Carnets sur sol

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samedi 31 juillet 2010

Ibsen wagnérisé - L'Etranger de Vincent d'Indy


D'après la re-création en concert au Festival de Montpellier il y a quelques jours, et la lecture intégrale de la partition ainsi que du texte-source.




Trois extraits de la partition : un peu du grand duo de l'acte I, la fin méditative de l'acte I, la grande tempête qui termine l'acte II.


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1. Aux sources du livret : Ibsen

Cette action musicale en deux actes (1896-1901) est inspirée à Vincent d'Indy en par Brand d'Ibsen, qui avait été représenté en France dès 1895 grâce à Aurélien Lugné-Poë.

L'intrigue de cet Etranger se résume en peu de mots.
Acte I : Dans un village de pêcheurs, un étranger quadragénaire agit avec bonté tout autour de lui, distribuant sa pêche, protégeant les faibles, mais mal regardé par la population qui voit en lui en sorcier maléfique, ou à tout le moins un voleur de bonne fortune. Il s'entretient avec la jeune Vita (petite vingtaine), la seule à ne pas le fuir. Il lui laisse entendre son amour, mais celle-ci, déjà fiancée mais manifestement éprise aussi, ne parvient pas plus que lui à trouver le ton juste, et l'Etranger annonce son départ le lendemain. Vita est comme abasourdie et écoute à peine son fiancé André lui parler des bans du mariage, en contemplant l'Etranger qui s'éloigne sur le sentier lumineux.
Acte II : Second grand duo, Vita annonce son amour mais l'Etranger confirme son départ à cause de ce qui avait été dit. Elle le laisse partir, mais jette à l'eau la pierre magique qu'il lui a donnée, se qui semble agiter l'écume. Elle se promet alors en fiancée à la mer et laisse, complètement silencieuse, enrager son fiancé qui finit par rompre. A ce moment, la tempête se déclare ; l'Etranger monte seul sur un canot pour sauver les pêcheurs en péril, rejoint au moment du départ par Vita. Alors qu'ils rejoignent les naufragés, une lame immense les engloutit tous. Les pêcheurs restés sur la grève entament le De profundis et le rideau tombe.

Les points communs avec Brand sont donc limités, mais patents. En réalité, d'Indy (qui écrit lui-même le livret, comme pour ses trois autres opéras de type sérieux [1]) n'a conservé que la matière de la première moitié de l'acte II, et s'en est librement inspiré.
En effet Brand, à l'acte II, séduit par ses discours altruistes et exigeants Agnès, la fiancée d'un ancien camarade d'études, et risque sa vie pour aller donner une absolution, en montant seul (et rejoint par Agnès émerveillée) dans une barque sur le flot déchaîné.
La différence est tout de même qu'ici la dimension christique du personnage est beaucoup moins abstraite et dogmatique : l'Etranger sans nom n'est pas un prêcheur mais un simple pêcheur qui parcourt le monde en faisant le bien au lieu de le revendiquer comme le fait Brand (d'une façon tout à fait discutable). Brand a un passé (et une mère avaricieuse, qu'on fréquente longuement dans la seconde partie de l'acte II), alors que l'Etranger n'a pas de substance psychologique réelle : il reste, même pour Vita, un être de passage opaque. Enfin, Brand réussit l'épreuve de la barque, alors que l'Etranger y disparaît.

Disons que certains des motifs sont identiques (une figure christique, une fiancée dérobée presque malgré lui, une ordalie de la mer), mais réagencés dans un autre contexte.

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2. Autres échos

On note aussi d'autres similitudes évidentes.

D'abord avec le Hollandais Volant de Wagner, où le personnage qui erre ne peut être retenu que par une femme fidèle - dont la sincérité qu'il ne veut croire ne lui est finalement prouvée que par sa mort en s'élançant vers les vagues. D'ailleurs l'aveu de Vita est conçu sur le même mode de l'aigu éclatant (si 4 dans les deux cas...) qui stupéfait la foule rassemblée. De même si l'on considère le fiancé éconduit en raison de la fascination pour la figure mystérieuse et paternelle (c'est explicite dans le livret de d'Indy).

C'est aussi toute une époque de fascination pour la mer chez les compositeurs français, y compris à l'Opéra, comme pour Pelléas et Mélisande de Debussy (1902), Le Pays de Ropartz (1908-1910) ou Polyphème de Cras (1910-1918), qui ménagent tous des scènes maritimes impressionnantes.
Dans le cas de d'Indy, le figuralisme maritime doit autant au Vaisseau Fantôme qu'au Wagner de maturité et au genre "impressionniste" français. Il est à noter d'ailleurs que La Mer de Debussy et les opéras qu'on citait précédemment sont tous postérieurs à L'Etranger, qui n'est donc pas à situer dans un mouvement de suivisme, mais plus dans une intuition fine de ce qui allait se développer par la suite.

Le lien est assez saisissant en particulier avec Le Pays de Ropartz, qui raconte précisément une histoire de nouveau venu dans un univers de pêcheurs, et qui après avoir séduit une jeune fille, veut quitter la contrée et n'en sort pas vivant. Le tout dans un langage musical extrêmement tristanien qui n'est pas très éloigné des couleurs wagnériennes de Vincent d'Indy.

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3. La musique

Notes

[1] Ses trois autres opéras sérieux : Le Chant de la Cloche d'après Schiller, Fervaal d'après Axel d'Esaïas Tegner et La Légende de saint Christophe d'après la Légende dorée de Jacques de Voragine. Il est également l'auteur, côté scénique, de trois musiques de scène, d'un opéra-comique et d'une comédie lyrique.

Suite de la notule.

mardi 27 juillet 2010

Wagram imaginaire (mais sonore)


La notule Wagram imaginaire, écrite il y a un peu moins de cinq ans, a été complétée de quelques informations factuelles (et d'un vaste extrait sonore).

lundi 26 juillet 2010

Quadrature du cercle - (Henry VIII de Saint-Saëns)



A la réécoute d'une des trois versions d'Henry VIII de Camille Saint-Saëns [1] dont les lutins disposent [2], en l'occurrence la seule cohérente de bout en bout (Pritchard), on est frappé des qualités assez étonnantes de cet opéra, et ce d'autant plus vivement qu'elles paraissent de prime abord incompatibles, et qu'elles n'étaient pas parues aussi saillantes même en lisant / jouant la partition.

Il ne s'agit pas ici de se lancer dans une vaste analyse, mais simplement d'inviter à découvrir, de façon imparfaite, ce bijou dans la version captée à Compiègne (dans une distribution moyenne et un orchestre malingre).


