Carnets sur sol

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jeudi 31 mars 2011

Philomèle de Pierre-Charles Roy : le tragique rugueux - I - De la galanterie à l'horreur


Philomèle est une tragédie lyrique d'un compositeur dont il ne reste plus rien à disposition du grand public, Louis de La Coste qui a assez fortement marqué les esprits lors de cette création, en 1705. La pièce remporte un beau succès inattendu, en partie à cause de la musique (dont l'exactitude prosodique est vantée, en tout cas pour les récitatifs), mais grandement aussi à cause du poème de Pierre-Charles Roy, d'une vigueur inusitée.
En effet, en ce tournant du XVIIIe siècle voisinent les succès extraordinaires de l'opéra-ballet à entrées (L'Europe Galante de Campra, Issé de Destouches, Les Fêtes Vénitiennes de Campra à nouveau...), exposant d'aimables galanteries plus ou moins pittoresques, et l'apparition d'un genre de tragédie très noir, qui au lieu de l'apothéose traditionnelle, se change en catastrophe avec la surenchère que permet le genre mis en musique.


Il faut peut-être revenir sur l'essence de la tragédie lyrique à ce moment précis.

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A. La première école

Au temps de Lully, dans ce qu'on désigne sur CSS comme la "première école", on parle de "tragédie en musique" pour désigner un genre tout à fait distinct de la tragédie parlée, qui obéit à ses codes propres et doit beaucoup au modèle de Cavalli (longs récitatifs en basse continue, quelques airs brefs, prépondérance du drame), pour qui Lully avait écrit les ballets des représentations parisiennes d'Ercole Amante.

Dans ces premières oeuvres intégralement lyriques en français, les règles sont donc distinctes de la tragédie traditionnelle : le vraisemblable est remplacé par le merveilleux, et l'on oppose à l'unité de lieu (qui limitait les déplacements au vraisemblable) un changement systématique de décor, qui se justifie souvent par les capacités surnaturelles dont sont dotées les personnages.
La logique de ce théâtre est en réalité celle d'un théâtre à machines et d'une façon générale à grand spectacle, où l'action doit aussi servir de support à des démonstrations de ballet, de décors, de machinerie. Si l'on ne tue généralement pas sur scène, les suicides y sont en revanche fréquents : Quinault ne l'ose pas pour Atys, mais Campistron le réalise pour Achille et Polyxène.

A cette époque, le dénouement est traditionnellement positif : il s'agit aussi d'un spectacle d'apparat au service du roi (d'où les flatteries plus ou moins subtiles, plus ou moins éhontées des Prologues). Chez Lully, on recense ainsi Cadmus, Alceste, Thésée, Isis, Bellérophon, Proserpine, Persée et Amadis (sans compter la pastorale Acis & Galatée qui s'achèvent dans une jubilation finale, ménageant souvent un acte entier pour ce faire après une résolution de l'action dès le quatrième acte ou en début de cinquième. Soit une majorité (8 sur 12 tragédies achevées).
[A noter tout de même que dans Bellérophon, le retour au calme se fait après dévastation et morts nombreuses par le monstre, et clairement soulignées par l'acte IV, donc non sans une certaine amertume.]

Il existe cependant quelques exceptions, qui deviennent de plus en plus fréquentes au fil de la carrière de Lully.

1) La défaite des héros méchants :
=> Dans Phaëton, le héros éponyme est un contre-modèle, un parangon de prétention et d'ambition qui pour satisfaire sa soif de gloire brise le coeur de deux amants fidèles, et étale partout son assurance et sa morgue, jusqu'à se prétendre l'égal du Soleil (soit, les symboles étant transparents, du roi ou de Dieu - ce qui à l'époque en revient de toute façon symboliquement au même). Sa chute méritée, qui lui a valu les suffrages enthousiastes du public parisien (si bien qu'on l'a désigné comme "l'opéra du peuple"), marque à la fois la mort du personnage principal que nous avons suivi (la haute-contre, en plus, soit la tessiture la plus valorisée !) et le retour attendu de la justice.
=> Situation similaire dans Armide, puisque l'héroïne, même si elle est placée sous des traits bien plus attachants, est défaite, mais pour laisser la place au triomphe de la foi chrétienne et pour terminer les enchantements - ici encore un retour à l'ordre juste.

2) La défaite injuste mais non mortelle de héros envers lesquels la compassion est limitée :
=> Cette catégorie, relativement rare, ne concerne que Roland, flatté d'un espoir trompeur par Angélique, qui craignait de voir périr son obscur amant Médor. Sa fureur infamante ne le mène tout de même pas à mourir, et lui laisse la place pour d'autres exploits plus glorieux. Par ailleurs, le personnage (qui posait une contrainte illégitime sur Angélique, quelque part) est tenu par une basse-taille, ce qui le rend moins attachant : cette typologie vocale est dévolue à l'autorité et la bravoure (la voix de Jupiter et de Mars), mais non à l'amour heureux. Ainsi, même si le héros est défait, c'est ici aussi en suivant une certaine logique : la haute-contre tendre est couronnée par l'amour.
Le schéma, peu fréquent, se retrouve exactement à l'identique dans Omphale de Destouches & Houdar de La Motte.

3) La fin tragique de héros amoureux :
=> Minoritaire à l'époque de Lully, on y trouve seulement Atys (quatrième tragédie seulement !), où les tendres amants périssent atrocement (l'amante tuée par l'amant, et l'amant se suicidant). Néanmoins, contrairement à ce qui se passe dans les réelles tragédies "noires" des époques suivantes, le malheur est tempéré par une cérémonie funèbre qui hisse Atys, par la métamorphose, dans une certaine forme d'immortalité. Le spectateur n'est pas laissé seul avec la détresse d'une fin abyssale, on lui permet de rendre doucement hommage pendant une dizaine de minutes au héros défunt, de se retirer doucement du drame.
=> Mais dans Achille et Polyxène, dernier ouvrage de Lully dont son disciple Collasse acheva les actes II à V, la fin tragique de Polyxène, qui n'est pas causée non plus par la vilennie du personnage (bien que, comme pour Atys, on puisse lui imputer des torts moraux), n'est atténuée par aucun épilogue : son suicide clôt brutalement la pièce.


