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Elzbieta SZMYTKA (Frédéric Chopin - Mélodies polonaises complètes, Malcom Martineau)

Voici un de mes disques favoris, une des interprètes les plus bouleversantes.



Smutna Rzeka, "Rivière triste" Op.74 n°3.


Elzbieta Szmytka séduit par ce timbre à la fois léger et charnu, ce ton désinvolte et malicieux, le tout avec un aigu qui devient légèrement strident dans le haut de la tessiture - ce qui donne un aspect populaire absolument délicieux à son chant.

Mais Elzbieta Szmytka est avant tout une diction - et quelle diction ! Une des plus belles qu'il m'ait été donné d'entendre, et sans doute la première diction à me bouleverser à ce point hors de ma langue natale[1]. Très habitée, bien sûr, mais une clarté parfaite, tout à fait exaltante : il possible, même sans parler polonais, de retranscrire lettre à lettre son chant. Une très grande performance, surtout avec un chant aussi maîtrisé par ailleurs - nullement parlando.
Avez-vous entendu le chant de ses cz[2], le frémissement de ses rz[3], la fermeté délicieuse de ses r[4] ?



Śliczny Chłopiec, Op.74 n°8. Rien que pour la beauté des chuintantes.


Dans ce disque de mélodies[5], Malcom Martineau se montre égal à lui-même, accompagnateur scrupuleux et honnête, pas d'une folie débridée pour du Chopin, mais tout à fait estimable. On préfèrera bien sûr, côté accompagnement, Abdel Rahman El Bacha dans son disque (Forlane) avec Ewa Podles, elle d'une neutralité expressive assez frustrante. Son tempérament la prédispose mieux aux cycles de Szymanowski. En revanche, très, très beau disque de Teresa Zylis-Gara chez Erato (avec son accompagnateur, discret à l'extrême). Toutefois quelques réserves : le minutage très chiche, la présence de quatorze mélodies seulement (même si ce sont les meilleurs) sur les dix-neuf qui auraient parfaitement pu tenir dans le disque.
A propos, on prononce Chmétka, avec un [ch] doux.



Elzbieta Szmytka est de prime abord difficilement classable par ce disque, on ne saurait même dire s'il s'agit d'un soprano ou d'un mezzo-soprano. La tessiture semble assez haute, mais les réserves dans l'aigu ne paraissent pas inépuisables avec souplesse, et surtout cette voix charnue pour un soprano. Difficile à dire. Comme cela, on dirait une soprane assez centrale, spécialiste de la mélodie, n'est-ce pas ?
Que nenni. Une soprane qui vogue entre rôles aigus et rôles centraux plus lourds.

Et c'est aisément vérifiable. Car Elzbieta Szmytka n'est certes pas une inconnue, et si le patronyme exotique s'oublie peut-être vite sur les pochettes, on retrouve aisément sa trace dans la discographie et les programmes de concert. Et ils révèlent une identité de pur soprano lyrique, tout simplement pourvu en sus de cette voix corsée.

La liste suit dans l'article.

  1. Susanna (Le Nozze di Figaro de Mozart, Paolo Olmi 1987) - DVD Arthaus
  2. Nanetta (Falstaff de Verdi, Cambreling 1987) - DVD
  3. Despina (Così fan tutte de Mozart, Marriner 1988) - CD EMI (épuisé)
  4. Serpetta (La finta giardiniera de Mozart, Cambreling 1989) - CD
  5. Donna Anna & Maturina (Don Giovanni de Gazzaniga, Weil 1991) - CD Sony
  6. Blondchen (Die Entführung aus dem Serail de Mozart, Weil 1991) - CD
  7. Servilia (La Clemenza di Tito de Mozart, Andew Davis 1991) - DVD
  8. Carolina (Il matrimonio segreto de Cimarosa, Jesús López-Cobos 1992)
  9. Roksana (Król Roger de Szymanowski, Rattle 1999)

Je connais un petit nombre de ces enregistrements, et je n'avais pas noté une présence particulièrement sensible - mais j'ai déjà souligné ici à quel point le choix de la langue peut changer totalement la couleur d'une voix, l'attitude d'un interprète par rapport au texte. Entre le fabuleux diseur Fischer-Dieskau en allemand, à la voix de hautbois, et le méchant braillard au timbre blanc de ses enregistrements français, entre la propreté un peu sage de Kirchschlager en italien et ses incarnations irremplaçables en français, il y a un monde...

Je me souviens d'avoir trouvé sa voix lourde, cassante et opaque dans Król Roger - sans doute à cause de la lourdeur du rôle "entre-deux". Et diction totalement incompréhensible.[6] Chez Gazzaniga, c'est une belle voix, un peu cassante, également à la diction intégralement inintelligible.

Elle a chanté récemment Virginia dans Galilée de Michael Jarrell (excellent opéra au passage), Madama Cortese (Il Viaggio a Reims de Rossini) à Francfort, Konstanze (Die Entführung aus dem Serail de Mozart) à Trieste (Dantone) et s'apprête à chanter Violetta (La Traviata de Verdi) à La Monnaie de Bruxelles (Denève) en décembre. Ce qui montre l'acquisition de rôles lyriques lourds, contrairement à la phase lyrique-plus-léger que laissait percevoir le disque.




C'est pourquoi, sans la recommander dans absolument tous les répertoires, il faut impérativement prendre connaissance de ce disque souverain, un monument à la gloire de la langue polonaise.