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Résumé de ce que vous entendez (version Pritchard inédite). Tout ceci est détaillé dans la notule.
Acte I : A la fin du duo, on entend le motif de l'amour de Gomez qui en a fourni le thème principal. Puis lorsque son interlocuteur Norfolk le prévient sur le caractère du roi apparaît le motif lié à ses intempérences. Il est immédiatement réitéré au moment où le choeur des courtisans entre : le favori du roi a été condamné à la mort et Henry VIII l'abandonne à son sort.
Le très beau choeur qui suit comporte deux sections très nettement distinctes : la déploration sur Buckingham et les murmures contre le roi, sur ce très beau ton mélancolique. Puis intervient une entrée dans le goût Renaissance, avec les vents très présents, pendant laquelle le roi paraît. Le choeur entonne alors un chant beaucoup plus contraint et convenu, une louange hypocrite.
Acte II : Air de désespoir de Gomez. Vous voyez sa forme essentiellement récitative, mais très mélodique. Grand divertissement de fin d'acte, avec la fête champêtre en l'honneur d'Anne Boleyn - on voit la qualité remarquable des danses, pittoresques mais très écrites.
Acte III : Prélude qui reprend le motif courtisan entendu au premier acte et qui laisse entendre beaucoup de choses au spectateur.


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Ce drame mêle en effet trois composantes très différentes.

1 - Les cinq actes, le sujet historique, le grand ballet : même s'il y a peu de numéros obligés (romance fondatrice, chanson patriotique ou à boire sont absentes... mais on entend tout de même au début du bucolique acte II [3] un choeur de pages censé présenter un décor au drame), on y retrouve le fondu, l'espèce de récitatif continu que le Grand Opéra a hérité de la tragédie lyrique. Car à l'origine, chez Lully, le récitatif était plus ou moins accompagné, par le continuo ou l'orchestre, avec quelques ariettes et, de temps à autre, des airs où l'on s'autorisait à répéter les paroles.
Clairement, Henry VIII est un Grand Opéra à la française, un peu modernisé dans le langage musical, mais il en comporte les principales caractéristiques structurelles.

2 - Saint-Saëns s'ingénie aussi à imiter, avec un rare bonheur et un sens de l'évocation saisissant, les danses de la Renaissance. A de nombreuses reprises, en fond ou en ballet seul, et ce dès l'Ouverture, l'illusion est parfaite - alors que musicalement, l'harmonie reste tout à fait romantique, on est immédiatement saisi par l'image d'un XVIe siècle radieux.
Ce n'est pourtant pas la tradition du Grand Opéra... surtout à ce degré d'intégration. On est presque dans la tragédie lyrique, avec ces harmonies limpides et ces éternels rebonds dansés. Bien sûr, pour l'assimilation du mouvement de danse au drame, Guillaume Tell de Rossini et Les Huguenots de Meyerbeer constituaient des réussites éclatantes, mais sans cette recherche de "couleur historique" aussi forte et aussi permanente. Car parvenir à faire de l'épanchement romantique avec ce langage représente un véritable tour de force.

3 - Enfin, Saint-Saëns emploie pour innerver son drame musical d'authentiques leitmotive. Cela n'a absolument rien d'exceptionnel à l'époque de composition (début des années 1880), néanmoins la finesse de leur emploi est vraiment inhabituelle en France. Ici, les motifs révèlent discrètement les pensées des personnages, voire explicitent les coulisses politiques.
Et mêler cela à une esthétique seizièmiste, en le surajoutant au canevas du Grand Opéra, c'est assurément un tour de force assez vertigineux dès qu'on observe la machine d'un peu près.
En voici une brève liste non exhaustive :

  • L'amour de don Gomez de Feria : c'est ce motif élancé qui constitue le thème du premier numéro (air / duo qui présente Anne Boleyn en son absence). On le retrouve lors de l'évocation de l'arrivée de la dame d'honneur nommée par le roi, qui se révèle être, comme l'avait prédit l'interlocuteur pessisme de Gomez, Anne Boleyn.
  • Les parjures d'Henry VIII : un motif très récurrent, de petit ambitus, une sorte de vaguelette qui fait un aller-retour un peu sombre (comme figurant le bouillonnement des veines et l'intempérance du roi), qu'on retrouve lorsqu'il est question de décisions royales (et donc de forfaitures).
  • La séduction : un petit thème de l'acte II, qui évoque le pacte du roi et de Boleyn (elle est à lui s'il la fait reine à la place de Catherine). Il reparaît terrible lorsque le roi fait l'affront à la reine et au légat, révélant au spectateur la nature réelle des motivations du souverain.
  • L'hypocrisie des courtisans : ce thème juste après le très beau choeur d'entrée des courtisans (déploration de Buckingham et mise en cause du roi), qui se mue immédiatement en déférence hypocrite à l'entrée d'Henry VIII. On peut l'assimiler éventuellement au décorum de la Cour, mais si on l'associe plus précisément aux courtisans eux-mêmes, son retour est extrêmement intéressant : c'est ce thème-là qui constitue le noyau du Prélude de l'acte III, l'acte du procès. Le retour de la matière sonore attachée à l'hypocrisie des courtisans laisse donc immédiatement entendre que le procès de Catherine est une mascarade dont l'issue est jouée d'avance.


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Bien des subtilités donc, et surtout cette incroyable triple construction... avec un résultat magnifique pour qui aime l'opéra français et le Grand Opéra en particulier. Aucune baisse de tension de surcroît.

Ernest Chausson, qui attendait beaucoup de Saint-Saëns pour créer une nouvelle forme de drame, a à l'époque écrit son désappointement de le voir enfermer ses leitmotive dans les formes fixes d'autrefois. C'était se méprendre grandement sur la qualité d'ensemble de la composition - puisque les numéros sont finalement peu conventionnels (l'air de Gomez à l'acte II est totalement éclaté en une forme de récitatif très intensément lyrique, la partie cantilène en est à peine esquissée), et que la structure du Grand Opéra se trouve en même temps que le réseau des leitmotive.

Néanmoins, il est évident que ce n'était pas une réalisation particulièrement audacieuse par rapport à ce que sera le Roi Arthus [4]. Qu'importe, l'aboutissement n'en est pas moins très impressionnant, et CSS tenait à faire partager sa rêverie à ses lecteurs...

Notes

[1] Livret de Léonce Détroyat et d'Armand Silvestre d'après Calderón (El Cisma en Inglaterra) - d'où la représentation odieuse du roi.

[2] Pritchard (Pollet, Lara, Fondary), Guingal à Compiègne (Command, Vignon, Gabriel, Rouillon), Collado (adieux de Caballé, Workman, Estes aphone remplacé après le deuxième acte), seule la deuxième ayant été publiée commercialement.

