Carnets sur sol

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mardi 12 décembre 2023

Scènes de fantômes – les Geisterszenen d'Anselm Hüttenbrenner


Le compositeur Anselm Hüttenbrenner est surtout resté, non pas célèbre, mais présent dans l'imaginaire des mélomanes un peu curieux de la biographie de leurs héros. Élève de Salieri, il est d'une part l'une des deux personnes présentes au chevet de Beethoven expirant ; d'autres part celui à qui Schubert confia sa Symphonie inachevée (qui, certes, n'avait pas alors la valeur qu'elle a prise aujourd'hui !), et dont le Requiem en ut mineur fut exécuté pour la mise en terre du même Schubert.

Sa musique cependant est fort peu pratiquée, et sa présence au disque est rare – au concert, elle est nulle. Je ne découvre sa musique que cette semaine, grâce à une recommandation spécifique de Gluckhand de l'excellent forum Classik. Et, de fait, quelle découverte !

Ce cycle de 1850 se situe à la croisée de plusieurs influences. On y entend des formules de follets déjà présentes dans le Freischütz de Weber, quelques cantilènes qui pourraient sortir de Norma de Bellini, au sein d'un langage très schumannien (qui évoque notamment la fièvre, le lyrisme, et la disparité de son des Kreisleriana). À l'écoute, la discontinuité des atmosphères et des effets pianistiques est telle qu'on a parfois l'impression d'écouter de la musique pour soutenir une déclamation parlée, comme cela se faisait à l'époque (une forme mélodrame). On alterne entre les ponctuations légères et les grandes mélodies douces, les traits virtuoses et l'homorythmie régulière. J'en trouve la matière musicale réellement marquante et intéressante – elle vaut largement celle des cycles de Schumann, pour ce qu'il m'en semble, car peut-être plus régulière dans la finition, la variété d'invention et, plus subjectivement, l'inspiration. C'est en tout cas assez comparable dans les couleurs harmoniques, les moyens pianistiques, la conception du cycle tout en ruptures…

Belle découverte, il a écrit 250 lieder (j'ai dû en entendre quelques-uns déjà), 300 chœurs a cappella, une grosse vingtaine de pièces religieuses et un peu de musique sacrée et six opéras – 3 œuvres comiques, un singspiel, une Lénore d'après Bürger, un Œdipe à Colone sur le livret utilisé par Sacchini en 1786 ! Et une musique de scène (chœur, piano, orchestre) pour Genoveva de Frey.

On n'a pas grand'chose au disque – des chœurs chez le même éditeur Helbling, sinon tout se trouve par bouts dans des couplages avec du piano ou des chœurs de Schubert chez Gramola, CPO, Hänssler… –, et même sur IMSLP le choix est très réduit. Mais je vais aller fouiner un peu, ce que j'ai entendu donne la mesure des moyens compositionnels du bonhomme.


mercredi 8 mars 2023

La Symphonie de la Tour Eiffel – Adolphe David


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En cherchant pour mon usage personnel des arrangements de symphonies, je tombe sur celle-ci au nom intriguant : Symphonie de la Tour Eiffel (1889).

L’œuvre, qui n'est pas vraiment une symphonie mais un enchaînement de climats visuels de vingt minutes sans interruption, s’avère délicieusement évocatrice, et pourrait à profit être mise à contribution par des pianistes pour compléter le programme de récitals accessibles et ludiques – il y a là assurément à la fois de quoi faire venir le public d’abord, et le contenter ensuite !

Fort de cette opinion, et faute de la moindre trace enregistrée de ses œuvres, j’ai donc enregistré mon déchiffrage pour vous le mettre à disposition. Ça vaut ce que ça vaut – mais c'est, tout à fait littéralement, mieux que rien.



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1. Forme

Il s’agit en réalité d’une suite d’épisodes brefs et enchaînés évocant, de façon tout à fait figuraliste, les différentes étapes de la construction du célèbre monument. Dans la tonalité générale de mi bémol mineur, elle reste dans un langage très conservateur mais module volontiers (= changement de hauteur de référence) d’un épisode à l’autre, pour renouveler la couleur du discours.

Apparemment, Adolphe David l’aurait envoyée à Gustave Eiffel tout en le félicitant. Je reste dubitatif sur le caractère de symphonie-symphonique : les traits en sont décidément très pianistiques, beaucoup de « vide » dans le spectre sonore mais des octaves à la main droite et à la main gauche, des arpèges et autres traits typiquements pensés pour le piano. S’agit-il d’une œuvre orchestrée à partir d’intuitions pianistiques, ou simplement d’une pièce pour piano désignée par un titre vendeur ? – « symphonie » serait alors à entendre au sens large d’« assemblage de notes qui fait du son ». IMSLP le classe comme symphonie transcrite, mais je n’ai pas pu trouver de trace de la partition complète ni d’exécution publique, et la nature même de la composition me laisse dubitatif.



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2. Contexte

Qui était donc Adolphe David ?

Je n’ai pu trouver que peu de chose sur lui. Son nom très commun formé de prénoms ne rend que plus difficile la rencontre d’informations spécifiques, en plus de sa très faible notoriété.

¶ Il ne faut pas confondre notre compositeur Adolphe David (1842-1897, né et mort à Paris) avec le sculpteur Adolphe David (1828-1895, né à Baugé en Anjou et mort à Paris).

