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Une fine rosserie - Bellini et Donizetti à Washington Square



Je vais ici aborder un sujet qui m'est précieux, sur lequel j'aurai peut-être l'occasion d'opérer plusieurs développements à travers plusieurs arts différents.

Je commence par une citation malicieuse de Henry James, dans Washington Square, que je propose en bilingue (je traduis). Traduire est un moyen extraordinaire pour entrer au coeur d'une oeuvre, et c'est pourquoi, en dépit de ses maladresses, j'éclairerai quelques choix de ma version.

Il est important pour la suite de savoir que l'oeuvre a été publiée en 1880 et que son action se passe pendant la première moitié du même siècle.

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Henry James
Traduction DLM
So Catherine saw Mr. Townsend alone, and her aunt did not come in even at the end of the visit. The visit was a long one; he sat there--in the front parlour, in the biggest armchair--for more than an hour. He seemed more at home this time--more familiar; lounging a little in the chair, slapping a cushion that was near him with his stick, and looking round the room a good deal, and at the objects it contained, as well as at Catherine; whom, however, he also contemplated freely. There was a smile of respectful devotion in his handsome eyes which seemed to Catherine almost solemnly beautiful; it made her think of a young knight in a poem. His talk, however, was not particularly knightly; it was light and easy and friendly; it took a practical turn, and he asked a number of questions about herself--what were her tastes--if she liked this and that--what were her habits. He said to her, with his charming smile, "Tell me about yourself; give me a little sketch." Catherine had very little to tell, and she had no talent for sketching; but before he went she had confided to him that she had a secret passion for the theatre, which had been but scantily gratified, and a taste for operatic music--that of Bellini and Donizetti, in especial (it must be remembered in extenuation of this primitive young woman that she held these opinions in an age of general darkness)--which she rarely had an occasion to hear, except on the hand-organ. She confessed that she was not particularly fond of literature. Morris Townsend agreed with her that books were tiresome things; only, as he said, you had to read a good many before you found it out. He had been to places that people had written books about, and they were not a bit like the descriptions. To see for yourself--that was the great thing; he always tried to see for himself. He had seen all the principal actors--he had been to all the best theatres in London and Paris. But the actors were always like the authors--they always exaggerated. He liked everything to be natural. Suddenly he stopped, looking at Catherine with his smile.
Ainsi Catherine vit-elle M. Townsend seule, et sa tante ne vint pas même à la fin de la visite. La visite fut longue ; il s’assit là, dans le premier salon, dans le plus grand fauteuil – pendant plus d’une heure. Il semblait plus à son aise cette fois – plus familier des lieux ; s’étendant un peu dans son siège, frappant un coussin près de lui avec sa canne, et admirant à loisir la pièce et les objets qu’elle contenait, autant que Catherine – qu’il contemplait toutefois avec une grande liberté. Il y avait comme un sourire de dévotion respectueuse dans ses yeux très beaux, un sourire qui semblait à Catherine d’une beauté presque solennelle – et qui lui faisait penser à un jeune chevalier des épopées. Sa conversation, toutefois, n’avait rien de particulièrement chevaleresque ; elle était légère, aisée, cordiale ; elle prit bientôt un tour pratique, et il lui posa plusieurs questions à son sujet – quels étaient ses goûts –, si elle aimait ceci ou cela – quelles étaient ses habitudes. Il lui dit, avec son sourire délicieux, « Parlez-moi donc de vous ; faites-moi une petite esquisse. » Catherine avait fort peu à dire, et elle n’avait pas de talent pour le croquis ; mais avant sa venue, elle lui avait confié qu’elle avait une passion secrète pour le théâtre, qui n’avait été que fort peu satisfaite, et un goût pour la musique lyrique – celle de Bellini et Donizetti, plus particulièrement (il faut se remémorer, à la décharge de cette jeune femme des âges antiques, qu’elle portait ces opinions à une époque de ténèbres épaisses) –, qu’elle avait rarement eu l’occasion d’entendre, à part à l’orgue de barbarie. Elle confessa ne pas être follement éprise de littérature. Morris Townsend convint avec elle que les livres étaient chose fastidieuse ; c’est seulement, comme il disait, qu’il fallait en lire un bon nombre avant de s’en apercevoir. Il avait été dans des lieux sur lesquels des écrivains avaient bâti leurs intrigues, et ils n’étaient pas le moins du monde semblables à leurs descriptions. Voir par soi-même – c’était le plus fort ; il avait toujours voulu voir par lui-même. Il avait vu tous les acteurs majeurs – il avait été dans tous les meilleurs théâtres de Londres et de Paris. Mais les acteurs étaient toujours des acteurs – ils exagéraient sans cesse. Il aimait tout au naturel. Soudain il s’interrompit, regardant Catherine, toujours avec le même sourire.


