Schneewittchen ('Blanche-Neige') de Heinz Holliger
Par DavidLeMarrec, samedi 23 septembre 2006 à :: Musicontempo :: #380 :: rss
Il faut savoir que l'article en question date de quelques dizaines de mois déjà , rédigé fin 2003-début 2004, à vue de nez. Il serait à réécrire pour en lever quelques maladresses, mais je n'en ai pas le loisir. C'est donc à simple titre d'archive que je vous le propose.
Heinz HOLLIGER |
Né en 1939.
Actuellement sont disponibles quelques notes sur quelques spécificités de [Schneewittchen]. |
Oeuvre familère et
interrogative |
Le livret de Schneewittchen ('Blanche-Neige') a
été rédigé par le compositeur
d'après Walser. On dit souvent qu'il s'agit d'une oeuvre
à part dans la production de Holliger,
une des plus accessibles aussi - cas rare pour l'opéra dans le
panorama contemporain. Ici, ce ne sont pas les crissements sarcastiques
qui prédominent. L'ironie mordante est plutôt
convoyée par un figuralisme hypocrite. L'oeuvre, en somme, ressemble assez à du Schreker actualisé, si l'on en croit la place d'un orchestre très homogène, au rythme comme étiré, et le mode de traitement d'un drame très littéraire, presque un essai. Les situations représentées versent souvent, il est vrai, dans le statisme - corollaire inévitable de l'utilisation de textes contemporains, faisant plus de place au commentaire et au doute, abolissant la science des effets, avant même de considérer la force dramatique. En cela, on retrouve aussi le souci d'approfondissement psychologique des Gezeichneten, sur le mode de scènes parfois arrêtées. Le grand souci plastique en moins, au profit de la réflexion sur le sens même de la représentation dramatique, de la portée des contes, etc... En effet, la recherche théâtrale ne peut plus se fonder sur la représentation d'un imaginaire mythique commun (il y aurait beaucoup à dire sur le sujet : télescopages de systèmes de valeurs, démentis à l'intérieur même des civilisations, etc.), ni le plus souvent sur l'expression de l'interrogation d'un collectif, pour les mêmes raisons, ni même, dans le cadre de la recherche littéraire, sur la simple efficacité dramatique, trop usée - et surtout passablement méprisée. Le principe d'un 'métaquestionnement', à l'oeuvre durant tout le vingtième siècle, se pose sans ambiguïté dans cette oeuvre de Holliger. De même que les personnages se permettent, tout en remplissant la fonction initiale d'un type, de contester le contenu et l'orientation du conte auquel ils sont pourtant soumis, la musique n'a pas la valeur exacte de ce qu'elle montre, dès qu'elle n'est plus abstraite. |
Théâtre
du métaconte |
Schneewittchen apparaît ainsi comme une
illustration flagrante de la recherche littéraire au
vingtième siècle, sous l'égide du doute, sinon du
soupçon. A cela s'ajoute
un accomplissement assez impressionnant pour une oeuvre de
théâtre, genre comme on l'a succinctement
suggéré assez difficile
à manier avec les outils contemporains, fournissant peu de
prises
aux spectateurs. En effet, en lieu et place de l'efficacité dramatique, ici absente - à peine trouve-t-on un rien d'urgence dans la description des amours de la reine et du chasseur, scène de voyeurisme qui n'a rien d'active -, Holliger utilise le second degré, et le doute lui-même, pour porter son drame. Le traitement du début de la seconde scène est à ce titre exemplaire. Dans cette scène, l'orchestre se met à bruisser, à chanter, le prince à effectuer des coloratures sans fin qui voilent son discours. Ils deviennent les oiseaux qu'ils évoquent, comme en écho aux contestations des personnages sur un narrateur biaisé, qui choisirait la caricature. [Mais les personnages, tel le chasseur s'assurant indépendant de la reine, savent aussi mentir, ce qui rend complexe le démêlement des revendications légitimes et des faux-semblants.] Ainsi, cette musique à programme, par son évident excès de représentation concrète, avertit le lecteur par le biais de l'auditeur : le choix de la simplification coupable peut être fait, qu'il prenne garde. On pense beaucoup à un parallèle avec Rinaldo ("Augelletti, che cantate, Zefiretti, che spirate"), admiré mais dont l'insouciance psychologique ne paraît plus possible aujourd'hui ; une référence qui place l'oeuvre dans une filiation en même temps qu'elle confirme l'impossibilité d'une imitation qui serait limitée dans son sens et privée de sincérité. Pourtant, au-delà de l'emphase ironique, se développe une véritable poésie. Le premier degré donne tout de même accès à une musique merveilleuse, descriptive mais quasi onirique, à un touchant tableau. Sans doute ce mélange entre références au passé, dans le style hérité (Schreker) ou dans l'esprit imité (Haendel), et doute posé sur la validité d'un drame concret aujourd'hui, éclaire-t-il un peu les choix d'esthétique musicale de cette oeuvre au profane holligerien, pour lequel cette rencontre constitue donc un excellent début. Plus précisément, cette