[3] Comme pour les Huguenots...

[4] Notule des débuts de CSS, à compléter très urgemment, c'est prévu depuis longtemps...

vendredi 23 juillet 2010

Saison 2009-2010 : moments choisis


Après le bilan statistique, voici une ébauche de bilan subjectif.

Suite de la notule.

Art, conscience et communication


Jean Guillou fait savoir ostensiblement, par le biais de l'Association AUGURE qui oeuvre à son juste rayonnement, qu'il refuse la Légion d'Honneur, ce qui inspire aux lutins quelques commentaires.

Voici déjà le texte du communiqué, que vous avez peut-être déjà lu dans la presse :

Suite de la notule.

Osez le basson


Pour vos soirées, optez pour Stravinsky !

Ambiance assurée :

Suite de la notule.

dimanche 18 juillet 2010

Saison 2009-2010 : Bilan statistique


Pour le plaisir de la statistique et de la remise en perspective.

Un rapide bilan de la saison écoulée, tout à l'ivresse des prodigalités de la capitale. Genres fréquentés, époques, salles, et pour finir la liste et les liens avec les comptes-rendus.

Suite de la notule.

samedi 17 juillet 2010

Index


Pour information, l'index vient d'être mis à jour sur les questions de pédagogie vocale.

On y trouve notamment :

Suite de la notule.

Qu'est-ce que la voix mixte ? (et voix de poitrine, voix de tête, voix de fausset)


La notule (déjà publiée le 20 juin pour ses premières parties) étant achevée, on la republie entièrement aujourd'hui. On reporte aussi les commentaires de l'ancienne version.

Ces notions paraissent parfois très abstraites pour qui n'a pas étudié le chant, voire floues pour certains étudiants en chant - vu que la technique poitrinée est la seule pratiquée aujourd'hui dans le 'grand répertoire', à de rares exceptions près (surtout chez les ténors : Paul Groves, Klaus Florian Vogt...).

Cette notule traite essentiellement des voix d'homme, car le fonctionnement des voix de femme se situe en quelque sort un 'cran' au-dessus (leur émission normale, avant le passage, s'apparentant déjà à la voix de tête masculine). Il existe des mécanismes comparables de bascule et de compromis sur les voix féminines, mais moins spectaculaires. (Et je peux plus difficilement me mettre à contribution, on le comprendra aisément, pour les exemples pratiques.)

Pour mieux l'appréhender, en plus de décrire le principe, l'aspect, les mécanismes, on propose des exemples comparés, pris sur une même voix (en l'occurrence celle disponible faute de mieux, la mienne) sur la même ligne vocale, puis des exemples chez de véritables interprètes universels.

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0. Précisions

Il n'y a pas d'organe spécifiquement dédié à la phonation. Ce sont donc des organes dévolus à diverses tâches qui sont utilisés pour produire la parole et a fortiori le chant. Cela explique que la voix soit sans cesse liée à son environnement, parce qu'il ne s'agit pas d'un organe indépendant : les postures du corps, les tensions des muscles, le dégagement des voies respiratoires, la forme du crâne vont être autant de paramètres essentiels - et qui peuvent être affectés par la vie quotidienne.

Deux notions peuvent être utiles pour lire cette notule :

On parle de "registre" un peu n'importe comment, dans le domaine du chant, pour désigner en tout cas des choses très différentes ; dans cette notule, on l'utilise pour définir les différentes "étapes" de la voix, du grave à l'aigu. Pour le chant lyrique, deux chez l'homme (voix de poitrine et voix de tête / fausset), trois chez la femme (voix de poitrine, voix de tête, voix de flageolet).

On parle de "passage" (italien passaggio) pour désigner la hauteur à laquelle la voix "bascule" d'un registre à l'autre.

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1. La voix de poitrine

Il s'agit de la voix la plus usuelle, celle de la voix parlée de l'homme (et de la plupart des femmes), et de l'immense majorité des chanteurs d'opéra d'aujourd'hui (domination écrasante depuis les années soixante-dix, mais en cours de régression avec notamment le travail sur l' "authenticité" des interprétations).


[[]]
Début de "Auf einer Burg", extrait du Liederkreis Op.39 de Robert Schumann, chanté a cappella.


Le nom de "voix de poitrine" (en italien voce di petto) n'a rien de scientifique : il correspond aux impressions sensorielles du chanteur, qui ressent des vibrations dans cette partie du coprs, et cela s'entend assez bien sur cet extrait, avec des harmoniques un peu noires (pas très bien timbrées ici, mais c'est le principe et non la réalisation qui nous importe, en l'occurrence).
Physiologiquement, lorsqu'un sujet utilise sa voix de poitrine, le muscle vocal se contracte, tandis que la tension du ligament qui relie cartilages thyroïde et crycoïde reste faible. On a l'habitude aussi, en chant d'opéra, d'abaisser le larynx pour accroîter la cavité de résonance et donc le volume - puisqu'il s'agit de remplir de vastes espaces et de surmonter un orchestre, le tout sans amplification.

La voix de poitrine (ou "mécanisme I") est l'émission normale de voix d'homme, parlée ou chantée. Chez les femmes, le passage en voix de poitrine s'effectue au même endroit (entre ut 3 et fa# 3), ce qui veut dire chez elles dans le grave ; elles ne l'utilisent donc que peu en chant, mais ce sera variable pour l'émission parlée.


[[]]
Theo Adam (Wotan) dans le troisième acte de Die Walküre de Richard Wagner, version Karl Böhm 1976 (Philips-Decca).


Dans cet extrait, on entend très bien la richesse des harmoniques, le caractère sombre et mordant d'une telle émission. Cela dépend aussi d'autres paramètres (usage des résonateurs faciaux notamment), qu'on étudiera ultérieurement, mais c'est bien une caractéristique de la voix de poitrine : puissante, pleine, riche, un peu dure.

Et côté femmes :

Suite de la notule.

vendredi 16 juillet 2010

Beaumarchais - Le Mariage de Figaro à la maison


Un mot, ici aussi, sur Le Mariage de Figaro de Beaumarchais salle Richelieu, dont la dernière était donnée dimanche dernier. On y rencontre effectivement une trouve très à son aise.

La mise en scène de Christophe Rauck insiste beaucoup sur le décor et les accessoires, avec beaucoup d'effets plaisants autour de ces portes en toile qui surgissent du sol et que les comédiens peuvent, à l'occasion, contourner pour briser l'illusion.

On est une fois de plus frappé par la qualité de ce que Da Ponte a conservé dans les Nozze, où il manque seulement quelques causes pour que tout soit limpide (la raison du mot anonyme donné au Comte, la motivation clairement exposée de la mascarade avec Chérubin et l'origine de la dot obtenue par Suzanne pour le procès).

