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dimanche 28 avril 2024

Un an et demi de déchiffrages d'inédits – IV – Opéras en autres langues, sacré, symphonique, mélodies françaises…


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Marguerite Canal pour son Premier Grand Prix de Rome en 1920, où elle termine devant Jacques de La Presle (et Robert Dussaut) – après avoir fini, l'année précédente, troisième derrière Marc Delmas et Jacques Ibert.

Pour les implications techniques (pianistiques) de l'entreprise, voyez la première notule de la série.

Pour le point sur les dernières découvertes côté opéras en français, voyez la deuxième notule de la série.

Et pour les opéras en allemand, voyez la troisième !



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(Choix parmi quelques œuvres disponibles des compositeurs dont les inédits sont présentés ci-dessous.)



3. Opéra slaves orientaux

Afin d'illustrer la série ukrainienne (pas du tout abandonnée, mais je me suis perdu dans l'immense legs d'Anton Rubinstein à découvrir, lire et enregistrer – alors qu'il n'est déjà ukrainien que par extrapolations), j'ai bien sûr joué Lysenko (mais Taras Boulba existe déjà au disque dans une très belle version) et Semen Hulak-ArtemovskyiLes Zaporogues au delà du Danube. L'œuvre existe en intégralité en ligne, via des captations de représentations (non sous-titrées) sur YouTube, mais pas en disque, je le fais donc entrer dans cette catégorie d'inédits, et vous renvoie vers les notules et le podcast, qui en parlent en détail.

Ma fanitude pour Prosper Mérimée m'a aussi dirigé vers Mateo Falcone de César Cui, mais j'ai été assez rebuté par la platitude de ses débuts, avec en outre des figures d'accompagnement régulières qui sont un peu frustrantes à jouer lors d'un déchiffrage piano – tout en empêchant l'intégration raisonnable des lignes de chant à la réduction de la partie d'orchestre. Pas convaincu (tout comme par le peu dont on dispose de lui), mais il faudrait vraiment lire l'œuvre entièrement pour en juger.



4. Opéras en traduction française

Bien sûr, j'ai aussi lu ou relu quantité d'opéras en traduction française, dont il serait fastidieux de faire complètement état. Du Verdi (Violetta, Le Trouvère…), du Wagner (Le Vaisseau fantôme, Tannhäuser et Lohengrin de Nuitter, Tristan et Ring de Wilder, Ring et Maîtres chanteurs d'Ernst, trois Parsifal (dont celui de Gunsbourg), du Boito (Mefistofele), du Puccini (La Bohème, Tosca, Madame Butterfly), du Kienzl (Le Prêcheur de Saint-Othmar, c'est-à-dire la version française de Der Evangelimann)…

Pour l'essentiel de très belles traductions, très opérantes, qui valent bien, en réalité, les originaux, et qu'on pourrait parfaitement représenter ainsi pour rapprocher l'émotion dramatique du public. (Oui, cela suppose de ne pas embaucher de stars internationales, il faudra donc peut-être attendre la fin du pétrolocène pour que cela advienne…)



5. Sacré

Essentiellement les Leçons de Ténèbres de Pierre Lochon, un joli bijou lu sur un manuscrit très fautif (énormément de mesures avec trop de temps, de mélodies et basses qui ne concordent pas), un maître de province très mal connu, dans un style qui correspond tout à fait à l'esthétique Couperin. (Je crois même qu'on n'a rien, au disque ou en bande pirate, de lui, sur aucun support.)

Des cantiques orthodoxes de Berezovsky, Bortniansky et Vedel (ils ont cela dit probablement été enregistrés !) pour illustrer la série ukrainienne.



6. Autres œuvres avec orchestre

Deuxième des trois précurseurs de la musique ukrainienne (et russe, à la fois), Dmytro Bortniansky (1751-1825) a non seulement écrit des opéras en italien en Italie, mais aussi de la musique instrumentale de grande qualité, comme ce Concerto pour clavecin (inédit à ma connaissance, mais tous les disques ne sont pas aisément accessibles, il est très possible qu'il existe quelque part !) qui m'a paru tout à fait inspiré – et digne de ses meilleurs contemporains, comme le très poétique concerto de Dittersdorf. J'en parle plus longuement dans la série ukrainienne, où vous trouverez l'enregistrement de mon déchiffrage.

Le chef d'orchestre pionnier des interprétations de Mahler, Oskar Fried (1871-1941), était aussi un grand compositeur (sa Nuit transfigurée pour deux voix et orchestre en témoigne). Je parlerai de ses lieder plus loin, cette fois-ci, c'était un lied orchestral ou une sorte de cantate, Das Trunk'ne Lied (Op.11), que j'ai trouvé à la vérité assez sage, en deçà de la belle inspiration de son catalogue peu fourni mais de haute qualité (je reparle plus loin de ses lieder).

De même pour le ballet de Paul von Klenau (1883-1946), pas du tout aussi fascinant que ses opéras dont j'ai dit le plus grand bien dans le volet précédent.

Beaucoup de chefs compositeurs proposent des œuvres très inspirées – outre R. Strauss et Mahler : Posa, Weingartner, Klemperer, Andreae, Doráti, qui gagnaient leur vie en dirigeant, furent des compositeurs de tout premier plan (déso Furtwängler, t'as clairement pas fait la maille pour la short list). J'avais donc bel espoir pour Louis Fourestier (1892-1976, à qui l'on doit l'un des meilleurs Samson & Dalila au disque), avec son Chant des Guerriers, qui s'est révélé à la lecture plus chargé d'intentions héroïques que de belles idées musicales. Peut-être cela est-il compensé par une très belle orchestration : je n'ai pu lire qu'une réduction pour piano, qui donne comme l'impression de trous dans le spectre.

Enfin cet objet hors norme qu'on croyait connaître, du fantaisiste Pierre-Octave Ferroud (1900-1936), Chirurgie, qui existe déjà au disque en version orchestrale… mais voilà que j'ai mis la main sur une version avec deux chanteurs !  Très étrange à tout point de vue (harmonie incompréhensible pour moi, prosodie qui paraît arbitraire, progression difficile à suivre). Pas vraiment séduisant, mais tout à fait unique. Et rien à voir en lecture piano avec la version orchestrale, beaucoup plus confortable à l'écoute, les bizarreries harmoniques omniprésentes sont, comme souvent, gommées par la mise en timbres.



7. Mélodies françaises

Le français étant évidemment la langue la plus accessible en déchiffrage – on n'a déjà pas le temps de lire tout le texte, alors le traduire mentalement en plus constitue toujours une acrobatie supplémentaire, ou demande davantage de temps de préparation. Or, en général, je découvre vraiment la partition en la posant sur le piano.

En remontant le fil des chansons de Pierre-Jean de Béranger (né en 1780), j'ai pu retrouver certains auteurs de ses meilleurs timbres (autrement dit, les mélodies préexistantes sur lesquelles il posait ses mélodies, procédé très ancien, très usité dans le théâtre des Foires de Paris au début du XVIIIe siècle), parmi lesquels Joseph-Denis Doche (né en 1766). La mélodie de Te souviens-tu ?, elle vient de lui.
Te souviens-tu, disait un capitaine
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine
Tu détournas un sabre de mon sein ?

Je croyais déchiffrer l'étonnant Colloque sentimental (sur le poème de Verlaine) du beaucoup moins étonnant Charles Bordes (né en 1863), vraiment l'une de ses meilleures compositions à ma connaissance, mais il en existe en réalité quantité d'enregistrements. Passons.

René-Emmanuel Baton, dit Rhené-Baton (né en 1879), n'est qu'épisodiquement documenté par le disque. Son recueil de mélodies Hindoustiana cumule, dans un goût qui n'est pas toujours excellent, rêverie exotique et imagerie coloniale, mais je reste séduit par les couleurs qu'il ose… son outrance même me réjouit, au fond. Il ose sans retenue les mélismes qu'on entend de lui, sur une harmonie qui n'est pas banale, on le lit avec plaisir – sans être tout à fait sûr qu'on oserait le représenter.

Marguerite Canal (née en 1890), grâce à l'implication de pionnières comme Héloïse Luzzati (avec son festival Un Temps pour Elles et son label La Boîte à Pépites), a désormais largement irrigué les programmes parisiens, et l'on retrouve régulièrement sa sonate violon-piano (qui le mérite) en concert – notamment défendue dans plusieurs salles ces dernières années par Renaud Capuçon (dont je n'aime pas beaucoup l'approche nébuleuse ici, mais dont je révère absolument la démarche de mettre sa notoriété au service de répertoires moins courus !).
Pour autant, il reste énormément d'inédits. J'ai ouï dire qu'un ou deux disques de ses mélodies étaient en préparation, et elles le méritent bien ! 
Son cycle Baudelaire recèle quelques pièces d'une grande inspiration, une approche originale qui met réellement en valeur la singularité des poèmes. Sa Flûte de jade recèle des pièces d'une grâce merveilleuse, comme ses Trois Princesses, mélodie strophique qui mute insensiblement à chaque reprise pour épouser le passage du temps, avec un accompagnement de piano tintinnabulant tout à fait saisissant. Enfin, le plus audacieux des trois, sa mise en musique du Cantique des Cantiques, là encore dans un langage différent, qui épouse une rêverie autour de modes hébraïques imaginaires, véritable recherche musicale pour servir au plus près l'esprit d'un texte.
Tout cela est particulièrement marquant, j'attends avec gourmandise les propositions discographiques des professionnels !

Louis Beydts (né en 1895) est surtout connu (et livresquement seulement, une seule fut gravée et publiée très discrètement) pour ses opérettes. Depuis plus de dix ans, je joue de temps à autre ses Sept Romances D'Ombre et de soleil… qui bénéficient depuis quelques semaines d'un excellent enregistrement Dubois-Raës, des mélodies vraiment ambitieuses et travaillées, petits bijoux de poésie sonore sur des poèmes désuets mais sans aucune platitude.



Pour la prochaine livraison, lieder, songs, mélodies slaves, musique de chambre, piano et clavecin solos, et quelques tubes en réduction piano !

Plus tard, j'envisage d'organiser des séries de notules avec les illustrations sonores autour de certains thèmes regroupant plusieurs de ces œuvres, pour les donner à entendre, par fragments, avec une mise en contexte qui permette d'en comprendre un peu les enjeux (et en annexe la bande intégrale du déchiffrage, pour les plus forcenés).
Parmi les thèmes auxquels je pense : représentations de la défaite et des crimes de guerre dans les opéras français post-1870 (Holmès, Gunsbourg, Fourdrain), subversion non-wagnériennes de la tonalité dans les opéras germaniques du début du XXe (Klenau, Oberleithner), naturalisme à l'opéra (Bruneau, Dubois, Dupont, Fourdrain, Lazzari)…

À très bientôt, estimés lecteurs – si le trou noir de la moralité humaine ne nous a pas tous dévorés dans l'intervalle.

jeudi 7 décembre 2023

Rita STROHL – Baudelaire & Bilitis


Nouveauté très attendue, les mélodies de Rita Strohl dans des interprétations luxueuses (Dreisig, Degout). En réécoutant ses Bilitis (où l'on retrouve « La flûte de Pan » et « La Chevelure », déjà utilisés par Debussy), je suis frappé par le dialogue très étroit de la musique avec le texte : on y entend les gestes, les émotions, quelque chose de très graphique dans le rapport aux sentiments, la musique réagit aux interactions évoquées par Louÿs. J'en trouve le résultat particulièrement réussi – et la musique en est riche et dense. Un des très grands cycles de mélodie française, de mon point de vue.