scène, outre sa portée générale sur l'ouvrage dramatique et sa fonction éclairante dans la pièce et la musique, met également l'accent sur la duplicité de l'attitude d'un personnage que les contes traditionnels laissent somme toute peu connaître. Dans la première scène, un double couple délibère. La reine et le chasseur, Blanche-Neige et le prince. Nous nous situons en quelque sorte après l'issue du conte, mais c'est plutôt l'impression d'une émancipation des personnages qui prédomine, tels des acteurs contestant en plusieurs point la pièce qu'on leur fait jouer, le rôle réducteur qu'on leur fait tenir. La reine est particulièrement révoltée contre l'image figée et uniformément négative que lui donne le média narratif. Le prince, quant à lui, protège Blanche-Neige, sans grande conviction. En plusieurs endroits des protestations se sont élevées, il n'a pas toujours pris, en bon étranger, le parti de sa promise. La scène suivante place le jeune couple ensemble dans les jardins retrouvés. Le prince, peu empressé voire peu intéressé par sa compagne, se justifie en invoquant l'adage ('la sincérité n'a pas besoin de mots') qu'il se défend de transgresser en d'interminables explications bien bourbeuses, jusqu'à se compromettre, se faisant l'illustration négative de son précepte. Une fois sa sincérité douteuse placée aux yeux du spectateur, il fera bénéficier Blanche-Neige d'une description qu'elle désire bien peu : son voyeurisme se porte avec enthousiasme sur les ardeurs de l'autre couple. Mais ce n'est pas pour avertir Blanche-Neige qui proteste et réclame un peu d'attention. Dans ce contexte, les roucoulades du prince semblable à l'oiseau le font précisément penser bien trop volubile pour être sincère. Surtout que la quantité de paroles apparaît en réalité bien maigre, comme stoppée par ces ornementations inutiles et surtout inauthentiques. Leur surabondance masque même le contenu du texte. Le prince ne dit rien à Blanche-Neige de consistant, et encore, lorsqu'il parle, rend incompréhensible ses paroles. Seul le narrateur lui impose, en déduit-on, ce rôle de héros épris. |
Une
réussite de théâtre musical, remarquable avec les outils propres au vingtième siècle |
On l'a
compris, les textes littéraire et musical se lient ici
étroitement pour faire sens. Rarement la musique posée
sur un livret aura autant eu une valeur de confirmation ou
d'interrogation, selon les cas, et en
tout cas une valeur d'orientation de l'écrit. Une
réussite
et un régal qui rendent secondaire la seule esthétique,
ce
qui en facilite grandement, bien entendu, l'accès. Contestation vivifiante et littéralité de la merveille, dans les textes, nourrissent semblablement le doute spontané du spectateur. La représentation concrète, le recours aux usages n'est jamais dupe. Le traitement musical adramatique, qui rappelle souvent le procédé schrekerien, juste modernisé, de la toile de fond évolutive, tantôt discrète et presque oubliée de l'auditeur, tantôt revendiquée comme source de la poésie (et ici, du commentaire) de certains tableaux, convient admirablement à cet 'essai théâtralisé'. La poésie n'est jamais loin des questionnements : le texte de Walser fait interroger le conte par les personnages qui l'animent, en quelque sorte émancipés de la force créatrice qui les contraignait - un peu comme les personnages d'une fresque qui nargueraient le peintre en choisissant de renier leur pose caractérisante. Enfin, suprême satisfaction, l'interprétation 'Holliger par Holliger', la seule disponible à ce jour au disque, est très équilibrée, et dotée d'une distribution très sérieuse, qui ne peut qu'être louée pour l'homogénéité de ses membres et de ses talents (vocalité et diction en tête). Un opéra contemporain réussi, puisqu'il parvient à donner sens à la littérature du vingtième siècle dans une forme qui décuple la force de ses significations. Remarquable en tout point et bien que riche, très accessible, usant d'un langage musical en outre assez consonant, dans une interprétation de haute volée. La preuve que le théâtre musical peut trouver une voie sans recourir à l'impact dramatique, en effet plus rare dans la littérature contemporaine. |
Commentaires
1. Le dimanche 24 septembre 2006 à , par lali
2. Le lundi 25 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
3. Le lundi 25 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
4. Le lundi 25 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
5. Le mardi 26 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
6. Le mardi 26 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
7. Le mardi 26 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
8. Le mercredi 27 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
9. Le mercredi 27 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
10. Le jeudi 28 septembre 2006 à , par kfigaro :: site
11. Le jeudi 28 septembre 2006 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire