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Anniversaires 2022 : suggestions discographiques et concertantes – I – de 1222 à 1672


2022


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(Pseudo) portrait de Franchinus Gaffurius (par Léonard), puis portraits de Claude Goudimel, Ercole Bernabei,
Denis Gaultier, Heinrich Schütz, Georg Caspar Schürmann,
Antoine Forqueray, Johann Kuhnau, Jan Adam Reincken.




Lettre ouverte

Chers programmateurs,

Veuillez trouver ci-après une liste sélective de quelques compositeurs que vous pourriez mettre en avant pour l'année à venir, en profitant de leurs anniversaires de vie et de mort.

Ne vous privez surtout pas de piller toutes idées à votre gré dans cette liste. 




Éthique de l'anniversaire

Je commence tout de suite par me disculper : je ne suis pas favorable au principe de l'anniversaire.

Dans l'idéal, on  devrait jouer les œuvres qui valent par leurs qualités intrinsèques ou qui entrent dans un dialogue cohérent avec d'autres, documentent des périodes ou des genres… pas les choisir parce que leur compositeur est né il y a deux cents ans (quel choix particulièrement arbitraire, extra-musical, et sans aucune plus-value !), était noir, était femme – dans ces deux cas, le volontarisme permet cependant d'exhumer des fonds qui restent autrement négligés –, était cycliste du dimanche amoureux des platanes ou champion régional du point-de-croix.

L'autre réserve tient à une simple question statistique : le génie n'est pas obligatoirement réparti de façon égale selon les dates. Cela signifie qu'on ne jouera peut-être pas tel compositeur de grand talent parce qu'il est mort une année trop riche, et qu'on jouera tel autre un peu moins intéressant parce que néà une date moins faste…
J'avoue que cette pensée me gêne toujours assez fortement – me dire que notre connaissance du répertoire est bridée ou déformée par des contraintes externes que nous nous imposons, sans grand lien avec la musique elle-même.

Pour autant je ne suis pas tout à fait naïf : pour remplir des salles et vendre des disques (ce qui, même hors de l'argument économique, reste le but de tout concert : être entendu !), avec des compositeurs moins célèbres, il faut bien raconter quelque chose.

Idéalement, un véritable récit (le concert des Lunaisiens hier proposait « comment la chanson a-t-elle nourri la légende napoléonienne ? »), quelque chose qui ait rapport avec la musique, soit par son programme (les représentations de la nature et de l'industrie dans la musique, on pourrait jouer du Knecht, du Mariotte et du Meisel ; ou les contes de Perrault & Grimm ?), soit concernant la musique elle-même – je rêve d'un cycle de concerts épousant le principe d' « Une décennie, un disque », permettant un parcours express de l'histoire de la musique dans un genre donné (le quatuor à cordes viennois, la musique a cappella russe, la tragédie en musique française ou que sais-je…). J'avais fait quelques suggestions dans cette notule.

Même si ce n'est pas l'angle le plus intéressant (ni, assurément, le plus inventif !), l'anniversaire reste un outil qui fonctionne. Notre espèce semble sensible aux symboles de la récursivité du temps, et les pratiques de fêtes à date fixe, de décompte des ans, quel que soit le sujet, paraissent partagées par la plupart des cultures et sur des sujets aussi différents que les créations d'entreprise ou les batailles du temps jadis.

Aussi, je m'y glisse pour suggérer par ce truchement ●quelques idées d'écoutes● aux mélomanes – et qui sait, ■quelques idées de répertoiremarketing inclusaux artistes. En vert les compositeurs que je présente (je suis obligé de faire des choix, il va sans dire !), en rouge ceux qui me paraissent fortement indiqués pour cette année 2022. Les grandes salles ont bouclé leur saison 2022 depuis fort longtemps, mais les petits ensembles itinérants ont peut-être encore un peu d'espace pour glisser un peu de Goudimel, de Certon, de Reincken ou de Perne.



L'an 2022

En relevant 250 noms à partir des centenaires et cinquantenaires de naissance et de décès, je croise quelques très grands noms très bien documentés (Schütz, Franck, Scriabine, Ralph Vaughan Williams…), mais pas de superstar susceptible de toucher le grand public comme Bach-Vivaldi-Mozart-Beethoven-Chopin-Liszt-Brahms-Ravel.

Aussi, il est probable que tout le monde laisse un peu tomber l'idée de l'anniversaire, celui-ci volant en général au secours de la victoire et servant à programmer et vendre encore plus de symphonies de Beethoven (et même pas de ses mélodies irlandaises, ni même de ses sonates avec violoncelle…).
À moins que ces brigands ne tentent l'astuce de compter en quarts de siècle, pour les 125 ans de la mort de Brahms,  les 175 de celle de Mendelssohn ou les 225 de la naissance de Schubert et Donizetti !

La voie étant donc à peu près libre, voici ma sélection (évidemment très incomplète) de compositeurs dont on pourra fêter un anniversaire en 100 ou 50. (Je commence bien sûr, chaque année, par les morts, puisqu'ils sont plus âgés par définition que ceux qui y naissent.) Je tâche de préciser un peu qui ils sont, quels disques écouter, quelles œuvres programmer.

Quoi qu'il en soit, qu'on se rassure : à la Philharmonie de Paris on fêtera bel et bien les 162 ans de la naissance de Gustav Mahler !




Mort en 1222 (800 ans du décès)

Heinrich von Morungen.
→ Auteur et compositeur de Minnelieder. Il sera un peu difficile de lui rendre justice : si les textes subsistent partiellement dans le Codex Manesse, toutes les mélodies ont été perdues. (Un objectif pour musicologue / arrangeur / compositeur contemporain ?)  Certes, sa faible notoriété dans le grand public rendra le concept invendable, mais fêter le plus vieil anniversaire de l'année, quel panache !



Mort en 1272 (750 ans du décès)

Jehan Bretel.

Gautier d'Épinal (1272 est en réalité la date à laquelle on sait qu'il était déjà mort).



Mort en 1372 (650 ans du décès)

Lorenzo da Firenze (peut-être mort en 1373).



Né en 1372 (650 ans de la naissance)

Johannes Cuvelier (aussi connu sous le nom de Jacquemart le Cuvelier, date de naissance approximative)



Mort en 1422 (600 ans du décès)

Henry V d'Angleterre.



