Carnets sur sol

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Combien de fois Mozart est-il mort ?


Plus ou moins 140 fois, nous dit une étude sérieuse.

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Car, oui, Mozart étant un surhomme, il aura bien fallu sept vingtaines de plaies pour le terrasser.

La musique n'étant pas un art figuratif ni directement lié à la parole (sauf cas particulier du chant), la musicologie mène souvent les chercheurs sur des franges lointaines, sortes de rivages syrtiens où le sens de leur expertise paraît vaciller et se laisser peu à peu vaincre par d'autres fascinations. Combien de fois a-t-on pu lire des analyses littéraires (parfois belles) de livrets d'opéra sous des plumes censément rompues à l'étude des retours formels et des enchaînements harmoniques ? Ou bien des biographies qui font le travail de l'historien, en détaillant la vie de l'artiste à partir de documents choisis et observés sous un regard critique (ou pas, car précisément ils ne sont pas historiens), plutôt que de décrire l'évolution d'une méthode de composition ?


Le tout nouveau vrai portrait du vrai Mozart authentique, où l'on peut déjà déceler entre 77 et 92 morts.


Eh bien, ce n'est pas tout, les musicologues se font ainsi médecins. Ainsi, chaque année que Dieu fait, ou peu s'en faut, les journaux, spécialisés ou non, retentissent de clairons satisfaits : on a trouvé la cause de la mort de Mozart.

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On a tout eu :

Maladies (chroniques ou foudroyantes) les plus variées attestées par telle ou telle ligne de ses lettres, tel ou tel témoignage (éventuellement contradictoire), qui montre que tel comportement, tel inconfort annonçaient bien sûr cette maladie précise – car c'est bien connu, un sympôme ne peut s'attacher qu'à une seule maladie, c'est même pour ça qu'on n'a pas besoin de médecine ni de médecins.

Accidents, tel Drake diagnostiquant un hématome sous-dural à partir d'une fracture du crâne... Imparable, à ceci près qu'il aurait fallu qu'il observât le bon crâne.

Emploisonnements, comme l'avait proposé il y a quelques années la dernière théorie à la mode, plutôt convaincante à ce qu'il paraît, mais absolument invérifiable : Mozart avait écrit dans ses lettres qu'il se régalait à ce moment de viande... or ses symptômes pourraient être congruents avec n'importe quoi avec une intoxication alimentaire aiguë due à de la viande avariée. On avait même avancé les conditions de conservation de la viande chez les marchands, assez douteuses – croyez-le ou non, il n'existait pas de contrainte sanitaire prescrivant l'usage de réfrigérateurs. Bref, une hypothèse appuyée par des faits.

Complots : quel est le mystérieux commanditaire du Requiem, tellement impatient qu'il tue le compositeur pour l'entendre tout de suite, même inachevé ? Salieri, c'est un mensonge de Pouchkine, pas besoin d'abaisser un génie pour un élever un autre. Moi, je penche pour les Illuminati : pour une fois, chronologiquement, ils auraient pu faire le coup. Pourquoi ? Parce qu'ils sont méchants, voyons (voire liés avec les Sages de Sion, faisons d'une pierre deux coups).

Épiphanie : Mozart a pu rencontrer la Mort elle-même. Ou le Génie, qu'on ne voit pas en face sans être réduit en poudre. Ou pourquoi pas Dieu, après tout.
En attendant, c'est Mozart qu'on assassine !

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Et tout cela à partir de descriptions physiques incidentes, de plaisanteries dans des lettres, ou de récits de ses proches des années plus tard. C'est dire le pouvoir de la science.

Le dernier décompte en était à 140 morts (et 27 maladies mentales). Avec un commentaire sceptique du docteur Karhausen : Mozart n'a pas pu mourir de la moitié de tout cela, et vu le nombre de diagnostics erronés, on peut peut-être en conclure qu'on n'en saura jamais rien. Mais ce décompte critique est lui-même l'objet d'une course continue : la précédente somme, à quelques mois d'intervalles, arrivait à 118 et avait également été relayée dans la presse généraliste. Décidément, Mozart touche à l'infini.