Les Baudelaire par Degout sont également très évocateurs et impressionnants, très sensibles à la prosodie et aux textures convoquées par les textes – très bien dits aussi, d'une noirceur tout à fait congruente.

samedi 20 janvier 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #5 : en anglais




opera house
L'opéra de Debrecen et l'étrange géométrie de son plafond.
On y donne Acis and Galatea de Haendel.




Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français.

À venir : polonais, slaves occidentaux (tchèques, slovaques) & méridionaux (slovène, croate), celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



opera house
La salle du Pinchgut Opera a un plan en « boîte à chaussures » inhabituel pour une salle prévue pour le scénique, surtout avec ses sièges latéraux orientés à 90°.
Pinchgut est une île qui fait face à Sydney, presque entièrement occupée par son Fort Denison, à l'image d'If à Marseille. La compagnie qui a pris son nom se situe dans la ville, bien sûr, et est spécialisée dans l'exécution d'opéras du XVIIe et XVIIIe siècle sur opéra d'époque, de très bon niveau ainsi qu'en témoignent quelques disques.

On y donne Athalia de Haendel.



Opéras baroques

Pas d'Arne, rien que du Haendel, désolé – mais quelqu'un doit bien faire Blow quelque part, au moins une version de concert dans une petite salle.

Haendel, Acis and Galatea (Debrecen)
Haendel, Athalia (Pinchgut de Sydney)
Haendel, Saul (Mainz, an der Wien)
Haendel, Apollo e Dafne (Graz)
→ Trois « oratorios » (en réalité des opéras en anglais, même pas toujours sur sujet religieux) et une cantate, Apollo e Dafne – il a aussi existé une Daphne, son quatrième opéra et le dernier de sa période hambourgeoise, mais la musique en est perdue.
Acis contient des airs assez marquants et hors de l'ordinaire (les graves profonds de Polyphème ont leur célébrité chez les basses), tandis que Saul est beaucoup plus varié et mobile qu'un seriastandard,mais je trouve, étrangement, que cela ne se ressent quasiment que dans l'antique studio Harnoncourt, là où les plus informés, fût-ce Jacobs, ne parviennent pas tout à fait à rendre cette force du verbe biblique et cette atmosphère très singulière. Je ne puis donc préjuger du rendu en salle.

opera house
La salle de l'Opéra d'Edmonton, en Alberta.
On y donne HMS Pinafore de Sullivan.




Opéras romantiques

Là aussi, on aurait pu espérer les bijoux (mélanges de belcanto, de fantastique weberien et de numéros assouplis à la française…) comme Robin Hood de Macfarren, Satanella de Balfe ou Lurline (Loreleï…) de Wallace. Mais je n'ai rien vu, et il est vrai que même dans les Îles Britanniques, cette part du patrimoine reste tout à fait occultée, hélas – ceux que j'ai pu entendre valent largement les opéras d'Adam et Auber, dans un style similaire (mais plus ambitieux qu'eux, ils ont de toute évidence respiré Weber et Marschner).

Sullivan, The Pirates of Penzance (Leipzig, Ulm, Meiningen, San Diego)
Sullivan, HMS Pinafore (Edmonton en Alberta)
Sullivan, Trial by Jury (Leeds)
→ Répertoire léger mais prégnant qu'on ne joue guère hors des îles britanniques et de l'Amérique anglophone… la musique en est très consonante et formellement tout à fait simple, mais pas sans séductions mélodiques ; les livrets originaux et piquants ; l'ensemble virevoltant avec beaucoup de finesse en fin de compte – moins virtuose que Rossini, sans doute, mais aussi beaucoup moins souligné que les Offenbach : le meilleur du comique anglais.
→ À présent qu'il est ordinaire de jouer des opéras, même dotés d'une veine comique verbale significative, en langue originale – sans mentionner la généralisation de l'usage de l'anglais dans la population –, il n'y a pas vraiment de raison de ne pas en donner au moins les titres emblématiques : Penzance (qui existe en français, d'ailleurs), Pinafore, Mikado, Yeoman… en ce qui me concerne, je les trouve plus stimulants à tout point de vue (musicalement, mais surtout beaucoup plus amusants) que les petits Offenbach qu'on redonne ici et là. J'avoue cependant ne pas en être assez familier pour disposer d'une opinion sur les petits Gilbert & Sullivan, qui ne valent peut-être pas mieux !

Chadwick, Burlesque Opera of Tabasco (New Orleans)
→ George Whitefield Chadwick est un des plus beaux représentants du romantisme musical américain, à la fin du XIXe siècle (1854-1931) – de la Second New England School, comme Amy Beach. Sa Deuxième Symphonie témoigne d'une belle maîtrise de tous les aspects d'écriture, dans une veine simple et lumineuse. Mais les Symphonic Sketches sont encore plus intéressants, plus personnels – culminant dans le mouvement lent, « Noel », tout à fait dans l'esprit folklorique de la Neuvième de Dvořák !
→ Son opéra Tabasco de 1894 en témoigne. (Oui, Tabasco comme la sauce.) Intrigue minimale : : Hot-Heddam Pasha menace de décapiter son cuisinier français (en réalité un imposteur irlandais) si celui-ci ne relève pas davantage ses plats. Après une recherche désespérée à travers la ville, c'est la mystérieure fiole d'un mendiant aveugle qui fait l'affaire, en réalité une bouteille de sauce au piment Tabasco.
→ C'était au départ une simple commande locale d'une milice de Boston, à l'occasion d'une levée de fonds pour une nouvelle armurerie. Mais le succès fut grand, les droits rachetés par un producteur ambitieux, un accord passé avec l'entreprise créatrice de la sauce, ce qui a transformé la petite pièce légère en grand événement traversant le continent dans une forme de cirque extraverti (distribution de produits, immense bouteille en carton-pâte sur scène).
→ Musicalement, nous avons affaire à de la pure veine légère anglophone, quelque part entre Sullivan et Candide de Bernstein, très agréablement réussi. [Je ne crois pas qu'il en existe d'intégrale officielle, mais YouTube en fournit plusieurs extraits.]



opera house
L'Opéra de Tel Aviv évoque de l'extérieur un de ces hôtels de luxe de la côte.
On y donne A Midsummer Night's Dream de Britten.




Opéras du XXe siècle

On y trouve essentiellement des compositeurs dans une veine tout à fait tonale, artisans d'un héritage raisonnable du passé, à exceptions près (qui ne sont pas du tout de l'opéra d'ailleurs, mais figuraient dans les saisons de respectables maisons).

Je les ai laissés dans l'ordre suggéré par leurs dates de naissance.

Barber
, Vanessa (Frankfurt-am-Main)
→ Je tiens Vanessa pour l'un des opéras les plus aboutis de tout le répertoire, sa cohérence entre livret et musique, sa fluidité, sa façon de toucher simplement à la vérité du théâtre et à la beauté de la musique n'ayant que peu d'égales.
→ Une notule le présente plus amplement (ainsi que les contraintes de distribution et circostances de création).

Britten
, The Rape of Lucretia (Cologne)
→ L'opéra (le troisième de ses quinze) a l'originalité de convoquer des coryphées, mais j'aurais peu de bien à en dire. Langage sonore très gris, livret très lent (et qui fait du viol de Lucrèce un semi-rêve assez déplaisant dans ses insinuations – comme la jeune mère de Merlin, elle fait un rêve érotique, bien fait pour sa tronche), où même la scène-titre se déroule très lentement, habillé d'échanges bavards et flous… Et tout ce qui précède et suit a finalement un rapport dramatique assez lâche avec ce que devrait être l'histoire de Lucrèce – tout l'apparat romain a disparu, en tout cas. Même la prosodie, parfois le point fort de Britten, est ici noyée dans un semi-lyrisme récitatif sans grand relief. Bof.

Britten
, Gloriana (Madrid)
→ Commande de Covent Garden pour le Couronnement d'Elizabeth II, en 1953, Gloriana est une variation sur l'épisode des amours et de la mort de Robert Devereux, amant d'Elizabeth Ière. Chez Britten, Devereux est moins perdu par ses ennemis à la Cour que par ses propres faiblesses à la guerre, voire par ses propres partisans – sa mort est signée devant l'aplomb de ses soutiens, le considérant indispensable au gouvernement du royaume. Et tout cela sert de support à une méditation sur l'âge (Elizabeth est déjà mûre), sur la solitude de l'individu, sur l'avenir de tout amour et de toute vie…
→ Musicalement, le sujet est bien sûr l'occasion pour Britten d'écrire dans une langue assez claire, au besoin néoclassique, et plutôt en aplats d'accords, comme accompagné sur orgue positif. Pas forcément très saillant, mais d'une belle sobriété ; peut-être un peu régulier pour se montrer efficacement dramatique.
→ Le sujet n'est finalement pas très révérencieux, présentant cette reine déclinante, hésitante, sensible aux morsures de l'amour-propre. Mais, au demeurant, Elizabeth II n'a pas choisi son nom de règne (un souverain d'Angleterre peut changer son prénom, comme les papes) en référence à son inégalable devancière, simplement décidé de conserver son nom de baptême – peut-être plus de la modestie que de l'ambition, mais je ne suis pas assez familier des biographes de ladite majesté pour m'avancer sur le sujet.
→ Il existe une bande de la création – avec Peter Pears en jeune galant (!), mais aussi Geraint Evans en Lord (!) et Monica Sinclair en Lady (!!). Mais le son un brin ouaté accentue plutôt les limites du style de Britten, à mon sens.

Britten, A Midsummer Night's Dream (an der Wien, Tel Aviv)
→ Même si les parties amoureuses sont plus grises, le Songe de Britten, au milieu de sa carrière (1960) est l'un de ses opéras les plus coloré et inventifs, en particulier dans toutes les parties féeriques : le contre-ténor inhabituel d'Oberon, écrit pour Deller, les fanfares grêles des Elfes, les interventions parlées savoureuses de Puck… Vraiment du Britten inhabituellement bigarré, et très inspiré par endroit.

Britten, The Prodigal Son (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Antépénultième opéra (ou assimilé) et troisième de ses paraboles pour représentation d'église, c'est aussi la moins convaincante (Noye's Fludde dispose d'un certain impact dramatique ; The Burning Fiery Furnace s'essaie à une modernité un peu plus radicale), très peu saillante à mon gré – un peu comme du mauvais Billy Budd.

