Les néo- et les post-
Par DavidLeMarrec, mardi 23 décembre 2008 à :: Discourir - Pédagogique :: #1099 :: rss
Beaucoup de confusion existe dans la question de ce qui néo- et de ce qui ne l'est pas. Nous tentons d'y mettre un peu de clarté, comme nous nous efforçons de le faire à intervalle régulier sur CSS.
Saint Stephen Walbrook (de Wren), à Londres. Néo-romain ou néo-Renaissance ?
Carnets sur sol vous propose sa propre nomenclature (en musique, car le reste serait l'objet d'autres notules !).
D'abord, puisque les deux préfixes existent, nous tâchons d'en profiter pour mieux catégoriser les choses, et toujours nous différencions les néo- des post-.
--
1. Définitions
C'est assez simple :
=> Les post- poursuivent un langage existant.
Soit ils peuvent le reproduire de façon servile (on peut considérer Scharwenka comme un post-romantique encore tout à fait romantique, qui écrit du Chopin au début du vingtième siècle), soit ils prolongent le langage existant, mais sans rompre avec la tradition (Rachmaninov, encore tout à fait romantique en 1943).
=> Les néo- recréent un langage.
Ou de façon fantasmatique (Stravinsky dans The Rake's Progress, un opéra écrit à la façon du XVIIIe mozartien), ou de façon très éloignée dans le temps (le Concerto pour piano de Sheila Silver est, dans les années 90, d'un goût chopinien teinté d'un peu de Debussy).
--
2. Les types de néo-
Ensuite, les types de néo-. Nous en voyons trois formes principales, qui peuvent se mêler.
=> néo-imitation : on cherche à reproduire fidèlement une illusion, en laissant au besoin quelques indices.
Exemples : l'Adagio d'Alboni, composé par le musicologue italien Remo Giazotto en 1949 (et qui est d'ailleurs d'un baroque un peu romantisé, mais involontairement sans doute), Première Symphonie de Prokofiev (imitation plaisante de Haydn, mais l'orchestration, par exemple, n'est pas aussi exacte que Prokofiev aurait pu le faire s'il l'avait souhaité).
=> néo-hommage : on souhaite retirer le meilleur d'une production antérieure (souvent sa simplicité), on écrit quelque chose qui s'inpire librement de qualités anciennes (Le Tombeau de Couperin de Ravel).
Chez certains compositeurs, dont Stravinsky, le néo-hommage devient tout de bon une néo-invention, qui conçoit un langage nouveau à partir de la simplicité fantasmée des classiques, revendiqués comme source d'inspiration - et non d'imitation (Apollon Musagète, par exemple).
=> néo-persiflage : on amasse tout un tas de caractéristiques passées de modes qu'on relève pour en faire une composition amusante.
La catégorie inclut souvent le pastiche (Sonata da caccia d'Adès, l'opéra de l'acte III de Colombe...), car elle dépasse souvent la simple imitation pour singer plutôt un type.
Le néo-persiflage relève de l'humour en musique, que nous avons déjà nomenclaturé récemment.
--
3. Vers une chronologie
Pour entrer un peu plus dans le détail (et les complexités, au cas par cas). On peut en profiter pour détailler un peu l'usage des différentes compositions possibles. (Nous soulignons les termes usuels et nous grassons les termes utiles.)
- Post-baroque : N'existe pas vraiment à notre connaissance.
A la rigueur, le seria de la seconde moitié du XVIIIe pourrait être considéré comme une survivance de codes baroques dans un univers classiques, mais il irradie tellement la période qu'il ne paraît pas possible de pouvoir le considérer comme une survivance de quoi que ce soit.