Suite de la notule.

Les Oiseaux d'Aristophane entrent au répertoire de la Comédie-Française


Dans une adaptation et une mise en scène d'Alfredo Arias. Je serai bref, ayant été assez déçu à tout point de vue.

Tout d'abord, la pièce. Quelle que soit la traduction, elle ne m'avait jamais convaincu, et à l'exception de l'intervention bouffonne de Prométhée assez sympathique, je parvenais mal à m'attacher à quelque détail (aussi bien de sens que de langue) que ce fût. J'espérais beaucoup de sa représentation scénique par des comédiens émérites, mais rien ne change.

Problèmes :

Suite de la notule.

Air du temps


D'usage, CSS ne fête guère les anniversaires, ne se règle pas sur les commémorations et ne se sent pas tenu de répondre absolument à l'actualité.

Néanmoins, lorsqu'on peut entendre, après un concert de jérémiades, une plus authentique expression musicale, de vuvuzelas celle-là, on bouderait en vain son exultation.

BRAHMS
Choral en trio pour vuvuzelas soprano, alto et ténor Op.68

RAVEL
Extrait du Boléro (mesures 131 à 158 : solo de vuvuzela)



Pour information : ouverture du site officiel de Mireille Delunsch


Un site officiel de Mireille Delunsch, assez complet (répertoire, coupures de presse, extraits), vient d'être mis en ligne. Il n'est manifestement pas achevé, ne serait-ce que dans l'armature des sous-menus, mais on peut déjà s'y ballader agréablement.

Comme il ne semble pas, pour l'heure, référencé par les moteurs de recherche, voici : http://www.mireilledelunsch.com .

Pour indiquer ce site ? Tout simplement en raison des nombreuses fois où les lutins, dans leurs différentes incarnations, ont pu chanter la présence physique très singulière de sa voix et sa capacité à faire miroiter en quelques instants des univers psychologiques entiers. Par exemple, il y a déjà longtemps, ici.

jeudi 15 juillet 2010

Le Choeur de Radio-France et la romance folklorique liederisée


Concert du jeudi 8 juillet 2010 écoutable en ligne ici (je n'ai pas vérifié le rendu sonore de la captation radio, qui peut toujours révéler un autre type de vérité).

Robert SCHUMANN
Zigeunerleben
Spanisches Liederspiel pour quatuor vocal et piano Op.74 (extraits)

Zoltán KODÁLY
Mátrai Képek
Esti dal
Túrót eszik a cigány

Johannes BRAHMS
% Quatre Chants pour choeur de femmes, deux cors et harpe Op.71
Zigeunerlieder pour quatuor vocal avec accompagnement de piano Op.103

Bis : Extrait de Carmina Burana apparemment.

(Matthias Brauer dirigeait le concert. Billy Eidi, rien de moins, accompagnait au piano - étonnamment fébrile dans le Schumann, d'ailleurs.)

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Inspiré du chant populaire itinérant, un très beau programme : notamment la vie tzigane de Schumann et les extraits à quatre voix de son Liederspiel Op.74 (n°5 "Es ist verraten" et n°9 "Ich bin geliebt") utilisés pour choeur, du Kodály d'inspiration populaire et l'opus 71 de Brahms (Der Gärtner sur Eichendorff, Gesang aus Fingal d'après Ossian...).

Suite de la notule.

Richard Wagner - Die Walküre (La Walkyrie) - Jordan / Krämer (Paris Bastille, 26 juin 2010)


Malgré toutes les tiédeurs plus ou moins complaisantes qu'on a pu lire ici ou là, on avait affaire à des soirées pleinement exceptionnelles.

Je commence tout de suite par la concession, à savoir la mise en scène du premier acte, assez statique et bien peu poétique, avec de surcroît le choix cohérent mais appauvrissant pour l'intensité dramatique de placer sur le plateau la troupe que commande Hunding. Cela dit, il est très difficile à réussir, et mis à part Stéphane Braunschweig, je ne crois pas avoir été déjà enthousiasmé par quelque mise en scène que ce soit ici. Cet acte semblait également assez mou (et pas très bien en place côté vents) pour l'orchestre.

Chose intéressante d'ailleurs, je n'ai pas adoré la direction de Phlippe Jordan, pas très précise, pas très expressive, marquée par quelques problèmes de gestion des blocs de l'orchestre (avec des départs de groupes trop audibles) - néanmoins amplement satisfaisant. Or, lors de la radiodiffusion de la représentation, j'ai au contraire été émerveillé par la justesse de l'expression, la puissance émotive et la finesse de l'agencement des timbres.
Il est probable que dans cette grande salle, ce travail trop fin (et très attentif à ne pas couvrir les chanteurs) se soit perdu, et qu'il y ait, à côté d'une très grande hauteur de vue, un petit manque de technique qui empêche le chef de faire pleinement communiquer ses intentions à la salle.
Bref, une grande leçon de prudence et d'humilité pour qui voudrait s'arroger la posture du juge. (Il existe aussi des choses similaires avec les voix, plus ou moins phonogéniques, et même des chanteurs qui peuvent sembler chanter faux selon l'endroit du théâtre, parce que les partiels harmoniques du son qui parviennent au spectateur diffèrent... )

J'ai beaucoup aimé la mise en scène de Günter Krämer, particulièrement les deux scènes de l'acte II. Dans la première, on se retrouve du côté opposé de la forteresse bâtie lors de Rheingold, et avec un miroir qui permet pleinement de profiler du dénivellement spectaculaire. Le renversement d'une partie du plateau par Wotan lors de sa fureur désespérée est particulièrement inattendu et grandiose : la tentation de destruction du monde qu'il évoque à l'acte III devient pleinement crédible grâce à ce bref saccage du Walhalla.
La seconde scène en a laissé perplexe plus d'un, à cause des pommes que Brünnhilde aligne en cercle pendant l'Annonce de la mort. J'y vois au contraire un réseau symbolique assez dense, et bien trouvé :

  • Elles sont la charge de Freia, déesse de la jeunesse, et leur consommation maintient les dieux jeunes : il s'agit donc d'une métaphore de la vie.
  • Au début de l'acte, les walkyries jouent avec les pommes, elles symbolisent à la fois leur jeunesse éternelle, la vie des héros qu'elles protègent puis ramènent au Walhall, et aussi les jeux de leur enfance.
  • Le retour de ces pommes alignées en cercle pour circonscrire Siegmund marque bien évidemment le terme de son destin, le souvenir des jeux des soeurs de Brünnhilde au moment où celle-ci va se séparer de son sort de walkyrie, la fin aussi de l'innocence de Brünnhilde.
  • ... et à plus forte raison que dans l'imaginaire collectif, la pomme est aussi le fruit de la tentation, lié, pour des raisons d'interprétation très discutables et néanmoins ancrées dans la culture populaire, à la consommation du péché charnel. Autrement dit, ce fruit-là laisse aussi planer une fragrance, ou plutôt une saveur amoureuse ; sans rien expliciter, il renforce les indices de l'admiration amoureuse de Brünnhilde pour Siegmund, l'insolent généreux.


