A la découverte de MEYERBEER - I - Introduction factuelle : présentation des oeuvres
Par DavidLeMarrec, lundi 21 décembre 2009 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra :: #1436 :: rss
Une petite série sur Meyerbeer se prépare. Pour de multiples raisons.
Tout d'abord, parce qu'il est la pierre angulaire du Grand Opéra à la française, et que nous nous étions finalement limité à la retranscription d'une défense sommaire, sans véritable introduction à son oeuvre. Et puis, au tout début de ces carnets, on avait fait allusion à l'évanouissement du fiancé d'Alice dans Robert.
Ensuite, parce qu'on avait promis chez des voisins une notice pour débuter dans Meyerbeer.
Enfin, parce qu'on voulait adapter un vieil article (d'avant CSS) qui précisément s'intéressait au style de Meyerbeer et au pourquoi de son abandon.
On débute donc ici avec une rapide introduction sur sa carrière, suivie d'une présentation de chaque oeuvre de la période parisienne.
Présentation générale
Meyerbeer (de son vraiment prénom Jakob) est né en Allemagne, et y a fait une partie de sa carrière, y compris après ses succès parisiens (appelé par sa patrie, en quelque sorte, pour écrire quelques pièces), mais il n'existe rien d'accessible aujourd'hui pour se faire une idée de ce pan de sa production.
Il a réalisé ses études en Italie, et l'une des premières oeuvres dont on dispose de façon plus ou moins accessible est précisément Il Crociato in Egitto, une oeuvre de belcanto serio de type rossinien, assez modérément intéressante. Six opéras de ce type existent sur seize oeuvres lyriques scéniques.
Il est en réalité connu pour ses interventions sur la scène parisienne, en réalité en nombre extrêmement réduit :
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Robert le Diable
En 1831, après cinq années de travail (Meyerbeer peaufinait vraiment ses partitions, avant de les adapter, comme Offenbach par exemple, aux premières représentations), Meyerbeer présente ce Robert qui est un immense succès, et qui irrigue l'imaginaire de tout le dix-neuvième siècle. Il faut bien songer que Rodenbach (1892 !) place sa rencontre entre Hugues et Jane à l'occasion d'une représentation (importante à plusieurs moments dans l'intrigue) de Robert.
L'intrigue inclut du surnaturel, puisque Robert est un seigneur fils d'un démon qui se cache en la personne de son compagnon d'infortune. Comme toujours chez Scribe, on s'inspire de personnages réels et de légendes populaires.
L'oeuvre culmine dans le troisième de ses cinq actes, où l'on trouve à la fois un duo comique, un duo patriotique, deux invocations infernales et deux scènes démoniaques, dont le fameux ballet des nonnes damnées. Vraiment un sommet de l'histoire de l'opéra.
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Les Huguenots
Composés de 1832 à 1836, les Huguenots sont le chef-d'oeuvre de Meyerbeer. On n'y trouve que des pages inspirées.
Ce qui était déjà vrai dans Robert s'accentue très nettement : chaque acte bénéficie d'une couleur propre.
I : Tableau de fête dans un château de bons vivants catholiques.
II : Tableau bucolique et raffiné dans les jardins tourangeaux de la reine Marguerite.
III : Tableau religieux et militaire, scène de foule et de duel.
IV : Acte du duo d'amour, mais au milieu de la conspiration, acte sombre.
V : L'apocalypse de la Saint-Barthélémy.
Le sujet est ambitieux et audacieux, à savoir retracer une guerre civile française (en donnant le tort aux catholiques), en lui fournissant une origine dans les personnages créés pour les besoins du drame (le refus outrageant d'un gentilhomme protestant, sur un quiproquo, d'épouser la jeune fille catholique qu'il aime).
Scribe (le librettiste, donc) n'évite ni les sujets polémiques, ni l'allègement par l'humour, sans jamais départir l'oeuvre de sa grandeur tragique.
Sur le plan strictement musical, il faudrait le décrire un peu précisément, mais Meyerbeer lie les 'numéros' traditionnels (les airs et ensembles) par des récitatifs passionnants et très expressifs, et ponctue toujours ses 'numéros' d'interventions extérieures (récitatifs, soli...). Si bien que l'on se dirige vers une forme de drame continu, où la distinction entre récitatifs et 'numéros' est de plus en plus gommée, et où les ensembles sont extrêmement nombreux.