Il est vrai que la césure entre Haendel et Johann Christian Bach n'est pas si évidente, et qu'elle rend le classement esthétique du seria complexe - contrairement à la France, ou la distinction entre les baroques très figuratifs et débridés (certains Rameau, Boismortier) et les classiques épurés de la tragédie lyrique renouvelée (Piccinni, Gluck, Johann-Christian Bach, Sacchini, Salieri) se fait très aisément (bien que Rameau, dans certaines oeuvres, annonce déjà la direction musicale). La difficulté réside toujours là : les révolutions musicales n'existent pas, plus encore qu'ailleurs les langages doivent emprunter un minimum à la tradition - même Schönberg a conservé, sinon l'harmonie, des formes préexistantes. De surcroît, la musique n'évolue pas de pair avec les autres arts auxquels elle emprunte pourtant sa terminologie.
Terme à oublier.
- Post-classique : On pourrait désigner par là ceux qui résistent au romantisme dans les débuts du XIXe siècle, mais serait-ce justifié ? On préfère généralement, de façon un peu téléologique, parler de préromantiques, ce qui n'est pas si injuste lorsqu'on entend Hummel ou Reicha, d'une armature classique, mais très influencés par la culture de l'affect qui enfle depuis le Sturm und Drang.
Pas très utile. Synonyme : préromantique ?
- Post-romantique : Peut désigner aisément tous les compositeurs du vingtième siècle qui adoptent encore un style trop proche de Wagner, Saint-Saëns ou Bruckner. On l'emploie parfois pour désigner le romantisme tardif (Bruckner, Mahler), mais nous ne sommes pas trop d'accord : Bruckner reste dans le flux du romantisme musical, et Mahler pose déjà des questions d'une façon un peu décadente (il préfigure plus qu'il ne reproduit).
Très souvent utilisé et plutôt commode (à employer pour le XXe uniquement pour éviter les confusions).
- Post-moderne : Le terme désigne de façon générique (plutôt sous la forme soudée postmoderne) les compositeurs... néo- de la seconde moitié du vingtième siècle (quand on vous disait qu'il fallait y mettre de l'ordre...).
On pourrait suggérer qu'il puisse s'agir (moderne n'ayant pas le même sens en musique qu'en histoire) des compositeurs qui écrivent dans la seconde moitié du vingtième siècle dans la lignée de Debussy, Ravel, Stravinsky, voire Messiaen. Lieberson, Escaich, Adès, Boesmans, Maazel, reprenant des formules déjà explorées au vingtième siècle, pourraient être considérés comme des survivants de l'esthétique du début du siècle, des post-modernes au sens strict.
Intéressant, mais risque de confusions si vous l'employez...
- Post-contemporain : Haha.
- Néo-baroque : Mouvement totalement éclaté, que l'on trouve par touches au vingtième siècle. On peut considérer Remo Giazotto, le père déjà cité de l'Adagio d'Alboni comme le premier à avoir pratiqué le jeu en tant que compositeur. Il s'agit de reproduire l'illusion du baroque, d'en imiter les tournures (ce qui n'est pas si difficile et manque assez d'intérêt, tant il existe suffisamment de musiques habiles et réelles de ce temps-là). Hervé Niquet lui-même s'est vanté récemment dans la presse d'avoir écrit du Lully manquant dans Proserpine. On rencontre notamment cette pratique dans la musique de film (Antoine Duhamel pour Ridicule, par exemple), ou chez divers arrangeurs (disques du type Beatles go baroque). Mais on ne connaît pas véritablement de compositeur institutionnel qui pratiquerait massivement l'exercice, assez limité.
Par ailleurs, l'absence d'école et de corpus idéologique fait que le terme n'est pas si souvent convoqué.
- Néo-classique : Le plus fréquent. Il désigne ici non pas la fin du XVIIIe siècle, comme en architecture (par référence à l'Antiquité) ou en peinture, mais l'attitude au vingtième de certains créateurs, parmi lesquels ont cite souvent Martinu (ce qui est très souvent abusif, si ce n'est erroné), Schnittke ou certaines oeuvres de Stravinsky (très nombreuses, en fait).
