(Comprend également la radiodiffusion intégrale, manifestement téléchargeable avec l'accord des artistes, du Carnaval & la Folie de Destouches / Houdar de La Motte, par Hervé Niquet et l'Orchestre de l'Académie d'Ambronay.)
La présentation a été réorganisée pour plus de clarté (à cause des Borodine I), et on y a inclus un commentaire sur l'intégrale du Quatuor Rubio, dont beaucoup de monde se demande ce qu'elle vaut depuis sa parution à tout petit prix chez Brilliant Classics.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
(Et en plus, pour ceux qui ne le savaient pas déjà, elle a une très belle voix parlée, plus timbrée sans doute que la chantée...)
Entretien avec Yves Calvi, que je ne sais pas amateur d'opéra, mais qui a très sérieusement préparé son entretien, à son habitude. Et qui maîtrise les codes de présentation du genre.
Après, entendre les chanteurs parler, ce n'est pas leur métier, et ce n'est pas le plus passionnant, mais enfin, comme le départ de Mortier risque de priver assez largement les français de Mimi sur les ondes nationales, profitons-en.
Il faut absolument signaler ici l'article de J.-Lou de Libellus sur la question, abordée d'abord sous l'angle des définitions confuses des dictionnaires, ensuite sur le caractère propre au genre.
J'avais promis une réaction plus ample, la voici.
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L'abbé Bridaine (1701-1767), religieux-comique ou curé d'opérette ?
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1. Les définitions
Les rédacteurs de dictionnaires, qui ne sont pas musicologues, insistent très souvent sur le ton de l'oeuvre ('comique', 'léger'), voire sur sa qualité musicale supposée ('mineure', 'divertissante', 'prétexte'). On entend parfois ce résumé qui n'est jamais que l'extension de ces définitions : L'opérette, c'est un opéra qui finit bien. [Nos lecteurs sont heureux d'apprendre en ce jour que Parsifal est une opérette.]
Ce n'est pas sot non plus, parce que si l'opérette est essentiellement une affaire de dates, on peut aussi essayer d'en faire un genre, et c'est très souvent comme cela que le genre est perçu. Pour faire rapide, on parle d'opérette, en principe, pour le genre léger allemand à partir de Johann Strauss II et Lehár (donc très reconnaissable) , et pour l'opéra-comique (donc avec dialogues parlés obligés) du vingtième siècle.
Mais on peut aussi tâcher d'établir une distinction entre le genre opéra-comique, pas forcément comique (comme la Médée de Cherubini ou la Carmen de Bizet...), très théâtral mais où les numéros de bravoure vocaux, par leur virtuosité ou par leur caractère, sont essentiels, et l'opérette, où le comique est obligatoire et où le théâtre prévaut, chaque 'numéro' musical servant surtout à dresser des portraits des personnages, à apporter une touche de pittoresque, un décor, une respiration à l'action.
Dans le cas rigoureux, Les Mousquetaires au Couvent de Varney (1880), La Mascotte d'Audran (même année), et Véronique de Messager (1898) sont des opéras-comiques, c'est-à-dire des oeuvres de théâtre lyrique fondées sur l'alternance entre chant et parole aux XVIIIe et XIXe siècles.
Dans le cas où l'on cherche à caractériser chaque genre, ces trois oeuvres peuvent être classées comme opérettes, même si j'aurais personnellement tendance à conserver Varney du côté de l'opéra-comique pour une question de ton beaucoup moins burlesque que chez Audran et beaucoup moins sirupeux que chez Messager, avec une thématique théâtrale nettement inspirée de ses prédécesseurs. Ce ne sont pas la fantaisie citadine des opérettes d'Yvain ou les espagnolades de Lopez, mais vraiment une petite histoire théâtrale qui fait un tout, assez proche de la logique du Postillon de Longjumeau d'Adam par exemple. Et musicalement, l'écriture n'en est pas si éloignée non plus, même si l'on perd, air du festin de Brissac excepté (des sol3 tenus, et un sillabando très rossinien), la virtuosité dans les exigences vocales.
On peut actuellement visionner un extrait de la création d'après Gombrowicz, actuellement jouée à Garnier avec Mireille Delunsch, Yann Beuron et Paul Gay - sur le site d'Arte.
Et ça semble furieusement appétissant, au moins musicalement. (Côté livret et prosodie, c'est peut-être moins certain.)
... uniquement baroque, et presque exclusivement baroque français, ce qui est assez inhabituel (pas de lied ni de bizarreries). Malheureusement pas de clavecin à disposition cet après-midi, rien n'était prévu puisque les lutins étaient au chômage technique de façon impromptue.
