Carnets sur sol

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Les catégories de ténors et leurs enjeux.

Les ténors, une tentative de classification. Un truc casse-figure pas possible.

La seconde partie de cette aventure ténorine a de la même façon été réalisée sur demande.


VOICI, comme promis, le second volet de cette visite de l’univers ténorin.

Du plus grave au plus aigu, du plus sombre au plus clair.

L’étendue est constituée par l’ensemble des notes que le chanteur peut atteindre. La tessiture est la zone de l’étendue où il se déplace avec le plus d’aisance.
L’ut 3 est le do central d’un clavier de piano (classification française). Pour repère, les voix de basse sont comprises entre l’ut1 et le fa3, de baryton entre le sol1 et le sol3, de soprane entre le si bémol 2 et le mi bémol 5.


Les catégories qui suivent sont extrêmement fluctuantes selon les ouvrages. On a essayé d’en retenir le maximum, en en présentant les traits communéments admis et en précisant à l’intérieur de chaque type ceux qui sont plutôt des sous-catégories. Mais on aurait pu dédoubler Heldentenor et ténor héroïque, ce n’est pas exactement la même chose, comme expliqué dans la rubrique.
Il y a aussi les catégories trop précises, tel "di forza" (comme Mario Del Monaco), qui ne correspondent pas réellement à un réseau de rôles, ou à un nombre trop réduit parfois.
Le "fort ténor", qui se veut l’analogie du ténor "di forza", est en fait un type historique de voix, (comme Georges Thill, Guy Chauvet ou, hors de l’époque, Gösta Winbergh) qui a eu cours en France, et qui permettait de chanter des rôles lyriques lourds, des rôles dramatiques, des rôles héroïques. Un baryton dramatique aux grands moyens (pouvant chanter plus lourd) mais avec des possibilités d’expression (pouvant chanter plus léger) ; ce n’est donc pas une catégorie vocale précise - mais plutôt l’expression de moyens vocaux.

On a cherché, plutôt que de multiplier les exemples, à utiliser ceux qui semblaient les moins ambigus. On a aussi évité de citer des oeuvres trop rares - d’où l’absence notable de vingtième siècle dans les rôles.


BARYTON-MARTIN
 : Ténor doté d’un cerveau, dit-on. Baryton à la voix claire, à l’aigu développé. Tire son nom du chanteur qui a "créé" la catégorie. On y trouve parfois des "ténors paresseux", comme Jacques Jansen. Rôles les plus célèbres : Pelléas, Danilo de La veuve joyeuse (Lehár).
Etendue : la 1-si bémol 3.


TAILLE
 : Voix de ténor grave spécifique au baroque français. Employé dans les choeurs ou comme soliste dans les oeuvres liturgiques. Sonorité douce et caressante.
Exemples de rôles :
=> "Laudate nomen ejus" dans Jubilate deo omnis terram, Grand Motet de Michel-Richard De Lalande.
=> La partie de ténor du Messiah de Haendel s’en rapproche fortement.
Exemples d’interprètes :
=> Ian Honeyman.


HELDENTENOR ou TENOR HEROÏQUE
 : Voix de ténor destinée à chanter les rôles les plus lourds chez Wagner (Tristan et Siegfried principalement). Par extension, on l’applique parfois un peu abusivement à l’ensemble des premiers rôles ténor wagnériens. La confusion est entretenue par les interprètes qui ont chanté à la fois les deux types de rôles, tel Wolfgang Windgassen.
La couleur en est généralement sombre, assez barytonnante (Ramón Vinay a fini en Iago d’Otello de Verdi !), la puissance très grande, et le timbre pas toujours beau. C’est un répertoire assez exclusif - le chanteur détimbre facilement dans le répertoire plus léger. Le contre-ut est nécessaire, mais souvent crié...
On parle de ténor héroïque pour des rôles très lourds, essentiellement français (Enée des Troyens de Berlioz), souvent inspirés par l’esthétique wagnérienne (Samson chez Saint-Saëns).
Etendue : ut2-ut4. Tessiture très longue, toute l’étendue doit être maîtrisée.
Exemples de rôles :
=> cf. notice ci-dessus. Otello de Verdi.
Exemples d’interprètes :
=> Lauritz Melchior, Max Lorenz, Wolfgang Windgassen, Hans Hopf. On se plaint souvent de la disparition de cette catégorie, aussi les rôles sont souvent tenus par des ténors dramatiques lourds (Siegfried Jerusalem, Ben Heppner, Robert Dean Smith). Les quelques représentants actuels sont souvent très spécialisés dans ces quelques rôles (Christian Frantz). Le timbre est alors souvent ingrat.


TENOR DRAMATIQUE
 : Voix de ténor sombre. Destiné à des rôles plutôt lourds, avec des épanchements lyriques cependant.
Etendue : ut2-ut4. Tessiture centrale.
Exemples de rôle  :
=> Don Carlos de Verdi (lorsque chanté à la façon italienne, et non comme le grand lyrico-dramatique à la française originellement prévu).
=> Lohengrin ou Siegmund (Die Walküre) de Wagner.
Exemples d’interprètes :
=> James King
=> Jonas Kaufmann
=> Peter Seiffert
=> Mario Del Monaco


TENOR LYRIQUE
 : Voix plus légère, moins sombre, plus "pure", plus souple que le ténor dramatique. On lui réserve généralement des lignes mélodiques longues et flatteuses. Le ténor lyrique est en quelque sorte, dans l’imaginaire collectif, l’archétype du ténor. Variante : le lirico spinto est très utilisé par Verdi. C’est un ténor lyrique avec un très grand ambitus et des possibilités dramatiques. (comme Riccardo du Ballo in maschera).
Etendue : ut2-ut4. On lui requiert régulièrement le contre-ut (ut4) de poitrine. Tessiture un peu plus aiguë que le ténor dramatique.
Exemples de rôles :
=> Le duc de Mantoue dans le Rigoletto de Verdi.
=> Roméo dans Roméo et Juliette de Gounod
=> Gennaro dans Lucrezia Borgia de Donizetti
Exemples d’interprètes :
=> Alfredo Kraus
=> Luciano Pavarotti
=> Roberto Alagna
=> Marcelo Alvarez
=> Ramón Vargas