Je n'ai abordé l'oeuvre, pour des raisons que me sont propres, qu'en anglais ; à l'occasion, j'irai fureter dans les versions françaises, et au besoin les examinerai, manière de voir, dans une notule ad hoc.

En attendant, je donne juste quelques pistes de lecture, il ne s'agit pas d'une exégèse mais d'une invitation : je signale quelques réussites particulières, et ne les détaille pas.


Le coup de pied de l'âne


Au sein d'une période assez sinueuse, James lance une double petite pique, aussi bien à son personnage ignorant qu'à la musique misérable qu'elle écoute.

Catherine had very little to tell, and she had no talent for sketching; but before he went she had confided to him that she had a secret passion for the theatre, which had been but scantily gratified, and a taste for operatic music--that of Bellini and Donizetti, in especial (it must be remembered in extenuation of this primitive young woman that she held these opinions in an age of general darkness)--which she rarely had an occasion to hear, except on the hand-organ.

La phrase, déjà grotesque par l'emboîtement d'un nombre infini d'incidentes, est aussi, sous ses dehors badins, terriblement emphatique. En 1880, parler des années 1840 comme d'un âge de ténèbres est évidemment une exagération flagrante, et on nous laisse entendre que le goût pour Bellini est à pardonner plus qu'un autre crime. Comble du ridicule, ce goût pour les compositions vocales fades est venue à la jeune femme en écoutant les orgues à main, qui n'ont pas, on le comprend bien, la grâce des gosiers agiles qui servent en principe cette musique.
Bref, l'espace d'une pointe, James réussit un triple but : se moquer du belcanto, de son personnage et amuser son lecteur tout à la fois. Surtout, en faisant mine de tourner en dérision le type de musique qu'on écoutait alors, il complète habilement le portrait de Catherine, qui semble sans cesse la pâle image d'une nature déjà tiède ; ce qu'elle aime est à son image : de la musique fadasse qui est de surcroît exprimée au moyen d'instruments indigents. Dans les mêmes pages, James décrit d'ailleurs la façon qu'elle peut avoir d'exercer son affection, une sorte de rêve pudique, sans aucune exigence - à tous les sens du termes : pas d'attentes, et pas non plus d'évaluation de ceux qu'elle aime.

C'est assez méchant en fin de compte, et c'est aussi tout le prix de cette histoire, assez crédible parce qu'aucun personnage n'est admirable, où chacun reste compréhensible. Si bien que le drame ne laisse pas la possibilité de choisir un camp.

A mon sens, l'adaptation des époux Ruth & Augustus Goetz pour le théâtre (The Heiress, 1947), qui reprend très largement le matériau des nombreux dialogues en discours direct du roman, est encore plus plus vertigineuse de ce point de vue, puisque l'absence d'examen des pensées procure un éventail de possibles et de contradictions dans les psychologies qui sonne très vrai, et qui est réellement émouvant. On est encore plus embarrassé devant une situation qui file vers l'implosion sans qu'il y ait à blâmer avec certitude ceux qui précipitent sa dégénérescence. Finalement, les développements du romancier ne disent pas plus que les lacunes du texte déclamé - et de façon plus directive, moins touchante.
Et plus encore, les reprises d'auxiliaires que permettent brillamment l'anglais (Yes, I do et autres Yes, I think we have à profusion pendant toute la première partie) mettent en scène, de façon beaucoup plus intéressante que le silence suggéré dans le roman, une forme de vacuité insupportable dans la conversation de Catherine - incapable d'extérioriser sa nature profonde, d'une certaine façon. C'est ce qui la rend assez peu intéressante, même pour le lecteur / spectateur, et attire aussi la compassion la plus vive. Avec une actrice de qualité, ces réponses peuvent prendre un relief assez exceptionnel, vu la richesse du matériau psychologique suggéré par le texte.
[C'est cette pièce que William Wyler a vue lors de son pélerinage annuel à Broadway, et qui a constitué le noyau, arrangée par les auteurs eux-mêmes, de son film The Heiress (1949), au début de sa collaboration avec la Paramount. Je ne mets pas d'extrait, il faut vraiment voir l'oeuvre.]
[Il en existe une traduction française par Louis Ducreux, aujourd'hui introuvable, qui a servi, avec des coupures, au livret de L'Héritière de Jean-Michel Damase (1973), une autre oeuvre de grand intérêt, mais la force du livret et de la musique n'atteint pas les dimensions des exemples précédemments cités.]




