Carnets sur sol

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Koechlin au concert, Koechlin en vidéo

Soirée musicale hier, dans le grand hangar bordelais (ancien palais des sports reconverti en salle pour concerts classiques). Le programme avait tout pour faire déplacer les lutins :

  • Charles KOECHLIN
    • Vers la voûte étoilée Op.129, nocturne pour orchestre dédié à la mémoire de Camille Flammarion.
  • Richard WAGNER
    • Wesendonck-Lieder
  • Olivier MESSIAN
    • Les Offrandes oubliées, méditation symphonique
  • Richard WAGNER
    • Prélude de Tristan und Isolde
    • Mort d'Isolde (chantée)
  • Interprètes : Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Kwame Ryan ; Jeanne-Michèle Charbonnet (soprano dramatique).


Original, et distribué pour un orchestre pléthorique, ce qui peut procurer un impact physique significatif qu'on ne rencontre pas au disque.


Un regard vers la voûte étoilée - en la cathédrale de Burgos, prodigue de ce genre de structures fastueuses.


Pour fêter l'événement, une longue vidéo intégrale d'un inédit de Koechlin, donné par un grand orchestre, figure en fin de notule.

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Moi, moi, et moi !

Le remplissage tout relatif nous a permis de réserver, le soir même, un premier rang pour six euros, et d'y faire descendre nos deux nos compères gênés, depuis leurs gradins chèrement réservés, par la dispersion sonore et la réverbération catastrophique de cette salle.
On se situait donc à deux pas de Jérôme Varnier, actuellement Sénèque dans l'Incoronazione di Poppea. Un chanteur venu écouter du Koechlin, voilà qui est plaisant ; à moins que, vu ses goûts, il n'ait plutôt été mis en appétit par le Wagner, ce qui serait sensiblement moins original, à défaut d'être infamant.

En plus des oeuvres retenues, il faut féliciter la direction pour la distribution gratuite de superbes programmes de salle contenant jusqu'à la version bilingue des poèmes de Mathilde Wesendonck.

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Koechlin et Messiaen

Très beau programme lié par un certain idéal, sans doute, du raffinement orchestral et une thématique globale de l'élévation (encore que ce soit moins sensible dans les poèmes de Mathilde).

Le poème symphonique de Koechlin peut paraître un peu vain pour ceux qui connaissent incomplètement le compositeur. Pour les lutins eux-mêmes, les préventions contre la splendeur un peu trop avenante de Koechlin n'a été vaincue qu'en biaisant par la musique de chambre et dans une moindre mesure les mélodies, lieux où se trouvent ses plus grands chefs-d'oeuvre - en particulier le Quintette pour piano et cordes, peut-être l'oeuvre la plus géniale jamais écrite en musique de chambre si l'on excepte le genre du quatuor.

En réalité, une fois qu'on s'est plongé dans les Heures Persanes au piano, par exemple, on retrouve ici bien des merveilles déjà connues. Le thématisme, bien réel, se résume à un flux continu, fortement cursif, qui semble ne pas connaître de pauses ni de fin, avec une couleur mélodique et harmonique immédiatement reconnaissable, plus typée encore que du Debussy ou du Ravel. Plusieurs strates (assez debussystes) bougent simultanément dans une espèce d'ivresse collective. Au total, cet élan sans but a quelque chose d'un statisme mouvant, d'un tableau en perpétuelle recomposition. Avec une impression sonore tout à fait voluptueuse.
Ce n'est clairement ni l'oeuvre la plus originale ni l'oeuvre la plus inspirée de Koechlin, mais qu'opposer à la beauté alliée à la rareté ?

Côté réalisation sonore, la justesse relative du début de la pièce aux alti et aux violons s'est peu à peu régulée, on a même pu remarquer que les coups d'archets avaient été harmonisés, chose qui n'est pas systématique à Bordeaux, certains tirant tandis que d'autres poussent, ou bien usant de longueurs de crin fort disparates. Dans ces conditions acoustiques sonores, avec ce chef et cet orchestre, le résultat n'était pas franchement somptueux (les flûtes en particulier ont toujours un bruit de souffle assez disgracieux - et, quitte à dénoncer, le quatrième rang des violons faisant semblant de vibrer, mais ne vibrait pas), mais le mérite de mettre en place une pièce rare et difficile, qui sollicitait les pupitres sur leurs points de faiblesse (suraigu hésitant des cordes, pas très juste chez les violons, râpeux chez les violoncelles), demeure tout à fait réel.
Tandis que la salle applaudissait très tièdement, on a, pour ménager les chances de Koechlin et le goût du risque des orchestres (car, en vérité je vous le dis, il n'y a pas de petite contribution), risqué une brève acclamation, sans doute plus de bonne volonté que convaincue, puisqu'elle a fait se retourner quelques instrumentistes manifestement incrédules sur les mérites de leur bravoure orchestrale.

