Carnets sur sol

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mardi 30 janvier 2018

Concerts : qui veut la peau de Février ?


Voilà trois ans que je fais la même blague déclinée différemment, pour janvier comme pour février, mais j'ai eu peu de succès jusqu'ici.

Comme le mois passé, vous trouverez ici le planning PDF où apparaissent tous les dates et lieux sélectionnés, quantité de petits concerts (ou au contraire de concerts très en vue) dont je ne parle pas ci-dessous.

N'hésitez pas à réclamer plus ample information si les abréviations (tirées de mon planning personnel, destiné au maximum de compacité) ou les détails vous manquent.
(Les horaires indiqués le sont parfois par défaut par le logiciel, vérifiez toujours !)



0. Rétroviseur

Auparavant, les impressions des concerts de janvier :
►#45 Messe pour les Couvents de Couperin, à la Chapelle Royale de Versailles, en hommage à Michel Chapuis (Robin, Bouvard, Desenclos, Espinasse) ;
►#46 Cours public de Philippe Berrod (Nielsen, Saint-Saëns, Weber) ;
►#47 Motets polychoraux spatialisés du XVIIe italien (et Charpentier) par l'Ensemble Correspondances ;
►#48 Psyché II de LULLY au CRR de Paris ;
►#49 Premier Requiem de Cherubini (celui pour Louis XVI) par Insula Orchestra & García-Alarcón ;
►#50 Le Christ au Mont des Oliviers de Beethoven par Rhorer ;
►#51 Cours public de Christophe Coin (Abel, Marais, Boccherini) ;
►#52 Bruckner n°3 / Orchestre de Paris / Blomstedt ;
►#53 Lieder et mélodies rares : Mayrhofer de Schubert, Wolf, Fauré, Chausson, L. Boulanger, Cras, Delage, Ullmann, Poulenc, Britten, Messiaen avec la classe d'accompagnement lyrique d'Anne Le Bozec ;
►#54 Bruckner n°2 pour orchestre de chambre (Dausgaard) ;
►#55 Un Bal masqué de Verdi avec Radvanovsky, Pretti et Piazzola ;
►#56 Onslow n°2 (et Leonskaja dans le Quatrième Concerto de Beethoven) ;
►#57 Beethoven n°2 par les Lauréats du CNSM (classe de direction d'orchestre d'Alain Altinoglu)
►#58 Tchaïkovski n°2 et Petrouchka par le Philharmonique de La Scala & Chailly

Et quelques déambulations :
en vallée de Chevreuse, avant la soirée de réveillon, dans la nuit et la boue mais avec de véritables morceaux de poésie allemande dedans ;
☼ dans les forêts, parcs et musées de Chantilly (et l'exposition Poussin) ;
détails de l'exposition Chrétiens d'Orient à l'Institut du Monde Arabe ;
détails de l'exposition François Ier et l'art flamand au Louvre ;
détails de l'exposition du paysage en dessins du début du XIXe au Louvre.



J'attire en particulier votre attention sur quelques perles.

(En rouge, les œuvres rarement données – et intéressantes !)
(En bleu, les interprètes à qui je ferais confiance, indépendamment du seul programme.)



A. Opéra

Le Pavillon des Pivoines, comme pratiquement tous les ans. (le 9)

L'Amour africain de Paladilhe, un délicieux opéra léger de la fin du XIXe, mais à la musique consistante, par l'infatiguable Compagnie de L'Oiseleur (qui fait ce que l'Opéra de Paris ne fait pas…).

Moscou, quartier des Cerises, opérette de Chostakovitch dont l'écriture très simple et légère surprend. À l'Athénée.

Saariaho, Only the Sound Remains (à Garnier).
    Comme c'est rare, j'en dis un mot tout de même. Je n'ai pas entendu la bande en entier, mais cela ressemble tout à fait à du Saariaho. Déjà très contemplative, voilà qu'elle choisit un Nô, avec quatre personnages pour deux chanteurs (un Pêcheur, un Prêtre, un Esprit, un Ange !), dont deux incarnés par un falsettiste. Autant vous dire que ça crépite de partout avec une foule d'événements et la densité d'un drame verdien.
    Ce sera donc très beau en musique de fond pendant un dîner entre amis, mais je ne suis pas sûr que s'asseoir dans une salle et attendre que ça se finisse soit un projet viable, du moins si on aime le théâtre ou la musique un peu variée.
    Consolation, il y aura Davóne Tines, un formidable baryton-basse, bête de voix et de scène.

Le Mystère de l'Écureuil bleu d'Éric Dupin.
Initialement donné uniquement en vidéo pendant la période de travaux, une jolie enquête policière dans des coulisses d'opéra loufoques, servie par de formidables jeunes interprètes issus de l'Académie de l'Opéra-Comique, sur une musique très simple et tonale : à présent redonné en version scénique, avec des spectateurs autorisés dans la salle.



B. Musique chorale

Requiem de Campra par les Talens Lyriques. Ni le meilleur de Campra, ni le répertoire qui flattera le plus la formation, mais ce n'est pas donné tous les jours, et ce devrait joliment sonner dans la Philharmonie.

Motets de Pollio, inédits du manuscrit de Beauvais, par Schneebeli dirigeant les excellents spécialistes du CRR de Paris. (Baroque français. Pas sûr même que ça existe au disque.)

Chœurs de Holst, Biebl, Ropartz, Berlioz, Bernstein, Mendelssohn et Debussy par les jeunes filles de la Maîtrise de Paris, Mairie du XIXe le 13.

Rachmaninov, Les Cloches. Une œuvre vocale et chorale tout à fait spectaculaire, dans une veine épique très proche de son Prologue de Francesca da Rimini (si vous n'avez pas essayer, on pourrait parler de démesure hugolienne dans un langage sonore tout à fait russe). Assez irrésistible. [Et ce sera avec le meilleur chœur symphonique du monde, le Chœur de l'Orchestre de Paris, avec Lungu, Popov, Vinogradov, Noseda !]
Couplage avec une rareté : des portions symphoniques de La Donna serpente de Casella… (Certes, je trouve cet opéra très mauvais – caricature d'écriture italienne fade malgré ses parentés avec Moussorgski et Prokofiev… –, mais ça change.)
Après réécoute récente, j'ai trouvé cela beaucoup plus morne que lors de mes précédentes écoutes, assez émerveillées. Le concert tranchera, mais avec Casella et le Chœur de l'Orchestre de Paris, on joue tout de même sur du velours !

Requiem, Gloria et Magnificat de John Rutter par les étudiants du CRR de Paris et le Chœur d'Air France, les 9 et 10. Rutter écrit dans un langage tout à fait tonal, non dénué d'élégance et de grâce. Vraiment accessible sans être trop fade. Assez rare en France.

Programme anglais du Chœur Calligrammes (titulaire d'un putto d'incarnat 2017 !), où figurent les grandes périodes de l'art britannique (les autres sont grandes aussi, mais très mal documentées) : Purcell (XVIIe), Howells (tournant XXe), Britten (milieu XXe), Whitacre (aujourd'hui). Encore un beau parcours, par un chœur amateur qui tient très bien la rampe malgré la difficulté supplémentaire du chant a cappella !  Les 8 et 10.



C. Musiques de scène

Ciné-concerts Bernard Herrmann avec Psycho et surtout Vertigo (qui, en réalité, doit peut-être plus à Onéguine qu'à Tristan – le postlude de la scène de la Lettre est repris de façon très proche dans la fameuse scène d'amour).




D. Musique symphonique

♦ La Troisième Symphonie de Louise Farrenc par le Philharmonique de Radio-France et Mikko Franck le 3, ou par Insula Orchestra et Laurence Équilbey, le 17.
J'en disais ceci le mois dernier :
Farrenc n'est pas une compositrice majeure à mon sens, mais en tant que rare figure féminine à avoir gagné le respect de ses pairs de son temps (sans être la sœur ou l'épouse d'un compositeur important, ni la protégée directe de gens influents, comme Louise Bertin), elle occupe une place à part.
La Troisième Symphonie n'est pas un chef-d'œuvre, mais elle remplit agréablement son office. Bizarrerie, alors qu'on ne donne généralement que les œuvres de chambre de Farrenc, et de loin en loin, elle est également programmée à la Seine Musicale, quelques semaines plus tard !
Avec l'expérience mitigée de l'association Philhar'-Franck dans Onslow 2, et mon éblouissement dans Mercadante & Cherubini avec Insula Orchestra, je conseille plutôt le second – après, le couplage est avec le triple concerto plutôt que la Cinquième de Beethoven. (Détail qui risque d'avoir raison de ma détermination, je l'avoue.)

La Première Symphonie de Vincent d'Indy par l'Orchestre du CRR de Paris, rue de Madrid.
Sans rapport avec l'éprouvant remplissage de beaucoup de ses poèmes symphoniques (ou, pis, de la redoutable Cévenole), cette symphonie sous-titrée Italienne est un régal de fraîcheur, de couleurs, de procédés personnels qui visent à l'évocation plus qu'à la démonstration. Une des plus belles symphonies françaises.
Le concert est gratuit. Concernant le niveau, Orchestre d'étudiants de CRR, donc une structure dont la composition change chaque année et dont la vocation est de procurer une expérience avant tout pégagogique ; il est tout à fait capable de jouer les œuvres, maisn'en attendez pas le même frisson qu'avec des orchestres plus professionnalisés (comme les Lauréats du CNSM).

♦ Serenade d'Emil Hartmann (le Danois, pas le contemporain allemand, du gentil romantisme sympathique) et Concerto pour basson de Tomasi (musique française très tonale du XXe) par l'ensemble d'Éric van Lauwe (deux dates).

♦ Programme CHEN Qigang, le seul élève en composition de Messiaen, et dont les qualités de chatoiements sont très réelles aussi (les Cinq Éléments sont très beaux).

♦ Classe de direction A&B (les débutants) du CNSM, le vendredi 2. J'aurai le programme en début de semaine prochaine.



E. Musique de chambre

Suites de Bach (pour violoncelle ou luth, à vérifier) par Thomas Dunford, le plus grand théorbiste de tous les temps.

Mandoline, clavecin et violoncelle dans Scarlatti, Bach, Vivaldi, Valentini et Beethoven, le 4.

L'intégrale Claude Debussy se poursuit au CRR de Paris. Avec, notamment, sa version irrésistible de La Mer pour quatre mains !

Quintette avec piano de Jean Cras dans une transcription pour quatuor & marimba, avec l'épique Quatuor Ardeo (déjà loué en ces pages lors de ses premières victoires à des concours).
    Et les concertos Été et Hiver de Vivaldi pour le même effectif. Voilà qui promet d'être grisant !
    Seules contraintes : pouvoir être à 19h30 à Saint-Quentin-en-Yvelines, et renoncer à la Première Symphonie de d'Indy le même soir.

Pièces pour violoncelle et piano de Franck (la Sonate pour violon en réalité), Shaporin, Sollima (très tonal, très simple, assez touchant) et Ducros (néo-Fauré) !  Hôtel de Soubise.

♦ Lecture à vue de pièces peu célèbres pour bois. Exercice pour la classe de lecture à vue du CNSM. Très curieux de découvrir la sélection, j'en ferai état si c'est intéressant. Le 5, mais ce débute à 18h !



F. Lieder & mélodies

Nuits d'Été de Berlioz pour ténor, et par Stanislas de Barbeyrac de surcroît, à l'Athénée (concert reporté de la saison dernière). Couplage avec la Ferne Geliebte de Beethoven.