Notes

[1] Où les Millot, Kirchschlager, Staskiewicz, Denize, Vanzo, Auvity, Corréas, Bastin font déjà merveille.

[2] Equivalant à tch en français, mais en plus doux.

[3] Equivalant à j en français, très doux.

[4] roulés de façon dense, ramassée et nerveuse

[5] Disque qui a la caractéristique pratique de présenter les mélodies dans l'ordre de leur numérotation, ce qui présente un grand confort pour la mémorisation pour qui acquerrait ici un premier disque de mélodies de Chopin.

[6] A la réécoute, la prise de son lointaine et opaque d'EMI n'y est pas totalement étrangère, même si le legato d'Elzbieta semble totalement dévorer les consonnes.



Ajout du mardi 8 mai 2007.

L'écoute de son Lucio Cinna dans Lucio Silla de Mozart (non publié) confirme nos impressions précédentes :

  1. la voix est ici un léger absolu, qui peine à partir du fa3 (une soprane atteignant usuellement le ré3 et même l'ut convenablement), ce qui explique la stupéfaction de Bajazet devant le qualificatif de corsé pour ses mélodies : dans ce Mozart virtuose, la voix est combien plus légère, presque pointue !
  2. le changement de langue opère une mutation complète dans la nature de cette voix, qui devient donc plus légère, et dont les consonnes, si voluptueuses en polonais, ont toutes disparu, pour une incarnation assez fade en fin de compte.


A cela, on ajoutera de très belles preuves d'agilité, avec une individualisation des notes parfaite dans les coloratures. En revanche, dans les récitatifs, la langue (c'est-à-dire les voyelles...) est assez déformée par un fort accent, qui rend le propos peu intelligible, pas très bien accentué ; en outre, cette partie récitative, malgré les nombreuses coupures, ne semble pas avoir été très bien travaillée, le son est étroit et strident, avec des cris ouverts plutôt désagréables pour du seria.

Tout cela confirme l'inversion absolue des qualités de cette chanteuse selon les langues, à un point rarement rencontré :

  1. en polonais, une diction et une éloquence hors du commun, pour une voix légèrement fruitée, qui semble d'un ambitus limité ;
  2. en italien, une langue totalement réduite à ses voyelles (même pas respectées dans les récitatifs !), une caractérisation extrêmement limitée, pour une voix légère, d'une grande aisance virtuose.


Néanmoins, l'ensemble de la soirée valait le déplacement, avec un très beau plateau, Szmytka comprise et Murray en tête :

Cecilio - Ann Murray
Giunia - Luba Orgonasova
Lucio Silla - Anthony Rolfe-Johnson
Lucio Cinna - Elzbieta Szmytka
Celia - Heidi Grant Murphy
Aufidio - Barry Banks
Camerata Academica Salzburg
Wiener Staatsopernchor
Sylvain CAMBRELING
(Kleines Festspielhaus de Salzbourg, le 25 août 1993)

Un enregistrement très similaire (sans Elzbieta Sz.) a été réédité par Brilliant. Dans notre soirée de 93, Cambreling est un peu épais comme toujours, quelques détachés manquent, mais très honnêtement phrasé, et avec un soin constant à ouvrir des "couloirs" pour le son des chanteurs, d'une façon étonnamment efficace.


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Commentaires

1. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Il faudrait que je publie les quelques traductions et adaptations françaises que j'ai réalisées pour les mélodies de Chopin, mais une petite révision s'impose, manière de pouvoir ajouter quelques commentaires.

C'était assez délicat à intégrer dans cette notule.

Je rappelle tout de même que nous avons dix-neuf mélodies qui nous sont parvenues sur les vingt-et-une dont nous connaissons l'existence. Dix-sept, les plus récentes, sont regroupées sous l'Opus 74 (publication posthume). Elles ont été composées durant toute l'existence de Chopin. On trouve d'ailleurs certaines redites musicales intéressantes, car absentes de son corpus instrumental (entre la mélodie n°4 et la n°8 ou entre la n°11 et la n°17, par exemple).
Les deux mélodies restantes sont de plus grande jeunesse et leur caractère est peut-être moins affirmé, bien que leur intérêt soit tout à fait réel.

2. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par Bajazet

Voix corsée, tu es généreux… J'ai de bons souvenirs de Szmytka (le spectacle "Ombra felice", composé d'airs de concert de Mozart) et de moins bons (une Alcina anémiée et miniaturisée*, engluée dans l'orchestre de Rousset à son plus bas étiage). C'est une musicienne remarquable, mais enfin ce n'est pas ce que j'appellerais une voix corsée.

* elle remplaçait Gauvin (soupir)

3. Le mardi 24 octobre 2006 à , par Bajazet

"Avez-vous entendu le chant de ses cz, le frémissement de ses rz ?"

Je préfère pour ma part la vibration lancinante de ses bz (dans son récital distribué par Abeille-Musique).

4. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Bra :: site

Encore une bonne découverte ! Merci.

5. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

J'en suis ravi, Bra !


"Je préfère pour ma part la vibration lancinante de ses bz (dans son récital distribué par Abeille-Musique)."

Je m'étonnais de ne pas y voir votre mauvais esprit. MDRRLOLOL, comme on dit chez mon jeune camarade hope52era.


Sinon, quand je dis corsé, je veux souligner à quel point la voix est dense et assurée dans le médium, avec surtout une couleur très personnelle.

6. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Bajazet

C'est là qu'on voit à quel point la pratique ou non de l'alcoolisme influe sur les perceptions. 8-)

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