Fascinés par un passé à l'évidence totalement contradictoire avec les surraffinements et les complexités croissantes des expressions musicales du XXe siècle, ils imitent l'écriture mozartienne (Mozart et Haydn, qui résument très abusivement dans les Histoires de la Musique l'esprit classique, sont quasiment les seuls inspirateurs ici, et en rien Gluck, Grétry ou Gossec), ou réinventent un langage fondé sur une recherche de petits effectifs, de simplicité formelle, de mélodisme agréable mais discret - qui n'est pas classique mais s'inspire de l'épure exemplaire que représente le langage du second XVIIIe.
Concept intéressant, utile et opérant.
- Néo-romantique : Le terme est sans doute plus approprié que post-romantique (qui doit se situer dans une continuité) ou postmoderne (qui est plus ou moins exact, on l'a vu, et surtout plus vaste dans les styles imités).
Il peut donc désigner l'ensemble des compositeurs qui adoptent un style inspiré du romantisme précoce ou tardif à une date où le lien a été rompu, c'est-à-dire chez ceux exerçant dans la seconde moitié du vingtième siècle - à moins peut-être de poursuivre le travail de Rachmaninov. La plupart du temps, d'autres composantes entrent de toute façon dans leur langage.
Ainsi, Penderecki ou Petersson peuvent sans doute être considérés comme post-romantiques malgré tout (encore que le premier reprenne le flambeau de langages un peu décadents comme ceux de Reger ou Schoeck auxquels son langage s'apparente assez, et que le second, dans un goût pas si éloigné de la manière Chostakovitch, ne soit pas forcément plongé dans un esprit si romantique). En revanche l'étiquette néo-romantique sied très bien à Hovhaness (pour son côté artificiel) ou à de nombreuses compositions de Sheila Silver, ou encore à l'école américaine scénique des Giancarlo Menotti, Carlisle Floyd, André Previn, Tobias Picker (qui reprennent, eux, des recettes plus ou moins pucciniennes sans en avoir hérité tout à fait directement)...
Pas du tout employé, mais très utile à notre avis.
- Néo-moderne : Avec la césure temporelle qui va grandissant vis-à-vis du début du vingtième siècle, le terme fera peut-être son entrée. Mais devant l'éclatement des écoles et la multiplicité des styles et esthétiques dans cette période, il sera bien compliqué de lui donner un sens précis.
Pas encore en vigueur.
--
Du plus ancien au plus récent :
- post-baroque (XVIIIe²)
- post-classique (XIXe1)
- post-romantique (XXe1)
- néo-classique (XXe1)
- néo-romantique (XXe²)
- postmoderne (XXe²)
- néo-baroque (XXe²)
- post-moderne (XXe²)
- néo-moderne (XXIe ?)
- post-contemporain (jamais)
Il faudrait aussi revenir sur la question, toujours richement confondante, des concordances - ou plutôt des discordances - des courants esthétiques entre les arts, mais ce serait trop long, on a assez conceptualisé pour aujourd'hui.
--
On le voit, les classements mènent toujours à des tensions, des complexités, voire des impossibilités. Mais cette tentative de mise en boîte est toujours très féconde pour l'esprit, elle permet de saisir les noeuds essentiels ou problématiques qui créent notre intérêt ou rendent difficile la compréhension de tel ou tel phénomène esthétique.
Commentaires
1. Le mercredi 24 décembre 2008 à , par Didier da :: site
2. Le mercredi 24 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 26 décembre 2008 à , par lou :: site
4. Le samedi 27 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le samedi 27 décembre 2008 à , par lou :: site
6. Le lundi 29 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec
7. Le mercredi 31 décembre 2008 à , par lou :: site
8. Le mercredi 31 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec
9. Le jeudi 1 janvier 2009 à , par lou :: site
10. Le jeudi 1 janvier 2009 à , par lou :: site
11. Le samedi 3 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
12. Le mercredi 18 février 2009 à , par lou :: site
Ajouter un commentaire