Côté chant,

Suite de la notule.

samedi 10 juillet 2010

Supplément vidéo


La notule sur la première mondiale de Psyché d'Ambroise Thomas vient d'être mise à jour avec une petite vidéo pour suivre plus aisément l'action.

vendredi 9 juillet 2010

Première mondiale : Psyché d'Ambroise Thomas


En exclusivité sonore par le Lutin Chamber Ensemble.


Gravure de Raphaël Sanzio-Marc-Antoine (1939) pour le roman de La Fontaine, Les Amours de Psyché et Cupidon.
Une des premières illustrations de cette édition, mi-licencieuse mi-drolatique, assez dans le ton badin du texte lui-même.


Ambroise Thomas est trop souvent présenté comme un compositeur officiel, et en raison de sa fonction centrale de directeur du Conservatoire à Paris, il en effet était plus craint pour son influence que pour son talent. Il a néanmoins, hors Mignon qui a mal vieilli, laissé quelques oeuvres d'une qualité qui mérite considération, et en particulier Hamlet amplement vanté dans ces pages dès les premières années de CSS.



On a ajouté cette vidéo pour une perception plus visuelle de l'alternance des personnages, si jamais cela augmente votre confort...
Mais tout le texte et les commentaires demeurent ci-dessous.

Illustrations gracieusement fournies par Messieurs Luca Giordano, Francesco Albani, Edmé Bouchardon, Giovanni Da Bologna, Orazio Gentileschi, Claude Le Lorrain, Andrea Locatelli, Berthel Thorvaldsen, Jean-Baptiste Pigalle, Jean Siméon Chardin. Qu'ils soient chaleureusement remerciés pour leur coopération compréhensive et zélée.


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1. Un sujet

Vient à présent le tour de Psyché, mais ici, nous avons dû dépoussiérer la partition nous-mêmes, puisqu'il semble qu'il n'existe aucun fragment jamais enregistré - et je ne dispose pas non plus de référence de concerts radiodiffusés, même si, dans la masse, cela a tout à fait pu exister avec un air ou un extrait.
Bref, une première mondiale.

Il s'agit de la version révisée de 1878, avec ses récitatifs chantés. Car l'original de 1857 sur le même livret de Jules Barbier et Michel Carré était un opéra-comique, qui comportait des dialogues parlés entre les "numéros" chantés.

Loin de sombrer dans la sucrerie sentimentale qu'on aurait pu à bon droit craindre, Thomas traite le sujet avec le même type d'ironie compatissante sur les faiblesses de caractère de ses personnages et le même type de regard distancié sur les coutures visibles de sa propre histoire... qu'on pouvait rencontrer chez La Fontaine.

Et c'est cet esprit plaisant, avec sa Psyché coquette (une vraie Sémélé), son Eros un peu naïf et son Mercure bateleur, qui séduit tout d'abord. L'écriture musicale est en outre raffiné, avec pas mal de belles modulations que n'aurait pas reniées Meyerbeer (même si, à l'époque de Thomas, elles n'ont plus rien de subversif).


Psyché sur la barque de Charon.


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2. Un extrait

En voici l'enregistrement maison (vous pouvez aussi, pour plus de commodité, le télécharger au format mp3 ici). Le texte est égrené au fil de la notule.


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3. Scène : Prière et dialogue des soeurs

Ici, Psyché est en proie à des hommages d'erreur de la part du peuple - confusion vénusienne qu'elle semble fort goûter, en coquette patentée. C'est le choeur initial, joué au piano, et suivi d'un interlude d'abord lyrique en prolongeant l'harmonie du choeur, puis dansant tandis que l'assemblée se retire.

Les soeurs de Psyché restent, et récriminent.

LA PREMIERE
Eh bien, vous le voyez, on la traite en déesse !
C'est Vénus qui descend des cieux !

LA SECONDE
Sur ses pas la foule se presse Et d'elle seule attend l'indulgence des dieux !

LA PREMIERE
On la dit la plus belle !

LA SECONDE
.............................. On la croit sans égale !

LA PREMIERE
Patience ma soeur ; par un brusque retour Tant de gloire a parfois quelque suite fatale.

LA SECONDE
Ecoutez ! Des pêcheurs se dirigent vers nous. Sous cet ombrage épais fuyons les yeux jaloux !




La loquace tour de passage vers le royaume des morts où Psyché passe en quête du fard de Proserpine.


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4. Scène : Entrée d'Eros

Eros survient, accompagné par un choeur de tritons (!) à bouches fermées (au départ prévu a cappella, et après la petite tirade d'Eros complété par l'orchestre).

Au passage, il était déjà question de tritons chez La Fontaine (chez qui cependant toute intervention était proscrite) :

Psyché faisait alors des réflexions sur son aventure, ne sachant que conjecturer du dessein de son mari, ni à quelle mort se résoudre. A la fin, tirant de son coeur un profond soupir : Eh bien ! dit-elle, je finirai ma vie dans les eaux : veuillent seulement les Destins que ce supplice te soit agréable ! Aussitôt elle se précipita dans le fleuve [...]

Je ne vous assurerai pas si ce fleuve avait des Tritons et ne sais pas bien si c'est la coutume des fleuves que d'en avoir. Ce que je vous puis assurer c'est qu'aucun Triton n'approcha de notre héroïne. Les seules Naïades eurent cet honneur. Elles se pressaient si fort autour de la Belle que malaisément un Triton y eût trouvé place.

Et pour en revenir à Barbier & Carré :

EROS
O Neptune, dieu des mers !
(choeur à bouches fermées)
O Zéphyre, roi des airs !
(choeur à bouches fermées)
Sauvez des flots amers
Eros et sa fortune !
Et vous, ô tritons, sous l'onde endormis,
Guidez-nous vers ces bords amis !
(choeur à bouches fermées)

En danger sur sa barque, au son de ses invocations assez méditatives (et dans le grave pour le ténor), Eros est finalement conduit par le choeur de tritons sur la rive avec Mercure. Les voici qui descendent.


Psyché apaise Cerbère pour entrer aux Enfers, dont la mythologie fait finalement un véritable moulin (Orphée y part en balade, Pollux va y faire son marché, sans parler d'Hercule qui y passe son temps libre pour une raison ou une autre).


