Carnets sur sol

   Écoutes (et nouveautés) | INDEX (très partiel) | Agenda concerts & comptes-rendus | Playlists & Podcasts | Instantanés (Diaire sur sol)


La langue originale : ce qui se passe réellement dans les théâtres


Le sujet a mainte fois été abordé sur CSS, aussi bien sur le plan de l'histoire et du principe que de la technique vocale.

En écoutant ces jours-ci Salome en italien (Nino Sanzogno à la tête de la RAI de Turin en 1952, avec Lily Djanel en Salomé, Tito Gobbi en Jochanaan et Angelo Mercuriali, le Narraboth le plus lyrique de toute la discographie), je suis de plus en plus frappé du caractère discutable du respect de la langue d'origine comme principe absolu.
En particulier l'argument du respect de l'écriture prosodique du compositeur — pourtant un sujet majeur en ce qui me concerne.


Le début, jusqu'à l'entrée de Salomé, de cette bande turinoise. Certains mots ne sont pas au bon endroit, mais globalement, cela fonctionne… et les chanteurs sont à leur aise, et peuvent exprimer. Sans mentionner le placement vocal.
1. Pourquoi l'on chante en langue originale

Bien sûr, l'idéal est de comprendre la langue chantée, et d'entendre l'opéra dans la prosodie voulue par le compositeur. Néanmoins, lorsque la langue n'est pas celle du public, et a fortiori s'il s'agit de langues lointaines ou d'opéras à gros orchestre où les chanteurs ne peuvent pas être aussi bien compris (car partiellement couverts, hurlants ou structurellement contraints de sacrifier la différenciation des voyelles pour passer l'orchestre)… quel est l'intérêt de s'acharner à chanter dans la langue d'origine ?

Je conçois bien la réserve, et c'est aussi la mienne : on s'autorise alors des bidouillages, les mots ne tombent pas forcément au bon endroit, l'arrangeur va être obligé ou de détourner le sens (comme on faisait autrefois dans le lied, inventant de nouveaux poèmes vaguement en rapport avec la thématique des originaux) ou de modifier quelques rythmes musicaux… et pourquoi pas en profiter pour faire quelques coupures ? Et une réorchestration ? Et une « correction » des harmonies trop hardies ? On voit bien où cela peut mener, et la tradition de la traduction a souvent été celle d'une adaptation sans vergogne (tel le Freischütz devenant Robin des Bois !).

2. Ce qui arrive réellement

Néanmoins, lorsqu'on voit aujourd'hui la réalité de ce que produit le principe de la langue originale sur les scènes, on est mené à s'interroger : on voit ainsi Kékszakállú de Bartók chanté en hongrois (volontiers massacré), par des français, devant un public français, et avec des surtitres au-dessus de la scène (pour un conte !). Vu le nombre de personnes dans le public qui comprennent suffisamment le hongrois, a fortiori chanté par des voix lyriques qui nivellent les voyelles, happent les consonnes, brament derrière un large orchestre… et ceux qui le comprennent doivent être plutôt horrifiés.

Effectivement, l'adaptation en français poserait des problèmes de prosodie (le hongrois, sans énormes variations d'intensité accentue toutes ses premières syllabes : l'exact rebours du français)… mais plutôt que du hongrois que personne ne comprend et de toute façon mal chanté ? Vous me direz, vu l'articulation des chanteurs d'aujourd'hui (et la taille des salles), on est obligé de surtitrer même les spectacles en français, alors, à tout prendre… Mais non, parce qu'en français, on peut remettre les mots au bon endroit : même si ce n'est pas le projet originel du compositeur, au moins l'émotion de la musique peut coïncider avec des mots précis, au lieu de la mélasse des surtitres qui ne pourra jamais indiquer ce qui se passe sur chaque syllabe… En s'éloignant de la lettre, on atteint probablement de plus près l'effet recherché par le compositeur — de toute façon, l'immense majorité des œuvres du répertoire ont été composées à une époque où les compositeurs savaient très bien qu'ils seraient traduits à l'exportation.
Évidemment, ça n'a pas grand sens pour les opere serie dont les intrigues toutes identiques (on remplace César par Artaxerxès ou Régulus, et le tour est joué) servent de prétexte à de virtuoses guirlandes de voyelles — autant ne pas faire des coloratures sur des [in] ou des [eu], je l'admets. D'ailleurs toute l'Europe les écoutait en italien (et tous ne le parlaient pas).