Le lieu de l'action.


    Bâti

L'ironie distillée sur les personnages provient aussi bien, au fil du texte (pas ici) du narrateur assez détaché que des personnages eux-mêmes, en particulier du père de Catherine. Les points de vue tronqués des figures qui traversent le livre y contribuent également. Même si le narrateur connaît tout des pensées des uns et des autres, il ne les relie pas et de les hiérarchise jamais, si bien que le flou demeure habilement entretenu.

Dans la traduction que je propose, j'ai essayé de rendre ces périodes de James, qui sont à la fois raffinées et désinvoltes, en alternant le vocabulaire soutenu de son texte avec des traits plus familiers, qui traduisent le caractère presque cavalier de Morris. Ce n'est pas du tout réussi du point de vue du résultat (farci de tournures bancales ou discordantes entre elles), mais c'est significatif du point de vue de la démarche qui s'impose au traducteur.

Le seul moment qui réussit peut-être plus à s'approcher de l'esprit de l'original se trouve dans la difficile traduction de sketch, employé pour désigner une description courte :
He said to her, with his charming smile, "Tell me about yourself; give me a little sketch." Catherine had very little to tell, and she had no talent for sketching;
Soit :
Il lui dit, avec son sourire délicieux, « Parlez-moi donc de vous ; faites-moi une petite esquisse. » Catherine avait fort peu à dire, et elle n’avait pas de talent pour le croquis ;
Le jeu de mots qui reprend un autre sens du mot sketch permet à la fois de conserver la reprise de James (sketching) et de la relier à tout ce qui est dit autour de Catherine : son incapacité à se réaliser, en un mot. Dans le même temps où James voulait nous rappeler (cela apparaît comme des ponctuations, pendant toute cette exposition) le silence obstiné de Catherine, on introduit aussi le rappel de ses maladresses constantes dans chaque domaine, malgré l'éducation brillante qu'elle a reçu de son père pour en faire l'égal de sa défunte mère. On ne sait trop si ce talent pour le croquis est métaphorique seulement, ou également concret.

Ce genre de jeu, que James n'avait pas nécessairement prévu ici, est cependant ce qui rend le mieux compte des qualités de son écriture dans Washington Square.


    Donc

Et dans quel but, ce petit repérage ?  Aucun, juste le plaisir d'aiguiser la curiosité des lecteurs.
Mio bene, non vedi ch'io voglio divertirmi ?



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Commentaires

1. Le mercredi 13 janvier 2010 à , par Le fantôme de Miriam Hopkins

Mais vous êtes universel ma parole !


"Bref, l'espace d'une pointe, James réussit un triple but : se moquer du belcanto, de son personnage et amuser son lecteur tout à la fois. Surtout, en faisant mine de tourner en dérision le type de musique qu'on écoutait alors, il complète habilement le portrait de Catherine, qui semble sans cesse la pâle image d'une nature déjà tiède ; "

Vaste question que celle du rapport de James avec ce personnage féminin et pour ma part je n'arrive toujours pas à déterminer quelle est la part d'amour et quelle est celle de la moquerie, voire de la satire.
Quelque fois j'ai l'impression d'un récit glacial et coupant comme un courant d'air. Vous connaissez un des premiers romans de Somerset Maugham, Mrs Cradock ? Le résultat est comparable même si le sarcasme est plus clairement affiché. En même temps il est difficile de ne pas ressentir de l'attachement pour Catherine, mais je ne sais pas si c'est une conséquence de ce que son caractère peut avoir de symbolique (après tout c'est quand même Cendrillon) ou quelque chose d'habilement mené par James (ce que fait très bien Maugham, même si c'est beaucoup moins subtil, encore une fois). Un peu des deux peut-être.

