Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - V - acte troisième : l'autoritaire et le lascif
Par DavidLeMarrec, dimanche 29 juin 2008 à :: Die Gezeichneten (les stigmatisés) - Les plus beaux décadents - Opéra, opéras :: #979 :: rss
Poursuivons notre balade en Schrekerland.
Dans cet acte III, quelques pans important n'ont pas encore été évoqués.

La première partie de l'acte III par Ingo Metzmacher et le Concertgebouw, et le livret.
Principe d'autorité
Le Duc Adorno était jusqu'à présent plus un principe qu'une psychologie : le pivot politique capable d'interdire le don de l'Ile Elysée, de protéger les chevaliers suborneurs, et donc de relancer plusieurs pans de l'intrigue (politique, policière, et même amoureuse en intercédant pour Tamare). Ici, séduit par sa rencontre avec Carlotta, il se fait confident. La réussite tient dans la fusion des deux caractères du personnage : il n'en demeure pas moins principe d'autorité, et aux yeux du spectateur peut valider l'authenticité de Carlotta, alors que l'épuisement de son amour une fois la jouissance artistique passée (sensible de façon diffuse à l'acte II, avec des indices nets mais contradictoires) pourrait la faire sensible comme manipulatrice et fausse.
Au contraire, ce personnage original et attachant - grand même lorsqu'elle accorde une humanité au difforme (Salvago) condamné à goûter par procuration aux orgies des autres, à augmenter en quelque sorte le faste et la subversion de ses crimes pour ressentir un semblant de l'exaltation que la Nature procure à chaque homme sans cette sophistication perverse, se liant à de mauvais libertins qui cherchent à chasser l'ennui de leur haute condition, trop tôt comblés, par des plaisirs toujours plus excessifs - échappe à la déchéance de cet acte III par ce regard autorisé du Duc, sans concupiscence ni mensonge.
Car cet acte III, dans le même temps où il se répand avec toujours plus de générosité musicale, sombre dans la démesure d'une orgie dont le dérèglement ne peut, en fin de compte, que se montrer funeste. Carlotta elle-même se dégrade toujours plus au yeux du spectateur, sa bonté se faisant intérêt (l'intérêt du tableau à achever plus que l'amour ou la compassion pour Salvago), puis, plus cruellement, une indifférence à toute chose face à la promesse d'un plaisir immédiat.
Carlotta est sauvée de l'oubli de ses bienfaits et de la réprobation, voire de la répulsion du spectateur, par cette parole, ce certificat d'authenticité que lui décerne le Duc Adorno.
Les trois théories
En cela, le texte de Schreker brasse de nombreuses théories de son temps. Le résultat reste, quoique sophistiqué, tout à fait naturel et séduisant en ce qu'il refuse tout dogmatisme. Nous ne sommes pas ici dans une démonstration, mais les acquis de la réflexion de son temps se trouvent en quelque sorte mis en action, avec leurs contradictions internes ou relatives.
La plus évidente a déjà été abordée ici même, il s'agit de la prise de conscience de l'existence d'une morale judéo-chrétienne spécifique, étudiée de façon autonome et non plus comme un absolu à appliquer ou à rejeter. Les ressorts psychologiques d'expiation tout particulièrement, tel le don d'Elysée, telle la mort acceptée de Carlotta, ressortissent à l'observation de cette logique - ni approuvée, ni rejetée, simplement exposée. Les réactions des passants face à la licence qui les entoure sont à ce titre précieuses. (Et il est d'autant plus assassin de les couper.)
Vient ensuite la vaste question psychanalytique, qui ne se limite pas à la grande scène de psychanalyse informelle de la seconde partie de l'acte II - avec au bout du chemin la révélation de la cause de l'affection dont souffre la patiente -, mais qui traverse toute l'oeuvre, chaque personnage important étant motivé essentiellement par une forme de libido (ouvertement sexuelle ou non).
On reviendra sur ces aspects essentiels, avec notamment son lot de parallèles.
Enfin, il apparaît, de façon plus livresque, que Schreker s'est beaucoup abreuvé à la source de Weininger, alors très à la mode (Geschlecht und Charakter a paru en 1903, quinze ans avant la première à Francfort des Gezeichneten). Cette lecture permet d'éclairer une structure plus schématique qu'il n'y paraît, avec l'opposition de deux types de caractères sexués, et toute la "virilité masculine" (pléonasme apparent mais nécessaire dans ce cadre) pour Tamare - pour le dire plus que hâtivement (d'autant que cela ne coïncide pas, en réalité, avec le propos de Weininger où "masculin" et "féminin" sont des entités bien plus abstraites). Et cette stratégie se montre plus efficace pour conquérir la femme convoitée à deux, la délicatesse grand seigneur de Salvago - refusant de saisir l'occasion de la fin de l'acte II - n'étant d'aucun intérêt dans une perspective de conquête.
Chez Schreker, cela se change en une vision très animale des affinités amoureuses, avec à la clef un assez pessimiste "darwinisme amoureux".
Bien d'autres références figurent bien entendu chez Schreker, mais on se contentera peut-être dans un premier temps d'explorer celles-ci.
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