Les solistes (Margaux Poguet, Axelle Saint-Cirel, Lysandre Châlon) ne sont pas en reste – les effets belt et saturation que va chercher Mlle Saint-Cirel causent un vif émoi (très mérité) dans le public ! –, et plus encore les solistes du Jeune Chœur de Paris, émission claire et adaptée du style du musical, anglais impeccable, expression au cordeau (tendresse toute particulière pour le naturel du Guide Touristique, non explicitement crédité).
(Enfin, j'ai dit le meilleur opéra de Bernstein, mais je ne connais pas encore 1600 Pennsylvania Avenue, le seul qui me reste !)
La façon dont l'œuvre semble écrite (maladroitement, pourrait-on penser) par blocs instrumentaux (cordes, bois, cuivres) mais progresse en réalité d'une façon remarquablement organique, claire, logique même, me stupéfie à chaque fois. Au sein de cette atmosphère pourtant plutôt pastorale, la tension et l'avancée ne se démentent jamais, et toujours avec une grande beauté – et une certaine simplicité apparente.
Je n'aurai pas le temps non plus d'évoquer les solistes incroyables, le trompettiste solo bien sûr (brillant dans le Concerto en fa de Gershwin) mais surtout le flûtiste solo, Gareth Davies – j'ignorais qu'il était possible pour un même flûtiste de disposer d'autant de timbres différents, et de les disposer au sein d'un même phrasé (sans épate, tout ça au service de la musique) ! Son qui naît voilé, qui devient coloré, qui vibre par endroit puis se resserre… incroyable, je ne savais pas qu'une flûte pouvait faire ça.
Je me suis en conséquence prévu un cycle Harris après mon cycle Coleridge-Taylor et la fin de l'écoute intégrale du catalogue Château de Versailles Spectacles (enfin disponible en flux, j'ai quasiment tout écouté en deux semaines !), les neuf symphonies ont été enregistrées, mais seule la n°3 dispose d'une petite réputation propre à l'inclure dans des disques hors des monographies Harris.
Contrairement aux représentations vues jusqu'ici (en concert à Pleyel, en scène à Bastille, notamment), le public repère vraiment les innuendos et rit de bon cœur tout du long.
Était-ce l'interprétation, j'en suis sorti avec l'impression que la richesse de la partition (peut-être ce que je préfère de tout Ravel) tient davantage aux modes de jeu (et à l'harmonie bien sûr, mais elle ne produit pas de façon aussi nette cette impression) qu'à la polyphonie, qui m'a paru rare. Pour vérifier tout cela, curieux de réentendre ça par Roth dans quelques semaines au TCE, lui qui exalte remarquablement les parties intermédiaires même dans du Delibes ou du Saint-Saëns romantique !
Je n'avais jamais remarqué que les petites fanfares discrètes qui accompagnent les entrées du Muletier ont quelque chose du motif de Hunding à l'acte I de Die Walküre !
Et je n'avais pas repéré, non plus, la musique suggestive de balancier au moment de sortir Gómez de l'horloge… (à part les glissandi descendants de trombones amollis, la musique de cette pochade reste d'une dignité assez parfaite)
Donc un mot simplement sur certaines candidates des quarts de finale.
J'ai été amusé d'entendre Olha Dondyk (Ukraine, 19 ans !) demander à l'orchestre d'allonger ses croches (et donc de les faire mordre sur les silences !) dans le début de la 38e Symphonie de Mozart – c'est tellement typique de la manière slave dans Mozart, assez réussie dans le genre « grandiose », mais vite épaisse et monochrome. Pour autant, un véritable charisme qui ne pourra que produire de belles choses avec davantage de technique au fil des ans. Elle est sortie de scène avec un grand sourire, alors même que le manque de clarté sur les endroits où l'orchestre devait reprendre, les changements d'avis sur les mesures de départ ont été fréquents – et j'imagine que ce doit être assez rédhibitoire en répétition, même si c'est, à la vérité, le plus facile à apprendre ! Elle était manifestement grisée de l'expérience, pouvoir travailler avec un bon orchestre et essayer des choses ! Ce faisait plaisir à voir – d'autant plus en songeant ce dont la carrière lui permet de s'éloigner…
Tatiana Pérez-Hernández (Colombie, 33 ans) était assez intéressante dans son genre aussi : son premier filage intégral ne m'a pas paru très efficace dans l'Ouverture de l'Italienne à Alger (même si un certain nombre d'orchestres aiment bien, à ce que j'ai compris, cette méthode, le chef laisse jouer et reprend ensuite des détails représentatifs) ; sceptique aussi sur sa façon de leur expliquer le solfège, ou de leur faire remarquer qu'ils sont décalés (n'est-ce pas avant tout sa responsabilité ?). À ce moment, j'ai perçu le souvenir fugace de la Radio de Francfort pour le concours Solti, dont le premier violon avait pris à part Aziz Shokhakimov pour lui expliquer que l'orchestre savait très bien jouer, merci, que s'ils n'étaient pas ensemble c'était peut-être à lui de se réformer. Les musiciens d'orchestre n'acceptent plus trop les approches dures, surtout de la part de chefs qui ne sont pas déjà précédés de leur notoriété et aimés par la phalange en question.
Pour autant, son énergie a réellement produit des effets au bout des trente minutes, moins par la qualité du travail de détail que par les intuitions qu'elle transmet par la gestique… avec de l'expérience, ce pourrait être un profil de cheffe invitée très intéressant !
Celle qui m'a vraiment impression, c'est Zofia Kiniorska (Pologne, 27 ans) : son travail très minutieux sur les équilibres et l'articulation lui permettent de changer totalement les couleurs (parties intermédiaires et bois en gloire, ce n'est pas pour me déplaire !) de la première interprétation de l'orchestre pour les deux derniers mouvements de la Symphonie n°1 de Prokofiev. Ses remarques sont toujours très précises, et suivies d'un effet immédiat dans le spectre orchestral. Je suis déçu qu'elle n'ait pas été retenue pour la finale, mais les autres candidates sont peut-être encore meilleures.
Et puis – rappelez-vous – comment peut-on juger d'un chef, au fait ?
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Bien que le cadet (1927) du Philharmonique de Stockholm (1902) et de l'Orchestre Royal Académique (cité dès 1627 dans des sources, mais aujourd'hui bien moins prestigieux), j'ai l'impression qu'il s'agit de l'orchestre vitrine, sinon de la Suède – Malmö et Göteborg pourraient tout aussi bien y prétendre, considérant leur legs discographique gigantesque et leur réputation ! –, de la capitale. (Pour autant, le Philharmonique a le son le plus typé des deux et peut s'enorgueillir de collaborations particulièrement marquantes au disque avec Stig Westerberg ou Sakari Oramo, et ce serait probablement mon chouchou au disque.)
Je dois dire que je suis totalement ébahi par ce que j'entends – au disque et en retransmission, j'avais l'image d'un orchestre mordant et très capable, mais pas particulièrement chaleureux – il faut dire qu'au disque, on dispose largement de témoignages d'Esa-Pekka Salonen (directeur musical de 1984 à 1995), déjà pas le prince du coloris, dans des prises de son Sony qui sont de surcroît, pour tous les chefs de la période, assez grises.
En tout cas, après 17 ans de collaboration avec Harding, où je ne l'ai entendu qu'épisodiquement (et c'était, il est vrai, plus coloré), je suis frappé par la typicité et la beauté de ce que j'entends : son très brillant, clair, mais avec un creusé exceptionnel des cordes, et une densité, une profondeur des vents qui lui procurent une clarté parfaite dans la polyphonique, mais aussi une réserve de textures infinie, une projection sonore très prégnante alors même que le volume n'est pas aussi puissant que chez les orchestres internationaux les plus célèbres. Je crois n'avoir jamais – orchestres sur instruments anciens exceptés, peut-être – entendu un son d'orchestre aussi beau, à la fois franc et profond, moiré et uni.
Et les solistes, même deux jours après avoir entendu le London Symphony Orchestra, sont à couper le souffle : deux hautbois solos très typés (Emmanuelle Laville, Bengt Rosengren), clarinettes flûtées à la transparence typique des orchestres suédois (Niklas Andersson, Andreas Taube Sundén), trompette solo insolente au son très scandinave (Alexandre Baty s'est bien acclimaté !), violon solo (Malin Broman), alto solo (Albin Uusijärvi) et violoncelle solo (Ulrika Edström) qui pourraient prétendre à jouer tous les concertos du répertoire mieux que quiconque (ou à former le plus beau quatuor à cordes de tous les temps), contrebasse solo d'un engagement furieux (Rick Stotijn n'a pas eu de solo contrairement aux autres, mais je n'ai jamais vu un contrebassiste se ruer de la sorte sur son instrument, à chaque attaque !).