Spanisches Liederspiel de Schumann (airs à quatre voix alternés ou en quatuor, qui forment une petite histoire, un sommet dans le legs de Schumann, assez peu joué), et Spanisches Liederbuch (le meilleur des deux) de Wolf à l'Hôtel de Soubise, le 3. Pas sûr que ce soit néanmoins le meilleur répertoire des chanteurs (tous fraîchement issus du CNSM) présents : Croux, McGown, Lagier, Fardini. (McGown est taillée pour le lied, Fardini a beaucoup de talent, en particulier dans la mélodie, mais doit encore varier son émission et soigner son allemand. Jamais entendu Lagier, dont j'ai ouï le plus grand bien.)

Roth reprogramme les stupéfiants Haï-kaï de Delage, cette fois avec Piau (après Devieilhe en décembre !), couplé à des mélodies russes et japonaises de Stravinski, notamment. (Mais c'est un peu cher, avec le tarif unique au Musée d'Orsay : 30€.)




G. Conférences

Pleurer au XVIIe siècle. Pièces françaises et anglaises de Hume, Purcell, Bouteiller, J.-F. Rebel, Couperin, Marais, Michel, lectures de textes de Viau, Descartes, Pascal, Dryden. Au CNSM.

Cours public d'Olivier Charlier (violon) au CNSM.



H. Théâtre

Les Bacchantes d'Euripide à Colombes.
♦ Une soirée Büchner/Lenz rare : Les Soldats (Malakoff).



I. Glotte

♦ Finale du concours Voix Nouvelles à l'Opéra-Comique. Un mot sur certains candidats dans la toute récente notule.



J. Quelques chouchous

Trio Sōra (Schubert 2, Haydn 43, pièce récente) le 10.

Quatuor Akilone (Debussy, 2 créations chinoises de Xu Yi et Wen Deqing).

♦ Airs de magiciennes par Éléonore Pancrazi et Marie van Rhijn le 28 midi.



Bonne chasse à vous !  (tout retour bienvenu, évidemment)

mardi 23 janvier 2018

Concours Voix Nouvelles 2018


Les demi-finales commencent cette semaine, à l'Opéra de Massy, où il est d'ailleurs possible de réserver des invitations, avant la finale payante à l'Opéra-Comique.

Je découvre à cette occasion que, si le concours reste bloqué sur les références à sa finale 2002, c'est qu'il n'a lieu que de loin en loin : 1988, 1998, 2002.

Le site met en avant un beau palmarès en effet.

– 1988, la première édition : Natalie Dessay (soprano), Valérie Millot (soprano), Anne-Sophie Schmidt (soprano), Martine Olmeda (mezzo-soprano) et Jean-François Vinciguerra (baryton-basse) ;

– 1998, la deuxième édition : Alexia Cousin (soprano), Anne-Catherine Gillet (soprano/ Belgique), Joanne Bellavance (soprano/ Canada), Élodie Mechain (alto), Stéphane Degout (baryton) et Nicolas Testé (basse) ;

– 2002, la troisième édition : Nathalie Manfrino (soprano), Hélène Guilmette (soprano), Natacha Finette-Constantin (soprano), Susan Gouthro (soprano/ Canada), Karine Deshayes (mezzo-soprano) et Florian Laconi (ténor).

C'est donc un événement, vu sa discontinuité. Il a aussi la particularité d'imposer, à chaque étape, un air sur les deux en français (oui, beaucoup d'est-ce toi Marguerite et de saintes médailles qui viennent de nos sœurs).

Le but étant de récompenser des voix emblématiques de la francophonie, quelle que soit la nationalité du candidat.
Le tout se fait sous l'égide de Raymond Duffaut, longtemps patron des Chorégies d'Orange, ce qui dit beaucoup sur le tropisme à la fois plutôt francophile et assez tourné vers les « grandes voix » – liedersänger, passez votre chemin.

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Les finales régionales ont toutes été captées par France 3 (pas forcément diffusées sur la chaîne) et sont disponibles en ligne, je suis donc allé y voir de plus près.

J'ai un peu hésité à en dire un mot pour plusieurs raisons :
∆ les chanteurs sont captés de trop près, on n'entend pas du tout l'épanouissement du son dans la salle, ce qui fausse complètement le jugement sur l'intérêt de ces voix… certaines peuvent paraître difformes de près alors qu'elles sonnent parfaitement, d'autres très belles mais complètement sèches dans un vaste espace… en se faisant un avis à partir des vidéos, on risque de passer totalement à côté de la réalité en salle ;
∆ le concours est manifestement très ouvert sur les qualifications, ce qui donne quelques prestations de jeunes interprètes manifestement morts de trouille, pas vraiment révélateur sur leur potentiel au sein d'une production d'opéra ;
∆ pour la même raison, le concours juxtapose des chanteurs aux qualifications très différentes… à côté d'une fraîche diplômée du Conservatoire de Montauban, on a Barrabé qui a remporté le concours de Marseille il y au moins 5 ans, était présente à l'anniversaire de l'ADAMI ; Bré qui est dans les chœurs d'Accentus et a chanté des solos dans les grosses productions de la Philharmonie ; Texier qui a fait des productions scéniques avec l'Atelier de l'Opéra, qui vient de chanter un des rôles importants de l'Italienne à Alger à Montpellier, et jusqu'à Alix Le Saux, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est assez bien installée : rôles secondaires dans Ory à Favart, dans Tannhäuser à Bastille, rôles principaux de l'Enfant et les Sortilèges, de la Belle Hélène et du Barbier de Séville (tout ça aux Champs-Élysées !)…
    Évidemment, ceux qui ont fait les CNSM ou les Ateliers / Académies des maisons d'Opéra, avec ce que cela suppose d'entourage et d'expérience scénique, paraissent bien plus à l'aise… mais ils sont déjà (comme Deshayes en son temps) tout à fait professionnalisés !  Pour eux, Voix Nouvelles peut donner une impulsion décisive pour passer de petit soliste à premier soliste, voire vedette nationale qui peut avoir des entretiens dans Diapason ou du moins Cadences, mais ça ne révèle rien, ces gens sont déjà très insérés dans le milieu.
    C'est dommage dans la mesure où cela brouille le message… est-ce qu'on révèle de futures vedettes encore en formation, ou est-ce qu'on donne un coup de pouce à des interprètes déjà installés ?  Les premières n'ayant pas vraiment leur chance face à la maturité artistique des autres (alors pourquoi les inviter).

    Je me suis quand même prêté au jeu pour attirer l'attention sur quelques personnalités intéressantes, sur quelques tropismes du goût actuel en matière de chant (car tous ces chanteurs filmés ont été sévèrement pré-sélectionnés, bien sûr).
    Avec toutes les réserves qu'il y a à faire considérant mon parti pris personnel (les voix en arrière qui sont jolies avec un micro mais qui mangent les mots et qu'on n'entend pas bien dans les salles, c'est à la mode, mais je n'aime pas ça), et considérant les limites techniques de l'audition de ces chanteurs pris la bouche dans le micro !

Pour plus de lisibilité, j'adopterai une cote simple, de 1 à 5 :
1. des choses à revoir avant de se lancer dans les concours les plus prestigieux ;
2. potentiellement prometteur, encore des choses à régler ;
3. très bien, quoique perfectible sur certains détails ;
4. remarquable ;
5. déjà prêt à faire une grande carrière.

J'ai fait le choix de me fonder essentiellement, pour rester dans la logique du concours, sur la technique vocale plutôt que sur la diction, l'incarnation, l'émotion transmise… toutes choses qui peuvent faire la différence sur scène, en réalité…

Et il va de soi que je commente depuis mon fauteuil quelques minutes de gens qui travaillent depuis des années, sans avoir de légitimité particulière à le faire. Mon but est essentiellement de mettre en avant quelques lignes de force dans le chant d'aujourd'hui, pas de faire le palmarès moi-même (d'autant que les jurys paraissent plutôt compétents (Furlan, Diederich, Rouits…).

J'indique aussi le lien vers les vidéos, le but étant de débroussailler un peu dans le très grand nombre de candidats visibles en ligne.
Au passage, j'aime beaucoup les encarts qui apparaissent sur l'œuvre et les interprètes, une façon de rendre l'écoute plus vivante et informative. [En revanche, étrange de justifier l'importance d'œuvres en disant simplement quelles ont été chantées par Pavarotti ou Netrebko – et dans de l'opéra français de surcroît…]

Vu la quantité de texte et d'entrées, je posterai par groupes, en commentaires. À surveiller, il y en a pour un moment.

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samedi 20 janvier 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #5 : en anglais




opera house
L'opéra de Debrecen et l'étrange géométrie de son plafond.
On y donne Acis and Galatea de Haendel.




Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français.

À venir : polonais, slaves occidentaux (tchèques, slovaques) & méridionaux (slovène, croate), celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



opera house
La salle du Pinchgut Opera a un plan en « boîte à chaussures » inhabituel pour une salle prévue pour le scénique, surtout avec ses sièges latéraux orientés à 90°.
Pinchgut est une île qui fait face à Sydney, presque entièrement occupée par son Fort Denison, à l'image d'If à Marseille. La compagnie qui a pris son nom se situe dans la ville, bien sûr, et est spécialisée dans l'exécution d'opéras du XVIIe et XVIIIe siècle sur opéra d'époque, de très bon niveau ainsi qu'en témoignent quelques disques.

On y donne Athalia de Haendel.



Opéras baroques

Pas d'Arne, rien que du Haendel, désolé – mais quelqu'un doit bien faire Blow quelque part, au moins une version de concert dans une petite salle.

Haendel, Acis and Galatea (Debrecen)
Haendel, Athalia (Pinchgut de Sydney)
Haendel, Saul (Mainz, an der Wien)
Haendel, Apollo e Dafne (Graz)
→ Trois « oratorios » (en réalité des opéras en anglais, même pas toujours sur sujet religieux) et une cantate, Apollo e Dafne – il a aussi existé une Daphne, son quatrième opéra et le dernier de sa période hambourgeoise, mais la musique en est perdue.
Acis contient des airs assez marquants et hors de l'ordinaire (les graves profonds de Polyphème ont leur célébrité chez les basses), tandis que Saul est beaucoup plus varié et mobile qu'un seriastandard,mais je trouve, étrangement, que cela ne se ressent quasiment que dans l'antique studio Harnoncourt, là où les plus informés, fût-ce Jacobs, ne parviennent pas tout à fait à rendre cette force du verbe biblique et cette atmosphère très singulière. Je ne puis donc préjuger du rendu en salle.

opera house
La salle de l'Opéra d'Edmonton, en Alberta.
On y donne HMS Pinafore de Sullivan.




Opéras romantiques

Là aussi, on aurait pu espérer les bijoux (mélanges de belcanto, de fantastique weberien et de numéros assouplis à la française…) comme Robin Hood de Macfarren, Satanella de Balfe ou Lurline (Loreleï…) de Wallace. Mais je n'ai rien vu, et il est vrai que même dans les Îles Britanniques, cette part du patrimoine reste tout à fait occultée, hélas – ceux que j'ai pu entendre valent largement les opéras d'Adam et Auber, dans un style similaire (mais plus ambitieux qu'eux, ils ont de toute évidence respiré Weber et Marschner).