Et moi, j'ai un petit creux. Si je ne reviens pas, je vous aide pour la théorie (cf. §3).



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Commentaires

1. Le mercredi 1 janvier 2014 à , par François

Tutut ! Bien plus de fois que cela, ça doit se compter en centaines de millions voire de milliards. A chaque fois qu'un pianiste amateur se lance, sans compter les violonistes débutants (terribles, eux) ou pire encore les chœurs d'enfants, à chaque fois c'est Mozart qu'on assassine !

Voilàvoilàvoilà... il fallait que quelqu'un se dévoue, je l'ai fait. Bonne année à tout le monde.

2. Le mercredi 1 janvier 2014 à , par Olivier

Bonsoir,

et une aussi bonne année 2014 que 2013 avec une piste de réflexion, issue de votre fil sur Bellini et sa "méthode" de composition: comment concevaient-ils donc LEUR musique? dans quel état d'esprit faut-il être pour écrire l'Appassionata?

3. Le mercredi 1 janvier 2014 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir à tous deux !

Oui, François, j'étais tenté par ce titre... mais j'étais sûr que je pouvais compter sur toi pour ne pas remarquer que je l'avais mis dans le corps du texte. Les lutins de céans me soufflent des vœux généreux pour ta nouvelle année, mais on a un peu le temps pour toi.

Sinon, magnifique sujet, Olivier, mais le travail de génétique compositionnelle n'est pas toujours possible : il faut que le matériel existe, d'abord ; ensuite qu'il soit disponible ; puis qu'il soit plus ou moins lisible (si c'est Alma Schindler-Mahler, je renonce tout de suite !) ; enfin que j'aie le temps de m'en occuper... ça fait beaucoup de prérequis.
Pour les plus célèbres, ça se trouve en fouinant un peu dans les biographies, ou effectivement en lisant les autographes des œuvres inachevées.

À défaut de mieux, très bientôt, je publierai une suite de notules de ce genre (pas tant leur pensée propre que notre façon de nous en approcher) : quelles découvertes et quels choix fait-on lorsqu'on édite un inédit ?
Avec des bouts de vécu dedans.

4. Le jeudi 2 janvier 2014 à , par Olivier

Bonsoir,

J'ai hésité à poser une telle question aussi inconvenante en raison de son périmètre et de sa profondeur infinis; mais, que voulez-vous! Je conservais en mémoire votre fil sur Bellini, j'étais arrivé au terme de l'ouvrage de P.Bayard sur Choderlos et la poïétique des Liaisons Dangereuses, et je venais d'écouter l'Appassionata.
Je suivrai avec grand intérêt vos notules sur ce thème de la découverte de la Terra Incognita.

5. Le vendredi 3 janvier 2014 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Olivier !

Mais vous avez raison, c'est un sujet complètement passionnant. Mais très prenant, car ce qui est possible sur un fragment de partition (déjà inachevée) de Bellini n'est pas aussi facile à établir dans la plupart des cas.

Pour l'heure, oui, je centre mes efforts sur ce que j'exhume moi-même, comme cela les impressions seront de première main. Et elles s'affinent au fil de la pratique, des questions qui se posent en essayant d'établir une édition... Tout cela est très stimulant. En revanche, cela n'éclairera pas vraiment des pans célèbres du répertoire, on est plutôt dans l'archi-niche (par exemple Pierre Lochon, un compositeur jamais enregistré sur lequel je n'ai trouvé aucune notice décente et dont les partitions sont constellées de fautes – le copiste lisait-il la musique ?).

Mais, dans mon désarroi, je suis conforté par l'assurance d'être lu.

Bonne fin de soirée !

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