Le couplage avec Messiaen était judicieux, les deux pièces partageant largement des caractères communs. Les Offrandes oubliées s'organisent en trois sections closes, avec un esprit de contemplation, d'élévation et une exploitation du suraigu des cordes qui peuvent à bon droit être comparés à la Voûte étoilée.
La comparaison est féconde car Messiaen, en écrivant là sa première oeuvre orchestrale de la maturité (1930), 7 ans après le poème symphonique de Koechlin, dans un langage très proche de celui retenu par la postérité, et bien que de 41 ans son cadet, écrit une oeuvre dont la modernité harmonique, n'est, en comparaison, pas spécialement édifiante.
Par ailleurs, on y trouve les fameux aplats de couleur froide, et une orchestration assez largement par pans (sans parler de la troisième section aux cordes aiguës seules). C'est un problème de la musique du vingtième siècle : à force de refuser le discours traditionnel, elle peut finir par abandonner toute narration sonore (il n'est pas question de figuralisme, entendons-nous bien, simplement de direction du discours musical), si bien que l'immobilité abstraite, la contemplation hédoniste sans autre objet qu'elle-même peuvent triompher de tout élan. C'est ici en partie le cas, et malgré sa grande beauté, le discours musical de Messiaen a quelque chose de tétanisé, comme s'il reproduisait à l'infini une seule (superbe) idée, sans avoir les ressources pour se développer, miroiter, évoluer.
Ce n'est pas le projet de Messiaen évidemment, mais la contemplation uniforme, en concert, de cette musique par couches temporelles successives nous produit toujours le même effet : c'est magnifique, mais cela mérite-t-il d'être répété à travers des réécoutes ou bien d'autres oeuvres ? Un peu comme si, une fois entendue L'Ascension, on pouvait durablement se consacrer à autre chose - le Christ est passé, on l'a admiré, il ne reviendra plus avant un moment, vaquons.

Musicalement, le rendu est plus homogène et maîtrisé. Dans ces deux pièces, il faut saluer les belles couleurs chaudes et pudiques de cors valeureux et exacts.

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L'horrible Richard Wagner

Le public s'était de toute évidence déplacé pour Wagner. Et Jeanne-Michèle Charbonnet a été la seule a avoir été chaleureusement applaudie.

Les Wesendonck ne sont pas précisément des oeuvres qui fascinent les lutins, et ce n'est pas forcément à cause des jolies images un peu lourdes de la poésie de Mathilde. Cette musique est corsetée pour du Wagner, elle sent l'expérimentation par tout à fait aboutie. De surcroît, l'orchestration de Felix Mottl et son exécution (contrairement à ce qu'avait prévu Wagner pour Träume, pour un orchestre de chambre sous la fenêtre de Mathilde) par un large orchestre a quelque chose, dans une salle de concert, d'un peu pâteux. Tout est donc un peu gourd dans cet ensemble.

Jeanne-Michèle Charbonnet y fait entendre sa voix habituelle : volume important, projection moyenne, pâte vocale un peu épaisse, d'une couleur assez uniforme, diction très floue - et même, en l'occurrence, assez en bouillie. On la sentait assez en peine sur la caractérisation.

Par ailleurs, l'orchestre, jouant de façon fort épaisse, selon la manière que Kwame Ryan adopte habituellement [1], ne parvenait pas à ménager des piani (les extinctions aux bois étaient douloureuses), et ânonnait même les groupes de six de Träume, comme le ferait un pianiste débutant qui au lieu d'accentuer la première note de chaque ensemble, martèlerait uniformément chaque note marquée. Le fait que dans une oeuvre aussi célèbre le chef n'ait pas insisté sur l'articulation correcte de ce motif rythmique qui parcourt tout le dernier lied du cycle laisse rêveur. Ou plutôt plonge dans une profonde incompréhension : que peut-il bien se passer ?

Le Prélude de Tristan souffrait sans doute d'une trop grande concurrence au disque : cette lecture paraissait cursive, sans mystère, très défavorisée par l'acoustique horrible du béton qui laisse se perdre le son et qui renvoie des harmoniques agressives et déformées, un peu comme l'écho que l'on entend et le flou qui prédomine en écoutant un enregistrement compressé à 32 kbps (écoutez les archives du site de France Musique[s] et vous comprendrez ce que l'on endure). Placés en face des violoncelles à droite du chef (et du fait aussi de l'avance légère que les instruments graves prennent pour compenser les inégalités de propagation du son), on n'entendait que plus nettement le décalage du pizzicato qui ouvre la voie aux ardeurs du prélude, parmi quelques autres moments difficiles. Une absente de vibrato, ou bien une version pour orchestre de chambre aurait peut-être permis de mieux goûter les voix intermédiaires, noyées dans un halo sonore pas spécialement réussi et, on l'a dit, pas uniquement imputable à l'orchestre - qui produit cependant infiniment mieux les jours de grande motivation, avec des chefs comme Max Pommer, George Cleve, Günther Neuhold ou Klaus Weise.