TENOR DEMI-CARACTERE
 : On y trouve bon nombre de rôles français moyennement lourds, on y utilise volontiers la voix mixte à partir du médium aigu - art du chant qui se pratique très peu désormais. Peut monter plus haut dans l’aigu, notamment en voix mixte.
Etendue : ut 2 - ut 4 .
Exemples de rôles :
=> Nadir dans les Pêcheurs de perles de Bizet.
=> George Brown dans La dame blanche de Boïeldieu.
=> Les premiers rôles dans les opéras-comiques d’Auber.
Exemples d’interprètes :
=> Alain Vanzo
=> John Aler
=> Rockwell Blake. La virtuosité n’entre pas, sans doute à tort, dans les classifications traditionnelles. On pourrait considérer que le ténor rossinien est un ténor demi-caractère musclé et très agile, parce que les rôles comiques sont plutôt des tenori di grazia agiles, et les rôles sérieux sont plutôt des ténors lyriques agiles. R.Blake est, lui, un ténor demi-caractère agile, et Chris Merritt, un ténor lyrico-dramatique agile !


TENORE DI GRAZIA
 : Format léger qui vise, comme l’indique son nom, à la séduction. Il se trouve chez Mozart et aussi dans le belcanto romantique (Nemorino de L’Elisir d’amore de Donizetti). La voix doit être assez souple.
Etendue : ut2-ut4. Tessiture assez réduite (sol2-la3).
Exemples de rôles :
=> Chez Mozart : Don Ottavio (Don Giovanni),
Exemples d’interprètes :
=> Tito Schipa
=> Léopold Simoneau
=> Stuart Borrows


TENOR LEGER
 :
Voix claire, plutôt réservée à l’Opéra-Comique, particulièrement dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis à l’opérette. Il peut user de voix de tête pour réaliser les aigus les plus périlleux.
Etendue : ut 2 à ut 4.
Exemples de rôles :
=> Zéphoris dans Si j’étais roi (Adam).
Exemples d’interprètes :
=> André Mallabrera
=> les ténors d’opérette


Attention !
On a parfois tendance à confondre ces trois catégories, qui sont il est vrai perméables. Luigi Alva est un ténor léger spécialisé dans les emplois di grazia (ce qui lui vaut d’être aujourd’hui largement contesté après des années de triomphe). Le ténor demi-caractère est si l’on veut l’avatar français du tenore di grazia, mais il est plus exigeant vocalement, et se rapproche souvent du ténor lyrique. Certains rôles sont des même des lyrico-dramatiques avec un brin d’esprit demi-caractère ; c’est le cas, typiquement, des rôles de Meyerbeer (Robert le diable, Raoul de Nangis, Jean de Leyde, Vasco de Gama), qui pouvaient être chantés en voix mixte ou en voix de poitrine - historiquement, Nourrit et Duprez les ont chantés avec succès.
Quant au ténor léger, il est parfois confondu avec les autres selon la lourdeur des rôles : Gérald de Lakmé (Delibes) est un léger plus lourd qu’un rôle d’opérette, et peut se rapprocher du demi-caractère. Il est souvent rattaché à des rôles de héros qui refusent radicalement l’héroïsme.


TENOR DE CARACTERE

Sa voix est souvent nasale ou peu vibrée, car il s’agit avant tout de dresser un portrait. Il s’agit de l’anti-ténor-héros, qui s’exprime parallèlement à l’action principale. La voix n’est pas conçue pour être belle, mais pour exprimer des affects, souvent comiques. On trouve parfois la classification de "ténor aigu", peu usitée, qui recoupe largement cette catégorie et celle du haute-contre (donc peu pertinente).
Etendue : ut 2 à ut 4
Exemples de rôles :
Courts mais très nombreux.
=> Monostatos dans Die Zauberflöte (Mozart)
=> Les trois valets dans Les Contes d’Hoffmann (Offenbach)
=> Le Tanzmeister (maître à danser) dans le Prologue d’Ariadne auf Naxos (R.Strauss)
=> Le Capitaine de Wozzeck (Berg)
Exemples d’interprètes :
=> Heinz Zednik, version lourde (peut chanter Loge ou Mime dans le Ring wagnérien) ; catégorie nasale
=> Michel Sénéchal, version lyrico-légère (a chanté Vincent de Mireille de Gounod, un rôle demi-caractère) ; catégorie nasale et peu de vibrato
=> Jean-Paul Fouchécourt, lyrico-léger également ; peu de vibrato


HAUTE-CONTRE

Ténor aigu qui était employé pour les héros de la tragédie lyrique (l’opéra baroque français). La voix en est claire, progressivement mixte en s’élevant, le ton doit en être à la fois vaillant et charmant, sans aucune violence. Il incarne le raffinement du genre et son goût du texte (par opposition aux infinies coloratures italiennes contemporaines), qui grâce à ce type de voix est d’une intellegibilité parfaite - les harmoniques graves parasites sont gommées par l’usage de la voix mixte.
La tessiture se situe assez haut, toujours dans le médium aigu, même si l’aigu n’est pas requis.
Exemples de rôles :
Tous les héros de la tragédie lyrique :
=> Lully : Cadmus, Atys, Phaëton, Roland, Persée, Renaud (Armide), Thésée...
=> Charpentier : Jason (Médée)
=> Desmarest : Enée (Didon)
=> Destouches : Agénor (Callirhoé)
=> Leclair : Glaucus (Scylla & Glaucus)
=> Boismortier : Don Quichotte (Don Quichotte chez la Duchesse)
=> Rameau : Dardanus, Zoroastre, Platée...
Exemples d’interprètes :
Ces chanteurs peuvent tous chanter des rôles de demi-caractère, de taille (moins exigeant), voire dans certains cas de lyrique.
=> Guy de Mey
=> Bruce Brewer
=> Howard Crook (l’exemple-type)
=> John Mark Ainsley (par ailleurs récitaliste de lieder, plutôt demi-caractère)
=> Gilles Ragon (peut chanter jusqu’au lyrico-dramatique)
=> Mark Padmore
=> Stephan van Dyck (autre exemple parfait)