En réalité, la question du respect prosodique devient secondaire lorsque la représentation dans la langue originale ne laisse pas clairement entendre au public les mots utilisés préciséments à tel ou tel endroit. On peut supposer qu'il n'est pas compliqué pour un public francophone, par exemple, de se familiariser avec un texte italien, voire anglais, mais pour du russe ou du tchèque, il y a sans doute matière à discussion ! Il n'y a plus grande hérésie à déplacer quelques mots, si le public n'y comprenait de toute façon que les résumés du surtitrage !

3. La solution à adopter

Attention, je ne dis surtout pas qu'il faille généraliser la chose, et bannir le joli arc-en-ciel linguistique qui fait aussi la saveur de l'opéra — je serais d'autant plus mal placé que j'ai toujours été frustré, en province (et me rattrape à Paris depuis), de ne pas pouvoir assister régulièrement à des pièces dans des langues étrangères (même celles que je ne maîtrise pas du tout). Ce dépaysement, ces saveurs nouvelles font aussi partie du voyage.

Par ailleurs, il existe des raisons structurelles qui rendent tel ou tel transfert possible ou difficile. Le français et l'allemand sont facilement interchangeables (accentuation comparable) ; l'italien sonne très bien en français (proximité accentuelle, même si moins prononcée), mais le français est mal servi en italien (trois fois moins de voyelles, c'est comme si les timbres étaient lessivés) ; évidemment, l'opéra russe traduit en français ou en italien perd énormément de sa saveur, qui tient aussi dans le moelleux de la langue, comme aplati par l'émission antérieure des idiomes latins.

Et, surtout, la qualité de la traduction est déterminante. On peut s'ébaubir de la poésie proprement française de certaines traductions, mais il m'arrive aussi régulièrement de fulminer devant des infidélités ou des platitudes qui sont tellement peu dignes de l'original. C'est donc prendre un risque.

Par conséquent, il ne s'agit pas d'imposer, dans un nouveau retour de manivelle, la traduction vernaculaire comme le modèle exclusif, ni même dominant.

Il faudrait accepter que l'offre soit double, et que l'on puisse de temps à autre (par exemple dans les petites maisons, où l'aspect érudit de la langue originale et le statut du répertoire déjà appris par les stars sont peut-être moins prégnants) oser programmer des versions traduites. Plutôt que de prendre un récitant pour les spectacles pour enfant qui explique la Flûte en allemand, on pourrait peut-être faire tout de bon une traduction — ou pas, car la langue peut aiguiser la curiosité, et même mettre à distance la bizarrerie du chant lyrique (combien de néophytes sont en particuliers rebutés par le chant en français, qui leur paraît, et non sans raison, tellement artificieux). Rien n'est absolu là-dedans.

--

En ce monde où CSS ne pourra restreindre la guerre, la faim, la maladie et la mort, soyez les bienvenus pour une nouvelle année de glossolalies (plus ou moins) articulées. Installez-vous confortablement, sentez-vous chez vous : là où il est question de glottophilie, ne redoutons personne.


--

Autres notules

Index classé (partiel) de Carnets sur sol.

--

Trackbacks

Aucun rétrolien.

Pour proposer un rétrolien sur ce billet : http://operacritiques.free.fr/css/tb.php?id=2599

Commentaires

1. Le jeudi 1 janvier 2015 à , par Dav'

Ta question est passionnante. Crois-tu que soit réalisable une messe en si respectant la prosodie latine ? Je l'écoute assez souvent en y pensant, en chantant intérieurement, en essayant de retrouver la prosodie latine exacte en français (c'est possible sur l'esurientes du Magnificat), je m'y suis adonné principalement sur le Dona Nobis Pacem. C'est surtout le plus simple. Je ne l'ai pas examiné de près, avec la partition (je viens de le faire un tout petit peu) et de toute façon la polyphonie rend cela pour moi très compliqué, mais je crois que c'est très possible. Et à défaut de réussir la messe entière (mais franchement à force de travail, rien n'est je crois impossible, surtout du latin au français, va savoir pourquoi), le Dona nobis pacem me satisferait assez, pour le symbole pacifiste. Beaucoup de voyelles dedans, des « donne-nous la paix » par dizaines et « pacifiez-nous » aux mesures 27 et 28 qui passerait parfaitement, et voilà. Je pense surtout qu'il ne faut pas avoir peur du français pour sa clarté, sa transparence presque trop cassante car cristalline.