¶ Il a été professeur au Conservatoire de Nancy, et on en trouve trace dans ses compositions (notamment pour ensemble de flûtes). Tout le monde le décrit comme très précoce et doué (recensions du Ménestrel, par exemple), mais il semble qu’il n’ait pas eu de vaste carrière en dehors de quelques pièces de type pantomime (La Statue du Commandeur, pantomime d’après don Juan ; L’Orage, monomime ; Pierrot surpris, ballet-pantomime). Pour ladite Statue, j’ai pu lire la partition, et il s’agit en réalité d’un mélodrame (paroles parlées sur un accompagnement de musique instrumentale), mais avec peu de texte et beaucoup de gestuelle. Bonne réception à l’époque, où l’on note – et c’est une constante chez lui – la facilité avec laquelle les mélodies coulent, sans que l’ensemble soit particulièrement saisissant.

¶ David est d’ailleurs essentiellement l’auteur, hors quelques pièces pour orchestre dont ferait partie cette Tour Eiffel, de pièces de caractère pour piano aux noms évocateurs : Boléro-fanfare, Sur la falaise, Mazurka des patineurs, Pompadour-mazurka, À toute bride, Mouche et bourdon, Marche japonaise, Le rémouleur, Marche chevaleresque, La fleur et l’oiseau, réveil de la danseuse, Ronde des mousquetaires, Menuet du Roy, Valse du vertige, Chant du forgeron, Le rêve de la marquise, etc.
    J’en ai joué quelques-unes, qui auraient pu revêtir un peu d’ambition (d’autant que les sous-titres « caprice mystique », ou « scène de ballet » pouvaient laisser supposer un peu de mise en scène), comme la Marche funèbre ou la Marche chevaleresque, mais les ressorts en sont en réalité assez plats : vraiment de la jolie musique de salon, plaisante et tout à fait inoffensive, avec des mélodies bien faites mais peu mémorables, sises sur des accompagnements tout à fait traditionnels. La Symphonie de la Tour Eiffel échappe vraiment à ce patron récurrent qui manque un peu d’ambition pour contenter nos oreilles – celles-ci ont désormais tout le catalogue mondial des meilleurs compositeurs à disposition.

¶ L’armateur, collectionneur et chroniqueur Paul Eudel, qui a co-fourni le livret de La Statue du Commandeur et de L’Orage, décrit, dans le volume 2 de son recueil d’impressions Un peu de tout, Adolphe David comme un « ami de Massenet ». Je ne sais à quel degré, c’est le seul volume qui ne soit pas disponible sur les bibliothèques en ligne. Je vais réserver un siège à la BNF pour aller enquêter et je reviendrai avec des informations supplémentaires.

¶ A. David était membre de la communauté juive parisienne, si j'en crois la relation du mariage de sa sœur Rose, « la charmante pianiste, sœur de l'habile compositeur M. Adolphe David » dans la revue L'Univers israélite : journal des principes conservateurs du judaïsme – par une société d'hommes de lettres (c'est le titre) dans sa livraison de 1832 (p.696), revue qui est publiée jusqu'à… 1939 (évidemment). Avec de longues interruptions au XIXe s., d'abord au format annuel puis au format bimensuel.

¶ C'était aussi et surtout un barreur amateur (je veux dire par là qu'il a au moins tenu une fois des rames dans ses mains) : le poète Armand Silvestre (souvent mis en musique par Fauré) rapporte, dans En pleine fantaisie – ouvrage qui sont un peu ses Essais, où il raconte plaisamment ses pensées sur le monde qui l'entoure – comment « Adolphe David, un compositeur qui sera célèbre demain, anxieusement assis à la barre, faisait son apprentissage de barreur » et comment « La yole légère aux flancs d'acajou filait entre deux lames d'argent, se croisant, en angle, à sa proue, souvent effleurée par l'aile penchante des voiliers. »
Voilà, je pense qu'il était important que vous le sachiez.



Je reprécise, avant que vous ne l'écoutiez, qu'il ne s'agit pas d'un produit fini mais de la captation de mon déchiffrage : le concept est de partager avec vous des partitions que je lis et qui ne sont pas documentées, absolument pas d'en proposer une interprétation convaincante ou même simplement décente.

(Ouvrez la vidéo dans une autre fenêtre ou en plein écran pour bien voir la partition à taille raisonnable.)





3. Œuvre

À présent que les présentations sont faites, je vous propose de nous lancer dans l’œuvre elle-même !

L’œuvre est dans la tonalité plutôt rare de mi bémol mineur (6 bémols à la clef).

Lento  – Arrivée des ingénieurs et des ouvriers au Champ de Mars.
Grandes octaves solennelles, le rituel, annoncé par quatre grands accords, peut commencer !

Moderato, lento, moderato – Commencement des travaux et fondation de la Tour.
Accords ternaires bondissants et ascendants, qui évoquent l’élévation. Tout finit par se bloquer dans un grandiose tutti à la mode mahlérienne.

Moderato e martellato –  Bruits de fer.
(Ut mineur.)
La meilleure trouvaille de la partition : sur des accords répétés (quelques pointés pour figurer les bruits de marteau), des basses en octave qui progressent par palier et évoquent la pesanteur de l’édifice et le gigantisme des travaux, très réussi.

Allegro et gaiement – Les travailleurs du fer.
(Ut majeur.)
Sorte de danse de salon, avec ses basses qui font ploum, son petit chant très conjoint (toutes les notes se suivent). Pour autant, des emprunts, des modulations (qui finit en ré bémol majeur), ce n’est pas purement une gamme plate.
À la fin, retour des accords ternaires pointés du commencement des travaux.