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B. La nouveauté de la tragédie "noire"

Louis XIV s'était progressivement détourné de la tragédie en musique, notamment à partir du scandale des moeurs de Lully avec le page Brunet (1685), et l'entrée sous l'influence de Madame de Maintenon dans une période plus favorable à la dévotion. Les créations ne se faisaient plus en présence du roi.

Ce sont des ouvrages galants (opéras-ballets ou tragédies-prétextes pour divertissements, débordant de mignardises autour d'une action convenue et malingre), après la mort de Lully, qui ranimèrent un peu l'intérêt de Louis XIV, de la Cour et du public en général, ceux qu'on citait en introduction.

Néanmoins, à cette même époque, voisinent des drames d'une rare intensité.

Il faut ainsi signaler Médée de Charpentier en 1693 (sur un livret de Thomas Corneille inspiré de la tragédie de Pierre, lui-même plutôt sur le modèle de Sénèque, plus paroxystique et moins compassionnel pour la criminelle qu'Euripide), qui n'évite pas les crimes les plus odieux (suicide de Créon, meurtre d'Oronte, empoisonnement et immolation de Créüse, double infanticide). Le dernier acte ne dispose d'ailleurs d'aucun divertissement, s'achevant dans la noirceur complète des corps de Merméros et Phérès jetés à Jason devant le palais de Créon en flammes.
L'oeuvre échoue.

Moins affreux, mais tout aussi tragique, la fin sans concession de Didon de Desmarest (1693 également) amène le suicide de Didon, sur le devant de la scène, à la manière de Polyxène, à cause de l'abandon amoureux (l'une par la mort son amant, l'autre par l'ordre des dieux). Immense succès à l'époque - il faut dire que la partition est une sorte de continuité lullyste assez idéale (comme si le style avait poursuivi son amélioration chez le même auteur !), avec en particulier une chaconne sur le modèle évident (même thématique !) d'Armide et Amadis.

Enfin il convient de mentionner une autre tragédie particulièrement importante, qui remporta un succès considérable, parmi les plus importants de l'histoire du genre : Tancrède de Campra.
Il en existe trois fins différentes, deux dans lesquelles Clorinde meurt dans les bras de Tancrède, comme chez le Tasse, et une troisième, gravée au disque (la plus saisissante), dans laquelle Danchet place la découverte de l'identité du cadavre dans la bouche d'Argant. Sans dire la vérité toute crue, son récit dévoile progressivement l'étendue de son malheur à Tancrède, à qui l'ont ôte ses armes, privé même du secours du suicide. Cette scène, proche de l'aphasie musicale et très économe verbalement, est l'une des plus stupéfiantes de tout le répertoire de la tragédie en musique.

Lorsque Pierre-Charles Roy écrit et propose Philomèle en 1705, ce n'est donc pas une nouveauté absolue. En revanche l'accumulation de cruautés envahit la plupart des actes de l'oeuvre (au moins sous forme de menaces, ce qui n'était le cas que dans Médée auparavant, oeuvre qui n'avait pas plu), et sa dimension amorale éclate plus que jamais auparavant.
Cette pièce ouvre la voie, alors même que la tragédie galante continue à plaire, à une série d'oeuvres dans un ton similaire (quoique moins radical, même chez Roy).

Les lutins de CSS se sont plongés dans cette oeuvre assez magnétique et vous livrent quelques observations.

Suite de la notule.

dimanche 27 mars 2011

Saison 2011-2012 à la Salle Pleyel : sélection de raretés


Pour des raisons évidentes de temps disponible, je ne fais que mentionner les oeuvres rares et ne cite pas les couplages s'ils sont plus traditionnels. A chacun d'aller voir dans les brochures si l'ensemble du concert est digne d'intérêt.

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Débutons par le petite événement de la saison :

=> Eduard TUBIN, Symphonie n°11. / Hans ROTT, Symphonie en mi.
Par Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris.

Réfrénez votre joie : sauf restitution musicologique dont je n'aurais pas eu vent, cette dernière symphonie de Tubin est inachevée et dure moins de dix minutes. Elle ne figure même pas dans l'intégrale de Neeme Järvi qui a largement diffusé sa musique hors d'Estonie. Elle se trouve cependant au disque dans l'admirable intégrale d'Arvo Volmer (avec l'Orchestre Symphonique National d'Estonie) chez Alba.
L'oeuvre, malgré sa date de composition (dernier quart du XXe siècle !), est extrêmement nielsenienne : les harmonies et l'orchestration sont celles des mouvements extrêmes de la Quatrième Symphonie, avec un brin moins de variété et d'arêtes. Pour ceux qui aiment la musique orchestrale de Nielsen, Tubin est de toute façon un réservoir à émotions simulaires. Globalement plus sombre (on n'y trouve pas, même dans sa Première Symphonie, les éclats lumineux intenses des quatre premières symphonies de son prédécesseur), mais l'ensemble demeure très prenant.

Quant à la Symphonie de Rott, mort vingtenaire, il ne faut pas croire les commentaires qu'on peut lire sur ses parentés avec Mahler (qui lui a certes empruntés certains thèmes de sa symphonie, mais pour un usage tout autre). Le lien est bien plus fort avec Bruckner, dont il est très parent, avec une forme de liberté et de souplesse supplémentaires.

On y trouvera certes le bien moins rare (et moins exigeant) Concerto pour violon de Tchaïkovsky, mais par Leonidas Kavakos, un des violonistes les plus intéressants du moment, à mon sens... et avec Paavo Järvi, sans doute sans grandes concessions au sirupeux. (Et comme personnellement, j'aime passionnément tout Tchaïkovsky, je ne suis pas le moins du monde incommodé par le couplage étrange.)

Suite de la notule.

samedi 26 mars 2011

Sylvio LAZZARI : La Lépreuse - un autre vérisme


(Nombreux extraits musicaux inédits.)


L'ample prière d'Aliette (Jeanne Ségala) tirée de l'enregistrement de Gustave Cloëz. Le motif principal que vous entendez ici est manifestement lié à "la détresse de la lèpre". Contrairement aux trois autres extraits de cette captation, ci-dessous, l'extrait n'a pas été mis en ligne par les lutins mais par l'utilisateur "PopoliDiTessalia" [sic] sur YouTube. L'occasion de fournir un bel extrait supplémentaire aux trois que nous avons choisis...