Rapide présentation de ces oeuvres pas si fréquemment décrites, et surtout pas du point de vue de l'exécution. (Sans parler de la transcription sur instruments inconnus...)
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Pour se prêter plus complètement au jeu, on a fini par mettre quelques (très brefs) extraits. (La prise est faite lors de la seconde lecture, sans interruption ni travail intermédiaire, il reste donc des pains, des hésitations, des mollesses, etc. Mais l'effet d'instantané est amusant - et sans concession.) [1]
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Première lecture de :
Jakob FROBERGER. Sixième Suite en mi mineur (1656) : Allemande, Gigue, Courante et Sarabande.
L'oeuvre est brève, et comme toujours chez Froberger, on bénéficie d'hésitations harmoniques assez délicieuses, comparables aux madrigalismes. Sa notation rythmique est comme à son habitude très précise, mais avec une pulsation nettement plus sensible que dans ses autres oeuvres, assez dansante. On sent nettement l'influence de la tradition française dans ce galbe fuyant, alors que l'écriture très précise de Froberger n'appelle pas spécialement le rubato.
Clairement parmi le meilleur de sa production.
Jean-Baptiste LULLY. Cadmus & Hermione, air de Cadmus au début de l'acte V, le tubesque Belle Hermione.
Très confortable et charmant, même si le meilleur Lully n'est pas là, y compris dans Cadmus. Mais ce serait plutôt cela qu'il faudrait recommander à des débutants...
Jean-Baptiste LULLY. Persée, air du sommeil (de Mercure).
Ces tierces enjôleuses sont un régal, un moment vraiment supérieur à Atys - ce sommeil légendaire étant pour les lutins plus lancinant que lascif. On voit nettement le progrès qui conduit jusqu'au choeur a capella du II d'Armide.
Elisabeth Claude JACQUET DE LA GUERRE. Allemande, Courante I & II, Chaconne de la Première Suite en ré mineur ; Chaconne de la Troisième Suite en la mineur.
Comme nous le suspections, c'est assez bien écrit pour le piano. Contrairement aux transcriptions d'oeuvres de Lully ou au clavecin d'Henri d'Anglebert, de François Couperin et de Jacques Duphly, où la basse est trop ténue, ce qui gêne à l'oreille, le piano n'ayant pas la richesse en harmoniques du timbre du clavecin.
Pour les oeuvres elles-mêmes, voir l'article paru ce jour.
Jean-Philippe RAMEAU. Castor & Pollux, version de 1737 (la meilleure). Ouverture et Acte I. Tristes apprêts est vraiment chantable par tout type de voix (sauf basse sans doute...). L'ensemble de la déclamation dans Castor est merveilleusement écrite. Beaucoup de trouvailles formelles très bien exploitées (le figuralisme de l'ouverture !), de nombreuses modulations, pas toutes banales. Malgré ses larges marches harmoniques qu'on remarque tout d'abord, cette musique ménage bien des surprises et des parcours originaux.
On remarque aussi que contrairement à Lully (qui était violoniste et n'a pas laissé de legs au clavier), et même contrairement à des successeurs du Maître comme Charpentier ou Destouches, la partie d'orchestre est remarquablement bien écrite pour le piano. Elle semble même avoir été conçue d'abord dans une réduction pour clavier. Et cela sonne sans doute encore mieux qu'au clavecin, pour une fois ! (Mais le clavecin de Rameau se prête déjà très bien au transfert, bien plus que celui de ses collègues, on a déjà eu l'occasion de le souligner.)
Jean-Philippe RAMEAU. Dardanus. Ouverture.
Ici aussi, terriblement efficace au piano, dont l'introduction pointée à la française semble utiliser délibérément les propriétés (toucher lourd).
Pancrace ROYER. Allemande. La Marche des Scythes.
Vraiment de l'épate, celui-là. Très malcommode à lire dans mon édition, puisque la main droite mélange pour les Scythes deux clefs d'ut et deux clefs de sol (deuxième, et première à la façon lullyste). Si l'Allemande est très séduisante, car assez originale, et mettant l'effet au service d'une expression assez respectable, les Scythes, les Scythes... De la grande virtuosité pour maîtriser cela au clavecin, assurément, mais aussi que de vacuité dans ce tour de force sous forme de variations absolument pas mélodiques, rythmiques ou harmoniques... uniquement du tricot sous diverses formes.
C'est cela dit bien plus supportable à jouer qu'à écouter.
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Retrouvailles avec :
Jean-Philippe RAMEAU. Suite en La. Seconde moitié : Fanfarinette, La Triomphante, Gavotte et ses doubles. Fanfarinette est particulièrement réjouissante au piano, les accords arpégés y sonnent très bien. Et puis tout cela, c'est du premier choix.