Allegro mouvementé  – Tumulte et trouble chez les ouvriers / Voix d’apaisement
(La bémol mineur. / Si majeur.)
Retour de basses détachées, avec des figures d’accompagnement agitées, de grandes descentes (pas trop inquiétantes tout de même, on n’est pas chez les sauvages, c’est la France ici), avant que l’arrive le thème tendre et providentiel, qui prend le plus de place dans toute cet épisode, celle de la « voix d’apaisement ». On entend bien le vieil ouvrier, ou le contremaître, qui dit aux autres : « quand même, la grandeur de la tâche avant tout », et qui d’un ton de sagesse ordonne la soumission aux pauvres gens qui le croient.
Dans la réalité, il y a bien eu deux séries de grèves chez les « voltigeurs » (les ouvriers chargés de l’assemblage), en septembre et décembre 1888. La seconde échoue, mais dans la première, Eiffel concède une augmentation. Les revendications portaient sur les horaires de travail (neuf heures par jour l’hiver et douze l’été) et sur les salaires (ils souhaitaient une indexation sur la hauteur, ce qui n’a pas été accordé). Ils étaient mieux payés que les ouvriers ordinaires, mais je ne mesure pas du tout le danger réel et les conditions de travail.
En tout cas, chez David, l’épisode est, pourrait-on dire, raconté du point de vue du patron, ce qui m’amuse beaucoup : les masses remuantes d’ouvriers enfin remises au juste labeur auquel elles appartiennent. Pas vraiment de compassion pour les conditions de travail – j’ignore comment ces grèves étaient perçues à l’époque – vues comme un caprice d’ouvriers privilégiés ou comme une réaction à des conditions d’excercice exceptionnellement périlleuses.
Seconde anecdote : il n’y eut aucun mort pendant les travaux, à l’exception d’un ouvrier qui était venu le dimanche montrer l’endroit à sa fiancée ; il a perdu l’équilibre et s’est écrasé au sol.
L’épisode se termine en arpèges ascendants de la basse, qui figurent, je suppose, la remise au travail.

Première montée.
De simples arpèges par palier (on reprend sur la deuxième note de l’arpège précédent), qui se posent sur de grands accords sereins débouchant sur la première plate-forme.

Andante cantabile  – Première plate forme (sic).
(Mi bémol majeur.)
Thème lyrique parsemé de petits arpèges descentants en appoggiature (ajoutés à la mesure). On se sent sur déjà les sommets. Ici aussi, cela module, jusqu’à ce qu’on entende une « cloche lointaine »).
Puis c’est la reprise des thèmes du début des travaux et du travail du fer.

Deuxième montée, la Tour s’élève.
Retour du pmotif de la première montée et autres accords sereins.

Andante cantabile – Plus haut le sommet !!!
Le thème de la première plate-forme est repris, mais accompagné par des triolets, plus animé. Il est ensuite superposé à des montées chromatiques persistantes qui aboutissent sur une nouvelle sonnerie de cloches. Ces épisodes récurrents rythment le morceau et le rendent, je trouve, assez aisé à suivre, et très graphique.

Moderato accelerando e crescendo jusqu’à la fin – La foule monte.
Je trouve ce moment incroyable : une longue pédale de sol (la note est maintenu pendant quasiment tout l’épisode) sur laquelle un motif à la fois ascendant et cahoteux s’accélère… je le trouve remarquablement visuel, on voit très bien la foule bigarrée, les jeunes qui sautent les marches les messieurs avec leur cane qui manquent de tomber, les femmes qui serrent contre elles leurs enfants, mais tous en grain de grimper le plus vite possible pour être les premiers à découvrir le monument. Vraiment drôle.

Lento et grandioso – Hymne au drapeau français.
(Ut majeur.)
Le tout se termine par un pompeux chant en grands accords pour célébrer la fierté nationale, avec un petit retour du motif du travail du fer, mais plus agité, en triolets, avant la fin triomphale.



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4. Bilan

20 minutes très amusantes, qui ne dépareraient pas dans un récital. Malgré tous les pains que j’ai faits (c’est du déchiffrage, mais j’ai quand même refait quelques prises pour que ce soit un peu plus probant), ce n’est pas une pièce si difficile (elle reste dans une norme pianistique assez courante et il n’y a pas des milliards de choses à chaque main), mais elle fait bel usage de tout le clavier, et par conséquent forte impression auprès d’un public.

Comme pièce divertissante (et qui ne coûterait pas cher à monter pour un bon pianiste), comme produit d’appel, ou de façon plus ambitieuse pour un récital thématique (couplée avec les fulgurantes Impressions urbaines d’Antoine Mariotte ?), ce serait vraiment un succès garanti. Le public n’attend pas nécessairement d’entendre les pièces les plus élaborées de l’histoire de l’humanité, il n’est pas interdit aussi de se faire plaisir avec quelque chose d’habilement fait et de divertissant.

J’espère en tout cas que le voyage vous aura amusé.

J’irai déchiffrer à mon piano La Statue du Commandeur, et peut-être l’enregistrer pour un prochain épisode s’il y a quelque chose à en tirer.

(Sinon, d'autres déchiffrages commentés nous attendent, de Dubois, Fourdrain, Salvayre… il me faut trouver le temps de faire la mise en forme et d'écrire les notules…)

mardi 1 novembre 2016

Beethoven – Intégrale des sonates pour piano – Stephen Kovacevich


J'ai toujours prisé cette intégrale, pour sa forme de juste mesure, pour son engagement permanent qui ne se départit pas d'un certain calme… Mais lors de cette dernière réécoute, j'entends d'autres détails : un soin très particulier accordé à la résonance (la pédale enrichit certains enchaînements un peu fades), des changements de couleur adroits lors des reprises, une capacité à créer le silence (avec des interruptions qui sonnent nécessaires plus que dramatiques), et par ailleurs une netteté et une fièvre assez hors du commun.
    Cela mériterait un relevé précis (déjà fait pour les 15 et 29…), mais c'est un peu long à mettre en forme, aussi je vous laisse tenter le jeu de piste par vous-même.