1. Opéra vériste, naturaliste ou wagnérien ?

La Lépreuse de Sylvio Lazzari, écrite de 1899 à 1901 et créée en 1912 à Paris, est communément rattachée au courant du naturalisme musical français. On a déjà exposé ici les ambiguïtés de la notion, discutable sur le plan littéraire (en ce qui concerne les opéras), mais recouvrant une réalité sur le plan musical. On peut aussi se reporter à ces deux notules sur des cas précis.

En deux mots, La Lépreuse appartient à la frange discutable de ce qu'on appelle le naturalisme musical (équivalent du vérisme italien, d'ailleurs littérairement issu du naturalisme...) : comme Andrea Chénier ou Adriana Lecouvreur, c'est un drame plus ancré dans l'Histoire que dans le propos scientifique ou misérabiliste. Nous sommes chez des paysans bretons du XVe siècle, et pas vraiment chez les masses laborieuses du XIXe. Néanmoins, l'engrenage redoutable, la gratuité du mal, le sordide des souffrances, tout cela ressortit au naturalisme.

Du point de vue musical en revanche, pas de doute : leitmotive bien identifiables (très efficaces, d'ailleurs), wagnérisme patent, mais aussi lyrisme intense et noirceur des coloris... on est en plein "naturalisme lyrique".

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2. Aspect général

On en a déjà donné une idée avec ces quelques raccourcis, et les extraits ci-après permettront de s'en faire une idée plus précise.

On se trouve donc une esthétique qui doit beaucoup à l'héritage français de Wagner : nombreux motifs récurrents (très expressifs, en l'occurrence), orchestre capital dans la construction dramatique, orchestration très travaillée (les tourbillons de clarinettes, les contrechants populaires de hautbois, les contreforts ou hoquets de cors, ses cordes graves ponctuées de timbales, les fusées diverses...). Une des oeuvres les plus impressionnantes de l'époque (en France), on s'en aperçoit y compris avec un enregistrement de la RTF (où orchestre et prise de son ne sont pas très généreux, en principe).

Mais c'est avec quelque chose de plus direct que Wagner, une veine mélodique ni lyrique ni déclamatoire, comme une ligne droite, progressant comme la parole quotidienne, sans panache mais très prenante.

Bref, la musique qu'on trouve pour les drames naturalistes, mais particulièrement réussie - même la plus réussie que j'aie entendue, d'assez loin.

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3. Héritage populaire

Le sujet y est totalement ancré, puisque les amours d'Aliette et Ervoanik se trouvent dans le contexte du village breton médiéval, avec ses parents tout-puissants, ses pèlerinages vers les Pardons locaux, ses parias, mais aussi l'exploitation de chants traditionnels - réels ou reconstitués, les bois les entonnent régulièrement, en particulier du côté du hautbois. Mais toujours à l'état d'esquisse, de motifs, voire de cellules, jamais pour étaler une couleur locale factice : ces citations bretonnes sont totalement intégrées au discours.

Par ailleurs, en me documentant autour de l'oeuvre, j'ai mis la main sur un volume de Gwerziou Breiz-Izel ("Chants populaires de la Basse-Bretagne") recueillis sur plusieurs années par François-Marie Luzel et publiés en 1868. Quelle ne fut pas ma surprise, d'y trouver, textuellement, des extraits du livret, mis dans la bouche d'Ervoanik ou de ses parents, mais absolument pas sous forme de chansons. Une façon, ici aussi, d'intégrer totalement le matériau.

Pour les amateurs, il s'agit notamment d'Ervoanik le lintier (recueilli à Plouaret en 1845) :

La malédiction des étoiles et de la lune,
Celle du soleil, quand il brille sur la terre,
La malédiction de la rosée qui tombe en bas,
Je les donne aux marâtres !

et de Renée le Glaz (recueilli à Keramborgne la même année) :

— Je donne ma malédiction, de bon cœur,
Aussi bien à ma mère qu’à mon père,
Et à tous ceux qui élèvent des enfants
Et les marient malgré eux ;

L'ensemble du texte est d'ailleurs rédigé, dans la même perspective de simplicité et de continuité, en vers libres par Henri Bataille d'après sa "tragédie légendaire".

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4. Le sujet

L'histoire assume une noirceur et une amoralité réellement naturalistes, loin des jolis contes du Rêve de Bruneau et Gallet d'après Zola, de son final de légende dorée avec sa Rédemption et sa Gloire... ou même du gentil pittoresque populeux de Louise !

Ici, le propos est plus rugueux, et suffisamment inhabituel pour qu'il mérite un bref synopsis.

Acte I.
Ervoanik, jeune fermier, annonce à ses parents, de façon détournée, qu'il souhaite épouser Aliette, fille de lépreux (et dont on se demande si elle est contaminée à son tour). Ceux-ci, le pressentant, le poussent à l'aveu. Devant la malédiction de son père sur les lépreux, Ervoanik maudit ses propres parents avant de demander pardon.

Acte II.
Chez la mère d'Aliette, qui distribue des tartines contaminées (puisque la propagation se fait par les muqueuses et les plaies) aux enfants qui lui jettent des pierres. Le Sénéchal vient la menacer à ce propos. Sa haine contre les humains, à l'exception de sa fille, éclate devant elle, si bien qu'elle lui raconte, pour la tromper, qu'Ervoanik est déjà marié et père.
Celui-ci, sur le chemin du Pardon de Folgoat contre l'avis de ses parents, paraît. Quasiment sur le point de la violer devant sa mère dans son impatience amoureuse, il s'installe finalement. Devant la mine renfrognée d'Aliette, la vielle lépreuse lui conseille de la "piquer au vif". Chaleureux, expansif, plaisantant avec Aliette, il badine, tandis que celle-ci le sonde, sur sa famille putative. Convaincue qu'elle est trahie, Aliette boit en faisant tourner le verre sur ses lèvres et l'offre à Ervoanik. Conclusion ironique de la vieille Tilli : "Prenez maintenant, ceci est mon sang."