Notes
[1] Contrairement à ce qu'on pourrait peut-être penser, le plus difficile à mettre en place de façon impromptue est la voix, parce qu'il faut timbrer correctement chaque note selon chaque succession d'une voyelle à l'autre, selon la hauteur (car les voyelles ne sont pas émises de la même façon selon leur hauteur), ce qui est délicat à prévoir. Plus l'appropriation du texte bien sûr. Du coup, on a des "e" caducs un peu lourds, une ligne qui manque de soutien et s'appuie sur la trame de la voix (ça gémit un peu...), et surtout des ténèbres bien galantes - alors qu'il faudrait mordre avec délicatesse et fermeté chaque consonne. (C'est mou, quoi.) Mais ce n'était pas l'objet, on avait simplement envie de badiner avec ces pratiques subversives de mélange entre irrégularité authentique bel et bien appliquée (pis, le chant suit parfois, on ne l'entend pas ici, les tempéraments inégaux pour donner du relief, ce qui frotte quelque peu avec le piano bien égal) et instruments interdits. Et c'est aussi une façon de faire partager nos pratiques, pour large part du déchiffrage-défrichage de répertoire, qui nourrit à intervalles régulier les colonnes de ces carnets sur sol.
Ce corpus est décidément le favori des lutins pour l'instrument. Une main gauche chantante ; des ornements [1] très abondants, mais toujours aux points les plus expressifs de la ligne, jamais gratuits ; des progressions harmoniques raffinées. On se situe quelque part entre les micromodulations de Lully et l'abstration un peu sévère de Louis Couperin.
Il existe quatre suites dans le Premier Livre de Pièces de clavessin paru en 1687, tôt dans la carrière de Jacquet de la Guerre. Son célèbre opéra Céphale & Procris ne voit le jour qu'en 1694, et l'essentiel de sa production date du début du XVIIIe siècle. De ces quatre suites, les trois premières, seules présentes sur ce disque, sont dans des tonalités mineures, qui commencent à être mieux en cour à cette époque - l'oeuvre de Louis Couperin en atteste aussi. Les possibilités expressives et musicales, l'ambiguïté des altérations apportées par le mode mineur sont des richesses dont ne se prive certes pas la compositrice, et ces pièces n'ont rien de la monotonie un peu proprette de bien des compositions instrumentales en mineur du temps.
Chaconne « L’Inconstante » de la première suite exceptée, aucune pièce ne porte de titre. Nous ne sommes pas dans le pittoresque façon François Couperin ou Rameau, mais bien dans de la musique sérieuse, organisée de façon assez canonique : Prélude - Allemande - Courante I & II [sic] - Sarabande - Gigue - 1 ou 2 Danses (Gigue II, Cannaris, Gavotte, Chaconne) - Menuet. Comme chez Louis Couperin, une fois encore.
Carole Cerasi interprète sur un clavecin superbe (un Ruckers [2] de 1636, riche et limpide) avec une belle mesure de ton et une noblesse hors du commun. L'inégalité est réduite à un petit trébuchement pas du tout bondissant, les tempi sont retenus, les agréments absolument intégrés à la ligne mélodique, et d'une grande diversité d'exécution (plus ou moins détachés, plus ou moins vifs...). Ce sérieux apparent est cependant au service d'un ton méditatif, intime et très chaleureux.
Puisqu'on en parle, la recommandation de DSS sur les oeuvres essentielles de Dutilleux, par ordre chronologique :
La Geôle, pour baryton et orchestre, sur un poème de Jean Cassou (enregistré seulement, il me semble, par François Le Roux dans l'intégrale Hans Graf / ONBA). Beaucoup de mystère et de couleurs vraiment étonnantes.
Mystères de l'instant pour orchestre. Des textures qui mutent, des motifs qui se répondent, on est assez proche de l'esprit des interludes orchestraux de Déserts de Varèse ou de l'oeuvre de Bruno Mantovani. Donc on apprécie beaucoup par ici. Très belle version par Tortelier.
The Shadows of Time pour orchestre et choeurs d'enfants. Une atmosphère vraiment ineffable, beaucoup de fraîcheur aussi, d'une certaine manière ; et ce malgré le sujet un peu usé à la date de la composition (1997...).
Le reste nous paraît nettement moins essentiel, mais les Deux Sonnets de Jean Cassou, le Concerto pour violon, le Concerto pour violoncelle, les Métaboles et Timbre, Espace, Mouvement méritent tout de même l'attention. De toute façon, le Concerto pour violoncelle, ne serait-ce qu'eu égard à sa réputation quasiment légendaire et à son bon taux de réussite même chez les néophytes en musique contemporaine, est à connaître.
