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Aventuriers de l'extrême – Luigi Nono : Prometeo, tragedia dell'ascolto


Tout autour de moi, de jeunes fronts ridés et des visages déjà parcheminés qui semblent se désagréger ; des regards inquiets, éperdus, qui cherchent une réponse dans l'attitude des autres convives. Dans un silence immaculé, étrangement, ce n'est pas la musique que l'on entend le plus, mais le bruit des pensées perplexes d'un public laissé à la porte. Pendant une heure, rien ne bouge, on sent, derrière des visages tendus par la souffrance ou dévorés par la perplexité, l'envie sincère de comprendre, d'aimer, et les programmes ondulent fébrilement dans un silence respectueux, à la recherche de clefs délivrant un accès à ce qu'ils sont, de toute évidence, en train de rater.

Ce n'est pas un concert de musique contemporaine standard, mais un voyage de 2h20, sans entracte, à travers ce que Nono ne croyait pas si bien nommer « tragédie de l'écoute ». Et l'on sent que le public n'est pas celui qui pourrait se trouver piégé par une création un peu rugueuse entre un concerto de Mozart et une symphonie de Tchaïkovski, soufflant ostensiblement ou se regardant d'un air entendu… Non, les présents ont fait le déplacement pour un concert dont les tarifs des dernières catégories sont majorés, et semblent chercher désespérément à aimer ce qu'ils entendent. Les regards que presque tout le monde lance à travers la salle – ce qui n'est en général pas un très bon signe d'adhésion à la musique proposée, on ne le constate guère dans les finals des symphonies de Schumann ou Dvořák… – ne trahissent pas l'ennui, la désapprobation ou l'attente impatientée de la fin, mais plutôt une forme de désarroi, l'angoisse de manquer ce qu'il y a à entendre, de laisser passer un instant précieux sans en saisir la valeur.

Après la première heure, contraints, gênés, les départs s'enchaînent par petits groupes, très visibles dans cette salle très aérée et au milieu d'une musique aussi délicate, mais loin de vider les rangs. Des couples se font des adieux déchirants : un homme, devant moi, glisse un mot tendre à son mari qui lui lance un regard reconnaissant avant de se lever, seul, pour rejoindre la sortie, dispensé de purger le reste de sa peine. Ma voisine immédiate, ramassant ses manteaux trois quarts d'heure avant la fin, semble rester fascinée sur le bord de son siège, comme attendant une révélation, un soudain changement d'atmosphère ou de style, un final à la Mahler, une strette à la Tchaïkovski qui émergerait de ce magma répétitif – avant de se lever, impuissante, cinq minutes avant la fin, et de s'habiller dans les passerelles – donc parfaitement audible, à son insu –, couvrant les derniers bruissements de la musique.

Au bout d'une heure et demie, une dame, seule au parterre à se résigner au départ, se lève dans un silence parfait et glisse vers la sortie. Pendant de longues secondes, elle bute contre la paroi lisse, qui ne dévoile aucune porte. Il faut dire le mot magique, il faut attendre la parole mystique révélée à la fin de la cérémonie, la grotte ne veut pas laisser sortir ses trésors. Les gestes compatissants de ceux qui sont restés assis ne lui sont d'aucune aide et, les bras tendus, elle continue de palper la falaise impénétrable.

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Peut-être soulagé de sa propre bravoure, le public n'en tient pas rigueur aux musiciens et au compositeur, et se révèle chaleureux aux saluts, patient aussi – personne ne se rue vers les issues. Il est vrai que si l'on est réceptif à ce genre-là, ces belles harmonies tendues mais planantes, tournoyant dans l'espace grâce à leur disposition et au traitement électronique (qui élargit à loisir tel ou tel timbre d'ordinaire discret), ont quelque chose de très apaisant, une sorte de beauté caressante, très douce. Le poème de Hölderlin par-dessus tout (dans la deuxième « île »), mais aussi le Premier Interlude et les deux Tre Voci, où les voix s'exhalent en spirales asymétriques, déformant les contours et les équilibres propres à chaque effectif.