Acte III.
Ervoanik, affaibli, retrouve sa mère lors de célébrations au village, où il est regardé curieusement. Il la supplie de ne pas l'embrasser, et finit par révéler, par allusions progressives, son malheur : il a été contaminé volontairement par Aliette, alors qu'il l'aimait sincèrement. I l annonce sa prochaine retraite pour aller mourir en "maison blanche". Plongé peu à peu dans le délire,. Il entend la voix d'Aliette surmonter la procession (réelles ou supposées, compliqué à définir, ne disposant pas du livret ni de la partition, à l'heure actuelle).

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5. Extraits commentés

Suite de la notule.

Saison 2011-2012 à l'Opéra de Paris : sélection de raretés


Ce qu'il faut voir.

Indépendamment des représentations d'Arabella qui ne sont pas fréquentes en France, les lutins voudraient signaler quelques raretés en marge de la programmation de l'Opéra de Paris, en dehors des deux grandes salles. Et il y aura de quoi faire !

=> Debussy : La Chute de la Maison Usher / Le Diable dans le Beffroi.
Deux opéras inachevés d'après Poe. La Chute est disponible depuis peu dans une version "restituée", au DVD (auparavant seuls quelques bribes enregistrées par Prêtre étaient disponibles), mais le Diable est plus difficile à se procurer. Quant à les voir sur scène... ! Bref, un événement, et alléchant, puisque bien que programmé avec les solistes de l'Atelier Lyrique, on note l'invitation de Philip Addis (Julien de Colombe à Marseille et Pelléas de l'Opéra-Comique il y a un an), idéal pour ce type de rôle, clair, articulé et un rien cassant.

=> Wagner : Premier tableau du troisième acte des Maîtres Chanteurs de Nuremberg dans les conditions de la création française
Autre événement considérable : on entendra, accompagné par un piano, dirigé par un chef d'orchestre, dans la mise en scène restituée, et surtout dans la traduction française d'Alfred Ernst, l'objet musical proposé en 1897 à l'Opéra.

=> Caplet : Le Miroir de Jésus
Un des chefs-d'oeuvre de Caplet, toujours original. Il est bien représenté quelquefois à Paris, mais cela reste une oeuvre considérable et rare.

=> Une avalanche de concerts de lied et surtout de mélodie, avec des compositeurs peu représentés.
En cela, le profil "français conservateur" de Nicolas Joel tire clairement le meilleur de son orientation vers la valorisation du patrimoine. Jugez plutôt.

  • Le magnétique Yann Beuron dans les Clairières dans le ciel de Lili Boulanger.
  • Sophie Karthäuser et ses accents fruités dans de la mélodie postromantique (Chausson, Hahn) et contemporaine (Foccroulle, Mernier).
  • Des mélodies de Massenet par les solistes de l'Atelier Lyrique - ce n'est pas forcément appétissant, les mélodies de Massenet et par des chanteurs non spécialistes, mais c'est au moins original !
  • Une soirée d'hommage à Théophile Gautier, avec André Dussolier en récitant et la grande déclamatrice Françoise Masset au chant : Gounod, Duparc, Chausson, Falla.
  • Topi Lehtipuu dans un programme contenant Schubert, Duparc, Fauré, et surtout Sibelius et Webern.
  • Karine Deshayes dans un programme Berlioz / Gounod / Delibes / Bizet. Ici aussi, pas le meilleur de la mélodie française ni l'interprète la plus passionnante dans ce fragment du répertoire (mais sa récente Chanson d'Eve la montrait passionnante, sans doute parce que ces Fauré tardifs correspondent bien mieux à son profil vocal et à sa personnalité musicale), et le créneau des mélodies françaises romantiques lisses est désormais amplement occupé par l'Opéra-Comique... mais sur le principe, c'est tout de même dans le sens d'un renouveau et pas du répertoire établi.
  • Mélodies de Liszt par les solistes de l'Atelier Lyrique (et aussi dans un fragment du concert de Sophie Koch)
  • Par ailleurs des récitals avec piano de Juliane Banse et Soile Isokoski, dont une partie du programme n'est pas encore communiquée et qui pourrait se révéler originale également.


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Il y aura donc encore plus de quoi s'amuser dans les arrières-salles que dans les deux théâtres principaux.

jeudi 24 mars 2011

Le lied en français - VIII - Schubert, Die böse Farbe (Die Schöne Müllerin)


Un nouveau volet dans l'aventure.

On a respecté avec soin les rimes croisées - plus libres en allemand, mais le choix n'existe pas en français. Les modifications rythmiques sont importantes à vue d'oeil, mais portent essentiellement sur l'inclusion claire des finales en "e", de façon à rendre l'exécution plus rigoureuse (plutôt que de laisser l'interprète se débrouiller).
Mis à part cela, quelques notes dédoublées pour des raisons d'appui prosodique et quelques rares notes fusionnées pour éviter d'alourdir le vers de mots inutiles.

Cette précision peut faire peur à lire, mais ce sont en réalité des modifications totalement cosmétiques, qui ne changent en rien la mélodie ni les appuis rythmiques du poème. Au contraire, ces retouches évitent que le texte français ne sonne maladroitement dans son moule musical. Car les finales équivalentes aux féminines françaises (non accentuées, disons) en allemand sont accentuables, contrairement au français. Et ici, on ne trouve que des fin de vers accentuées par Schubert. Cela contraindrait à se limiter, dans ce lied, à des rimes masculines (accentuées sur la finale), ce qui serait passablement rugueux à l'oreille.

Bref, ces amendements respectueux (mélodie et carrures intactes) permettent tout simplement de mieux se conformer à l'esprit de ce qui est déterminé par Schubert. Je ne nie pas qu'un traducteur plus talentueux puisse se soumettre aux deux impératifs, mais cela me paraît particulièrement difficile dans ce lied-ci (si l'on veut en plus demeurer proche du texte et s'imposer des rimes), qui supporte un grand nombre de mélismes et de résolutions de phrase typiquement... allemands.
L'allemand est en effet bien plus souple sur le choix de ses syllabes accentuables lors du chant, et n'est pas embarrassé de tous ces mots-outils sur lesquels on ne peut pas vocaliser en français sans ridiculiser le poète.

Voici donc le poème :

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Die böse Farbe / La mauvaise couleur

Ich möchte ziehn in die Welt hinaus, / J'ai rêvé de partir, de voyager,
Hinaus in die weite Welt ; / Aller, parcourir le vaste monde ;
Wenn's nur so grün, so grün nicht wär, / N'eût-il ce vert, ce vert enragé
Da draußen in Wald und Feld ! / Du champ à la forêt qui gronde !