Il est vrai que dans ce goût posttonal, ou plutôt postmodal, on préfère d'autres voix un peu moins hiératiques, un peu moins surraffinées (jusqu'à l'inintelligible), un peu moins tournées vers la richesse - indéniable - de l'orchestration.
Il semblerait que la Sainteté actuelle ne jouisse pas de talents considérables ni de formation très sérieuse en matière d'étude de marché, de gestion des stocks et de mercatique.
Et que la recherche des besoins ou l'étude de la faisabilité aient été quelque peu oubliées dans le processus d'élaboration industrielle du nouveau label Vatican I'.
J'ai beaucoup de tendresse pour le folklore authentique lefebvriste, qui joue uniquement sur missels d'époque, mais il n'est pas nouveau que les penchants de certains de leurs représentants n'entendent pas la céder au lobby théicide. Un peu facile, on vous tue un Dieu Sauveur-Rédempteur, et hop, on réclame de la compassion à peine deux mille ans après. Il ne faut pas pousser.
La question s'est donc posée : pouvait-on réhabiliter un évêque coupable de révisionnisme sévère, qui parle par innocente déformation professionnelle de l'absence de chambres à gaz avec la foi du charbonnier, en un candide Credo ('Je crois qu'elles n'ont jamais existé - un peu comme les Limbes, vous savez.') ?
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La réponse à été fournie par le Saint-Siège, et je ne vois pas bien en quoi elle pourrait choquer qui que ce soit : mépriser les infâmes théicides, ignorer les êtres qui ont refusé d'accepter la lumière du Pardon, et ignorer jusqu'à leur mort et leur nombre, est-ce vraiment incompatible avec l'état de prêcheur catholique ? A mon humble avis, la cause - certes réelle et sérieuse, mais pas dans ce sens-là - ne tient pas devant les Prud'hommes. Détester, mépriser ou ignorer l'histoire des juifs n'est pas une entrave à la bonne exécution de son métier - en dépit qu'on en ait.
En réalité, on reproche à Benedictus de ne pas avoir été hypocrite, en faisant mine que le respect des Juifs [1] était présent dans le cahier des charges de la religion concurrente. Quelle candeur !
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Oui, on tremble un peu de plaisanter avec ces choses-là, mais enfin, les lecteurs de CSS qui se sont présentés sont largement capables d'humour. Si je suis pris au pied de la lettre, ne vous inquiétez pas, Vartan m'apportera à Gradignan des oranges catholiques d'Espagne, bien fermes, vierges de toute théologie de la Libération.
Sarah Williamson, pas du tout parente de l'évêque mais partenaire du quatuor Sacconi, aurait déclaré pour notre défense : Dieu teoute façow, les awticles dieu Siesses, c'est tioujouw diou paypeouw.
Notes
[1] Oui, cette fois-ci en tant que peuple décimé, puisque les camps n'étaient pas réservés aux pratiquants orthodoxes.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Vaste monde et gentils a suscité :
Grande inspiratrice devant l'Eternel, elle le sera aussi pour CSS. (Ouf1er voit pourquoi.)
Mise en bouche pour nos lecteurs.
Elle reçut ce compliment sous forme d'impromptu pour ses débuts à l'Opéra à dix-sept ans et dix mois, dans le ballet de des Amour des Dieux de Mouret / Fuzelier (dans sa reprise du 15 décembre 1757) :
Très rapidement, pendant la préparation de choses plus substantielles.
Pour prolonger nos remarques sur le positionnement évident de Zampa en tant que plaisant pastiche de Don Giovanni, une petite comparaison rapide qui nous a (violemment) frappé lors d'une réécoute.
La façon dont la pénible de service (ici, Ritta, camériste de Camille) est abordée par erreur par le séducteur (ici, le bras droit de Zampa, décalque de Leporello, et non Zampa lui-même) est assez éloquente : une femme en pleurs doit être consolée, et peut-être même plus. Pas de chance, il s'agit d'une ancienne conquête abandonnée qui veut à toute force reprendre le mariage où il en était resté.
Question récurrente. Quelques pistes. On ne retient que le recommandable et le décommandable, évidemment. Sans quoi on y passerait notre jeunesse - et celle de nos lecteurs.
Intermezzo fait partie des opéras très peu connus de Richard Strauss, et jamais représenté. Il est d'ailleurs le moins enregistré de la discographie, avec deux enregistrements : le studio de Sawallisch (1980) et tout récemment une parution Orfeo d'une représentation dirigée par Joseph Keilberth (1963, avec Hanny Steffek et Hermann Prey). Lorsqu'on songe que Guntram, sa première oeuvre, très maladroit pastiche wagnérien qui tient plus de Rienzi que de Tannhäuser et Parsifal dont il semble s'inspirer, dispose à présent de trois enregistrements commerciaux...