--

5. Scène : Récitatif des deux émissaires

Une figure tournoyante et bondissante annonce Mercure.

MERCURE
Remerciez Zéphyre, Zéphyre et son haleine :
Nous sommes arrivés ! Voici devant nos pas
Et le temple et le bois d'oliviers et là-bas
Les blancs palais de Mitylène !

EROS
C'est là que vit Psyché !

MERCURE
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'insolente Psyché Dont Vénus veut punir la beauté criminelle.

EROS
Est-ce donc à ses yeux un crime d'être belle !

MERCURE
Le trait dont son coeur est touché
Nous atteint avec elle ;
Et votre mère mère peut s'en fier à mon zèle !

Mis à part le ton rêveur, déjà tout prêt à s'éprendre, de cet Eros romantique, qui s'exprime en écho d'un motif alangui, le ton général est vif et badin. L'orchestre se pose par touches, malicieusement, presque parodique dans ses tournures.

Et la petite montée en ailes de papillon ouvre l'air de Mercure.


Psyché ou la conspiration du fard.


--

6. Air de caractère : Mercure, "Des dieux je suis le messager"

L'air débute par un exorde en récitatif qui contient déjà des éléments comiques, en particulier des montées grandiloquentes comiques sans doute prévues pour une voix de fausset (en décalage avec l'ambition de la présentation), et du figuralisme comme le trémolo pour le tonnerre.

MERCURE
Des dieux je suis le messager - je suis Mercure !
Souvent par une nuit obscure
Sur terre on m'a vu voyager
D'un pied léger !
Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il tonne,
Rien ne m'émeut, rien ne m'étonne !
Des dieux je suis le messager - Mercure !

Arrive le thème A, une danse rieuse et un peu galante, tantôt bondissante, tantôt narrative, tantôt ornementée.

Ami du mystère
Des dieux indiscrets,
Je sais maint secret
Qu'il n'ont pas su taire !
D'Apollon confus
J'ai volé les armes ;
Ma voix par ses charmes
Endormit Argus.

Réexposition du thème A sur un nouveau texte. Où l'on voit que les attributs et pouvoirs de Mercure sont attachés à sa qualité de facilitateur d'amourettes (Jupiter étant "l'époux de Junon", donc avant tout désigné par sa qualité de conjoint).

Pour parler aux belles
Et plaire en son nom
L'époux de Junon
M'a donné des ailes !
C'est lui, c'est lui qui m'a donné des ailes !

Thème B, encore plus badin, avec des gammes fantaisiste et de petits accords (qu'on devine aux bois) qui pépient de façon moqueuse : Mercure, avoir égrené ses exploits, déverse une petite cascade de jeux de mots plus ou moins heureux. La section se termine sur un orchestre largement à l'unisson, et homophonique (mêmes rythmes à tous les pupitres), qui double la déclamation emphatique de Mercure sur Amphytrion.

Comme un valet de comédie
Quelquefois même il m'expédie
Chez quelque mortelle aux doux yeux,
Maîtresse du maître des dieux !
A ses exploits je m'associe
Et pour servir sa passion
J'emprunte les traits de sosie
Comme lui ceux d'Amphytrion !

Retour du thème A sur le même texte :

Pour parler aux belles
Et plaire en son nom
L'époux de Junon
M'a donné des ailes !
C'est lui, c'est lui qui m'a donné des ailes !

Déformation du thème A :

Pour parler aux belles
Et plaire en son nom
L'époux volage de Junon
M'a donné des ailes !

Reprise de la thématique du récitatif initial, mélangée avec les figures de bois attachées au thème B :

Des dieux, je suis le messager,
Des dieux, des dieux je suis le messager.
Mercure ! -
Des dieux je suis le messager !

La partition ménage par ailleurs quantité de possibilités d'interpolation pour ajouter ou ôter des aigus.


... et tout est bien qui finit bien.


--

7. Un avis

Dans le genre de la scène et de l'air de caractère, cet opéra recèle de nombreux bijoux, dont cette section, dont le ton badin est assez réjouissant, et la démystification de la mythologie sans la violente déconstruction qu'on trouve chez Offenbach - Thomas le traite plutôt avec un tendresse sarcastique, en accentuant les défauts attribuables à tel ou tel dieu (ici, la duplicité et la forfanterie).

C'est un petit miracle de fraîcheur évidemment, mais aussi d'inspiration, avec une belle évidence thématique, de superbes climats très changeants, un grand sens de la danse hérité en droite de ligne de Rameau et Meyerbeer.

Bref, une oeuvre qu'on aimerait voir sur les scènes, d'autant qu'il y a de quoi faire briller, en plus d'un jeune baryton (on peut prendre une voix claire et souple, ça se trouve facilement et ça les changera des Almaviva), un ténor très facile à chanter (presque la tessiture d'un baryton, vraiment confortable), et une soprane de type lyrique léger un peu virtuose (elles existent et interprètent toujours les mêmes - belles - scies, ou des oeuvres faibles).

Parce qu'avec nos moyens actuels, on ne peut guère que donner des extraits sur CSS... C'est une invitation à la découverte, donc...

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Rappelons l'existence d'une catégorie entièrement consacrée à Ambroise Thomas, en particulier sous l'angle du parallèle (car un angle parallèle est un concept profondément intéressant) entre Shakespeare et Barbier & Carré dans Hamlet.

Par ailleurs, on a beaucoup parlé des drames de Jules Barbier et Michel Carré sur CSS, on pourra fouiner un peu aussi pour prolonger.

Enfin, il existe une catégorie qui regroupe les inédits ou raretés proposés par CSS avec les moyens de la maison.

Bonne écoute et bonne découverte à vous !

mardi 6 juillet 2010

Schönberg - Les Misérables (Châtelet 2010) : retour sur une évolution esthétique


Le point de vue de l'amateur d'opéra.

Hier, les lutins se sont rendus, comme prévu, à la dernière représentation de ce spectacle musical qui se situe un peu hors du périmètre habituel de ces pages. Il faut dire que la gent korrigane est très admirative de ce qui a été réussi dans cette pièce.


1. Un sujet

Le choix est celui de vignettes qui parcourent amplement la fresque de Hugo, en en conservant les épisodes partagés dans la culture commune française. Plutôt que de choisir un fil narratif qui évolue de façon fluide, on privilégie les épisodes en forme de saynètes parfois très brèves, afin de reproduire le plus vaste nombre possible d'épisodes de ce qui est devenu une forme de mythe, avec sa puissance symbolique, son caractère fédérateur et la plasticité même de son intrigue. Il ne manque guère que la défiance initiale de Valjean à l'encontre de Pontmercy, tout y est.