Ich möchte die grünen Blätter all / J'ai rêvé de frapper les feuilles des bois,
Pflücken von jedem Zweig, / Les arracher de chaque branche,
Ich möchte die grünen Gräser all / Noyer les prairies des pleurs de mes émois,
Weinen ganz totenbleich. / Jusqu'à les rendre blanches.

Ach Grün, du böse Farbe du, / Ô vert, couleur de mes malheurs,
Was siehst mich immer an / Pourquoi me toises-tu,
So stolz, so keck, so schadenfroh, / Insolent, si fier et si moqueur
Mich armen weißen Mann ? / Au pâle et pauvre homme abattu ?

Ich möchte liegen vor ihrer Tür / J'ai rêvé de m'étendre à sa porte,
Im Sturm und Regen und Schnee. [1] / Bravant les tempêtes des cieux,
Und singen ganz leise bei Tag und Nacht / Et trempé, chanter à celle qui m'importe
Das eine Wörtchen : Ade ! / Ce petit mot : "Adieu" !

Horch, wenn im Wald ein Jagdhorn schallt, [2] / Dans la forêt le cor a retenti,
Da klingt ihr Fensterlein ! / Bruisse alors son rideau !
Und schaut sie auch nach mir nicht aus, / Ce n'est pas moi qu'elle a senti,
Darf ich doch schauen hinein. / Pourtant sa vue est un cadeau.

O binde von der Stirn dir ab / Arrache de ton front si sage
Das grüne, grüne Band ; / Ce ruban vert maudit, ce vert de l'abandon ;
Ade, ade ! Und reiche mir / Adieu, adieu, et salue donc
Zum Abschied deine Hand ! / Mon dernier passage !

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... et sa partition :

Notes

[1] Texte original de Müller : "In Sturm und Regen und Schnee".

[2] Texte original de Müller : "Horch, wenn im Wald ein Jagdhorn ruft"

Suite de la notule.

mercredi 23 mars 2011

Le lied en français - VII - Schubert, Salut du matin ("Morgengruss")


On poursuit notre aventure éditoriale.

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Voici donc le huitième lied du cycle La Belle Meunière (Die Schöne Müllerin) de Schubert, très fidèle à la publication de Wilhelm Müller.

La traduction que je propose reste, comme, précédemment, proche des originaux.

Elle est versifiée, mais essentiellement par la rime : comme le vers allemand est un vers accentuel et non syllabique, il ne conserve pas systématiquement le même nombre de syllabes d'un vers de même mesure à l'autre. (En effet un groupe accentuel peut contenir deux à trois syllabes.)
Il est possible d'opérer une adaptation dans un vers français rigoureux, mais cela impose, au choix, de sacrifier la prosodie en accentuant des syllabes faibles ou inexpressives, ou bien de s'éloigner considérablement du sens du poème original.

Si je trouve des solutions plus performantes qui permettent d'assurer, sans abîmer le texte ni la prosodie, une plus grande propreté du poème français (mètres réguliers, pureté des rimes...), je ne manquerai pas de fournir une seconde édition aux lecteurs de CSS... Cela me paraît tout simplement assez improbable à établir.

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"Morgengruss" / "Salut du matin"

Guten Morgen, schöne Müllerin ! / Bonjour, belle meunière !
Wo steckst du gleich das Köpfchen hin, / Pourquoi, en hâte sous tes volets
Als wär dir was geschehen ? / Cacher ton âme altière ?
Verdrießt dich denn mein Gruß so schwer ? / Jugeas-tu mon salut hardi ?
Verstört dich denn mein Blick so sehr ? / Mon regard de peur t'a-t-il engourdie ?
So muß ich wieder gehen. / En route pour mes forêts !

O laß mich nur von ferne stehn, / Oh, laisse-moi rester au loin,
Nach deinem lieben Fenster sehn, / A ta fenêtre porter mes soins !
Von ferne, ganz von ferne ! / De loin, derrière tes voiles !
Du blondes Köpfchen, komm hervor ! / Ô blonde mine, dont l'accuei l
Hervor aus eurem runden Tor, / Paraît à mes yeux sur ton seuil,
Ihr blauen Morgensterne ! / Du matin sembles l'étoile !

Ihr schlummertrunknen Äugelein, / Paupière dans le sommeil immergée,
Ihr taubetrübten Blümelein, / Ta fleur est chargée par la rosée ;
Was scheuet ihr die Sonne ? / Pourquoi le soleil éclaire ?
Hat es die Nacht so gut gemeint, / La nuit vous révèle si bien,
Daß ihr euch schließt und bückt und weint / Dans vos pleurs, votre joie, mille riens ;
Nach ihrer stillen Wonne ? / Quel jour plus vous ferait plaire ?

Nun schüttelt ab der Träume Flor / Secoue ce rêve du matin,
Und hebt euch frisch und frei empor / Et fais sonner ton ris argentin
In Gottes hellen Morgen ! / Au crépuscule charmant
Die Lerche wirbelt in der Luft, / L'alouette vole dans les airs
Und aus dem tiefen Herzen ruft / Et crie à notre humaine chair
Die Liebe Leid und Sorgen. / D'amour les doux tourments.

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Partitions :

Suite de la notule.

Wagner : Siegfried - Bastille - Ph. Jordan / Krämer


On esquisse un mot, puisqu'on y est allé.

Tout à fait inutile, vu tout ce qui a été dit sur ces représentations en particulier et sur Wagner en général, mais je suis chez moi et je fais ce que je veux. J'aurai tout de même quelques remarques anecdotiques sur l'ouvrage et, concernant l'interprétation, un petit rectificatif à apporter sur ce qui a été dit sur Kerl.

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Sur l'oeuvre

Il est difficile, particulièrement en salle, de ne pas être frappé par les parentés avec les autres oeuvres de grande maturité de Wagner : lorsque Wotan s'éloigne au II, on entend le récit de Gurnemanz ("Titurel, der fromme Held"), lorsque Siegfried joue du pipeau, on entend la "trompette en bois" du final de Tristan, lorsque Siegfried arrive sur le rocher enchanté, on entend les violons rêveurs des Meistersinger.