Pourtant l'Å“uvre a tout pour être détestable : elle s'appuie sur des tonnes de références prétentieuses (évocations prestigieuses du mythe, via Hésiode, Eschyle, Pindare, Hölderlin mais aussi Schönberg et Walter Benjamin), à moitié à traduites, parfois même simplement suggérées (des groupes de mots, voire de simples indications sur le livret en insistant bien sur le fait que ces références doivent ne pas être prononcées par les exécutants !), et déversées en bruissements inintelligibles. Même dans des langues familières, le livret en main, je n'ai pu attraper que trois mots (« Prometheus » dans le Prologue, « ascolto » sans pouvoir trouver où, un pressentiment d'allemand au milieu, « invincibile » à la fin, parce qu'on sentait que c'était la fin). Il faut donc absolument lire la note d'intention pour comprendre le propos, et même ce faisant, on n'arrive pas à saisir ce qui se dit, ni même l'endroit du déroulement – les silences étant omniprésents, difficile d'identifier des parties particulièrement asymétriques, façon Crépuscule des Dieux (les deux premières ÃŽles sont plus longues que les trois autres et les deux interludes combinés). Cette impression de ne pas avancer dans la structure accentue le désespoir chez les spectateurs, pour la plupart perdus (moi-même, après plusieurs écoutes, j'ai eu quelques doutes diversement fugaces sur notre localisation exacte), pour les autres perplexes sur la distance à parcourir.

Musicalement, toute l'Å“uvre reste écrite dans un langage assez homogène, fondé sur des nuances très douces et fines, voisinant toujours avec l'impalbable : contrairement au contemporain le plus ordinaire (volontiers spectaculaire et bruyant), l'effet est reposant, délicat, poétique, mais l'ensemble laisse l'impression d'une absence de direction, et demeure objectivement trop long. 2h20 pour répéter une seule idée, en quelque sorte.

Je devrais détester, en conséquence (imposer la lecture de la note de programme, déjà, c'est insultant pour une musique) ; et pourtant, même sans repères, même sans texte, il se dégage de ces chÅ“urs aux confins du néant, qui se tendent sans jamais saturer l'espace sonore de dissonances, qui s'abolissent régulièrement dans le silence, une forme de simple beauté… En l'écoutant par extrait, on est ému (par la chose la plus simple, l'effet de la voix humaine sur notre sensibilité) ; en l'écoutant en entier, on est bercé comme dans un rêve éveillé. Il se passe peu de choses, oui, un peu comme l'on pourrait regarder le plafond dans un bain moussant un soir de dur labeur…

Singulière (mais belle) expérience.


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1. Le jeudi 10 décembre 2015 à , par Carnicer

J’ai assisté comme vous à ce concert. J’ai observé comme vous les départs en petits groupes d’une partie du public et je souscris à vos descriptions du désarroi (et non de la désapprobation) de ceux qui auraient bien voulu aimer »… Je suis moi-même resté extérieur pendant au moins une heure, réfrénant mal, à plusieurs reprises, mon assoupissement. Pourtant, avec l’aide du guide d’écoute, j’ai fini par « structurer » la mienne (vers la fin de la « deuxième Ile » je crois), suspendu désormais, avec une attention croissante, au fil de cette extraordinaire musique jusqu’au fascinant « Finale » (Second Stasimon).
J’ai noté comme vous « les tonnes de références prétentieuses », et n’ai aussi presque rien entendu des textes. Tout parait détestable effectivement dans cet « attirail culturel » pour nous, auditeurs du XXIe siècle, regardant de haut toute cette « modernité radicale » qui nous a tant intimidés (là, je parle seulement pour moi). Nous nous rallions maintenant à une expressivité simple et « efficace ». Nous ne voulons plus comprendre le sens des paroles de Berio quand il valorisait « les compositeurs qui avaient une conscience historique ». Finie l’histoire effectivement, au moins pour l’art musical.
Je n’ai saisi que des bribes de Prometeo. Mais ce que j’ai entendu, pressenti, de cette musique a suffi à me donner la conviction que, oui, Nono tutoyait Eschyle, Benjamin, Hölderlin ou Schoenberg et que son œuvre se situait naturellement dans ces hauteurs. Composé « après la fin des utopies radicales» Prometeo est sans doute encore une utopie. Existe-t-il encore quelqu’un pour y croire, pour l’entendre ? En un sens, je me satisfais de la « gêne coupable » de beaucoup de spectateurs et de certains critiques. Je veux croire qu’elle n’est pas seulement due à un banal « sur-moi culturel » mais qu’elle désigne aussi « en négatif » une sorte d’hommage, une question muette sur le sens et la place aujourd’hui d’une telle œuvre.
Voilà. Par cette réaction plutôt hâtive et désordonnée, j’ai voulu prolonger votre propre compte-rendu dont je partage l’essentiel, même si je regrette que vos impressions en fin de texte (que je peux partager aussi) « zappent » la question de la portée (immense ou nulle ?) de ce Prometeo.