Je trouve que cette attitude, tournée vers la poésie sans verser dans la contemplation, sert en particulier les sonates les plus faibles – entre les premières et les dernières, j'en ressens beaucoup comme au milieu du gué, je veux dire s'affranchissant des normes classiques sublimées dans les premières, sans proposer un langage réellement nourrissant en échange. Autrement dit, alors que les premières rendent la forme classique très dense musicalement, les médianes changent la forme sans forcément y mettre la même hardiesse (ou du moins suffisamment pour remplir l'espace ouvert). Impression personnelle, il va sans dire, qui se corrigera peut-être au fil des années.

Je ne crois pas qu'on la trouve de nos jours, mais les sonates célèbres ont été régulièrement rééditées en collection économique. On peut les écouter gratuitement et légalement ici par exemple (ce ne sont pas les mêmes sélections selon les albums…).

On peut se consoler avec la centaine d'autres intégrales existantes, dont certaines de premier intérêt : je reviens souvent à Nat, Grinberg, Backhaus II et Buchbinder II, mais ce n'est qu'un choix idiosyncrasique parmi la multiplicité de possibles. Et, pour les isolés (ou les dernières), Peter Serkin par-dessus tout (les dernières sonates sur un Graf d'époque : la couleur mais aussi la maîtrise suprême – son disque sur piano moderne est en revanche très standard, voire un brin ennuyeux), et comme toujours Bellucci.
        Pour cette veine poétique, ce sont Goode et Lewis (tout à fait recommandables, en particulier le premier, d'une très séduisante sobriété) qui paraîtraient les plus proches, mais je les trouve plus tentés par la méditation, là où Kovacevich demeure toujours dans le mouvement.

dimanche 17 janvier 2016

Cycles français avec piano du premier XXe siècle : deux nouveautés inestimables de Ropartz et Mariotte


Sortent concomitamment deux nouvelles publication assez exaltantes autour du piano français du début du XXe siècle. On avait déjà dressé (et présenté) la liste des grands cycles enregistrés à ce jour, tirés des catalogues de Schmitt, Hahn, Decaux, Dupont, Debussy, Ravel, Inghelbrecht, Le Flem, Koechlin, Samazeuilh, Tournemire, Migot…

S'ajoutent deux noms que je n'avais pas cités.


(cliquez sur l'image pour ouvrir l'album sur Deezer)
dubois ardeo

Ce n'est pas la première publication de cycles pianistiques pour Joseph-Guy Ropartz (Stéphane Lemelin en a proposé d'autres, très différents, chez ATMA, dès 2002), par ailleurs grand chambriste (très beau Trio avec piano, en particulier), mais le disque de Stephanie McCallum chez Toccata Classics (aussi le premier label à enregistrer Le Rossignol éperdu de Hahn, et pour lequel elle avait déjà enregistré Alkan) constitue une remarquable porte d'entrée : on y retrouve toute la sobre pudeur de Ropartz, de pair avec un raffinement des harmonies qui ne se montre jamais spectaculairement. De la douceur subtile – comme le musique devrait toujours l'être, ne pouvais-je m'empêcher de penser tandis que j'écoutais (en boucle) l'album cette semaine. Ce serait bien sûr réducteur et peu souhaitable, mais Ropartz atteint ici une forme d'équilibre assez parfait entre la discrétion, la densité du propos, la séduction qui occupe largement l'auditeur sans l'accaparer péremptoirement. Musique de fond ou musique pure, ces cycles se parent de toutes les vertus. En particulier Un prélude dominical et six pièces à danser pour chaque jour de la semaine, pas du tout superficiel ou léger, plutôt dans le goût de L'ancienne maison de campagne de Koechlin, avec un brin d'expansion supplémentaire.
Dans l'ombre de la montagne, fort beau aussi, est également gravé pour la première fois. Et ce qu'en fait Stephanie McCallum est d'un détail et d'une justesse qui forcent l'admiration aussi de ce côté-là.


(cliquez sur l'image pour ouvrir l'album sur Deezer)
dubois ardeo

Plus surprenant, plus important à l'échelle de la modernité, l'album consacré à Antoine Mariotte par Daniel Blumenthal chez Timpani. Comme depuis longtemps chez ce label, captation très précise et physique, sans dureté et sans halo, et comme toujours une page à la fois inconnue, majeure et inattendue. De Mariotte, on ne dispose guère que de sa Salomé accusée de plagier Strauss – possiblement de façon fondée, dans la mesure où l'on a vraiment l'impression d'entendre une version française, un peu moins élancée peut-être, de Salome. Très belle œuvre, pas très bien servie dans un son opaque – et des dictions calamiteuses – lors de sa résurrection à Montpellier (disponible chez Actes Sud), mais qui convainc sans difficulté pourtant.
Les Impressions urbaines pour piano (1921) sont aussi éloignées qu'il est possible de cet univers décadent, et constituent un pendant assez imprévisible au Berlin de Meisel ; évoquant là aussi successivement, en cinq mouvements, les éclats mécaniques des usines, les encombrements des faubourgs, la lumière des guinguettes, la pesanteur croulante des décombres urbains (lieux désaffectés ?  intermède de reconstruction ?  vestiges de la guerre ?  –  la page étant dédiée à son filleul, précisant sa mort au front en 1915, et se mêlant à une sorte de marche funèbre), l'animation des gares. La richesse du langage, les nombreuses notes étrangères, les rythmes complexes et encaténés évoquent aussi bien Meisel que le Mosolov des Nocturnes, l'univers du futurisme et du mécanisme, mais sans se départir, ce qui est difficile, d'une certaine identité thématique, pour ne pas dire mélodique. Un réel chef-d'œuvre, qui se place parmi ce que cette école, pourtant pas du tout en vogue en France, a produit de plus abouti.
Kakémonos manifeste les mêmes qualités de langage (chargé, mais pas dépourvu de chant), à un degré évidemment moins spectaculaire. Sa troisième œuvre pour piano, une Sonate écrite plus tôt, est selon la notice de Michel Fleury écrite dans un style plus franckiste / d'indyste, mais je ne l'ai pas lue pour confirmer ; grand virtuose (on peut le mesurer à l'écoute de ces pièces, qu'on pourrait difficilement écrire sans une maîtrise intime des tuilages d'accords propres au piano), son legs solo se limite manifestement à cela.