Lorsqu'on entend l'oeuvre pour la première fois en salle, on est assez admiratif (indépendamment de l'incontestable complexification du langage harmonique et rythmique, de la sophistication de l'orchestration) de l'intégration bien plus fine des leitmotive, devenus très nombreux et constituant le discours plus qu'ils ne le ponctuent. Parfois simultanés, parfois évoluant de l'un vers l'autre... et donc la correspondance à tel ou tel concept n'est pas toujours aussi évidente qu'il y paraît !

Indépendamment aussi de la musique magnifique, je trouve tout de même ces opéras wagnériens trop longs : avec une telle densité, donner l'acte III seul suffirait tout à fait. Le poème de Siegfried étant de surcroît particulièrement lent (et mauvais...), on souffre un peu en contemplant l'art du ressassement de Wagner : typiquement, il ne développe jamais une idée, ne la fait pas miroiter, mais se contente de la rabâcher, pendant la scène entière, voire au delà.

Suite de la notule :

Suite de la notule.

dimanche 20 mars 2011

Le lied en français - VI - Schubert, Vilain curieux (La Belle Meunière)


Pour les enjeux de l'entreprise, on pourra se reporter ici.

Et pour mémoire :

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Voici donc une nouvelle livraison, sur le sixième lied de Die Schöne Müllerin : "Der Neugierige".

Toujours proche du texte, versifié par la rime (un mètre fixe n'est pas souhaitable si on souhaite épouser la prosodie musicale prévue pour un poème allemand précis).

Voici déjà un test enregistré de ma part. Réalisé en faisant simultanément accompagnement et chant, avec uniquement la partition allemande sous les yeux, c'est donc hésitant et pas bien timbré, mais donne une idée de la façon dont le nouveau texte dialogue avec la musique.


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Si certains lecteurs souhaitent une transposition (j'ai conservé la tonalité originale sur l'exemple imprimé, donc accessible plutôt aux sopranes et ténors), ou bien désirent retravailler la source pour y inclure l'accompagnement, il suffit de me joindre en commentaires ou par courriel.

Vous trouverez ci-après le texte original en regard de sa traduction versifiée, puis la partition (propre !) de la ligne vocale, avec les quelques ajustements rythmiques marginaux. Il suffit donc de le chanter avec l'accompagnement habituel, tout fonctionne. [Voir par exemple pour la partition originale dans la même tonalité.]

Suite de la notule.

mercredi 16 mars 2011

Rameau - Anacréon II (1757) et Pygmalion - Christie, Arts Florissants, Salle Pleyel


(Dimanche 6 mars 2011.)

Un mot tout de même sur ce spectacle, l'un des plus beaux de la saison korrigane. On s'y attendait, contrairement aux autres grandes soirées des lutins qui comprendraient, contre toute attente : Cendrillon de Massenet, le Trittico de Puccini et les Songs par Keenlyside ! Toutes oeuvres réellement aimées, mais sans hystérie non plus, au disque.
Et puis tout de même Bellérophon, ici aussi de façon plus prévisible.

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1. Oeuvres

Le programme comprenait deux pièces de type "acte de ballet" de Rameau. Tout d'abord son second Anacréon sur le livret de Gentil-Bernard (trois ans après celui fait sur un livret du redoutable Cahusac). L'oeuvre est très sympathique, et les airs à boire tapageurs du début se changent en un petit drame très sympathique qui culmine dans le quiproquo entre le poète bachique Anacréon et le petit Amour jeté sur le rivage par une terrible tempête. Se mêle à ce dispositif la présence continuelle, dans le livret, d'un personnage dansé, Lycoris, amante d'Anacréon. Sans page furieusement magistrale ou originale, même si l'orage est très réussi, mais d'une belle facture, très agréable.

Ensuite venait Pygmalion, qui s'ouvre sur une sublime plainte mais contient aux deux tiers des feux d'artifices de jubilation, exaltant le pouvoir de l'Amour. Le livret de Ballot de Sauvot, qui s'inspire d'Houdar de la Motte, n'est pas si indigent que l'argument très réduit peut le laisser craindre.

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2. Interprétation

Suite de la notule.

dimanche 13 mars 2011

Cendrillon : un autre Massenet - Opéra-Comique 2011 (Minkowski / Lazar)


Massenet est, de tous les compositeurs d'opéra que j'ai croisés, celui qui se montre capable de changer le plus radicalement d'esthétique d'une oeuvre à l'autre. Dans Cendrillon, il les mêle même au sein du même ouvrage, des références archaïsantes aux danses galantes baroques jusqu'au pastiche de Tristan.

L'oeuvre ne cache pas ses beautés aux disque, mais son caractère léger et très atmosphérique réclame la scène pour porter pleinement son pouvoir d'évocation - à voir au moins une fois, donc, manière de bénéficier de cette mise en perspective qui accroît considérablement la portée de l'oeuvre.

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Trois extraits de la représentation du 9 mars 2011 : le départ pour le bal avec le choeur féérique, un extrait de l'apparition de la Marraine au second tableau de l'acte III (pour ses belles harmonies chaussonisantes), et la fin tristanienne de l'acte III.


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1. Livret

Le texte d'Henri Cain est assez singulier.

Il se fonde sur le conte traditionnel, dans la même configuration que chez Perrault (belle-mère et non beau-père comme chez Rossini), mais avec une dimension à la fois un peu distanciée et très concrète. Le merveilleux n'en étant pas exclu non plus, on se trouve régulièrement aux confins du fantastique.

En effet, même Cendrillon et le Prince Charmant porte quelque chose de délibérément un peu exagéré, caricatures volontaires - du Prince mélancolique (façon Amour des Trois Oranges), par exemple. Cendrillon réexploite même explicitement le conte en affirmant de façon répétée et empesée "vous êtes mon Prince charmant" - ce qui ne se fait pas dans les contes.
Les épousailles du prince, ordonnées par le Roi cinq minutes avant le bal pour la clôture de celui-ci, avec celle "qui lui fera le mieux tourner la tête" sont explicitement assumées comme exagérées et peu crédibles, même dans l'univers du conte.
La bouffonnerie ne se limite donc pas aux personnages de caractère comme Madame de la Haltière, exclusivement sur ce mode - jamais réellement menaçante, même si elle est la source de tous les maux de Lucette-Cendrillon.