2. Le jeudi 1 janvier 2015 à , par Faust

Je vois que, dans vos premiers écrits de l'année 2015, vous avez décidé de jeter le trouble ...

Votre Salome en italien ne renvoie-t-elle pas également aux qualités propres des interprètes ?

Il me semble aussi que l'on a abandonné depuis longtemps, au moins à Paris, le principe d'un opéra avec une troupe de chanteurs nationaux. Mais, je suis bien conscient que c'est un argument lié à l'organisation des grandes maisons d'opéra alors que vous vous placez - comme dans l'une des notules précédentes sur les choeurs professionnels ou amateurs ... - sur le terrain de la qualité artistique.

Tous mes voeux à CSS et à son auteur pour 2015 !

3. Le jeudi 1 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec

Bonjour à tous les deux, avec les vœux chaleureux de la maison sur sol !


Dav' :
Ta question est passionnante. Crois-tu que soit réalisable une messe en si respectant la prosodie latine ? Je l'écoute assez souvent en y pensant, en chantant intérieurement, en essayant de retrouver la prosodie latine exacte en français (c'est possible sur l'esurientes du Magnificat), je m'y suis adonné principalement sur le Dona Nobis Pacem. C'est surtout le plus simple. Je ne l'ai pas examiné de près, avec la partition (je viens de le faire un tout petit peu) et de toute façon la polyphonie rend cela pour moi très compliqué, mais je crois que c'est très possible. Et à défaut de réussir la messe entière (mais franchement à force de travail, rien n'est je crois impossible, surtout du latin au français, va savoir pourquoi), le Dona nobis pacem me satisferait assez, pour le symbole pacifiste. Beaucoup de voyelles dedans, des « donne-nous la paix » par dizaines et « pacifiez-nous » aux mesures 27 et 28 qui passerait parfaitement, et voilà. Je pense surtout qu'il ne faut pas avoir peur du français pour sa clarté, sa transparence presque trop cassante car cristalline.

C'est possible, mais il y aurait trois difficultés importantes :

¶ le latin n'inclut pas de prépositions, donc il y a beaucoup plus d'appuis musicaux sur les mots essentiels, alors qu'en français, on va être obligé d'accentuer des « de » et des « à », surtout dans un texte aussi peu bavard ;

¶ c'est une œuvre très riche en coloratures, et il y a beaucoup de voyelles françaises qui ne sont pas considérées très gracieuses pour faire de la vocalisation : [eu] ouvert et fermé, [o] ouvert, les nasales… Ça accentuerait les difficulté ;

¶ on ne peut pas prendre de libertés avec un texte sacré en ajoutant un peu de sens ou en en retirant, en l'altérant… c'est quand même sensiblement plus délicat (même pour un concert profane) que sur un livret d'opéra.

Mais oui, ça peut se faire. Même si la messe en français n'a pas forcément été la chose la plus heureuse (esthétiquement parlant) qui soit arrivée au catholicisme.

--

Faust :
Votre Salome en italien ne renvoie-t-elle pas également aux qualités propres des interprètes ?

Bien sûr… Mais si on avait imposé l'allemand à Tito Gobbi, le timbre aurait peut-être été altéré… et la prosodie pas meilleure qu'en l'adaptant pour l'italien ! C'est bien là que ce situe mon interrogation : si c'est pour faire chanter une langue que personne ne comprend par des chanteurs qui la dénaturent (ce qui est un peu la norme actuellement…), je ne vois plus trop l'intérêt de refuser l'adaptation par principe.

De même, à l'inverse, hein : si c'est pour faire chanter une version française par des chanteurs (français ou étranger) incapables d'articuler, ça n'a aucun intérêt.


Il me semble aussi que l'on a abandonné depuis longtemps, au moins à Paris, le principe d'un opéra avec une troupe de chanteurs nationaux.