On perd certes la langue de Hugo, et on entend quelques sentences un peu catégoriques qui sont très loin de l'art du balancier pratiqué par le poète dans ses raisonnements, qu'il résout par une forme de transcendance qui rend la voie évidente, et non pas par un réel choix. Néanmoins, contrairement à l'original français d'Alain Boublil et Jean-Mars Natel (à la fois précieux et d'une niaiserie assez ridicule), la version anglaise (Herbert Kretzmer) dispose d'une certaine élégance - nous ne nous nous serions pas déplacé, assurément, pour la version francophone.


2. Une adaptation digne de considération
2.1. Structure générale

Il y a quelque chose d'émouvant à voir cette foule assez populaire (à côté de la troupe joyeuse et farfadesque, une famille qui mettait les pieds pour la première fois au Châtelet) communier en présence, sinon de l'oeuvre elle-même, de sa marque sur l'imaginaire collectif.

C'est en effet un objet assez étonnant, qui transpose de façon tout à fait évidente les codes de l'opéra dans un format plus populaire :

  • voix amplifiée ;
  • orchestre d'une dizaine de musiciens traité en temps réel par un ingénieur du son, et complété par un synthétiseur (qui était quasiment seul à l'origine, mais l'orchestre a été ajouté lors de la refonte de l'oeuvre et au fil des succès) ;
  • beaucoup de tubes ;
  • pas de transitions entre les scènes, des "blocs" très identifiables.


Mais l'on conserve les récitatifs : comme dans la tragédie lyrique, ce peut être une forme de basse continue du synthétiseur, ou bien l'orchestre entier ou en partie qui soutiennent la déclamation, selon l'impact dramatique que l'on veut donner. Restent aussi l'ambition théâtrale, une nombre assez considérable de clins d'oeil à l'Opéra ("Don Juan", "mieux qu'un opéra", "nous battons-nous pour une nuit à l'Opéra ?", avec au besoin une ligne lyrique au hautbois qui imite la ritournelle introductive d'un grand air), et la construction complexe, qui échappe à l'alternance simple air / récitatif.

--

2.2. Un drame postwagnérien ?

Car c'est assurément une oeuvre ambitieuse : non seulement il n'existe aucun passage parlé sans accompagnement, mais surtout, l'ensemble du discours est tenu par la présence de véritables leitmotive, et de leitmotive originaux, d'une façon qu'aucun farfadet n'a jusqu'ici ouïe dans aucun opéra, et qui n'a rien de pataude.
Ces motifs récurrents ne sont pas attachés, comme chez Wagner, qui en est l'un des plus virtuoses utilisateurs, à un objet ou à un sentiment d'un personnage, ni comme chez Strauss qui l'attache à un aspect de la psychologie d'un personnage, voire à un personnage, et encore moins comme Debussy ou Schreker, qui sont beaucoup plus nettement liés à un personnage précis (et donc moins riches de sens, en dehors de la structuration musicale de l'oeuvre).

Claude-Michel Schönberg a choisi des motifs (et en a développé la récurrence lors de la révision de la partition) qui ont un lien avec des concepts, mais des concepts libres, qui peuvent voguer d'un personnage à l'autre, et innervent ainsi d'une façon assez saisissante le drame. Ce qui est d'autant plus impressionnant que la musique en elle-même est assez peu subtile : toujours les mêmes rythmes de type croche-croche-noire (la seconde croche étant sur le temps), et des harmoniques habiles, avec des progressions agréablement tendues (notamment des frottements délicats en faisant bouger la basse), mais assez peu riches - bien qu'assez au-dessus de la moyenne du genre.

On en a relevé quelques uns :

  • Les damnés de la terre : ce motif pesant apparaît à chaque fois qu'une masse populaire, harassée par la pauvreté, le travail, l'injustice de la société, apparaît. Bagnards, filles des rues, mendiants, peuple de Paris...
  • La justice : ce motif consiste en une résolution harmonique implacable. Il est le plus souvent attaché à Javert (Honest work, just reward / That's the way to please the Lord), à cause de sa rectitude dans l'application de son devoir. Mais il est intéressant de remarquer, et cela, nul autre opéra qu'on ait de notre côté lu, entendu ou vu ne l'a essayé, que ce motif apparaît pour la première fois dans la bouche du personnage très positif de Monseigneur Bienvenu. Ce motif qui représente le respect des normes n'est donc ni positif ni négatif, il indique simplement une sorte de légitimité formelle du discours. Et cela rejoint admirablement le livret qui insiste sur le caractère foncièrement honnête de Javert, que lui reconnaît Valjean en lui laissant la vie sauve sans conditions.
  • L'identité : ce motif est plus spécifiquement attaché à Valjean, et resurgit à chaque questionnement sur son nom, sur son destin, sous la forme d'un flux de parole haché, comme hébété, avec une thématique assez banale.
  • La bonté : un motif tournoyant qu'on entend dès que Valjean commet un acte altruiste.
  • Les rêves passés : ce motif est d'abord attaché à Fantine, et innerve son fameux air I dreamed a dream in time gone by, mais on le trouve également vis-à-vis de Valjean, et pas seulement lorsqu'il évoque la mère de Cosette ; à chaque allusion voilée au passé, il est susceptible de resurgir.
  • Révolution : Une sorte de slogan collectif (Rouge et noir) qu'on retrouve évidemment lors de la bataille des barricades, avec une apothéose cuivrée qui figure le panache plus que la victoire, évidemment.
  • Le monde nouveau : Ce motif est d'abord attaché à la Révolution (Do you hear the people sing, singing the song of angry men ?), mais réapparaît lors du grand final de l'acte II, pour annoncer un monde nouveau qui est celui d'un idéal plus vaste, pour ne pas dire d'un au-delà. En somme, c'est assez la façon dont la Rédemption par l'amour dans le Ring de Wagner passe d'un acte isolé de Brünnhilde vers Sieglinde à la salvation de l'humanité tout entière dans son seul retour, à la toute fin du cycle.
  • Les étoiles : Plus anecdotique, ce motif aigu et diaphane débute le premier air de Javert qui leur est consacré, et se trouve cité sous forme d'allusion musicale dans le second, sans que le texte y fasse référence.


Et ainsi, alors que les va et vient des personnages s'y prêtaient très bien, Schönberg évite la facilité de thèmes liés de trop près aux personnages. Valjean en a bien un ou deux qui lui sont très fortement liés, mais les autres personnages ne sont pas caractérisés de cette façon, ce sont plutôt les concepts mis en jeu par le texte qui miroitent à travers ce tourbillon de motifs.

