Carnets sur sol

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mercredi 25 mars 2020

Petite discographie (sélective) du motet baroque français


Absorbé dans un télétravail intense et le maintien du lien humain par-delà la distance, peu eu le temps d'avancer la notule sur laquelle je planchais.

Afin de ne pas vous laisser sombrer dans la plus complète déréliction, je propose donc un petit guide discographique de la musique sacrée française, qui a l'avantage non négligeable de sa majesté joviale et de sa mélancolie dansante.



Si vous n'aimez pas le baroque français, vous pouvez aussi vous reporter à d'autres listes de réjouissances :
→ « Jubilation cosmique » ;
→ « Boucles ! ».



lalande ténèbres

Petits motets (pour 1 à 3 solistes et basse continue) :
du Mont (Pierlot), petite saveur italienne.
LULLY Salve Regina, O sapientia, etc. (Christie)  Petites miniatures mélodiques à une voix, délicieuses.
Lalande, Leçons de Ténèbres (Dumestre). Un genre en soi, à la fois mélismatique et déclamatoire.
Charpentier, Magnificat H.73 (Christie), une chaconne à trois voix tout en tuilages, indispensable !
Couperin, Leçons de Ténèbres. Des tas de versions fabuleuses : Boulay II (avec Laurens), Vernet (Desrochers), Mandrin (Warnier), Gester (Haller), Fentross (Zomer), Charlston (Kirkby), Holland (Zanetti), Christie (Petibon), Lesne, Coudurier (Zanetti), Cummings… Un sommet mélodique et harmonique du temps.
Michel, Leçons de Ténèbres (Correas). Pour voix grave, assez différent.

gilles requiem

Grands motets (avec solistes, chœur et orchestre), en essayant de parler de motets précis :
Bouzignac pour point de départ. Christie doit être l'un des rares disques décents.
LULLY, tout le disque García-Alarcón, remarquablement brillant.
LULLY, Domine salvum fac Regem (Niquet)
Lalande, Jubilate Deo omnis terra (Colléaux). Pour moi le plus beau grand motet de tous, des atmosphères extraordinaires.
Gilles, Requiem. Sommet d'inspiration mélodique, en particulier l'Introitus initial et les entrées décalées de l'Offertoire. (beaucoup de très belles versions, en particulier Sow, et Herreweghe I avec Mellon & Crook…)
Charpentier, Te Deum (Niquet, Minkowski, Mallon, Christie, Gester, Tubéry…). Le grand tubes mais aussi le paradis des tuilages !
Desmarest, Usquequo Domine (Christie), pour ses couleurs très personnelles.
Desmarest, Messe à double chœur, Te Deum de Paris (Niquet), d'une belle richesse contrapuntique.
Campra, Exaudiat te Dominus (Christie), pour son atmosphère martiale initiale, et son Implevit d'une tendresse ineffable.
Mondonville, Dominus regnavit (Christie), pour son élan.
Mondonville, In exitu Israel (Christie), pour ses figuralismes inédits (« Super flumina Babylonis »).
Mondonville, Cœli enarrant (Coin), pour son « In sole posuit tabernacula ejus » d'une suspension miraculeuse.

campra exaudiat

Je trouve personnellement les motets de Rameau bien moins marquants que les autres (et aussi que le reste de la production de Rameau) ; de la même façon, j'ai écarté les Te Deum de LULLY et Lalande, ou le Requiem de Campra, qui restent des standards du genre. Mais effectivement, les grands motets de Brossard (Coin) ou Madin (D. Cuiller), ou bien le double disque des Te Deum de Blamont et Blanchard (D. Cuiller) sont aussi à découvrir, parmi bien d'autres choses !

les chantres de saint-hilaire

Pour la période du tout début du baroque, il y a les deux disques (Henri IV et Louis XIII) des Chantres de Saint-Hilaire, ou encore celui d'Athénaïs (avec six voix féminies) consacré à Nivers.



Beau parcours à vous !

De confiner (être tenu dans ses limites) à confier (apporter sa foi), seule la n nous sépare… Puisse cette musique vous aider à faire le chemin.