A ne pas confondre :
Le CONTRE-TENOR n’a pas de lien avec le ténor. Ce terme signifie simplement que la voix se situe au-dessus du ténor. Il s’agit en réalité de falsettistes - certains préfèrent utiliser ce terme, plus explicite -, c’est-à-dire de chanteurs qui utilisent la voix de tête (le registre de fausset). Ils peuvent être ténors ou barytons, à l’origine ! Le contre-ténor n’est pas une catégorie en soi : il existe des contre-ténors alto et des contre-ténors soprano. On n’en rencontre pas en musique baroque française.
Exemples de rôles :
=> l’alto soliste du Messiah de Haendel (on en trouve en règle génrale beaucoup dans les oratorios et cantates baroques)
Exemples d’interprètes :
=> James Bowman (le premier à retravailler en tant que falsettiste)
=> Paul Esswood (alto)
=> Charles Brett
=> Andreas Scholl (alto)
=> David Daniels (alto)
=> Bejun Mehta (alto)
=> Brian Asawa
=> Philippe Jaroussky (soprano, qui s’essaie désormais à l’alto)
=> Un cas entretient la confusion : Gérard Lesne, un falsettiste autodidacte qui chante aussi bien des rôles de contre-ténor dans l’oratorio italien que des rôles de haute-contre dans les cantates françaises ! Il se dit haute-contre, sans doute pour des raisons de style, mais est vocalement à classer comme contre-ténor.
Autre piège :
Pour des raisons de publicité (faire comme les castrats) de vraisemblance (les femmes guerrières ne font pas recette), et aussi du fait de l’envie des contre-ténors célèbres d’élargir leur répertoire (très réduit, et équivalant à presque rien à l’opéra), on fait aujourd’hui tenir des rôles de castrats aux contre-ténors (comme les rôles-titre des opéras de Händel : Rinaldo, Giulio Cesare...), qui ont par ailleurs du mal à se faire entendre en salle.
En effet, ces rôles étaient conçus pour castrats alto ou voix de contralto féminin, interchangeables, et les contre-ténors de l’époque étaient réservés à la musique sacrée ou à de plus petits rôles. Ils ne sont donc pas des rôles de contre-ténors, même si ceux-ci peuvent être engagés pour les chanter de nos jours. La voix d’un contre-ténor n’a rien à voir avec celle d’un castrat - plus féminine, plus agile et plus puissante. Les contre-ténors n’étaient pas des falsettistes, d’où leur plus grande aisance.


A noter
 : on peut attribuer, on l’a vu, ces classifications à un rôle ou à un interprète. On remarque qu’il y a des mélanges. Ainsi, Don Basilio peut être interprété par des tenori di grazia ou des ténors de caractère (voire des ténors légers).
De même, sans dévoyer l’esprit de ses rôles, Gilles Ragon a chanté successivement Jason de la Médée de Charpentier, Platée de Rameau (rôles de haute-contre), Raoul des Huguenots de Meyerbeer (rôle lyrique lourd), Ferrando dans le Così fan tutte de Mozart (rôle di grazia), Thésée dans Les rois de Fénelon (rôle dramatique, voire héroïque), et va aborder Werther de Massenet (rôle lyrico-dramatique). On remarque qu’il a éprouvé des difficultés dans Ferrando (son rôle le plus "léger" hors répertoire baroque) et dans Raoul (seulement vocales et très acceptables), un format lourd pour lui. Alors qu’il a chanté avec plus d’aisance vocale des rôles plus légers, plus lourds et plus centraux que ceux-là.
Il y a aussi le cas de Nicolaï Gedda, qui a chanté dans toutes les langues et tous les styles. Il a ainsi abordé avec succès TOUTES les catégories solistes, heldentenor excepté : du ténor dramatique très lourd à la haute-contre, en passant par les grands lyriques, les ténors demi-caractère, di grazia, de caractère ou légers ! Et avec une bonne maîtrise des styles spécifiques.
Plácido Domingo pose un autre problème, puisqu’il a aussi abordé un répertoire allant du ténor héroïque (en studio) au tenore di grazia, mais toujours avec le même style de lirico-drammatico spinto...

Autant dire qu’il s’agit seulement de repères, bon nombre de rôles et d’interprètes se trouvant à cheval entre deux classifications (qui varient sensiblement d’un ouvrage à l’autre, d’une tradition à l’autre), et souvent en recouvrant plusieurs. On voit ainsi des mezzo-sopranes chanter Fidelio (soprane dramatique, Fidelio et Leonore de Beethoven) ou Isolde (soprane dramatique, Tristan und Isolde de Wagner), ou des sopranes chanter Oktavian (mezzo-soprane lyrique, Der Rosenkavalier de Richard Strauss).
Certains rôles, comme Dorabella ou Despina du Così fan tutte de Mozart, très hybrides, sont impossibles à classifier rigoureusement, en l’absence de telles distinctions à l’époque de la création. On les distribue soit à des sopranes demi-caractère (légères mais plus sombres), soit à des mezzo-sopranes assez légères (de Teresa Berganza à Angelika Kirchschlager) - hélas parfois aussi à des mezzo-sopranes aux moyens plus écrasants.
Et beaucoup d’interprètes varient au cours de leur carrière, tel Dietrich Fischer-Dieskau, qui de baryton aigu à ses débuts (1941-1950 - il chantait le Winterreise en tonalité originale !) est rapidement devenu baryton lyrique (1950-1975) pour finir baryton de caractère (1975-1992).

En réalité, pour être totalement pertinent, il faudrait subdiviser cette classification en écoles selon les nations chantantes et les époques. Là, on pourrait approcher une certaine pertinence.