Britten, Death in Venice (Stuttgart, Linz)
→ Un cas étonnant de Britten beaucoup plus germanisant, décadent même, d'un langage plus hardi (enfin, de la tonalité avec de légères touches un peu plus berguiennes, pour les années 70…) et plus romantique à la fois. Bien sûr, la déclamation très en avant et un peu indifférenciée reste toujours la sienne, mais le changement de couleur est patent, et ce n'est pas si souvent donné.

Menotti, The Medium (Berne, Chicago, New Orleans)
Menotti, The Consul (Dayton, Lawndale en Californie)
Menotti, Amahl and the Night's Visitors (Lausanne, Sofia)
Menotti, célèbre pour avoir été le librettiste (et compagnon) de Barber, a produit un grand nombre d'œuvres scéniques (2 ballets-pantomimes, 18 opéras dans tous les genres, de la piécette bouffe d'une demi-heure à l'opéra historique néo-romantique, en passant par toute une gamme de sujets et langages intermédiaires). D'un langage tout à fait tonal, mais puisant à de très nombreuses écoles, le résultat n'en est pas musicalement unique, mais toujours très opérant en tant qu'objet de théâtre musical.
Amahl est un gentil opéra pour enfants, qui existe, comme The Telephone ou The Medium, en plusieurs langues dont le français. Mais aussi en allemand, comme The Consul – qui sera donné en allemand en Allemagne et en Autriche pendant cette saison.
→ Les deux autres sont plus dramatiques, quoique intégrant des éléments plaisants, en particulier dans The Consul, son opéra le plus sombre (du moins parmi ceux enregistrés), où pourtant le comique absurde abonde, culminant dans d'improbables tours de magie (au départ minables, à la fin presque surnaturels) au sein même du Consulat.
The Consul est une histoire terrible, une tragédie bureaucratique kafkaïenne épouvantable, écrite dans un langage qui emprunte à la déclamation et aux atmosphères oppressantes de Britten, au lyrisme de Puccini, à l'harmonie de Poulenc, et pourtant traitée avec une vivacité particulière et une prédominance de l'humour. Une notule lui est consacrée.
The Medium, son œuvre la plus jouée, est probablement la plus travaillée sur le plan musical, avec une variété de textures, un travail sur l'orchestration, sur les contrastes entre scènes, sans rien céder à ses qualités prosodiques et théâtrales habituelles. C'est un rôle où ont brillé les grands mezzos déclinants mais glorieux – Mödl, Crespin, Gorr… [Vous pouvez par exemple l'aborder avec cette version en français – Metz 1994 avec Gorr, Raphanel, Zanetti !]
→ Assez peu donné sur les grandes scènes, Menotti est en revanche très régulièrement programmé dans des théâtres de taille moyenne – car, je suppose, ne réclamant pas d'orchestres immenses, n'obligeant pas à des pyrotechnies invraisemblables, et toujours très payant scéniquement. Il doit, en fin de compte, figurer parmi les compositeurs nés au XXe dont les opéras sont le plus joués. Et ce n'est que justice : sans être un compositeur majeur, chaque œuvre, prise comme un tout, fonctionne à la perfection, pas de longueurs, pas de faiblesses, surtout dans sa première période – The Saint of Bleecker Street et bien plus tard Goya, plus sérieux, ont moins de saillances. [Mon chouchou reste la courte conversation en musique The Telephone.]

opera house
À la Taschenoper (« Opéra de poche ») de Vienne.
On y donne A House Full of Music de John Cage.


Partch, Barstow: Eight Hitchhikers' Inscriptions (Buenos Aires)
→ Je l'ai vu classé dans un saison d'opéra, mais Barstow est loin de répondre à la définition stricte, ni même élargie de l'opéra : il s'agit d'inscriptions d'auto-stoppeurs lus sur une rambarde routière à Barstow, en Californie (1841).
→ Harry Partch est resté célèbre pour ses créations d'instruments ; pendant la Grande Dépression, il a vécu comme vagabond auto-stoppeur / intérimaire itinérant (hobo), et a réalisé quantité d'instruments nouveaux à partir de matériaux sommaires.
→ Cette œuvre, originellement écrite pour voix guitare adaptée, a aussi été révisée (en 1954 et 1968) pour deux voix, et des instruments propres à Partch que même la base de l'IRCAM ne nomme qu'en anglais : surrogate kithara (cithare de substitution, je dirais), chromelodeon, marimba diamant et boo. Très accessible et sympathique, mais cela ne dure que dix minutes.

Cage, A House Full of Music (Taschenoper de Vienne)
→ Je l'ai vu, de même, mentionné dans des saisons d'opéra, mais enfin, malgré quelques glossolalies (et explications parlées surimprimées), c'est plutôt une forme de poème symphonique de chambre (produit notamment avec des batteries de cuisine…). Du vrai Cage, très ludique, pas forcément intéressant musicalement.

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Le Noah Liff Opera Center accueille l'Opéra de Nashville (Tennessee).
On y donne Susannah de Floyd.
(Et on y propose aussi, dès le 27 ce mois, j'en parlerai dans la notule consacrée aux créations, un très prometteur et subtil Hercules vs. Vampires !)


Floyd, Susannah (Nashville)
→ Le grand classique du patrimoine américain (avec A Streetcar Named Desire, dans le genre très différent de la conversation en musique et du théâtre d'auteur). Susannah est au contraire une histoire où les enjeux moraux et sociétaux sont très conservateurs, écrite dans un langage hors de son temps, complètement romantique, très lyrique.
→ Musique pas du tout neuve (le livret davantage, puisqu'il fait écho à une culture qui n'est pas directement européenne, mais il n'est pas fabuleux), mais très beau si on aime l'opéra dans ce qu'il peut avoir d'élancé, de simplement lyrique – un Puccini sans sophistication post-wagnérienne et sans sirop, si vous voulez. J'aime assez, je dois dire. Je l'ai déjà dit : je suis un garçon simple.

opera house
Le pittoresque orientalisant de l'Opera North, marque qui s'est imposée pour désigner l'Opéra de Leeds (phtographie de Don McPhee pour le Guardian).
On y donne Trouble in Tahihi de Bernstein.

Bernstein, Trouble in Tahiti (Amsterdam, Leeds, Semperoper de Dresde, Boston, Opera Parallèle de San Francisco… et l'Athénée à Paris)
Bernstein, On the Town (Saint-Gall)
Bernstein, A Quiet Place (Kammeroper de Vienne)
→ Trois comédies musicales : les premières, et puis la dernière, qui reprend Trouble in Tahiti en y adjoignant de nouveaux actes. Les trois sont de la très bonne comédie musical, dans un style de… comédie musicale. Ne surtout pas y chercher de l'opéra (ni même l'éclectisme de la Messe).



opera house
Intérieur coloré de du Théâtre de Saint-Gall (Sankt Gallen) en Suisse.
On y donne On the Town de Bernstein.




Ce n'est pas une année de redécouvertes particulièrement fastes en langue anglaise, mais à l'échelle du monde, il y a tout de même de quoi admirer quelques beautés.

En revanche, hors patrimoine, on verra beaucoup de créations et de reprises d'œuvres récentes (certaines intriguantes, voire terrifiantes), que je traiterai dans une notule à part… (mais d'ici à ce que je la publie, je pourrai sans doute en écouter certaines qui auront été jouées !)

mardi 9 janvier 2018

2017-2018 [n°31] – L'Inde, « Ode Symphonie » (1872) de Wekerlin / Weckerlin


Ressuscité par la Compagnie de L'Oiseleur, dont la vidéo est désormais en ligne.

Musique peu complexe, mais de jolies atmosphères dans le goût des cartes postales coloniales de la musique française d'alors :



tels les appels de cor de la fin du mélodrame introductif (L'Oiseleur déclame extraordinairement), la Prière du Brahme (Ratianarinaivo capiteux !) soutenue et ponctuée par le chœur, les scènes opératiques récitatives surtout, très réussies sur leurs fonds couleur locale.

L'ensemble repose sur un assemblage de poèmes disparates : Hugo (La Captive), Lisle, Méry (le co-librettiste de Don Carlos, étonnamment les plus jolis poèmes de la sélection), Dovalle, Lottin de Laval, avec des scènes d'action ajoutées, créant une vague trame dramatique :

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c'est un peu La Fuite de Gautier (inversée, la demoiselle a plus traditionnellement peur ici), traversant tous les passages obligés de la couleur locale. Mélodrames avec musique surtout alternée, mais les poèmes de Méry sont beaux (et bien dits) !

La Glorification de Brahma en guise de dénouement est très étrange, tout à coup Weckerlin se souvient de ce qu'il est l'immortel auteur de La Laitière de Trianon… et ponctue ses Brahma-Brahma, martelés comme l'unique mot d'un bréviaire de saint Ketèlbey, de gammes diatoniques très peu orientales, ressemblant plutôt aux Saint-Saëns ou Hahn qui imitent la Renaissance ! Quelle mouche l'a piqué ?

(En tout cas, jolie fresque à découvrir !)

En première partie, une poignée de mélodies rarissimes. Le Pierné est un ostinato rythmique *et* harmonique, une seul accord pour soutenir le plus mauvais Silvestre que j'aie entendu. À l'inverse, le Chant Hindou de Bemberg est une merveille, toujours élusif et modulant !



Il y aura d'autres Bemberg ce dimanche dans le bouquet alsacien de la Compagnie au musée Henner ! (Je serai hélas en train de répondre à l'appel souverain de LULLY – car tout doit céder dans l'Univers à l'auguſte Heros que j'ayme.)

Et comme toujours, quel entrain chez les artistes (plusieurs issus de récentes fournées du CNSM), quel engagement pour servir des pièces qui ne serviront pas leur carrière (ni leur bourse), juste la Musique ! cheers




mercredi 5 octobre 2016

Saint-Saëns – Mélodies persanes – Christoyannis, Cohen


Parution toute récente de quatre cycles jusque là inédits, me semble-t-il, chez Aparté, avec la subvention de Bru Zane. On peut l'écouter gratuitement, légalement et en intégralité .

J'attendais depuis longtemps (depuis que je les ai partiellement mais régulièrement jouées/chantées, il y a une dizaine d'années) une publication officielle des Mélodies persanes. Leur qualité d'évocation puise à une sobriété qui s'appuie davantage sur la mobilité des couleurs harmoniques que sur des mélismes orientalisants. Les poèmes tirés des Nuits Persanes d'Armand Renaud démontrent les mêmes qualités : touches de couleur locale dans un vocabulaire riche, des situations sans contorsions superfétatoires. « La splendeur vide », la seule mélodie du cycle à être jouée de loin en loin, est particulièrement réussie de ce point de vue – et puis ces calmes palpitations, qu'on retrouve dans « Au cimetière », ont quelque chose de tellement persuasif.

J'ai construit dans mon âme
Un merveilleux palais,
Plein d'odeurs de cinname,
Plein de vagues reflets.

Les Cinq Poèmes de Ronsard laissent affleurer les mêmes qualités : absence de spectaculaire, évidence mélodique (sans viser du tout l'earworm), justesse de la prosodie et du climat. Exactement la juste mesure de toute chose, la touche de talent en sus.

