Gustav MAHLER, une présentation - III - les symphonies
Par DavidLeMarrec, samedi 19 mai 2007 à :: Portraits - Les plus beaux décadents :: #616 :: rss
N°1, dite "Titan". Quatre mouvements. Initialement avec le mouvement Blumine. Née dans une éclosion progressive, ironiquement funèbre avec l'enterrement du chasseur du troisième mouvement, elle s'achève dans une marche triomphale sans objet, à la fois exaltante et un peu étonnante.
[Dans le caractère impressionnant, on pense à Pierre Boulez. Mais Karel Ancerl, à l'opposé, y joue sans cesse sur l'étonnement, la dérision, avec infiniment d'esprit.]
N°2, dite "Résurrection". Cinq mouvements. Avec soprano, alto et choeurs.
Le premier, très long, un poème symphonique autonome, Todtenfeier (cérémonie funèbre), avec notamment un blocage orchestral saisissant au milieu du développement, avant la grande réexposition. Le deuxième est un mouvement lent en majeur, appaisé, le troisième un scherzo, tiré de Des Knaben Wunderhorn, dont Mahler conserve simplement l'accompagnement, en le développant.
Le quatrième est l'impérissable Urlicht (lumière originelle) qui voit entrer la voix d'alto. Il s'agit également d'un lied du Wunderhorn, transposé un ton plus bas (ré bémol), serein et discrètement rayonnant, avec son choral initial de cuivres. "Dieu me donnera une lumière".
Quant au monumental cinquième, il s'achève avec choeurs, soprano et alto sur un texte mystique de Klopstock développé par Mahler ("tu ressusciteras, mon coeur, en un instant"), dans cet élan irrépressible et exaltant qui caractérise si bien Mahler. Sans doute l'oeuvre symphonique la plus accessible et la plus "parlante", très variée et éclatante, en même temps qu'infiniment touchante.
[La version Abbado/Lucerne s'impose unanimement, un disque invraisemblable, comme on en entend très rarement. Leonard Bernstein avec New York en 1987 propose également une vision très intéressante : motifs individualisés à l'extrême, et ferveur finale très religieuse. Il existe nombre d'autres versions très satisfaisantes, par exemple celle de Yoel Levi avec le Symphonique d'Atlanta.]
N°3. Six mouvements. Avec alto et choeur d'enfants.
Le premier mouvement, de très vastes dimensions, est bâti sur le même principe que celui de la Deuxième : oppositions thématiques, surdéveloppement, climax central avant réexposition, etc. Le deuxième mouvement, tempo di menuetto, fait figure de mouvement lent, et le troisième, comodo scherzando, de scherzo. Les mouvements de la symphonie étaient censés à l'origine évoquer la nature, mais il faut bien avouer que la crudité de ce fa majeur initial et le mystère qui s'ensuit ne le laisse pas penser d'emblée.
Le quatrième mouvement voit entrer la voix d'alto, sur un aphorisme nietzschéen sans cesse répété mystérieusement. Le cinquième reprend une pièce du Wunderhorn (avec alto et petit groupe d'enfants, pour une fois très judicieusement utilisé). Le sixième est un long et lent serpentement qui conduit, au terme de la pièce, vers un climax aux parfums d'éternité. Symphonie plus sombre que la précédente, mais infiniment comparable dans sa logique de construction.
[Ma version favorite sera à ce jour celle d'Andrew Litton, avec Nathalie Stutzmann. Grâce au mélange de qualité technique et de profondeur orchestrales avec une soliste d'une qualité rare dans cette symphonie, aussi bien dans Nietzsche que dans le Wunderhorn. Quoique Chailly l'emporte tout de même, malgré son aspect parfois un rien extérieur, pour la construction phénoménale de la tension infinie du dernier mouvement.]
N°4. Quatre mouvements. Avec soprano. Elle est considérée comme la symphonie "classique" de Mahler, et il vrai qu'on peut songer au ton des mouvements lents des Deuxième ou Cinquième de Beethoven.
Le premier mouvement s'inspire déjà du ton du Wunderhorn, avec des couleurs plus sombres dans le développement qui rappellent tout à fait les trois premières symphonies. On y entend déjà l'esquisse de la marche funèbre qui ouvrira la Cinquième. Le deuxième demeure dans le même esprit, mouvement de danse grotesque, quelque part entre la délicatesse du deuxième mouvement de la Deuxième et les grincements du Wunderhorn.
Le troisième, ruhevoll, dans un large mouvement de crescendo-decrescendo très saisissant, est d'une ineffable poésie. Le quatrième enfin reprend Das himmlische Leben du Wunderhorn, "La vie céleste". Ce n'est pas précisément un poème pieux, mais une représentation très sensuelle du Ciel - particulièrement gustative...
Une symphonie singulière dans l'univers de Mahler, d'aspect beaucoup plus appaisé, tour à tour railleuse ou rêveuse, mais jamais pessimiste. Nettement moins spectaculaire aussi.