Sullivan, The Pirates of Penzance (Leipzig, Ulm, Meiningen, San Diego)
Sullivan, HMS Pinafore (Edmonton en Alberta)
Sullivan, Trial by Jury (Leeds)
→ Répertoire léger mais prégnant qu'on ne joue guère hors des îles britanniques et de l'Amérique anglophone… la musique en est très consonante et formellement tout à fait simple, mais pas sans séductions mélodiques ; les livrets originaux et piquants ; l'ensemble virevoltant avec beaucoup de finesse en fin de compte – moins virtuose que Rossini, sans doute, mais aussi beaucoup moins souligné que les Offenbach : le meilleur du comique anglais.
→ À présent qu'il est ordinaire de jouer des opéras, même dotés d'une veine comique verbale significative, en langue originale – sans mentionner la généralisation de l'usage de l'anglais dans la population –, il n'y a pas vraiment de raison de ne pas en donner au moins les titres emblématiques : Penzance (qui existe en français, d'ailleurs), Pinafore, Mikado, Yeoman… en ce qui me concerne, je les trouve plus stimulants à tout point de vue (musicalement, mais surtout beaucoup plus amusants) que les petits Offenbach qu'on redonne ici et là. J'avoue cependant ne pas en être assez familier pour disposer d'une opinion sur les petits Gilbert & Sullivan, qui ne valent peut-être pas mieux !

Chadwick, Burlesque Opera of Tabasco (New Orleans)
→ George Whitefield Chadwick est un des plus beaux représentants du romantisme musical américain, à la fin du XIXe siècle (1854-1931) – de la Second New England School, comme Amy Beach. Sa Deuxième Symphonie témoigne d'une belle maîtrise de tous les aspects d'écriture, dans une veine simple et lumineuse. Mais les Symphonic Sketches sont encore plus intéressants, plus personnels – culminant dans le mouvement lent, « Noel », tout à fait dans l'esprit folklorique de la Neuvième de Dvořák !
→ Son opéra Tabasco de 1894 en témoigne. (Oui, Tabasco comme la sauce.) Intrigue minimale : : Hot-Heddam Pasha menace de décapiter son cuisinier français (en réalité un imposteur irlandais) si celui-ci ne relève pas davantage ses plats. Après une recherche désespérée à travers la ville, c'est la mystérieure fiole d'un mendiant aveugle qui fait l'affaire, en réalité une bouteille de sauce au piment Tabasco.
→ C'était au départ une simple commande locale d'une milice de Boston, à l'occasion d'une levée de fonds pour une nouvelle armurerie. Mais le succès fut grand, les droits rachetés par un producteur ambitieux, un accord passé avec l'entreprise créatrice de la sauce, ce qui a transformé la petite pièce légère en grand événement traversant le continent dans une forme de cirque extraverti (distribution de produits, immense bouteille en carton-pâte sur scène).
→ Musicalement, nous avons affaire à de la pure veine légère anglophone, quelque part entre Sullivan et Candide de Bernstein, très agréablement réussi. [Je ne crois pas qu'il en existe d'intégrale officielle, mais YouTube en fournit plusieurs extraits.]



opera house
L'Opéra de Tel Aviv évoque de l'extérieur un de ces hôtels de luxe de la côte.
On y donne A Midsummer Night's Dream de Britten.




Opéras du XXe siècle

On y trouve essentiellement des compositeurs dans une veine tout à fait tonale, artisans d'un héritage raisonnable du passé, à exceptions près (qui ne sont pas du tout de l'opéra d'ailleurs, mais figuraient dans les saisons de respectables maisons).

Je les ai laissés dans l'ordre suggéré par leurs dates de naissance.

Barber
, Vanessa (Frankfurt-am-Main)
→ Je tiens Vanessa pour l'un des opéras les plus aboutis de tout le répertoire, sa cohérence entre livret et musique, sa fluidité, sa façon de toucher simplement à la vérité du théâtre et à la beauté de la musique n'ayant que peu d'égales.
→ Une notule le présente plus amplement (ainsi que les contraintes de distribution et circostances de création).

Britten
, The Rape of Lucretia (Cologne)
→ L'opéra (le troisième de ses quinze) a l'originalité de convoquer des coryphées, mais j'aurais peu de bien à en dire. Langage sonore très gris, livret très lent (et qui fait du viol de Lucrèce un semi-rêve assez déplaisant dans ses insinuations – comme la jeune mère de Merlin, elle fait un rêve érotique, bien fait pour sa tronche), où même la scène-titre se déroule très lentement, habillé d'échanges bavards et flous… Et tout ce qui précède et suit a finalement un rapport dramatique assez lâche avec ce que devrait être l'histoire de Lucrèce – tout l'apparat romain a disparu, en tout cas. Même la prosodie, parfois le point fort de Britten, est ici noyée dans un semi-lyrisme récitatif sans grand relief. Bof.

Britten
, Gloriana (Madrid)
→ Commande de Covent Garden pour le Couronnement d'Elizabeth II, en 1953, Gloriana est une variation sur l'épisode des amours et de la mort de Robert Devereux, amant d'Elizabeth Ière. Chez Britten, Devereux est moins perdu par ses ennemis à la Cour que par ses propres faiblesses à la guerre, voire par ses propres partisans – sa mort est signée devant l'aplomb de ses soutiens, le considérant indispensable au gouvernement du royaume. Et tout cela sert de support à une méditation sur l'âge (Elizabeth est déjà mûre), sur la solitude de l'individu, sur l'avenir de tout amour et de toute vie…
→ Musicalement, le sujet est bien sûr l'occasion pour Britten d'écrire dans une langue assez claire, au besoin néoclassique, et plutôt en aplats d'accords, comme accompagné sur orgue positif. Pas forcément très saillant, mais d'une belle sobriété ; peut-être un peu régulier pour se montrer efficacement dramatique.
→ Le sujet n'est finalement pas très révérencieux, présentant cette reine déclinante, hésitante, sensible aux morsures de l'amour-propre. Mais, au demeurant, Elizabeth II n'a pas choisi son nom de règne (un souverain d'Angleterre peut changer son prénom, comme les papes) en référence à son inégalable devancière, simplement décidé de conserver son nom de baptême – peut-être plus de la modestie que de l'ambition, mais je ne suis pas assez familier des biographes de ladite majesté pour m'avancer sur le sujet.
→ Il existe une bande de la création – avec Peter Pears en jeune galant (!), mais aussi Geraint Evans en Lord (!) et Monica Sinclair en Lady (!!). Mais le son un brin ouaté accentue plutôt les limites du style de Britten, à mon sens.

Britten, A Midsummer Night's Dream (an der Wien, Tel Aviv)
→ Même si les parties amoureuses sont plus grises, le Songe de Britten, au milieu de sa carrière (1960) est l'un de ses opéras les plus coloré et inventifs, en particulier dans toutes les parties féeriques : le contre-ténor inhabituel d'Oberon, écrit pour Deller, les fanfares grêles des Elfes, les interventions parlées savoureuses de Puck… Vraiment du Britten inhabituellement bigarré, et très inspiré par endroit.

Britten, The Prodigal Son (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Antépénultième opéra (ou assimilé) et troisième de ses paraboles pour représentation d'église, c'est aussi la moins convaincante (Noye's Fludde dispose d'un certain impact dramatique ; The Burning Fiery Furnace s'essaie à une modernité un peu plus radicale), très peu saillante à mon gré – un peu comme du mauvais Billy Budd.

Britten, Death in Venice (Stuttgart, Linz)
→ Un cas étonnant de Britten beaucoup plus germanisant, décadent même, d'un langage plus hardi (enfin, de la tonalité avec de légères touches un peu plus berguiennes, pour les années 70…) et plus romantique à la fois. Bien sûr, la déclamation très en avant et un peu indifférenciée reste toujours la sienne, mais le changement de couleur est patent, et ce n'est pas si souvent donné.

Menotti, The Medium (Berne, Chicago, New Orleans)
Menotti, The Consul (Dayton, Lawndale en Californie)
Menotti, Amahl and the Night's Visitors (Lausanne, Sofia)
Menotti, célèbre pour avoir été le librettiste (et compagnon) de Barber, a produit un grand nombre d'œuvres scéniques (2 ballets-pantomimes, 18 opéras dans tous les genres, de la piécette bouffe d'une demi-heure à l'opéra historique néo-romantique, en passant par toute une gamme de sujets et langages intermédiaires). D'un langage tout à fait tonal, mais puisant à de très nombreuses écoles, le résultat n'en est pas musicalement unique, mais toujours très opérant en tant qu'objet de théâtre musical.
Amahl est un gentil opéra pour enfants, qui existe, comme The Telephone ou The Medium, en plusieurs langues dont le français. Mais aussi en allemand, comme The Consul – qui sera donné en allemand en Allemagne et en Autriche pendant cette saison.
→ Les deux autres sont plus dramatiques, quoique intégrant des éléments plaisants, en particulier dans The Consul, son opéra le plus sombre (du moins parmi ceux enregistrés), où pourtant le comique absurde abonde, culminant dans d'improbables tours de magie (au départ minables, à la fin presque surnaturels) au sein même du Consulat.
The Consul est une histoire terrible, une tragédie bureaucratique kafkaïenne épouvantable, écrite dans un langage qui emprunte à la déclamation et aux atmosphères oppressantes de Britten, au lyrisme de Puccini, à l'harmonie de Poulenc, et pourtant traitée avec une vivacité particulière et une prédominance de l'humour. Une notule lui est consacrée.
The Medium, son œuvre la plus jouée, est probablement la plus travaillée sur le plan musical, avec une variété de textures, un travail sur l'orchestration, sur les contrastes entre scènes, sans rien céder à ses qualités prosodiques et théâtrales habituelles. C'est un rôle où ont brillé les grands mezzos déclinants mais glorieux – Mödl, Crespin, Gorr… [Vous pouvez par exemple l'aborder avec cette version en français – Metz 1994 avec Gorr, Raphanel, Zanetti !]
→ Assez peu donné sur les grandes scènes, Menotti est en revanche très régulièrement programmé dans des théâtres de taille moyenne – car, je suppose, ne réclamant pas d'orchestres immenses, n'obligeant pas à des pyrotechnies invraisemblables, et toujours très payant scéniquement. Il doit, en fin de compte, figurer parmi les compositeurs nés au XXe dont les opéras sont le plus joués. Et ce n'est que justice : sans être un compositeur majeur, chaque œuvre, prise comme un tout, fonctionne à la perfection, pas de longueurs, pas de faiblesses, surtout dans sa première période – The Saint of Bleecker Street et bien plus tard Goya, plus sérieux, ont moins de saillances. [Mon chouchou reste la courte conversation en musique The Telephone.]

opera house
À la Taschenoper (« Opéra de poche ») de Vienne.
On y donne A House Full of Music de John Cage.


Partch, Barstow: Eight Hitchhikers' Inscriptions (Buenos Aires)
→ Je l'ai vu classé dans un saison d'opéra, mais Barstow est loin de répondre à la définition stricte, ni même élargie de l'opéra : il s'agit d'inscriptions d'auto-stoppeurs lus sur une rambarde routière à Barstow, en Californie (1841).
→ Harry Partch est resté célèbre pour ses créations d'instruments ; pendant la Grande Dépression, il a vécu comme vagabond auto-stoppeur / intérimaire itinérant (hobo), et a réalisé quantité d'instruments nouveaux à partir de matériaux sommaires.
→ Cette œuvre, originellement écrite pour voix guitare adaptée, a aussi été révisée (en 1954 et 1968) pour deux voix, et des instruments propres à Partch que même la base de l'IRCAM ne nomme qu'en anglais : surrogate kithara (cithare de substitution, je dirais), chromelodeon, marimba diamant et boo. Très accessible et sympathique, mais cela ne dure que dix minutes.