Un autre sujet intéressant serait le rapport des compositeurs avec les ténors, et la place qu’ils occupent dans leur schéma vocal et dans leur dramaturgie - ou la façon qu’ils ont d’influencer leur écriture. Mais ce n'était pas le lieu sur Vocalises.net, plus focalisé sur la technique vocale et la pratique amateur.

David LM - subversifdupauvre


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Commentaires

1. Le jeudi 22 décembre 2005 à , par DavidLeMarrec

On notera que le rédacteur du billet a scandaleusement omis le cas unique de Mlle L***, ténor féminin de haute valeur.

2. Le vendredi 22 juin 2007 à , par Morloch

Dans ces classifications vocales auxquelles je ne comprends rien, je me demandais si la différence était grande entre le baryton Martin, (ténor à cerveau) et certains barytons verdiens à tessiture assez aigue comme le compte de Luna dans le Trouvère, Rigoletto ou Simon Boccanegra. Ce sont des barytons un peu stupides ?

(Ne pas rire d'une question très stupide assumée).

3. Le vendredi 22 juin 2007 à , par DavidLeMarrec

La différence est énorme.

Le baryton-Martin est un baryton qui dispose de beaucoup d'aigu, qui doit avoir un sol et un la, même un peu tendus, dans la voix. En théorie, l'extension doit pouvoir se faire jusqu'au si bémol 3. Le baryton-Martin n'a pas nécessairement moins de ressources dans le grave qu'un baryton standard, au demeurant. Bien entendu, même si Lohengrin culmine au la3, la tessiture serait un peu tendue (sans parler des questions de puissance et de couleur) pour un baryton-Martin.
Jusque là, c'est à peu près clair, je pense.

Ensuite, la petite explication de texte.
Je dis "ténor doté d'un cerveau" parce que les ténors ont la réputation (avec prudence, je ne me prononcerai pas sur sa validité) d'être plus séduits par leur propre son que par une quelconque idée de la musique (sans même parler du texte). C'est lié à un comportement du son pour le son chez certains interprètes, mais tout à fait favorisé par certains rôles... (et certain public...)
Or, le baryton-Martin est une catégorie rare qui sert souvent de fourre-tout aux professeurs de chant lorsqu'ils trouvent un élève avec de l'aigu mais pas suffisamment pour en faire un ténor - soit qu'il n'ait pas encore trouvé la clef, soit qu'il soit un baryton avec une facilité dans l'aigu. Une des règles absolues devrait être de ne jamais dire avant un délai très conséquent à un élève qu'il est baryton-Martin, surtout que personne ne semble trop savoir comment se manoeuvre cette barque.
Car la technique entre ténors et barytons est, étrangement, différente, alors que la nature étend une gamme de voix en continu, et pas selon les catégories qui ont été établies a posteriori... (Oui, l'histoire de la "technique unique" défendue par certains professeurs de chant d' "école italienne" est à la fois une tautologie et une vaste blague. Tautologie parce que certains éléments fondamentaux sont évidemment communs à tous les chanteurs ; vaste blague parce qu'il existe énormément de façons de produire de bons sons, et pas seulement ceux qui ressemblent à Alfredo Kraus et Juan Diego Flórez. Ecouter la différence entre des ténors italiens et des basses italiennes, des ténors italiens et des sopranos italiens, des barytons italiens et des barytons allemands, etc., en convaincra. Sans parler du travail unique de chaque individu : il faut savoir qu'aujourd'hui, en France comme en beaucoup d'autres endroits, on n'apprend quasiment plus que de la "technique italienne", qui devient un argument de vente. Pourtant, la différence d'approche entre Yann Beuron et Salvatore Licitra est, disons, relativement sensible.)
D'où ma proposition malicieuse pour le "ténor qui a peur de monter", qu'on classe souvent comme baryton-Martin, manière de ne pas trancher, comme "ténor doté d'un cerveau" (puisque doté des mêmes moyens, mais du "bon côté" de la barrière). Les saillies contre les ténors sont moins nombreuses, mais au moins aussi systématiques que celles contre les violonistes altistes, dans les chorales... Il faut dire que le nombre de ténors qui ne se trouvent pas et chantent les pupitres de basse ne fait rien pour freiner les jalousies. Il faut ajouter également que la nasalité comique de certains pupitres de ténors n'arrange rien à l'affaire.
Voilà pour l'explicitation. Il faut dire aussi que cette notule était une commande destinée à des amateurs avant tout de pratique lyrique (donc un public moins auditeur que celui, a priori, de CSS), qui connaissaient fort bien ce genre de tensions amicales. J'ai ensuite pensé que ce pouvait être utile sur CSS, et j'ai d'ailleurs une ébauche très avancée d'une classification des voix de baryton qui traîne depuis plus d'un an. (Je me tâte toujours pour les exemples, que je voudrais les plus incontestables possibles.)


Ensuite, le baryton-Verdi ?
Oh, c'est simple, ça n'a juste rien à voir.
Je fais un petit tableau et je reviens.

4. Le vendredi 22 juin 2007 à , par DavidLeMarrec


Baryton-Martin Baryton-Verdi
Etendue des rôles
sib1-la3
lab1-sol3
Couleur
claire, ténorisante
sombre (le son en est même dit "sombré) ; couleur très "virile", noire comme une basse
Caractère
doux, fragile, incertain
violent ou éclatant
Emplois
gentils un peu ambigus (Pelléas, Danilo...)
jaloux libidineux et ambitieux
Grave
peu sonore, impression de "plafonnement"
rocailleux, riche, sonore
Médium
confortable, souple, pas nécessairement homogène
toujours dense, très unifié, d'où l'impression "massive" de cette voix
Aigu
aisé ou tiré, selon les voix, potentiellement mixé ; favorise une expression tendre
ferme et éclatant, dense et sombre ; toujours émis en pleine de voix de poitrine. Doit être toujours parfaitement réalisé et glorieux.