C'est aussi une perpétuelle suite de modulations (de changement de tonalité et de couleur), au point où parmi ses contemporains, seuls Chopin, Berlioz et Schumann peuvent lui être comparés.
Toujours en cinq actes et un ballet, bien entendu, selon la norme française établie au début du siècle (contrairement à ce qu'on lit parfois, Meyerbeer ne l'invente pas du tout, il s'y adapte simplement avec un grand esprit).
Cette oeuvre est tout simplement un jalon majeur de l'histoire de l'opéra, français ou non, aussi bien pour son importance dans l'imaginaire esthétique que pour ses qualités propres, considérables.
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Le Prophète
Troisième des quatre Grands Opéras parisiens, Le Prophète connaît une période de gestation particulièrement longue, de 1835 à 1849. Il faut croire que les multiples reprises des deux précédents remplissaient amplement les caisses.
Son sujet porte à nouveau sur la question de l'intolérance religieuse, avec le gouvernement des Anabaptistes à Münster. Ici encore, c'est un anonyme qui devient quasiment le moteur (même s'il est manipulé) de l'Histoire, un procédé romanesque bien connu qui trouve ici merveilleusement sa place au théâtre (c'est de toute façon l'époque où il l'a trouvée de façon nette dans le roman).
Les personnages sont extrêmement contrastés, et on ne saurait dire au juste où sont les purs dans cette histoire où toutes les faiblesses humaines, de la rigueur à la lâcheté, s'exposent même chez les héros réputés sympathiques.
Musicalement, on remarque les mêmes qualités, beaucoup de modulations, des récitatifs extrêmement soignés et inspirés, dignes des airs, beaucoup d'ensembles, une orchestration qui fait la part belle aux soli, y compris d'instruments réputés secondaires (c'étaient l'alto et la clarinette basse dans les Huguenots !).
L'ensemble n'atteint pas les sommets des Huguenots ni même peut-être les meilleurs moments de Robert, mais Meyerbeer y consolide l'originalité et la recherche de son langage, avec une oeuvre extrêmement exigeante pour son époque et son contexte d'écriture, avec un nombre de plus en plus réduit d'airs de bravoure identifiables, à l'exception d'un air d'entrée virtuose pour Berthe et de la pompe du Sacre (qui n'est pas pompier pour autant).
Les allègements comiques aussi, même si les Anabaptistes fanatiques mais surtout cyniques sont tournés en dérision, se font plus rares, et pour tout dire moins drôles.
Donc une oeuvre plus touffue, plus sérieuse, qui recèle encore de grands moments d'inspiration.
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L'Etoile du Nord
Rappelé pour le service de la Patrie dans les années 40, Meyerbeer écrit à Berlin Ein Feldlager in Schlesien (Un camp en Silésie), un modeste (?) singspiel que le grand compositeur parisien donne à Berlin. Comme l'ensemble de l'oeuvre en langue allemande de Meyerbeer (cinq ouvrages tout de même), rien n'est disponible, et l'on joue plutôt Les Huguenots en allemand qu'on ne les ressuscite.
A son retour, il compose, de 1849 à 1854, un premier opéra-comique. Ce n'est pas une oeuvre majeure, et le seul enregistrement disponible (Vladimir Jurowski) est malheureusement de qualité assez moyenne. Ni l'intrigue ni la musique ne retiennent démesurément l'admiration.
Cinq mois après la création parisienne, Meyerbeer donne une version italienne de l'oeuvre à destination de Covent Garden, La Stella del Nord, qui inclut six numéros du Camp de Silésie.
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Dinorah ou Le Pardon de Ploërmel
A partir de cette date, Meyerbeer se consacre jusqu'en 1859 à son nouvel opéra, un autre opéra-comique, qui a peut-être donc été créé sans récitatifs. (Mais les partitions aujourd'hui disponibles contiennent bien évidemment les récitatifs.)
En tout cas, le nom donné aujourd'hui n'est pas tout à fait exact, puisqu'à l'origine, il s'agissait du Pardon de Ploërmel, devenu pour sa création londonienne Dinorah, puis dans des arrangements ultérieurs pas nécessairement supervisés par Meyerbeer, Les Chercheurs de trésor (d'après le titre de la pièce de Michel Carré dont est tirée l'oeuvre) et dans sa traduction allemande Die Wallfahrt nach Ploërmel.
Le double titre est une convention plus récente, afin sans doute d'identifier l'oeuvre avec certitude.