2. Le jeudi 10 décembre 2015 à , par Simon

Bonjour David,

je te salue en même temps que le style magnifique de cet article, pour l'alliance idéale de la précision psychologique à une grande souplesse descriptive, ce qui revient à nous donner à la fois le dessin et la couleur, Ingres et Delacroix, Chassériau en somme (ah! je ne suis pas sûr de l'effet de cette chute). Promeneur que je suis dans la biographie Pompadour sous la plume heurtée des frères Goncourt, j'étais peut-être prédisposé à percevoir ce compte-rendu comme un véritable fait littéraire: ce sera en tout cas la justification qui me gardera de passer pour le vulgaire et simple flagorneur que je suis pourtant face à ce genre de démonstration.
Je n'ai pas grand chose à dire sur ce concert où je ne me trouvais pas, mais une telle tolérance musicale a quand même quelque chose de réjouissant, vu de l'extérieur. De l'intérieur, c'est certes un fil fragile de patience tendu au milieu d'un gouffre d'exaspération. Mais cette recherche de sens peut être satisfaisante en soi, même en n'aboutissant pas; un peu le même plaisir qu'éprouve un chercheur qui ayant trouvé les premiers linéaments d'une théorie mais ne comprenant pas ce qu'il recherche, prend déjà plaisir à démêler quelques-uns des entrelacs d'idées qui la forment, en la voyant pourtant faillir dans ses extrémités.
Ce n'est pas avec ce genre de comportements qu'on connaîtra les frissons des querelles et des scandales esthétiques, en revanche. Mais la volonté de ne pas comprendre a encore de beaux jours devant elle.

A très bientôt, je vais prendre le temps de t'écrire autre chose que ces banalités.
Simon

