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La tragédie grecque est un opéra - II - les codes musicaux

Il faut avoir conscience que, si les choeurs étaient constitués de citoyens, un assez bon niveau de pratique vocale était réclamé. Les acteurs eux-mêmes étaient recrutés d'abord selon leurs qualités musicales !

L'auteur dramatique, quant à lui, écrivait lui-même la musique. Les théoriciens et commentateurs sont hélas trop allusifs pour qu'on puisse savoir exactement ce à quoi ressemblait cette musique - car il nous reste quelques mesures écrites par Euripide ! [1]
Les reconstitutions à ce jour ne sont pas convaincantes. Et ne pourront pas l'être, car notre culture musicale a bien changé, et nous ne pourrions plus percevoir les passions avec la même vigueur - songez qu'à la première parisienne de l' Iphigénie en Tauride de Gluck, tout le monde pleurait dans la salle ! Impensable aujourd'hui, même pour les plus fervents admirateurs de cette musique, je peux le certifier.

Fragment du premier choeur de la tragédie d' Oreste d'Euripide.

Lire la suite.

Notes

[1] Je ne sais pas si ça vous bouleverse autant que moi, mais j'en suis à chaque fois tout retourné.


Ce que l'on sait de façon certaine est que l'on utilisait une gamme pentatonique, et que la partie musicale, outre le chant, était accompagnée en monodie par l' aulos, que l'on présente comme une « double flûte » à tort, puisqu'il s'agissait vraisemblablement d'un instrument à anche double, donc plutôt d'une forme de hautbois dédoublé. Je proposerais de penser aux monodies de duduk pour se faire une idée de ce que pouvait être l'atmosphère de cette musique. Je ne suis manifestement pas le seul à le penser. Un exemple sonore, en revanche, ne vous avancera pas à grand chose : la sonorité de l' aulos était, j'imagine, plus brillante, et surtout le langage musical n'était absolument pas le même (autres modes utilisés).
On reviendra plus tard sur les catégories de chant.

Il faut savoir que, selon le vers employé, on peut déterminer les parties chantées. Il y a certes des points épineux, et les rythmes anapestiques[1] qui servaient à l'entrée du choeur étaient aussi utilisés pour des dialogues. Cela dit, suivant le placement de la séquence dans la pièce, suivant le vers utilisé et suivant ce que peuvent rapporter les scholies (commentaires en marge ou dans le texte, apportés par un lecteur informé), on peut aisément identifier les sections chantées.


La partie musicale d'une tragédie grecque se répartit comme suit :

  1. Le Prologue présente un dialogue qui sert d'exposition. Il est purement parlé - comme le reste, sur un ton déclamatoire que nous n'imaginons certainement pas.
  2. La Parodos est liée à l'entrée du choeur, qui peut se faire à la file, sur un rythme anapestique, ou en groupe, à cinq de front et trois de profondeur.
  3. Episode n°x, de nombre variable. Les épisodes sont parlés, les choeur s'y exprime par la voix de son Coryphée (le chef du choeur). Ces parties parlées sont - pour les amateurs - en trimètres iambiques. L'action s'y déroule, mais, au fond, l'essentiel advient en coulisse durant les stasima.
  4. Satismon n°x, qui fait toujours suite à un épisode. Il s'agit du chant du choeur. Souvent de façon méditative, une sorte de poème, de réflexion sur la condition humaine qui suspend l'action.
    • Assez contraire à l'idée de notre urgence théâtrale, mais lorsqu'on a intégré cette contrainte, on peut découvrir le potentiel remarquable qu'elle recouvre. Nous y reviendrons, si, si, ne prenez pas cet air dubitatif, je vous assure, nous y reviendrons. On peut d'ores et déjà donner quelques pistes : c'est le moment pivot où les acteurs se changent (car ils sont en nombre limité[2] et tiennent plusieurs rôles, voire se les échangent), mais aussi où, dans le hors-scène, se déroule l'essentiel du drame. Il fait l'originalité de ce théâtre.
    • La longueur d'un stasimon varie selon la nature du sujet abordé, les besoins d'illusion de durée et les nécessités pratiques de changements en coulisse.
  5. L'Exodos correspond à la sortie du choeur et clôt la pièce. [3] Il est en réalité l'équivalent d'un Episode, et le choeur n'y chante pas de stasimon. Le plus souvent, les personnages, au paroxysme de la tension tragique ou victimes du désespoir lié au dénouement, y exécutent des chants ou des mélodrames (éventuellement avec le choeur en réponse).


