Carnets sur sol

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dimanche 30 août 2009

Nouvelle catégorie

Consacrée à Alma Schindler-Mahler (colonne de droite). Même s'il y a encore peu de substance sur CSS, à l'exception de l'introduction à Waldseligkeit, le nombre de propos épars devenait un peu trop important et méritait d'être regroupé pour plus de clarté.

Certaines notules sur d'autres thèmes y sont référencées parce qu'elles contiennent des commentaires assez abondants autour du sujet.

Alma SCHINDLER-MAHLER - Autobiographie et publication du premier cahier de lieder (1910)

Suite à une conversation avec Jérôme en commentaires de la notule 'essai de discographie essentielle pour le lied', quelques précisions sur la nature de l'ouvrage autobiographique d'Alma disponible dans le commerce.

Accessoirement, son avis (sanglant) sur Schreker.


Oui, 'biographie', il est écrit...


Suite de la notule.

samedi 29 août 2009

Ethnocentrisme français et enjeux linguistiques


A contre-courant de l'actualité la plus abondamment traitée ces temps-ci, un mot sur la perception française d'enjeux linguistiques minoritaires.

Les médias français ont beaucoup fait leurs choux gras de ces administrations, de ces conseils municipaux belges où, même lorsque tout le monde est francophone, il est obligatoire de parler flamand.
Une manifestation inique de sentiments racistes, l'image de ce que produirait un gouvernement frontiste en France : la défiance absolue envers tout ce qui est différent, l'exigence impérieuse que l'autre devienne un même que soi.

Il n'est sans doute pas faux que ces obligations peuvent être nourries par des considérations hostiles envers les wallons - en France, dans le 24, on crève parfois encore les pneus des 33 venus chercher des champignons...

Néanmoins, présenter les choses sous cet angle, c'est biaiser le regard. Pas seulement par souci de faire scandaleux et sensationnel, mais aussi parce que les journalistes français vivent dans une culture de langue unique, majoritaire et rayonnante qui rend la situation moins compréhensible.

Suite de la notule.

jeudi 27 août 2009

David McVicar & Miah Persson (Noces de Figaro ROH 2006)


En deux mots ; juste un constat étonné et admiratif. Dans les Noces mises en scène au Royal Opera House londonien par David McVicar, traditionnelles visuellement, mais remarquables par leurs trouvailles dans la topographie scénique, dans quelques chevauchements de temporalité, et surtout dans le fourmillement de détails qui éclairent avec précision et esprit le texte, je remarque que Suzanne semble de très loin le personnage principal - alors qu'en principe, les choses sont plus équilibrées.

david mcvicar antonio pappano dvd roh covent garden 2006 le nozze di figaro les noces miah persson roeschmann dorothea roschmann gerald finley erwin schrott mozart opus arte.jpg


Cela tient au texte, bien entendu, puisque le finaud Figaro se distingue plus par son sens exceptionnel de l'intuition et de l'improvisation que par la réussite de ses trames - qui ne sauraient être qu'affaire de femmes. Egalement aux choix de McVicar, qui rendent Susanna extrêmement active. [Le surjeu demandé aux acteurs, notamment pour le sextuor du début de l'acte III, est assez malin, parce qu'il permet de mettre en valeur des sentiments trop abstraits si on les dit simplement avec un petit geste, et donne de la profondeur humaine à la situation, alors même qu'il y a quantité de détails volontairement grotesques. Etrangement, ça ne met pas à distance, mais ça crédibilise le propos, de la très belle ouvrage.]

Et il semblerait aussi -

Suite de la notule.

mercredi 26 août 2009

Une saison (parisienne) 2009-2010

Une saison 2009-2010
 
Suite au tragique exil que l’on sait, les lutins deCarnets sur sol ont été amenés à effectuer un repérage assez vaste de la programmation culturelle locale. En excluant les expositions qui n’ont pas de dates et d’heures impératives, on s’est limité aux théâtres. Avec un assez grand nombre (une trentaine ?) de salles parcourues.
 
Etant donné que nos finances, notre temps, et peut-être plus encore notre envie limiteront considérablement les possibles, on donne ici le résultat de ce dépiotage assez conséquent... afin que ce ne soit pas tout à fait perdu.
 
=> Ont été relevés les spectacles qui nous paraissaient très vivement intéressant (sans quoi on aurait pu copier-coller l’ensemble de la production de certaines salles, si nous avions conservé nos critères bordelais plus accommodants).
=> En souligné figurent les choses particulièrement tentantes (uniquement dans notre envie à nous, ce n’est pas un conseil, et encore moins une hiérarchisation), qu’on aimerait voir.
=> En gras figurent les spectacles pour lesquels on essaiera vraiment de se forcer, voire de trouver des solutions pour les voir, ceux qu’ils ne faudrait pas manquer.
=> En gras souligné figurent les quelques incontournables de la saison, qui mériteraient le voyage à eux tout seuls.
 
En réalité, il suffirait d’une dizaine d’internautes de bonne volonté pour réaliser sans trop de fatigue une base de données annuelle sur les programmations de spectacles à Paris et environs, si on se limite à un certain type de spectacle.
 
A propos : Le pompon du site le plus lourd et le plus malcommode de tous les temps revient sans peine à la Comédie-Française – je n’ai jamais vu pire à vrai dire, l’informaticien qui a fait ça mériterait ni plus ni moins qu’être pendu. (Ce n’est qu’une suggestion : n’étant pas intolérant, je n’ai rien contre l’écartèlement.)
 
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Non, évidemment, nous ne serons pas partout, soyez-en assurés. Voici donc le résultat de nos investigations, qui pourra sans nul doute mettre en lumière des choses que vous auriez manquées, prenons les paris.

(Bien entendu, sur demande, on fournit tous les détails nécessaires lorsque les intitulés sont trop allusifs.)

Suite de la notule.

Jules MASSENET - Le Jongleur de Notre-Dame (Diemecke / Alagna à Montpellier, disque DG)

L'enregistrement Deutsche Grammophon est déjà un objet étrange, sur lequel est écrit en gros Roberto ALAGNA, en casse moyenne Jules MASSENET, et en tout petit le nom du chef, Enrique DIEMECKE. Au cas où un amateur égaré des rifacimenti marianesi soit attiré par un double CD dont on a bien malheureusement ôté les extraits de Fiesque de Lalo prévus. Mais peut-être Accord l'éditera-t-il en entier comme d'autres raretés montpelliéraines - j'y comptais en tout cas, mais ça ne semble pas garanti du tout.

Ce message simplement pour quelques éléments, nous écoutions cette version ce matin.

Suite de la notule.

mardi 25 août 2009

The Constant Nymph de Goulding & Korngold - une image ambiguë de la création

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Du cinéma sur CSS, quelle folie !

Pour une fois, on va parler de cinéma par ici. Un domaine tellement plus aisé à documenter (une oeuvre, c'est une interprétation figée à jamais, avec son producteur-distributeur, tout est limpide), tellement plus traité aussi (en ligne en particulier, on trouve des monceaux d'informations, mais le nombre d'ouvrages sur le sujet est incommensurable). Si on n'en parle pas, ou exceptionnellement (trois fois, je crois : pour l'oratorio télévisé de Prat / Prodromidès et pour un parallèle entre le blockbuster et l'opéra), ce n'est pas par désintérêt, au contraire. Mais une goutte d'eau dans l'océan déjà fort surpeuplé des exégèses cinématographiques ne serait pas d'une grande utilité.

Cela dit, autant en musique savante occidentale de 1580 à 2079, les lutins consomment absolument tout avec délices, autant dans le domaine cinématographique, notre période d'adhésion se trouve un peu plus réduite, de 1925 à 1960, à peu près. En gros, l'essentiel de ce qui est en noir et blanc, avec une prédilection pour les années quarante, celles où la dimension plastique de l'image est la plus fascinante.
L'arrivée de la couleur (et même avant, l'aplatissement du noir et blanc) fait perdre cette profondeur de champ, cette atmosphère poétique, et fait définitivement basculer le cinéma comme l'art mimétique par excellence. De plus en plus, la diction des acteurs et la présentation des situations devra singer le réel, pas question de faire de l'esthétique. Si bien que, selon la définition qu'on peut se faire de l'art chez nos lutins sous-traitants (du sens par un truchement esthétique), le cinéma d'après 1960 n'en est plus vraiment. Et, en tout cas, je peine à trouver une clef esthétique pour l'apprécier, à de très rares exceptions près (il n'y a même pas besoin de la moitié de tous les doigts d'une main pour les compter).