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L'attraction principale était En Skärgårdssägen (« Une Légende de l'archipel ») de Hugo Alfvén, une rare occasion d'entendre deux œuvres symphoniques d'Alfvén avec la Première Rhapsodie (« Nuit de la Saint-Jean ») donnée par le Rainbow Symphony Orchestra samedi et dimanche (toujours surveiller l'agenda de Carnets sur sol).
Une œuvre que je n'avais jamais vraiment comprise au disque (beaucoup moins élancée et généreuse que la Rhapsodie), et qui en réalité doit s'écouter comme un projet totalement figuraliste : il s'agit d'une évocation de la mer et de son ressac, avec différentes atmosphères possibles de la berceuse à la tempête, des séquences assez courtes (sur une durée totale de près de 20 minutes, pourtant !) qui se fondent sur un motif simple décliné au fil de l'œuvre, mais dont la logique reste surtout rhapsodique : malgré cette unité thématique, les atmosphères se juxtaposent davantage qu'elles n'évoluent. C'est inhabituel dans les grands poèmes symphoniques du répertoire régulièrement joués par les orchestre, mais une fois que l'on a saisi le principe, on ne peut que se laisser séduire admirativement par cette déclinaison suédoise de la mer, cousine très différente de Debussy – avec pour point commun fondamental l'effort évocatoire très réussi.
On y entend très concrètement les mouvements de l'eau, de façon très suggestive, avec une orchestration personnelle et très intelligente. La particularité d'Alfvén demeure son atmosphère élancée, souriante, mais en rien naïve, toujours intense émotionnellement – et bien sûr son lyrisme grisant qui ne peut manquer de sourdre au détour de n'importe quelle phrase.
Par un orchestre aux couleurs adéquates, c'est un rare bonheur. (On attend toujours les symphonies à Paris, des compositions d'un niveau d'inspiration encore nettement supérieur et qui raviraient le public si on prenait la peine d'aller le chercher.)
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Daniel Harding a toujours été un très bon chef, mais ce qu'il fait désormais dans sa maturité, en particulier avec l'orchestre qu'il mène depuis plus d'une quinzaine d'années, force l'admiration : un Zarathustra où la tension, les couleurs, le narratif, la poussée constantes tirent vraiment le meilleur de la partition.
Remplacement très stimulant, Christian Gerhaher dans les Rückert-Lieder de Mahler (au lieu de Maria-João Pires dans le 21e Concerto de Mozart !), une des voix qui passent le mieux à la Philharmonie – et toujours cette infinité de textures, la variété des techniques utilisées, la clarté de la diction (consonnes parfaitement audibles jusque dans le grandiose choral final d' « Um Mitternacht »), jusqu'à la couverture des voyelles, flexibles à volonté au service de l'expression textuelle. Je suis frappé par son refus du legato-réflexe (par défaut, les sons sont détachés, même si la ligne de souffle est maintenue), qui produit un résultat un peu saccadé, idéal pour mettre en valeur les poèmes, plutôt que de tout chanter d'une belle ligne belcantiste comme c'est – absurdement – la mode dans tous les répertoires lyriques, baroque français et lied inclus. Et la voix est densément projetée, on l'entend très bien.
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Énorme succès pour Alexandre Baty aux saluts (alors même que la salle n'était globalement pas en délire), on sentait le fan-club / les potes dans la salle, content de les retrouver. Accueil très chaleureux aussi à l'arrivée de Daniel Harding en début de concert, planait comme le frisson du souvenir d'une ère dorée.
Le chef est très vivement applaudi par la violon solo, rare à ce point de chaleur – j'ai frémi en pensant qu'elle allait finir par briser nette la touche de son instrument en le secouant si énergiquement. Orchestre content.
Comme les Allemands, les Suédois se congratulent avant la fin des applaudissements – geste que j'ai toujours trouvé un peu grossier, et qui arrive parfois très vite au moment des saluts (cette fois, le public commençait en partie à se lever, c'était moins choquant), mais qui fait manifestement partie de la culture locale.
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Je vais maintenant aller fouiller dans leurs disques et leurs bandes radio (sans Salonen) pour voir si le miracle peut se prolonger. Très bon souvenir du cycle de lieder orchestraux suédois des Häxorna (« Sorcières ») de Ture Rangström (direction Hannu Koivula) chez Musica Sveciæ (2011), œuvre tout à fait digne d'intérêt, où l'orchestre avait effectivement un aspect similaire à ce que j'ai entendu hier soir.
Pour d'autres découvertes concertantes ou discographiques racontées plus laconiquement, vous pouvez suivre la version courte de CSS, Diaire sur sol.