Mort en 1522 (500 ans du décès)

Jean Mouton (ou Jehan Mouton – Jean de Hollingue de son vrai nom).
→ Ami de Josquin, compositeur également de grandes pièces sacrées. Sa renommée est telle qu'il est régulièrement cité par les auteurs du temps – jusque dans le prologue du Quart Livre de Rabelais !  Il a pour lui une fluidité très particulière, un sens de la consonance verticale en même temps que de la polyphonie qui le rendent particulièrement marquant – à mon sens.
→ À ne pas confondre avec Charles Mouton, luthiste important du XVIIe siècle.
● Fabuleux disque (motets et Messe Dictes moy toutes voz pensées), très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012), très loin de leurs approches autrefois plus désincarnées – basses rugissantes, contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis en valeur.
■ Comme pour Goudimel ci-après, plutôt destiné aux ensembles spécialistes, qu'on aimerait beaucoup entendre s'emparer de ce répertoire !  (Organum, Doulce Mémoire, Les Meslanges…)

Franchinus Gaffurius.
→ Compositeur, mais avant tout théoricien.



Mort en 1572 (450 ans du décès)

Claude Goudimel
.
→ Grand compositeur de Psaumes dans leur traduction française, à l'intention des Réformés. Dans une langue musicale simple, plutôt homorythmique, très dépouillée et poétique.
● Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la chose. (Couplé avec sa messe, très intéressante également.)
■ Au concert, un ensemble spécialiste pourrait coupler quelques Psaumes (ou toute messe) avec du Janequin ou du Josquin plus couramment programmés. (Mais même un chœur traditionnel pourrait très bien s'en charger. Sans doute pas trop difficile à mettre en place, et très immédiatement beau.)

Pierre Certon.
→ Auteur de chansons.
● Le disque de la Boston Camerata a un peu vieilli, mais permet de bénéficier de l'une des rares monographies.
■ Plus difficile à intégrer dans des programmes hors ensemble spécialiste qui ferait un programme de chansons Renaissance. Mais l'occasion pour eux de le faire !

Robert Parsons.

Christopher Tye.

Francisco Leontaritis (grec).



Né en 1572 (450 ans de la naissance)

Robert Ballard II (possiblement né en 1575).
→ De la dynastie qui des fameux éditeurs, Robert Ballard laisse une œuvre considérable pour le luth – à la vérité, mon corpus préféré ! –, remarquable par sa prégnance mélodique. Il faut dire que ses Suites contiennent surtout des airs de ballets transcrits (chants des ballets des contre-faits d'amour, ou des Insencez, ou encore de M. le Daufin), des courantes, des gaillardes, bransles de la cornemuse et bransles de village, pièces moins formelles que ce qui prévaut à l'ère Louis XIV…
● Formidable disque de Richard Kolb chez Centaur, très éloquent, capté de près sans réverbération parasite. Sélection de pièces de premier choix.
■ On peut espérer que les luthistes s'empareront de cette occasion pour diversifier leur répertoire !

Thomas Tomkins.

Melchior Borchgrevinck.

Johannes Vodnianus Campanus (dont c'est le double anniversaire, étant mort en 1622 !).

Moritz von Hessen-Kassel.

Edward Johnson.

Erasmus Widmann.

Daniel Bacheler.

Martin Peerson (peut-être le même que Martin Pearson).

Girolamo Conversi (date approximative de naissance).




Mort en 1622 (400 ans du décès)

Alfonso Fontanelli.

Giovanni Paolo Cima.

William Leighton.

Scipione Stella.

Giovanni Battista Grillo.

Johannes Vodnianus Campanus.

Salvatore Sacco.



Né en 1622 (400 ans de la naissance)

Ercole Bernabei.

Gaspar de Verlit.

Alba Trissina.

Jacques Lacquemant (DuBuisson, date approximative).



Mort en 1672 (350 ans du décès)

Orazio Benevolo (ou Benevoli).
→ Fils de Robert Bénevot, pâtissier français installé à Rome, il fréquente Saint-Louis-des-Français et finit par composer pour la Cappella Giulia (pour les offices publics de Saint-Pierre, par opposition à Cappella Sistina pour les offices privés du pape). Il pratique couramment les motets et messes à multiples chœurs et nombreuses voix réelles – l'un de ses Magnificat atteint ainsi 16 voix réparties dans quatre chœurs (qui étaient spatialisés, manière de pimenter le chose). De même pour la Messe « Si Deus pro nobis ».
→ Ce n'est pas nécessairement le compositeur polychoral que j'aime le plus – Legrenzi, Beretta, Merula et plus tard D. Scarlatti ont produit des œuvres plus immédiatements éloquentes et mélodiques –, mais ce serait l'occasion de l'exhumer un peu. Ou de le panacher, comme avait fait Daucé pour ses concerts et son disque autour des motets & messes à quatrechœurs.
● Essentiellement trois disques monographiques à ma connaissance : les deux Niquet (Missa Azzolina, Dixit Dominus et Magnificat chez Naxos ; puis Magnificat et la grande Missa « Si Deus pro nobis » chez Alpha), le second étant mieux capté et plus organiquement exécuté, avec de très belles voix de véritables solistes (Boudet, Wattiez, Marcq, Favier…). Et un disque de Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma dirigée par Vincenzo di Betta (chez Tactus), consacré à la Messe « In angustia pestilentiæ » (messe des tourments de la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu laborieusement exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très claire, rythmes très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du XVe…).
■ Pas évident à remonter vu les forces en présence, mais un peu de neuf ne serait pas de refus. Pourquoi pas un petit programme sur les Messes polychorales, à spatialiser à la Philharmonie ou dans une prestigieuse église de l'hypercentre parisien ?  À tisser avec d'autres compositeurs plus fascinants (Legrenzi !), voire avec du contemporain (ou du Nono…), il faudrait juste le vendre comme l'événement vocal spatialisé du moment, chanté dans la pénombre, quelque chose qui fasse ressortir l'expérience sensorielle (de fait saisissante).
 
