Dinorah à Compiègne
Par DavidLeMarrec, jeudi 28 avril 2005 à :: Disques et représentations :: #5 :: rss
Initialement proposé sur un autre support.
Pour parler vraiment de Meyebeer (cette fois).
L'occasion est venue.
L'oeuvre me semble absolument remarquable, et la rejeter comme intrinséquement inférieure aux Huguenots, Prophète et Robert ne me paraît pas approprié. La densité des scènes d'actions, soigneusement éloignées des scènes "décoratives", me semble admirable. Le texte n'est certes pas brillant, loin s'en faut, mais ménage des personnages assez exploitables, puisqu'il est bien difficile de démêler les différents types de folie (délire, possession, simplicité) de réactions pas si désordonnées. Il y a matière à interprétation et mise en scène fouillée, à défaut que le texte soit bon.
L'oeuvre commence fort mal, avec un prologue instrumental qui, pour bien appeler les choses par leur nom, est de la soupe, avec des semblants d'orage qui ne feraient pas frémir un moucheron névrosé. Le point fort de Meyerbeer n'a jamais été l'orchestre, mais à ce point, on parvient quasiment à l'exploit. On s'y fait, bien sûr, et avec un meilleurr orchestre, on se dit que ces deux thèmes pourraient s'affronter au moins efficacement. Peut-être.
Evidemment, il en va tout autrement pour les ensembles, avec des fulgurances thématiques assez étonnantes (Sombre destinée, par exemple), et surtout avec cette pointe distante d'amusement, cette désinvolture du conteur face à la tragédie qui pourrait se nouer, n'était le titre et le topos de la folie d'amour qui, débutant l'opéra, se résout toujours... Meyerbeer est à l'opéra ce que Mickiewicz est à la littérature. (Pour mémoire, dans le Livre IX de Pan Tadeusz, la bataille sanglante, qui 'allégorise' toute la lutte du peuple polonais contre les divers membres de la partition de leur patrie, est présentée avec une sorte d'abstraction, ou du moins depuis un recul à peine malicieux.) Le seul passage obligé qui pèse, au fond, c'est cet inévitable et interminable réveil, cette fin sans panache. Mais en regardant le synopsis, on ne peut qu'admirer l'exploit de ne pas avoir été capable d'ennuyer !
A Compiègne, si l'orchestre n'est jamais exceptionnel, les interprètes, comme très souvent, impressionnent beaucoup. Isabelle Philippe mérite effectivement toutes les louanges faites ici à son sujet. Une voix fraîche, un rien dure peut-être, une grande liberté dans le jeu, une diction remarquable (à ces hauteurs), une bonne vocalisation. Ce ne sont pas quelques irrégularités ou un suraigu crié qui me gêneront, ces aspects-là ne me passsionnent guère. Et puis, comme Callas a chanté Ombra leggiera, on a la version de référence, évidemment. (léger 2nd° inside) ...
Frédéric Mazzotta, malgré sa tendance à briser la ligne pour supporter son jeu comique, fait valoir à son tour de grands moyens, avec une présence scénique également très affirmée.
Je ne cesse de m'émerveiller des prouesses d'Armand Arapian dans tous les répertoires qu'il aborde, avec une justesse de ton et une richesse de moyens que je n'ai jamais entendues en défaut. Certes, son fa3 a toujours été assez blanc et pénible, mais le reste est à un tel niveau... Qui peut se targuer d'un tel medium? Surtout qu'il était souffrant ce soir-là, et s'est dit mal à l'aise dans ce rôle. Evidemment, la diction et la finesse sont là. Je faisais mentalement la comparaison avec Van Dam Le Grand qui, à mon sens, trouve ses meilleurs rôles dans les emplois qu'ils ont en commun. Et je me disais qu'Arapian est en somme, sinon aussi vocal (quoique! je trouve ses accents mieux à propos, et l'égalité de la tessiture fait oublier le medium faible de JVD), bien plus ferme, bien plus intelligible, et même sans doute plus juste dramatiquement.
Les autres rôles ne souffrent aucune faiblesse. Ces considérations sur les interprètes, que tout un chacun peut faire ici, sont toutefois de peu d'intérêt, on les remarque aisément. Ce qui m'a beaucoup intéressé, c'est le travail sur la diction. Tout l'opéra est intégralement intelligible, ce qui présente l'avantage de ne pas attendre vainement le déroulement d'un livret dont on a par avance les événements sous les yeux. Ce gain est sans prix, puisqu'alors même une incarnation verbale moyenne ferait immédiatement bénéficier de ses plus ou moins fréquentes subtilités.