Par ailleurs, l'ensemble du déroulement de l'histoire se montre bien plus concret que de coutume, surtout dans les motivations psychologiques, avec des acteurs assez rationnels, qui ne tiennent pas des archétypes habituels sur une scène d'opéra - une petite touche de prosaïsme ici et là, assez bizarre mais jamais maladroit. Une sorte de Cendrillon d'aujourd'hui, qui se déroulerait non pas dans une époque lointaine d'un pays imaginaire, mais ici et maintenant, dans la grande ville hostile que son père veut quitter.

La structure du livret est à l'opposé de ce qui caractérise habituellement le conte, et même pas forcément proche du livret d'opéra un peu traînard : Cain (et, partant, Massenet) développe des climats autour d'une situation. Alors même qu'il y a beaucoup de dialogues et de variété, les moments de bascule dans l'action ne sont pas le coeur du propos : on se délecte plutôt de la suspension des scènes (dans une musique superbe), et on laisse les coups de théâtre aux extrémités des actes, sans trop s'y attarder dans le texte ou la musique.
Même la fin heureuse est résolue de façon assez courte, avec cette clôture dans la plus pure métatextualité (le choeur : "la pièce est finie").

L'hésitation entre réalité et rêve n'est pas non plus complètement tranchée, et à ce titre, l'enchaînement acte III / acte IV se montre grandement déstabilisant, dans la meilleure part du terme.

En somme, un livret atypique mais assez réussi.

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2. Musique

Cette musique peut paraître d'essence légère au disque, mais elle recèle en réalité de véritables raffinements, qu'une écoute attentive ou une expérience sur scène peuvent révéler. Elle seconde l'action avec régulièrement des séquences dans un style baroque fantaisie (Madame de la Haltière, départ de Cendrillon, danses...) particulièrement charmant, et finalement assez personnel (on en trouve aussi des traces, moins heureuses, dans Manon).

Très proche du déroulement de l'histoire, la musique ne cherche pas à s'épanouir de façon autonome en de superbes mélodies, mais sert sans cesse l'expression des sentiments et des situations au plus près (sans mickeymousing non plus).
Dans cette perspective, elle utilise très fréquemment de beaux contrepoints, avec une mélodie indépendante à l'orchestre (souvent par un instrument solo, violon, violoncelle, hautbois, clarinette, cor anglais...) tandis que le chanteur exécute lui-même une ligne différente. Ce petit procédé inventé par le baroque italien (mais plutôt avec des mélodies en imitation, légèrement décalées), et abondamment utilisé en France par Campra ou Clérambault, se révèle ici avec un rare bonheur.

Il faut ajouter à cela un grand goût des couleurs orchestrales, auxquelles les instruments solos et les bois contribuent régulièrement, ainsi que la harpe. Chaque atmosphère reçoit ainsi sa caractérisation propre. Très fréquemment (notamment dans les moments liés au Prince), l'orchestre ne laisse parler qu'une poignée d'instruments, autour de la harpe, créant un chambrisme délicat assez étonnant.

Le ton évolue ainsi considérablement d'un acte à l'autre (avec une montée en intensité lyrique dans le second tableau de l'acte III et dans l'acte IV), et même d'une scène à l'autre, voire au coeur de la même scène, selon les événements. Cela s'étend donc depuis un baroque rêvé, jusqu'au pastiche de Tristan à la fin de l'acte III - on y retrouve les ponctuations régulières de bois qui accompagnent un duo vocal extatique, dans une nuit assez proche de l'acte II wagnérien, et apparentée de façon frappante à la propre orchestration de Wagner pour "Träume" des Wesendonck-Lieder (par moment, on peut songer aussi aux harmonies du Roi Arthus de Chausson).
L'essentiel de la partition, cela dit, est à rapprocher du style des Contes d'Hoffmann, ce qui explique sans doute grandement l'amour immodéré de Minkowski pour l'oeuvre.

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3. Mise en scène

Suite de la notule.

jeudi 10 mars 2011

[Bordeaux] - La Carte du Tendre


Roxane sort de la maison de Clomire avec une compagnie qu'elle quitte : révérences et saluts.

ROXANE
Barthénoïde! - Alcandre! -
Grémione !...

LA DUEGNE, désespérée
. . . . . . . . . . On a manqué le discours sur le Tendre !


Non, rassurez-vous, vous ne subirez pas le triste de sort de Roxane, il est encore temps d'aller assister au salon sur le Tendre.

Ayant conservé un certain nombre de réseaux actifs dans la capitale du vaste monde, je signale ce concert extrêmement appétissant pour tous les amateurs de mélodie française.

Le programme (hallucinant) parle de lui-même, je crois :

Suite de la notule.

Ring de poche à Saint-Quentin-en-Yvelines (Dove / Vick)


Le théâtre de Saint-Quentin proposait, en avant-première de son cycle la saison prochaine, une série de trois "scènes ouvertes" dont la dernière vient de s'achever samedi dernier. On l'avait annoncé en septembre, mais les informations étaient difficiles à réunir.

Comme le théâtre donne la saison prochaine le cycle complet de la version Jonathan Dove / Graham Vick (une refonte de trois à quatre heures plus courte, pour économiser une soirée et pouvoir le jouer sur un week-end, je suppose...), il peut être utile d'en toucher un mot.

Tout d'abord, contrairement à ce qui était annoncé

Suite de la notule.

mercredi 9 mars 2011

Déception - [Arabella / Jordan / Marelli / Fleming - Bastille 2012]


1. Déclaration d'amour

C'est avec beaucoup d'enthousiasme qu'on a entendu avec insistance, depuis une bonne année à présent qu'Arabella de Strauss / Hofmannsthal serait programmée la saison prochaine à Paris.

Il faut dire que les lutins l'aiment passionnément, cette oeuvre lumineuse et babillarde !

En témoignent quelques notules :

- R. STRAUSS - Arabella - I -  Origine du prénom Arabelle
- R. STRAUSS - Arabella II - Introduction à l'oeuvre
- R. STRAUSS - Arabella - III - Magie de la modulation et des leitmotive
- R. STRAUSS - Arabella - IV - Quelle suite ?
- R. STRAUSS - Arabella - V - La source et la conception : deux textes et beaucoup de bricolage
- R. STRAUSS - Arabella - Discographie exhaustive


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2. Problème

C'est avec pas mal de dépit aussi que cette annonce s'accompagnait du nom de Renée Fleming.