Denis Gaultier.
→ Cousin parisien d'Ennemond Gaultier de Lyon (qui était souvent appelé Vieux-Gaultier), il est lui aussi luthiste, et leurs partitions étaient parfois publiées avec le seul nom de famille, ce qui a mené à bien des confusions dans les attributions, même de leur vivant. Autant j'aime beaucoup Ennemond (et ses contemporains Gallot, Dufaut, Ch. Mouton…), autant je n'ai pas été très ému de ce que j'ai entendu de Denis.
● Très belle monographie de Hopkinson Smith, toujours engagé et poétique, même si le matériau ne me convainc pas ici.
■ Aisé à inclure dans un récital de luth solo, à supposer qu'on en fasse beaucoup, ou dans un intermède instrumental de concert baroque – si toutefois les interprètes veulent bien condescendre à laisser de côté Kapsberger, Piccinini et Bach… Pas du tout urgent à réentendre, à mon sens, comme Robert Ballard II (ou les autres noms cités).

Jacques Champion de Chambonnières.
→ Grand représentant du style Louis XIII de la suite pour clavecin, en quelque sorte le grand ancêtre de toutes les superstars louisquartoziennes. Le style en reste un peu rigide et sévère.
→ Outre les danses auxquelles on est acoutumé (allemandes, courantes, sarabandes, gigues), on y rencontre une gaillarde et deux pavanes !  Intéressant pour sa généalogie plus que pour sa musique – on est souvent frappé de la pauvreté du langage de la musique instrumentale du règne de Louis XIII.
● Kenneth Gilbert chez Orion a vieilli (et n'existe qu'en volumes séparés, difficiles à trouver), je recommande donc le double disque de Franz Silvestri, de très bonne facture et bien capté, chez Brilliant Classics.
■ Pour débuter en douceur un récital de clavecin français, en le replaçant dans sa généalogie ?

Heinrich Schütz.
→ L'un des quelques grands noms de cette année, mais comme les autres, sans doute insuffisamment starisé pour remplir sans un peu d'effort les salles de spectacle. Il est l'auteur du premier opéra en allemand, Dafne (1627), perdu, comme à peu près tout son legs profane, hormis ses madrigaux (très italianisants, mais plutôt dans le sens de la joliesse un peu plate que de la richesse chromatique) et quelques airs.
→ De nombreux motets subsistent, ainsi que plusieurs Passion. Son style s'étend de la monodie néo-grégorienne (Passion selon Matthieu !) et la modalité post-Renaissance (où l'harmonie n'est que le produit quasiment accidentel de la polyphonie) jusqu'à la rhétorique baroque, certes encore polyphonique, mais davantage fondée sur la progression verbale et harmonique.
● Dans l'immensité de son œuvre, entièrement (et plusieurs fois) enregistrée, deux propositions.
●● Le Musikalische Exequien, son chef-d'œuvre à mon sens, suite de tuilages d'une densité admirable, et d'une poésie intense, vraiment à cheval entre le monde de Lassus et celui de Buxtehude (avec un aspect plus avenant que les deux, façon Louis Le Prince plutôt que Frémart ou Formé…). Kuijken (chez Accent), en tout petit comité, est une merveille absolue. Mais les American Bach Soloists, Rademann, Akadêmia-Lasserre sont remarquables, Vox Luminis, Laplénie, Corboz, l'Asfelder Vocal Ensemble (Naxos) s'écoutent très bien. Herreweghe et The Sixteen m'ont déçu à la réécoute, une certaine mollesse tout de même par rapport à la tenue de la concurrence !
●● Côté Passion, je suis surtout familier de celle selon Matthieu, enregistrée avec des options très diverses (j'ai dû à peu près toutes les écouter). L'Ars Nova Copenhagen (København) chez Da Capo est la plus finement pensée et réalisée, au cordeau, pleine de vérité verbale et d'atmosphères. Celle de l'Opéra de Stuttgart (Kurz), parue chez divers labels économiques (Classica Licorne, Bella Musica…) offre un Évangéliste assez extraordinaire de moelleux et de présence, dans une acoustique sèche très troublante, comme extirpé de l'atmosphère terrestre.
■ On ne fera pas venir les foules avec un programme tout Schütz, musique assez exigeante – bien que la Philharmonie ait déjà proposé un programme scénique autour de Lassus, assez bien rempli d'ailleurs ! –, mais la demi-heure de l'Exequien ferait du bien auprès de motets de Bach, par exemple. Même les ensembles amateurs pourraient oser des choses. (Et les Passion, très nues, pourraient quasiment être programmées par les paroisses avec les moyens du bord.)

Nicolaus Hasse (pas le compositeur de seria !).



Né en 1672 (350 ans de la naissance)

Georg Caspar Schürmann (ou 1673).
→ Compositeur de Basse-Saxe et de Thuringe, auteur de plusieurs opéras en langue allemande et de quantité de musique sacrée.
● On trouve Die getreue Alceste chez CPO, du seria écrit comme de la cantate sacrée à l'allemande, augmentée de quelques chœurs dans le style français. J'aime bien davantage ses cantates (par les Bremen Weser-Renaissance, chez CPO à nouveau), dans une esthétique proche de Bach, et surtout sa Suite tirée de l'opéra Ludovicus Piùs, écrite dans un goût haendelien, mais avec une charpente musicale encore plus ambitieuse, pour un résultat assez jubilatoire et très nourrissant (Akademie für alte Musik Berlin chez Harmonia Mundi) !
■ Encore beaucoup de choses à découvrir, mais les ensembles baroques pourraient au moins glisser une petite cantate dans leurs programmes Bach : ça ne ferait pas un contraste très violent, et permettrait de voir un peu ailleurs. (J'aime davantage que la plupart des cantates de Bach, pour ma part, mais je ne dois certainement pas servir de mètre-étalon en la matière !)