Oui, depuis Liebermann. Mais je ne plaide pas forcément pour la troupe (qui a ses avantages et ses inconvénients). Il en existe cela dit une dans un certain nombre de maisons (ONP, Opéra-Comique, Opéra du Rhin, Opéra de Lyon…) avec les Ateliers de jeunes chanteurs… mais ils viennent de partout, et concernant celui de Paris, le style est de plus très, très international (et pas au bon sens du terme : voix opaques, mal articulées, sans grande personnalité de timbre).
Là où ça fait sens, c'est lorsqu'on les recrute selon un profil esthétique cohérent (c'est le cas cela dit à l'ONP : des voix peu gracieuses, mais capables d'être ouïes à Bastille ou correspondant au profil de recrutement dans le chœur local), comme à l'Opéra-Comique, où cela sert vraiment un projet de formation… et donne à l'arrivée de très bons spectacles.


Mais, je suis bien conscient que c'est un argument lié à l'organisation des grandes maisons d'opéra alors que vous vous placez - comme dans l'une des notules précédentes sur les choeurs professionnels ou amateurs ... - sur le terrain de la qualité artistique.

Oui, la question des troupes est aussi structurelle (et bien sûr économique), elle nous dépasse largement. Là, je parle plus de certains interdits qu'on se fixe alors qu'il n'y a pas du tout d'impossibilité pratique. Ça coûte le prix de la traduction, certes…
Non, en fait je crois que ça casse les pieds aux chanteurs, qui ont étudié les grands opéras dans leur langue originale, et qui seraient obligés d'en changer en changeant de pays. Mais que les chanteurs se limitent aux langues qu'ils chantent bien ne me paraît pas un choix si absurde… [/eu]

4. Le vendredi 2 janvier 2015 à , par Dav'

Meilleurs vœux de ma part en retour !

DavidLeMarrec :
le latin n'inclut pas de prépositions, donc il y a beaucoup plus d'appuis musicaux sur les mots essentiels, alors qu'en français, on va être obligé d'accentuer des « de » et des « à », surtout dans un texte aussi peu bavard ;



Le premier point que tu soulèves est techniquement très important et mériterait beaucoup de minutie dans la confection d'une transcription prosodique du latin => vers le français.

c'est une œuvre très riche en coloratures, et il y a beaucoup de voyelles françaises qui ne sont pas considérées très gracieuses pour faire de la vocalisation : [eu] ouvert et fermé, [o] ouvert, les nasales… Ça accentuerait les difficulté [/eu]



Ce deuxième point, essentiellement glottophile, me semble nettement plus relatif et je te renvoie à ma dernière phrase : s'autoriser, en français, une forme de « décomplexion vocale » et glottophile. Je ne suis pas certain de saisir tout ce que tu entends par coloratures, je n'ai pas encore assez d'expériences opératiques françaises, mais je remarque ta prudence, par l'emploi du conditionnel qui « accentuerait la difficulté » et ce qui est « considéré »... comme pas assez... Eh quoi ? Pour en rester focalisé sur le Dona nobis pacem, je pense que des voix altières, nobles au sens où il s'entend qu'on pointe le dégoût que peut inspirer la « noblesse » de voix travaillées, artificieuses et si riches, presque « snob », siéraient au français, sur les [ɑ] par exemple et notamment, très « roucoulants », en signe d'élévation du sujet religieux — cela qui s'entend en latin peut très bien se permettre en français. Mais je n'envisage qu'à peine l'ampleur de la tâche sur l'ensemble de l'œuvre, que tu prends bien-sûr en considération sérieusement dans ta réponse.

on ne peut pas prendre de libertés avec un texte sacré en ajoutant un peu de sens ou en en retirant, en l'altérant… c'est quand même sensiblement plus délicat (même pour un concert profane) que sur un livret d'opéra.



Ton troisième point, très scrupuleux, exige de l'étude philologique et artistique, un compromis qui n'oublierait pas le pathétique du sacré au profit d'une musicalité débridée. Mais on est bien d'accord d'emblée qu'il s'agissait de respect de la prosodie, rien d'autre d'extra-musical.


J'ignore tout enfin, je fais semblant ou pas d'ignorer l'ordinaire de la messe auquel tu te réfères peut-être ; je manque des repères canoniques et officiels les plus élémentaires. Je ne sais même pas si ça existe et ma traduction serait, pour le moins, composite.