Le disque est complété par le court cycle des Intimités et par Le vieux chemin, des mélodies (parfaitement) chantées par Sabine Revault d'Allonnes. De belles pièces très bien faites, touchantes, qui donnent envie d'en entendre davantage.

Un des grands chocs récents.

jeudi 24 juillet 2014

Carnet d'écoutes — Liszt sur son Steingraeber chez les Wagner — Hitzlberger, Ambronay




La première Lugubre gondole de Liszt.


Épuisé physiquement mais toujours disponible en téléchargement, voilà une petite curiosité. Thomas Hitzlberger jouait Liszt sur son Steingraeber de 1876, livré à Bayreuth chez Riri & Fifille. On dispose déjà d'un certain nombre de témoignages de ce genre, mais il s'agit du premier à oser, sur un clavier qui, pourrait-on croire, n'a pas la fiabilité des nôtres, l'écrasante Sonate en si, longue, exigeante en structure, réceptable de tous les traits, de toutes les polyphonies, de toutes les textures. L'œuvre qui par son chromatisme échevelé, simultanément avec Tristan, fait basculer le XIXe siècle, dès son milieu, dans le XXe.


La facture s'est considérablement améliorée en quelques dizaines d'années, et dans le dernier quart du XIXe siècle, on produit des instruments équilibrés sur tout le spectre — contrairement aux instruments du temps de Chopin, de peu d'amplitude dynamique, et surtout pourvus en médiums, avec des aigus plats et des graves malingres — capables de servir un répertoire exigeant. On pourrait jouer à peu près tout sur les bons Érard et Bechstein de 1900, gagnant en prime une sonorité chaleureuse et un dégradé de couleurs qui font absolument défaut aux mécaniques fulgurantes mais glaciales qui prévalent aujourd'hui — même les Bösendorfer, Bechstein, Fazioli ou Yamaha censés sonner différemment demeurent, avec plus ou moins de qualité d'attaque, plus ou moins de tranchant de timbre, peu ou prou la même chose que les incontournables Steinway.

En 1876, néanmoins, peu de pianos ont cette caractéristique, et contrairement à tout ce qu'on pourrait supposer, l'instrument (remarquablement joué par ailleurs, aucune irrégularité du pianiste sur cette mécanique ancienne) se distingue par des aigus exceptionnellement timbrés, délicatement dorés (au lieu d'arborer cette pureté froide, parfois acide, des instruments d'aujourd'hui), et plus étonnant, par une qualité exceptionnelle de tenue dans les nuances fortes. On ressent l'ampleur, et on ne manque pas non plus de basses – même si le médium reste favorisé.

À rebours, dans les pièces très nues du dernier Liszt comme les Gondoles, on entend le timbre individuel des notes se fendre, si bien que l'on égrène une série de sons individuellement peu homogènes, et, mis ensemble, assez dépareillés. C'est là que la différence de précision d'attaque, pour un pianiste capable de venir à bout de la Sonatensi sans peine, se fait sentir, par rapport aux instruments d'aujourd'hui où l'on peut vraiment maîtriser la forme de chaque entrée de note, et son volume dynamique exact.

Néanmoins, quel instrument extraordinaire… il faut vraiment l'entendre se confronter triomphalement à la grande sonate.

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Merci à Loïc d'avoir attiré l'attention sur l'existence de ce témoignage précieux.

Hitzberger a gravé plusieurs autres expériences sur instruments d'époque, et même deux Années de Pèlerinage.

lundi 7 juillet 2014

Robbins & Ratmansky : Salon Chopin, Psyché de Franck


La curiosité a été la plus forte : Psyché de Franck en salle, en entier, et avec un visuel !

Salon et folklore

Je redoutais Dances at a Gathering de Jerome Robbins, mais les extraits m'avaient finalement mis en appétit. Contrairement à ce que je m'étais figuré, il ne s'agit pas du tout de réunions fortuites (un beau sujet que la danse de carrefour), mais d'une félibrée bien organisée.
L'absence de propos narratif facilite finalement les choses (rien ne peut paraître lent, puisqu'il ne se passe rien), et le caractère ouvertement folklorique rend la virtuosité (extrême) plus sympathique. S'il y avait des moments bravoure remarquablement réalisés par Audric Bézard (en violet), assuré et gracieux, et ses partenaires principales Amandine Albisson (en rose) et Laura Hecquet (en mauve, mais en fait exactement de la même couleur), l'esprit du ballet est particulièrement bien résumé par le personnage tonique et espiègle en jaune, remarquablement incarné par les gestes toujours souriants d'Héloïse Bourdon (chouette rôle, vraiment – dans le genre de Lise ou Lyceion).