"La phrase, déjà grotesque par l'emboîtement d'un nombre infini d'incidentes, est aussi, sous ses dehors badins, terriblement emphatique. En 1880, parler des années 1840 comme d'un âge de ténèbres est évidemment une exagération flagrante, et on nous laisse entendre que le goût pour Bellini est à pardonner plus qu'un autre crime. "

A propos c'est étonnant comme la scène de l'abandon, y compris dans les quelques paroles de Catherine ("Il m'a abandonné !" Ou quelque chose comme ça, je n'ai pas le texte sous les yeux) a quelque chose de profondèment opératique. A mi-chemin entre le tragique et le mélodramatique. D'ailleurs là encore la simplicité du personnage principale a beaucoup de force étant donné, qu'au vue de cette absence à la culture caractéristique elle ne peut avoir pioché son attitude ailleurs (c'est un peu l'anti Daisy Miller). Ou alors c'est de Bellini et Donizetti qu'elle a appris ce comportement ? :-)

"[C'est cette pièce que William Wyler a vue lors de son pélerinage annuel à Broadway, et qui a constitué le noyau, arrangée par les auteurs eux-mêmes, de son film The Heiress (1949), au début de sa collaboration avec la Paramount. Je ne mets pas d'extrait, il faut vraiment voir l'oeuvre.]"

A noter que le roman, et non la pièce, a été adapté au cinéma il y a quelques années. Le film (admirable) de Wyler a pris un parti, mais a aussi l'apparence d'un sérieux qui déséquilibre peut-être le propos.

En vous souhaitant le bonsoir.

2. Le mercredi 13 janvier 2010 à , par La rougeur aux joues du fantôme

Mrs CradDock (avec double d) vous m'excuserez ... c'est d'écouter les Contes d'Hoffmann en néerlandais.

3. Le mercredi 13 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonsoir Laviniet,

Vous êtes excusé, vous portez très bien l'écarlate de Flandres.

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James, les autres et Catherine

Vaste question que celle du rapport de James avec ce personnage féminin et pour ma part je n'arrive toujours pas à déterminer quelle est la part d'amour et quelle est celle de la moquerie, voire de la satire.

J'ai vu le film avant de lire l'oeuvre, et effectivement, même à la lumière du parti plus empathique de Goetz / Wyler, il est difficile d'être totalement convaincu de la tendresse de James pour son personnage. Oh, elle n'est pas absente, mais de là à déterminer ce qui triomphe en fin de compte, c'est autre chose.

Effectivement, il y a un recul sarcastique presque froid par moment. C'est d'autant plus étonnant qu'on navigue à loisir dans la pensée des personnages.

Cela dit, même chez Wyler, le personnage de Catherine est si gauche qu'on ne peut pas pleinement adhérer, et c'est l'une des grandes réussites du film : ce qui lui arrive apparaît à la fois justifié et insupportable.
Il y a bien la séquence espiègle d'avant la fête de fiançailles de Marian et Arthur, où Catherine émet quelques mots d'esprit, mais la concession est très mince et disparaît vite de l'esprit du spectateur...

Chez Goetz / Ducreux / Damase, c'est différent, parce que Catherine a beaucoup plus de tempérament, ses lignes vocales sont presque spirituelles, et l'absence de reprises à l'anglaise la rend moins gourde. Finalement, la musique de Damase (très homogène d'ailleurs, pas d'évolution) enrobe le tout de façon agréable.
Le gros avantage, c'est que Morris devient assez électrique et irrésistible lors de ses déclarations passionnées. Plus rien du recul calculateur du roman ou de Clift, cependant.


En même temps il est difficile de ne pas ressentir de l'attachement pour Catherine, mais je ne sais pas si c'est une conséquence de ce que son caractère peut avoir de symbolique (après tout c'est quand même Cendrillon) ou quelque chose d'habilement mené par James (ce que fait très bien Maugham, même si c'est beaucoup moins subtil, encore une fois). Un peu des deux peut-être.

A mon sens, c'est la justesse psychologique du portrait, ses faiblesses de victime précisément, qui la rendent attachante. Peut-être tout bêtement une histoire de vraisemblance, réussie à force d'art.

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Adaptations

A propos c'est étonnant comme la scène de l'abandon, y compris dans les quelques paroles de Catherine ("Il m'a abandonné !" Ou quelque chose comme ça, je n'ai pas le texte sous les yeux) a quelque chose de profondèment opératique. A mi-chemin entre le tragique et le mélodramatique. D'ailleurs là encore la simplicité du personnage principale a beaucoup de force étant donné, qu'au vue de cette absence à la culture caractéristique elle ne peut avoir pioché son attitude ailleurs (c'est un peu l'anti Daisy Miller). Ou alors c'est de Bellini et Donizetti qu'elle a appris ce comportement ? :-)

Ce ne peut pas être d'eux qu'elle le tient, puisqu'elle ne les a écoutés qu'à l'orgue de barbarie. <]:o)

Chez Goetz / Wyler, c'est He deserted me. Cette phrase, comme beaucoup d'autres, me paraît vraiment difficile à mettre en musique, question de brièveté, ce ne peut être habité que par la voix parlée à mon humble avis.