5. Le vendredi 2 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec

Ce deuxième point, essentiellement glottophile, me semble nettement plus relatif et je te renvoie à ma dernière phrase : s'autoriser, en français, une forme de « décomplexion vocale » et glottophile. Je ne suis pas certain de saisir tout ce que tu entends par coloratures, je n'ai pas encore assez d'expériences opératiques françaises, mais je remarque ta prudence, par l'emploi du conditionnel qui « accentuerait la difficulté » et ce qui est « considéré »... comme pas assez... Eh quoi ? Pour en rester focalisé sur le Dona nobis pacem, je pense que des voix altières, nobles au sens où il s'entend qu'on pointe le dégoût que peut inspirer la « noblesse » de voix travaillées, artificieuses et si riches, presque « snob », siéraient au français, sur les [ɑ] par exemple et notamment, très « roucoulants », en signe d'élévation du sujet religieux — cela qui s'entend en latin peut très bien se permettre en français. Mais je n'envisage qu'à peine l'ampleur de la tâche sur l'ensemble de l'œuvre, que tu prends bien-sûr en considération sérieusement dans ta réponse.

Les coloratures, ce sont les lignes virtuoses écrites sur une seule voyelle (ce qu'on appelle couramment vocalises – pour les chanteurs ça désigne plutôt des exercices). Il y en a beaucoup dans la messe en si, et certaines voyelles françaises s'y prêtent peu. Ça ajoute une difficulté, parce que ça empêche certains mots et certaines configuration (il ne faut pas que les syllabes tombent à l'endroit vocalisé).

Il faudra sans doute tricher en modifiant les rythmes, de toute façon (c'est-à-dire dédoubler des valeurs par exemple, une croche devenant deux doubles croches pour la même durée).


Ton troisième point, très scrupuleux, exige de l'étude philologique et artistique, un compromis qui n'oublierait pas le pathétique du sacré au profit d'une musicalité débridée. Mais on est bien d'accord d'emblée qu'il s'agissait de respect de la prosodie, rien d'autre d'extra-musical.

Certes, mais même en concert devant un public d'athée, on ne peut pas tout à coup ajouter des adjectifs étrangers à la doctrine, des précisions absentes des textes… À l'opéra et même dans le lied, c'est ce qu'on fait couramment, on peut retrancher un petit détail, en inventer un autre, ça remplit les espaces manquants… Là, c'est plus délicat.

Après, dans l'absolu, on fait ce qu'on veut, on peut même remplacer le texte par des recettes de cuisine… mais une véritable traduction fidèle d'un texte liturgique aussi concis, dans une langue peu propice aux vocalisations, ce serait une belle gageure. Je ne dis pas que ce serait impossible, non, non ! Mais très exigeant, pour sûr — plus qu'un peu d'opéra ou de lied.

L'avantage étant que du fait de sa concision, de sa célébrité, de son abstraction aussi, il est probablement moins indispensable de faire cette traduction-là que celle d'une mélodie tchèque ou d'un opéra en finnois. (Ouf !)

6. Le vendredi 2 janvier 2015 à , par Dav'

Quelques années d'écoute de l'opéra et des mélodies françaises me hisseront au niveau du débat (je suis trop souvent étranger aux arts de mon pays) mais a priori je doute un peu que le français se prête mal aux vocalises, coloratures, aux mélismes si j'ai donc compris. Après tout, les chanteurs francophones ne chanteront pas ce qui ne leur plaît pas, comme il ne leur plairait pas. Mais il y a lieu d'interroger le lien des locuteurs/musiciens à leur langue, non pas pour faire aboutir à des vocalises, mais pour avancer et formuler des idées neuves, étrangères dans les cas qui nous intéressent ici. Neuves, ça ne veut pas dire détourner un texte liturgique. Il n'est pas question, non plus, de matières extra-littérales. Faire comprendre de l'inconnu comme ce qui est du déjà connu, c'est une notion du « commun » qui revient au langage, à sa traduction et à son articulation. Bon, à devoir choisir j'opterais pour la littérature au lieu de la musique, parce que j'y suis mieux engagé. Mais quand on cumule des qualités et des connaissances comme celles-là, on doit impérativement transcrire du tchèque, du finnois et quelques messes de Haydn.

7. Le samedi 3 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec

Les mélismes sont des figures plus courtes, aucune restriction là-dessus.