Le folklorisme « à entrées » se laisse donc très bien regarder, mieux que les interminables numéros décoratifs d'un supposé ballet d'action, et flatte sans doute mes penchants les plus rustiques. Mais, surtout, musicalement, c'est une fête inattendue pour mon premier récital de piano depuis mon installation dans la région – non pas qu'il n'y en ait pas de bons, et avec des programmes invraisemblables, mais il faut bien faire des choix.
Le piano à queue, totalement ouvert, sonne très bien dans Garnier, alors même que les bras de Ryoko Hisayama ne sont pas très vigoureux — les nuances fortes restent toujours très mesurées. Et, surtout, l'absence d'orchestration (Dieu soit loué !) et le mélange sous forme de suite est du meilleur effet : mazurkas, valses, études, et pas forcément les plus célèbres, alternent de façon beaucoup moins monotone que les grands blocs thématiques qu'on entend au concert.

Par ailleurs, je suis assez persuadé que l'absence de cérémonial du concert, le public ne s'intéressant absolument pas à ce qui se passait dans la fosse, détendait quelque part l'atmosphère, et rendait la musique plus palpable. De fait, les appuis étaient un peu carrés, le rubato pas très original, le jeu maîtrisé mais pas fulgurant non plus... très bien, mais on se serait vraiment demandé pourquoi programmer une bonne pianiste en concert lorsqu'on en a tant de superlatifs (et je me demande d'ailleurs quel est le statut de Hisayama : soliste modeste, très bonne accompagnatrice, excellente répétitrice ?). Pourtant, j'ai pris du plaisir comme rarement en entendant un récital de piano... parce que je réentendais ces œuvres pour la première fois depuis dix ans (dernière fois que je les ai jouées, me semble-t-il), mais aussi parce que la musique était là, toute nue, et mise en relation avec des danses (faussement) sommaires. Chopin renvoyé au statut de compositeur de salon, d'ambiance, de support de danse, au moyen de pièces, assez secondaires dans son legs historique, mais très séduisantes.
Je crois, vraiment, que l'attitude d'un public change totalement la façon dont on peut percevoir ce type de moment : si tout le monde avait attendu de juger la pianiste, j'aurais sans doute été moins détendu et aurais pris sensiblement moins de plaisir à cette baignade dans une heure de petit Chopin.

Le public a globalement été respectueux de la musique, attentif à ne pas faire trop de bruit alors qu'un instrument seul jouait... sauf pour le dernier accord : le rideau de scène se baisse lentement sur un accord arpégé de septième de dominante... tout pékin ayant entendu dans sa vie la moindre chansonnette ressent qu'il reste l'accord de résolution. Eh bien non, un oligocéphale démarre le mouvement, et la moitié de la salle emboîte le pas : inutile de dire que même la pianiste n'a pas entendu les dernières notes. Mesdames et Messieurs les mélomanes, Carnets sur sol vous a présenté : le public de ballet.

En revanche, comme chez les glottophiles (mais sans leur hargne négative, avec un côté bon enfant qui est assez sympathique), grande générosité avec les interprètes : Christophe Duquenne (en bleu), qui faisait ses adieux, a eu droit à de généreux rappels.

Psyché de César Franck

À peu près jamais donnée, et très rarement enregistrée dans sa version intégrale d'une cinquantaine de minutes avec chœur (sans basses), le poème symphonique se découpe en sections closes, mais se fonde comme sa Symphonie sur un motif cyclique sans cesse travaillé... assez proche d'ailleurs de la Symphonie. Franck essaie clairement de faire du Tristan (le tournoiement inspiré de « So stürben wir, um ungetrennt » à la fin du grand duo du II), sans en atteindre l'épaisseur, mais la gestion de l'amplification-réduction est remarquable.
L'une de ses plus belles œuvres en tout cas. Mais elle est homogène, et peu prégnante mélodiquement, aussi la présence d'un visuel est-elle fort bienvenue.

Visuellement, la chorégraphie d'Alexeï Ratmansky a le mérite de coller au plus près à la musique, et de ménager, sur une cadence très vive, beaucoup d'événements, parfois simultanés : aucune longueur. L'histoire elle-même est très ramassée, et ses articulations dramatiques à peine survolées : la cause de la haine de Vénus, l'enlèvement de Psyché, les conseils des sœurs, la découverte de l'identité de Cupidon se passent réellement en quelques secondes. Et les tourments de Psyché se limitent à peu près à un solo (pas très spectaculaire ni long).
Ce sont donc plutôt les réjouissances dans le Palais de l'Amour qui sont privilégiées, avec le grand pas de deux sur le grand crescendo de la partition de Franck. Et la scène se conclut sur des baisers d'adieux joliment inspirés (sans servilité) de Canova.

Je me demande à quelle source — l'argument proposé par Franck est lâche, de sorte qu'il peut émaner, fin heureuse exceptée, de n'importe quelle version — a puisé Ratmansky, parce qu'il semble insister sur une dimension humoristique assez étrangère, par principe, à Franck. Les décors volontairement exagérés et naïfs, les bêtes sauvages grotesques, et jusqu'au maintien benêt d'Éros (oui, dans la distribution, c'est Éros et Vénus, ne me demandez pas pourquoi)... j'ai tendance à me figurer qu'il y a du La Fontaine là-dessous, réexploité visuellement dans une veine plus burlesque que subtilement badine. Mais cela tend à expliquer la kitschouillerie volontaire du ballet, pas forcément adéquate, mais de bonne volonté et finalement assez sympathique.