Le baryton-Verdi, massif, sombre et éclatant, serait plutôt à rapprocher du baryton-basse, pour sa couleur, mais déplacé d'une tierce vers l'aigu.

Attention, les rôles les plus aigus dans Verdi ne sont pas considérés comme des barytons-Verdi : Renato du Bal Masqué est considéré comme un baryton-Martin (un peu exagérément, il s'agit bel et bien d'un baryton-Verdi peu exigeant en graves et un peu plus belcantiste dans son air d'entrée, à mon sens) et surtout Posa dans Don Carlo comme un authentique baryton lyrique (avec un véritable potentiel dramatique et à la fois une extension aiguë aisée). Ce dernier rôle est d'ailleurs chanté sans difficulté par des barytons lyriques, comme Peter Mattei ou le jeune Fischer-Dieskau. Cela s'explique par la nature française de l'opéra à sa conception, avec un format de baryton à la française italianisé. Oui, ça se complique dès qu'on veut prendre des cas précis... c'est bien cela qui me pose problème pour la note sur les barytons... Difficile de proposer quelque chose qui embrasse globalement l'ensemble.

Les barytons-Verdi les plus authentiques sont plus massifs qu'aigus : Rigoletto culmine au sol bémol, mais si l'on enlève toutes les contre-notes ajoutés par la tradition, il doit y en avoir deux en tout et pour tout dans l'oeuvre (Pietà, signori miei et No, lasciarmi non dei), et, ce qui est certain, pas de contre-sol ou contre-la bémol... C'est encore plus net pour Macbeth. Tu cites Luna, en effet assez aigu, mais qui ressortit en grande partie à la tradition belcantiste, légèrement revue dans ses moments les plus dramatiques par Verdi.

C'est toujours la difficulté dans ce genre de classification :
- les tessitures mixtes, soumises à différences influences ;
- les chanteurs qui, même pour les plus adéquats, ne coïncident jamais exactement ;
- la différence entre sens strict et sens large.

Pour ce dernier point, au sens large, on peut classer comme baryton-Verdi tous les barytons de type italien qui ne sont plus belcantistes, de Macbeth à Carlo Gérard (dans Andrea Chénier de Giordano). Au sens le plus strict, on peut le limiter aux rôles de la maturité de Verdi qui ne sont pas parasités par d'autres références, et qui demeurent bien centraux : Macbeth, Rigoletto, Vargas, Amonasro. A quoi peut bien servir une catégorie qui ne comprend que quatre rôles ? C'est comme le véritable Heldentenor qui se limite à Siegfried et Tristan. D'un autre côté, Luna et Parsifal ne sont pas, il est vrai, de même nature...

On en revient toujours là : ce sont des repères indicatifs, qui permettent de mieux comprendre les enjeux des problèmes de distribution, mais il ne sont en rien absolus.
On peut dire avec certitude que Pavarotti est un ténor lyrique et que Jon Vickers est un ténor dramatique. Ensuite, ça devient très vite plus difficile...
Donc mon propos est surtout de donner ces quelques indications pour avoir un début de repère - ça ne demande pas d'être religieusement appris et appliqué.

5. Le vendredi 22 juin 2007 à , par Morloch

Gulps !

J'avais compris pour l'humour anti-ténor.

Par contre le reste euh... bien, bien, heuuuu... c'est d'un niveau incroyable. Mais passionnant, une des choses les plus passionnantes que j'ai jamais vu sur le chant.

Je vais essayer de mieux comprendre avec des écoutes comparées, en tout cas merci, je ne m'attendais pas à une réponse aussi argumentée (et le conte de Luna non plus).

6. Le vendredi 22 juin 2007 à , par DavidLeMarrec

Tu as raison, c'est vrai que c'est touffu. Je vais essayer de faire plus simple, alors.

On dit que le baryton-Verdi a beaucoup d'aigu, mais c'est en réalité lié :
- à la tradition qui valorise l'aigu (tenus trois heures, ajoutés, etc.) ;
- à la façon très solide d'émettre les aigus.

Cette voix n'est pas particulièrement aiguë en elle-même. Mais son aigu est éclatant, sombré, émis en voix de poitrine.


Inversement, le baryton-Martin, lui, a une véritable extension dans l'aigu, mais il n'y a pas de réel modèle canonique pour son émission. On peut avoir un ténor qui ne force pas trop, un baryton qui émet en voix mixte, ou en pleine voix, c'est variable. Le son est beaucoup plus clair et doux.


C'est peut-être mieux comme cela ?

7. Le vendredi 22 juin 2007 à , par DavidLeMarrec

J'ajoute, tout bêtement, que le baryton-Martin ressortit à une tradition début de siècle (vingtième), particulièrement française, et que le baryton-Verdi s'applique à l'école italienne du milieu du XIXe...

Une chose amusante étant que, concernant le baryton-Verdi, contrairement à ce qu'on aurait pu penser sur la nature de la voix, la demande a créé l'offre. Si, si.

La catégorie baryton-Martin, elle, est juste mimétique du baryton Martin, qui avait une tessiture particulièrement large, et tout spécialement étendue dans l'aigu. On a créé la catégorie pour ceux qui lui ressemblaient...
Concernant Pelléas, c'est un sale tour de Debussy qui avait initialement pensé à le confier à un ténor...


Attention à ne pas confondre le baryton à la française, particulièrement aigu aussi, et le baryton-Martin, mais je ne vais pas embrouiller les choses tout de suite. :)

8. Le samedi 23 juin 2007 à , par Morloch

Merci pour les explications !

Le tableau est très clair, c'est tellement difficile de trouver des informations accessibles sur ces sujets, soit on tombe dans du technique pur, soit dans de la simplification sans intérêt.

Mais vraiment quelle classe sur CSS : à la fois brillant et pédagogique (et je suis confus devant la travail fourni pour une simple question, mais aussi impressionné que la réponse avec le tableau n'ait nécessité "qu'une" demi-heure pour sa rédaction ! ).