Ce serait effectivement œuvre de salubrité publique… mais comme on ne donne guère ces œuvres (si, le tchèque est à la mode en ce moment, entre la fortune de Janáček et le sort particulier de Rusalka), et jamais en traduction… qui se donnera la peine ?

8. Le samedi 3 janvier 2015 à , par Diablotin :: site

Il me souvient que tu t'étais cependant montré fort critique, en d'autres lieux, quant au Ring en anglais de Goodall ;-) qui n'est pas si déshonorant que cela et bénéficie, en outre, d'une très bonne traduction assez proche de surcroît de la prosodie initiale.
Autant je suis pour une traduction des textes chantés pour un public d'enfants, autant je pense que d'une façon générale, le public qui se rend à l'opéra a généralement un connaissance a minima de l'argument et du texte chanté, non ? Et que donc, fort de ces préalables, il n'a pas besoin d'un texte traduit. C'est encore autre chose pour les chanteurs : parfois, on aimerait en effet qu'ils comprennent ce qu'ils chantent, ou au moins le prononcent mieux :-) !

9. Le samedi 3 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec

Ah non, il y a erreur : c'est une bonne version, vraiment bien chantée… Mon reproche portait sur l'articulation des chanteurs qui, ajoutée à la prise de son lointaine et réverbérée, rendait l'entreprise à peu près sans objet : on ne comprend absolument pas ce que disent les chanteurs, et on ne peut même pas se raccrocher au texte allemand habituel… Bref, sauf à avoir le livret sur les genoux… et quel est l'intérêt de traduire, dans ce cas ?
Ses Maîtres en anglais sur le vif, nettement mieux articulés, beaucoup mieux captés (et remarquablement chantés, en particulier le David miraculeux de Gregory Dempsey), sont d'un tout autre intérêt, et sont vraiment à écouter !

Effectivement, le passage de l'allemand en anglais, du fait des parentés linguistiques, est rarement un problème.

Ce que tu dis sur la préparation du public est loin d'être universel : les salles ne sont pas remplies avec la poignée de passionnés qui maîtrisent leurs seize heures de Ring mot à mot ! En outre, quand on joue des choses plus rares, tout le monde n'a pas tout écouté ! Et même si c'est le cas, peu possèdent à la perfection leur livret en danois, en tchèque ou en russe.

Ensuite, le dépaysement linguistique peut aussi être une motivation (à condition qu'il soit assuré par des gens compétents dans ces langues !) ; je ne vais pas dire le contraire, je suis déjà allé voir du Stoker en polonais, du Schiller en russe, et j'ai manqué de peu du Mickewicz en biélorusse et du letton contemporain… C'est aussi un plaisir en soi. Mais quand on veut faciliter l'accès à un répertoire difficile, traduire Wagner, Strauss, Schreker, Schönberg ou Berg, ce n'est peut-être pas un non-sens.

[Les chanteurs, justement, ce n'est pas autre chose, c'est bien le cœur du problème : rien ne sert de traduire si personne ne peut le chanter clairement. Et de toute évidence, pour des hangars comme Bastille, il sera difficile de trouver les voix à la fois amples, charpentées, et suffisamment nettement articulées. Mais pour la plupart des théâtres à l'italienne et des salles modernes de taille moyenne comme Massy ou l'Arsenal, aucun problème, ça existe !]

10. Le samedi 3 janvier 2015 à , par Dav'

DavidLeMarrec :
Bref, sauf à avoir le livret sur les genoux… et quel est l'intérêt de traduire, dans ce cas ?


Éviter de se pencher sur un livret, de lire ; faire vivre un texte en voyageur ; proposer le spectacle à l'étranger comme-si-vous-y-étiez-là-que-c'est-d'où-qu'y-vient. Évidemment si l'on n'est que francophone, l'intérêt est mince d'écouter une œuvre en anglais traduite de l'allemand, à moins d'être glottophile, mais alors on comprend aussi du même coup l'intérêt de l'entendre dans une langue donnée, commune, maternelle, plus ou moins circonscrite.

Ce serait effectivement œuvre de salubrité publique… mais comme on ne donne guère ces œuvres (si, le tchèque est à la mode en ce moment, entre la fortune de Janáček et le sort particulier de Rusalka), et jamais en traduction… qui se donnera la peine ?