Antoine Forqueray
.
→ Grand gambiste de son temps, considéré par Daquin comme l'égal de Marais. Son œuvre nous est parvenue par une double publication de son fils : comme pièces de violes et comme transcriptions pour clavecin – possiblement avec des ajouts voire quelques compositions de sa main.
→ Sa vie (et celle de sa famille) fut assez animée : sa femme, claveciniste, avait porté plainte à de multiples reprises pour violences conjugales, et lancé une procédure pour vivre hors du domicile, tandis que lui finit par l'accuser publiquement d'adultère… et par faire emprisonner leur fils à la prison de Bicêtre – qui en est libéré faute de fondement à la requête paternelle. Bref, un autre sale type qui compose, on a l'habitude – coucou Jean-Baptiste, coucou Richard.
● Grand classique, on croule sous les propositions des meilleurs interprètes.
●● À la viole de gambe, Vittorio Ghielmi chez Passacaille (très français, très engagé), Pandolfo & Friends chez Glossa (intégrale ; grande variété de textures et de couleurs), Ben-David & Baucher chez Alpha (très enrichi, sans aucune lourdeur, un véritable sens stylsitique, couplé avec du Couperin très réussi), Lucile Boulanger…  [Duftschmidt est un cran en-dessous, et Mattila (chez Alba) assez sec, je n'ai pas trop aimé.]
●● Au clavecin, Le Gaillard (superbe équilibre, altier, chantant et âpre, mais publié chez Mandala et donc introuvable), Rannou (captée de trop près, très orné et un peu arrangé, toujours d'une invraisemblable richesse), Borgstede chez Brilliant (riche son comme toujours, un peu régulier peut-être), Leonhardt, Beauséjour chez Naxos, Taylor chez Alpha…
■ Une mission pour le Festival Marin Marais et quelques concerts Philippe Maillard ?  Ou d'ensembles chambristes épars, d'ailleurs.

Francesco Mancini.



Mort en 1722 (300 ans du décès)

Johann Kuhnau.
→ Romancier, traducteur, juriste, théoricien de la musique et surtout compositeur, Kuhnau fut formé à Dresde puis à Leipzig, où il occupe le poste de Thomaskantor comme prédécesseur de Bach. Musique sacrée évidemment, mais aussi musique pour les claviers, et même des opéras – hélas je ne sache pas qu'aucun d'entre eux ait jamais été capté.
→ Ses cantates sont écrites dans le goût du temps, avec un véritable savoir-faire, et des sonorités parfois plus archaïsantes, mêlant un peu de Monteverdi (l'harmonie) et Purcell (le type de virtuosité vocale) à ses autres aspects davantage Buxtehude et Haendel.On y rencontre aussi de très beaux ensembles dans le goût de Steffani et Pfleger.
→ Son bijou le plus singulier réside dans ses étonnantes Sonates bibliques, qui évoquent à l'orgue seul, en plusieurs mouvements comme une cantate, des épisodes épiques de l'Ancien Testament : « Combat de David & Goliath », « Saül mélancolique et apaisé par le truchement de la Musique », « Ézéchias agonisant et revenu à la santé », « La tombe de Jacob »… Épisodes très animés, mélodiques et débordant de vie – ces longues réjouissances à la fin de la sonate de David !
● Il existe une intégrale des œuvres sacrées chantées chez CPO (Opella Musica & Camerata Lipsiensis, avec des couleurs particulièrement douces et chaudes) et une intégrale de l'orgue chez Brilliant Classics (Stefano Molardi, sur un bel orgue bien capté et très bien registré).

Jan Adam Reincken (ou Johann) (ou Reinken).
→ Clavériste et gambiste, cofondateur de l'Opéra de Hambourg (petite enclave où l'on jouait non seulement de l'opéra allemand, mais même multilingue !), c'est un grand représentant du stylus phantasticus en vogue au Nord de l'Allemagne – même si, à l'écoute de l'auditeur d'aujourd'hui, on est surtout frappé par la concentration formelle et harmonique de ses œuvres, où l'abstraction et l'exigence l'emportent plutôt sur les traits virtuoses ou figuratifs (qui ne sont certes pas absents de son œuvre).
→ En 1705, Bach fait le voyage à Hambourg pour l'entendre, et manifeste son admiration ; il est considéré comme l'une de ses influences importantes.
● Si vous le trouvez, le disque de Clément Geoffroy (chez L'Encelade) est une merveille d'intelligence discursive. À défaut, on trouve facilement l'intégrale de Simone Stella (clavecin et orgue, en séparé chez OnClassical puis réédité en coffret chez Brilliant Classics)). Je n'ai écouté que la partie clavecin, sur un instrument pas très beau et capté d'un peu trop près. Autre œuvre importante : Hortus musicus, des sonates pour 2 violons, viole de gambe et clavecin qui se trouve en diverses versions.
■ Là aussi, assez aisé pour les solistes (ou les chambristes baroques) d'en glisser un peu lors d'un concert. La densité et le caractère peu souriant de l'ensemble ne plaident pas nécessairement pour un concert tout-Reincken (j'ai déjà testé, le fonds est suffisamment varié pour s'y prêter très bien), mais en panachant avec du Bach à la sauce phantastica, l'astuce est toute trouvée.

Francesc Guerau (ou 1717).

Ruggiero Fedeli.

Jean-Conrad Baustetter.

Maria Frances Parke.




… le temps passé à rédiger les notices étant assez considérable… je vous donne donc rendez-vous pour la suite de la liste, jusqu'en 1972, pour les prochaines livraisons, que je tâche de réaliser au plus tôt !
Le temps aussi pour vous, studieux lecteurs, de commencer à écluser les univers qui se déversent incontinent sur vous.

Nous ferons ensuite, si vous le voulez bien, un petit bilan de la moisson – ce que ça révèle (aléatoirement, comme soulevé précédemment…) des pans enfouis de l'histoire de la musique, et ce qu'on peut peut-être en tirer pour une programmation 2022.

À très bientôt, estimés lecteurs. Puissiez-vous, dans l'intervalle, survivre aux frimas, aux covidages nouveaux et aux remugles vichyssois fantaisistes. Le slalom, c'est la santé.





Seconde livraison

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Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.




Né en 1722 (300 ans de la naissance)

Jiří Antonín Benda.
→ Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha, Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion) – au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique. Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée), ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les deux volumes de Christian Benda (avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant laissé à l'appréciation de l'interprète !  Il suffit de traduire par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué !  Je rêve d'un couplage entre Ariane ou Médée d'une part, la Cassandre de Jarrell d'autre part.

Johann Ernst Bach II. (1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque, et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du tout de l'oratorio marqué par le seria en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant chez lui sont ses Fantaisie & Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de la Toccata & Fugue en ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus (comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois, cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion (1764) gravé par Hermann Max (chez Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick, Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment. Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que je m'y risquerais (remplissage) !  Mais pourquoi pas, dans un concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !

Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées d'ariettes » (Le mariage d'Antonio ; Toinette et Louis – lequel est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une piste de sa main.

Sebastián Ramón de Albero y Añaños.

Pierto Nardini.

John Garth.