La bonne idée était de remobiliser Jeanne-Michèle Charbonnet pour ne pas donner cette horrible version tronquée d'un extrait qui n'est de toute façon pas le plus essentiel de Tristan, surtout ainsi dépareillé. Sa mort d'amour, chantée sans pupitre cette fois (et pour cause, elle a beaucoup chanté le rôle, y compris dans la célèbre version Jordan / Py de Genève), la révèle bien plus glorieuse vocalement, luttant vaillamment avec l'orchestre, et pourvue de mots, avec sobriété mais sans effacement inexpressif.

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Vous reprendrez bien un peu de chef-d'oeuvre ?

L'essentiel, quoiqu'on s'y soit arrêté tant qu'à faire, n'étant pas de ratiociner sur l'investissement de l'ONBA ce soir-là (en plus, on a sincèrement horreur de dire de vilaines choses sur des gens en train de faire leur métier), ni d'égrener des comparaisons philoglottiques à n'en plus finir, était plutôt de signaler la viabilité de ce type de concert ambitieux, leur existence même en province avec des orchestres plus limités techniquement, et de dire un mot des oeuvres, puisque, faute de temps disponible (les heures ne faisant malheureusement que rarement soixante-dix minutes, et encore est-ce dans ce cas-là fort mauvais signe), on aborde assez irrégulièrement le répertoire purement orchestral sur CSS.


Une autre des voûtes étoilées de la cathédrale de Burgos, en l'occurrence l'insolente coupole sur trompes ajourée au transept de la cathédrale - en introduction d'un autre bijou de Koechlin.


Les oeuvres rapidement évoquées, il ne nous reste plus qu'à tenir notre promesse : voici donc une vidéo d'une oeuvre jusqu'alors inédite de Koechlin (Offrande musicale sur le nom de Bach, Op.187), de vastes variations pour orchestre pléthorique sur le méchant motif B.A.C.H., mais avec cette mobilité infinie de plans stables, avec ces superbes couleurs mélodiques et harmoniques qui caractérisent cette période, cette esthétique et plus particulièrement ce compositeur.
D'un sinistre borborygme, Koechlin fait jaillir un contrepoint perpétuel et très généreux.

Un peu austère sans doute, il semble vraiment penser l'exercice comme du Bach, mais du Bach avec de la vraie harmonie XXe, qui tire sur des couleurs plus propres à Berg et Hindemith, de façon plutôt délectable. Certes, cela ne mène nulle part, juste une rêverie harmonique, contrapuntique et orchestrale en rond autour du petit motif. Et qui a beaucoup de charme (l'entrée de la trompette dans le duo Martenot / orgue est d'une rare grâce).

Chef-d'oeuvre est peut-être un mot un peu grand, mais très belle oeuvre, assurément. Tout en se rappelant que le meilleur Koechlin est ailleurs.

Notes

[1] Etrangement, le disque de la Neuvième de Schubert l'ONBA révèle un équilibre formidable, guère retrouvé en salle avant ou après... Encore une question de motivation, très irrégulière, de l'orchestre ?


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Commentaires

1. Le mercredi 17 juin 2009 à , par aymeric :: site

Koechlin - très peu joué, non ? - je l'ai découvert récemment et ne sais donc pas encore si la très grande affection que j'ai pour lui tient plus du charme de la nouveauté que d'affinités plus profondes.
La deuxième possibilité n'est après tout pas impossible ; j'ai constaté que l'esthétique - très vingtième siècle donc - des strates d'aplats avait facilement mes faveurs.



2. Le mercredi 17 juin 2009 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Aymeric !

Oui, Koechlin est assez peu (très peu) joué, mais depuis quelques années il est beaucoup enregistré, et on commence petit à petit à en entendre en concert. L'an dernier, j'en ai eu dans un récital de mélodies (Piau / Manoff) sans me déplacer de Bordeaux.

Mais effectivement, il reste de la marge avant qu'on en entende plusieurs fois par saison, même dans les grandes capitales culturelles.

3. Le samedi 10 octobre 2009 à , par Mreg

A Paris, on en est plutôt à entendre Charles Koechlin plusieurs fois par décennie!

4. Le dimanche 1 janvier 2012 à , par Yann (Espace Graphique) :: site

Je découvre les photos de ce lieu fantastique.

Je me suis permis d'illustrer mon site botanique par un lien vers cette page :

Ficaire fausse renoncule


Le but étant d'illustrer une réalisation extraordinaire sur l'octagramme.

5. Le mercredi 4 janvier 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Yann,

Merci pour cette mention ! Très beau site que je découvre au passage, vraiment précis, accessible et très esthétique.

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