Pour diverses raisons, qui peuvent se détailler.

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Création mondiale : Jean Benjamin de La Borde - Ismène et Isménias


Il s'agit d'une tragédie lyrique tardive, de troisième école et même sans doute de la quatrième.

La Borde (ou Laborde, 1734-1794) est également un compositeur d'opéras-comiques, notamment d'après Favart, en forme de parodie (La Chercheuse d'oiseaux, son premier poème lyrique, à l'âge de seize ans) ou sérieusement : Les Amours de Gonesse ou Le Boulanger, créé en 1765 à la Comédie-Italienne (livret en collaboration avec Chamfort).

On trouve en ligne souvent mention de la célèbre Chercheuse d'esprit de Favart, mais elle date de 1741, et je doute qu'il en ait refait une version sérieuse après avoir écrit la parodie...

[image]

Ismène & Isménias ou la Fête de Jupiter date pour sa part de 1763, représenté au château de Choisy, en présence de Louis XV, et créé à l'Académie Royale de Musique, à Paris, sept ans plus tard. On se trouve déjà dans une tragédie lyrique réformée à la façon classique, avec trois actes seulement dans le livret de Pierre Laujon.
L'oeuvre était jugée, précisément, trop décorative, c'est peut-être pour cela qu'elle se rattache encore aux galanteries dansantes de la troisième école plus qu'à l'épure de la quatrième.

Peu de succès à l'époque, mais le Conservatoire de Choisy-le-Roi a projeté de le remonter sur place, le 1er avril à 20h, le 2 à 19h et le 3 à 16h. L'occasion pour les amateurs de tragédie lyrique de découvrir une oeuvre d'une période et d'un compositeur très peu documentés.

Une semaine avant les représentations, il sera possible de réserver en appelant le Conservatoire au :
01 55 53 51 56.

Je n'ai trouvé mention de cette exécution qu'en lisant par hasard une petite annonce recherchant une haute-contre solo... vraiment content d'avoir trouvé la piste.

mardi 8 mars 2011

Néologisme


Dans la première loge était la Présidente
Madame de Poissy, toute belle et charmante,
La Cayaud près d'elle aux yeux ne brillait pas.
Quel moyen de briller auprès de tant d'appas !
L'époux qu'on eût voulu savoir dans la rivière
Jaloux, ou non jaloux, occupait le derrière.
Vis à vis de leur loge étaient la Vaubecourt,
La Cambray, puis une autre, où je demeure court.
Ces antiques beautés par le long temps usées,
D'un rouge fort épais étaient printemnisées.


La formation du mot prête à discussion, mais son effet se révèle charmant.

Tiré de :

Suite de la notule.

samedi 5 mars 2011

Les Victoires de la tragédie lyrique

..

Catégorie tragédie en musique la plus souvent reprise depuis les origines de 1673 jusqu'en 1730 :

[Roulement de tambour et lumières stoboscopiques.]

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jeudi 3 mars 2011

Le Prologue postiche

(ou les Festes de la Charcuterie)

Les amateurs de tragédie lyrique - et moi le premier - crient au scandale lorsqu'Hervé Niquet, chef pourtant le plus hautement inspiré dans ce répertoire depuis des années, décide à discrétion de supprimer un Prologue (comme ce fut toujours le cas avant enregistrement discographique de Proserpine) ou de retirer des danses (comme il le fit dans Callirhoé), voire des sections (c'est apparemment le cas dans Le Carnaval de Venise, du moins sur scène).

Pourtant, son attitude, si elle est frustrante et pas réellement soutenable vu les arguments avancés (ceux de la réduction de la quantité de texte musical pour un meilleur résultat final et des répétitions pour un meilleur équilibre financier seraient bien plus convaincants...), n'est en réalité pas du tout exotique du point de vue de l'authenticité.

Ainsi, on s'aperçoit par exemple dans les publications successives du livret des Festes Vénitiennes (1710, le gros succès des années Guyenet) que sans qu'on ait trace de modifications de la musique dans les publications de partitions d'Henri de Baussen ni dans les archives et témoignages, le contenu des livrets de salle varient sensiblement, occultant tel ou tel passage, voire telle ou telle entrée, selon le choix des organisateurs des reprises.

Plus fort encore.

Guyenet, pour essayer d'éponger les dettes de Francine, gendre et successeur de Lully à la tête de l'Académie Royale de Musique, tente l'idée de proposer des abonnements prestigieux, destinés aux nobles n'ayant pas leur entrée à la Cour ou aux bourgeois, donnant droit d'entrée illimité aux meilleures loges, sur tout le durée de son privilège, moyennant le versement immédiat d'une somme considérable.
Rapidement, il essaie aussi une formule discount avec les conditions suivantes : pour 2500 livres, on s'ouvrait le droit d'entrer au parterre (alors moins prestigieux), mais selon les places disponibles, c'est-à-dire... après l'exécution du Prologue !

Cela montre de façon assez amusante que l'éloge obligé du monarque n'était pas forcément la partie attendue avec le plus de fébrilité par le public... On recense par ailleurs un certain nombre de cas de railleries publiques pendant ces prologues, railleries tranchantes mais spirituelles qui selon les récits de Saint-Simon semblent avoir mis bonne partie de rieurs du théâtre de leur côté... [Malheureusement, cet égoïste ne les reproduit pas dans leur détail...]

En somme, Niquet, par son immense talent, mais aussi en récrivant les danses manquantes et en coupant à discrétion, se révèle plus que quiconque dans l'esprit Grand Siècle. [Mais il fatigue ses contemporains avec son charcutage, le bélître !]

mercredi 2 mars 2011

La valse leste


Je n'aurais jamais cru que je parlerais un jour des émois extra-politiques italiens en ces lieux (ni ailleurs !).

http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/03/02/ruby-fait-scandale-au-bal-de-l-opera-de-vienne_1487199_3214.html

Mais j'avoue humblement trouver l'ensemble du tableau assez drôle.

Le chassé-croisé entre les valeurs qui s'élève jusqu'aux citations bibliques (à rebrousse-ouailles) a quelque chose de délicieusement incongru.

David Le Marrec

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