Je voyais pour la première fois Evan McKie sur scène (hors captations), juste à temps avant son départ d'Europe, et je dois convenir qu'il est impressionnant de facilité et de naturel : il y a quelque chose qui, dans l'espression, passe immédiatement la rampe, comme sans médiation. Néanmoins, les gaucheries et caprices de son personnage, dans la peau d'un (très) grand gaillard comme lui, produisaient une impression un peu anguleuse : clairement, ce n'était pas le ballet pour flatter ses capacités athlétiques et expressives.

Chœur Accentus remarquablement lumineux et intelligible, comme à l'accoutumée, et l'Orchestre de l'Opéra, en effectif réduit, mais d'un lyrisme particulièrement généreux sous la baguette de Felix Krieger. Une belle fête musicale, sur des visuels très agréables (et même particulièrement virtuoses chez Robbins), de quoi flatter tous les publics.
Ceux qui n'y étaient pas peuvent les retrouver sur CultureBox.

mardi 22 avril 2014

[Avant-concert] Les grands cycles du piano français : Schmitt, Hahn, Decaux, Dupont, Debussy, Ravel, Inghelbrecht, Le Flem, Koechlin, Samazeuilh, Tournemire et Migot


Les Heures dolentes de Gabriel Dupont sont données ce mercredi à l'Amphi Bastille.

Pour ceux qui seraient intrigués sans avoir écouté les disques, on peut se reporter à cette vieille notule autour des mélodies (avec extrait sonore). Ses opéras, dans des styles très différents – du vérisme de La Cabrera, très apprécié en son temps, à la veine épico-orientale d'Antar (extrait ) – n'ont pas encore eu les honneurs du disque. En revanche, en musique de chambre, on trouve son Poème pour piano et quatuor à cordes, et ses deux grands cycles pour piano.

Ceux-ci s'inscrivent dans la veine française des grands cycles pittoresques pour piano seul, sous forme de vignettes, travaillant la couleur harmonique et le figuralisme évocateur – au contraire de la littérature germanique, concentrée sur la forme abstraite du développement d'idées purement musicales.

C'est tout un pan du patrimoine pianistique, parfois de premier plan, qui est ainsi absent des salles et à peine représenté au disque. Dupont figure parmi les premiers à exploiter ce type bien particulier.

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Ont à ce jour été édités commercialement :

Florent SCHMITT : Les Crépuscules (1898-1911).
Comme les Clairs de lune de Decaux, les Miroirs de Ravel et les Images de Debussy, ce sont encore des recueils courts et un peu dépareillés, où les points communs restent lâches entre les pièces qui ne forment pas de réelle progression. Néanmoins une très belle œuvre thématique, avec des couleurs harmoniques originales et superbes, comme toujours chez Schmitt.
Il en existe plusieurs versions (Wagschal chez Saphir est excellent).

Reynaldo HAHN : Le Rossignol Éperdu (1899-1910).
C'est le premier cycle véritable, une très vaste fresque de plus de deux heures, répartie entre quatre livres (« Première Suite », « Orient », « Carnet de voyage » et « Versailles »), qui exploitent toute l'étendue des possibles pianistiques, avec énormément d'aspects et de techniques différents. Cette volonté totalisante se réalise sous forme de catalogue, mais avec un soin de l'évocation, de la couleur, du climat, très particulier, et typiquement français. Peut-être le plus ambitieux de tous, avec Les Clairs de lune et Les Heures persanes.
Deux versions : Earl Wild (Ivory Classics) et récemment Cristina Ariagno (Concerto).

Abel DECAUX : Clairs de lune (1900-1907).
Quatre pièces qui exploitent l'atonalité franche (les deux premières), en 1900. On ne trouve rien d'autre d'aussi radical, à ma connaissance, avant Erwartung (1909) et le Sacre du Printemps (1913), avec une avance d'une ou deux décennies sur toutes les grandes recherches hors de la tonalité traditionnelle, sans que Decaux semble s'être illustré par ailleurs dans la composition. Surtout un professeur, et d'autres de ses pièces sont beaucoup plus académiques. Pourtant, ces pièces ont un pouvoir atmosphérique rare – en particulier la troisième, « Au cimetière », qui alterne atonalisme et lyrisme de glas.
Ce cycle, ces deux dernières années, est joué de temps à autre à Paris (par Kudritskaya cette saison à Orsay, par Bavouzet la saison prochaine au Louvre... et il me semble l'avoir vu passer ailleurs). C'est le mieux enregistré de sa famille : Chiu chez Harmonia Mundi (1996), Girod chez Opes 3D (2001, épuisé), Hamelin chez Hyperion (2006) ; les deux dernières versions sont tout à fait remarquables.

Gabriel DUPONT : Les Heures dolentes (1905).
Le premier cycle publié, et aussi le premier à ménager une forme de contnuité – sur près d'une heure. Les pièces s'enchaînent selon un ordre logique qui raconte les épisodes de la maladie, avec des moments particulièrement spectaculaires (les délires cauchemardesques), un figuralisme permanent (mais sous forme d'esquisse plutôt que d'imitation, un peu comme chez Schubert). L'ensemble est un sommet de l'esprit « illustratif » français.
Assez nombreuses versions à présent : Blumenthal, Girod, Naoumoff, Lemelin, Paul-Reyner...

Claude DEBUSSY : Premier Livre des Images (1905).

Maurice RAVEL : Miroirs (1904-1907).

Claude DEBUSSY : Second Livre des Images (1907).