J'ai été moins sensible aux Vieilles Chansons et à La Cendre Rouge, mais là encore, des inédits pour documenter le large legs mélodique de Saint-Saëns, ce n'est jamais de refus.

saëns christoyannis

Le français exemplaire, la vaillance et le goût des mots de Tassis Christoyannis sont bien sûr parfaits pour rendre l'éclat comme la poésie de ces pages. Accompagné par un Jeff Cohen beaucoup plus détaillé et incisif qu'à l'ordinaire – son meilleur disque à mon sens !

À signaler pour ceux qui ne l'auraient pas, la monographie de François Le Roux et Graham Johnson, l'une des rares jamais publiée, mérite le détour, malgré toutes ses étrangetés. Au sommet, il y a bien sûr la chanson à boire de Nicolas Boileau ! 

Allez, vieux fous, allez apprendre à boire ;
On est savant quand on boit bien,
Qui ne sait boire ne sait rien !

lundi 21 octobre 2013

Reynaldo HAHN – Prométhée Triomphant, Chansons & Madrigaux, Études Latines, Valses


Magnifique concert comme d'habitude, vendredi dernier au Temple du Luxembourg, par L'Oiseleur des Longchamps ; c'est même le meilleur (aussi bien pour le programme que pour la forme du chanteur et la qualité de ses partenaires) de la poignée à laquelle j'ai assisté.

1. Œuvres

La grande attraction, qui méritait de renoncer au concert simultané à l'Auditorium du Louvre (programme de rêve : Märchenerzählungen de Schumann + Trio de Kurtág + pièces pour clarinette de Berg !), c'était bien sûr Prométhée Triomphant, inédit absolu, et d'un grand intérêt. L'extrait donné donne envie de le rapprocher de l'Andromède de Lekeu (ce qui est un réel compliment), de superbes récitatifs décadents... et puis un chœur tournoyant hallucinatoire, comme si le Chausson de la Chanson Perpétuelle rêvait à l'Introduction de Francesca da Rimini de Rachmaninov.
Pour information, les musiciens sont actuellement en quête de soutiens financiers pour monter l'intégralité de la cantate.


L'extrait de Prométhée Triomphant tel que proposé. Merci à R. de m'avoir envoyé le son ! Il est un peu lointain pour les voix qui sonnaient avec beaucoup plus de présence en réalité, mais je crois qu'il rend justice à l'intérêt de l'œuvre et à la séduction des interprètes.


Le concert proposait aussi des Valses de Hahn pour piano ; étrange, vu le mot du Président de l'Association assurant que le concert voulait démentir l'image du Hahn univoquement léger et galant. Stéphanie Humeau aurait pu proposer des extraits du Rossignol Éperdu, d'une autre ambition...

Et puis, chose rarissime au concert, les cycles Chansons & Madrigaux et Études Latines ont été donnés en intégralité, alternant chœurs accompagnés ou a cappella, des mélodies pour différentes tessitures, parfois enrichies d'un chœur en arrière-plan... le genre de chose qu'on ne peut pas facilement donner, du fait des effectifs mouvants.
Or, ce concert révèle vraiment un ensemble qui soutient l'intérêt ; ce n'est pas le témoignage le plus vertigineux de l'époque, sans doute, mais la diversité des climats (folkloriques, salonnards, lyriques, décadents...) mérite vraiment le détour.

2. Interprètes

La qualité d'exécution était en outre au rendez-vous ; outre les vertus de mélodiste (et la très belle voix) de L'Oiseleur des Longchamps, mainte fois vantées en ces lieux, le chœur Apostroph', préparé et dirigé par France de La Hamelinaye se tire très bien d'un programme inhabituel. La qualité individuelle des chanteurs n'est pas forcément extraordinaire : justesse perfectible (il faut dire que la disposition à deux par partie est la plus redoutable pour l'oreille, pire qu'à un ou trois), timbres pas vraiment raffinés (voire « inachevés »... mais pris comme groupe, le style est très soigné, les œuvres chantées avec netteté et chaleur, si bien qu'il n'y a besoin d'aucun effort d'imagination pour apprécier les œuvres présentées. De l'excellent travail à saluer.


« Vile Potabis » et « Phidylé », les deux mélodies chantées par Jean-Christophe Lanièce dans les Études Latines, un concentré de poésie ; effet étrange, la voix semble vaciller légèrement çà et là, une illusion de la prise de son, on n'entendait rien de tel en réalité.


Par ailleurs, leur baryton, Jean-Christophe Lanièce est l'une des plus belles voix que j'aie jamais entendues... exactement le timbre de Jérôme Correas, la résonance faciale en moins, donc quelque chose de très moelleux et éloquent à la fois. Il est en première année au CNSM, il ne fera probablement pas une grande carrière de soliste (du moins hors baroque) vu le volume confidentiel, sauf à changer significativement sa technique... mais il peut programmer n'importe quel récital, les lutins de CSS lui feront une haie d'honneur !

Suite de la notule.

mardi 10 septembre 2013

Enjeux d'édition : Pierre GUÉDRON, Le Ballet d'Alcine – I – Le ballet de cour sous Henri IV



Claire Lefilliâtre, Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre : disque Pierre Guédron, Le Consert des Consorts (chez Alpha), seule trace sonore du ballet à ce jour.


Actuellement plongées dans un petit travail d'édition, les forces vives de CSS ont eu l'occasion de s'émerveiller de menues questions autour du rythme et de la responsabilité du transcripteur.


1. Une commande

En 1609, Pierre Guédron n'est pas encore arrivé à son faîte (Surintendant de la Musique du Roi), il occupe le poste de Compositeur de la Chambre du Roi. Ce moment est particulièrement intéressant : charnière entre les règnes d'Henri IV et de Louis XIII, et Guédron avait succédé au polyphonique emblématique Claude Lejeune. Guédron est souvent représenté comme un grand promoteur de la monodie, l'emblème français de la charnière entre la Renaissance contrapuntique et la monodie baroque (pas encore fortement liée au théâtre, en France, contrairement à l'Italie). Son successeur, Antoine Boësset – qui racheta sa charge l'année où il épousa sa fille –, constitue, aujourd'hui encore, le grand pilier des récitals d'airs de cour (souvent mêlé à Moulinié et Lambert).

En 1609, donc, Pierre Guédron reçoit la commande d'un ballet pour César de Bourbon, duc de Vendôme, fils naturel d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées. Cela se situe à la fin de la période des festivités de son mariage, mais l'occasion exacte n'est semble-t-il pas connue.

On ne dispose pas du nom du librettiste, en revanche un in-octavo publié par Jean de Heuqueville, la même année, donne tout le détail de la scène, de l'action du ballet, fournit le texte (anonyme) des trois parties chantées, et propose même des illustrations décrivant les mouvements chorégraphiques et leur symbolique.


Le duc de Vendôme lui-même dansait dans cette représentation (il avait seize ans), en compagnie d'autres gentilshommes illustres (ils figuraient les douze chevaliers captifs et « desenchantez » d'Alcine) : le duc de Retz, le comte de Cramail, le baron de Termes, le général des Galères, le comte de La Roche-Guyon, M. de La Châtaigneraie, M. de Chézy, M. de Vinzy, M. de Joüy, le baron de Sainte-Suzanne, M. de La Ferté.
D'une manière générale, on lit pas mal d'affirmations contradictoires (dans le détail) sur ce ballet ; j'ai essayé dans la mesure du possible de me référer aux sources contemporaines de la création, qui peuvent plus difficilement se méprendre sur ce qu'elles ont vu sur scène.

Comme l'indique le titre de l'œuvre, connue sous les noms de Ballet du duc de Vendosme ou de Ballet d'Alcine, l'argument est tiré de l'Arioste, et relate la mise en captivité de chevaliers par les pouvoirs de la magicienne, puis sa défaite.

Suite de la notule.

mercredi 28 août 2013

Carnet d'écoutes : Philippe GAUBERT (mélodies), Egon WELLESZ (Der Abend, pour piano)... et Beethoven


Bonne pêche : trois enregistrements exceptionnels.

Suite de la notule.

jeudi 27 juin 2013

« Éloignez-vous » : Une mélodie inédite de Dutilleux (sur un sonnet de Cassou)


Il est parfois bon de rappeler les valeurs sûres.

Sur le site de Jean-Baptiste Dumora, on peut entendre cette pièce dans son entier :

Suite de la notule.

vendredi 22 février 2013

Mélodies de Widor sur des textes de Hugo


Encore un programme de L'Oiseleur des Longchamps qui méritait grandement le déplacement. Moins inédit que d'autres fois (lorsqu'il joue La Presle, Delanoy ou Polignac, par exemple !), puisqu'il existait déjà deux disques consacrées aux mélodies de Widor : Rodde & Lee chez Etcetera, et plus récemment Bundy & Filsell et chez Naxos ; deux bonnes parutions qui rendent justice à cette musique ni neuve ni passéiste, davantage tournée vers le romantisme que vers les nouveaux langages, mais sans les épanchements ni l'académisme qu'on trouve généralement chez ses contemporains. Une forme de poésie sonore un peu distante, presque sévère.

Sans être le chef-d'oeuvre de son temps, le corpus mérite d'être joué, et la plupart des pièces données (la quasi-intégralité des mises en musique de Hugo) étaient complètement inédites.

Suite de la notule.

samedi 16 février 2013

Les mélodies de Widor en concert


Comme la chose est excessivement rare, je signale le récital de mélodies de Widor sur des textes de Hugo mercredi prochain à 20h, au Temple du Luxembourg (à Paris).

Ces mélodies méritent le coup d'oreille - elles sont dans un genre plus évolué que les mélodies de salon de Gounod, Massenet, Paladilhe ou Reyer, mais ne sont pas encore marquées par la nouveauté française fauréenne ou chaussoniste. Plus abouties dans leur ton que la gravité des Franck, moins inspirées que celles de Dupont (dont la singularité reste remarquable), elles peuvent être comparées à celles de Lalo (mais dans un goût plus tardif, sans rejoindre non plus la décadence dépressive façon Vierne), quelque part entre le pittoresque de salon et l'aspiration vers la recherche musicale dans ce micro-laboratoire.

« Concert-causerie », en association avec le festival Hugo et égaux.

Y participera en particulier L'Oiseleur des Longchamps, ce qui veut dire qu'en plus d'être intéressant, ce sera très bien chanté.

lundi 28 janvier 2013

Bonis-Koechlin-Hahn-Poulenc-Daunais-Landry : Récital & miracle (Hélène Guilmette)


Découvrir deux compositeurs (très inspirés) dans un seul récital, plus quelques raretés chez d'autres compositeurs plus célèbres. Partons à la rencontre de ces oeuvres.


Fantaisie dans tous les tons de Lionel Daunais, par Hélène Guilmette et Martin Dubé.


Les risques

Quelquefois, le fait de donner un récital dans une salle permet des libertés supplémentaires : l'impératif fédérateur du disque, la nécessité d'une carte de visite ne s'y imposent pas aussi fortement, et il est possible de donner à entendre autre chose.