Dans le contexte très limité de mon champ (actuel, tout peut s'améliorer) d'investigation, en revanche, je consomme avec appétit les réalisations d'alors. Et si je n'en touche pas mot, c'est que je cherche aussi à proposer des choses qui puissent être utiles, sur CSS. Or, pour le cinéma, même les parallèles précis entre oeuvre originale et adaptation, comme on en a fait pour l'opéra ici même, sont largement rebattus. Tout a été passé au peigne fin, au delà même des intentions des concepteurs, voire au delà de l'intérêt des oeuvres, même lorsqu'il est majeur.

Tout cela doit évidemment être pris sans le moindre mépris, c'est simplement un constat sur ma réception du cinéma, qui témoigne sans nul doute plus de mes infirmités cognitives que d'une vérité universelle sur l'art.

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The Constant Nymph de Goulding : une problématique musicale

Il est évident que, de même que pour une autre oeuvre, il n'est pas possible d'aborder tous les aspects dans une seule notulette. On laisse donc de côté l'aspect visuel (joliment filmé, mais avec des couleurs mates, une grisaille relativement peu contrastée), la trame (banale, mais remarquablement mise en scène et jouée), le rapport au roman de Margaret Kennedy.

Pour tous ces aspects, on remet simplement cet extrait délicieux en mémoire : le cadeau par procuration des Flowers for Florence, et on laisse le reste aux souvenirs ou à la rêverie de nos lecteurs. Juste un mot qui éclaire peut-être l'extrait (pas de sous-titrage, mais dans un anglais vraiment clair) : Joan Fontaine, qui a vingt-cinq ans, joue une fillette de quatorze ans, d'où cette vivacité naïve et désordonnée, d'une justesse vraiment troublante.

Voici :


(Titre français miévrisant : Tessa, nymphe au coeur fidèle.)


Ce film d'Edmund Goulding date de 1943, mais l'image est peu contrastée, plutôt typée années 50, alors qu'il s'agit paradoxalement sans doute plutôt d'une maîtrise moindre des instruments de production visuelle qui est en cause - on sent d'ailleurs une certain naïveté dans la qualité visuelle, indépendamment de l'horrible pixellisation de notre extrait...

La part de la musique y est fondamentale, puisqu'en un mot, il s'agit de l'attachement impossible d'une adolescente pour un compositeur qui a été son professeur - jusqu'à ce qu'elle soit payée de retour, alors qu'il est déjà marié. La musique est écrite par Erich Wolfgang Korngold, et il serait intéressant, assurément, de fouiller du côté du cahier des charges du compositeur et de son influence dans la constitution du film lui-même.

Comme il se doit, on entend de la musique, dans ce film. Celle, naïve et bellement lyrique, que le précepteur Lewis Dodd (Charles Boyer) écrit pour ses jeunes élèves. On reconnaît très bien le lyrisme sans contrainte de Korngold, une sorte de Mahler qui se plonge dans sa propre volupté, sans ironie, en choisissant d'oublier les excès à l'instant même où il les commet, mais sans prétention non plus. Du lyrisme extrême. Ici, au demeurant, il est très net que la musique obéit au scénario : Tessa (la cadette-héroïne), quand le quatuor avec piano, a cassé une corde à son alto et se met à chanter délicieusement... en doublant la partie de violon. Pas sûr qu'un compositeur avec la maîtrise technique de Korngold (et son bagage viennois décadent) ait spontanément adopté cette solution, si ce n'est pour des raisons d'évidence : on entend la mélodie complète de la pièce au violon, on découvre qu'il manque l'alto, et la voix est portée par le lyrisme du violon. Efficace, en somme.

Il se trouve cependant que ledit compositeur, qui peine à se faire jouer, se tient en pointe du progrès. Il avait renversé son demi-queue chez ses hôtes belges pour faire des expériences sonores, et en présence de son épouse (Alexis Smith), il joue une oeuvre aride qu'on entend longuement : une suite d'accord peut-être pas atonale, mais très tourmentée et sans logique apparente, un peu du free-jazz à la façon classique, un tricot qui sonne bien mais qui pourrait se poursuivre à l'infini ou s'arrêter à tout moment.

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo
[Découpé par nos soins.] Le moment de la réception, qui porte la marque de la sophistication aride de son épouse, par opposition à l'inspiration lyrique et spontanée portée par la muse Tessa. Au passage, on peut entendre les phrasés raffinés en diable de Joyce Reynolds (la petite soeur), qui avait à cette date dix-huit ou dix-neuf ans, et qui fait elle aussi un bel exploit en jouant ainsi la fillette, certes furieusement éloquente, de dix ou douze ans.


C'est une façon dramaturgique de porter le combat entre les deux femmes, puisque cet aspect aride, qui choque les bourgeois mais suscite aussi leur enthousiasme de façade, appartient à l'univers de sa riche épouse, tandis que le retour de Tessa échappée du pensionnat pousse Lewis à revenir à un langage plus consonant, postromantique et "inspiré". Ce qui est très étonnant, c'est effectivement de voir Korngold, dont c'est un peu le parcours, mais pour des raisons alimentaires (il fallait bien vivre et on n'a jamais aimé les audaces musicales en Amérique, aujourd'hui encore), se prêter à cette caricature (de bon gré ou pas) de la dualité cérébral / sensible. Avec l'idée conclusive, tout de même, que le plus immédiatement séduisant est aussi le plus inspiré et, tout simplement le meilleur.
La fréquentation assidue de la musique permet de se rendre compte que c'est beaucoup plus compliqué que cela et que tous les cas de figures sont possibles. En tout cas, musicalement, le thème lyrique inspiré par Tessa est extrêmement convenu, voire un peu fade, et très dégoulinant, alors que les accords sauvages sans grand relief du versant moderniste, une sorte de sous-concerto de Prokofiev, sont finalement plus originaux, moins souvent entendus même pour le mélomane d'aujourd'hui, et attirent sans doute plus la curiosité, même s'ils sont moins agréables de prime abord.

Ici aussi, il serait extrêmement intéressant de déterminer si Korngold a voulu écrire du n'importe quoi pas trop voyant, avec des accords relativement consonants, mais agencés sans ordre, ou s'il a pris la peine d'écrire un faux désordre, peut-être la musique qu'il a le plus soignée du lot - en tout cas, ce doit être la séquence centrée autour de la musique la plus longue du film.

Car, en plus de la juxtaposition avec une séance de composition 'réactionnaire', comme on l'a dit, il y a le cas du concert final. Et quel concert ! Celui de l'apothéose du compositeur (et de la chute de ses amours), qui est une musique d'une platitude insigne, bien homophonique, farcie de doublures et autres redondances (poème symphonique avec soprano, du kitsch propret...). Qu'en penser, ici aussi ?

Il faudrait comparer de plus près entre la description de Margaret Kennedy (une musique imaginaire, fût-elle réactionnaire, peut être très belle, par exemple les Quatre Derniers Lieder' comparés au Marteau sans Maître'', même s'il s'agit peut-être d'exceptions dans l'évolution globale de la musique...), les voeux du réalisateur et la psychologie (peut-être pas documentée du tout) de Korngold. Parce que la posture, pour le mélomane, paraît étrange : faire du novateur un suspect, presque un usurpateur, pour exalter une musique sous-hollywoodienne, qui d'habitude sert tout juste d'accompagnement à des visages consonants d'actrices abondamment fardées et poétiquement illuminées, est-ce vraiment l'image la plus valorisante du personnage ? Alors qu'un novateur génial, même si sa musique n'est en réalité pas si subversive lorsqu'on l'écoute, c'était une posture plus payante en principe.

Mais ce qu'il y a de séduisant, c'est précisément l'absence de thèse claire : pas de propos généraux sur la musique (ici, on parle d'amour) ; pas d'attestation non plus du génie de Lewis Dodd à part dans l'admiration forcenée des femmes qui l'aiment ; et une musique dont l'intérêt n'est pas toujours en concordance avec ce que ressentent les personnages.

De la même façon, les snobs détestent la musique audacieuse, et l'applaudissent pour être dans le vent : sont-ils hermétiques à l'art et font-ils semblant de sentir le génie parce que d'autres leur ont expliqué qui était une valeur sûre, ou applaudissent-ils du n'importe quoi pour paraître informés, tout en ayant manifesté, dans leur rejet, une vraie sensibilité ? Et en quoi s'opposeraient-ils alors à l'authentique Tessa, qui pense tout autant de mal qu'eux de cette musique ?