Vers Dieu paraît un peu loin considérant les limites hectométriques actuelles, mais jusqu'au bout de votre quartier et de cet interminable châtiment sera déjà pas mal.

vendredi 13 mars 2020

La grippe Salieri




Je me posais cette grave question en écoutant le jubilatoire nouveau disque Salieri (« Strictly Private ») interprété par le Symphonique de Heidelberg – qui a conservé toute sa finesse de timbre, imprimée naguère par Thomas Fey avant son terrible accident. La grippe saisonnière n'est-elle pas au SARS-CoV-2 ce qu'est Salieri à Mozart ?

Si l'on donnait aux premiers la même qualité d'interprétation qu'aux seconds, notre perception n'en serait-elle pas changée ? (Ne paniquerions-nous pas à chaque épidémie de saison sur des chiffres semblables… et ne nous émerveillerions-nous pas de la densité en traits de génie dans les grandes œuvres du Maître sous mille éclairages différents ?)

Faute d'avoir essayé l'un comme l'autre, je n'ai pas de réponse définitive à ces questions, mais je serais curieux de disposer de davantage d'interprétations – pour pouvoir me faire une opinion, en somme.

Les métaphoriqueurs de la nuit vous saluent bien bas, estimés lecteurs.

lundi 9 mars 2020

Contingency plan


C'est ici, nous y sommes, la planète mélomane a été frappée. Plus durement que si « Martha » – God forbid – s'était cassé un doigt, plus douloureusement ou que si « Jonas » – horresco referens – avait attrapé un rhume.

Les rassemblements de plus de 1000 personnes interdits, c'est l'assurance de l'impossibilité des grandes salles parisiennes d'assurer leurs concerts.

Heureusement, l'agenda de Carnets sur sol s'est mis à jour pour vous.

La Philharmonie a déjà confirmé hier soir (mais toujours pas sur son site ni ses réseaux) par la voix de son directeur général adjoint, que les concerts dans la grande salle de la Philharmonie étaient annulés.

Notule écrite dans l'urgence pour soulager les désespérés franciliens, je n'ai pas pris le temps de vérifier les jauges, mais à vue de nez, si les spectacles se sont bien vendus, les spectacles à Bastille, Garnier, Champs-Élysées, Opéra-Comique, Odéon… sont très menacés.
J'ai beaucoup moins la main sur le contenu de l'offre alternative en province (les plus grosses maisons d'Opéra risquant aussi la fermeture), qui n'est pas du tout comparable – beaucoup de maisons font des saisons qui valent très largement celles de l'Opéra de Paris, mais les concerts hors circuit officiel sont en général beaucoup moins nombreux, et le plus souvent de moindre niveau. Si des lecteurs ont de bons plans à faire valoir dans leur ville, qu'ils n'hésitent pas à le signaler !

Il est cependant possible que d'ici la semaine prochaine ces maisons :

¶ décident de rembourser les volontaires (+ un bon cadeau de 10€ qui les inciterait à revenir ?) ;

¶ organisent un système de tri des 900 spectateurs autorisés à venir –
¶¶ par emplacement dans la salle ?  par exemple le parterre et le centre du premier balcon à la Philharmonie, le parterre de Bastille, etc. ;
¶¶ selon le prix du billet ?  pour équilibrer au maximum les pertes, les pauvres comprendraient je crois ;
¶¶ moins convaincant, par tirage au sort ?
¶¶ par date de réservation (premier arrivé et égard pour les abonnés…) ?

J'avoue que la solution par emplacement, en ménageant un siège sur trois pour limiter les contacts, m'amuserait beaucoup !  (et serait sans doute très élégant visuellement, et confortable pour l'écoute)
Je suis prêt à jouer (et à me sacrifier) si ça permet aux artistes de jouer et à une partie du public d'en profiter !

Je doute que ce soit la solution retenue, mais ce serait très plaisant.