Suite de la notule.

mardi 31 juillet 2012

Camarinha strikes back


Raquel Camarinha, déjà admirée avec son accompagnateur Satoshi Kubo lors de l'audition de la classe de Jeff Cohen l'an passé, revenait, avec un programme encore plus original, qui confirme ses forces. Le cadre moins favorable que l'intimisme extrême de la salle d'Art Lyrique du CNSMP accentue aussi quelques (très rares) traits moins flatteurs qui étaient naguère à peine perceptibles.
L'occasion de dire un mot des oeuvres... et de se poser des questions sur les enjeux d'un tel récital.

1. Le programme - 2. Le duo - 3. Le résultat

Suite de la notule.

samedi 7 juillet 2012

Yann Beuron - récital Fauré-Ravel-Satie au Musée d'Orsay


Troisième soirée avec Yann Beuron cette saison. Peut-être la fois de trop, on s'habitue vite à l'excellence. En réalité, j'ai été un peu dépité, au sein d'un beau programme (pas très original en revanche, par rapport à ses derniers) Fauré / Ravel / Satie, d'entendre une fois très opératiques. Pas comme ses Fauré de l'Amphithéâtre Bastille, très vocaux mais extrêmement bien mis en mots, mais réellement comme on chanterait de l'opéra, avec beaucoup de vaillance (et d'harmoniques métalliques), une forte assise, assez peu de nuances douces, peu ou pas de changements de registres et d'allègements.
Aux antipodes de l'art qui a fait son charme.

Suite de la notule.

vendredi 6 juillet 2012

Le disque du jour - LI - Shéhérazade de Ravel par Kožená / Rattle


[On peut écouter le disque en ligne, gratuitement, intégralement et légalement, sur Musicme par exemple.]

Aujourd'hui est un petit événement. Car Carnets sur sol, temple officieux de l'interlope, du confidentiel et du bizarre, va commenter (et recommander !) une nouveauté de Deutsche Grammophon.

Il faut dire qu'il s'agit d'une artiste à qui l'on a déjà consacré un rapide portrait, où figuraient en exemple des extraits de ses Shéhérazade de Ravel, peut-être sa plus belle réalisation.

Suite de la notule.

dimanche 17 juin 2012

Pourquoi les compositeurs français ont-ils aussi mauvais goût en matière de poésie ?


Si l'on compare au song anglais, au lied allemand, à la mélodie russe, il semble que les plus grands compositeurs français (laissons de côté la question épineuse de la validité de cette hiérarchie) aient moins mis en musique les grands textes poétiques. C'est en tout cas quelque chose que l'on entend souvent, et qui me frappe aussi en survolant les corpus - avec, chez un certain nombre de compositeurs, l'emploi massif de poèmes particulièrement insipides, même chez les auteurs les plus inspirés (voir par exemple le nombre de mises en musique de « Viens ! - une flûte invisible » de Hugo, alors que ses bons poèmes ne sont jamais sollicités).

Suite de la notule.

jeudi 26 avril 2012

[amphi] Yann Beuron dans les Baudelaire de Debussy (et autres mélodies françaises)


(Mercredi 18 avril 2012.)

Les Clairières dans le ciel de Lili Boulanger (rare et novateur, mais dont je n'adore pas les couleurs harmoniques ni la rhétorique vocale) avaient été remplacées, il y a quelques mois, par un plus commun Tel jour telle nuit de Poulenc. Sinon, on retrouvait ses Fauré enregistrés chez Timpani et les très tendus et audacieux Baudelaire de Debussy, quasiment jamais chantés par des hommes, fussent-ils ténor.

Suite de la notule.

mercredi 21 mars 2012

Vourc'h & Wagner - Quand les finnois composent en français


Récital Karen Vourc'h et Vanessa Wagner à l'auditorium du Musée d'Orsay.

Mélodies françaises (dont certaines par des compositeurs finnois) et mélodies en bokmål et nynorsk de Grieg, en suédois et en finnois de Sibelius.

Suite de la notule.

mardi 15 novembre 2011

Anne-Catherine Gillet : une carrière, un récital


1. Pourquoi ?

Parution toute récente du premier récital d'Anne-Catherine Gillet. Un phénomène : distinguée par les mélomanes du "grand public" alors qu'elle jouait encore les seconds rôles, elle tient aujourd'hui de plus en plus de rôles prestigieux.

Au menu : caractéristiques, rôles, disque...


Visuel du disque Aeon, enregistré avec l'Orchestre Philharmonique de Liège dirigé par Paul Daniel.


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2. Ses caractéristiques ?

Un timbre clair et lumineux, articulé très en avant, une élocution parfaite (malgré les tessitures assez aiguës, un vrai défi), et surtout une qualité de phrasé hors du commun, qui procure un relief la plupart du temps inédit à ses personnages. Et ce n'est pas un vain mot, comme ceux qu'on peut lire dans les hagiographies : A.-C. Gillet va véritablement puiser à la source la direction de ses interprétations, en mettant en relief le mot. En "choisissant" ainsi ses mots, qui sont mis en valeur de façon harmonieuse, le reste suit - la composition du personnage, et alors la terrible machine de la diction et de la voix elle-même se mettent en branle, avec une sûreté qui force l'admiration.

On peut bien sûr rapprocher son timbre limpide et antérieur, son soin de la diction aussi, de toute une école de sopranos francophones de ces vingt dernières années, qui semblent les héritières d'Angelici, Esposito et Guiot : de Ghyslaine Raphanel à Eugénie Lefèvre (en passant par Karen Vourc'h, Virginie Pochon et Clémence Barrabé).
Néanmoins lorsqu'on sait qu'elle a débuté avec Jules Bastin, on ne peut qu'être frappé de la parenté des timbres - alors même que ce n'est pas lui qui l'a réellement formée techniquement.

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3. Ses rôles

Ils couvrent une très vaste période, de Monteverdi aux années soixante, avec des proportions assez également réparties. Je mets pour plus de clarté dans mes commentaires ultérieurs un astérique lorsque j'ai pu l'entendre dans le rôle.

XVIIe siècle : Monteverdi (Poppea)
XVIIIe siècle : Haendel (*Evanco de Riccardo), Rameau (Aricie), Mozart (*Susanna, Despina)...
XIXe siècle : Gounod (*Vincenette de Mireille), Bizet (*Micaëla), Chabrier (*Laoula de l'Etoile), Massenet (*Sophie de Werther), Puccini (*Musetta), Mascagni (*Lola de Cavalleria Rusticana)...
XXe siècle : Debussy (Mélisande), R. Strauss (*Zdenka d'Arabella), Poulenc (Blanche de la Force), Britten (la Gouvernante du Tour d'Ecrou), Damase (*Catherine Sloper de l'Héritière, *Colombe)...

Liste non exhaustive bien évidemment, je m'en suis tenu aux rôles dans lesquels je l'ai écoutée, et à ceux importants que je n'ai pas pu entendre.

Ses Evanco, Micaëla et Sophie sont disponibles dans le commerce. Vincenette et Lola ont été télédiffusées et sont en principe accessibles sur les sites de partage de vidéo. Et vous pourrez trouver des extraits de Colombe ci-après.

Suite de la notule.

samedi 8 octobre 2011

Hommage à Théophile Gautier avec Françoise Masset et Jacques Bonnaffé


Le temps file... Deux mots publiés dans le fil de la saison, en attendant l'achèvement (incertain) de la notule sur ce beau programme.

(Jeudi 29 septembre 2011.)

Une soirée magnifique, avec un excellent récitant, un programme exaltant, et Françoise Masset d'une éloquence incomparable dans ce répertoire. La voix, qui a toujours sonné un peu "vieille", a conservé son éloquence fascinante, et gagné une légèreté, une couleur brillante et juvénile.

On a même eu droit à du ballet, avec le pas de deux de l'acte II de Giselle, dansé sur un arrangement pour alto et piano !

Seule réserve : le choix des textes (notamment les longs extraits pamphlétaires un peu faciles et répétitifs de la Préface de Mademoiselle de Maupin).

lundi 20 juin 2011

Classe de Jeff Cohen au CNSM : initiation au récital de lied - (Raquel Camarinha, Cécile Achille, Mao Morita)


(Au fil des présentations, quelques liens vidéos fournis, pour mesurer un peu ce dont il est question - même s'il est entendu que le contact en salle était bien plus impressionnant que ces extraits-là.)

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1. Un projet

Le principe de cette classe est de faire travailler, durant un an, un duo piano-voix sur un programme de récital autour de la mélodie et du lied.

Un récital de lied est toujours bon à prendre, et j'étais curieux d'entendre les étudiants du CNSM : je ne me sens pas forcément proche de l'esthétique vocale qui y prédomine, mais l'observation en est toujours instructive sur l'état (et surtout les tendances) du chant aujourd'hui.

Double intérêt, donc : se régaler de lied, et s'instruire sur l'enseignement lyrique.

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2. Aspect général

Le concert se composait de trois programmes de quarante minutes (un par duo), thématiques mais sans excès de conceptualité. Contenu :

  1. Cécile Achille / Aeyong Byun
    • Fleurs (R. Strauss, Maeterlinck de Chausson)
    • Mignon (Gounod, Schumann, Tchaïkovsky)
    • Rimsky-Korsakov et la nature (Tolstoï, Nekrassov)
  2. Mao Morita / Mari Yoshida
    • rêveries schubertiennes (Lachen und Weinen, Gretchen am Spinnrade, Nacht und Träume)
    • Baudelaire de Debussy
    • mélodies japonaises (Nakata et Yamada)
  3. Raquel Camarinha / Satoski Kubo
    • séries de Wolf & Goethe (Mignon I,II,III ; Die Spröde & Die Bekehrte)
    • Croner de Vasconcellos, Trois rondeaux (Três Redondilhas de Luiz Vaz de Camões)
    • Weill (Surabaya-Johnny, Nannas Lied, Youkali)


Ces choix se nourrissaient de diverses suggestions culturelles de Jeff Cohen (visites picturales, par exemple), si j'ai bien suivi la présentation.

Il faut bien admettre que, s'y rendant sans humeur spécialement critique mais sans attentes démesurées, les lutins facétieux qui peuplent nos contrées ont été absolument cueillis.

D'abord par l'audace et la variété des programmes : peu de tubes, ou alors en portion très raisonnable... et une variété de langues (très bien maîtrisées de surcroît) assez considérable. Qu'on en juge : allemand-français-russe pour le premier programme, allemand-français-japonais pour le deuxième, allemand-portugais-français pour le troisième.
Considérant que la plupart de ces langues chantées étaient parfaitement maîtrisées par les chanteuses, et qu'elles pratiquent forcément abondamment l'italien, on s'incline déjà devant la diversification consentie.

Ensuite, les pièces choisies, en plus d'être rares, étaient intéressantes. Les Strauss du premier programme ne sont pas anecdotiques (comme ils le sont souvent), les Rimsky-Korsakov sont de petites merveilles très lyriques, les Debussy retenus n'étaient pas les plus faciles (ni solfégiquement, ni vocalement, ni interprétativement - pour ne pas dire les plus difficiles), les mélodies japonaises rarissimes en France ne manquaient pas d'un charme frais, et on peut dire la même chose, dans un autre genre plus romantique et moins naïf, de Croner de Vasconcellos.