Mort en 1772 (250 ans du décès)

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet à la mode Louis XV (17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit, la marche liminaire d'In exitu Israel, la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit tabernaculum suum »  dans Cœli enarrant gloriam Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2 ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour les trois déjà enregistrés (Isbé, Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos), pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée, 1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des couleurs chez Coin pour Cœli enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une thématique (Babylone avec Dominus regnavit ?  fuite d'Égype avec In exitu Israel ?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël, description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).

Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle Royale… Daquin est une figure majeure des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin (qui contient le fameux Coucou, quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls, qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution, c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de son legs, à savoir les noëls, je vous recommande très vivement Adriano Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer sur les flûtes et anches très françaises, particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque (Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ?  Il y aurait un petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient parmi les classiques favoris.

Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu trouver aucune piste musicale incluant sa musique.

Francesco Barsanti.

Johann Peter Kellner.

Georg Reutter le Jeune.



Né en 1772 (250 ans de la naissance)

Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un musicien majeur de son temps. Ses 3 concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement les meilleurs de la période classique et romantique, très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore, l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument merveilleuse ;
●●  deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore) où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda, Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes / beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en musique par Schubert, auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette et plus encore la Première Symphonie feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos qui n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!), hautbois-basson-cor !  Quelle fête ce pourrait être !

Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en octuor à vent – particulièrement Don Giovanni et quelquefois la Clémence de Titus, les arrangements des Noces et le plus souvent de la Clemenza étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così, c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2 clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se piacer mi vuoi », clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano », « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto, ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »), respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut écouter l'Oslo Kammerakademi dans La Clemenza di Tito (chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour Don Giovanni (Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor, utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal », et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a aussi bien enregistré des extraits de Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de compte, des traditions d'époque.

François-Louis Perne (1772–1832).
→ D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris, Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris (« inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie en Tauride de Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique, les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens (fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro, mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ». Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)

Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au front), mais aussi un pianiste considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son monumental L'Art de varier, très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous recommanderais plutôt le Quatuor scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est aussi le dédicataire du Troisième Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme d'abord de la grande musique oubliée.

Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).

Thomas Byström.

Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double anniversaire cette année !




Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ; mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon, certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.

Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine livraison – la septième va vous étonner !



1822 – Dupuy, Davaux, Hoffmann… : la perte des Reines du Nord, l'inventeur véritable du métronome, l'auteur de génie qui compose…


Troisième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
Nos héros morts ou nés en cette année 2022 :
Dupuy au centre, puis de haut en bas Raff, Davaux, Hoffmann, Franck.




[[]]
Premier mouvement du Concerto pour basson en ut mineur d'Édouard Dupuy.
Sambeek, Chambre de Suède, Ogrintchouk (BIS 2019).


(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de la quelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)




Mort en 1822 (200 ans du décès)

1822  Édouard Dupuy (1770–1822) (ou du Puy, ou Du Puy…)
→ Quel gaillard que ce Dupuy !  Il naît en Romandie, canton de Neuchâtel, élevé par un oncle musicien. De là, accrochez-vous : il part à Paris étudier le piano avec Dussek et le violon avec Chabran. Il est aussi un excellent chanteur, se produisant sur scène en Don Giovanni, un baryton assez léger pouvant tout de même tenir au besoin les rôles de ténor et de basse, voire chanter des parties en falsetto
        → → Il rencontre le frère de Frédéric de Prusse et c'est le début d'un tour d'Europe : le voilà musicien, puis chanteur au service de la chapelle du Prince. Mais il séduit, après les actrices, trop de dames de l'aristocratie – et il se présente à l'office du dimanche sans descendre de monture (non, je ne parle pas des duchesses, tenez-vous enfin !) –, si bien qu'il est expulsé du pays.
        → → Qu'à cela ne tienne, tournées en Pologne, en Allemagne, et notre bougre devient violoniste à l'orchestre de la Cour royale de Suède ; il y rencontre aussi un vif succès en chantant dans les opéras comiques traduits de Grétry et Gaveaux, alors très en vogue dans le pays – son accent français étant considéré comme un atout supplémentaire. Mais il fréquente de trop près (i.e. soulève) Sophie Hagman, la maîtresse royale officielle du prince Frederick Adolf, et chante des airs à la gloire du Premier Consul, assez peu goûtés en monarchie. Bannissement.
        → → Il faut bien se contenter du Danemark (où il se marie, mais qui s'en soucie ?), où il atteint la gloire à de multiples titres : succès retentissant pour son Ungdom og Galskab (« Jeunesse et folie »), opéra comique appuyé sur un livret de Bouilly pour Méhul ; triomphe dans le rôle-titre de Don Giovanni ; coqueluche des cercles mondains (ayant ses propres réceptions) ; carrière d'officier militaire dans les Chasseurs Danois, où il mène une résistance admirée face aux Anglais en 1807 ; enfin le dernier titre de notoriété, celui que vous attendiez, il est pris en flagrant délit de gros bisous avec la princesse héritière Charlotte Frederikke qui avait sollicité ses leçons de chant ! 
        → → Mais entre temps… le prince suédois est renversé et remplacé par Bernadotte, Dupuy peut retourner en Suède comme rien de moins que chef (sévère) de l'orchestre de la Cour. On pense même qu'il enseigna au jeune Berwald.
● Peu de choses au disque, mais beaucoup de marquantes. Voici par quoi commencer :
        ●● Le Concerto pour basson en ut mineur, retrouvé par Bram van Sambeek – l'histoire de sa résurrection est saisissante : le bassonniste avait demandé une copie du Quintette (basson & quatuor à cordes) en la mineur, qui existe aussi sous forme de concerto – ce quintette est sa seule œuvre un peu jouée et enregistrée avec le Concerto pour flûte n°1 et l'Ouverture d'Ungdom og Galskab. Il avait reçu par erreur ce concerto dont il ignorait l'existence !  L'univers sonore en est très dramatique (certaines mélodies sont peut-être empruntées à des opéras), on sent l'influence du drame d'école cherubinienne dans ses tournures à l'éclat farouche et sombre. Le thème B du premier mouvement est absolument ineffable, et son introduction très originale : le thème A est joué seulement à l'orchestre, pendant près de deux minutes, et le basson fait son entrée sur ce véritable thème B… mais caché sous la clarinette qui chante la ligne supérieure du thème !  Possiblement un clin d'œil du compositeur, puisque le beau-frère du commanditaire était Crusell, le grand clarinettiste de ces années, qui officiait dans lui aussi dans l'Orchestre de la Cour de Suède… leur entrée était ainsi commune. Cette liberté formelle et ce sent du contraste m'évoque beaucoup le premier mouvement du Concerto l'Empereur de Beethoven, pour rester dans les menus compliments… Splendide disque disponible chez BIS, parution de 2019 ou 2020, et l'un de ceux que j'ai le plus écoutés cette année toutes catégories confondues…
        ●● Son opéra comique à succès Ungdom og Galskab (d'après un livret pour Méhul par Bouilly, l'auteur de Léonore qui a servi à Gaveaux puis Beethoven) a été remarquablement enregistré chez Dacapo (la branche danoise de Naxos, très richement pourvue en raretés de qualité exceptionnelles, de Kunzen à Ruders en passant par Hamerik), avec notamment les superstars vocales et artistes de premier plan Elming, Cold et Schønwandt !  En bonus, le Concerto pour flûte n°1, lui aussi assez dramatique, qui reprend des tèmes de l'opéra.
■ Je peux comprendre que l'on ne représente pas d'opéras en danois (et je ne vais pas revenir dans cette notule sur l'intérêt majeur dans ce cas d'une version traduite…), mais les concertos remporteraient un vif succès auprès du public.
On pourrait imaginer, au choix :
■■ Une soirée « Dupuy le séducteur » avec un récitant qui raconte de façon plaisante ses aventures : Pauline Long des Clavières, Roger Cotte, Gorm Busk, Vincent Alettaz ont mené des recherches assez précises pour pouvoir soutenir une heure et demie de spectacle entrecoupée de musiques, pour peu qu'une plume un peu adroite le présente un peu savoureusement. Ce n'est pas mon idéal de spectacles, mais on a pu vendre du Saint-George avec ce concept, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas vendre de la bonne musique avec la même idée !
■■ Une soirée « Concertos classiques / premiers romantiques pour vents », avec la flûte de Dupuy, le hautbois de Mozart (pour rassurer les gens), la clarinette de Cartellieri (ou Crusell, ou Krommer…), le basson de Hummel… On pourrait vraiment proposer un concept original, intriguant, délicieux et convaincant. (Pendant ce temps la Philharmonie invite La Scala pour jouer Pétrouchka et Oslo pour jouer Mahler…)


