses Derniers Lieder très proches esthétiquement, enregistrés cette année avec Thielemann, diseuse précise et assez inspirée - mais c'est l'exception dans son répertoire allemand, et le fruit d'un long travail, puisqu'encore récemment, avec Abbado à Lucerne, elle offrait ces lieder privés de texte, dans un infini portamento monochrome.
[2] Comme sa Rusalka, sa Thaïs ou sa dernière version des Vier Letzte Lieder.
Commentaires
1. Le dimanche 4 janvier 2009 à , par Jean-Charles
2. Le dimanche 4 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 7 janvier 2009 à , par Bajazet le Bref
4. Le mercredi 7 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le mercredi 7 janvier 2009 à , par Lucrezia Baja
6. Le mercredi 7 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec
7. Le dimanche 11 janvier 2009 à , par Dinorah jasait
8. Le jeudi 5 février 2009 à , par Jean-Charles
9. Le vendredi 6 février 2009 à , par DavidLeMarrec
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