Enfin, la qualité d'interprétation m'a fait profonde impression. C'est pour une fois davantage sur ce point que sur les oeuvres que je vais m'arrêter : il sera difficile de détailler un si grand nombre de pièces.

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3. Niveau

Suite de la notule.

samedi 28 mai 2011

Salons musicaux au Musée d'Orsay


Rapides chroniques autour des concerts consacrés à Marguerite de Saint-Marceaux et Winnaretta Singer princesse de Polignac, tirées du fil de la saison.

Suite de la notule.

jeudi 10 mars 2011

[Bordeaux] - La Carte du Tendre


Roxane sort de la maison de Clomire avec une compagnie qu'elle quitte : révérences et saluts.

ROXANE
Barthénoïde! - Alcandre! -
Grémione !...

LA DUEGNE, désespérée
. . . . . . . . . . On a manqué le discours sur le Tendre !


Non, rassurez-vous, vous ne subirez pas le triste de sort de Roxane, il est encore temps d'aller assister au salon sur le Tendre.

Ayant conservé un certain nombre de réseaux actifs dans la capitale du vaste monde, je signale ce concert extrêmement appétissant pour tous les amateurs de mélodie française.

Le programme (hallucinant) parle de lui-même, je crois :

Suite de la notule.

dimanche 31 octobre 2010

La variation - La vérité sur les diminutions françaises - Bénigne de Bacilly - A 2 Violes Esgales - Monique Zanetti


... ce n'est pas là le grand titre d'une réflexion sur la décadence nationale, mais simplement l'évocation de la tradition de la variation en France au XVIIe siècle.

1. La variation

Un bref rappel pour nos lecteurs qui ne seraient pas familiers de la notion. Les autres peuvent directement se rendre à l'entrée §2.

1.1. Principe

L'ère baroque ne pratiquait pas le développement (transformation ordonnée d'une même idée musicale) aussi volontiers que chez les classiques et les romantiques. On utilisait des couplets identiques, ou bien on juxtaposait des épisodes de caractère différent.

L'usage était, dans les exécutions raffinées des musiques à couplets, de varier les reprises. C'est ce que l'on nommait en France les ornements, à distinguer des agréments (qui sont les petites notes "de goût", mordants, port-de-voix, appoggiatures, que le compositeur ou les modes d'exécution ajoutaient pour procurer plus de relief aux phrases musicales). On appelle aussi ces "ornements" des diminutions, parce qu'on utilise plusieurs valeurs rythmiques plus brèves pour exécuter la valeur rythmique d'origine (plus longue).
Enfin, on parle plus généralement de variation pour désigner l'ornementation d'un même thème repris plusieurs fois. Chez les baroques français, le mot de doubles pour désigner les variations est la norme (car ce sont à la fois des duplicata d'un original, et des augmentations en nombre de notes).

La variation / diminution / ornementation était donc un des procédés privilégiés pour faire durer un morceau, c'est-à-dire qu'on renouvelait sans cesse le matériau rythmique, sans changer l'harmonie en principe (à l'ère classique, on fait des incursions en mineur, mais on ne module pas). Il existe cependant des cas (Magnificat H.73 de Charpentier par exemple) où le compositeur indique expressément des harmonies différentes à chaque reprise : la basse reste la même, mais pas les accords.

1.2. Et concrètement ?

Exemple d'un thème (Variations K.179 de Mozart) :


Et voici ces trois mêmes mesures transformées dans la onzième variation :


On constate très aisément que les valeurs sont plus brèves (d'où le nom de diminutions), le débit plus rapide à tempo égal, le nombre de notes supérieur.

1.3. Et sans musique ?

Pour ceux de nos lecteurs qui ne liraient pas du tout la musique, on pourrait expliquer le principe de la variation ainsi avec des mots :

Thème :
Le chat danse.

Variation 1 :
Le chat bleu et blanc danse.

Variation 2 :
Jovial, le chat de Violette et Suzanne danse.

Variation 3 :
Le chat qui observe le beurre fondre danse.

Variation 4 en mineur :
Le chat qui observait le beurre fondre danse.

Variation 5 :
Le chat dont la queue est mauve danse.

Variation finale :
Le chat jovial qui observe le beurre fondre dans la rue danse.

On voit donc que la quantité d'informations s'intensifie dans une même phrase. Or, la variation, en musique, ne s'étend pas à la manière du langage, en ajoutant des expansions qui allongent la durée de la phrase. La phrase ne dure pas plus longtemps, mais dans cette même durée, on va donner plus d'informations, avec des rythmes plus nombreux - et plus brefs (c'est pourquoi on parle de diminutions).

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Il en allait donc de même pour thèmes variés dans la musique baroque française, même si la variation n'y était pas synonyme - comme dans l'opéra seria ou bien à l'ère classique et romantique - de rapidité et de virtuosité accrues. En particulier dans les chaconnes orchestrales, le thème circule dans les différentes parties sans forcément s'agiter très significativement.

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2. La vérité sur les diminutions françaises

La variation, à l'époque baroque, n'était généralement pas écrite. Le compositeur pouvait imposer certains agréments (voir §1) en plus de ceux ajoutés par les interprètes, mais l'ornementation des reprises n'était pas prévue. On trouve ainsi quantité d'airs répétés simplement qui peuvent nous paraître charmants mais un peu plats ou répétitifs, alors qu'ils étaient censés être variés.

Mais dans quelle mesure faut-il varier ? On dispose bien sûr de témoignages, de données musicologiques, de conseils dans les traités... mais pas des partitions dans la plupart des cas. Alors, quelle juste mesure entre le changement timide de quelques valeurs (puisque cela suppose de modifier aussi la mélodie, acte lourd de conséquence qui fait de l'interprète un co-compositeur !) et la surcharge ridicule de virtuosités superfétatoires ?

Après une période assez longue où les interprètes de la renaissance du baroque n'osaient pas ornementer les reprises, on a assisté à un développement du goût de l'ornementation, plus audacieuse désormais qu'il y a quelques années, mais qui reste encore à la marge, surtout dans le domaine du baroque français où cela ne se fait quasiment pas.

En cela, la découverte toute récente d'un exemplaire de L'Art de bien chanter, et particulièrement en ce qui concerne le Chant Français de Bénigne de Bacilly (1625-1690, qui était déjà une source privilégiée pour la théorisation des modes de déclamation lyrique, mais dont cet ouvrage précis semble n'avoir jamais exhumé) a été un témoignage de première main pour tous les amoureux de la période. Car on y trouve, chose assez peu ordinaire, le contenu des ornementations pour les reprises des chansons de cour qui y sont proposées !

Et l'on s'aperçoit de ce que la virtuosité des diminutions était absolue, en tout cas en termes de quantité et de rapidité, à telle enseigne que les lignes mélodies disparaissent totalement sous les débordements de notes rapides. L'ambitus vocal utilisé reste toujours assez court, mais l'agilité est elle maximale. En réalité, c'est la démesure qui était la norme, avec un résultat étonnamment italianisant.

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3. Programme A 2 Violes Esgales & Monique Zanetti

Cette découverte s'est faite par la remise d'une édition de cet Art de bien chanter à Sylvia Abramowicz et Jonathan Dunford, les deux gambistes fondateurs de l'ensemble A deux Violes Esgales. Découvrant la richesse et la précision des diminutions, ils se sont empressés de le préparer avec leur ensemble pour en proposer la substance au public, substance qui sera bientôt proposée sur disque, soit par Casa Editions comme le précédent disque Boësset, soit par le label attaché au délicieux Théâtre de l'Archipel, Saphir Productions, qui produisait le concert.

Car c'était ce qui constituait le programme d'une soirée donnée dans le cadre extrêmement intime de l'Atelier de la Main d'Or (une cinquantaine de places très serrées sans une pièce des dimensions d'une grande salle à manger), en alternance avec des pièces instrumentales du milieu du XVIIe siècle.

Bénigne de BACILLY
1a Fleurs qui naissez sous les pas de Sylvie
1b Je brûle jour et nuit

Louis COUPERIN
2 Fantaisie de Violes par M. Couperin

Bénigne de BACILLY
3a J'ay mille fois pensé
3b Quand des subçons

Nicolas HOTMAN
4 Chaconne pour le théorbe

Bénigne de BACILLY
5a Qui conte les faveurs mérite qu'on l'en prive
5b Sortez petits oiseaux

François DUFAUT
6 Prélude, Allemande, Courante (extraits de la suite en ut mineur)

Bénigne de BACILLY
7a Estoille d'une nuict plus belle que le jour
7b Que je vous plains, tristes soupirs
7c Vous l'avez entendu, ce soupir tendre et doux

Jean de SAINTE-COLOMBE
8 La Rougeville, chaconne extraite des concerts à deux violes esgales

Bénigne de BACILLY
9a Que l'on m'assomme
9b Je vivais sans aimer

François DUFAUT
10 Sarabande et Gigue extraites de la suite en ut mineur

Bénigne de BACILLY
11a Mon cher troupeau cherchez la plaine
11b Le printemps est de retour

Bis : à nouveau la première pièce du programme

Monique Zanetti, soprano
Paul Willenbrock, basse
Sylvia Abramowicz, dessus & basse de viole
Jonathan Dunford, basse de viole
Claire Antonini, luth
Thomas Dunford, théorbe, archiluth & guitare baroque

Un programme admirablement équilibré, donc, qui ménage sans entracte 115 minutes de musique de haute volée. Tout d'abord, une formation idéale, sobre et dépouillée, sans clavecin, mais riche dans ses alliages timbraux : deux cordes frottées et deux cordes grattées, sur des instruments de diverses hauteurs.

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4. Les compositeurs

La musique de Bénigne de Bacilly__ est d'un grand raffinement, et se place parmi les grands auteurs d'airs de cour, aux côtés de Moulinié, Lambert ou Guédron, sans atteindre peut-être la qualité des meilleures pièces de ceux-ci, bien moins uniforme que Boësset. Il y a chez lui une forme de délicatesse omniprésente, jusque dans les airs à boire, et même une petite italianité qui s'entend d'autant mieux dans ces redoutables diminutions très nombreuses et rapides jusqu'à déformer complètement la ligne originale.
Beaucoup d'airs à deux voix également, comme c'était alors la coutume, même lorsque le texte est écrit à la première personne : on trouve la même souplesse que pour le lied par exemple, où une femme peut tout à fait chanter, en je, l'amour d'un homme pour sa bergère... ou sa meunière.

Les intermèdes instrumentaux, eux, présentent le meilleur de la musique instrumentale du XVIIe siècle. Louis Couperin pour viole a un relief assez extraordinaire, où son austère mélancolie trouve, plus encore qu'au clavecin, des échos très humains. La chaconne de Nicolas Hotman surprend par la qualité de son écriture, alors qu'à son époque la tradition n'avait pas encore la générosité à laquelle on pense désormais. Les variations de Sainte-Colombe dans la chaconne La Rougeville s'inscrivent, en écho à Bacilly, dans une tradition assez italienne, avec une grande virtuosité ; assez dépouillé, son langage harmonique n'en est pas moins bien plus touchant pour moi que ce que produit la génération suivante. Enfin, le sommet de la soirée était peut-être la suite en ut mineur de François Dufaut, qui n'a pourtant pas les hardiesses de Jacques Gallot ni même les originalités de Vieux-Gaultier. Et pourtant, grâce à cet arrangement pour luth et archiluth dû aux interprètes, ce soir-là, dans sa sobre poésie, François Dufaut était le plus grand compositeur pour luth du monde.