[George Szell, avec Cleveland, réussit pleinement tous ces aspects.]
N°5. Cinq mouvements. On peut s'étonner que l'altière Sixième porte le sous-titre de "tragique", tant la Cinquième est d'un pessimisme quasiment funèbre en tout point. Mahler venait d'échapper à la mort, d'une hémorragie intestinale qui avait failli lui être fatale, et il semble qu'il ait été affecté de l'apprendre. [Oui, d'autres se seraient réjouis, mais que voulez-vous, les artistes.] Une marche funèbre ; un tempêtueux deuxième mouvement ; un scherzo avec sonores cors solistes, alerte mais jamais léger ; le fameux et très romantique adagietto, tendre mais jamais gai ; enfin le rondo faussement badin, d'atmosphère très lourde ; voilà de quoi se constitue cette symphonie.
[La diversité des textures, le profondeur du son et la justesse de ton font de Bernstein/New York un excellent choix. Abbado/Berlin, dans une veine plus sage et plus lyrique, est également remarquable.]
N°6. (Etrangement) dite "Tragique". Quatre mouvements, répartis de façon assez traditionnelle.
Le premier présente un ton altier, une marche sévère, avec toujours ces bariolages qui rappelleront, pour la dernière fois, le WUnderhorn dans les thèmes secondaires.
Le deuxième est un scherzo plus tapageur qu'optimiste.
Le troisième mouvement, andante moderato, se montre très lyrique, d'une grande tendresse légèrement voilée de tristesse. Ce n'est pas là non plus ce que Mahler a écrit de plus original, mais on peut le concevoir comme le pendant affaibli du troisième mouvement de la Quatrième.
Le vaste quatrième, enfin, est sans doute le plus tragique, mais dans un sens plus épique, au fond, que désespéré. Les cuivres y sont extrêmement présents.
[Nous avouerons une faiblesse coupable pour le port noble de Boulez dans ces pages. A l'opposé, le dernier Leonard Bernstein (Vienne 1988) offre une vision proche de l'hystérie, extrêmement impressionnante.]
N°7. Parfois surnommée "Chant nocturne" en raison de ses deux "musique de nuit" (Nachtmusik) alternant avec deux scherzos avant le rondo final.
Cinq mouvements. Il s'agit là de l'oeuvre la plus sombre de tout Mahler. La tristesse ou la révolte de la folie des Kindertoten, le pessimisme dépressif de la cinquième sont en deçà : ici, rien ne laisse présager une issue, la désillusion semble éternellement acquise. Ses cinq mouvements portent cette atmosphère lunaire.
[Boulez, en limitant le pathos, est sans doute celui qui rend cette oeuvre la plus digeste.]
N°8. Dite "Symphonie des Mille", en référence au nombre d'exécutants pensé par Mahler. Deux grandes parties. Effectif orchestral immense et choeur pléthorique. Trois sopranes (dont deux faisant usage d'un aigu très sûr), deux alti, un ténor, un baryton, une basse.
La symphonie se bâtit sur un diptyque liturgie/oratorio, débutant par un Veni creator triomphant, violent délire de jubilation mystique. La seconde partie, chantée en allemand, est constellée de monologues de personnages de la fin du Faust II de Goethe (conçue dans une atmosphère très oratoriale). Le ton y est beaucoup plus traditionnellement romantique, héritier d'un siècle de tradition opératique dans les adaptations allemands des deux Faust (depuis Spohr). La fin de l'oeuvre rappelle furieusement la poussée grandiose de la Deuxième.
[Il existe tant de versions luxueuses ! Avec de bonnes équipes (chacun choisira selon ses inclinations), l'oeuvre réussit à coup sûr. Pourquoi pas Bernstein, par exemple.]
N°9. La dernière achevée. En quatre mouvements, mais pas tout à fait classiques. En miroir, l'andante initial et l'adagio final, dont l'extension enserre la symphonie, et ses deux mouvements centraux : un ländler à la paysannerie grotesque, et le Burleske tempêtueux. Ce large cheminement aux tempi modérés débute et s'achève dans l'inaudible, le silence. Selon les interprètes, la durée des mouvements et la couleur de la symphonie peut changer du tout au tout, du paisible abandon au désespoir le plus amer.
[J'avoue préférer la première lecture, et je recommanderais plutôt Barbirolli, très allant et raffiné, même si les timbres du Philharmonique de Berlin sonnent assez bruts. Côté désespoir, Bernstein/Concertgebouw/1985 est incontestablement très incisif. On peut aussi citer la très étrange version Karajan, avec des cordes onctueuses et un ton très richardstraussiens. Quant au Ländler, il faut en entendre la réalisation très mordante de Bruno Walter.]
Commentaires
1. Le dimanche 27 mai 2007 à , par Didier Goux :: site
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3. Le dimanche 27 mai 2007 à , par Didier Goux :: site
4. Le dimanche 27 mai 2007 à , par DavidLeMarrec
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