3. Le dimanche 13 décembre 2015 à , par JeanPierre

Fasciné depuis longtemps par Luigi Nono dernière manière, et ce Prometeo en particulier, j'ai pénétré dans l'enceinte de la Philharmonie pour recevoir cette onction suprême et ultime du maitre vénitien. Une merveille de recyclage de 8 siècles de musique à l'aune de toutes les techniques électroniques disponilbles dans les années 1980. Expérience une fois de plus bouleversante, bien supérieure à ce que nous rend le disque (CD EMI non dispo dirigé par Metzmacher ou Col Legno plus récent). Les jeux sur la dynamique, l'espace, la voix se font réflexion sur la musique, la philosophie, et surtout le temps.
J'admets qu'il faut rentrer dans cette musique en laissant derrière soi les deux fondements de notre musique, mélodie et rythme pour se plonger dans ces longues nappes sonores, étirées dans l'espace, entre le silence et hurlement. La voix, parlons-en, oublié les ténors wagneriens ou le bel canto, oublié l'asservissement à une histoire, un argument. Elle n'est plus qu'un ensemble de timbres qui se répondent.
Placé au premier rang du balcon, j'ai pu contempler, compter, les départs successifs, dès le premier quart d'heure passé, très réguliers, dans toutes les zones de la salle. J'aurais aussi pu compter le nombre de consultations des programmes, des iphones et tablettes.
Dès le début, la composition du public m'avait étonné. Là où d'ordinaire, la "contemporaine" attire plutôt des 30-50, ici on était sur une majorité de retraités,comme vous le dites, ridés et parcheminés.
Comment se tromper à ce point? Désir de s'encanailler avec la contemporaine, sous les sons d'une figure classique reconnue? Pas de reproche pour ceux
qui n'apprécient pas cette musique, bien entendu, mais pour ceux qui ne s'informent pas. Il faut tendre d'autres oreilles que mozartiennes, beethoveniennes, fauréennes (?) pour entendre cette musique.
Il se fait que j'ai assisté à cette production à Zurich début juillet 2013. Zurich, capitale de la ville du pays de la finance. Bourgeois en diable. Plutôt quadra et quinqua que retraité. Pas un souffle, pas une sortie prématurée, mais une ovation pour terminer couronner l'oeuvre. La salle, plus petite, nous rendait la musique plus proche, plus intime que la gigantesque Philharmonie, où les toux se mêlaient trop souvent à la modulation des silences.
L'expérience zurichoise se révélant, finalement, plus réelle plus proche de l'esprit de cette musique.
Vous parlez très bien du temps de la longueur de l'oeuvre. Une clef de celle-ci est d'effacer le temps, de nous introduire à une démultiplication infinie du temps portée par les infinies nuances, de couleurs de dynamiques de l'oeuvre qui nous prépare, nous plonge, méthodiquement dans le temps.
2h30 ? C'est court face au propos couvert, le temps. Un peu long ce Prometeo? Très court une fois qu'on s'y abandonne.
Ravi d'avoir pu partager avec vous, anonymement, ce moment d'éternité que je prolonge en vous écrivant, bercé par ce Prometeo (SACD Col Legno)
Amicalement.

4. Le dimanche 13 décembre 2015 à , par David Le Marrec

Bonsoir !

Pardon pour le délai, semaine un peu dense (outre les concerts), merci pour ces riches commentaires.

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@ Carnicer

Je veux croire qu’elle n’est pas seulement due à un banal « sur-moi culturel » mais qu’elle désigne aussi « en négatif » une sorte d’hommage, une question muette sur le sens et la place aujourd’hui d’une telle œuvre.

Ce n'est pas l'impression que j'ai eue, en effet : la bonne volonté émanait plus volontiers que la pose (ce qui n'est pas si fréquent dans ce type de concert – à la fois fleuve et contemporain).


Mais ce que j’ai entendu, pressenti, de cette musique a suffi à me donner la conviction que, oui, Nono tutoyait Eschyle, Benjamin, Hölderlin ou Schoenberg et que son œuvre se situait naturellement dans ces hauteurs.

Je ne mettrais pas tout ce monde sur le même plan, entre Eschyle qui nous échappe forcément un peu, Benjamin dont je ne suis pas convaincu de l'importance, Höderlin qui je révère absolument et Schönberg dont les talents de théoricien et de compositeur se manifestent diversement selon les œuvres et les périodes… Oui, assurément, Nono doit se situer quelque part au milieu de tout cela, mais ça ne me dresse pas l'image d'un panthéon, spontanément.

Ensuite, oui, les chœurs, c'est ce que Nono a fait de mieux : ¿ Dónde estás, hermano ?, Sarà dolce tacere, voire Canti di Didone et Liebeslied, voilà qui figure au sommet de l'art choral du vingtième siècle (et sans beaucoup de concurrence pour le second vingtième).


Voilà. Par cette réaction plutôt hâtive et désordonnée, j’ai voulu prolonger votre propre compte-rendu dont je partage l’essentiel, même si je regrette que vos impressions en fin de texte (que je peux partager aussi) « zappent » la question de la portée (immense ou nulle ?) de ce Prometeo.

La portée est une question difficile, elle demande vraiment une vision claire du contenu, de ses antécédents, de sa postérité, et je suis vraiment loin d'avoir la matière pour tenir ce discours dans quelque sens que ce soit – si ce n'est qu'à l'échelle de Nono, Prometeo ne fait que réutiliser à grande échelle des caractéristiques déjà présentes dans ses grandes fresques (Como una ola) ou dans ses œuvres a cappella.