Bref, on ne sait vraiment qui est ce compositeur, s'il s'agit véritablement d'un double de Korngold qui ferait ce travail par conviction, une sorte de mythe de Hollywood, ou bien quelque chose de plus compliqué, peut-être bien un malhabile qui essaie péniblement de faire jouer le résultat d'un labeur sincère mais un peu désordonné...
Ce qui entrerait en concordance avec sa façon un peu misérable d'annoncer sa rupture à sa femme... Lewis Dodd constitue le personnage pivot, et Boyer en fait quelque chose, mais en fin de compte il apparaît translucide, juste ce que les femmes mettent en lui.

Ce type de demi-teinte, de doute, ne se trouve pas qu'ici dans le film, et ce n'est pas l'une de ses moindres vertus que ce fourmillement de nuances, de réactions inattendues, de caractères imparfaits, inabsolus en quelque sorte.

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Au delà de l'invitation à regarder cette belle chose, cette notule était dictée par une volonté de porter un regard de biais à la fois sur les composantes de la conception d'un film et sur la perception parfois intimement contradictoire que l'on peut avoir de la vertu musicale...

samedi 22 août 2009

Alma Schindler-Mahler proscrite

Devant l'ampleur de la tâche (eu égard à mon attachement à cette figure musicale), je parle assez peu d'Alma Schindler-Mahler en définitive en ces pages. Voici toujours un amuse-bouche sur le sujet de la considération de sa musique par son mari, suscité par Jérôme :

  • La défense de composer de Mahler, scène mélodramatique non lyrique pour deux protagonistes ;
  • ce que pensait vraisemblablement Mahler des compositions de Madame.

C'est en commentaires, à partir d'ici.

vendredi 21 août 2009

Opéra ou opéra ?


Un petit billet orthographique, qui peut être utile.

Opéra avec ou sans majuscule ?

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1. Sans majuscule : opéra

Dans ce cas-là, l'opéra désigne une oeuvre. Un exemplaire du genre opéra. On parle aussi du genre opéra sans majuscule.

Exemple :

L'opéra Carmen est extrêmement populaire à Khodjent, mais on en attend toujours sa création en traduction à Qurghonteppa. L'opéra en général est un spectacle peu présent dans cette ville.


Qurghonteppa (plus volontiers appelée Kourgan-Tioubé en français), capitale de la province tadjike de Khatlon.


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2. Avec majuscule : Opéra

Plus intéressants sont les cas avec majuscule (parce qu'il s'agit alors de faire sens).

Suite de la notule.

Mise à jour (bis)

Comme l'annonce a été un peu enterrée à la suite de la longue notule d'hier, revoici :

MISE A JOUR
De la notule d'introduction à Schreker (catalogue partiel et discographie indicative).

jeudi 20 août 2009

Découvrir le lied : essai de discographie réduite et essentielle

Lied et lieder, une discographie essentielle (essential discography)

(Remarques pratiques : Si le texte vous paraît trop petit, vous pouvez utiliser sous Windows la commande "Ctrl" + "+". Ou bien le zoom de votre butineur préféré. Par ailleurs, cet article se trouve également ici pour que vous puissiez, si cela vous paraît plus pratique, le télécharger sur votre disque dur pour consultation ultérieure... ou impression pour faire les courses ! Il apparaît en pleine page, beaucoup plus agréable à lire.)

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Pour prolonger notre série d'initiation au lied, on tente ici un essai de discographie très sélective, équilibrée autant que possible entre les époques, différents types de voix et d'interprétation, et tâchant de recouvrir aussi bien les incontournables célébrités du répertoire que les raretés souvent encore plus passionnantes.
Avec ces quelques disques, on peut estimer bien connaître l'essentiel du lied et bon nombre de ses meilleurs interprètes, chanteurs et pianistes. 

On a fait le calcul : si vous utilisez notre guide au plus serré, vous disposez de l'essentiel en 23 disques !


Quelques remarques formelles :

1) On a séparé les oeuvres que tout amateur de lied doit connaître de celles que nous estimons incontournables, mais qui ne sont pas forcément très connues (voire extrêmement peu, comme les lieder de Reger et Holl ou le cycle de Gurlitt...).

2) Le fond jaune indique qu'il s'agit d'un cycle de lieder avec orchestre (ou d'une interprétation avec orchestre). Cela n'a rien à voir avec une quelconque mise en valeur : souvent, les cycles orchestraux de lieder sont quasiment plus des poèmes symphoniques avec voix, plus musicaux que réellement une mise en musique d'un texte révéré.

3) On a essayé de diversifier les interprètes recommandés pour couvrir un spectre d'interprétations à la fois irréprochable et varié.

4) On adopte l'ordre chronologique d'exercice des compositeurs. (Entre parenthèses figurent les poètes et les labels.)

5) Lorsqu'on propose le choix entre plusieurs interprétations assez différentes et difficiles à départager, on essaie de placer la référence qui nous paraît la plus recommandable en premier.

Poèmes et traductions :

Dans le cas où il manquerait les textes (indispensables pour apprécier pleinement le genre), pas de panique, il faut consulter le site formidable d'Emily Ezust qui en contient énormément de traduits. Et s'ils y figurent non traduits, Google Traduction dégrossit un peu l'affaire. On essaie de préciser tout cela, mais nous n'avons pas tous ces disques sous la main à l'instant où nous rédigeons ces lignes...

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Compositeur

Oeuvre

Version

Commentaires

Indispensables célèbres

Première période : romantisme

Schubert

Die Winterreise

« Le Voyage d’Hiver »

(Müller)

Fischer-Dieskau / Moore

Prades 1955 (INA)

- Cycle fondamental, une marche dans et vers l'anéantissement.
- DFD dans ses meilleures années et dans un bon son, avec Moore concerné, la quadrature du cercle entre lyrisme et expression. Attention, pas de livret, il faut utiliser le site d'Emily Ezust, ou alors acheter plutôt la version Goerne / Johnson (Hyperion) avec traduction anglaise, ou pour une traduction française Fischer-Dieskau / Demus (très, trop lyrique). Goerne / Brendel, peut-être préférable à cette dernière, devrait logiquement comporter une version française.

Schubert

Intégrale

G. Johnson (Hyperion)

Une somme immense, à pricorer au gré des volumes disponibles séparément à la vente (l'intégrale existe d'un seul tenant, mais présentée de façon moins pratique - en mélangeant les interprètes et les sujets au profit de la chronologie - et surtout en ôtant les commentaires musicologiques et littéraires remarquables des notices de Graham Johnson). Traductions anglaises des textes allemands.

Schubert

Lieder (épiques et antiques)
(Schiller, Mayrhofer...)

Rolfe-Johnson / Johnson (Hyperion)

Deux volumes particulièrement aboutis de l'intégrale. Ils ont l'avantage d'être extrêmement convaincants tant au niveau des pièces que des interprètes, de ne pas être contemporains du Winterreise pour changer un peu les atmosphères, et de ne comporter qu'un nombre réduit de tubes, ce qui laisse ensuite toute latitude ensuite pour écouter ses interprètes favoris dans les standards dont on ne parvient pas à se débarrasser dans les récitals les plus courants... 

Schubert

Lieder (nocturnes)
(Goethe, Schiller, Ossian...)

Hampson / Johnson (Hyperion)

 

Schumann

Liederkreis Op.39

« Cycle de lieder » (Eichendorff)

Goerne / Schneider (Decca)

- Une sorte d'idéal romantique, sur des poèmes parmi les plus beaux de langue allemande, avec des teintes crépusculaires et mélancoliques, jubilatoires parfois aussi...
- Si l'on privilégie une version féminine, peut-être moins prenante mais tout aussi bien dite (quelques petites imperfections ici ou là, notamment au niveau de l'accent gallois), M. Price / Johnson chez Hyperion est également un excellent choix.

Schumann

Dichterliebe Op.48 

« L’amour du poète »

(Heine)

Fassbaender / Reiman (EMI)

- Une suite de miniatures ironiques sur l'amour déçu. 

- Fassbaender en accentue particulièrement la dérision amère ; le disque RCA, lui, contient en complément l'opus 90 et plusieurs lieder majeurs de Schumann. Enfin, la version disponible sur Carnets sur sol est tout aussi bonne et légalement gratuite, puisque ses droits d'auteur patrimoniaux et voisins sont arrivés à expiration.