Jean-Baptiste Davaux (ou d'Avaux)
→ Figure tout à fait considérable et pourtant quasiment pas représentée au disque ni dans l'imaginaire collectif. Il se considérait lui-même comme amateur, mais a laissé des opéras comiques à succès, des symphonies très bien accueillies, et beaucoup de concertos et symphonies concertantes, souvent programmées au Concert Spirituel et largement fêtées par le public et la presse dans les années 1770-1790.
        → → Venu étudier le violon à Paris, Davaux fréquente les cercles littéraires, musicaux (notamment Martini et Saint-George), est membre de la loge maçonnique des Neuf Sœurs (celle de Voltaire et Franklin )… un garçon très inséré, et qui est aussi l'inventeur d'un « chronomètre » réalisé par Bréguet lui-même, en réalité un métronome visuel. On sélectionnait le nombre de temps par mesure, la vitesse de chaque temps avec la petite aiguille, et la grande indiquait alors la pulsation. On est trente ans environs avant Maelzel – qui, certes, est réputé avoir volé son propre système. Un honnête homme complet, donc.
● Pour autant, à ma connaissance, une seule œuvre est actuellement disponible au disque, la Symphonie concertante mêlée d’airs patriotiques pour deux violons principaux (1794). Dans deux excellentes versions couplées avec d'autres œuvres de la période, celle du Concerto Köln de 1989 (qui n'a pas du tout vieilli) et celle toute récente du Concert de la Loge Olympique, deux ensembles qui se sont illustrés parmi les meilleurs interprètes des compositeurs français de cette génération. On y entend, dans une veine primesautière, des citations d'airs patriotiques, à peine ornées de variations, qui ont l'avantage d'être aussi ceux que nous connaissons : La Marseillaise dans le premier mouvement, « Vous, qui d’amoureuse aventure » de Dalayrac (très populaire sous la Révolution et recyclé ensuite en « Veillons au salut de l'Empire ») dans l'adagio, la Carmagnole et Ça ira dans le final… Très réjouissant, aurait un énorme succès en concert, exactement comme à l'époque où ces thèmes connus garantissaient par avance la sympathie du public.
■ Sans même explorer plus avant le fonds du catalogue Davaux, imaginez un concert « patriotique » au moment judicieux, où l'on jouerait la Marseillaise de Berlioz, Hermann & Dorothée de Schumann (il existe aussi une version orchestrale des Deux Grenadiers), 1812 de Tchaïkovski, Feux d'artifice de Debussy, La nouvelle Babylone de Chostakovitch (une BO)… et bien sûr, si l'on veut, le 25e Concerto pour piano de Mozart… Cette symphonie concertante s'y glisserait avec beaucoup de succès, et nul doute qu'un 14 juillet ou un week-end d'élections, cela pourrait motiver un public beaucoup plus vaste que l'ordinaire.