9. Le dimanche 14 août 2011 à , par Sandrine

Merci pour ce document sur le ténors.
Un cas m´intéresse, tres particulier certes, c´est celui de Chris Merritt qui peut ( ou pouvait , j´ignore s´il est encore en vie ou pas) descendre , même sur scene, beaucoup plus bas qu´un vrai ténor tout en montant haut dans les aigus de maniere brillante.
Personnellement, je le classerai comme baryténor, autant question tessiture que question timbre. Je ne sais pas comment était sa voix de départ ni dans quel répertoire il a surtout travaillé ( ténor, baryton ou les deux) mais en tout cas, ce qu´il fait est assez performant.

Baryton-Verdi , je l´entends comme un baryton central capable de bonnes assises dans le grave mais qui doit toutefois aussi avoir des aigus solides, je dirai au moins jusqu´au sol3. Il me semble que même le la est requis dans certains rôles verdiens.
Pour moi , l´un des plus grands barytons de cette catégorie est Ettore Bastianini.

Heldentenor, je crois, possede un timbre légerement plus sombre que ténor dramatique italien, non ? Peuvent-ils s´interchanger les répertoires Il faudrait que j´en réécoute quelques uns.

10. Le dimanche 14 août 2011 à , par DavidLeMarrec

Non seulement Chris Merritt est toujours en vie, mais il chante toujours. Le classement comme baryténor est commode, mais les baryténors historiques du début du XIXe avaient peu d'aigu (des sortes de Pelléas), alors que lui avait tout le suraigu qu'il voulait. Sinon, niveau couleur, oui, ça sonne baryténor.
Sa catégorie vocale a considérablement varié au fil des années, successivement :
=> ténor colorature grand format (Rossini sérieux) ;
=> ténor lyrico-dramatique (Arrigo chez Verdi) ;
=> ténor dramatique (Sigurd de Reyer) ;
=> ténor de caractère (Loge).

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D'accord sur la définition du baryton-Verdi : assez sombre, mais à l'aigu éclatant et solide. Le la 3 n'est jamais requis par Verdi (à vérifier dans Iago, qui n'est pas un baryton-Verdi de toute façon), et le sol 3 ne l'est que très exceptionnellement (dans des rôles qui ne sont pas des barytons-Verdi typiques, comme Renato).

Je ne trouve pas souvent Bastianini très intéressant dramatiquement, mais c'est assurément un modèle en termes d'émission.

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Heldentenor, c'est même beaucoup plus sombre. Pour prendre des exemples dans le répertoire italien, ce serait la différence entre Del Monaco (Helden) et Domingo (drammatico)...

Le ténor héroïque / Helden n'est jamais que le bout du spectre dramatique, de toute façon, donc chaque répertoire a les siens suivant jusqu'où il a poussé le curseur.

11. Le vendredi 19 août 2011 à , par Sandrine

Iago: si ce n´est point pour Baryton Verdi, pour quelle voix est-ce donc écrit ?
Le la3 a peut-être été requis par Verdi mais il arrive aussi que des chanteurs ajoutent des notes en ornementation alors qu´elles n´y étaient pas au départ.

12. Le dimanche 21 août 2011 à , par DavidLeMarrec

Je suis allé vérifier dans la partition, il y a bien un la 3 là où il m'avait semblé le voir, lors du toast de l'acte I. Au passage, les chanteurs intervertissent généralement tutoiement et vouvoiement (bevi => beva) pour pouvoir arriver à sortir la note.

Ce n'est pas un baryton-Verdi pour tout un tas de raisons : extension trop aiguë (le sol écrit pour un vrai baryton-Verdi, je ne suis même pas sûr d'en avoir vu, alors un ton de plus !), noirceur de timbre non requise, beaucoup de cantabile... Il faut que la voix claque, mais pas forcément qu'elle ait la large assise (un peu rauque) de Macbetto ou Rigoletto.

Ce peut être chanté, au choix, par un baryton dramatique (s'il a l'extension aiguë), au sens italien du terme : voix éclatante, mais moins centrale et dense qu'un baryton-Verdi. Un spinto, en somme.
Ou alors par un baryton de caractère : au moyen de sonorités pas toujours jolies, souvent un peu nasales, l'impact est suffisant dans les moments d'éclat, et la voix plus légère s'adapte mieux au rôle - beaucoup de moments à nu dans Iago.

Le vrai baryton-Verdi, c'est un peu comme le vrai Heldentenor ou le vrai contralto, si on se met à utiliser la définition stricte, le périmètre devient très limité : Macbetto, Miller, Rigoletto, Boccanegra, Carlo di Vargas et Amonasro, c'est tout.
Les autres sont des barytons belcantistes, des barytons à la française, des basses bouffe ou des barytons de caractère...

Cela dit, on peut quand même étendre la catégorie à Nabucco, Carlo (d'Ernani), Francesco Foscari, Stankar, Montfort et quelques autres : les profils vocaux qui ne sont pas à l'origine des barytons-Verdi, mais qu'il a quand même modifiés en ce sens. Mais Iago n'en est pas, rien à voir avec le type du baryton-Verdi.

Et on rencontrera la même difficulté de frontière pour ceux qui l'ont chanté : combien faut-il en avoir chanté, lesquels, et avec quelle adéquation pour qualifier un chanteur de baryton-Verdi. Sera-ce l'agenda scénique verdien d'un chanteur ou la nature de sa voix (même s'il ne chante pas Verdi) qui devra prévaloir ?

Pour ce qui est des notes ajoutées, oui, elles sont trop attendues par le public pour être supprimées, mais elles ne doivent pas être prises en compte au départ si on veut classer la typologie que définit la partition.

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Après toutes ces précisions, je dois peut-être dire que je ne suis pas du tout un maniaque des typologies : la question est très dfféconde, parce qu'elle fait s'en poser beaucoup d'autres, mais j'aime beaucoup entendre les rôles interprétés par des voix qui ne sont pas prévues pour, c'est très amusant - et finalement assez souvent plus intéressant...