De la peine, certes, mais un bonheur bien réel. Tu évoques un art qui ne se pratique guère plus en musique, qui demanderait une grande somme de travail de recomposition, l'art du renouveau de la transcription librettiste. Il ne peut être question que de la peine, mais aussi de vie, de musique. S'il y a bien quelque chose qui est étranger aux fins de la musique, c'est la peine. Tu ne crois pas ?

Et quelle chance d'être l'instrument inédit d'un compositeur, devenir un recompositeur ! Une transition, un pont, c'est l'humanité qui retourne à l'humanité. Tu peux l'appeler traduction, ou transcription, glossolalie, ou translation.

11. Le dimanche 4 janvier 2015 à , par DavidLeMarrec

Éviter de se pencher sur un livret, de lire ; faire vivre un texte en voyageur ; proposer le spectacle à l'étranger comme-si-vous-y-étiez-là-que-c'est-d'où-qu'y-vient. Évidemment si l'on n'est que francophone, l'intérêt est mince d'écouter une œuvre en anglais traduite de l'allemand, à moins d'être glottophile, mais alors on comprend aussi du même coup l'intérêt de l'entendre dans une langue donnée, commune, maternelle, plus ou moins circonscrite.

Ah, mais je suis complètement d'accord sur cette théorie, et je serais en mesure d'en profiter en anglais… c'est simplement qu'en l'occurrence, dans ce Ring, l'anglais lui-même est très mal articulé, et encore plus mal capté.



De la peine, certes, mais un bonheur bien réel. Tu évoques un art qui ne se pratique guère plus en musique, qui demanderait une grande somme de travail de recomposition, l'art du renouveau de la transcription librettiste. Il ne peut être question que de la peine, mais aussi de vie, de musique. S'il y a bien quelque chose qui est étranger aux fins de la musique, c'est la peine. Tu ne crois pas ?

Et quelle chance d'être l'instrument inédit d'un compositeur, devenir un recompositeur ! Une transition, un pont, c'est l'humanité qui retourne à l'humanité. Tu peux l'appeler traduction, ou transcription, glossolalie, ou translation.

Je ne vais pas te contredire, c'est même un de mes hobbies — une partie entière de ce site est dévolue aux traductions chantables (surtout depuis l'allemand, mais aussi l'italien et le russe), et à toutes les questions profondes que cela soulève sur la question du respect de l'œuvre d'origine et sur la transmission de son esprit. :D

Je ne suis d'ailleurs pas le seul à m'amuser à ce genre de chose (récemment, L'Oiseleur des Longchamps a donné les mélodies de Chopin dans une nouvelle traduction française, réalisée spécialement pour ce concert). Après, pour que ce soit fait à grande échelle, il faut qu'il y ait de réels débouchés autres qu'un concert au chapeau pour cinquante personnes !

12. Le dimanche 4 janvier 2015 à , par Dav'

DavidLeMarrec :
Je ne suis d'ailleurs pas le seul à m'amuser à ce genre de chose (récemment, L'Oiseleur des Longchamps a donné les mélodies de Chopin dans une nouvelle traduction française, réalisée spécialement pour ce concert).


J'ai lu cela, grâce au « tag » Projet Lied français. :)

Après, pour que ce soit fait à grande échelle, il faut qu'il y ait de réels débouchés autres qu'un concert au chapeau pour cinquante personnes !


En transcrivant pour commencer les œuvres à succès ? Pas sûr. Moins cher.
En créant de nouvelles ? Plus sûr. Plus cher.

De toute manière, les oiseaux sont sûrement rares !

Ajouter un commentaire

Le code HTML dans le commentaire sera affiché comme du texte.
Vous pouvez en revanche employer la syntaxe BBcode.

.
David Le Marrec

Bienvenue !

Cet aimable bac
à sable accueille
divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées
en séries.

Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées. N'hésitez pas à réclamer.



Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
9 => Feuilleton sériel




Recueil de notes :
Diaire sur sol


Musique, domaine public

Les astuces de CSS

Répertoire des contributions (index)


Mentions légales

Tribune libre

Contact

Liens


Antiquités

(4/5/2005)

Chapitres

Archives

Calendrier

« janvier 2015 »
lunmarmerjeuvensamdim
1234
567891011
12131415161718
19202122232425
262728293031