La situation évoluera très vite dans les prochaines heures, peut-être même le temps de la rédaction de cette notule, son objet n'est donc pas le suivi de la situation (les professionnels de l'information devraient s'en charger), mais de signaler la mise à jour de l'agenda de Carnets sur sol jusqu'en juillet : j'y ai ajouté les dernières trouvailles de petits concerts alternatifs, et signalé les concerts qui devraient être annulés prochainement. Je l'enrichirai dans la semaine des concerts de haut niveau de conservatoires, d'orchestres amateurs, d'églises, pour les quelques junkies du spectacle vivant.

Je tâcherai de faire des mises à jour (notamment sur les choix des grandes salles en matière d'annulation), mais je ne serai assurément pas aussi réactif que tous les ordres et contre-ordres qui ne manqueront pas d'affluer !

C'est pourquoi je vous conseille de consulter le meilleur site francophone de musique classique, qui y consacre un fil entier, actualisé en temps réel : https://classik.forumactif.com/t9358-annulations-a-cause-du-coronavirus#1164967 .

Ou bien, sur Twitter, de surveiller Sherlock Edoga, la meilleure source pour les conseils de réservation, de replacement, et d'astuces – si jamais vous souhaitez aller voir quelque chose à la Philharmonie ou l'Opéra de Paris à moindre coût, il est le maître.

dimanche 1 mars 2020

Opéra et concert classique : audace, fréquentation et zombies – (2/2)


2. L'opéra de l'avenir

Le pendant de la réflexion, plus amusant, sur l'austère remplissage du concert classique – et quelques pistes de formats alternatifs pour élargir un public qui restera, en toute hypothèse, sensible à la musique pure, donc jamais aussi large que la société elle-même –, porte sur l'opéra, dont la dimension narrative est immédiatement plus attractive (une fois habitué aux bizarreries de l'émission lyrique) pour une population plus vaste.

J'en ai déjà souvent parlé dans ces pages, que ce soit pour les opéras par des compositeurs de musiques de film, la nouvelle façon d'écrire par scènes closes et unités d'action, l'opéra Star Wars ou l'opéra de zombies… ou encore en parcourant l'étrange offre des premières mondiales.



Ces pensées ont été stimulées à nouveau en assistant aux Bains macabres de Guillaume Connesson. Le livret d'Olivier Bleys, sur un sujet neuf, ainsi que la plasticité de la science musicale de Connesson, créent une œuvre vive, enthousiasmante, toujours surprenante, et qui répond à beaucoup de critères du public d'aujourd'hui, biberonné au cinéma – action mobile, coups de théâtre, variété des atmosphères musicales…

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Cette création toute fraîche mérite, à mon sens, des reprises régulières au même titre que les grandes titres comiques du répertoire Le Barbier de Séville ou La Belle Hélène. L'intrigue saute d'un genre à l'autre (réalisme social, satire contemporaine, enquête policière, fantastique, onirique, bouffon…) de façon imprévisible, nous laissant toujours incertain de ses prochaines audaces – quelle fin !
Spoilers : Célia, jeune hôtesse d'un établissement thermal, est fort courtisée, mais passe ses soirées sur son ordinateur avec des images de son fiancée. Une enquête est ouverte pour morts suspectes aux bains. Depuis le ciel, le fiancé mort est envoyé sur terre pour vivre quelques heures auprès de sa bien-aimée. Pris dans le tourbillon de l'enquête bouffonne, il sert de spirite et convoque les esprits pour le compte de la police afin d'innocenter Célia.
Je ne révèle pas les événements en cascade de la fin.

La musique joue aussi des codes : figuralismes (mer, spectres), fox-trot balnéaires, leitmotive, lyrismes filmiques ou musique d'atmosphère, puisant à Debussy, Puccini ou Prokofiev tout en écrivant de la musique de son temps – avenante-tout-public mais riche et nourrissante.

Pour couronner le tout, Connesson a réussi le tour de force choral que j'appelais de mes vœurs pour un zombie opera, avec les masses organiques gluantes et tendues, comme des nuées dissonantes, dans l'épisode dans l'autre monde où se traînent les morts.

Ce petit bijou au rythme dramatique rapide, aux savoureuses surprises, à la musique accessible (globalement tonale-élargie) et variée mérite pour moi le titre de chef-d'œuvre, et démontre qu'il est possible de penser autrement la commande et la composition d'opéras.