 

ou Gerhaher / Huber (RCA)

ou libre de droits disponible sur CSS : Souzay / Cortot

Deuxième période : romantisme tardif
 

Wagner

Wesendonck-Lieder

« Lieder sur des poèmes de Mathide Wesendonck »

Minton / Boulez (Sony)

- Cycle de lieder sur les poèmes de la maîtresse de Wagner, épouse de son mécène d'alors. Ce sont largement des esquisses de Tristan und Isolde, également inspiré par leur relation. Le dernier lied a été orchestré seulement pour une sérénade d'orchestre de chambre sous les fenêtres de Mathilde, à l'occasion de son anniversaire. Les autres orchestrations (pas bien meilleures...) sont dues à Felix Mottl (l'assistant de Hans Richter pour la création du Ring). Cependant, l'oeuvre sonne mieux avec orchestre - au piano, on entend des silences et des redondances, un déséquilibre voix-piano aussi.
- Le problème réccurent est que la diction est totalement incompréhensible, ou alors avec peu de relief, chez la plupart des interprètes. La notre y échappe tout à fait, même s'il y a plus précis (Crespin / Prêtre chez EMI) ; la direction de Boulez fait de surcroît de l'orchestration là où il n'y en pas vraiment d'écrite.
- Le disque Sony est couplé avec de bons Rückert-Lieder, qui ne dispensent peut-être pas d'une version plus frémissante.

Brahms

Volkslieder

S. Genz / Vignoles (Apex)

Parmi les oeuvres très homogènes de Brahms (entre elles, et même à l'intérieur de chaque pièce), c'est là sans doute le corpus le plus avenant. Version très bien dite et chantée.

Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents ou raffinés)

Wolf

Lieder
(Mörike)

Bär / Parsons (EMI)

- Les lieder les plus célèbres de Wolf, interprétés par une voix très claire (qui tient depuis des emplois parfois voisins du baryton dramatique, voire du baryton-basse !), très raffinée, idéal équilibre entre la simplicité et la sophistication. C'est précisément cette simultanéité bizarre qui est le propre de Wolf.
- Epuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas on peut adopter le disque Goethe-Mörike de Kirchschlager / Deutsch Anakreons Grab (paru sous forme de livre-CD et sous forme CD).

Wolf

Spanisches Liederbuch

« Livre de lieder espagnol »

(Heyse & von Geibel)

von Otter / Bär / Parsons (EMI)

- Deux heures de lied sous sa forme populaire et joyeuse, mais toujours très travaillée chez Wolf. Sans doute le plus accessible de son corpus.
- Ce disque, un petit bijou vocal et verbal, est aussi épuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas le disque Schwarzkopf / Fischer-Dieskau / Moore (EMI) est excellent... sauf en ce qui concerne les interventions de Schwarzkopf, pourtant d'habitude plutôt à son aise dans Wolf.

Mahler

Des Knaben Wunderhorn

« Le Cor merveilleux de l’enfant »

(Arnim & Brentano)

Bonney, Goerne (Fulgoni, Winbergh) / Chailly (Decca)

- Des Knaben Wunderhorn, fondé sur le recueil de poèmes populaires d'Arnim & Brentano, est aussi un recueil de chants au ton badin ou insolent, écrits et orchestrés brillamment par Mahler.
- Cette version est la plus complète du marché (car aucune ne contient absolument tous les numéros), soit un lied de plus qu'Abbado. C'est aussi l'une des plus spectaculaires orchestralement et des plus vivantes tout court. 

Mahler

Trois cycles :
- Lieder eines fahrenden Gesellen

« Chants d’un compagnon errant » 

(Mahler)

 - Rückert-Lieder 

« Lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert »

(Rückert)
- Kindertotenlieder 

« Chants sur les enfants morts » (Rückert)

Hampson / Bernstein

(DG, existe également en DVD)