Cage, A House Full of Music (Taschenoper de Vienne)
→ Je l'ai vu, de même, mentionné dans des saisons d'opéra, mais enfin, malgré quelques glossolalies (et explications parlées surimprimées), c'est plutôt une forme de poème symphonique de chambre (produit notamment avec des batteries de cuisine…). Du vrai Cage, très ludique, pas forcément intéressant musicalement.

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Le Noah Liff Opera Center accueille l'Opéra de Nashville (Tennessee).
On y donne Susannah de Floyd.
(Et on y propose aussi, dès le 27 ce mois, j'en parlerai dans la notule consacrée aux créations, un très prometteur et subtil Hercules vs. Vampires !)


Floyd, Susannah (Nashville)
→ Le grand classique du patrimoine américain (avec A Streetcar Named Desire, dans le genre très différent de la conversation en musique et du théâtre d'auteur). Susannah est au contraire une histoire où les enjeux moraux et sociétaux sont très conservateurs, écrite dans un langage hors de son temps, complètement romantique, très lyrique.
→ Musique pas du tout neuve (le livret davantage, puisqu'il fait écho à une culture qui n'est pas directement européenne, mais il n'est pas fabuleux), mais très beau si on aime l'opéra dans ce qu'il peut avoir d'élancé, de simplement lyrique – un Puccini sans sophistication post-wagnérienne et sans sirop, si vous voulez. J'aime assez, je dois dire. Je l'ai déjà dit : je suis un garçon simple.

opera house
Le pittoresque orientalisant de l'Opera North, marque qui s'est imposée pour désigner l'Opéra de Leeds (phtographie de Don McPhee pour le Guardian).
On y donne Trouble in Tahihi de Bernstein.

Bernstein, Trouble in Tahiti (Amsterdam, Leeds, Semperoper de Dresde, Boston, Opera Parallèle de San Francisco… et l'Athénée à Paris)
Bernstein, On the Town (Saint-Gall)
Bernstein, A Quiet Place (Kammeroper de Vienne)
→ Trois comédies musicales : les premières, et puis la dernière, qui reprend Trouble in Tahiti en y adjoignant de nouveaux actes. Les trois sont de la très bonne comédie musical, dans un style de… comédie musicale. Ne surtout pas y chercher de l'opéra (ni même l'éclectisme de la Messe).



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Intérieur coloré de du Théâtre de Saint-Gall (Sankt Gallen) en Suisse.
On y donne On the Town de Bernstein.




Ce n'est pas une année de redécouvertes particulièrement fastes en langue anglaise, mais à l'échelle du monde, il y a tout de même de quoi admirer quelques beautés.

En revanche, hors patrimoine, on verra beaucoup de créations et de reprises d'œuvres récentes (certaines intriguantes, voire terrifiantes), que je traiterai dans une notule à part… (mais d'ici à ce que je la publie, je pourrai sans doute en écouter certaines qui auront été jouées !)

mardi 16 janvier 2018

Les deux Psyché de LULLY


Psyché de LULLY constitue un cas intéressant à la fois historiquement et dramaturgiquement – un peu moins musicalement, j'y viens.

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Scène de l'enclume. Travaux des Cyclopes édifiant le palais de l'Amour pour Psyché
Version de Paul O'Dette & Stephen Stubbs chez CPO.




1. Isis ou l'Apocalypse

Lorsque LULLY et Quinault présentent leur dernière création en 1677, Isis, c'est la catastrophe : l'intrigue de la persécution de l'amante (Io, devenant par la suite Isis) de Jupiter – lequel finit, en guise de dénouement heureux, par promettre de renoncer à l'amour ! – est lue à la Cour comme la transposition mythologique de l'emprise prédatrice de la Montespan sur ses rivales.

L'interprétation est si répandue que l'œuvre est interdite et le librettiste Philippe Quinault forcé à l'exil – brièvement : en 1680, il donne Proserpine, seuls deux opéras de LULLY lui auront échappé !



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2. Genèse précipitée de Psyché II

Pour le nouvel opéra, composé à la hâte pour le remplacer (en trois semaines, semble-t-il !), on fait appel à Thomas Corneille (cadet de Pierre), qui réutilise le livret de Molière pour la tragédie-ballet Psyché de 1671 (écrite avec Quinault et Pierre Corneille pour LULLY). Cette première Psyché est antérieure à la première tragédie en musique, Cadmus (1673) ; ce n'est pas encore un opéra, plutôt une musique de scène, où des tableaux musicaux alternent avec les tirades parlées.

Le but est d'écrire un livret qui lie tous les divertissements déjà écrits par LULLY (plus de la moitié de la musique finale de cette seconde Psyché), ce qui explique le caractère moins affermi du style (qui évolue beaucoup entre Cadmus et Isis, entre Isis et Amadis), l'inclusion d'un divertissement italien, l'aspect plus décoratif des différents divertissements, nourrissant moins l'intrigue qu'ils ne s'y apposent.

Ainsi, de cette genèse compliquée provient sans doute le caractère moins serré de l'intrigue, entrecoupée de nombreux divertissements plus pittoresques que dramatiques, dont ce grand lamento italien du I, un hapax dans les tragédies en musique de LULLY.

Peut-être à cause de cela, du manque de variété des situations (Psyché est passive et victime de bout en bout), on ne peut pas y écrire les mêmes élans ni les mêmes dilemmes que chez un héros actif comme Cadmus, Admète, Thésée, Atys, Bellérophon, Cérès, Persée, Phaëton, Amadis, Angélique ou Armide… Seul Isis est ainsi fondé sur la victime principale, à ceci près que ses pérégrinations apportent beaucoup plus d'animation et de pittoresque.



psyché
Psyché ou la conspiration du fard.
Quoique les articulations de l'intrigue soient sensiblement identiques, le ton de l'opéra est complètement différent du roman de La Fontaine (et autrement sérieux), passant à côté de beaucoup des charmes du sujet.
Gravure de Raphaël Sanzio-Marc-Antoine (1939) pour le roman.



3. Synopsis

Prologue :
Cas très rare (unique dans LULLY) où le Prologue constitue non seulement une annonce directe (comme dans Atys, dont l'histoire est introduite par Melpomène en personne), mais tout de bon une partie de l'action. Flore, Vertumne et Palémon nous apprennent la jalousie de Vénus ; plus spectaculaire encore, celle-ci vient en personne annoncer son désir de se venger – seul cas que j'aie lu où un personnage du Prologue est aussi un personnage principal de l'intrigue.

Acte I :

Les sœurs de Psyché parlent du serpent qui ravage le royaume et des offrandes qu'est allé porter Psyché elle-même. On leur annonce l'oracle qui réclame le sacrifice de leur sœur. [Plainte d'un groupe en italien.] Elles se retirent sans oser l'en avertir. Malgré les plaintes de son père, Psyché se rend au sacrifice.

Acte II :

Le palais est en construction pour l'Amour qui a sauvé Psyché. Vulcain et les Cyclopes travaillent. Dispute conjugale sur la fidélité entre Vénus suspicieuse et Vulcain cornu. Psyché rencontre l'Amour, qui prend forme humaine (un chanteur ténor remplace alors la chanteuse qui chante, selon la tradition, l'Amour) tout en défendant à Psyché de chercher à le voir sous sa forme véritable.

Acte III :
Vénus tend son piège et propose la lampe fatale sous un déguisement, lampe avec laquelle Psyché, conformément au cœur du mythe, découvre l'apparence de l'Amour et le réveille par mégarde. Vénus revient se révéler et s'enorgueillir de sa victoire. Cependant, si Psyché ramène la boîte des secrets de beauté de Proserpine depuis les Enfers, elle sera pardonnée. Psyché veut se suicider dans le Fleuve, mais le dieu qui l'habite lui offre son aide pour pénétrer aux Enfers.

Acte IV :
Quoique tourmentée par démons et Furies, Psyché découvre que l'Amour a intercédé pour elle, et on lui remet le présent.

Acte V :
Psyché, soucieuse de raviver sa beauté, ouvre la boîte et s'évanouit. Vénus se moque à nouveau d'elle, mais Jupiter intervient, élevant Psyché au rang d'immortelle, ce qui satisfait soudain la déesse. Réjouissance générale.



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Persécution des Furies.



4. Implications sur le livret

Les personnages de la version de 1671 sont conservés et l'action sensiblement identique, en revanche les caractères se révèlent considérablement simplifiés ; les sœurs ne sont plus vaniteuses (ni drôles) ; le roi ne se répand plus en de nobles discours théoriques sur la douleur… tout est réduit à sa plus simple expression. On est passé du théâtre parlé au format beaucoup plus concis du livret d'opéra.

Ce caractère stéréotypé de l'expression théâtrale lyrique avait été théorisé par Quinault : il est indispensable de comprendre le texte, aussi, si un mot échappe, il faut que les expressions puisent dans des formules figées, faciles à retrouver même si la diction fait défaut.

Il est à noter que Fontenelle a ensuite, comme pour Bellérophon l'année suivante (où s'était en plus incrusté Boileau), revendiqué la paternité du livret délégué par son oncle Thomas Corneille après en avoir élaboré le plan. Il est un fait que l'œuvre n'a pas paru dans l'édition d'époque du théâtre complet de Th. Corneille, tandis que celle, plus tardive, forcément, de Fontenelle, les inclut.
[Au demeurant, ils peuvent bien se les disputer par postérité interposée : ce ne sont des livrets à la gloire ni de l'un ni de l'autre, surtout Psyché, considérant les chefs-d'œuvre qu'ils ont par ailleurs produits : Médée pour le premier, Énée & Lavinie pour le second…]



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5. Moments musicaux

Malgré l'atmosphère de plainte un peu uniforme, l'assemblage disparate des numéros musicaux (même s'il est abusif, pour le LULLY d'après Cadmus, de parler de numéros, les alternances entre récitatif et airs étant de plus en plus lissées), la qualité moindre de l'inspiration, Psyché a ses beaux moments :

► Acte I :
    ● Trio de plaintes « Pleurons » (les sœurs Aglaure & Cidippe, et Lycas, qui apporte la nouvelle), le plus bel ensemble de l'œuvre – pas le plus original de LULLY, mais très poétiquement réalisé sur une durée respectable.
    ● La longue plainte italienne (une femme affligée, et deux hommes affligés qui la rejoignent par moment). Je n'aime pas beaucoup ce passage très décoratif, mais ce fut un hit à l'époque (justement l'un des arguments de vente de Psyché tragédie en musique que cette reprise de l'un des succès de Psyché tragédie-ballet) ; par ailleurs son décalage avec la langue générale, sa durée le rendent très remarquable. Le seul import italien dans un opéra de LULLY (on en trouve plus tard – 1693 – dans Médée de Charpentier, en revanche).
    ● L'échange entre Psyché et le roi, qui lui annonce la nouvelle. À mon sens (mais les réguliers savent combien mon goût est déviant) le grand moment fort de l'œuvre, très bien écrit – la situation bien sûr, mais aussi les mots pudiques et intenses du père, le courage stoïque de Psyché –, et, également, le récitatif le plus animé, le plus mélodique de toute l'œuvre.

