Carnets sur sol

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[Carnet d'écoutes n°89] – Orfeo et ses diminutions, Visée-Dollé sur nylon, La Jacquerie de Lalo, Bartók Star Wars


Robert de Visée & Charles Dollé – Robin Pharo, Thibaut Roussel

Au 38 Riv', un programme rare – pas les tubes LULLYstes ou chaconnisants de Visée, et puis l'introduction de Dollé, fort peu documenté et fréquenté en dehors de quelques gambistes.

Robert de Visée
est toujours le prince de l'épure sublime, loin de toute galanterie, de tout pittoresque, une musique à l'état brut, assez étonnamment pour l'époque et le genre – il n'est pas forcément plus séduisant que Gaultier ou Gallot de prime abord (moins mélodique sans doute), mais il s'est sans doute forgé cette réputation de maître à part (le premier nom français qu'on entend lorsqu'on s'intéresse aux pincés de la période) précisément en raison de cette abstraction singulière, qui force l'admiration.

Charles Dollé n'est pas une révélation majeure (les quelques pièces de Marais introduites dans le programme, pourtant plus anciennes d'une génération, présentent une telle évidence mélodique et instrumentale, un tel entrain naturel, un tel sens du climat en comparaison !), mais contient de la bonne musique, en particulier la très pittoresque Suite en la incluant une preste Allemande, un Rondeau entraînant, un Carillon presque sauvage, un Tambourin adroitement stylisé.

J'ai particulièrement admiré la réalisation très sobre et adéquate de Thibaut Roussel (beaucoup d'arpèges, mais aussi des contrechants qui ne cherchent pas le spectaculaire et remplissent parfaitement le spectre harmonique laissé libre par la viole – modestie et richesse, le Credo des continuistes), ainsi que des appuis très clairs, sans le caractère de mesure flottante qu'affectionnent volontiers les luthistes, surtout en solo.
Par ailleurs, les cordes en nylon rendent l'instrument bien plus audible (et facile à timbrer : Robin Pharo a lui lutté en permanence avec l'accord de sa gambe et même la projection du son, beaucoup plus étouffé avec les boyaux), c'est un choix avisé. Première fois que je vois un théorbe (oui, c'en était bien un, pourtant) à chœurs simples (d'ordinaire le luth et le théorbe utilisent les cordes par groupes de deux, accordées à l'unisson ou à l'octave), comme un chitarrone : le son ne s'en fait pas ressentir (au contraire, il est plus facile de tenir les cordes simples), et cela fait onze cordes à entretenir au lieu de seize, à instrument égal – les cordes les plus graves sont toujours seules.


Très belle soirée organisée par l'association Caix d'Hervelois – dont le niveau est irrégulier, par exemple le dernier concert vu (pas chroniqué pour cette raison), instrumentalement vraiment médiocre malgré un beau programme (qualité des instruments, précision de l'exécution), mais qui propose de riches séries d'œuvres chambristes baroques rarement données, auxquelles je reste fidèle chaque année..

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Monteverdi – L'Orfeo et ses diminutions (La Fenice, Tubéry)

Essai réussi d'une nouvelle version plutôt originale de L'Orfeo.

¶ L'interprétation dirigée par Jean Tubéry met l'accent non pas sur la bizarrerie de l'instrumentarium ni sur l'instrumentation bigarrée, mais plutôt sur les variations non écrites qui se faisaient traditionnellement lors des répétitions des mêmes mélodies. Ici, le procédé est vraiment très répandu, mettant en valeur les retours thématiques (nombreux), et réalisé avec une exactitude stylistique, une variété et une richesse (vraiment des diminutions très virtuoses, pas de simples variantes) dont j'ai peu vu d'exemple jusqu'ici.