Précisons les contenus :

Dans une pièce de théâtre grecque, on trouve quatre types d'expression verbale :

  1. La déclamation sans musique - pour le Prologue et l'essentiel des Episodes.
  2. Le chant du choeur, surtout dans les stasima, mais aussi en contrepoint au chant ou au mélodrame d'un acteur.
  3. Le chant d'un acteur, lors des passages d'émotion intense des Episodes.
  4. Le mélodrame, qu'on trouve notamment en fin des pièces : il s'agit d'une psalmodie très appuyée, mais pas chantée, accompagnée musicalement, comme les mélodrames à l'opéra...

Dans la tragédie, le chant ou le mélodrame d'un personnage sont les marques de l'affliction, exaltant la douleur humaine sous une forme lyrique.

Importants aussi, les mouvements de danse qui accompagnent les chants de choeur et des personnages. On sait par exemple que les stasima se déroulaient en deux parties, chantées d'un côté, puis de l'autre de la scène, avec des mouvements de choeur, qui « dansait » un rituel, presque un mime. Les personnages eux aussi pouvaient exécuter ces « mouvements de ballet » du haut de leurs cothurnes. L'affliction est ainsi figurée par des gestes faisant mine de déchirer les vêtements, d'arracher les cheveux.


Ce n'est pas fini.

Notes

[1] Penser au deuxième mouvement de la Septième de Beethoven : longue brève brève pour le rythme l'anapeste, l'inverse du dactyle que connaissent bien ceux qui ont fait un peu de latin dans leur jeunesse.

[2] Nombre des acteurs : deux pour Eschyle, trois pour Sophocle, quatre pour Euripide. Les économistes nous assurent que l'inflation était très forte à Athènes au cinquième siècle.

[3] Pour les commentateurs contemporains qui considèrent - à bon droit- le choeur comme l'incarnation du public citoyen qui regarde la pièce, la chose paraît évidente !


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Commentaires

1. Le samedi 13 mai 2017 à , par Patrick

Merci de ces informations.
Qu'en était-il des chœurs dans les comédies d'Aristophane?
Merci

2. Le dimanche 14 mai 2017 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Patrick,

Il devait à l'origine y avoir une suite à la série, avec notamment l'exploration des modes – on n'a pas beaucoup de partitions, mais des éléments relativement précis sur les systèmes musicaux employés, à défaut de leurs réalisations exactes dans la pratique musicale.

Je dois humblement avouer n'avoir jamais rencontré d'informations spécifiques à la comédie – mes informations s'arrêtent après le drame satyrique. Je vais donc prudemment admettre mon incompétence à vous informer.

Avec mes excuses.

3. Le dimanche 14 mai 2017 à , par De passage

Je profite que le sujet soit remonté pour signaler, me semble-t-il, une petite étourderie dans la note 1.
Le pied long-bref-bref est bien un dactyle, c'est bref-bref-long qui est un anapeste.
Autrement, c'est toujours un plaisir de lire CSS !

4. Le lundi 22 mai 2017 à , par DavidLeMarrec

Toujours un petit moment d'effroi lorsqu'une notule des débuts de CSS remonte… Il y a dix ans, c'était vraiment un petit carnet de notes (sans lecteurs) où je ne vérifiais pas avec le même soin les contenus… Non pas qu'il n'y ait pas d'erreurs aujourd'hui, mais je crois que je n'aurais pas laissé passer une note de bas de page qui explique l'inverse de ce qu'elle devrait expliquer ! /o\

Merci beaucoup d'avoir corrigé !

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