- Trois éléments indispensables de l'histoire du lied orchestral, conçu comme tel dès l'origine, même si Mahler est passé par une particelle (= version piano non destinée à publication), alors que la plupart des exemples précédents sont des orchestrations a posteriori, une fois la carrière des partitions faite en piano / voix.
- Il y a de surcroît quantité d'anecdotes attachées à leur composition dans la vie personnelle de Mahler, ce qui contribue d'autant plus à leur célébrité.
- Interprétation extrêmement incarnée, difficile de trouver beaucoup mieux.
- Moins cher, Henschel / Nagano, assez dans le même genre et avec le même programme, a paru chez Apex. Les petites budgets peuvent y aller voir aussi (sans attendre les textes qui sont chez DG...). On peut aussi citer, dans des cycles dépareillés, Siegfried Lorenz, Waltraud Meier, Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender, etc. Mais on préfère s'en tenir au plus petit nombre de disques possible, pour constituer cette discothèque 'essentielle'.
Mahler Das Lied von der Erde
"Le Chant de la Terre"
(Poètes chinois massacrés)
Thorborg / Öhman (parfois graphié Öhmann) / Schuricht
(domaine public, disponible sur CSS)
- Mahler rechignait à écrire une dixième symphonie, du fait de l'image de la malédiction qui pesait dessus depuis Beethoven et Schubert ; aussi, après sa Huitième, il imagine de présenter autrement sa prochaine grande fresque chantée, sous le titre de Lied, alors qu'il s'agit bien dans son esprit d'une symphonie - c'est au demeurant amplement autant une symphonie que la Huitième (pas moins en tout cas...).
Il utilise l'adaptation allemande de poèmes chinois assez méconnaissables, pour certains à partir d'une traduction française... avec de surcroît des ajouts de sa propre fantaisie ici et là.
- La version Schuricht dispose d'une atmosphère extraordinaire,  et le son est tout à fait bon pour l'époque (à part pour l'incident fameux de l'exaltée néerlandaise probablement nazifiante qui vient prononcer un petit slogan près du micro avant de sortir : on l'entend à peine, ce n'est absolument pas une gêne à l'écoute).
Pour les oreilles sensibles ou les âmes délicates, Klemperer, dans un tout autre genre, plus charnu mais sans sa lourdeur coutumière, est un enchantement.
[pour ceux qui n'aiment pas les versions anciennes :
Ludwig / Wunderlich / Klemperer (EMI)]
R. Strauss Vier Letzte Lieder
« Quatre derniers lieder »
(3 Hesse et 1 Eichendorff)
Te Kanawa / Soli (Decca) - Dans le versant ultralyrique et assez sirupeux du Chevalier à la Rose et d'Arabella, le grand classique du lied orchestral. D'une beauté hors du commun, il faut bien le reconnaître.
- Parmi les pléthoriques excellentes versions (Grümmer / R. Kraus, Stemme / Pappano, Janowitz / Karajan, Norman / Masur, Popp / Tennstedt, Della Casa / Böhm, Mattila / Abbado, Fleming /  Thielemann, Pollet / Weise, etc.), on a choisi celle-ci comme le meilleur équilibre entre la diction (secondaire mais appréciable), l'expression, la ductilité - et la présence de l'orchestre. De surcroît, le couplage avec d'autres lieder orchestrés de Strauss (nettement moins essentiels) correspondait mieux à notre projet que les autres couplages. Mais chacun peut aller voir ses chouchous et ne manquera pas de le faire s'il en a.
Berg Sieben Frühe Lieder
« Sept lieder de jeunesse »
(divers poètes)
von Otter / Forsberg (DG)
(version piano)
- Les Frühe Lieder sont encore dans un ton très décadent à la façon de Schreker ou du jeune Webern, tarabiscoté mais tout à fait dans une logique tonale. On préfère recommander la version piano, pour mieux goûter les délicieuses alternances tension-détente de l'harmonie, et tout l'intimisme sophistiqué de leur ton, mais ils ont été orchestrés par Berg vingt ans plus tard (très belle chose également).
- Les Altenberg-Lieder, eux, sont déjà du côté des recherches d'avant-garde de Berg, et appartiennent vraiment au coeur du vingtième siècle (les strates alla Schreker se font de plus en plus libres et inquiétantes). Le texte chanté est très bref, et l'orchestre tient la première place (souvent l'introduction, les ponctuations et la conclusion sont plus longues cumulées que la partie chantée...). Le travail orchestral tient véritablement de l'orfèvrerie, mais l'on n'est finalement plus dans le lied. [C'est d'ailleurs une constante : après Wolf, le texte, même s'il est très soigneusement choisi, devient de plus en plus prétexte à une expression essentiellement musicale. C'est aussi lié aux langages musicaux de plus en plus libres qui s'accommodent mal des inflexions naturelles de la voix parlée. Et à la prédominance au fil du temps du lied orchestral - un contresens d'une certaine façon par rapport à la nature initiale du lied.]
- On a choisi deux versions superlatives, mais qui ont le défaut d'être séparées, pour deux cycles assez court. Il est donc possible, pour économiser, d'acquérir en un seul volume Banse (Frühe) / Marc (Altenberg) / Sinopoli  (Teldec, avant que ce soit épuisé...), avec une direction extraordinairement précise et intense de Sinopoli, mais Marc vraiment en difficulté vocalement (ça criaille, même si ce n'est pas grave ici - mais on est loin de la magie de Price) ou Balleys / Ashkenazy (Decca), très détaillé, assez sombre et un peu froid (mais peut-être plus préférable car plus équilibré). Tout cela est excellent et, pour le coup, ce sont les versions orchestrales des Frühe Lieder, moins essentielles, on l'a dit, mais c'est une économie possible.
Berg Altenberg-Lieder
« Lieder sur des poèmes de Peter Altenberg »
M. Price / Abbado (DG)
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Cycles contemporains Il existe bien sûr des cycles intéressants plus récents (en particulier Rihm), mais ils nous paraissent moins essentiels, aussi bien du point de vue de la célébrité que de leur intérêt intrinsèque. Il faudrait plutôt aller chercher du côté de la mélodie française symphonique : Poèmes pour mi de Messiaen, La Geôle & Deux Sonnets de Jean Cassou de Dutilleux, Pli selon pli (voire Le Soleil des eaux) de Boulez pour rencontrer des choses vraiment indispensables. Et qui, esthétiquement, doivent bien plus au lied que de la mélodie française. 
Au moins aussi indispensables, mais moins connus et commentés
(donc moins utiles pour nourrir la conversation, et peut-être moins urgents pour le néophyte qui voudrait pouvoir échanger)
Première période : romantisme
Wieck-Schumann Lieder Högman / Pöntinen (BIS) - Entre Schubert et Schumann, et certainement pas inférieure, inspiration et poésie au sommet. - Version superlative pour l'investissement des deux partenaires, la poésie et l'évidence du tout : peut-être le plus beau disque de lied du marché. Couplé avec d'autres indispensables de Fanny Mendelssohn-Hensel et Alma Schindler-Mahler, donc très économique.
- Pour aller plus loin : intégrale Gritton / Loges / Asti (Hyperion) ou  Craxton / Djeddikar  (Naxos). 
Deuxième période : romantisme tardif
On pourrait sans doute parler des lieder de Liszt, mais faute de disques vraiment monographiques (il n'y en a presque pas !), et surtout faute que le corpus soit totalement majeur (même s'il est passionnant !)... on s'abstiendra, en le mentionnant simplement pour mémoire.
Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents et raffinés)
Reger Duos Op.14
(divers poètes dont Eichendorff)
Klepper / M. Borst / Deutsch (Capriccio) - Attention, cela dure à peine un quart d'heure, mais c'est un sommet de délicatesse, le cycle de duos à connaître dans le répertoire du lied.
- Version remarquable avec pianiste remarquable. Couplé avec d'autres duos (intéressants) dans le domaine du lied également.
Reger Lieder May / Renzikowski (Arte Nova) - Ce disque parcourt l'ensemble de la production de Reger, de puis la jeunesse jusqu'à la maturité, et révèle un raffinement décadent dont on n'imaginerait pas capable l'auteur des poèmes symphoniques rondement et tristounettement postromantiques. Un corpus majeur, tout un monde ; dans le même goût que Wolf si l'on veut, mais infiniment plus travaillé et personnel.
- Excellente interprétation, sobre mais habitée.
Schindler-Mahler Lieder
(dont
Novalis et Dehmel)
Högman / Pöntinen (BIS) - Un corpus vertigineux, dont on ne connaît malheureusement que très peu de titres, ceux publiés par Alma de son vivant (on se rappelle que son mari lui avait défendu la composition). C'est véritablement l'une des fulgurances les plus étonnantes de l'histoire de la musique, en pointe de la modernité et de l'invention chez les décadents, bien plus moderne (et, disons-le, plus génial) que Mahler dans les mêmes années, par exemple. A connaître absolument, quasiment tous ceux qui l'ont découvert ont été conquis... 
- Disque superlatif décrit plus haut (Clara Wieck-Schumann) et qui contient aussi du Fanny Mendelssohn-Hensel, donc un véritable achat économique et forcément enthousiasmant.
- Pour aller plus loin : intégrale (de ce qui était alors publié) Ziesak / Vermillion / Elsner / Garben chez CPO.
Langgaard Lieder Dahl / Stærk (Da Capo) - Un corpus étrange, avec une sorte d'hypertophie du discours, quelque chose d'assez véhément et épique, dans un langage qui reste relativement postromantique. Assez insolite, cette manière de traiter la petite forme avec les moyens de la grande, y compris sur la durée assez étendue des pièces.
- Belle interprétation pour pas cher (la seule au disque).
Webern Intégrale Oelze / Schneider (DG) - Dans le coffret de la seconde intégrale Boulez de Webern, la véritable intégrale qui contient (à peu près) tout en deçà des numéros d'opus, on trouve cette intégrale des lieder, par un couple de rêve (ductilité et naturel... surnaturels d'Oelze dans cette musique si difficile, et rondeur très assurée chez Schneider). Les premières oeuvres sont les plus intéressantes, de la tonalité stricte des Frühe Lieder à l'atonalisme libre des autres premiers cycles. Le sens de l'atmosphère de Webern, sans s'attacher plus que cela au mot en tant qu'unité, est proprement exceptionnel. Peut-être l'ensemble le plus émouvant, le plus prenant depuis Schubert... Rien de sombre dans ces premières pièces, juste une sorte de lassitude chaleureuse, comme accablée sous un été gorgé de soleil. A connaître absolument.
Gurlitt Vier dramatische Gesänge
« Quatre chants dramatiques »
(Hardt, Goethe, Gerhart Hauptmann)
Oelze / Beaumont (Phoenix) - Ici aussi, peut-être l'exemple le plus réussi de lieder orchestraux, car le texte est au coeur du traitement de Gurlitt, qui choisi quatre extraits fondamentaux du théâtre allemand pour en faire un traitement relativement récitatif, mais toujours lyrique.
- Oelze participe bien entendu largement à la réussite de l'entreprise par la justesse de son ton mélancolique mais détaillé. (On se souvient qu'Antony Beaumont avait écrit une fin alternative à celle de Philipp Jarnach pour le Doktor Faust de Busoni...)
Schreker Vom ewigen Leben
« De la vie éternelle »
(sur traduction allemande de Whitman)
Barainsky / Ruzicka (Koch) - Dans le versant purement instrumental du lied avec orchestre, un complément très bienvenu au Vier Letzte Lieder, bien plus sinueux et sophistiqué, moins direct aussi. Une orgie orchestrale du meilleur Schreker. [Il s'agit en réalité de l'orchestration de ses deux derniers lieder.]
- Peu de versions disponibles (déjà rares) sont satisfaisantes, celle-ci l'est pleinement.
Korngold Lieder Kirchschlager / Deutsch (Sony) - Beaucoup de poèmes anglais en VO (y compris du Shakespeare) dans les deux cycles proposés dans ce disque, mais Korngold mérite tout de même d'être mentionné, vu son esthétique, en tant que compositeur de lied. Extrêmement tonal, se fondant sur la plénitude des harmonies et des tensions-détentes, il serait assez à comparer à Mahler sans les grincements ou à R. Strauss sans le sirop, pour ces oeuvres-là.  (Leur date de composition est très tardive - années 40, et la conception de ces cycles a donc eu lieu en Amérique où Korngold s'installe comme compositeur de film dès 1934.)
- Magnifique interprétation, ronde, fruité, très dite, très maîtrisée aussi ; avec un piano présent et inspiré.  Il s'agit du premier récital discographique de Kirchschlager - son meilleur au demeurant, et d'une audace programmatique plus que notable, puisque ces Korngold sont couplés avec le premier cycle d'Alma Schindler-Mahler et des extraits de Des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler en version piano. 
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Holl Lieder Holl / Jansen (Sonder) Robert Holl est surtout connu comme chanteur (encore en activité), mais son inspiration comme compositeur apparaît bien supérieure à celle de sa (bonne) qualité d'interprète. C'est une lecture très noire du lied, extrêmement tourmentée et qui reste cependant tonale ; cela se rapproche beaucoup de la couleur de Křenek (en mieux), ou du Berg des pièces orchestrales Op.6 et des Altenberg. En réalité, il s'agit d'un héritage direct de la décadence radicale, et ce n'est pas véritablement de la musique typée XXIe siècle que l'on entend là (encore qu'il y ait aujourd'hui beaucoup de courants postmodernes, néotonals ou syncrétiques - majoritaires d'ailleurs sur la stricte atonalité). Il n'empêche que pour le coup, on dispose d'un traitement étroit du texte et non pas de volutes abstraites ou d'une succession d'effets, et par conséquent, cela marche bien mieux pour le lied.
En tout état de cause, il s'agit d'un très bel ensemble. On peut s'en faire une idée sonore sur son site personnel (les CDs ne sont de toute façon pas faciles à trouver dans le commerce) ; et pour en savoir plus... on peut lire CSS. Ceci, par exemple.
Jalons historiques
(Pour comprendre les origines du lied, mais pas majeur du tout.
On s'est limité aux très célèbres, mais C.P.E. Bach, Zelter et Loewe peuvent permettre de comprendre également des choses.)
Mozart Intégrale Ameling (Philips) - Des miniatures très naïves, vraiment sous forme de romances. On se trouve vraiment au moment où la chanson populaire fusionne avec la bluette de salon (ou plutôt juste avant, puisqu'on est encore dans quelque chose de galant).
- Très belle interprétation souple et gracieuse d'Ameling, mais la version de l'intégrale Brilliant Classics (avec Claron McFadden pour moitié), de surcroît pour partie avec pianoforte (ce qui devrait procurer un brin plus de relief) devait tout à fait faire l'affaire, inutile de se mettre en dépense.
Beethoven An die ferne Geliebte
(Jeitteles)
Goerne / Brendel (Decca) - La première oeuvre expérimentale du lied : le ton est très simple, sans affèteries, mais il s'agit d'un cycle continu où chaque lied s'enchaîne directement aux autres (la partition ne marque d'ailleurs aucune discontinuité), comme un tout. De surcroît, le travail malicieux (mais pas drôle non plus, entendons-nous bien, c'est Beethoven), presque expérimental, sur le matériau musical, le retour de thèmes, la manière de variations sur les motifs déjà énoncés, l'unité générale, tout cela fait véritablement de la chanson légère une oeuvre à part entière, destinée à ceux qui sont capable de l'apprécier - et non plus l'importation de thématiques populaires, même s'il en est encore question.
L'oeuvre en elle-même n'est pas d'une beauté bouleversante, mais sa modernité presque insolente est vraiment impressionnante - et fondamentale pour la suite.
- On propose une excellente version, profonde et intériorisée, couplée qui plus est au Schwanengesang de Schubert, autre morceau majeur du répertoire - une économie de plus !