► Acte II :
    ● L'atelier des Cyclopes, avec ses figuralismes d'enclumes, un moment aussi unique dans le corpus que le fameux Chœur du Froid d'Isis.
    ● La scène de ménage la plus violente de LULLY : Vénus vient quereller Vulcain qui se met au service d'une autre femme, sa rivale, en lui bâtissant un palais alors qu'elle aurait dû mourir ; mais celui-ci lui jette à la figure qu'elle a beau jeu de se sentir lésée après l'avoir si souvent complaisamment cornufié. Ce dure un petit moment.
    ●● Il faut attendre les retrouvailles de Cham et de sa femme partie avec un ange déchu dans une nouvelle Sodome (!) dans Noé de Halévy & Bizet, ou le vingtième siècle, avec des situations réalistes de jalousie domestique, comme Intermezzo de R. Strauss ou Von Heute auf Morgen de Schönberg, pour rencontrer un tel emportement conjugal. [Il y a bien quelques maris vengeurs chez Martin y Soler ou Rossini, mais c'est dans un cadre plus formel de retour à l'ordre, et non pour goûter le simple plaisir de la vaisselle brisée – ici, rien n'est résolu, pur échange de noms d'oiseaux.]
    ●● Elle semble faire écho à celle d'Isis, où Mercure badine avec Iris pour la détourner de sa mission, causant tous deux à demi-mot d'amour avant de s'aviser du stratagème et d'en retourner à leurs devoirs concurrents, boudant. Néanmoins, contrairement à Isis, cette scène ne me paraît pas musicalement particulièrement marquante, ni même aussi savoureuse dans les mots.

► Acte III :
    ● De même que le monstre et le sauvetage de Psyché ont été étrangement abandonnés dans l'interstice entre les actes I et II (alors que la tragédie en musique est précisément conçue pour accueillir le merveilleux invraisemblable et le théâtre à machines !), la scène-clef de la lampe (et les doutes qui la précèdent) apparaît comme particulièrement peu spectaculaire, y compris dans son traitement musical.
    ● On retrouve cette confrontation mi-tragique mi-comique (elle existe aussi dans le dépit jaloux de Sangaride & Atys à l'acte IV d'Atys) dans la nique que fait Vénus à sa rivale, à la fin de l'acte III, avec des réponses non dénuées d'insolence chez Psyché, ce qui allège quelque peu la solennité du moment (elle tente de se suicider juste après, tout de même). Au demeurant, il ne se passe pas grand'chose musicalement ici.

► Acte IV :
    ● Le trio des Furies est très réussi, court, uniquement un numéro musical, mais écrit dans la meilleure veine des ensembles LULLYstes. LULLY a écrit une scène de ce genre infernal pour tous ses opéras, sous des formes diverses (remplacés par la malédiction de Mars à la fin du III de Cadmus). Celle-ci, à défaut d'être probante dramatiquement (collage assez maladroit d'une mission sans lien avec l'intrigue, rien que pour ménager un acte – très court d'ailleurs – dans les Enfers), se distingue musicalement.

► Acte V :
    ● Belle chaconne finale – uniquement instrumentale, mais déjà témoin du style de la maturité, non sans parenté avec celle à venir de Phaëton (1683).



psyché
Itinéraire bis suggéré par La Fontaine : au lieu du Fleuve, la barque de Charon.



6. Raisons d'une absence

On peut comprendre que, considérant qu'on ne disposait pas avant l'intégrale en cours de Rousset, culminant en 2010 par l'indispensable résurrection par Les Talens Lyriques de Bellérophon (qui n'avait pas été joué depuis 1911 à Rouen, semble-t-il !), ni avant les deux disques d'O'Dette & Stubbs (Thésée et Psyché II, donnés quelquefois, jamais gravés), de la totalité des opéras de LULLY, cette Psyché, probablement le moins bon opéra de LULLY, ait été négligée par les ensembles spécialistes. Thésée avait au moins pour lui d'être l'opéra le plus joué en France jusqu'au premier tiers du XVIIIe siècle – et de débuter de façon complètement extraordinaire (avant de devenir irrémédiablement ennuyeux pendant quatre actes, trouvé-je).

Les arguments pour monter Psyché, dans un secteur de niche où il y avait de toute façon beaucoup de chefs-d'œuvre à jouer, étaient raisonnablement moindres.

À ce jour, on n'a eu que Malgoire en 1987 à Aix (à une époque où Malgoire jouait le baroque français de façon que nous trouvons peu musicologique aujourd'hui), O'Dette & Stubbs à Boston en 2007 (d'où émane le disque CPO, avec tout de même Carolyn Sampson, Karina Gauvin, Mireille Lebel et Olivier Laquerre) et des extraits à l'église luthérienne Saint-Pierre à Paris en 2010 par l'ensemble semi-pro Les Muses s'aMusent (j'y étais !). Christie n'a joué, en 1999, que Psyché I. Il manquait donc vraiment une version complète contrairement aux Muses et un peu plus ardente qu'O'Dette & Stubbs.

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Adieux de Psyché.



7. Un projet et une représentation au CRR de Paris

Cette notule vient après avoir entendu, non pas le disque O'Dette / Stubbs (tout à fait valable et valeureux, mais assez peu incarné : déclamation peu mise en avant, voix banales, maintien raide des récitatifs, couleurs un peu grises), mais après une représentation donnée au CRR de Paris par des étudiants du CRR en chant et danse, avec un orchestre issu des CRR de Paris et Versailles, mais aussi du Pôle Supérieur de Boulogne-Billancourt et du Conservatoire Départemental d'Orsay – c'est-à-dire quelques-uns des meilleurs lieux de formation à cette musique (le CRR de Cergy et à plus petite échelle le Conservatoire d'arrondissement de Paris VIIe font aussi ce travail de spécialisation et de formation de la future élite baroque française).

Préparés par Patrick Cohën-Akenine, dirigés par Stéphane Fuget, avec mise en scène (Manuel Weber), chorégraphie (Sabine Ricou), gestuelle et prononciation restituées (Lisandro Nesis), c'était un travail très complet qui était offert. Mieux qu'un travail, une véritable représentation de niveau professionnel.

Double défi que celui de produire un travail de cette qualité, et de le mettre au service d'une œuvre par essence plus difficile. Avec les niveaux en présence, on pouvait s'assurer un succès facile avec un Giulio Cesare ou un Don Giovanni. Merci d'avoir été au bout de la démarche.



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Début du fugato de l'Ouverture – à cinq parties, caractéristique de l'écriture à la française, prévue pour les 5 familles de violon.



8. Moyens instrumentaux

Car c'est une immersion totale : les jeunes musiciens jouent sur les 24 Violons du Roy (d'où la présence capitale de Patrick Cohën-Akenine) prêtés par le CMBV, c'est-à-dire avec les 6 dessus, 4 hautes-contre, 4 tailles, 4 quintes et 6 basses de violon, tous différents des violons, altos et violoncelles actuels, avec une tenue par ailleurs plus basse de l'instrument comme des archets ; même les basses de violon voient leur prise d'archet avancée un peu plus vers le centre de la baguette. Avec cela, un continuo de 2 violes de gambe et 1 basse de violon, avec jusqu'à 4 théorbes dans les tutti (1 en temps de récitatif) et bien sûr clavecin et orgue positif.

Je n'aime pas trop ce dispositif, qui privilégie le fondu par rapport à l'instrumentarium traditionnel plus aéré, où les lignes paraissent plus indépendantes, mais ce trait n'était finalement que peu audible, eu égard à la qualité de l'exécution.



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Déploration de Lycas et des sœurs.



9. Moyens scéniques

Sur scène aussi, restitution : rhétorique gestuelle d'époque et, c'est plus frustrant, la prononciation restituée du français – autant j'aime beaucoup la discipline qu'elle implique dans la pensée de la langue parlée (je ne rechigne pas moi-même, on vous le dira, à réciter Saint-Amant en public en prononciation Louis XIII), autant dans la musique chantée, où le compositeur a déjà contraint le galbe de la parole, elle ajoute surtout à l'inintelligibilité, et conduit les voix à décentrer leur placement. Alors qu'on dispose de jeunes artistes francophones qui pourraient nous proposer un français limpide, le résultat est généralement un peu grimaçant, sauf chez quelques rares spécialistes.

Mais cette représentation est aussi l'aboutissement d'un parcours de formation : les instrumentistes pourront être amenés à jouer sur des copies d'instruments assez différents de leur cui-cui traditionnel et les chanteurs n'échapperont pas, un jour ou l'autre, à une production en restitué.

Plus gratifiant pour le public, véritable travail sur les agréments et ornements chez les chanteurs, très abouti, avec de véritables diminutions très belles et cohérentes, des accents expressifs maîtrisés comme chez les meilleurs spécialistes, bravo.
[Ayako Yukawa (Vénus) osait ainsi un chant presque parlé, représentatif de ce qu'on peut lire des écrits du temps sur la façon des Français de ne pas vraiment chanter.]



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Vulcain exhorte les Cyclopes au Palais d'Amour.



10. Quelques chanteurs

Autre point très positif : aucun chanteur médiocre (on avait un peu souffert précédemment avec des voix diversement abouties, dont un ténor pas du tout en maîtrise qui tenait les rôles exposés de haute-contre dans du Campra…), tous (issus pour la plupart des classes d'Isabelle Poulenard et Howard Crook, je suppose) maîtrisent les principes du chant, et un certain nombre que je vais saluer en particulier peuvent même espérer une très belle carrière, au moins dans ce répertoire !

        ∆ Claire-Élie Tenet (Psyché) était annoncée souffrante, et en effet, elle devait s'accommoder d'une émission voilée qui n'irradiait pas comme dans la récente Messe en si mineur de Lioncourt ; je crois néanmoins que la voix a des qualités a faire valoir dans un répertoire plus lyrique – ductile avant d'être déclamatoire. J'ai hâte de la réentendre dans son état

    ∆ Apolline Ray-Westphal (Vertumne et l'Amour), très finement focalisée, claire, sonore, bien incarnée dans le détail des mots, un régal et une voix déjà prête pour la carrière dans ce répertoire.

    ∆ Aussi remarqué Anaelle Le Goff (Cidippe, la seconde sœur), superbe halo vocal dans une tessiture pourtant très basse pour un soprano. Reste à affermir la déclamation (mais la diction est saine, en réalité, et parvenir à maintenant la liberté des voies aussi bas, chapeau).

    ∆ Je n'aime pas beaucoup l'interminable plainte italienne ; d'autant plus impressionné par la densité (du timbre, de l'expression) de Marie Théoleyre qui magnétise cette scène.

    ∆ Chez les Messieurs, trois basses assez exceptionnelles : le noble Fleuve de Guillaume Vicaire, l'Affligé et la Furie d'Antoine Amariutel (voix de basse complètement timbrée, il est prêt techniquement, on va se l'arracher, ces voix sont rares), le Roi d'Eudes Peyre, très sûr, mais avec un aigu allégé et éclairci, qui lui permet de phraser avec plus d'expression, idéal ici, dans ce récitatif – plus beau moment de tout l'opéra.
        On était loin des natures généreuses et mal domestiquées des habituels étudiants basses. Et vu la disette de ce type de voix dans ce répertoire… je me souhaite de les revoir.

    Enfin, Maxim Jermann, ténor prometteur pour ce répertoire : l'aigu, quoique facile, se pare de belles résonances pharyngées façon Auvity… Les notes (dans une tessiture haute très difficile) sont sans tension ; un véritable caractère vocal se dégage, c'est précieux (et rarissime chez les ténors).