A gauche, la version Sawallisch, très inspirée orchestralement et dans une distribution de feu. A droite, la version Keilberth assez récemment parue chez Orfeo.
Il s'agit pourtant d'un chef-d'oeuvre, comparable aux meilleures réalisations lyriques de Strauss. Et le livret (de Strauss lui-même), bien que passablement méprisé par Hofmannsthal, et malgré quelques coutures un peu maladroites, se tient admirablement.
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1. Pourquoi cet oubli ?
Comme d'habitude, CSS aime explorer les pistes de l'oubli, pour confondre une fois de plus les défenseurs ingénus du tri objectif par le Temps.
L'oeuvre se fonde sur de brèves scènes de la vie quotidienne d'un couple bourgeois, entrecoupées d'interludes orchestraux qui réalisent autant de fondus entre les scènes. Le nom de l'oeuvre peut se gloser doublement : aussi bien vis-à-vis de l'action (une parenthèse faussement tragique dans une existence banale) que de la forme (les intermèdes représentent autant de points d'orgue musicaux).
Et c'est indubitablement une parenthèse autobiographique dans la production de Strauss.
C'est là le premier obstacle : le sujet n'est pas porteur du sublime si prisé par l'amateur d'opéra - jusqu'au ridicule quelquefois, dans certaines gentilles réalisations. [Strauss a mis en scène une querelle de ménage personnellement vécue, certes un peu remaniée.]
Par ailleurs, l'oeuvre représente un flux continu de parole, à débit très rapide, où le plaisir est aussi bien théâtral que musical. Impossible à goûter pour un public non germanophone, du moins avant l'arrivée du surtitrage. Il doit être de surcroît à peu près impossible, au vu du débit sans doute le plus rapide de tout le répertoire de notre connaissance (au moins aussi rapide que du théâtre parlé), de la surtitrer correctement ou même efficacement.
A cela il faut ajouter que le public d'opéra aime souvent l'ampleur - quand ce n'est pas la performance - vocale. Ici, point d'air, point de grand lyrisme mis à la part la chansonnette immorale de l'étudiant profiteur et la fin suspendue, mais pas très réussie, ni pour le théâtre, ni pour la musique.
Deuxième obstacle : l'aspect parlé, difficile à saisir et peu attirant pour le public.
De surcroît, la distribution en est malaisée. Il faut une chanteuse dotée d'un solide sens du rythme, d'une grande mémoire musicale et plus encore verbale, et bien germanophone de préférence. Difficile à trouver.
Et qui souhaiterait intercéder en faveur de cette oeuvre ? Il y aurait bien quelque chose d'attirant pour les chanteuses en fin de carrière, de jouer un rôle de caractère ; un rôle omniprésent et énergique. Cependant le personnage est si pénible qu'il nécessite véritablement une bonne nature pour le supporter et le choisir plutôt que des rôles plus valorisants dévolus au déclin des grands noms. Les bonnes volontés existent toujours... cependant il s'agit bel et bien d'un rôle de soprane, avec de vrais aigus à émettre, ce qui exclut donc la distribution comme pur rôle de caractère, sans une bonne santé vocale. Et beaucoup de rôles pour ne rien arranger au coût global d'une soirée.
Et par-dessus le marché, l'intrigue quotidienne une fois dénouée, il n'est pas certain que cette histoire soit assez stylisée pour appeler des réécoutes très souvent répétées - on est loin des sous-entendus infiniments riches pour un auditeur ou un metteur en scène qu'on peut trouver dans Arabella. Et si le Rosenkavalier n'est pas moins bavard, il comporte cependant des moments de respiration très lyriques. Et un orchestre - pas nécessairement plus beau - mais incontestablement plus autonome. [Les lutins préfèrent largement Intermezzo au Chevalier, mais là n'est pas la question.]
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2. Contexte et esthétique
Ce neuvième opéra de la production de Strauss (1917-1923, création en 1924), situé entre Die Frau ohne Schatten et Die ägiptische Helena, c'est-à-dire après Der Rosenkavalier et Ariadne au Naxos, mais avant Arabella, Die scheigsame Frau et Capriccio, s'inscrit comme ces cinq drames dans la veine du Strauss non mythologique, du Strauss qui évoque son époque dans un langage sucré, de la conversation musicale vers laquelle toute son oeuvre tend dès cette époque. Si bien qu'il put regretter dans une lettre à Hofmannsthal que d'autres dussent recommencer après eux ce cheminement vers cet idéal et cette perfection : la fusion entre musique et mots, vers précisément ce que Capriccio tente à la fois d'exprimer dans son texte (en partie allégorique) et dans sa forme musicale.