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Mais... à part l'allemand ?

On a  délibérément écarté les autres langues germaniques, scandinaves et nordiques du corpus, pour des raisons de vastitude de l'entreprise, de documentation disponible moindre... et surtout de nature. Le ton des mélodies nordiques est extrêmement différent du lied ; on parle d'ailleurs de mélodies scandinaves...  Et à juste titre, car il s'agit plus de miniatures rondes et un peu populaires. On pourrait presque parler de chansons (en conservant la mélodie pour le salon poétique à la française). 

Pour ceux qui sont intéressés, on peut déjà indiquer quelques pistes, comme Toivo Kuula pour la part finnoise et la remarquable anthologie Aulin / Rangström / Nystroem / Alfvén / Larsson (et accessoirement Alqvist /  Frumerie / Linde) d'Anne Sofie von Otter et Bengt Forsberg, extrêmement représentative de la meilleure école suédoise (récital « Watercolours  » chez DG). Grieg et Sibelius nous paraissent moins urgents. 

Il manque bien entendu, au sein même des compositeurs de langue allemande, un nombre important de corpus, mais nous les détaillerons plus volontiers dans un autre tableau en préparation, qui tentera de rassembler tous les excellents enregistrements de lieder de notre connaissance, tous compositeurs confondus, destiné donc à ceux qui connaissent déjà le répertoire, ou qui veulent partir à l'aventure, collectionner, etc. 

On a aussi remarqué non sans une indicible horreur, à l'heure de publier ce petit récapitulatif, qu'il nous manquait Erwartung et Pierrot Lunaire de Schönberg. Faute d'avoir été séduits par le premier en quelque circonstance que ce soit, les lutins ne citeront pas de versions pour l'heure, et chercheront. Pour Pierrot Lunaire, la version DeGaetani / Weisberg (Nonesuch) s'impose absolument : les autres versions, trop parlées, trop chantées, trop minaudées, ne nous ont jamais convaincu, alors qu'ici tout prend évidence et poésie.
On tâchera de mettre le tableau à jour en conséquence, mais pour l'heure, il se peut que nous n'en ayons pas le loisir.

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La recommandation des lutins ?

Voici à  à notre gré, sans considération de célébrité, les corpus les plus intéressants, par ordre chronologique : Schubert / Schumann / Wieck / Reger / Schindler / Gurlitt / Webern  / Holl. 


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Pour aller plus loin qu'une discographie ?

Un certain nombre de ces oeuvres et la plupart de ces compositeurs ont été abordés sur Carnets sur sol ;  on peut y accéder : 

- par l'index (pratique, mais encore incomplet) ; 

- dans la série d'introduction au lied

- dans la catégorie indépendante, consacrée à la mélodie et au lied

- en effectuant une recherche dans le petit moteur de la colonne de droite ('Fouiner').

N'hésitez pas, parce qu'il y a très probablement du matériel autour du corpus qui vous intéressera. Et amusez-vous bien. 

Mise à jour

De la notule d'introduction à Schreker (catalogue partiel et discographie indicative).

lundi 17 août 2009

Le mystère de la 文革 à l'Opéra

0. Avant-propos

文革, Morloch vous le dira, c'est-à-dire Révolution Culturelle. Au sens métaphorique s'entend.

On a beau s'interroger, on patauge sur ce sujet.

Le mystère de l'histoire des représentations lyriques est fort épais sur ce point, et pourtant il y a à peine cinquante ans que tout a eu lieu.

On se propose de faire un petit panorama de la langue originale à l'Opéra. Avec un gros point d'interrogation.


Certains interprètes généreusement militants ont toujours tenu à tout chanter en langue étrangère.


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1. Un mystère épais

Comment se peut-il qu'en seulement 10 ans, la majorité des maisons d'Opéra du monde aient définitivement adopté la langue originale de l'oeuvre représentée comme un dogme, alors que c'était précisément l'attitude inverse qui prévalait partout dans les années 40 ? Au cours des années 50, la révolution s'effectue à une vitesse vertigineuse.

On pourrait objecter une prise de conscience - mais, précisément, ce changement prête à débat, et on imagine que le public a dû, même minoritairement, s'émouvoir de ce changement radical de ses habitudes, qui va bien au delà d'un petit contre-emploi ou d'une mise en scène un peu audacieuse.

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2. Histoire sommaire de la vocation de l'opéra et de son positionnement idiomatique

Il convient tout d'abord de planter le décor et de distinguer.

L'opéra était initialement composé pour le public d'un pays donné ; mieux, à l'origine [1], il était censé couvrir la fonction d'un spectacle d'élite, exaltant plus fort encore les vertus théâtrales. Lorsqu'il s'est popularisé, c'est-à-dire étendu au peuple des grandes villes (et encore, peuple, même si plus large que la seule bourgeoisie, ne recouvrait pas tout), il s'adressait également à un public avant tout local. On composait donc pour un lieu donné, une oeuvre donnée.
Il y avait à cela deux raisons assez simples :
- on ne concevait pas l'opéra comme un patrimoine muséal ainsi qu'il en va aujourd'hui, donc les oeuvres anciennes n'étaient pas souvent reprises et on ne jouait guère que du nouveau, dans le goût actuel, ou bien on remettait largement au goût du jour [2] ; - dans le même temps, les oeuvres ne circulaient guère de ville à ville.

De ce fait, on écrivait simplement dans la langue du public pour le public du théâtre qui avait commandé l'oeuvre, ni plus, ni moins. Les compositeurs étrangers devaient adopter le cahier des charges local. Cet état de fait perdure jusqu'au XIXe siècle : chaque nation, et même chaque ville représente ses propres opéras, adaptés à son caractère.

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3. Le contre-exemple : les premières tournées internationales

Il existait cependant des exceptions intéressantes, dès la période la plus ancienne : les tournées. C'est même ainsi que Louis XIV a eu envie d'un théâtre à machines et à danses, comme l'Ercole Amante de Cavalli (où Lully ajoutait déjà les divertissements), mais qui soit dans sa propre langue et adapté à son goût. De la même façon, on allait voir à Paris des spectacles de Commedia dell'Arte ou des castrats apportés par Mazarin, même sans comprendre l'italien, simplement pour les situations visuelles, les gestes, la musique. Le peuple qui n'était pourtant pas polyglotte pouvait se presser à ce genre de spectacle.

Et jusque dans les années 50-60, on retrouvera ce principe.
Ainsi, la fleur du chant wagnérien allemand venait-elle interpréter, en allemand, un Ring à Bordeaux dans les années 50 sous la direction de Knappertsbusch, en important chanteurs, langue et même orchestre. Il fallait donc connaître son Wagner, être bon en allemand ou... se préparer à être surpris. Car il faut le rappeler, certains titres de Wagner ont été représentés fort tard en France, et le surtitrage est un dispositif technique très récent.

