Jean-Jacques Rousseau compositeur
Par DavidLeMarrec, samedi 1 juillet 2006 à :: Opéra-comique (et opérette) :: #292 :: rss
Une question tout récemment posée : qu'est-ce que cela vaut ?
Jean-Jacques Rousseau a activement participé à la Querelle des Bouffons. En 1752, alors que la tragédie lyrique n'avait plus de modèle fixe (on approche de la fin), une troupe d'Italiens est venue représenter à Paris, parmi d'autres titres, La Serva Padrona de Pergolesi.
Entre les tenants de la tradition française (d'abord une tragédie, avec de la musique) et ceux de la nouveauté italienne (farcie d'airs, reléguant texte et récitatifs au second plan) s'est élevée une dispute. Le camp français était composé des musiciens de métiers, et se réunissait près de la loge du Roi, tandis que les hommes de lettres qui n'entendaient pour la plupart strictement rien à la musique préféraient la chatoyance italienne et se plaçaient du côté du Coin de la Reine.
Les deux camps se sont entr'assasssinés à coups de pamphlets, jusqu'à ce que, sous le poids du scandale, la troupe italienne quitte Paris. Ce clivage est resté célèbre, et très présent dans les mémoires.
Jean-Jacques Rousseau était, bien qu'ayant reçu une éducation musicale, un homme de lettres, et bien logiquement se trouvait dans le camp des Italiens. Il a écrit des choses extrêmement vigoureuses contre la langue française en musique et le genre de la tragédie lyrique (qu'il est aisé de tourner en ridicule, tant le genre repose sur la convention).
Il a lui-même écrit pour l'opéra, on connaît bien Le Devin du village, un petit conte simpliste au livret très mince (l'argument tient en une phrase : le devin enlève le doute réciproque aux amants) [1] et à la musique à l'avenant ; une oeuvre qui a très mauvaise réputation, sans doute parce que l'on attend plus de génie structurel de la part de l'auteur du Contrat social.
Pourtant, si on la considère pour ce qu'elle est, l'oeuvre n'est pas indigne dans le cadre des opéras-comiques de son temps. Une musique extrêmement simple (encore plus que les Gluck comiques ou les Grétry !), un texte très naïf. Le but était vraiment de plaire par la naïveté, la moralité, les bons sentiments : on attendrissait surtout. C'était le fond de commerce de Charles-Simon Favart (qui donne son nom à la salle de l'Opéra-Comique) : un monde paysan où le parler de cour est légèrement retouché, avec quelques formulettes prétendument populaires, et une candeur de moeurs confondante, qui prétend distraire plus que rendre admiratif. On trouve ainsi Comment l'esprit vient aux filles (par l'amour évidemment, avec des ruses aussi efficaces qu'inoffensives).
Pour un genre sans prétention, le pari est à mon goût assez réussi. Evidemment, ce n'est pas impérissable et on peut préférer Grétry ou Boïeldieu. Mais c'est, dans le domaine qui est le sien, tout à fait convaincant.
Attention, prévenons : l'harmonie ne dépasse jamais le 2-5-1, les rythmes sont de quatre croches la mesure, la mélodie faite d'accords de sixtes conjoints, et on frôle dans les moments les plus audacieux les deux modulations l'heure. Le propos n'est pas de fournir une oeuvre innovante ou même intéressante musicalement. C'est un petit spectacle rafraîchissant, disons.
Il existe deux versions du Devin du Village :
Louis de Froment (1956)
Colette : Janine Micheau
Colin : Nicolai Gedda
Le Devin : Michel Roux
Orchestre de Chambre Louis de Froment
Choeur Raymond Saint Paul
EMI, studio
René Clemencic (1991)
Colette : Eva Kirchner
Colin : Thomas Müller de Vries
Le Devin : Dongkyu Choy
Alpe Adria Ensemble
Nuova Era, sur le vif
Durée approximative de l'oeuvre : 50 minutes.
Mise à jour, 24 décembre 2007 :
Pour écouter l'oeuvre, on peut se reporter à notre page de téléchargement (version Froment).
Dans le même goût d'oeuvre brévissime et candide, CSS recommande plutôt Les Troqueurs de Dauvergne, avec sa musique encore ramiste et son allant délicieux. (Très roborative version Christie avec la Capella Coloniensis en grand éveil et Rivenq, Salzmann, Marin-Degor, Saint-Palais.)
Dans les deux cas, longue réjouissance finale à la manière ramiste (un grand ballet avec ariettes).
Car malgré son appartenance au coin de la Reine (du côté des Italiens dans la Querelle des Bouffons), Rousseau produit une oeuvre harmoniquement, librettistiquement et structurellement française. [2] Evidemment, le charme de la musique badine y prime sur la manière déclamatoire de la tragédie lyrique - mais pour le registre de l'opéra comique (même s'il y a ici absence de dialogues), nous demeurons parfaitement dans le ton. L'oeuvre ne démérite pas au demeurant par rapport à la manière Grétry.
(fin de la mise à jour)
Notez bien que Rousseau n'a, très logiquement, pas écrit de poèmes dramatiques pour la tragédie lyrique, il s'agit de Jean-Baptiste Rousseau (notamment l'auteur du livret du Vénus & Adonis d'Henri Desmarest).
Annexes
Qu'est-ce que le genre opéra comique ?
Pour en savoir plus sur l'opéra comique.
Commentaires sur d'autres opéras comiques :
- Le Calife de Bagdad de François Adrien Boïeldieu ;
- Joseph en Egypte d'Etienne Nicolas Méhul.
Notes
[1] On rapproche très souvent son sujet de Bastien et Bastienne de Mozart.
[2] Comment ne pas songer ici à Liszt qui, se décrivant comme « le plus tzigane du royaume de Hongrie » a composé de façon cocasse, dans sa Deuxième Rhapsodie Hongroise, où il n’emprunte aucun thème répertorié, un matériau qui rappelle plutôt le folklore… roumain.
Commentaires
1. Le mercredi 5 juillet 2006 à , par Bra :: site
2. Le mercredi 5 juillet 2006 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 2 août 2006 à , par Sylvie Eusèbe
4. Le mercredi 2 août 2006 à , par DavidLeMarrec
5. Le mercredi 2 août 2006 à , par Sylvie Eusèbe
6. Le mercredi 2 août 2006 à , par DavidLeMarrec
7. Le mercredi 2 août 2006 à , par Sylvie Eusèbe
8. Le mercredi 2 août 2006 à , par DavidLeMarrec
9. Le mercredi 2 août 2006 à , par Sylvie Eusèbe
10. Le mercredi 2 août 2006 à , par DavidLeMarrec
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