Il s'agit de la seule collaboration de Meyerbeer qui échappe à la présence de Scribe, avec ici Jules Barbier et Michel Carré assez inspirés pour un conte où naïveté et drôlerie (à tous les sens du terme) se conjuguent avec virtuosité. De la très belle musique, des ensembles enlevés, un récitatif toujours aussi tranchant, des scènes très fortes, des moments de caractère qui ont sans doute beaucoup inspiré le Gounod de Mireille... Un petit bijou qui relit la pastorale d'antan autour d'une intrigue de sorciers et de trésor bretons, avec tout ce qu'il faut de clichés pour s'amuser (on nous parle de ravin alors que Ploërmel est peut-être l'endroit le plus plat de l'Univers).
L'air Ombre légère qui, traduit en italien, a été longtemps la seule présence tangible de Meyerbeer pour les mélomanes, est en réalité le moment le plus faible de la partition, une ariette virtuose sans grand intérêt, et on ne saurait espérer ni grande pyrotechnie, ni pareille fadeur d'expression dans le reste de l'ouvrage.
Les duos et trios sont vraiment impressionnants par leur inspiration toujours colorée. Voir par exemple l'entrée de Dinorah égarée redisant la vieille chanson qui permet à Corentin de lever la supercherie mortelle, un trio à la fois truculent et mélancolique, d'une grande inspiration mélodique.
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L'Africaine
Voilà une grande énigme. Meyerbeer prépare cet ultime opéra de 1837 à 1864 (!), mais ne peut mener à bout son projet en effectuant ses habituelles retouches à l'épreuve de la scène (interrompu par la mort, quelle pénible celle-là).
Cet opéra ne comporte plus aucun allègement comique ; de même son propos tourné contre le fanatisme religieux se mue presque en anticléricalisme de principe (avec les dignitaires ecclésiastiques proprement terrifiants, et même caricaturaux). Le ton déjà grave du Prophète devient encore plus sombre, et malgré des moments de grâce comme la rêverie d'Inès à l'acte I, le tout reste assez inquiet.
Musicalement, on a peine à retrouver le sens de la danse hérité de
Mais il faut dire que l'inachèvement a laissé un champ de bataille dans l'inspiration des interprètes, jouant souvent cela de façon pesantissime, sans interprètes francophones, et en opérant des coupes anarchiques qui dénaturent l'oeuvre.
De ce fait, à l'écoute, il est difficile de se faire un avis (en tout cas positif) sur cette oeuvre, avec aucune des versions en circulation, officiellement ou officieusement.
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Et le reste ?
Eh bien, dans ce qui est accessible, outre les paraphrases d'autres compositeurs, on trouve seulement le beau lied Komm ! (sur le poème (Du schönes Fischermädchen).
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Mais pourquoi est-il si peu joué ?
Pour beaucoup de raisons, idéologiques, structurelles et pratiques. On en parlera, c'est prévu.
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Par quoi commencer ?
Par Les Huguenots assurément. Version Diederich ou Bonynge, même si ce n'est pas la panacée, c'est très peu coupé pour l'un et pas du tout pour l'autre. (Mais Diederich préférable car les chanteurs sont francophones et la direction moins molle.)
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Une petite discographie ?
Oui, vu la qualité déplorable de la plupart des enregistrements disponibles, ce sera nécessaire. Elle est déjà quasiment prête, aussi n'hésitez pas à demander...
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A suivre, donc, une réflexion sur son esthétique... et son rejet.
Commentaires
1. Le mardi 22 décembre 2009 à , par Glottolâtre II (dit le hutin) :: site
2. Le mercredi 23 décembre 2009 à , par tudel
3. Le mercredi 23 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
4. Le mercredi 23 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec
5. Le mercredi 23 décembre 2009 à , par tudel
6. Le jeudi 24 décembre 2009 à , par Ouf1er
7. Le jeudi 24 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
8. Le dimanche 27 décembre 2009 à , par Jaky
9. Le dimanche 27 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
10. Le lundi 28 décembre 2009 à , par Le fantôme de Dinorah :: site
11. Le lundi 28 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec
12. Le lundi 28 décembre 2009 à , par Bella, sa chèvre chérie :: site
13. Le lundi 28 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec
14. Le lundi 28 décembre 2009 à , par Jaku
15. Le lundi 28 décembre 2009 à , par Jaky
16. Le mardi 29 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec
17. Le mercredi 30 décembre 2009 à , par Ouf1er
18. Le mercredi 30 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
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