  E.T.A. Hoffmann (en réalité E.T.W. Hoffmann)
→ On présente souvent Hoffmann comme un écrivain, à l'instar de Nietzsche ou Adorno, qui écrivait aussi un peu de musique. En réalité, une grande partie de sa vie, y compris professionnelle, y a été consacrée !  Il écrit au moins 13 œuvres pour la scène (et qui sont jouées), des cantates, de la musique sacrée, de la musique symphonique et chambriste, et il est même, à la fin des années 1800, chef d'orchestre au théâtre de Bamberg ! 
        → → Tout les commentateurs sont frappés par la sagesse de sa musique, en opposition avec son imagination fantastique dans ses écrits. Il admire Mozart, mais compose vraiment comme la génération d'après, d'un romantisme évident, et qui conserve cependant une partie de sa grammaire classique. Je concorde : même ses opéras sont assez paisibles.
● Il m'a fallu beaucoup de patience, et notamment à l'occasion de cette notule, pour rencontrer des œuvres qui méritent vraiment d'être entendues pour des raisons purement musicales, et non par seule et légitime curiosité d'entendre la musique pensée par le grand écrivain : la plupart de son catalogue ménage très peu de surprises, de la jolie musique du rang, bien faite, mais sans saillance qui traduise la singularité d'un esprit. Presque des devoirs d'étudiant, qui cherche à réutiliser habilement les tournures autorisées, et qui se fait progressivement un métier en imitant ses pairs et en respectant les règles.
        ●● Jolie Symphonie en mi bémol, plusieurs fois enregistrée, très bien réalisée par M.A. Willens chez CPO (très vivant)… mais la comparaison avec celle de Witt proposée en couplage (qui n'est pourtant pas la meilleure de sa génération) est cruelle : dans l'une, tout est à sa place, d'un bel équilibre, écrit en toute correction, tandis que l'autre propose des gestes plus singuliers, la marque d'un compositeur qui réfléchit sur la substance musicale et ne se contente pas de reproduire des formules préexistantes. Pour autant, la symphonie d'Hoffmann, ainsi jouée, mérite l'écoute.
        ●● Les opéras (ou le mélodrame Dirna) et la musique de chambre, qui figurent désormais assez largement au disque, m'ont paru moins marquants, vraiment la musique du rang de son temps : pas déshonorant, et même impressionnant pour quelqu'un d'aussi talentueux par ailleurs, mais assez peu de saillances pour justifier d'y passer beaucoup de temps alors que le disque offre tant de choix plus exaltants.
        ●● C'est sans doute la musique sacrée qui est la plus intéressante, la Messe et surtout le Miserere (plutôt la version Bamberg-Beck chez Koch/DGG que R.Cologne-R.Huber chez CPO). Le disque Beck permet de surcroît de disposer d'une bonne version de la symphonie, c'est-à-dire de faire le tour de l'essentiel en un disque. Mais je ne doute pas que vous ne soyez suffisamment curieux pour essayer les opéras tout de même…
■ Le nom d'Hoffmann étant lui-même vendeur, on peut imaginer tous les formats !
        ■■ Le concert-lecture bien sûr, par exemple avec sa musique de chambre entre ses écrits. Mais attention au contraste entre la précision évocatrice, les situations saisissantes de ses fictions, et la conformité un peu lisse de ses compositions.
        ■■ L'écho, par exemple sa Messe ou son Miserere en regards de bouts des Contes d'Hoffmann ou bien sûr de Don Giovanni.
        ■■ Un concert consacré aux écrivains célèbres qui étaient également compositeurs, il y en a quelques-uns (Nietzsche est tout à fait intéressant, Adorno pas vraiment).
        ■■ D'une manière générale, il ne serait pas très compliqué de glisser une piécette pour pimenter un programme de l'époque, suscité la curiosité du public « oh, un truc d'Hoffmann ».

Et aussi :
William Herschel (1738–1822).
Gaetano Valeri (1760–1822).
Maria Brizzi Giorgi.
Maria Frances Parke, dont c'est deux fois l'anniversaire cette année (1772-1822).
Maria Hester Park (1775–1822).



Né en 1822 (200 ans de la naissance)

César Franck
→ J'irai vite sur Franck également : figure majeure de la musique (de langue) française, le pont entre son auditoire parisien et le chromatisme wagnérien qu'il fait infuser sur toute une génération de compositeurs français dont les audaces nous fascinent ensuite. Je trouve frappant qu'on entende chez Franck à quel point c'est aussi un homme du monde qui a précédé : on entend ses années de formation dans certaines de ses œuvres, je veux dire par là qu'on entend qu'il n'a pas été, lui, éduqué par Franck, et que le socle de son art repose sur des formules plus simples que celles qu'il a adoptées et diffusées par la suite. Jusque dans les œuvres de maturité, il reste quelque chose d'un peu stable et nu quelquefois.
● Son catalogue est amplement servi, quelques pistes si vous êtes perdus.
●● Le plus décanté, dense et abouti, représentatif de sa pensée chromatique aux extérieurs simples, réside sans doute dans ses 3 Chorals pour orgue. Énormément de versions, parmi lesquelles j'aime beaucoup Guillou chez Dorian (la registration variée favorise la progression), M.-C. Alain 1976 chez Erato / Apex (registration peu éclatant, mais poussée constante), Latry (son brillant, respiration ample mais toujours tendu).
●● Dans le même goût, mais plus ouvertement retors et sinueux, bifurquant sans cesse entre les tonalités, que réellement décanté,  le Quatuor en ré. Par exemple par les Petersen chez Phoenix (si l'on aime le son un peu pincé et le vibrato généreux) ou par les Danel chez CPO (si l'on veut avant tout de la lisibilité et du mouvement plutôt que de la couleur).
●● La Symphonie en ré mineur est incontournable, mais attention aux versions lourdes et germanisées que l'on rencontre le plus souvent, y compris avec des orchestres français (Mikko Franck) ou même des chefs français (Monteux). On perd alors beaucoup de lisibilité et surtout d'intelligibilité… L'urgence de Cantelli, la transparence d'Otterloo, la franchise très française de Gendille (quel style !), la filiation française de Lombard et Langrée, ou plus germanique mais très réussi, la rondeur tendue d'Arming ou l'élan cursif de Neuhold… ce sont de bonnes adresses.
●● Pour disposer d'une idée de ce que produit l'éducation musicale de Franck, il faut plutôt se tourner vers l'opéra… Je n'ai pas vérifié si Stradella avait été publié en DVD, mais c'est un opéra qui donne à entendre tout un versant italien, beaucoup plus nu et méconnu, de Franck, et assez réussi. (Tandis que Hulda, enregistrée récemment et bientôt donnée par Bru Zane, me paraît receler assez peu de merveilles à la lecture comme à l'écoute…)
●● Peut-être plus abouti dans le genre du Franck-tradi, on peut aller écouter ses mélodies et ses chœurs, sacrés ou profanes. Par exemple avec le bel album paru l'année passée De l'autel au salon (Chœur de chambre de Namur, Lenaerts, Musiques en Wallonie), qui fait entendre des œuvres à la fois simples et manifestant une maîtrise précise des moyens musicaux.
■ La musique vocale, mélodies et musique chorale, est sans doute ce que l'on connaît le moins de lui. Ce serait l'occasion d'en mettre un peu au programme. Cette saison, Bru Zane va déjà nous offrir Hulda dans les meilleures conditions sonores imaginables (distribution et orchestre). Un petit concert plus chambriste serait très bienvenu aussi.