Toutefois, comme le déclarait Bruno Comparetti dans une récente entrevue, cet effort est particulièrement périlleux. J'ai l'impression que tous les appuis passent dans le masque (ce qui sous-entend que ce n'est d'aucune aide pour les autres langues), ce qui rend la voix un peu plus tendue, un peu plus raide, un peu moins séduisante - pas pour Armand Arapian, qui chante toujours comme cela. Mais je ne connais pas les deux autres chanteurs hors de ce contexte, et peut-être erré-je. Beau travail, bien utile, en tout cas.
Quant aux r apical (roulé) ou uvulaire (r français), je n'ai pas de religion. Je trouve très joli le r roulé, et d'aucuns s'en sortent très bien, sans la nasalisation excessive que promet Pierre Jourdan. Mais devant les résultats de sa méthode, j'en viens à me poser des questions. Le problème est que les r en deviennent plus rugueux, et surtout moins audibles. Passons. (à moins que vous ne décidiez opportunément d'éclairer ma lanterne sur ce point)
Je m'avoue surpris par l'effet de la mise en scène. Dans une telle oeuvre, je croirais
volontiers, sinon à la transposition dans un casino (et puis Klaus Michael Grüber l'a déjà fait pour Aida), à une mise en scène audacieuse, qui puisse mettre en valeur, quitte à en ajouter d'autres, les décalages ménagés par Meyerbeer, surtout que les librettistes ne sont pas Scribe - qui avait aussi cette capacité de distanciation. Mais voilatipa que P.Jourdan nous sert une mise en scène strictement illustrative!
Là se pose tout le problème : Meyerbeer résiste-t-il au premier degré? En considérant les extraits des Huguenots gravés par l'Orchestre Pasdeloup, je dirais non, sans hésiter. Meyerbeer univoquement sérieux, ce serait comme, pour reprendre un thème déjà abordé, du Tolstoï moralisateur. Ca n'aurait pas de sens ! La mise en scène est toutefois très bien faite, puisque la partition est sans cesse convoquée sur scène par la gestuelle mimétique des chanteurs-acteurs. Je crois que Berlioz s'accomoderait bien mieux d'un tel traitement, avec la précision profusive de ses orchestrations. ('précision profusive', vous avez raison, ça ne veut pas dire grand-chose, mais les orchestrations de Berlioz elles aussi sont étranges et un rien m'as-tu-vu) La relative indigence de l'orchestration de Dinorah, qui se place à des lieues, sur ce point, de l'inventif Prophète, empêche à mon sens de convaincre au-delà du simple effet comique.
Et pourtant, je l'avoue, j'ai marché. J'ai dévoré sans interruption ce spectacle, sans être même gêné par son premier degré assumé au point que toute niaiserie disparaît. Un peu comme les dégoulinements des poèmes symphoniques de R.Strauss, si vous voulez. La tenue scénique des protagonistes n'y est certes pas étrangère (Hoël traversant farouchement le pont est une image saisissante), mais c'est aussi la beauté des images qui fait taire le regret d'une analyse plus fine. L'idée du soufflet dans l'âtre, pour la cavatine Ô puissante magie, avec sa gestique suspendue, et son rythme martelé à l'image de la musique mais, ici, sans la singer, constitue une très belle trouvaille, simple et esthétique. La beauté des décors premier degré achève de séduire, si bien que le choix de la littéralité est tellement bien assumé qu'on ne se sent plus le coeur de lui faire des griefs. Tout au plus peut-on rêver d'une reprise, ailleurs, sous un jour différent, sans parvenir totalement, au passage, à croire au mieux.
Soirée immense en effet.
J'ai parlé de Berlioz. J'en profite pour poser une question sur Debussy, à laquelle personne n'a jamais su me répondre. D'où vient cette parenté criante entre les premières mesures de Pelléas et la phrase de l'Archer des Huguenots : Rentrez, habitants de Paris ? Jusqu'à présent, je n'ai qu'une hypothèse, personnelle : le génie de Meyerbeer est tel qu'un de ses thèmes secondaires a suffi pour rassasier Debussy, qui s'est rassuré en commençant son chef-d'oeuvre par une introduction de qualité sûre. D'autres suggestions ?
David - insinuatif
Commentaires
1. Le vendredi 4 janvier 2008 à , par Morloch
2. Le vendredi 4 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le samedi 5 janvier 2008 à , par Morloch :: site
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