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5. Les interprètes

Suite de la notule.

dimanche 26 septembre 2010

Webern / Chausson / Dutilleux / Schumann - [Billy, Orchestre de Paris, Pleyel, septembre 2010]


Faute de temps, sous forme de notes.

Parfaite définition du son au début du premier balcon, sans la petite réverbération-saturation du parterre, avec un bien meilleur fondu. La voix en revanche reste lointaine.

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Webern - Im Sommerwind

Oeuvre fantastique avec ses diaphanéités infinies, qui durent comme un Mahler.

Conseil pour prolonger : poèmes symphoniques de Schreker (à commencer bien sûr par le Prélude à un Drame).

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Chausson : Poème de l'Amour et de la Mer

Sur six poèmes de Maurice Bouchor (de qualité moyenne) organisés en deux sections de trois, séparées par un interlude.

Oeuvre du meilleur Chausson, complexe, riche, coloré et chaleureux comme dans Le Roi Arthus et la Symphonie en si bémol. Très proche aussi de la fin des Quatre poèmes de l'Intermezzo de Heine de Ropartz, y compris pour le ton des poèmes. Mais la teneur en est tout de même plus sucrée, parfois très sucrée (et trop lorsque la voix est doublée par les violons...), on est loin de l'inspiration sobre et magnétique de la Chanson Perpétuelle. Le meilleur moment en est l'Interlude, le plus sobre et dense.

Susan Graham remporte un gros succès, peut-être lié à sa célébrité ou aux amateurs de voix déplacés tout exprès. La voix est correctement projetée, mais le son demeure engorgé, opaque, sacrifiant toujours son français très correct à la rondeur de son émission. On remarque aussi quelques portamenti lourds et pas très en style.

Conseil pour prolonger : Le Roi Arthus du même compositeur, Le Pays de Ropartz, et bien sûr les Odelettes de Ropartz, très similaires, mais plus inspirées et sur de bien meilleurs poèmes (Henri de Régnier).

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Dutilleux - Mystère de l'instant

L'oeuvre qui me touche le plus chez lui avec Shadows of Time et les trois Sonnets de Jean Cassou (les deux + La Geôle).

Conçu comme un hommage à à la Musique pour cordes, percussions et célesta de Bartók dans l'effectif (cordes, percussions et... cymbalum, manière d'être explicitement magyarisé).

Développement d'un même motif bref, presque à la façon des Microludes de Kurtág, d'une façon cyclique, très belle.

Très réussi par le chef et l'orchestre aussi bien pour les textures que pour la clarté du discours.

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Schumann - Quatrième Symphonie

Billy tient la tension de bout en bout, d'autant plus judicieusement que toute l'oeuvre (dirigée par coeur) est fondée sur la déformation de la même cellule de départ. Rien de se relâche, comme dans un Mahler ici encore. Le choix de tempi très vifs est soutenu de bout en bout avec une vision assez jubilatoire de cette musique. Sans aucun pathos mais pas sans émotion, avec une grande netteté, on est étonné d'entendre ainsi l'ancien orchestre d'Eschenbach !

Quelques problèmes surviennent : tempo difficile au début à soutenir pour les musiciens, et dans le deuxième mouvement une discordance entre le phrasé plus legato et lent du violoncelle par rapport au hautbois plus vif et détaché, réglé à la seconde itération, où le violoncelle suit cette fois le phrasé du hautbois.

Le problème vient surtout de l'effectif qui prolonge l'impression (erronée) d'une mauvaise orchestration de Schumann. Au contraire, chez lui les cordes tiennent le discours mélodique, les bois colorent, les cuivres marquent les accents. Mais avec huit contrebasses, douze violoncelles, douze altos, et une trentaine de violons, que peuvent les huit malheureux bois ? De ce fait, on les entend mal et on perd l'équilibre de la symphonie. En adaptant simplement l'effectif (divisé par deux ou par trois, ou alors il fallait doubler le nombre de bois), on aurait obtenu quelque chose de moins massif.

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Tout au long du concert, Bertrand de Billy, toujours assez sec au disque ou à la radio, fait valoir des qualités de clarté assez exceptionnelles qui n'enlèvent jamais rien à la beauté du son. Un chef discret mais réellement charismatique, apparemment peu phonogénique, mais qui donne en salle un lustre remarquable à cet orchestre avec lequel il faisait pourtant ses débuts.
Bref, un vrai chef, soucieux non pas d'imprimer sa marque personnelle mais d'exalter et de clarifier les oeuvres qu'il sert pour son public. Et qui est manifestement allé à l'essentiel pendant les répétitions !

... et le programme était quand même de la folie, que des oeuvres majeures, et pas forcément fréquentes (surtout ce Webern et ce Dutilleux).

mardi 14 septembre 2010

Poulenc en anglais & Barber en français - [Le Roux, Cohen, Adyar]


[On en profitera, comme d'habitude, pour proposer une présentation des corpus.]

La toute jeune Association Capricorn (2009 !), consacrée au rayonnement français de la musique de Samuel Barber, produisait un récital très intéressant dans le cadre confortable (acoustiquement) d'un des tout petits théâtres de Paris, la Salle Adyar. S'y croisaient mélodies et songs des deux compositeurs, grands amis, avec une brève présentation de Pierre Brévignon, président de l'Association, et quelques indications remarquablement érudites (et claires), lors des bis, de François Le Roux.

Le concert, filmé sous plusieurs angles, sera sans doute disponible auprès de l'association.


Très joli parallèle visuelle de la plaquette, dont nous conservons donc l'illustration pour notre compte.


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1. Contenu

Les partenaires de toujours, François Le Roux et Jeff Cohen, interprétaient le programme suivant, contenant un certain nombre de classiques, marqués par des astérisques (même si on les entend peu en concert !), et aussi des choses rares. Les deux compositeurs, et singulièrement Barber, étant peu servis au concert (et encore moins ensemble !), c'était de toute façon une occasion délectable.

Francis POULENC : Fancy
Francis POULENC : 2 Poèmes de Louis Aragon**
Samuel BARBER : Hermit Songs**
Francis POULENC : Banalités**

ENTRACTE

Samuel BARBER : Mélodies Passagères*
Francis POULENC : Tel jour, telle nuit
Samuel BARBER : 3 Songs Op.45

Bis :
Francis POULENC : Dernier poème
Samuel BARBER : Last song
Francis POULENC : Fancy

Je précise peut-être par honnêteté, pour que le lecteur ait une idée d'où je parle, que Poulenc, n'est pas, et de loin, le compositeur de mélodies qui m'est le plus cher. J'y trouve des platitudes prosodiques ou des trivialités qui me font lui donner une place moins centrale que celle qu'il occupe généralement lorsqu'on parle de mélodie française. De façon un peu différente, alors que j'admire sans bornes Barber dans sa musique pour piano et que je rêve d'une remise à l'honneur de Vanessa sur les scènes, ses deux grands cycles de mélodies m'avaient jusqu'ici peu bouleversé.

Ce récital confirme certaines choses qu'on peut entendre au disque, mais que les quantités homéopathiques administrées lorsque ces compositeurs apparaissent dans un programme ne permettent que rarement de vérifier sur scène.

Les mélodies de Poulenc sont toujours écrites dans un entre-deux mêlant la consonance agréable, presque rétrograde, et des sortes de distorsions harmoniques, comme si les accords étaient perçus par un miroir déformant. C'est idéal pour le ton burlesque qu'il affectionne, pour cette écriture sans façons qui entre très bien en résonance avec la désinvolture, fausse ou réelle, affichée par ses poètes.
On retrouve néanmoins ici, dans ces abondantes pièces, une forme de recette récurrente, que ce soit avec les cavalcades à la façon de catalogues (tournures mélodies et rythmiques, "solutions" de composition très proches), ou bien avec ses mélodies un peu psalmodiées, soit un peu peu plates (notes répétées ou très conjointes), soit assez déceptives, refusant résolument le moindre lyrisme, assumant et revendiquant un prosaïque parfois un peu frustrant. Par ailleurs, sa fascination pour la litanie est patente, aussi bien dans le choix des poésies que dans les formes répétitives de son écriture ou dans l'aspect des mélodies.

Fancy (1959) est la seule mélodie en anglais de Poulenc, sur un extrait délicieux du Marchand de Venise de Shakespeare (III,2), très consonante sans jamais donner dans la naïveté, quelque chose d'une chanson ancienne rieuse teintée de romantisme légèrement mélancolique. Très beau. La pièce est redonnée comme dernier bis, de façon très avisée.

Les Deux poèmes de Louis Aragon ("C" et "Fêtes Galantes", 1943) sont très souvent enregistrés et assez régulièrement joués. On retrouve ici la poésie un peu paresseuse d'Aragon, avec ses fulgurances de vocabulaire d'un premier jet inspiré, mais comme sans retouches, avec un sens flou, des parallélismes faciles, une cohérence sacrifiée à une jolie consonance, etc.
Poulenc en tire de belles choses poétiques dans "C", en donnant presque un sens narratif à ce non-sens : en ce qui concerne Aragon, la recherche du son avec un sens très décousu et une syntaxe indéfinie a quelque chose d'un futurisme à la russe, avec "le mot en tant que tel" de Khlebnikov et Kroutchonych (de sens moins précis que l'un, sans verser dans l'abstraction phonématique de l'autre), mais avec quelque chose d'un peu mol et galant.
"Fêtes galantes" est l'une des nombreuses cavalcades prisées par Poulenc, très réussie, qui donne vu la rapidité du débit la priorité au flux musical, ce qui diminue peut-être la richesse de sens du poème, mais qui lui permet aussi de survivre de façon convaincante - alors qu'à la lecture, on peut discuter...

Les Banalités (Chanson d'Orkenise ; Hôtel ; Fagnes de Wallonie ; Voyage à Paris ; Sanglots - 1940) sur les textes d'Apollinaire ont peu besoin d'être présentées. Leur célébrité, mais aussi le caractère badin et immédiat de leur ton, jamais dépourvu d'un charme un peu canaille, les rendent tout de suite sympathiques. En cela, Poulenc épouse remarquablement la désinvolture affichée par Apollinaire dans des poèmes qui ne sont pas ses meilleurs, mais qui livrent beaucoup de choses une fois mis en musique.
La dernière est un peu plus solennelle et moins personnelle, aussi bien de texte que de musique, mais l'ensemble demeure bref et frappant.