S'il s'agit de tenir un discours personnel sur l'importance de l'œuvre, je ne suis pas forcément très intéressé par la question (raison pour laquelle je n'ai pas cherché à déterminer si c'était bon ou pas, avant même de parler de portée) – j'aime beaucoup des œuvres que j'admets être mineures, et modérément d'autres que j'admets êtres majeures, et j'écoute avant tout me satisfaire ou pour découvrir, deux raisons qui n'impliquent pas nécessairement la supériorité, ni même la qualité. Par ailleurs, dans le cas plus spécifique des langages du second vingtième, je trouve vraiment difficile de disposer du recul (et de la science !) nécessaire pour y voir clair à travers cette forêt de langages disparates, contradictoires, souvent en rupture fondamentale et soudaine avec toute la pensée de la musique depuis son origine…

Je me sens capable d'écouter, d'aimer cette musique, de commenter ses forces (et aussi sa structure déséquilibrée, ses longueurs, ses concepts imperceptibles à l'écoute), mais pas vraiment de la situer en matière d'importance, d'autant qu'elle ne me semble pas ouvrir de voies particulièrement neuves. C'est, pour Nono, une forme de combinaison de ce qu'il faisait déjà le mieux, la grande fresque thématique et la recherche sonore aux confins du silence.

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@ Simon

Un plaisir de te voir reparaître, et je ne peux pas dire qu'il est diminué en lisant de si jolies choses sur mon compte. :) Cela excède un peu mon ambition, assurément, mais je suis touché de ma tentative de communication de la singularité d'un moment ait trouvé son public – ce qui n'était pas assuré, parce que l'évocation socio-contemplative du public de musique contemporaine ne doit pas s'adresser à une très large niche, je suppose. Autant te dire que tu tombes bien !

Je n'ai pas grand chose à dire sur ce concert où je ne me trouvais pas, mais une telle tolérance musicale a quand même quelque chose de réjouissant, vu de l'extérieur. De l'intérieur, c'est certes un fil fragile de patience tendu au milieu d'un gouffre d'exaspération. Mais cette recherche de sens peut être satisfaisante en soi, même en n'aboutissant pas; un peu le même plaisir qu'éprouve un chercheur qui ayant trouvé les premiers linéaments d'une théorie mais ne comprenant pas ce qu'il recherche, prend déjà plaisir à démêler quelques-uns des entrelacs d'idées qui la forment, en la voyant pourtant faillir dans ses extrémités.

Je suis tout à fait d'accord avec toi, et c'est pour cela qu'aller voir des œuvres moins courues, ou qui ont une plus-value particulière en salle, n'est jamais frustrant : même lorsqu'on n'aime pas, ce ne peut pas être une perte de temps, on découvre des choses. J'ai finalement pris moins de plaisir en allant voir la Damnation de Faust (que j'adore, et dont les mérites sont plus immédiatement identifiables) le lendemain, parce que j'étais au bout du compte, un peu malgré moi, plutôt dans la comparaison, l'essai de voir en quoi Truc ou Muche faisait ceci ou cela sur Berlioz.
C'est aussi un plaisir particulier que celui de la satisfaction après un concert : ce ne sont pas forcément les plus agréables dans l'instant qui nous nourrissent le plus sur la durée. Il y a même des soirées que je n'ai pas vraiment aimées (surtout au théâtre, avec Brand par Braunschweig ou l'Onéguine du Vakhtangov), mais qui conservent aujourd'hui encore un parfum extraordinaire.

C'est un peu le cas de ce Nono, d'ailleurs : j'ai trouvé le temps long dans certaines sections (surtout la première moitié, qui est de toute façon la moins intéressante), mais l'impression particulière des beaux moments, une sorte de berceuse pour yeux ouverts, m'a laissé des traces très agréables, un concert plus marquant qu'il pouvait d'abord sembler.

Ce n'est pas avec ce genre de comportements qu'on connaîtra les frissons des querelles et des scandales esthétiques, en revanche.

C'est sûr, mais c'est autrement agréable comme spectateur… Sans parler des sujets sur lesquels se logent les querelles (cf. la notule juste à côté sur la Damnation, où des bisous d'escargot ont fait un gigantesque scandale dans la salle…).