Laissons de côté les cas caricaturaux de mise en opéra de bouts de poésie (L'Espace dernier de Matthias Pintscher), de méchantes paraphrases de Racine (Bérénice de Jarrell), des jeux phonématiques (Aperghis), des vies ennuyeuses d'artistes (Bacon, Akhmatova…), d'histoires sordides du XXe siècle (Adriana Mater, ou le projet de Jelinek & Neuwirth sur un médecin pédophile carinthien…).

En France et dans les pays à la pointe de l'art comme l'Allemagne ou l'Italie, les opéras ont souvent des sujets ambitieux et une certaine prétention littéraire / intellectuelle : même lorsqu'on commande un opéra sur un sujet filmique (Il Postino de Catán pour la partie rétro-gentille, The Secret of Brokeback Mountain de Wuorinen pour la veine atonale, et The Fly de Shore pour un entre-deux), le résultat demeure bel et bien un opéra. Dans le cas de Howard Shore lui-même, remarquable opéra écrit dans une langue ambitieuse qui a entendu les grandes tendances du XXe siècle, on se trouve face à une œuvre d'envergure schrekerienne, avec un orchestre tentaculaire, une temporalité assez lente.

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The Fly.

Le sujet en lui-même, fût-il issu de la culture commune (les divers Solaris ou Hugo, par exemple), ne garantit pas l'accessibilité du résultat : il faut que le livret soit bon (avec un minimum d'action ou de verve poétique, pas écrit par le compositeur ou un copain dans une langue pompeuse…), et surtout que le format lui-même ne cherche pas à singer de grandes fresques ambitieuses auxquelles les langages actuels, déjà complexes (et peu propices à l'intelligibilité vocale, avec leurs lignes mélodiques disjointes) ne font qu'ajouter les difficultés.



C'est pourquoi je m'imagine une scène spécialisée, ou au minimum une démarche, qui se fasse une mission de proposer des opéras nouveaux qui ne cherchent pas à remplir une commande prestigieuse, mais à entrer en résonance avec leur temps. Cela existe déjà : voyez comment Jack Heggie a tiré une fresque épique (qui n'est pas du néo-romantisme mais bien de la musique du XXIe siècle) de Moby-Dick, pour le public anglophone qui a été biberonné à ce quasi-mythe.

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Il faudrait également que le sujet influe le format musical : il ne s'agit pas de changer les noms comme on le faisait dans l'opéra seria en remplaçant Tarquin par Ferragus et Tancrède par Scævola, mais vraiment d'adapter toute sa structure et son langage musical.

Le but étant de créer un lien de confiance avec le public, qui pourrait venir vivre l'expérience rien que sur la foi du titre, sans se poser la question à triple détente « quel est le style du compositeur ?  qui est ce librettiste inconnu ?  est-ce que ça traîne ? ».

Imaginez…



Glotte of the Dead, l'opéra inspiré de la BD et / ou de la série de Robert Kirkman.

Le rideau se lève sur une route à l'aurore. La scène est baignée, depuis le fond, d'un jaune éclatant. Aplats d'accords majeurs sereins aux cordes. Progressivement apparaissent des frottements tandis que la lumière se voilent (des bouts de secondes qui se percutent). Le chœur, depuis la coulisse, entre pupitre par pupitre depuis le grave jusqu'à l'aigu, comme arrivant depuis la distance, en une sorte de masse compacte qui dissonne fortement. (C'est là où le compositeur doit tout de même trouver une tournure et un thème, ou du moins un geste, marquants.)

On pourrait imaginer un opéra, comparable à ses sources, qui ne chanterait pas beaucoup, surtout à base de fondus orchestraux évoquant tantôt les bruits de la nature, tantôt le vide des rues désertées, ou encore les quelques palpitations de la nuit, et puis les paroxysmes terribles de la panique lorsque le chœur de la horde intervient.