C'était alors un spectacle de prestige, un peu exceptionnel, une ambassade stylistique, qui pouvait parfois supplanter le goût local, comme par exemple lors de la Querelle des Bouffons en France. [3]


Hilde Konetzni, Wiener Kammersängerin et Maréchale à Bordeaux au tout début des années 60. C'était notamment la Sieglinde et la Gutrune du Ring scaligère de Furtwängler en 1950.
(image Cantabile-Subito)


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4. Situation opératicolinguistique dans les nations lyricophiles

Jusqu'aux années 50, on se trouvait ainsi dans une configuration où des chanteurs pour l'immense majorité natifs ou résidents depuis très longtemps chantaient dans la langue du pays pour des spectateurs de ce pays.

C'était fonction des traditions d'opéra nationales, cela dit :

  • En Italie, en Allemagne, en France, on chantait tout dans la langue locale.
  • En Tchécoslovaquie, on chantait bien sûr en tchèque, mais on pouvait tout à fait absorber le répertoire allemand. Il existait différentes institutions : à l'Opéra National de Prague, on chantait tout en tchèque, à l'Opéra d'Etat, c'était plutôt la culture allemande qui prévalait. Pour la radio, on trouve trace de choses fabuleuses, en tchèque s'il vous plaît : Fidelio de Beethoven, Der Freischütz de Weber, Il Trovatore de Verdi, La Dame de Pique de Tchaïkovsky...
    • A ce propos, vous pouvez lire un petit récapitulatif sur les forces musicales pragoises ici et chercher quelques-uns de ces enregistrements de radio dans notre catégorie 'Domaine public' (c'est en plus remarquablement interprété).
  • Dans les pays à plus faible rayonnement linguistique, on pouvait faire cohabiter la production locale, qui apparaît au cours du XIXe siècle, et sans aucune prétention au renouvellement esthétique, avec des oeuvres dans une langue largement maîtrisée par la population (au XIXe, les oeuvres peuvent circuler de théâtre à théâtre et même de pays à pays, moyennant contrats) : allemand pour les scandinaves par exemple.
  • En Russie, on ne chante qu'en russe (à quelques exceptions extraordinaires près comme la commande de la version originale de La Forza del Destino de Verdi pour Saint-Petersbourg [4]), et essentiellement du répertoire russe. Lorsqu'on importe des compositeurs furieusement exotiques comme Wagner, on le fait en traduction russe (le très beau Lohengrin dirigé par Samosud en 1949 en témoigne). Aujourd'hui encore, la Russie est extrêmement enclavée culturellement.
  • Pour les pays hispanohablantes du Nouveau Monde, n'ayant pas de culture linguistique forte à l'Opéra (bien qu'il existe des traces d'oeuvres mythologico-morales composées dans les missions à l'ère baroque), c'est généralement la culture italienne (surtout, on s'en doute, en Argentine) qui est adoptée, mais on ne traduira pas les autres langues comme le feraient les Italiens. On accueille beaucoup d'artistes européens, il faut dire, au Teatro Colón de Buenos Aires...
  • En Amérique du Nord, ne disposant pas de tradition lyrique anglophone, les théâtres utilisent déjà, au début du vingtième siècle, la langue originale des oeuvres abordées. Fait remarquable, la tradition wagnérienne y est si fortement ancrée que la propagande pour la Seconde guerre mondiale n'entame pas la régularité des représentations, en allemand et avec des allemands...
    • On n'y trouve pas de Britten ni de Ralph Vaughan Williams, parce que les langages audacieux d'Europe du début du vingtième y étaient (et y sont encore !) fortement répulsifs - quand on dit audacieux, c'est tout ce qui excède Debussy, Ravel est déjà suspect. Il faut par exemple attendre le 5 mars 1959 pour voir créer Wozzeck de Berg (1925), avec ce qui se fait de meilleur (Karl Böhm, Eleanor Steber, Hermann Uhde !), mais, afin de faire passer la pilule... en anglais. Pilule qui n'est au demeurant toujours pas passée. On trouvera en revanche quelques oeuvres écrites par des compositeurs américains, dans un style néoromantique qui n'a pas énormément évolué depuis lors (où c'était déjà plus que l'arrière-garde) jusqu'à aujourd'hui. Qu'on compare Emperor Jones de Louis Gruenberg avec A Streetcar named Desire d'André Previn et à présent An American Tragedy de Tobias Picker... l'évolution est lente.


Tout cela résulte de mon observation personnelle, mais il y aurait sans doute à affiner en consultant les archives de chaque théâtre, au moins pour les capitales, ce qui révèlerait sans nul doute des phénomènes masqués par la postérité.


Lawrence Tibbett en Brutus Jones dans The Emperor Jones de Gruenberg.
(image Cantabile-Subito)


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5. Le triomphe du respect

Cependant, tout à coup, on change du tout au tout : la langue originale prévaut.

Cela se fait rapidement et, surtout, partout. Ou du moins, simultanément dans les trois grandes nations opératiques : Italie, Allemagne / Autriche et France.

En l'absence de données sur la question, que nous attendons en vain de trouver, on pourrait penser que la lumière s'est fait jour, et que, tout simplement, l'évidence l'a emporté : on a écrit une oeuvre et il s'agit de la respecter dans sa totalité, le compositeur plaçant ses intentions sur un mot précis, avec toutes ses connotations, écrivant pour le galbe de phrasées données.
Après tout, le refus des coupures, et du côté des baroqueux le retour à la partition allaient bientôt (quelques dizaines d'années tout de même !) se manifester. Signe des temps de respect envers les compositeurs.

Cela se pourrait, de la même façon qu'on a ensuite unanimement applaudit le surtitrage... A la bonne heure.

Mais il reste une question assez considérable, pour ne pas dire énorme : pourquoi cette unanimité si prompte, et surtout pourquoi cette absence de fronde des publics (en tout cas l'absence de fronde célèbre relatée) ? Car il ne s'agit pas d'un ajustement à la marge, cela change tout de bon la nature du spectacle.

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6. L'Opéra au vingtième siècle, l'histoire d'un retour aux sources

Il est vrai que les attentes vis-à-vis de l'opéra et le public varient considérablement au cours de l'Histoire.

D'annexe du genre littéraire, l'opéra va devenir le lieu de la fascination pour la voix (avec pour sommet le belcanto de l'opéra seria, puis celui, à peine moins extrême, de l'opéra romantique italien préverdien). Le genre est traité en musique pure jusqu'à la date assez récente (années 70) de l'arrivée des grands metteurs en scène, qui proposent des lectures personnelles et surtout mobiles des pièces mises en musique. On arrête de placer des pâtisseries sur le dos et la tête des chanteurs et de les planter en avant-scène pendant trois heures, et on commence à faire du théâtre. Chose qui, scéniquement parlant, est une première dans l'histoire de l'opéra en même temps qu'un retour aux sources du genre, le recitar cantando (« déclamation chantée »). On retourne donc à une place importante du texte, perdue depuis la troisième école de tragédie lyrique, c'est-à-dire vers 1730-1750 - sachant que les Français ont été les plus longs à résister dans leur attachement au texte.

Paradoxalement, c'est ce respect qui va justifier qu'on le donne en langue étrangère...

Ensuite, le public. Initialement aristocratique et choisi, il va vite répandre sa fascination dans les autres couches sociales, de pair avec le goût des voix en Italie et le goût des machines en France. Le public mêlé de l'Opéra de la fin du XVIIIe, puis du XIXe venait assister à un divertissement complet, où l'on mêlait histoires morales (l'opéra-comique sur les livrets de Favart était le divertissement familial par excellence), décors fastueux, récits merveilleux et musiques plaisantes à danser (l'architecture de l'Opéra Garnier à Paris est tout entière pensée pour le corps de ballet... et ses rencontres avec les protecteurs).
Le cinéma va prendre au vingtième siècle le relais du divertissement grand public, avec ses codes fixes [5] et sa morale. Dès lors, l'Opéra devient un divertissement d'esthète, tout cela en parallèle avec l'autonomisation des langages : depuis le romantisme, le créateur est de plus en plus libre de produire ce qui lui plaît, sans que le public ait son mot à dire. Ce qui produit concomitamment une situation où le divertissement de masse change de support tandis que l'exigence du genre Opéra devient de plus en plus sévère.

On peut donc aussi relier cette quête de la langue originale à un changement du public, qui devient une sorte d'élite culturelle, et peut donc maîtriser plusieurs langues - ou souhaite faire croire qu'il les maîtrise totalement. Cette recherche de pureté et d'exactitude concorderait, en tout cas.