Plus précisément, on pourrait rapprocher Intermezzo de l'écriture de Capriccio, voire du rôle du Musiklehrer dans le Prologue d'Ariadne : moins lyrique, plus parlée, mais ne se résumant jamais à une imitation prosodique. Toujours variée et disposant d'un vrai double musical dans la personne de l'orchestre, très émancipé de son rôle d'accompagnateur.
Le sous-titre exact d'Intermezzo est un peu plus long que l'ordinaire, et se rapproche clairement de la dénomination straussienne de conversation en musique :
Eine bürgerliche Komödie mit sinfonischen Zwischenspielen in zwei Aufzügen
c'est-à-dire :
Une comédie bourgeoise en deux actes mêlée d'intermèdes (intermezzi)
Strauss vide en fait ici une querelle de ménage, en laissant un portrait angélique du calme mari adulé de tous et une image abominable de sa femme hystérisante. Le résultat en est très divertissant, mais laisse rêveur sur la conception de l'humour et de la réconciliation de Strauss, qui en fait de second degré, fait probablement pire que Wagner dans les Meistersinger : le compositeur est un phénix et on peut bien en sourire, mais pas question d'oublier, même pas pour de rire, que ceux qui l'entourent ne restent jamais que des médiocres. En gros.
Certes, on épouse en apparence le point de vue de Frau Storch (la version fictionnelle de Madame Strauss), en suivant ses occupations en l'absence du mari, en ignorant la culpabilité ou non du kapellmeister de sa vie. Cependant le jugement porté sur les personnages est bien celui de Strauss et non de sa femme : celle-ci se montre toujours versatile et insupportable, ses amis sont des niais ou des manipulateurs, et sa conduite avec le jeune baron demeure légèrement équivoque - s'il ne lui avait demandé de l'argent, on voit bien de quel côté plus tendre la poussaient ses rêveries. En plus d'être injuste dans ses accusations, elle n'est pas elle-même tout à fait exempte de reproches.
Portrait de Pauline de Ahna, l'épouse de Richard Strauss, le modèle de l'impossible Christine dans Intermezzo. Le mariage a lieu l'année de la création de Guntram, en 1894. Pauline, qu'il adorait à ce qu'il semble, avait spontanément renoncé à sa carrière de soprane pour lui permettre de bénéficier de toute la stabilité nécessaire, mais avait un caractère particulièrement difficile, lui faisant des scènes en public en de nombreuses circonstances.
Sous couvert de suivre une 'héroïne', on n'en relaie pas moins les avis d'un autre personnage, procédé un peu perfide.
Ce sera peut-être cette absence d'ambiguïté dans les relations entre personnages, cette vraisemblance psychologique relative, l'absence délibérée d'ambition du sujet ou bien le déroulement 'à clef' (autour d'une seule intrigue, la faute de Robert Storch) qui auront motivé le mépris apparent de Hofmannsthal pour l'oeuvre - il l'oublie lorsqu'il cite par lettre l'évolution des travaux de Strauss vers la conversation en musique, ce que celui-ci lui fait courtoisement remarquer.
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3. L'humour
Oui, au fait.
Une petite plaisanterie nous a fait sourire.
Version Sawallisch (Lucia Popp et Gabriele Fuchs).
Christine Storch se fait coiffer par sa domestique alors que Robert, avec qui elle vient de se quereller, prend son train pour deux mois de voyage (représentations loin du foyer). Un joli pastiche de Mozart galant accompagne sa toilette.
CHRISTINE
Wareum er nur immer reist / Pourquoi doit-il toujours voyager !
(langsam an den Toilettentisch zurückkehrend) (retournant lentement à sa table de toilette)
ANNA
Ich glaube, der Herr ist nicht gerne allzu lange an einem Ort. / Je crois que Monsieur n'aime pas trop rester longtemps au même endroit.
CHRISTINE (höhnisch / dédaigneuse)
Er hat, glaube ich, doch jüdisches Blut in den Adern ! / A la fin je crois qu'il a du sang juif dans les veines !
A ce moment surgit, pendant cette dernière réplique de Christine, un cor solo avec une nouvelle thématique. (Pour s'éteindre instantanément.)
C'est que, pour évoquer le juif errant auquel Christine fait cruellement allusion pour tourner en dérision son mari, Richard Strauss fait appel à un classique :
Deuxième interlude de Rheingold, descente au Nibelheim. Version Haitink, également un studio avec l'Orchestre de la Radio Bavaroise.