J'espère les réentendre souvent – c'est qui est arrivé à Eugénie Lefebvre et Hasnaa Bennani peu de temps après une superbe production du Pouvoir de l'Amour (opéra-ballet de Royer) du CRR – où je les avais aussi distinguées.

Ce spectacle sera redonné à la salle des fêtes de Saint-Prix (Val d'Oise) dimanche 21 janvier. LULLYstes, allez-y.

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Adieux de Psyché.



11. Le son

Conclusion : il nous manquait une version pleinement représentative de cette œuvre non sans pièges –  que nous pouvons considérer avoir désormais (en dépit du raccourcissement de l'acte V, d'où disparaissent Mars, Mome, Silène et les Satyres !).

[C'est mal, j'en conviens mais je me suis fait une copie à fins personnelles, hors de question de ne pas pouvoir réécouter ça !]


Comme je n'ai pas eu de réponse des concernés pour diffusion d'extraits (dommage, tout à leur gloire) et que je n'aurai pas le temps avant quelques jours de les retirer et remplacer si jamais c'est le drame, ce seront des extraits du disque CPO. Il faudra donc vous déplacer pour entendre leurs voix.

Et merci à P. L. et Érik sans qui, malgré ma veille minutieuse, ce moment immanquable aurait échappé !



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Chez La Fontaine, Psyché – plus futée – apaise Cerbère pour entrer aux Enfers, dont la mythologie fait finalement un véritable moulin (Orphée y part en balade, Pollux va y faire son marché, sans parler d'Alcide qui y passe son temps libre pour une raison ou une autre).



12. Sur Carnets sur sol

Je vous invite bien sûr à vous replonger dans les notules LULLY, en particulier celle qui récapitule les caractéristiques dramaturgiques, les moments forts musicaux et les versions discographiques de tous ses opéras.

Il existe aussi deux entrées consacrées à d'autres Psyché : inédit d'Ambroise Thomas et ballet de César Franck.

dimanche 14 janvier 2018

[fuites] Opéra de Paris 2018-2019, la saison officielle


Sur le (mirifique) forum Classik, on trouve la saison 2018-2019 de l'Opéra de Paris apparemment officielle et tirée des brochures (présentation au public à la fin du mois). Avec les distributions assez complètes, manifestement (que je ne recopie pas ici, je vous laisse aller regarder).

C'est apparemment tiré d'un autre site (d'un forum où je ne vais plus, je soupçonne), ces informations circulent vite, donc je ne vais pas recopier ce qui a déjà été formalisé ailleurs, juste les titres et quelques remarques.

► 17 titres.
► 1 opéra baroque (début XVIIIe), 2 opéras classiques (Mozart), 13 opéras romantiques, 2 opéras du XXe (dont Rusalka, créée en… 1901), 1 opéra du XXIe.
► 9 en italien (plus de la moitié !), 2 en allemand (grosse chute), 3 en français, 2 en russe, 1 en tchèque.
► 0 LULLY, 2 Mozart, 1 Rossini, 2 Donizetti, 4 Verdi, 1 Wagner, 0 Puccini, 0 R. Strauss

Considérant que les opéras relativement rares sont des reprises (Iolanta, Rusalka), que Lady Macbeth de Mtsensk a été donnée il y a une dizaine d'années (et finalement régulièrement à Paris, où Chung, Gergiev et Haenchen, au moins, l'ont dirigée depuis les années 90), sont surtout rares l'oratorio de Scarlatti, et Les Huguenots (et, par essence, la création de Jarrell).

L'Opéra de Paris n'a clairement pas décidé de jouer au pionnier, mais la plupart des titres sont à mon gré, et c'est tout de même un peu plus varié et aventureux que la saison en cours (certes, pour trouver moins aventureux, après, il fallait aller à Des Moines).

Les distributions sont globalement très belles, et les nouvelles productions données à des metteurs en scène en vue (même si Bieito, Guth, Warlikowski, Tcherniakov ont eu leurs mauvais soirs, notamment à l'Opéra de Paris). D'ailleurs toujours les mêmes metteurs en scène à la mode (Castellucci revient aussi, et on aura van Hove), aucune nouvelle production dans le genre tradi, le but est clairement de changer l'image de la maison.
[À mon humble avis, outre qu'il est dommage de ne pas laisser le choix au public, ces metteurs en scène font trop de productions par an pour avoir le temps de produire, après des débuts très prometteurs, un travail qui soit de la même qualité partout. Les premières production de Guth et Bieito étaient d'une autre force que celles d'aujourd'hui… Tcherniakov, c'est différent, c'est pile ou face.]

    → Pour ma part, la plupart de tout cela me tente. Et malgré la distribution en volapük héroïsant, les Huguenots sont dirigés par Michele Mariotti, capable d'exalter les contenus fins des accompagnements et de maintenir la tension, presque le plus important.
    → L'autre grande nouvelle, c'est la Bérénice de Jarrell (annoncée depuis longtemps, mais confirmée), l'un des rares compositeurs vivants capables d'écrire un véritable opéra cohérent dans un langage du XXIe siècle (son Galileo genevois avait été une splendeur, farci d'ensembles richardstraussiens dans un langage atonal-polarisé).

La liste :

A. Scarlatti – Il primo omicidio (« Le premier meurtre »)
Mozart – Don Giovanni
Mozart – Die Zauberflöte
Rossini – La Cenerentola
Donizetti – L'Elisir d'amore
Donizetti – Don Pasquale
Meyerbeer – Les Huguenots
Berlioz – Les Troyens
Verdi – La Traviata
Verdi – La Forza del destino
Verdi – Simone Boccanegra
Verdi – Otello
Wagner – Tristan und Isolde
Tchaïkovski – Iolanta
Dvořák – Rusalka
Chostakovitch – Lady Macbeth de Mtsensk (dans sa version révisée Katerina Ismaïlova, je crois)
Jarrell – Bérénice

La folie des réservations pour juillet 2019 dans les salles parisiennes va donc bientôt débuter…

mercredi 10 janvier 2018

Waltershausen : la difformité et la gloire – Le Colonel Chabert





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Grand récit rétrospectif de Chabert (Bo Skovhus, Deutsche Oper, Jacques Lacombe – chez CPO).



A. Baron de Waltershausen


On trouve assez peu d'informations sur le baron de Waltershausen, fils d'économiste, descendant de l'historien Sartorius – dont la trace persiste dans son nom complet : Hermann Wolfgang Sartorius, Freiherr von Waltershausen.

Un disque CPO a paru il y a un an et le même opéra est programmé à Bonn au début de juillet ; il mérite vraiment qu'on s'attarde sur son cas.

On ne dispose manifestement, à l'heure actuelle, que de cet Oberst Chabert, sur son propre livret comme tous les autres. C'est son deuxième opéra, achevé en 1910, créé en 1912, après Else Klapperzehen (une comédie de 1907), et avant Richardis (1914) et Die Rauhensteiner Hochzeit (1918), Die Gräfin von Tolosa (1936, créé en 1958).







B. Années d'exercice

Le parcours de Waltershausen est en apparence assez représentatif des compositeurs importants du temps : élève du (pas fabuleux) compositeur Ludwig Thuille, condisciple des emblématiques décadents Walter Braunfels, Ernest Bloch, Rudi Stephan

Pourtant, sa vie a une autre allure. Dans son enfance, pour échapper à une tumeur lymphatique cancéreuse (lymphome hodgkinien), il est amputé du bras droit et de la jambe droite. Il étudie pourtant le piano de la main gauche et devient un chef d'orchestre manifestement éminent. Son Colonel Chabert est d'ailleurs reçu avec enthousiasme et se trouve programmé à travers toute l'Europe après sa création à Francfort : Londres, Strasbourg, Bâle, Ljubljana, Vienne, Stockholm… Une centaine de représentations en 25 ans, ce qui, sans être vertigineux, témoigne d'un intérêt soutenu.

Professeur de composition à Munich (où il meurt en 1954) à l'Akademie der Tonkunst, il forme notamment le jeune Eugen Jochum. Il en devient le directeur en 1923, trois ans après son arrivée, mais est renvoyé par les nazis dès 1933 (suite à des moqueries envers Hitler dans les années 20, semble-t-il), et cesse largement de composer à partir de 1937.

[Mais qu'on se rassure, même si Zemlinsky, Schreker, Schulhoff et Waltershausen ont été réduits au silence, Carl Orff a pu continuer à étronner des bouses élaborer des chefs-d'œuvre.]







C. Le Colonel Chabert

Dans la présentation des opéras rares de langue allemande donnés cette saison, je le résumais de cette façon – que, quelques écoutes supplémentaires plus tard, je ne puis qu'approuver gravement :

→ Une merveille. Du postromantisme à la fois généreusement lyrique et très complexe ; très chantant et accompagné d'un orchestre très disert ; à la fois profusif et assez lumineux. Et tout à fait personnel : ce n'est ni du Strauss versant lyrique, ni du Schreker gentil, ni du Puccini germanisé… vraiment un équilibre que je n'ai pas entendu ailleurs, quelque part entre le commentaire orchestral wagnérien et une gestion beaucoup plus directe (italienne ?) de l'action, un lien plus évident entre mélodie vocale et déclamation.

Dans son livret, Waltershausen laisse aussi une place importante à la présence chez l'avoué Derville, et aux récits rétrospectifs (témoin l'extrait en début de notule). Chez Balzac, Hyacinthe Chabert, laissé pour mort à la bataille d'Eylau, revient chez lui pour découvrir que sa femme s'est remariée – et qu'elle n'a aucune intention de lui laisser reprendre une place dans sa vie. En revanche, chez Waltershausen, son épouse Rose (devenue Rosine dans l'opéra) est tourmentée entre deux amours différents, concurrents, incompatibles, personnage plus complexe que l'ancienne prostituée qui s'est dépêchée de se remarier après avoir hérité.



[[]]
Duo domestique entre Chabert et son épouse, Rosine Chapotel-Ferraud – Manuela Uhl.




D. Vidéo, disques et représentations

Deux disques.

► Une captation viennoise de 1956, dirigée par Charles Adler, avec Otto Wiener et Julius Patzak (en comte Ferraud, le second mari) – chez Melodram. Tous sont dans une belle forme vocale (Wiener n'a pas ce vibrato lent et blanc qui caractérise désagréablement ses Wagner des années 60).
Contre toute attente, le son d'orchestre est assez satisfaisant (un peu aplati, par endroit occulté par les voix, mais pas trop gris, et on entend assez honnêtement ce qui s'y passe) : les voix sont évidemment captées très en avant, et pourtant on entend des détails d'orchestration étonnants, des soli délicats.



► Mais CPO a publié la bande des représentations à la Deutsche Oper en 2010 (75 ans après la dernière représentation de l'œuvre dans cette institution !), dans un son moderne (quoique un brin lointain pour l'orchestre) et avec une équipe aguerrie, ce qui en fait sans doute la bonne porte d'entrée. Bo Skovhus d'une franchise, d'un mordant, d'une expressivité, d'une facilité confondants ; Manuel Uhl dans un bon jour (pas trop opaque ni hululante). Direction de Jacques Lacombe fluide, naturelle, évidente – comme toujours.


Cette série berlinoise devait à l'origine être mise en scène par le réalisateur Atom Egoyan, mais devant les faibles remplissages des précédentes séries de raretés, la Deutsche Oper a opté pour une mise en espace spartiate (chanteurs assis sur des chaises mais vidéo projetée, étrange), et pour deux représentations seulement.
À lire la presse de 2010, c'était assez bien rempli et un vif succès.