Josef Joachim Raff.
→ Je connais mal Raff, et ce que j'en connais ne m'a que modérément donné envie d'approfondir. Romantisme allemand assez épais, qui essaie d'échapper au formalisme par des programmes, mais auquel il manque à mon gré le sens de la surprise, du contraste, de l'orchestration, de la mélodie aussi. Tout ronronne bien joliment et je n'ai à ce jour pas été ébloui, en particulier par les symphonies, qui jouissent de la meilleure réputation. Le catalogue étant vaste et bien documenté, il m'aurait fallu plus de temps que je n'en ai pour chercher les pépites, dans un goût qui me passionne moins que les autres individus dont j'ai parlé ici.
→ Ce serait justement la tâche de l'anniversaire que de compter sur des musiciens qui auraient déniché la pépite, comme le font Héloïse Luzzati ou Francis Paraïso, et de leur laisser la place le temps d'une soirée thématique où ils sauraient sléectionner le meilleur !

Luigi Arditi.
Faustina Hasse Hodges.
Betty Boije




Vous le verrez, 1872 est encore plus concentré en grands noms – ou noms de moindre renommée mais au catalogue ébouriffant !  C'est 1922 qui est un peu décevant, alors que 1972 tient très bien son rang ! 

Mais si vous ne connaissez pas Dupuy et Davaux, ou si vous êtes un peu curieux des aspects méconnus d'Hoffmann et Franck, vous devriez avoir déjà de quoi vous émerveiller un peu, en attendant.




Quatrième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.


[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).


(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de laquelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)




Mort en 1872 (150 ans du décès)

Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne, considéré comme le compositeur emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres très passionnantes.
        → → Straszny dwór (« Le Manoir hanté ») est un opéra comique manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet)
        → → Halka est tout l'inverse : une hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus, de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout finit très mal. C'est un peu Jenůfa, avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
        → → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus célébrés chez lui :
        ●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci très vivement !
        ●● la Messe en la et des motets (album « Sacred Music » chez DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment personnels mais réellement agréables au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque, consacré aux Messes polonaises et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins bon niveau) ;
        ●● le Premier Quatuor, également d'un beau romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour, au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !  On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique / pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński, Nowowiejski, Różycki ou Penderecki !  Ceux-là pourrait remporter un véritables succès – en plus du Roi Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).

Michele Carafa.
Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29 opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans et La Belle au bois dormant
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto » vol.2 chez Opera Rara), un air de Le Nozze di Lamermoor dans le récital « Stelle di Napoli » de Joyce DiDonato, et deux scènes de Gabriella di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford (atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !) qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la cantate d'Ollone (plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr l'oratorio d'Honegger, voire l'opéra de Verdi ? Un petit partenariat entre salles parisiennes ?  Versailles et TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ?  Ce serait parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien, mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa fierté, on célèbre Jeanne !  (et on joue plein d'opéras russes, cf. supra de toute façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde s'effondre)

Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.




[[]]
Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).


Né en 1872 (150 ans de la naissance)

Alors là, 1872, c'est l'année de folie !  J'essaie de classer en commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !

Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin, occupe de hautes responsabilités, professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne, directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin… et aussi membre de la Ligue de combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer… il devient particulièrement joué à partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de tous les dégénérés dans le style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti, il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender pour  réintégrer les nazis qui ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne demandaient rien. Pas évident à brander pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et un autre par Prey (Der Rock, aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne » reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914) ou Der Prinz von Homburg (1935). Il a aussi commis un Friedemann Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure d'artiste comme celle de Johnny spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez Jube Classics par exemple), Die Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur « Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle étourdissante), Échos du Royaume de Pan (son œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz Eugen ».
Variations sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter » (« Le Prince Eugène, ce noble chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717 (première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre : discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes (augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors !), fugato pépiant inspiré des Maîtres Chanteurs (l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano, Danses suédoises, Divertimento, une autre Sinfonietta. Des œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ?  Clairement, pour du symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce indirectement.
Néanmoins, les Variations sur « Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela galvaniserait l'auditoire !  (Après tout ça ne semble poser de problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne toucheront pas un sou…) 

Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans, comme chef notamment, puis s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies. La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même, splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent aussi le détour, comme Gustaf II Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa musique chorale est très simple et très belle, et fait partie des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des anthologies (le merveilleux Sköna Maj des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén » (OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra !  Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des références folkloriques dans la Troisième, avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu dans ses propres œuvres !  Quant à la Quatrième, très cursive (on croirait qu'il dirige Don Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul !  Le folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement, avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour plaire au public mahléro-sibélien !  Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné !  Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le monde aura terminé de s'effondrer ?  L'accroche est facile en plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents », faites-le avec des projections de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de Paris ?




1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan Williams… !

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Commentaires

1. Le samedi 13 novembre 2021 à , par Oudeis

Joyeux anniversaire à Reincken et Mouton, que je découvre avec délices. Merci David!

2. Le mardi 16 novembre 2021 à , par DavidLeMarrec

Oh, si ces suggestions ont un effet, j'en suis ravi. Jean Mouton est vraiment à connaître en effet, quelle pensée musicale majeure !

Reincken est, lui aussi, un classique – ce ne sont même pas des compositeurs inconnus, plutôt des maîtres qui officient dans une niche peu explorée de la musique classique, mais qui sont très bien identifiés par les fans de telle période / forme / aire !

La suite arrive bientôt !

3. Le mercredi 17 novembre 2021 à , par Oudeis

Oui, cher David, votre site regorge de perles autrement plus secrètes (j'ai adoré Pfleger). J'ai juste saisi l'occasion d'un enthousiasme particulièrement marqué pour vous remercier de l'ensemble.

4. Le mercredi 17 novembre 2021 à , par DavidLeMarrec

Oh, je suis heureux que vous ayez apprécié Pfleger ! Il m'a pris beaucoup de temps, mais j'ai ainsi appris à l'aimer vivement, à force de réécoute et grâce aux deux disques splendidement exécutés qui sont disponibles.
Et bien sûr ravi que vous trouviez votre compte en d'autres occurrences. Merci pour ce mot très encourageant !

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