J'essaie donc juste de donner des jalons pour vous indiquer ce que l'on place dans telle ou telle catégorie, mais ça reste purement de l'ordre de la convention, n'importe quel baryton pourrait par exemple, dans l'absolu, chanter Rigoletto. Ca paraîtrait étrange avec un timbre d'opérette ou avec une voix de baryton-basse wagnérien, mais ce serait tout à possible.

13. Le dimanche 20 août 2017 à , par Edgar

Bonjour,
Je cherche des informations sur un thème très spécialisé :
Quelles sont, statistiquement et ( si possible ? ) très exactement, les gammes vocales ( et/ou la tessiture, le timbre, le tempérament vocal... ) qui produisent les plus fortes catharsis émotionnelles ( pouvant aller parfois jusqu'au sanglot ! ) ?
Et, par ailleurs, connaissez-vous des études sérieuses faites sur ce sujet précis ?
Sinon, pourriez-vous m'orienter vers des auteurs spécialisés dans ce sujet ?
Merci par avance
Cordialement
Edgar

14. Le mardi 22 août 2017 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Edgar !

Évidemment, les réactions émotionnelles dépendent totalement de l'auditeur, de sa culture personnelle (la relation au texte, l'habitude au chant lyrique, éventuellement le placement dans la salle ou la qualité de la prise de son…), et ce qui émeut est souvent plutôt un mouvement mélodique, un changement harmonique, un effet dans la voix à ce moment précis qu'une question de hauteur des sons.

Cela dit, les effets acoustiques ne sont pas neutres. J'en vois de deux ordres.

♦ Dans le chant lyrique, il y a le cas particulier du matériau de la voix : le « formant », la structure des résonances, le réseau des harmoniques, permet d'intensifier les sons dans la zone la plus audible pour l'oreille humaine. De même pour la projection : les voix placées efficacement (et tout particulièrement celles les plus en avant du crâne) ont un impact très physique, indépendamment de leur volume en dB. Ça ne dépend pas de la hauteur, c'est vraiment lié au chanteur lui-même, et ça lui procure une relation physique directe avec le public qui est assez unique.

♦ Les zones les plus spectaculaires demeurent bien sûr les aigus (ré3-fa#3 pour les basses, mi3-la3 pour les barytons, sol3-ré4 pour les ténors), où la pression du souffle est supérieure, la projection aussi, ce qui crée un effet de tension, qui semble au bord de la rupture (alors que c'est l'endroit qui nécessite en réalité le plus grand contrôle vocal). C'est le paramètre exploité par les compositeurs romantiques, qui cherchent les franges pour cette raison.

Sur la matière scientifique des voix, la référence en français est Nicole Scotto Di Carlo, qui s'occupe de la mesure scientifique des voix lyriques au CNRS. Je ne crois pas qu'elle réponde spécifiquement à votre question (l'émotion est une notion trop floue), mais elle étudie le rapport entre les sons physiologiquement produits et leur réception, oui. Elle a mis à disposition un certain nombre de ses publications de vulgarisation en ligne.

J'espère avoir commencé à vous répondre. Bonnes recherches !

David

15. Le jeudi 21 septembre 2017 à , par Raymi

Bonjour,
j'ai vu vous aviez dit que pour "diagnostiquer" une voix comme Baryton-Martin, il fallait beaucoup de temps, de travail, etc...
Je vous explique :
À 20 ans, je fais du chant (sans professeur) sur scène en comédie musicale depuis plusieurs années déjà, j'ai une voix assez aigüe comparé aux autres (rôles comme Roméo dans la comédie musicale de Gérard Presgurvic, ou Marius dans Les Misérables).

Depuis plusieurs mois je me passionne pour le lyrique, et il se trouve que je connais un ténor répétiteur de l'Opéra Bastille, qui vient de déménager dans ma ville, qui a accepté de me donner des cours pour m'apprendre la technique lyrique.
Sauf que dès la première écoute de ma chanson "Seul devant ces tables vides" (je la chante en si mineur au lieu de La, je suis plus à l'aise ainsi) (si vous voulez m'entendre pour juger, j'ai un lien vidéo); il m'a de suite catégorisé en tant que "baryton-martin", alors que j'ai beaucoup plus d'aisance dans les aigus que dans les graves.

Dans les cours qui ont suivis, j'ai voulu travailler des airs de ténors qui me plaisent (comme La Fleur que tu m'avais jetée) et il me l'a fait travailler bien en-dessous de la tonalité de base, me disant que je devais former ma voix comme un baryton, et non comme un ténor.

Or, il me semble que bien des ténors ont commencé comme Baryton-Martin, non ?
Je souhaiterais à terme développer une voix de ténor, qui me semble plus "accessible" (bien que demandant beaucoup de travail) et non de baryton

Qu'en pensez-vous?
Cordialement

Raymi

16. Le jeudi 21 septembre 2017 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Raymi,

Tout d'abord, il faut dire qu'il est impossible de juger d'une voix sans l'avoir entendue… Un enregistrement n'est déjà qu'un reflet imparfait, et même en entendant en personne, on peut se tromper !

Il est à mon avis difficile d'établir des liens mécaniques entre les tessitures de comédie musicale et celles du lyrique, considérant que les techniques répondent à des injonctions très différentes. Mais si vous éprouvez le besoin de monter d'un ton Empty Chairs, oui, ça sent sérieusement le ténor, pour ne pas dire le ténor léger !

Je suis en effet très sceptique sur la catégorie baryton-Martin : elle est créée ad hoc, à partir du nom d'un chanteur précis, pour créer une case où l'on peut distribuer des barytons dans des tessitures de ténor ou remplacer des barytons aigus par des ténors (Pelléas, Mârouf), et, du côté du pédagogue, pour permettre de trouver un sens aux barytons très élancés ou aux ténors qui ne montent pas. Je ne dis pas que la catégorie n'existe pas, mais pour l'entendre dès le premier cours, sur une voix qui n'a pas été travaillée de façon lyrique, ça me paraît douteux.