¶ Autre caractéristique, la mise en valeur des syncopes plutôt que accents de mesure, avec des attaques planes, aboutissant à un résultat un peu folklore-irlandais, dépaysant mais très fonctionnel. Ici aussi, ce sont les violons qui sont avant tout mis à contribution, avec un élan et une longueur d'archet qui fait plaisir à voir. J'aimerais beaucoup pouvoir les créditer (deux violonistes et une altiste), mais leurs noms ne figurent nulle part, même pas dans la documentation de la salle, du producteur ni de l'ensemble !

¶ Côté vocal, un brin déçu par Jan Van Elsacker, admiré naguère, mais d'expression assez pâle et uniforme en Orfeo. La voix est tout le temps émise en haut (on dirait que le reste du corps ne résonne pas), et avec beaucoup de rondeur, sans aucun aspect métallique, si bien que la projection reste très confidentielle. Par ailleurs, le personnage manquait d'éloquence. Belle voix un peu diaphane, mais j'attendais un peu plus de sa part.
De même pour Claire Lefilliâtre : son émission bizarre (qui fait tout son charme), très laryngée, lui joue des tours dans un rôle un peu grave. Un vibratello (tremblement rapide) pas déplaisant mais inhabituel chez elle, qui dévisse parfois légèrement au-dessous de la note ; une diction vraiment relâchée ; et nettement moins glorieux que dans les rôles de soprano (certes graves) auxquelles elle est accoutumée.
En revanche, excellent choix de basses : chantante pour Charon (d'ordinaire confié à une voix profonde, mais la mobilité expressive de Jean-Claude Sarragosse valide cette nouvelle disposition), noble pour Pluton, profitant de la superbe verticalité de Luc Bertin-Hugault. De même, Espérance persuasive de Sarah Breton, au timbre inhabituellement profond pour ce répertoire.

¶ Mais les véritables sensations se trouvaient chez les instrumentistes : outre violonistes/altistes, le cornet à bouquin virtuose et dansant (musicalement comme physiquement) de Tubéry lui-même, ce sont en particulier les continuistes qui impressionnent. La réalisation mélodique de la harpiste (non créditée, comme les autres – peut-être Angélique Mauillon, qui participait à la production en 2005 ?), et la richesse des contrechants volubiles (et soignésde Nicolas Achten (lui-même remarquable chef d'ensemble) au théorbe. Son instrument, monté sur nylon, parvient à se faire entendre, même dans les « tutti », jusqu'au fond de Gaveau, tandis qu'un théorbe solo peine d'ordinaire à franchir le quatrième rang et se fait irrémédiablement couvrir par Emma Kirkby ou une bête viole de gambe… Par ailleurs, il chante le premier berger et Apollon dans une voix de baryton charismatique et naturelle, dotée de belles résonances graves – tout en s'accompagnant de son immense théorbe, debout…

Belle soirée, assez passionnante en particulier dans sa relecture instrumentale des ornements et de la réalisation du continuo, d'une grande richesse, d'une grande variété.

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Star Wars sur Danube : concert Bartók-Stravinski, LSO-Gergiev

Second volet du diptyque Stravinski-LSO à la Philharmonie de Paris (et en tournée à travers l'Europe). Suite de danses, Le Mandarin merveilleux, L'Oiseau de feu. Quelques remarques :

¶ Il est très dépaysant d'entendre ces œuvres avec l'orchestre de Star Wars !  Ce n'est pas l'impression que j'ai d'ordinaire en les entendant, mais ce soir, les trompettes et trombones surpuissants, extrêmement brillants et stridents, les flûtes glorieuses (le piccolo couvrait régulièrement tout l'orchestre, je ne me figurais même pas que ce fût possible), les cors moelleux et mélancoliques… tout y concourait, si bien que le premier solo de cor (apparition d'Ivan au milieu des Princesses) avait des allures délicieuses de binary sunset sauce Korsakov.