► Et, chose peu explicable… cela a été capté en vidéo, motivation initiale de cette notule. Une vidéo intégrale d'un opéra de Waltershausen, gratuitement mise en ligne alors qu'il ne s'agit que d'une petite mise en espace !  Certes, sans sous-titres, mais quand on connaît un peu la nouvelle-roman d'origine et qu'on a quelques mots d'allemand, ce doit être faisable. (Sinon, n'hésitez pas à engraisser CPO pour avoir le livret.)






Je ne crois pas qu'il existe actuellement autre chose de Waltershausen au disque, et en tout cas pas d'autre monographie, mais j'accueille tout démenti, toute piste avec euphorie – en attendant, peut-être, de vous croiser pour aller crier notre joie en juillet à Bonn.

mardi 9 janvier 2018

2017-2018 [n°41] – Guy de LIONCOURT : Schola Cantorum, Messe en si mineur et Belle au bois dormant


Mercredi 20 décembre, au Temple du Luxembourg pour La Belle au bois dormant de Guy de Lioncourt, figure de proue de la Schola Cantorum (et de sa scission après la violation du testament de d'Indy). Après le succès de Brocéliande d'André Bloch (issu du Conservatoire, lui) sur le même thème, très curieux de poursuivre l'aventure !


Je retrouve Florent Zigliani (entendu pendant ses études au CNSM de Paris), et puis Sébastien Obrecht (qui avait remarquablement sauvé au pied levé la Création de Haydn en version française), l'immortelle Guillemette Laurens (déjà dans Nausicaa de Hahn : http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2015/03/15/2649-reynaldo-hahn-nausicaa-1919-une-synthese-francaise), et Martin Robidoux à la préparation du chœur (largement issu des élèves de Laurens) !


Le Temple est très rempli, ça bruisse de conversations des héritiers des différentes branches Lioncourt, qui se reconnaissent en comparant leur généalogie !  Très amusant (et bon enfant, tout le monde semble ému de cette résurrection – il n'existe vraiment rien de disponible de Lioncourt).

Ambiance chaleureuse d'une réunion de famille, donc, et expérience très étonnante d'une musique qui sembe presque nue, et dans laquelle passent pourtant, presque sans se montrer, les sophistications de Franck, Fauré, Debussy (Pelléas de façon évidente, j'y reviendrai).

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La Messe en si mineur a cappella qui ouvre le concert est même très séduisante, du contrepoint rigoureux qui ose soudain les emprunts harmoniques les plus osés ; à la fois très archaïsant et méchamment chromatique. I love you


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La Belle au bois dormant est aussi un objet étrange. Tout paraît simple et « sans façon », dans une veine limpide. Les récitatifs sont d'ailleurs peu mélodiques (étranges intervalles, peu naturels, sans être pour autant expressifs), un peu secs, les accompagnements un brin rectilignes.

Pourtant, en y regardant de plus près, c'est le syndrome Dubois : une véritable sophistication qui ne se montre pas, qui n'est utilisée que pour soutenir des besoins ponctuels, jamais pour se montrer elle-même.

On y rencontre ainsi : de jolies consonances qui se fauréisent, des aplats diaphanes comme les Koechlin de la veine lumineuse, des tournures archaïsantes charmantes à l'entrée du Roi (comme on en trouve dans Henry VIII de Saint-Saëns, la Suite dans le goût ancien de d'Indy, les Danses de cour de Pierné, Le Bal de Béatrice d'Este de Hahn, ou les « Noces de Joyeuse » dans la partie versaillaise du Rossignol éperdu de Hahn), mais aussi les liquidités harmoniquement hardies de la Villa d'Este, des fonds palpitants hésitants alla Cras (Fontaines, chœurs de Polyphème), de grands accords très modulants au début du II… et beaucoup de Debussy.

Quels Debussy ?
∆ l'éveil de la Belle sur des enchaînements en quintes parallèles ;
∆ couleurs de la Flûte de Pan des Bilitis pour la rencontre Aurore-Carabosse ;
∆ leitmotiv de Carabosse ou de la mort : les appels de cor de Golaud qu'on entend dès le début de Pelléas (et sa basse isolée qui traîne beaucoup dans les interludes) ;
∆ lorsque le Prince paraît, il jette « Holà ! Ho ! », sensiblement sur les mêmes notes que Pelléas arrivant au balcon (III,1). Puis « Je suis perdu dans cette forêt », qui à ce stade ne peut plus être une coïncidence !

La grande réserve, c'est le livret, qui affadit Perrault (langue et traits) sans rien apporter de nouveau : André Bloch en faisait tout autre chose ! (grenouilles grecques, Georges Thill en crapaud amoureux, abattage de Carabosse très humanisée…)

Néanmoins, de très beaux moments dans les chœurs, copmme le celui de malédiction, puis la déploration a cappella, discrètement chargée harmoniquement, la fin en cluster pour le chœur du vent dans la forêt, et jusqu'à la fin, un accord parfait dont la disposition est plutôt inhabituelle.

Et l'ivresse sans prix de redécouvrir ce qui se produisait chez les héritiers de d'Indy, au début du XXe siècle, chez des figures totalement oubliées de la postérité. La Compagnie de L'Oiseleur fournit cela à chaque fois.

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Il est savoureux de voir Tosca Rousseau venir jouer la Princesse avec sa tiare. Belle révélation, une voix équilibrée et manifestement déjà épanouie (à vingt-deux ans), élève de Guillemette Laurens, comme par ailleurs la plupart des membres du petit chœur ad hoc.

Autre gros, très gros coup de cœur, Claire-Élie Tenet (ancienne élève de Jean-Philippe Courtis), glorieuse : rondeur, souplesse, projection, égalité, dicton, impact, d'une justesse rare pour un instrument aussi généreux et jeune, elle maîtrise tout, avec un certain charisme vocal de surcroît.



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N.B. : Je ne reporte ici que les concerts les plus significatifs (ceux aux répertoire renouvelé, ou sur lesquels je voulais faire telle ou telle remarque plus générale). Mais je m'efforce de commenter rapidement tous ceux auxquels j'assiste, à peu près en temps réel sur le compte Twitter de CSS (http://twitter.com/carnetsol/) et, quand c'est possible, sur la partie « Concerts » du forum Classik (http://classik.forumactif.com/f7-concerts),un lieu très agréable que je recommande.

2017-2018 [n°31] – L'Inde, « Ode Symphonie » (1872) de Wekerlin / Weckerlin


Ressuscité par la Compagnie de L'Oiseleur, dont la vidéo est désormais en ligne.

Musique peu complexe, mais de jolies atmosphères dans le goût des cartes postales coloniales de la musique française d'alors :



tels les appels de cor de la fin du mélodrame introductif (L'Oiseleur déclame extraordinairement), la Prière du Brahme (Ratianarinaivo capiteux !) soutenue et ponctuée par le chœur, les scènes opératiques récitatives surtout, très réussies sur leurs fonds couleur locale.

L'ensemble repose sur un assemblage de poèmes disparates : Hugo (La Captive), Lisle, Méry (le co-librettiste de Don Carlos, étonnamment les plus jolis poèmes de la sélection), Dovalle, Lottin de Laval, avec des scènes d'action ajoutées, créant une vague trame dramatique :

f

c'est un peu La Fuite de Gautier (inversée, la demoiselle a plus traditionnellement peur ici), traversant tous les passages obligés de la couleur locale. Mélodrames avec musique surtout alternée, mais les poèmes de Méry sont beaux (et bien dits) !

La Glorification de Brahma en guise de dénouement est très étrange, tout à coup Weckerlin se souvient de ce qu'il est l'immortel auteur de La Laitière de Trianon… et ponctue ses Brahma-Brahma, martelés comme l'unique mot d'un bréviaire de saint Ketèlbey, de gammes diatoniques très peu orientales, ressemblant plutôt aux Saint-Saëns ou Hahn qui imitent la Renaissance ! Quelle mouche l'a piqué ?

(En tout cas, jolie fresque à découvrir !)

En première partie, une poignée de mélodies rarissimes. Le Pierné est un ostinato rythmique *et* harmonique, une seul accord pour soutenir le plus mauvais Silvestre que j'aie entendu. À l'inverse, le Chant Hindou de Bemberg est une merveille, toujours élusif et modulant !



Il y aura d'autres Bemberg ce dimanche dans le bouquet alsacien de la Compagnie au musée Henner ! (Je serai hélas en train de répondre à l'appel souverain de LULLY – car tout doit céder dans l'Univers à l'auguſte Heros que j'ayme.)

Et comme toujours, quel entrain chez les artistes (plusieurs issus de récentes fournées du CNSM), quel engagement pour servir des pièces qui ne serviront pas leur carrière (ni leur bourse), juste la Musique ! cheers




mercredi 3 janvier 2018

Concerts franciliens : les prismes de janvier


La sélection du mois. La dernière fois ayant été particulièrement chronophage, je vous lance le planning PDF où vous pourrez retrouver les dates, les lieux, et quantité de petits concerts (ou au contraire de concerts très en vue) dont je ne parle pas ci-dessous.

N'hésitez pas à réclamer plus ample information si les abréviations (c'est tiré de mon planning personnel, destiné au maximum de compacité) ou les détails vous manquent.
(Les horaires indiqués le sont parfois par défaut par la logiciel, vérifiez toujours !)



J'attire en particulier votre attention sur quelques perles.

(En rouge, les œuvres rarement données – et intéressantes !)
(En bleu, les interprètes à qui je ferais confiance, indépendamment du seul programme.)


A. Musique symphonique

La Deuxième Symphonie de George Onslow par le Philharmonique de Radio-France qui propose tout un cycle fin XVIIIe à milieu XIXe avec des compositeurs importants mais très peu proposés dans les salles : Devienne, Farrenc…
Cette symphonie n'atteint pas l'aboutissement de la Quatrième (dommage de ne pas avoir choisi celle-là, vraiment la meilleure du corpus), mais elle est belle est bien faite, dans la veine de ce premier romantisme qu'illustre bien Onslow.
(Il y aura aussi Leonskaja dans le Quatrième Concerto de Beethoven, mais ça, c'est juste un agréable bonus.)

♦ La Troisième Symphonie de Louise Farrenc par le Philharmonique de Radio-France. Farrenc n'est pas une compositrice majeure à mon sens, mais en tant que rare figure féminine à avoir gagné le respect de ses pairs de son temps (sans être la sœur ou l'épouse d'un compositeur important, ni la protégée directe de gens influents, comme Louise Bertin), elle occupe une place à part.
La Troisième Symphonie n'est pas un chef-d'œuvre, mais elle remplit agréablement son office. Bizarrerie, alors qu'on ne donne généralement que les œuvres de chambre de Farrenc, et de loin en loin, elle est également programmée à la Seine Musicale, quelques semainesplus tard !

♦ La Deuxième Symphonie de Bruckner (la meilleure avec la Nullte, j'ose dire ce que tout le monde vous cache) par Dausgaard. Depuis l'ère de ses danois rares (intégrales Langgaard ♥ et Hamerik ♥♥ !), sa personnalité peu anguleuse s'est abreuvée aux sources baroqueuses, et ses derniers disques avec la Chambre de Suède sont tout de même ébouriffants, presque trop secs et rapides pour moi (des Schumann, une Bruckner 2, un Tchaïkovski 6 vraiment extrêmes) – mais ses Beethoven et Schubert sont tout simplement ce qui se fait de mieux (assez proche de l'esprit Venzago, d'ailleurs). Très curieux d'entendre, avec l'Orchestre de Chambre de Paris, qui ira dans le même sens, sonner cette vision pour petit orchestre et dans une acoustique sèche d'un Bruckner aux phrasés brefs, pas du tout fondé sur la résonance. Ce devrait être déroutant mais très sympathique.