Que votre professeur ait fait la fine bouche devant « La Fleur que tu m'avais jetée », rien d'étonnant, c'est un air qui demande beaucoup de maîtrise (tessiture longue, assez tendu autour du « passage », habitude d'y entendre des timbres sombres et des voix larges), de quoi accumuler les mauvais réflexes en commençant par là, même si vous avez, il est vrai, déjà de l'expérience en chant.

Ensuite, pour ce qui est de souhaiter être ténor… vous n'aurez pas vraiment le choix : les tessitures (en tout cas à partir du XIXe siècle, pour les périodes antérieures on peut éventuellement chanter la ligne d'au-dessus ou d'en-dessous) sont tellement exploitées à fond (pour créer cette impression de tension) que si vous n'êtes pas ténor (ça tient, pour faire vite, à la longueur des cordes vocales, qui ont des fréquences de vibration physiquement limitées, comme une corde de guitare…), il sera difficile de chanter dans cette tessiture. Il existe beaucoup de ténors qui chantent les barytons parce qu'ils n'arrivent pas à débloquer les aigus, mais dans le sens inverse, c'est plus difficile à atteindre.

Si vous êtes baryton, en principe il y a un peu de résonance grave dans votre voix (pas comme une basse profonde, mais une assise). Mais dans tous les cas, à mon humble avis, si vous parvenez d'emblée à tenir des tessitures de ténor, c'est que vous l'êtes. C'est une voix assez artificelle, vraiment bâtie au delà du point de bascule de l'émission, donc si vous êtes capable de le faire, il n'y a pas à tortiller… Le problème provient plutôt des élèves qui sont bloqués dans les aigus et dont on ne parvient pas bien à savoir si c'est un défaut technique ou une limitation intrinsèque de l'instrument. Si vous les avez, aucune raison de ne pas les utiliser.

Mais encore une fois, je ne vous ai pas entendu. Moi, j'aurais envie de dire que si vous n'envisagez pas la carrière, autant chanter ce qui vous fait plaisir (sans forcément commencer par les trucs inchantables qui font prendre de mauvaises postures, certes), quitte à vous rendre compte que les ténors ne sont pas pour vous. Il est toujours mieux de penser sa voix comme libre vers l'aigu, donc même si vous vous révélez baryton à terme, le travail d'aigus libres de ténor ne peut pas vous nuire (tant que vous ne forcez pas).

Vous pouvez aussi poser la question directement à votre professeur, ou en choisir un avec qui vous débattez de cela en amont : si vous donnez votre cahier des charges d'emblée (« peu importe si je le suis, je veux chanter les ténors »), il n'y aura pas de frictions ensuite.

Tout cela n'est, bien entendu, qu'une série d'hypothèses à partir de ce vous m'avez indiqué – et de mes compétences elles-mêmes limitées. Bonnes découvertes à vous !

David LM

17. Le jeudi 21 septembre 2017 à , par Bouquet

Bonsoir
Merci beaucoup de votre réponse, qui plus est très rapide.
En ce qui concerne l'air de Carmen, je l'adore, je n'avais pas demandé à mon professeur de la chanter dès le début, car je la savais extrêmement difficile et requérant beaucoup de maîtrise, mais c'est lui qui a insisté pour que je commence avec (il veut même me faire chanter e lucevan le stelle après l'air de la Fleur).

Et en réalité je connais un ancien ténor lyrique qui a fait pas mal de choeurs (dont France Musique), qui est un ami d'enfance de mon père, qui m'a beaucoup entendu chanter sur scène, et il affirme que je suis ténor, c'est pour cela qu'avec mon nouveau professeur j'ai été très étonné qu'il me fasse travailler d'emblée la technique de baryton.

Dans tous les cas, merci beaucoup de votre réponse, et un grand bravo pour votre site, que je consulte régulièrement tant il contient de réponses utiles à un novice comme moi.

18. Le jeudi 21 septembre 2017 à , par DavidLeMarrec

En ce qui concerne l'air de Carmen, je l'adore, je n'avais pas demandé à mon professeur de la chanter dès le début, car je la savais extrêmement difficile et requérant beaucoup de maîtrise, mais c'est lui qui a insisté pour que je commence avec (il veut même me faire chanter e lucevan le stelle après l'air de la Fleur).

Ça me paraît vraiment étrange – pourquoi faire chanter des airs de ténor pour former un baryton ? (surtout lorsqu'on débute et qu'on a forcément des gens dans l'oreille, sans avoir développé la familiarité de sa propre voix…)
Dans E lucevan le stelle, en plus, à part la montée sur « O dolci baci », il n'y a rien à travailler, tout est dans le grave, on ne peut le timbrer qu'avec la pratique du reste de la tessiture… C'est un air de concert, pas vraiment un air d'audition, et encore moins un air de travail, pour moi.
Mais c'est possiblement un excellent pédagogue qui fait des merveillesavec ces matières-premières, ou bien il a senti quelque chose qui vous convenait là-dedans, c'est possible aussi.

Cela dit, les fondements techniques sont les mêmes dans toutes les tessitures, mais si vous êtes vraiment ténor (ou voulez essayer cette tessiture de toute façon), travailler en baryton va vous insiter à élargir, tasser, voire boucher l'instrument, et vous rendre l'accès des aigus plus compliqué par la suite.
C'est dommage de ne pas vous donner la chance d'essayer, en tout cas.

Peut-être, sans remettre en cause son enseignement, pourriez-vous lui confier que vous aimeriez essayer les ténors, à tout prix ? Ou bien, si vous êtes dans un centre urbain suffisamment développé, prenez peut-être l'avis d'autres professeurs ? Le premier cours est souvent gratuit (et puis c'est un diagnostic qui vaut son prix, de toute façon).

Je suis très heureux que le site puisse répondre à certaines de vos questions ! Vous avez peut-être vu que les questions de technique vocale et de terminologie sont réunies dans l'index (très incomplet pour les autres sujets) ?

Bonnes aventures à vous !

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