A noter que le roman, et non la pièce, a été adapté au cinéma il y a quelques années.

Oui, en 1997. J'avais essayé de le regarder, le tout début est vraiment réussi. On pénètre par la fenêtre dans un intérieur très similaire à James et Wyler, avec le front parlour séparé du salon du fond par une grande porte mobile, il y a une véritable atmosphère surannée, assez proche de l'esprit confit dans lequel se trouvent les Sloper.

Immédiatement, tout est brisé par les derniers hurlements de la mourante en couches. On voit le lit couvert de sang, le mari qui pleure bruyamment, etc. Si j'ajoute que j'image est moche, prosaïque, les mouvements de caméra visibles et la déclamation très banale, autant dire qu'il vaut mieux le regarder avant d'avoir lu, vu ou entendu quoi que ce soit d'autre autour de notre héritière.

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Le film (admirable) de Wyler a pris un parti, mais a aussi l'apparence d'un sérieux qui déséquilibre peut-être le propos.

J'étais certain que c'était votre genre. Je crois surtout qu'il tire tout le parti possible de l'adaptation théâtrale. En l'absence de narrateur ou de personnages qui soliloquent, l'ironie ne peut guère émaner que du père... Difficile d'être tout le temps sarcastique, donc, d'autant que le personnage a sa fonction propre.

4. Le vendredi 15 janvier 2010 à , par Francesco :: site

"Cela dit, même chez Wyler, le personnage de Catherine est si gauche qu'on ne peut pas pleinement adhérer, et c'est l'une des grandes réussites du film : ce qui lui arrive apparaît à la fois justifié et insupportable."

Remarquez cependant qu'on a nécessairement perdu, soixante après le film, l'impact du personnage cinématographique de De Havilland qui a dû compter à l'époque dans le regard que l'on portait sur le personnage. Tout le monde savait qu'en tant que caractère de cinéma elle était jolie, attachante et sympathique. Le rôle avait été prévu un temps pour Bette Davis et créé au théâtre (sauf erreur) par Wendy Hiller avant d'être repris par Miriam Hopkins (qui joue la tante dans l'adaptation cinématographique). Le rendu aurait probablement été extrêmement différent (et ce n'est pas faire injure à la performance justement légendaire d'Havilland dans le rôle).


"Il y a bien la séquence espiègle d'avant la fête de fiançailles de Marian et Arthur, où Catherine émet quelques mots d'esprit, mais la concession est très mince et disparaît vite de l'esprit du spectateur... "

Concession c'est bien le terme, mais qui renvoie plutôt, à mon sens, à la règle immuable qui veut qu'un mélodrame de prestige commence, à Hollywood, sur une note plutôt légère et positive.

"J'étais certain que c'était votre genre. Je crois surtout qu'il tire tout le parti possible de l'adaptation théâtrale. En l'absence de narrateur ou de personnages qui soliloquent, l'ironie ne peut guère émaner que du père... Difficile d'être tout le temps sarcastique, donc, d'autant que le personnage a sa fonction propre."

Là encore il faut, à mon sens, se replonger dans le contexte. Rien que le générique : Wyler d'après Henry James - partition de Copland (je crois) et avec une telle distribution (en dehors du jeune Clift qui n'évoquait rien ou pas grand chose alors) à quoi s'ajoute le choix très signifiant en 49 du Noir et Blanc c'est placer de toutes les manières le film dans une catégorie bien précise, celle du film du prestige, dans laquelle l'ironie et le sarcasme n'ont pas réellement de place.

Je me rappelle bien de l'existence de l'opéra (cela m'avait interpellé) et il y aurait d'ailleurs fort à dire à propos des adaptations littéraires traditionnelles sur les scènes lyriques du XXème (elles vont souvent, à ma connaissance, avec une musique tonale tout à fait abordable). Vous savez les Madame Bovary, les Princesse de Clèves, Les Jane Eyre et autres ... Vous nous faites un billet ?