Le Palazzo Dandolo avait été racheté par les Mocenigo. En 1630, pour célébrer le mariage de sa fille, Girolamo Mocenigo commande à Monteverdi une Proserpina, sur un livret de Giulio Strozzi. Perdue pour nous, mais qui fut effectivement exécutée dans les appartement des Mocenigo.
Le Palazzo Dandolo est aujourd'hui occupé par le célèbre hôtel Danieli de Venise.


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7. Conséquences majeures

Mais tout cela n'explique pas, en réalité, l'absence à peu près totale de résistance dans le processus.

Il faut bien concevoir que cette imposition de la langue originale était une révolution profonde. Pour les chanteurs, cela signifiera de plus en plus chanter devant un public étranger une langue étrangère à soi aussi bien qu'au public.

Et, surtout, le surtitrage n'existant pas encore, cela supposait que le public connaisse bien l'oeuvre avant qu'elle soit représentée, ou bien accepte de ne rien comprendre à l'affaire ! Cela à l'époque où la mise en scène sérieuse allait naître - quel intérêt d'assister à une oeuvre bien mise en scène mais incompréhensible ? Qu'on imagine, si l'on peut, si en 2019 tous les films devaient être passés dans les salles en VO non sous-titrée ! Et encore, la majorité des films et des publics ayant en commun l'anglais, on pourrait s'en sortir plus commodément, mais on imagine aisément la fureur générale, tournée contre ces quelques oligarques décérébrés qui veulent gâcher le meilleur des divertissements !

Alors qu'auparavant, on avait, et chanté de façon intelligible en plus [6], tous les opéras dans sa propre langue, avec par conséquent une force incroyable, quelque chose de direct, sans médiation.
Certes, les chanteurs n'en profitaient pas forcément pour interpréter, mais il faut bien songer que lorsqu'on a retiré les traductions de la circulation, les metteurs en scène inspirés et les chanteurs-acteurs ne sont pas apparus du jour au lendemain ! [7]

Bref, comment se fait-il qu'un grand débat n'ait pas eu lieu, et avec des politiques très contrastées selon les aires culturelles et même les théâtres à l'intérieur de chacune d'entre elles ? Les conséquences étaient majeures !

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8. Interrogation résiduelle et position de Carnets sur sol

Aujourd'hui encore, le débat nous paraît entier, et à défaut de pouvoir assurer à chaque fois des distributions alternées, on pourrait jouer des oeuvres dans la langue du public pour certains opéras difficiles d'accès ou pour changer l'approche de certains standards. C'est toujours un plaisir différent, mais un vrai plaisir. Quitte à refaire la traduction si elle est trop datée ou biaisée. Car même avec le surtitrage, l'interstice entre ce qui est dit et qui est perçu est assez ample en réalité. [8]

L'English National Opera (ENO) le fait d'ailleurs à Londres, avec des standards uniquement, et publie chez Chandos des intégrales anglophones de toute première valeur (souvent des références, même...). Dans la plupart des pays cependant, cela paraît désormais une coutume très marginale et exotique ; tout au plus peut-on y investir pour de l'anglais, qui peut se vendre à échelle planétaire.

En somme, il nous reste toujours l'interrogation majeure : comment cette posture de la langue originale, qui est vraiment un choix idéologique qui ne vaut ni plus ni moins que l'autre (les deux peuvent être mis au service du théâtre, soit pour qu'il soit exact, soit pour qu'il soit direct...), a-t-elle si promptement triomphé, et sans réplique ? Plus personne ne réclame le retour de la période ancienne dans les publics, et depuis longtemps, alors qu'il y a toujours des nostalgiques de l'Algérie française par exemple (et qu'on sait bien que l'Algérie n'est pas recolonisable, alors qu'on pourrait tout à fait changer une coutume aussi récente, dans les théâtres) - pour un même écart temporel. Et l'Opéra a plus longtemps été en langue vernaculaire que l'Algérie n'a appartenu à la France (et c'était qui plus est sans protestation d'aucune sorte, personne n'y pensait tout simplement).

Disposant à présent des fonds immenses de la seconde ville du monde, nous pourrons peut-être tirer de documents plus précis les réponses que nous cherchons. Mais, décidément, quelle singulière occultation !

Notes

[1] Qu'on songe aux cours de Florence et de Mantoue ou au règne de Louis XIV...

[2] Dans le domaine de la tragédie lyrique, les meilleurs titres étaient souvent rhabillés sur le même livret, en réécrivant en particulier les divertissement et en conservant simplement l'action telle qu'écrite par le premier compositeur, parce que le récitatif demeurait efficace.

[3] Durant la Querelle des Bouffons, les partisans de la tragédie lyrique, genre qui laissait une part de choix au beau texte, se réunissaient autour du Coin du Roi, côté jardin (à gauche en regardant la scène), menés par Madame de Pompadour. En face, le Coin de la Reine, rassemblant les farouches partisans des Italiens, qui voulaient de la musique avant tout, qui reprochaient sans cesse aux chanteurs français de brailler, qui raillaient le vieux style... mené, c'est là la drolerie, par des littérateurs : Grimm, Diderot, et bien sûr Rousseau. C'est la victoire du goût Italien qui permettra que Grétry succède à Rameau, à moins que la réforme ascétique de Gluck y ait aussi sa part, ou tout simplement l'imposition tardive en musique d'un goût classique.

[4] Elle n'est plus jouée, mais on la trouve très bien interprétée au disque sous la direction de Valery Gergiev (Philips), avec l'équipe du Mariinsky.

[5] On peut voir les codes fixes du Grand Opéra notamment ici et ceux du cinéma .

[6] Je défends l'idée que la nécessité de chanter dans plusieurs langues accroît les difficultés, et que le creux des années 70 et 80 dans l'intelligibilité, heureusement amélioré par la vague baroqueuse, tenait pour grande partie à la nécessité d'apprendre à chanter dans des tas de langues, sans que les professeurs n'aient appris comment on faisait cohabiter une technique avec plusieurs phonations différentes...

[7] Oui, encore et toujours l'Age d'Or actuel du chant et de la programmation...

[8] Et l'on dit cela tout en rappelant que rien ne nous enthousiasme plus qu'une langue étrangère bellement dite...

dimanche 16 août 2009

Non seulement Beethoven était sourd, mais en plus son métronome déraillait, et par-dessus le marché personne n'avait compris comment il fallait compter les temps


Voilà longtemps que j'entendais parler du travail de Maximianno Cobra, jeune chef franco-brésilien devenu célèbre pour avoir dirigé une intégrale des symphonies de Beethoven deux fois plus lente que la moyenne, et en s'appuyant sur des données musicologiques.

On peut en voir des vidéos en ligne, vidéos promotionnelles envoyées par le site qui est son bras commercial. Une occasion de faire le point, ou de découvrir...


1. Les principes - 2. Vidéos - 3. L'avis des lutins (obtiendra-t-il le lutrin de noyer ?)

Suite de la notule.

Le Port


Depuis quatre cents heures ils surplombaient l'abîme,
Traversant les enfers sur des tapis volants ;
Et bien que parcourant ce village à pas lents,
Sur chaque objet jetant un vif regard qui trime,
La voilà, pour qui toujours la notule prime,
La bruyante cohorte des lutins insolents.

Suite de la notule.

dimanche 2 août 2009

Faux anglicisme


L'Ennemi est certes à nos frontières, mais si c'est l'Apocalypse, ce n'est pas toujours sa faute.

Suite de la notule.

samedi 1 août 2009

[comprendre] Les commas, le tempérament égal et le Clavier bien tempéré

Un essai de vulgarisation sur la question des tempéraments. D'après une contribution des lutins en un lieu voisin, très largement réorganisée et précisée.

1. Qu'est-ce que le tempérament ? - 2. Commas dépassés ? - 3. Tempéraments inégaux - 4. Le tempérament égal - 5. Le tempérament égal aplanit-il vraiment tout ? - 6. Le Clavier bien tempéré, le premier tempérament égal ? - 7. Vers un tempérament égal et parfait ?


Clavecin inspiré du facteur français Blanchet.


N.B. : Pour plus de clarté, on désignera par « accord » un groupe de sons et par le plus rare « accordage » l'accord au sens de l'acte d'accorder, de préparer un instrument pour le faire sonner avec justesse. C'est assez indispensable pour éviter les confusions. « Accordage » n'est au demeurant pas un néologisme, mais bien un terme attesté jusque chez le très-sérieux Trésor de la Langue Française - qui autorise même l'oublié « accordement » (non, pas accordailles tout de même).

Suite de la notule.

David Le Marrec

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