Ce serait en outre aisé à adapter dans toutes les langues, avec des dialogues du type :
– Watch out !
– Riiiiiiiiiiiiick !  Aaaaaaaaaaaaaaah !
– They are here / Sono qui / Ils sont là / Aquí están / De er her / הם כאן !
– Oh no !  Gleeeeeeeeeeeeeeeeeeeenn !
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Extrait du livret cosigné Kirkman-Le Marrec.

Et propre à quelques répliques-cultes :
– Are you bitten ?
– No.
– Are you sure ?  There ?
– Oh nooooo !
Je ne dis pas que ce convaincrait pour autant les jeunes passionnés de Damso, mais il y aurait de quoi amuser les jeunes adultes si la mise en scène joue le jeu du spectaculaire-gore inhabituel sur les scènes d'opéra (on a tout le matériel nécessaire pour faire des jets de framboise) et fait traverser incessamment la scène par une horde de choristes un peu préparés (ou même des acteurs-figurants tandis que le chœur est en coulisse).

Ce coûterait un peu cher à financer pour les nécessaires projections visuelles pour figurer les lieux, pour le chœur, mais on pourrait se passer de solistes dispendieux vu le peu à chanter – si vous voulez absolument faire un des motivational speeches incontournables des séries américaines, embauchez Gunther Groissböck ou John Relyea pour Rick Grimes, et contentez-vous de membres du chœur pour les rares solos des autres personnages.

Ce serait en tout cas, du point de vue de la composition, l'occasion de mettre à profit tout le savoir-faire du compositeur classique pour le temps long, le paysage musical, et de tenter une prosodie nouvelle pour figurer la Horde.



Star Wars, évidemment. Quelle matière se prêterait mieux au merveilleux d'opéra ?  On a des dialogues déjà économes et percutants, et surtout une musique tout en leitmotive, qui ne demanderait qu'à être exploitée à la façon de Wagner par un compositeur (ou un diplômé en écriture). Chacun connaissant très bien ces thèmes, ce serait en outre l'opéra à leitmotive le plus accessible de tous. Il y a là de quoi exalter une matière musicale qui, pour les besoins des films, n'est présente que par sections discontinues. Entendre les thèmes de la saga dans un format ininterrompu du type acte III de Parsifal me rend très curieux et enthousiaste.

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Mise en scène Peter Sellars bien sûr.
(Grand air à colorature de Darth Maugda : « Together we will rule the galaxééééé ».)


Les représentations seraient bien sûr déficitaires considérant la dîme prélevée par Disney, mais quelle publicité extraordinaire ce serait pour le théâtre qui l'organiserait, et pour le genre opéra dans son ensemble… !  On voit parfaitement les typologies vocales attendues : le ténor héroïque de Luke, le baryton central de Solo, le baryton dramatique de Vader, la basse profonde de l'Empereur, le ténor de caractère de Yoda… ce serait un panorama pédagogique, quasiment, de l'écriture d'opéra.

(On pourrait même imaginer différentes versions musicales de la saga : l'une écrite comme du Bellini, l'autre comme du Wagner, une autre comme du R. Strauss ou du Prokofiev, voire des tentatives baroqueuses ou atonales…)  L'entrée la plus intelligible possible pour les genres de l'opéra.

Dans le même registre, on pourrait reprendre  The Sea Hawk, Robin Hood, Vertigo et autres films-épopées pourvus de bonne musique, pour les redéployer au sein d'un format chanté et davantage continu.



Parmi les grandes fresques attendues, je ne m'explique pas que Les Misérables n'ait pas un opéra un peu réussi au répertoire… La bataille de Waterloo ?  Les personnages très typés ont vraiment de quoi nourrir un imaginaire sonore, et se couler dans les vocalités expansives de l'opéra néo-romantique.

Dans d'autres styles sonores, plus contemporains, on pourrait aussi imaginer un Quatrevingt-treize (l'incendie du château, quel moment !) ou un Homme qui rit  (on pourrait faire un oratorio rien qu'avec la scène du gibet…).