5. Le mercredi 20 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec

Tout à fait, c'était Wendy Hiller à Broadway (et Peggy Ashcroft pour le West End). Copland pour le score. Ce que tu dis des attentes, des traditions, des réceptions de l'époque me paraît tout à fait primordial, cependant l'allègement initial est loin d'être inévitable... ou alors je l'ai manqué dans To each his own. :-) Et il me paraît ici avoir un sens particulier, à savoir la contradiction de la tendresse assez inexistante chez James pour ses personnages.

Quant à l'ironie et au sarcasme, la pièce des Goetz en déborde au contraire puisque la majorité des répliques sont tirées des nombreux échanges brefs au discours direct présents dans le roman. Il n'y a plus, faute de narrateur, cette distanciation générale, mais la gaucherie de Catherine et l'ironie froide de Sloper sont toujours là.

On pourrait ajouter à la liste la célèbre version de la Chartreuse de Parme par Sauguet, et aussi, côté théâtre, Les Caprices de Marianne du même, La mère coupable de Milhaud ou Hernani de Hirchmann. La grande difficulté, outre que les adaptations sont souvent décevantes, est d'accéder aux partitions. Mais ce serait une idée assez stimulante, d'aller fouiller et d'en enregistrer quelques-unes, surtout pour celles qui n'ont aucune présence discographique (voire scénique récente...). Et puis j'en ai en réserve, je pourrais débuter séance tenante (je l'avais déjà fait pour Salammbô de Reyer, avec extrait sonore maison mais sans rapprochements avec l'original). Je garde la suggestion de côté, ce peut être tout à fait amusant (enfin, Ch. Brontë + M. Berkeley, ça risque faire beaucoup pour la digestion...).

En revanche, pas sûr que j'aie du Maurier dans mes cartons. ;)

6. Le jeudi 21 janvier 2010 à , par Francesco

Hé, hé, hé ... le petit malin ... comme si vous ne saviez pas que la structure d'A chacun son destin correspond à un autre canon du mélodrame de prestige : bruits et fureurs autour d'une personne âgée, puis flash back qui, simplement en la rajeunissant introduit une fraicheur et une légéreté qui ne va aller qu'en s'amenuisant. C'est reculer pour mieux filmer en quelque sorte le principe dont je parlais ... (Romance, La faute de Madelon Claudet, le Chant du printemps etc.) Bon c'est très MGM je vous l'accorde. Le contre exemple qui me vient à l'esprit, moi, ce serait plutôt Johnny Belinda.

Ah sinon, je ne savais pas qu'en plus des nombreux vices que vous exposez à loisir vous étiez aussi anti-Ch.Brontë. Tsssssss ... tout se perd, tout se perd ... ;-)

7. Le jeudi 21 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec

Oui, bien sûr que c'est un autre procédé, mais ce n'est pas si systématique que cela, il y a des tas de dispositifs possibles en réalité. C'est un peu comme si on disait que tous les opéras débutaient par une cavatine de jeune premier ou jeune première attendant son vis-à-vis - ce serait vrai pour pas mal d'opéras italiens et allemands du XIXe, mais pas pour tous, et bien sûr pas pour le reste.

Quant à Ch. Brontë, je n'ai absolument rien contre elle, mais la matière est telle qu'il vaut mieux éviter de la confier à quelqu'un qui en accentuera les faiblesses potentielles. Cela dit, Berkeley n'a pas pu faire plus tarte que Stevenson - c'est peut-être tout à fait comestible et charmant.

8. Le jeudi 21 janvier 2010 à , par Francesco

" il y a des tas de dispositifs possibles en réalité"

Sans aucun doute et heureusement.
Mais je ne parle pas du cinéma en général, on est bien d'accord, mais bien d'une certaine catégorie de mélodrames, grosso modo de 1935 à 1950, bref en pleine apothéose des studios. Les formules étaient répétées de manière souvent inaltérable. Au demeurant commencer sur un ton plus souriant que ce qui vient ensuite ça ouvre le champ à déjà une multitude de procédés. Après, comme vous dites, on ne couvre pas d'une phrase tous les possibles.

9. Le jeudi 21 janvier 2010 à , par Francesco

Il y a même eu un opera adapté de Little women, je crois bien ...

J'attends de vous lire maintenant. :-)

10. Le vendredi 22 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec

J'ai déjà dit que j'étais d'accord sur le point de ce type de récurrence - mais j'émettais l'hypothèse qu'ici, cela ne se limitait pas à la tradition, qu'il y avait vraiment un choix délibérément très différent de James (qui tout en sachant tout de ses personnages, les contemple avec froideur - Catherine y étant une terre gaste complète, et le Townsendgraal en toc).

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