J'attends ton message !

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@ JeanPierre

Je suis bien d'accord : le disque rend justice aux belles harmonies, éventuellement aux timbres, mais peine à rendre cet enveloppement tournoyant, ces perspectives sonores distordues grâce à l'amplification insolite et au traitement en temps réel – et pour une fois, ce n'est pas du gadget cosmétique, Nono retravaille complètement ses équilbres grâce à ces nouvelles possibilités.
[En revanche, il paraît que la spatialisation n'était pas du tout audible vers l'arrière-scène.]

La captation binaurale de France Musique rend étonnamment bien justice à la soirée, même si ça reste évidemment considérablement inférieur à l'impact physique en salle :
http://nouvoson.radiofrance.fr/musique/re-ecoute-de-prometeo-de-luigi-nono-en-binaural-sur-francemusiquefr.


Les jeux sur la dynamique, l'espace, la voix se font réflexion sur la musique, la philosophie, et surtout le temps.

C'est la part philosophique qui me convainc le moins : elle n'est finalement présente que dans le choix des textes et dans les notes d'intention. La « tragédie de l'écoute », par exemple, je ne vois pas trop où elle se loge.

J'admets qu'il faut rentrer dans cette musique en laissant derrière soi les deux fondements de notre musique,

Oui, tout à fait ; mais contrairement à beaucoup de ses contemporains, ça fonctionne assez bien à l'intuition, il n'y a pas vraiment besoin de temps d'adaptation ni d'étude préalable – on peine surtout à entrer dans le concert parce que le Prologue et la Première Île ne sont pas très intéressants en tant que tels, pas vraiment parce qu'elle réclame une habitude particulière.

Dès le début, la composition du public m'avait étonné. Là où d'ordinaire, la "contemporaine" attire plutôt des 30-50, ici on était sur une majorité de retraités,comme vous le dites, ridés et parcheminés.

Ah non, ah non, les rides appartiennent aux jeunes perplexes, je ne voulais surtout pas flétrir mes aînés.

Comment se tromper à ce point? Désir de s'encanailler avec la contemporaine, sous les sons d'une figure classique reconnue? Pas de reproche pour ceux qui n'apprécient pas cette musique, bien entendu, mais pour ceux qui ne s'informent pas. Il faut tendre d'autres oreilles que mozartiennes, beethoveniennes, fauréennes (?) pour entendre cette musique.

Certains ont sans doute voulu faire une expérience ; à mon avis, pas mal de gens aussi qui étaient contents de trouver une place pour la Philharmonie, et qui n'avaient pas forcément les clefs pour déterminer quel concert leur conviendrait le mieux. (Évidemment, on ne va pas placarder sur les affiches « attention, musique difficile, restez chez vous et reversez-vous une rasade de Bocelli ».)


2h30 ? C'est court face au propos couvert, le temps. Un peu long ce Prometeo? Très court une fois qu'on s'y abandonne.

Je ne crois pas y avoir beaucoup résisté, mais si, je trouve ça long, du fait de la répétition, même dans ses (nombreux, d'ailleurs) passages sublimes. Ce n'est pas qu'une question de langage, c'est aussi une question de mesure objective (et je ne parle même pas des jauges naturelles de type pelvien) : Tristan ou Peer Gynt, c'est trop long. On n'aurait joué qu'une portion de l'œuvre (par exemple de Hölderlin et du Premier Stasimon au dernier Tre Voci), même une petite section, ça aurait sans doute paru beaucoup plus intense – je reste convaincu qu'il ne faudrait entendre Tristan ou Parsifal qu'au rythme d'un acte par soir, sans quoi on ne peut pas être attentif et concerné tout le temps.
Je vois bien ce qu'il y a de singulier dans cette contruction temporelle ample, mais je crois tout de même qu'en ce qui me concerne (ainsi que quelques autres, sûrement), un extrait aurait eu un effet plus saisissant. (La proportion fifty-fifty du disque Nono de Creed, avec du Wagner et du Strauss choraux, permet de mieux mettre en valeur les fulgurances – certes, au détriment du temps, je veux bien l'admettre.)

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David Le Marrec

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