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Bien sûr, tout cela est soumis au choix des bons compositeurs : pas forcément des gens bien en cour, ni même des gens originaux, parfois pas même des compositeurs à proprement parler… mais avec des arangeurs sensibles au style d'origine, ou des artistes suffisamment ouverts et versatiles (ce que fait Connesson dans Les Bains Macabres laisse rêveur sur l'immensité des possibilités), on peut proposer des œuvres à la fois accessibles et marquantes, qui libèrent l'opéra contemporain de sa seule image intello & expérimentale – démarche qui a également toute sa place, bien sûr !



Pour les plus jeunes, je me figure qu'on pourrait écrire un Bambi bien tonal (doublage d'un dessin animé ?), ou bien une version condensée d'une saison de The version 2014 – le matériau musical de la série est pauvre, on pourrait partir d'autre chose, mais là aussi, pour suggérer la vitesse, le retour dans le passé, le caractère des méta-humains rencontrés (qui contrôlent les ultra-violets, l'électricité, les masses orageuses, etc.), il y aurait une galerie de portraits sonores incroyables à proposer, digne des sept portes de Kékszakállú !  Sans parler de l'intrigue qui pourrait être plus dense et mobile que les habituelles contemplations d'amours désuètes et de méditations artistiques standardisées.

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La qualité de la mise en scène serait bien sûr primordiale aussi, même sans spectaculaire particulier, pour permettre à l'ensemble de fonctionner.



À cela pourraient s'ajouter des formats originaux : l'opéra à entrées multiples, où le public pourrait voter pour un enchaînement de situations, qui changerait selon les soirs (si le spectacle est bon, le remplissage peut être stimulé !). Ou bien un opéra plus immersif, qui se déroulerait dans la salle (pourqoi pas une scène située sur les balcons, avec du public sur la grande scène, pour changer ?

Je suis persuadé qu'on pourrait, en se posant la question autrement – non plus de faire une création, ou de demander à Untel d'écrire un truc –, réellement renouveler le genre de la meilleure façon qui soit. Se poser la question de ce que veut le public, la question du format également (quoi de neuf ?), avant de chercher à faire écrire un opéra sur un sujet qui n'intéresse que le compositeur, avec un livret embrouillé, lent, prétentieux et maladroit.

Je n'invente rien, cette démarche existe déjà : on a des opéras très accessibles qui parlent d'histoire récente (Rasputine, Anne Frank, Die Weiße Rose, JFK, Nixon, Marilyn Monroe, de l'homosexualité chez les maccarthystes), de grands classiques (Minotaure, Ovide, Hamlet, Richard III, Frankenstein, Poe, Melville, Cyrano, Usher, Canterville, Solaris, T. Williams, Beckett…), de littérature de jeunesse (Chat Botté, Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies), de films (Sophie's Choice, Marnie, Dead Man Walking, The Addams Family), de bandes dessinées (Max et les Maximonstres), de livres de psychiatrie  (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), des suites d'opéras du répertoire (de la trilogie de Figaro, d'Aida, de Gianni Schicchi…), de l'exploration de phénomènes sociétaux (alpinisme, regards sur l'homosexualité, Alzheimer, le nucléaire), des opéras érotiques (Opéraporno en tournée française, Powder her Face, Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…

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Et même des choses encore plus étranges, un opéra « d'espionnage lyrique mathématique » (Atlas 101, où apparaissent pêle-mêle Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie…), ou Hercules vs. Vampires de Morganelli (un lipdub lyrique du péplum de Bava !).

En prenant le meilleur de ces expérimentations, voire en privilégiant les compositions accessibles, les dispositifs originaux et les thèmes les plus grand-public, je suis convaincu qu'une maison d'opéra pourrait se tailler une réputation et une relation de confiance avec un public fidèle, tout en bénéficiant à l'image du genre opéra, assez sérieuse / élitiste / ennuyeuse (et non sans cause, côté création contemporaine, à commencer par les livrets désastreux…), au profit de toutes les autres maisons !

Si vous possédez un opéra, avez de l'argent à dépenser et du prestige à acquérir, je me tiens à disposition pour fournir suggestions de titres / dispositifs / compositeurs / rédaction de livrets. Si j'étais assez bon en musique, je ferais bien mes propres tentatives…

David Le Marrec

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