♦ La Symphonie d'instruments à vent de Gounod, par le Philharmonique de Radio-France. Aisément trouvable au disque, mais là encore, pas l'impression qu'on la programme si souvent en salle.

♦ La Symphonie Roma de Bizet, sa seconde symphonie en ut, très peu jouée et enregistrée contrairement à l'autre, est donnée par l'enthousiaste ONDIF à la Cité de la Musique (couplage avec grands Debussy souvent enregistrés mais rarement programmes au concert : Printemps et La Damoiselle Élue), direction Ceccherini. Cette symphonie est un véritable bijou, qui irradie de lumière comme l'autre, sous des atmosphères très variées.

♦ Un programme à la Cité de la Musique incluant la suite de Pelléas de Debussy par Marius Constant : autant la version Leinsdorf, usuellement donnée, n'est qu'un sinistre collage des préludes et interludes, autant la version Constant inclut de la musique des scènes chantées et réussi de superbes ponts – le final est celui de l'acte IV, une merveille.

Rachmaninov, Symphonie n°2 (par l'ONF). Je trouve l'œuvre mal fichue, avec une matière qui pourrait être celle d'un trio avec piano, au maximum, mais qui s'épaissit inutilement dans une grosse structure orchestrale assez visqueuse, sans que la veine mélodique ou les surprises ne soient présentes pour animer le discours. Mais ce n'est pas souvent donné (deux fois cette saison, alors il ne faudra pas vous plaindre si vous ne la revoyez jamais !), et j'en connais qui l'estiment beaucoup.

Rachmaninov, Les Cloches. Une œuvre vocale et chorale tout à fait spectaculaire, dans une veine épique très proche de son Prologue de Francesca da Rimini (si vous n'avez pas essayer, on pourrait parler de démesure hugolienne dans un langage sonore tout à fait russe). Assez irrésistible. [Et ce sera avec le meilleur chœur symphonique du monde, le Chœur de l'Orchestre de Paris, avec Lungu, Popov, Vinogradov, Noseda !]
Couplage avec une rareté : des portions symphoniques de La Donna serpente de Casella… (Certes, je trouve cet opéra très mauvais – caricature d'écriture italienne fade malgré ses parentés avec Moussorgski et Prokofiev… –, mais ça change.)

Chant funèbre de Stravinski : courte œuvre de jeunesse, pas du tout révolutionnaire mais bien faite et séduisante, qui vient d'être retrouvée – et donnée partout en ce moment par Chailly (y compris en disque avec Lucerne). En venant à Paris (concert du Philharmonique de sa Scala), il l'emporte dans ses bagages (avec Tchaïkovski n°2 et Petrouchka).

♦ Classe de direction A&B (les débutants) du CNSM. J'aurai le programme en début de semaine prochaine.



B. Musique sacrée

Œuvres polychorales du XVIIe italien à la Seine Musicale (Daucé) ; malgré l'acoustique, est très tentant – Benevoli spécialiste de la messe « spatialisée », Merula trop peu joué, et c'est un autre Cavalli que Francesco…

Requiem de Cherubini – le grand en ut mineur, avec solistes, a priori, même si le programme n'annonce pour l'instant qu'un ténor, comme dans le second, plus intime, en ré mineur, avec chœur d'hommes. Une petite merveille, prosodie comme mélodie, un des plus beaux Requiem jamais écrits à mon sens. Accentus & García-Alarcón, ce devrait être très, très bien.

Le Christ au Mont des Oliviers de Beethoven. Un Beethoven très contemplatif et inhabituel, tendre comme un Schubert. Néanmoins une merveille, une de ses grandes œuvres, et aussi l'une de ses moins jouée. Avec Santoni, Behle, Bou, Rhorer et la Vocalakademie Berlin !



C. Musique de chambre

Œuvres pour serpent et clavecin (avec notamment du Louis Couperin…) avec Marie van Rhijn, à Saint-Louis, c'est gratuit.

♦ La version pour quatuor à cordes du Requiem de Mozart, par le Quatuor Debussy – qui l'a enregistrée (un arrangement du début du XIXe siècle), et manifestement popularisée, on en trouve beaucoup de versions à divers degrés de professionnalisme sur YouTube !  Et, comme les arrangements de Don Giovanni pour Quatuor et d'une manière générale des Da Ponte pour vents, cela fonctionne tout aussi bien que les originaux.

Pièces pour piano de Chabrier, Chausson et Debussy (rare attelage !) par Ismaël Margain.

♦ Le Quinzième Quatuor de Chostakovitch par les Borodine, même si l'effectif et l'identité ont changé depuis leur première gravure, une rencontre particulièrement émouvante – et une œuvre exigeante, assez peu donnée en fin de compte malgré sa popularité chez les mélomanes (du moins ceux qui aiment les trucs crapoteux désespérants dans le genre Wozzeck-Mtsensk-Soldaten, bien sûr).

♦ Hommage au bebop de la classe de jazz du CNSM.

♦ Œuvres pour piano américaines : Gottschalk, Gershwin, Ives, Barber, Carter, Bolcom !  (Et trois Beethoven pour compléter bien sûr, dont « Mondschein » et « Waldstein ».)  Inhabituellement hardi pour la salle Gaveau.

♦ Œuvres pour orgue de Messiaen, Ligeti, Florentz et Guillou, par Loriane Llorca (du CNSM) : une soirée qui promet d'être spectaculaire !

♦ Musique contemporaine (avec notamment Grisey et les 12 Notations de Boulez) par l'Orchestre du Conservatoire et celui de la Hochschule Eisler de Berlin. Goethe-Institut.

♦ La biennale de quatuor à cordes dans les deux salles de la Cité de la Musique donne l'occasion d'entendre quelques-unes des plus belles formations : l'audace des Voce, la science des Danel, la maturité des Ébène, le nouveau visage très musicologiquement habité des Belcea, la belle personnalité des jeunes du Quatuor Arod (déjà signalé par ici, et qui en l'espace de deux ans est passé du CNSM aux fondations prestigieuses, pour à présent signer chez Néo-Erato – c'est-à-dire EMI-Warner ! –, avec un Mendelssohn assez original et complètement enthousiasmant), et celui que je recommanderais de découvrir en priorité, les Brentano, quatuor américain qui ne se produit que peu sur notre continent, et qui a produit les derniers Beethoven les plus saisissants que je connaisse… d'une épure, d'une intensité incroyables.
    Et puis quantité d'autres grands noms historiques (Arditti, Borodine) ou très en vue (Artemis, Debussy, Hagen, Asasello, Casals, Diotima, Modigliani, van Kuijk…). Programme moins cohérent et original que d'autres années (on eut une intégrale Vainberg la dernière fois, tout de même !), mais avec des interprètes de ce niveau on aura de quoi se faire plaisir.



D. Lieder & mélodies

♦ Airs de Hume / Jones / Purcell par Anaïs Bertrand (du CNSM, déjà une belle carrière en cours) et Nicolas Brooymans (la basse, formidable, de l'Ensemble Correspondances), accompagnés par Thibaut Roussel (un des meilleurs théorbistes du marché) et Robin Pharo (que j'aime moins, mais il faut dire que lorsque je l'ai vu, il se débattait avec une viole qui ne tenait pas l'accord !).

Liederspiele de Schumann : des cycles de lieder à quatre chanteurs, chantant séparément ou ensemble, avec une logique d'ensemble quoique sans intrigue à proprement parler (même s'il semble y avoir des personnages), et qui incluent quelques-unes des plus belles pages de Schumann (l'entrée du ténor dans « In der Nacht », les ensembles à quatre…). Par une compagnie issue de grands élèves du CNSM fraîchement sortis ou en cours de masterisation (Marianne Croux, Fiona McGown, Mathys Lagier, Edwin Fardini) – pas mes chouchous pour cette musique, mais de solides techniciens pour ces pièces rares. (J'y vais à chaque fois, et en neuf ans de concerts parisiens, je ne l'ai vu programmé que deux fois, et encore, une seule fois les trois liederspiele…)

♦ Lieder & mélodies de Wolf, Albéniz, Mompou, Dussaut par Adriana González (issue de l'Atelier Lyrique de l'Opéra) à Herblay.

Roth reprogramme les stupéfiants Haï-kaï de Delage, cette fois avec Piau (après Devieilhe en décembre !), couplé à des mélodies russes et japonaises de Stravinski, notamment. (Mais c'est un peu cher, le tarif unique au Musée d'Orsay.)

Classe d'accompagnement vocal d'Anne Le Bozec… toujours des programmes passionnants (et des artistes phénoménaux, comme Célia Oneto-Bensaïd, déjà une grande), très originaux. Je disposerai du programme en début de semaine prochaine, mais je ne saurais trop vous conseiller de réserver votre soirée.



E. Conférences

Influence de Chopin sur les compositeurs russes et français pour piano. Un pianiste du CNSM jouera en contrepoint Chopin, Liadov, Debussy, Szymanowski – vous avez dit russe ?  ne quittez pas,… – , Messiaen. (Odéon de Tremblay, gratuit.)

Le modèle et l'invention : Olivier Messiaen et la technique de l'emprunt (présentation du livre de Thomas Lacôte et Yves Balmer), médiathèque du CNSM.

Masterclasses de Christie, Coin, Ébène, Berrod… au CNSM (souvent en journée, mais quelques cours publics du soir).



F. Théâtre

♦ Outre la Tempête par Carsen chez les Français, quantité de patrimoine à parcourir, dont une soirée Büchner/Lenz rare : Les Bacchantes (dans deux mises en scène, à la Cartoucherie et à Colombes), Les Soldats (Malakoff), Une maison de poupée (Châtillon, Vélizy), Lulu (Malakoff) !  Pas encore fait mon choix, mais il y a des offres vraiment intéressantes sur Billetreduc (10€ au lieu de 27 pour Büchner/Lenz…).



G. Glotte

♦ Demi-finale et finale du concours Voix Nouvelles à l'Opéra de Massy. Considération la bonne médiatisation du concours et les prix habituels de l'Opéra (peu subventionné, avec des prix exorbitants plus proches des coûts réels), je ne suis pas sûr que ce soit accessible, mais pour entendre des glottes assez vastes dans de grands airs du répertoire, c'est le moment.
Le concours est plutôt orienté vers la promotion de solistes déjà installés, à la vérité, mais qui leur donne l'impulsion nécessaire pour passer dans les grands circuits – Karine Deshayes (qui faisait déjà le Marmiton de Rusalka à Bastille, tout de même…) est un peu leur étendard, elle est devenue une quasi-vedette après sa Cenerentola en finale (à une époque où le bruit courait que seule Bartoli pouvait chanter cela).
Je crois que les étapes régionales sont visibles en ligne en vidéo, je n'ai pas encore eu le temps (ou le courage : toujours les mêmes airs, et pour voir triompher les esthétiques que je n'aime pas…) de m'en occuper. Le monde devra survivre quelque temps encore avant que je donne mon avis.



Bonne chasse à vous ! 

(tout retour bienvenu, évidemment)

David Le Marrec

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