Désiré-Émile INGHELBRECHT : La Nursery (1905-1911).
À rebours des cycles « sérieux », une série d'arrangements délicieux. Quelques extraits dans cette notule (Lise Boucher chez Atma).

Maurice RAVEL : Gaspard de la nuit (1908)

Gabriel DUPONT : Les Maison dans les dunes (1908-1909).
Versant lumineux des Heures dolentes ; un peu plus court, un peu moins spectaculaire, mais tout aussi abouti, avec la contemplation émerveillée de paysages plaisants, au gré de recherches de figures pianistiques et de couleurs harmoniques adéquates.
Là aussi, de rien auparavant, les versions se sont accumulées en moins de dix ans : Girod, Naoumoff, Kerdoncuff, Lemelin, Paul-Reyner. Je recommande Kerdoncuff (Timpani), en particulier pour débuter : jeu très harmoniques, qui fait très bien entendre le contenu des accords, et les changements de textures sont spectaculaires (on entend des traits translucides, je ne vois même pas comment c'est techniquement possible). Sinon, Girod, avec plus de rondeur, fait de très belles nuances, et ses Dupont ont été réédités il y a quelques semaines par Mirare. Ou bien Naoumoff (intégrale chez Saphir), dans une perspective plus narrative et cursive, sur un piano plus cassant.

Claude DEBUSSY : Deux livres de Préludes (1909-1913).
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Debussy n'est donc absolument pas pionnier dans ces Préludes, même s'il pousse la recherche de la couleur et de la singularité à son plus haut degré.

Paul LE FLEM : Sept prières enfantines (1911).
Elles s'inscrivent, à l'opposé, dans la recherche de la plus grande sobriété : pas d'ostentation digitale, harmonique ou même mélodique. Un petit cycle charmant, sans rechercher l'envergure.
Gravé par Girod pour Accord. Il existe aussi une orchestration, bien plus tardive (1946).

Florent SCHMITT : Les Ombres (1912-1917).
Langage proche des Crépuscules.

Charles KOECHLIN : Les Heures persanes (1913-1919).
Autre véritable cycle, qui décrit réellement un parcours à travers l'Orient. La musique sent la touffeur des étés généreux et les vapeurs lourdes de styrax, sans non plus verser dans la couleur locale simili-orientale alors à la mode. C'est à travers un langage personnel et tout à fait inédit que Koechlin bâtit ces vignettes évocatrices. Il faut en particulier entendre les mélismes infinis d' « À l'ombre, près de la fontaine de marbre » (XI), dans le goût des Nectaire et les couleurs résonantes des « Collines au coucher du soleil » (XIII), des sommets de la littérature universelle pour piano.
À ce jour, quatre versions, et on entend de plus en plus souvent des extraits en concert : Herbert Henck (Wergo 1986), Kathryn Stott (Chandos 2003), Michael Korstick (Hänssler 2009) et Ralph van Raat (Naxos 2011). À cela, il faut ajouter deux disques consacrés à la version orchestrée par le compositeur (qui perd l'essentiel de son charme, à mon humble avis) : Segerstam (Marco Polo) et Holliger (Hänssler). Je recommande Henck sans hésiter, pour la qualité des plans et de la suspension générale, mais Stott (plus ronde) et van Ratt (rond aussi, et rapide, par peur d'ennuyer le public dit-il, puisqu'il l'ose manifestement en concert !) s'écoutent très bien. Korstick est différent, la prise de son plus sèche laisse moins de place à la poésie, mais ici encore, beau jeu d'une assez bonne clarté.

Charles KOECHLIN : Paysages et Marines (1915-1916).
De même que pour les Heures, un beau travail de peintre d'émotions, sans la progression / procession de l'autre cycle, bien sûr. La version pour petit ensemble (flûte, clarinette, quatuor à cordes, piano), achevée un an plus tard, est plus chatoyante et entraînante.
Deux versions au piano (et davantage pour la version septuor) : Michael Korstick (Hänssler) et Deborah Richards (CPO). La seconde est particulièrement élégante.

Gustave SAMAZEUILH : Le Chant de la Mer (1918-1919).
Le moins intéressant de la liste. Même principe, mais la densité musicale y est moindre.
Existe par Girod (3D Classics, épuisé) et par Lemelin (Atma).

Charles TOURNEMIRE : Préludes-Poèmes (1931-1932),
dotés de titres mystiques. L'une des œuvres pour piano les plus virtuoses de tous les temps, dans une langue musicale totalement différente de l'œuvre pour orgue : c'est une réelle écriture pour piano, bardée de traits (souvent récurrents, d'où la dénomination de Préludes), mais avec un pouvoir évocateur et la volonté de créer un ensemble cohérent, une sorte d'univers propre. La diversité des moyens et des atmosphères est phénoménale, à telle enseigne que l'œuvre figurait dans la sélection des dix disques.
Bien qu'organiste, le disque de Georges Delvallée chez Accord est stupéfiant de robustesse et de finesse à la fois.

Charles KOECHLIN : L'Ancienne Maison de campagne (1933).
Plus apaisé et épuré que ses autres cycles, mais une autre très belle collection de moments convergents.
On trouve Christoph Keller chez Accord (réédité), Jean-Pierre Ferey chez Skarbo (épuisé), Michael Korstick (Hänssler), Deborah Richards (CPO).

Georges MIGOT : Le Zodiaque (1931-1939),
évocation thématique dans le style de ses confrères, moins personnelle que les meilleurs cycles, mais qui mérite l'écoute.
Existe par Girod chez 3D Classics (2001, épuisé) et Lemelin chez Atma (2004).

Suite de la notule.

David Le Marrec

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