¶ Considérant les masses sonores, les caractéristiques individuelles des musiciens et le peu de retenue de Gergiev, la clarté est impressionnante dans les (bonnes) places de la salle. À part deux petits flous dans les hyper-tutti de la course du Mandarin et de l'arrestation d'Ivan, tout était parfaitement clair et équilibré. Un rien réverbéré à mon goût peut-être, mais de la belle réverbération qui ne nuit pas à la précision du son.
Je me suis figuré ce que ça aurait produit à Pleyel : tout ce serait mélangé la plupart du temps à ce volume sonore, même depuis les meilleures places.
(En revanche, depuis les – très nombreuses – places médiocres de la Philharmonie, ce n'est pas mieux, voire pire qu'à Pleyel. Ceux qui étaient sur les côtés du second balcon n'ont pas dû saisir grand'chose de ce qui se passait, en dehors du tintamarre.)

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Lalo – La Jacquerie

Écouté l'œuvre (jouée l'année prochaine à la Maison de la Radio, puis publiée en CD) une première fois à l'occasion de sa rediffusion sur la radio autrichienne. Toujours disponible.

Un brin déçu : ce n'est pas aussi hardi que Fiesque, et puis la direction de Patrick Davin (que j'ai toujours beaucoup aimé, à rebours de sa mauvaise réputation tout à fait usurpée) est assez mollement articulée – il faut dire que le Philharmonique de Radio-France est particulièrement inadapté pour ces musiques qui réclament de la transparence, qu'il joue en général avec une pâte épaisse et une couleur internationale qui font merveille dans R. Strauss, Rachmaninov ou Dutilleux, mais pas vraiment dans le répertoire français. Quelle différence avec Fiesque par Alain Altinoglu et le Philharmonique de Montpellier (considérablement meilleur dans ce répertoire) ! 

Ce n'est qu'une première écoute, amenée à être affinée considérant l'interprétation de qualité, mais pas très ardente. Rien repéré de fascinant jusqu'aux actes III (beau ballet) et IV (le dernier), parcouru d'obsédants rythmes surpointés, de juxtapositions de binaires et ternaires menaçantes, qui maintiennent toujours sensible l'imminence du châtiment. Comme pour Fiesque, l'impression de fulgurances un peu bancales, très attachantes, mais dans une soupe globalement plus tiède ici.

Nora Gubisch, dans un rôle écrasant, y est plus intelligible de coutume, dans un voix moins opaque aussi (alors que ses derniers témoignages me laissaient percevoir un déclin assez vigoureux), assez convaincante je dois dire. Véronique Gens, Charles Castronovo et Sébastien Bou fidèles à leurs standards d'excellence, dans un contexte pas très favorable (duquel seul Bou semble totalement se jouer).



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Commentaires

1. Le mercredi 21 octobre 2015 à , par Paulette

Les noms des instrumentistes de la Fenice figurent dans le programme de salle :
Stéphanie Pfister (violon I) - Jasmine Eudeline (violon II) - Géraldine Roux (violon alto) - Keiko Gomi (violoncelle) - Lucile Boulanger (viole de gambe) - Richard Myron (contrebasse) - Emmanuel Mure (trompette & cornet) - Claire McIntyre (trombone I) - Aurélie Serre (trombone II) - Sandie Griot (trombone III) - Franck Poitrineau (trombone basse) - Marie Bournisien (harpe) - Nicolas Achten (théorbe) - Yoann Moulin (clavecin & orgue-régale) - Jean Tubery (cornet & direction)
On peut ajouter que Tubéry jouait également le flautino - je ne me souviens plus par contre laquelle des instrumentistes citées ci-dessus faisait aussi la 2e flûte - et préciser que la Musique (Saskia Salembier) jouait également du violon pour les ritournelles de son air.
Quand à la taille du théorbe de Nicolas Achten, c'est toujours un sujet d'émerveillement qu'il arrive à chanter tout en maniant ce machin gigantesque !

2. Le mercredi 21 octobre 2015 à , par David Le Marrec

Bonsoir Paulette,

Vu le prix du programme, c'est bien le moins ! Étrange tout de même qu'il n'y ait aucune indication nulle part, même dans la brochure officielle ou sur le site de l'ensemble – il est vrai que la distribution change d'une ville à l'autre, mais tout de même…

Merci d'avoir permis de les créditer !

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