Et lorsque plusieurs se superposent comme dans l'affrontement de Javert et Valjean au chevet de Fantine, c'est assez impressionnant, et très rare dans le domaine de la "musique populaire".

[L'autre aspect wagnérien réside dans la qualité limitée de l'humour : souvent du comique de caractère bien lourd et guère drôle comme pour Beckmesser, Mime ou alors des exagérations à peine plus amusantes comme la fameuse Chevauchée des Walkyries - qui est réellement conçue par Wagner comme quelque chose de souriant.]

--

2.3. Quel statut ?

Par ailleurs, on y trouvera d'assez beaux climats, qui ont fait avec quelque raison le succès des airs isolés passés à la célébrité.
Pas de longueurs, une collection de situations par ailleurs très efficacement résumées, et une musique qui touche juste.

Le type même d'oeuvre qui ne peut que confondre ceux qui veulent cloisonner les genres dans une forme de morale (l'opéra c'est ennuyeux, la musique populaire c'est pauvre, etc.).

Cet objet constitue en réalité une oeuvre extrêmement cohérente, très dense (ses épisodes très courts ne sont pas des facilités, ils ont véritablement du caractère), qui comporte même, malgré ses personnages taillés à la serpe et son langage musical relativement rudimentaire, l'un des usages les plus intéressants des leitmotive que les lutins aient entendu.

Ainsi, au delà du panache, des trépidations et des climats, même en la considérant avec les critères de la musique savante, l'oeuvre est aussi intéressante.


Ruines d'un aqueduc.


3. En salle

Plusieurs choses sont frappantes pour l'amateur d'opéra dans cette salle. Tout d'abord le public, pas habillé (certes, on est un dimanche et les gens ne sortent pas du travail, mais d'habitude, au concert, même un dimanche...), une moyenne d'âge beaucoup plus basse (beaucoup de trentenaires et quadragenaires, et très peu au-dessus), et très décontracté, d'un abord très bon enfant, discutant volontiers entre voisins, nullement crispé par l'événement (qui est pourtant considérable si l'on considère la durée à attendre pour revoir cette oeuvre-culte par rapport à un Don Giovanni).

Lorsque la musique débute, une clameur s'étend pour exprimer la joie d'être là à entre cette musique. La musique n'étant pas essentiellement à ce moment-là, c'est une manifestation assez sympathique (qu'on retrouve, plus discrètement, pour saluer certains bis célèbres dans les récitals classiques, en particulier d'opéra). Les airs sont applaudis, parfois les actions (alors qu'il ne se passe pas grand'chose musicalement, le retrait de Cosette de l'auberge des Thénardier est ovationnée !), mais pas les décors si le moindre aigu, la moindre action.
On a d'ailleurs été très agréablement surpris qu'à la fin des airs, le public attende, sinon la fin de la résonance, la fin de la musique pour applaudir, ce qui n'est pas toujours le cas à l'Opéra (c'est même plutôt l'exception). Même les discussions pendant le spectacle ont été finalement très rares, à peine plus fréquentes que pour un concert classique.

Il a simplement marqué son enthousiasme à certaines fin de parties, en couvrant de fort beaux interludes. [A ce propos, l'orchestration du final du II est beaucoup plus impressionnante en salle, vraiment spectaculaire, et pas vraiment de mauvais goût, en réalité.]

La sortie des spectateurs est aussi accompagnée par la reprise d'un pot-pourri des thèmes du concert, on est au cinéma plus qu'au théâtre.

L'amplification n'était pas désagréable, le volume tout à fait raisonnable. En revanche, faute de gestes suffisants des interprètes (nous étions loin et ne pouvions entendre le point de départ de la voix contrairement à Magdalena, qui comportait de toute façon uniquement des chanteurs lyriques, plus modérément sonorisés), la localisation du chanteur était difficile dans les scènes de groupe puisque le son provenait des baffles et non du personnage.
On a tout de même noté l'égalisation des dynamiques par le potentiomètre : lorsqu'un chanteur passe dans le grave (par exemple le couplet modulant au centre du grand air de Fantine), alors qu'on entend que la voix se tasse, l'amplitude sonore demeure strictement identique. De plus, les tessitures étant écrites assez basses par rapport à une voix projetée d'opéra (aussi parce qu'il faut que chaque membre du public puisse chanter cela aisément en rentrant chez lui), la voix serait véritablement très peu audible sans amplification. Certains interprètes qui chantent à la fois opéra et comédie musicale s'en plaignent quelquefois : leurs nuances dynamiques changent la couleur de la voix, sa texture, mais absolument pas la dynamique et le volume entendus par le public.

Le nombre de décors est quant à lui proprement hallucinant, avec quantité de changements à vue... C'est une petite fortune que cela doit représenter en conception, construction et transport. D'où le nombre assez important de représentations, sans doute, et surtout le nombre d'années de tournée d'une production... mais la salle n'était pas pleine du tout (dernier étage vide).

En somme, un public très agréable et attentif, et un cadre d'écoute assez confortable.



4. Une représentation
4.1. Mise en scène

Visuellement, une jolie mise en scène littérale assez animée, plutôt spectaculaire. On relève surtout l'excellente idée de placer en fond des projections inspirées de dessins de Hugo ou d'encres réalisées dans son style. Dans les égoûts de Paris, il y a en plus un défilement, sous trois angles différent, qui donne réellement l'impression de cheminer dans une étrange cathédrale sorti de l'imaginaire hugolien. Un épisode visuellement assez magistral, et tout à fait poétique en plus.

Il faut cependant reconnaître que la nouveauté de la nouvelle production de Laurence Connor & James Powell n'est pas conceptuellement vertigineuse par rapport à l'ancienne de Trevor Nunn & John Caird... On reste dans un spectacle littéral et agréable à l'oeil. Mais on a aussi le droit à quelques trouvailles, comme l'entrée et la présence des amis tombés au combat lors de la déploration Empty chairs and empty tables.

--

4.2. Orchestre

Suite de la notule.

vendredi 2 juillet 2010

Pizarro le vampire


Simplement pour signaler une mise à jour dans la notule consacrée à la réécriture de Polidori par Marschner : à l'acte II, outre le pastiche évident de Don Giovanni au premier tableau, on trouve un clin d'oeil, plus discret, au Fidelio de Beethoven dans le second tableau.

L'occasion aussi de rappeler le panorama dressé autour de la question du vampire par CSS : Polidori, Wohlbrück, Marschner, Stocker et autres êtres démoniaques par Lewis et Artaud... tout cela se trouve classé dans cette notule.

Mise à jour


Petite mise à jour de cette notule à succès sur des erreurs orthographiques usuelles parfois commises par les plumes les plus raffinées.

David Le Marrec

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