Oui, ce rythme caractéristique est tiré du motif attaché aux enclumes des industrieux Nibelungen, ces figures souterraines qui amassent d'immenses richesses dans le Ring de Wagner, et dont les deux représentants clairement identifiés, Alberich et Mime, sont aussi petits et laids que cupides et veules.
Ainsi le stéréotype du juif dans le texte déclenche un stéréotype du juif dans la musique. Ce qui constitue une union assez réussie des catégories humoristiques E2 et A2 telles que précisément définies dans ces pages.
(Parce qu'on a beau dire, ça ne rigole pas sur CSS !)
Avec l'orchestre de l'ENO (English National Opera, où l'on joue le répertoire en anglais), qui prouve une fois de plus ses grandes qualités, en particulier ses cordes si rondes et une belle tranparence.
KORNGOLD, Die tote Stadt : air de Fritz (Mein Sehnen, mein Wähnen)
THOMAS, Hamlet : invocation au père (Spectre infernal), air à boire (O vin, dissipe la tristesse), monologue de l'essence (J'ai pu frapper le misérable), monologue du dernier acte (Comme une pâle fleur)
GOUNOD, Faust : air de Valentin (Avant de quitter ces lieux)
MASSENET, Werther : air de la traduction (Pourquoi me réveiller)
VERDI, Don Carlos : scène de la prison (C'est moi, Carlos)
BRITTEN, Billy Budd : air de la renonciation (And farewell, to ye, old Rights o' Man !)
WAGNER, Tannhäuser : chant du concours (Blick' ich umher in diesem edlen Kreise) et chant à l'Etoile du Soir (O du, mein holder Abendstern)
TCHAÏKOVSKY, Eugène Onéguine : arioso du refus, arioso du temps passé
TCHAÏKOVSKY, La Dame de Pique : air de Yeletsky
Un récital qui mérite d'être érigé en modèle.
Eclectisme. Beaucoup de pans du répertoire sont parcourus, en quatre langues, avec une grande variété d'atmosphères. Il est vrai que le répertoire de baryton le permet plus que pour aucune autre catégorie masculine. Le tout n'est pas chiche, sur 71 minutes, le disque est plutôt bien rempli.
Goût. Le choix très minutieux permet un équilibre entre bravoure, airs moins connus, versions alternatives (version originale de Don Carlos, Werther pour baryton).
Agencement. La progression entre les tonalités et les atmosphères est admirablement conçue ; on glisse d'un univers à l'autre quasiment insensiblement. Grâce aussi à la délicatesse de l'accompagnement de Conlon, dont c'est peut-être le plus beau disque... Le programme est idéalement disposé, de l'élégiaque à l'élégiaque (dont c'est, de façon assez peu conventionnelle, la principale couleur du récital), avec un centre plus vaillant (mais toujours méditatif).
Qualité linguistique. Les langues sont superbement maîtrisées ; même pour le francophone, l'accent est imperceptible. Il y a bien une petite raideur verbale ici ou là, mais moins que chez la plupart des chanteurs francophones. Pas d'accent, la couleur des voyelles est très bonne, l'accentuation au sein des phrases (le plus important...) absolument irréprochable. [On ne se prononce pas sur le russe, nous ne sommes pas assez bon juges ; tout est très nettement prononcé (de façon trop antérieure en fait), peut-être un peu lourdement mouillé et un peu insistant sur certaines finales, mais manifestement très soigneusement accentué.]
L'anglais roule dans la bouche (les 'r' lyriques anglais sont d'une gourmandise !), l'allemand se tend languissamment sur ses accents de phrase... Un naturel impressionnant. Surtout qu'il n'est rien de tout cela, mais danois, dont les tics de langage sont ici imperceptibles, excepté dans la rondeur de certaines articulations, mais uniquement (et agréablement) musicales.
Style. Mais le plus ahurissant réside dans la pertinence stylistique absolue de chaque piste, avec une maturité pour chaque domaine qui laisse mal voir qu'il s'agit de séances d'enregistrement communes.
Dans Korngold, la voix s'étend sans vibrato, presque sans vie, sur les rêveries du Pierrot. Dans Thomas, volontiers vaillante, mais toujours pleine de clarté, elle parcourt avec fermeté la longue tessiture, avec une belle souplesse. Dans Massenet, la noirceur mélancolique l'emporte, avec une émission plus percutante, plus concentrée. (Si bien que l'arrangement maladroit pour baryton finit par se tenir.) Dans Britten, elle parcourt rondement, doucement les articulations d'un anglais devenu très net. Pour Wagner, la langue nue du concours de chant se met à claquer superbement, chaque mot est croqué, mis en relation avec le sens - véritablement éloquent, au point de changer cette platitude en petite merveille. Enfin, dans Tchaïkovsky, le lyrisme se fait plus généreux, le legato plus prégnant. L'exactitude du ton et de la parole est à chaque fois au rendez-vous.