Tel jour, telle nuit (1936-1937) était l'autre rareté du concert, côté Poulenc : cinq poèmes de Paul Eluard, dans lesquels on retrouve . Il vaut dire que la simplicité affichée de cette poésie me semble toujours plus décousue que réellement inspirée, considération certes hautement subjective, mais qui n'aide pas, une fois encore à apprécier ces mélodies autant que d'autres auditeurs peuvent le faire. Les choix de poèmes sont la véritable malédiction de la mélodie française... et Poulenc a malgré tout, dans l'esthétique qui était la sienne, choisi autre chose que les terribles bluettes que beaucoup d'auteurs du XIXe siècle peuvent mettre en musique (même les Hugo les plus choisis sont les plus mièvres...).
Neuf poèmes dans ce cycle : "Bonne journée", "Une ruine coquille vide", "Le front comme un drapeau perdu", "Une roulotte couverte en tuiles", "A toutes brides", "Une herbe pauvre", "Je n'ai envie que de t'aimer", "Figure de force brûlante et farouche", "Nous avons fait la nuit".
On y retrouve beaucoup (arrivant en dernier) les mêmes formules : petits refrains anodins, lignes mélodiques délibérément aplaties, mouvements lents dépouillés, syllabations débridées et burlesques. La thématique dualiste "jour / nuit" est assez agréable dans le cadre d'un cycle et se trouve assez bien exploitée par Poulenc. Pas forcément un cycle majeur, mais assez supérieur à ceux qu'on choisit généralement lorsqu'on joue Poulenc (notamment les Chansons gaillardes et Chansons villageoises). Néanmoins pas de la personnalité du Bestiaire ou des Banalités.
Bref, rien de majeur, mais bien plaisant !

Les trois cycles de songs de Barber présentés sont très rarement donnés en concert, et on disposait ici notamment des deux seuls un peu célèbres.

Les Mélodies Passagères (1950-1951), sur des poèmes français de Rainer Maria Rilke, reste avant tout une curiosité : le piano demeure intéressant (on y revient tout de suite), mais la prosodie assez plate et le mélodisme toujours faussement erratique produit, sur ces poèmes déjà un peu lisses, l'impression qu'on se trouve un peu... nulle part. Le but des phrases musicales est difficile à cerner, comme si on ressentait ici plus qu'ailleurs une forme d'arbitraire qui donne le sentiment d'un à quoi bon ?. Beau cycle au demeurant, mais le plaisir y reste très inférieur aux deux autres, parce que l'objet ressemble plus à une esquisse qu'à un aboutissement.
Il est piquant de constater qu'ayant été interrogé par Barber, Poulenc l'avait rassuré sur sa qualité prosodique - certes très respectueuse, mais peu naturelle et surtout peu expansive... exactement comme ce qu'il fait en anglais, et pas si loin du côté psalmodique de Poulenc en français, évidemment ! Le conseil n'était donc pas si bon, mais il fallait considérer à qui on le demandait, aussi !

Les Hermit Songs (1953) constituent de leur côté le corpus mélodistique et songuisant le plus célèbre de Barber. Avec quelque raison d'ailleurs, révèle la confrontation aux deux autres recueils de ce concert. En voyage en Irlande, le compositeur rencontre dans une anthologie comprenant de singuliers poèmes recueillis à partir de manuscrits de moines copistes. Ceux-ci, littéralement en marge des textes qu'ils calligraphiaient, écrivaient quelques textes de leur cru, prière sincère et naïve, apologues chrétiens pas toujours très en conformité avec la doctrine ou même pensées plus profanes. On rencontre ainsi, dans ces pensées dont la production s'étend du VIIIe au XIIIe siècle, l'histoire de frère Edan qui ne dormira pas seul ce soir ou celle, pas plus orthodoxe mais néanmoins plus respectable, du chat blanc Pangur qui tient sa vie monastique à lui. Et puis des réflexions personnelles sur les textes bibliques, appropriations souvent psychologisantes, assez loin du message doctrinaire et du contenu essentiel de la foi - par exemple cette petite glose autour de la plus grande souffrance du Christ sur la Croix, celle qu'il sait infliger à sa mère.
Contenu : 1 - At Saint Patrick's Purgatory / 2 - Church Bell at Night / 3 - Saint Ita's Vision / 4 - The Heavenly Banquet / 5 - The Crucifixion / 6 - Sea-Snatch / 7 - Promiscuity / 8 - The Monk and his Cat / 9 - The Praises of God / 10 - The Desire for Hermitage.
Barber en tire une écriture qui lui est typiquement propre, et qui montre son meilleur visage. La ligne vocale n'est pas toujours d'une grande évidence ni d'un mélodisme très intense, et en cela le rapprochement avec Poulenc est d'autant plus pertinent. Cette caractéristique se trouve ici tempérée, cependant, par les figures humoristiques ou à tout le moins très caractéristiques que permettent ces textes incongrus. L'essentiel du climat et de l'intérêt se trouve plutôt porté par la partie de piano, assez passionnante, disposant de cette harmonie tortueuse et de ces lignes mélodiques dont l'aspect est erratique, et qui frappent pourtant l'imagination : on songe à plusieurs reprises au mouvement lent de sa Sonate pour piano (une superbe antimélodie pas vraiment tonale). Les pages tempêtueuses sont très impressionnantes, les babillages très évocateurs.

On retrouve sensiblement les mêmes traits dans les Three Songs Op.45 (1972), à un degré d'originalité moindre et avec des climats plus recueillis. C'est par ailleurs dans cette douceur que se situe l'unité musicale du recueil, même dans l'excentricité douce de "A Green Lowland of Pianos" (Czesław Miłosz traduit en anglais par Jerzy Harasimowicz). Toute le poème développe une métaphorisation incongrue de la salle de concert en pré, dont voici la seconde moitié traduite en français :

Après les vacances
Ils provoquent des scandales
Dans les salles de concert
A l'heure de la traite artistique
Voilà soudain qu'ils se couchent
Semblables à des vaches

Observant d'un oeil morne
Le massif de fleurs blanches
Du public
Les gesticulations
Des ouvreuses

Les deux autres poèmes, plus sérieux, sont traduits de l'allemand. [Car l'unité du cycle est en réalité d'abord littéraire, avec des sujets bucoliques tous de poètes étrangers traduits en anglais.] Le premier, "Now Have I Fed and Eaten Up The Rose" est de Gottfried Keller traduit par James Joyce, le troisième, "O Boundless, Boundless Evening", de George Heym traduit par Christophe Middleton. Il constitue une jolie conclusion de récital, aussi bien par son sujet assez en situation (la "soirée sans fin") que par sa qualité évocatrice assez intense (dans le moment toujours priviligié de la dernière pièce du concert) ; et d'un point de vue musical, les couleurs nocturnes en sont assez belles aussi.

Voilà pour la présentation des oeuvres. C'est un peu long, mais si un compte-rendu n'est que l'occasion de parler d'interprétation, on passe tout de même à côté de l'essentiel, puisqu'il doit être l'occasion d'échanger avec ceux qui ont assisté aux mêmes oeuvres, ou d'informer ceux n'ont pu s'y rendre.

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2. Exécution musicale

Suite de la notule.

jeudi 8 octobre 2009

[podcast] Une tentative d'Histoire de la mélodie française



(Télécharger le son.
[Les sons ont aujourd'hui été désactivés, la transcription figure ci-dessous.])


Voici une petite improvisation qui était destinée à être distribuée sous forme de 'podcast', pour faire patienter les lecteurs de CSS durant la vacance du pouvoir lutinal (à la mi-août). Il se trouve que le son très mauvais (c'était juste un test, qui s'est révélé plutôt adéquat sur le contenu, mais le micro était trop mal placé, sous la table de travail près du ventilateur de la machine...) m'a dissuadé de le publier tel quel. En voici donc le réenregistrement ci-dessus et la retranscription ci-après.

J'ai ajouté les titres pour se repérer dans le flux verbal oral, et j'ai retouché une ou deux structures bancales. Je mets à disposition l'original, pour entendre l'improvisation (mais il est presque inaudible d'un point de vue technique), et la nouvelle version, où je lis cette fois les présentes notes.
On remarquera que je m'appuie beaucoup sur le parallèle entre les deux genres. On pourra se reporter aux propos sur l'histoire du lied pour mieux en profiter.

Il faut bien concevoir qu'il s'agit d'un petit parcours informel, sur le mode de la conversation : il y a donc un certain nombre de glissements, voire de digressions ; de répétitions, voire de martèlements, qui à l'oral servent à développer, à illustrer, mais qui fonctionnent nettement moins à l'écrit où l'on préfèrera des choses plus compartimentées et mieux délimitées. On se proposera peut-être de le faire prochainement. Dans l'attente, on pourra toujours suivre quelques-uns des nombreux liens ajoutés à la retranscription ci-après.

Qu'importe, c'est toujours un peu de matière.

Suite de la notule.

lundi 21 avril 2008

Georges AURIC - La Rose et le Réséda

Extrait des Quatre Chants de la France malheureuse, un petit bijou. (Texte et extrait musical ci-après.)

Cette quatrième mélodie réussit un très beau tour de force textuel.

Alors que le langage d'Auric est en lui-même d'un postdebussysme très sage et assez convenu, on assiste ici à la transfiguration du poème d'Aragon. Le texte, bien connu, présente, comme d'autres Aragon, tout à la fois un certain prosaïsme revendiqué et une facilité d'expression qui confine parfois au négligé d'un premier jet. Sa fortune peut être également attribuée, comme à d'autres, à la dimension idéologique et aisément appropriable de son "message", très proche d'une certaine philosophie populaire du quotidien.

A priori une matière peu féconde pour le mélodiste. Pourtant Georges Auric, en s'appropriant ce texte, magnifie ce qui y est à l'origine insignifiant. Chaque épisode descriptif (un quatrain) est scandé par le même distique en forme de refrain, qui contient à lui seul une bonne part du programme du poème :

Suite de la notule.

dimanche 2 mars 2008

Debussy et la poésie

Etrange comme Debussy, sur des bijoux de poèmes, fragmente, voire dissout la structure poétique. Ses Verlaine, en particulier Clair de lune, Le son du cor s'afflige ou en encore Colloque sentimental, semblent changés en prose.

Son côté cursif, qui refuse le refrain et la structure d'ensemble, la lenteur de l'énonciation, la ligne très parlée et volontairement applatie (c'est l'impression que procurent ces intervalles par tons entiers), tout cela contribue à faire de ces poèmes un flux un peu neutralisé, presque un prétexte. Les rimes, et plus encore le mètre, n'ont plus guère de signification.

Autant le traitement trop mélodique (voire strophique [1]) peut se révéler un péché chez certains compositeurs, en banalisant le texte, autant ici, ces compositions fascinantes musicalement, suspendues, oniriques, semblent bien loin de l'esprit des poèmes.

Il ne s'agit plus guère de l'appropriation intime d'un texte par un compositeur, bien plutôt d'une expression purement musicale inspirée par un contexte poétique, mais traduite en des termes absolument propres à Debussy - qui ne cherchent en rien à exalter ou même respecter l'esprit initial des textes employés.

Lire la suite.

Notes

[1] En répétant, donc, la même thématique musicale pour des strophes distinctes.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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