Et côté accompagnement, ni absence, ni maladresse, ni prosaïsme ; rien de que de la douceur, mais sans la mollesse proverbiale de Conlon.
On couvre d'autant plus volontiers ce chanteur de louanges que sa carrière nous avait toujours laissé interrogatif ; le timbre est un peu mince, la voix légère vibre comme mal assurée : rien de chatoyant ni de percutant. Peut-être bien, et il est vrai que quoique très en forme ici, ce n'est pas la voix la plus séduisante du marché, loin s'en faut, même chez les chanteurs provinciaux... mais il a tout le reste pour lui, ce disque en témoigne. Dans un programme d'élégies dépourvues de toute uniformité plaintive.
Rien de la parade vocale qui est habituellement le lot des récitals, où le chanteur doit prouver dans des airs rebattus déjà niais et de surcroît privés de sens par leur isolement ses capacités techniques. Ici, le disque peut s'écouter souvent et longtemps.
Rarement on aura entendu programme si bien composé, si précisément maîtrisé et si pleinement habité.
Malgré son nom, un compositeur français, de la première moitié du XIXe. Qui écrit dans le style de salon de l'époque, assez abondamment, essentiellement de la musique de chambre et quelques symphonies.
Rien n'est à jeter dans sa production, qui s'approche assez du meilleur Czerny, ou alors d'un Spohr mais en extrêmement inspiré. A rapprocher aussi dans une moindre mesure de la musique de chambre de Weber ou Hummel...
On aime beaucoup par ici ; c'est de la musique de divertissement, toujours fraîche, encore assez classique, mais extrêmement bien écrite. Beaucoup d'esprit, un rien de mélancolie très feutrée.
S'il fallait recommander des disques, ce serait sans doute en priorité :
A la suite d'un petit débat avec Morloch, spécialiste international des pirates généreux et des expéditions extrême-orientales ratées, le moment est venu pour les lutins de revenir sur cette oeuvre, l'objet de deux des premiers articles publiés sur Carnets sur sol. Retranscription informelle.
Le Pardon de Ploërmel (création londonienne sous le titre de Dinorah, la même année qu'à Paris), sans doute en raison de sa création à l'Opéra-Comique, est désigné comme un opéra-comique. L'occasion de vérifier, encore une fois, le caractère flottant et peu rigoureux des dénominations que les compositeurs eux-mêmes accolent à leurs oeuvres.
Au sens technique, donc, Dinorahest plutôt une comédie lyrique, c'est-à-dire une oeuvre certes d'essence comique (et encore...), si on prend en considération la légèreté de son ton (plus que de son sujet, pas si éloigné de la Sonnambula de Bellini) et certains passages d'essence drolatique. (Attention toutefois, c'est celle qu'on propose, mais la dénomination n'est pas encore employée à l'époque. C'est la catégorie d'Arabella ou de Colombe.)
Ce n'est pas un opéra-comique dans le sens où il ne se trouve pas de dialogues parlés entre les numéros lyriques, mais seulement des récitatifs (et des numéros pas toujours très individualisés, mêlés de récitatifs ou s'enchâssant, comme c'est l'usage chez Meyerbeer). [Sur la question du genre de l'opéra-comique, voir ici.]
Ce ne peut pas être un Grand Opéra pour des raisons qu'on rappelle :
- pas de sujet historique ;
- pas cinq actes, ni même quatre ;
- pas de grand ballet ;
- pas de ténor lyrique à contre-notes ;
- pas d'enjeux potentiellement tragiques (au sens le plus élevé).
En réalité, faute de pouvoir utiliser un terme anachronique, et surtout faute d'être parfaitement convaincu par le caractère essentiellement comique (?) de Dinorah (il s'agit plutôt d'un 'sérieux léger'), nous proposerons une autre appartenance un peu plus loin.
Entendu sur France 24, à propos du concours télévisé des personnalités historiques les plus populaires auprès des jeunes russes :
Le vainqueur était Alexandre Nevsky, éclipsé par la troisième place de Staline, devant Pouchkine et Lénine, le Père de la Révolution. En effet les 19-26 ans qui participaient au concours semblent majoritairement considérer le bilan du Petit Père des Pauvres comme globalement positif.
Dit comme ça, un brave homme, c'est sûr. De quoi accueillir pieusement ce Jugement.
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