Carnets sur sol

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mardi 12 septembre 2017

Franz Schubert, compositeur patriotique et sanguinaire


Non, pas seulement dans la fiction. Dans ce cas, évidemment, il serait si facile d'invoquer les combats de Fierrabras, la plainte des guerriers chrétiens capturés qui chantent la patrie perdue :

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Chœur a cappella « O teures Vaterland », l'une des plus belles pages chorales de Schubert. Chœur Arnold Schönberg, Claudio Abbado.

ou la fureur de la sœurette mauresque du héros éponyme, se préparant à libérer Roland (bientôt de) Roncevaux.

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Air de Florinda « Die Brust gebeugt von Sorgen » à l'acte II par Cheryl Studer, l'Orchestre de Chambre d'Europe et Claudio Abbado.
Là aussi, un moment très prégnant du drame, et de la musique.


Jusque dans le domaine de la musique domestique, on pourrait convoquer les mises en musique de Métastase par Schubert en version piano-chant, comme Serbate, o Dei custodi D.35 (un exercice donné par Salieri), un chœur ici confié à Titus, une prière politique aux dieux de la Cité pour la préservation des jours du souverain – équivalent assez exact d'opera seria pour Gott erhalte den KaiserGod save the Emperor, ni plus ni moins.

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Extrait de Serbate, o Dei Custodi sur un extrait de Métastase. Adrian Thompson, Graham Johnson.
L'exercice de composition écrit par Schubert sur une simple ligne de basse a été complété par Alfred Orel pour l'exécution au piano comme ici.


Mais le format intime n'interdit nullement l'éloquence tempêtueuse, ainsi que le montre cette véritable scène d'opéra dans le goût de la fin du I de la Clémence du Titus.

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Il traditor deluso D.903 n°2 sur un extrait de Métastase. Gerald Finley, Graham Johnson.

C'est en réalité un collage assez sophistiqué tiré de Gioas, re di Giuda, qui reprend partiellement une scène de confusion d'Athalie… tout en l'écrivant hors sol pour un personnage imaginaire en clef de fa. Une des hypothèses est que Schubert, sous le charme de Lablache venu chanter à Vienne en 1827 (et qu'il aurait pu rencontrer chez Raphael Kiesewetter), lui aurait écrit les trois airs d'un groupe de mélodies italiennes – qu'il aurait même pu, potentiellement chanter dans le salon, on n'en sait rien.

Pour plus ample information, une notule de 2006 y est intégralement consacrée (sans doute la première notule de ce format publiée sur CSS), ainsi qu'à l'un des autres airs du groupe (autre cas très tarabiscoté, qui convoque cette fois Régulus pour chanter une sérénade).

On voit que Schubert ne craint pas, comme on pourrait le croire, l'exaltation patriotique, la véhémence guerrière ni le sang versé.

Mais dans la fiction, tout est possible. Ce devient beaucoup plus intéressant et beaucoup plus inattendu lorsqu'on s'approche du monde réel.



En 1813, Napoléon recule enfin, à Leipzig, contre la Sixième Coalition. Schubert écrit alors Auf den Sieg der Deutschen (« Sur la Victoire des Allemands », D.81) pour célébrer l'événement, pour baryton accompagné par une formation étrangement galante (trio à cordes).

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Auf den Sieg der Deutschen, avec Detlef Roth (intégrale Eisenlohr chez Naxos).

Le poème anonyme qu'il met en musique (possiblement de lui-même, disent les spécialistes) ne brille pas par sa subtile analyse ni sa suave méditation : il reproduit les mêmes stéréotypes chantés par chaque camp, du côté germain cette fois.

Et musicalement, c'est une jolie danse, avec un chante certes pour une fois confié à une voix grave, mais chargée d'ornements sur cette pulsation tournoyante. Musique de bal.

Je traduis trois strophes des huit (strophes 1,3,5 de l'extrait).

Verschwunden sind die Schmerzen,
Weil aus beklemmten Herzen
Kein Seufzer widerhallt.
Drum jubelt hoch, ihr Deutsche,
Denn die verruchte Peitsche
Hat endlich ausgeknallt.

Die Menschheit zu erretten
Von ihren Sklavenketten
Entstand das Bruderband.
Franz, Wilhelm, Alexander
Wetteifern miteinander
Zum Wohl für’s Vaterland.

Der Kampf ist nun entschieden.
Bald, bald erscheint der Frieden
In himmlischer Gestalt.
Drum jubelt hoch, ihr Deutsche,
Denn die verruchte Peitsche
Hat einmal ausgeknallt.
Les peines ont cessé,
Car des cœurs opprimés
Plus un soupir ne s'exhale.
Exultez, Allemands,
Puisque le fouet exécré
A claqué pour la dernière fois.

Pour libérer l'Humanité
De ses chaînes d'esclave,
Une armée de frères est née.
Franz, Wilhelm, Alexandre
Rivalisent ensemble
Pour le bien de la Patrie.

La rixe est à présent tranchée.
Bientôt, bientôt la Paix apparaîtra,
Sa silhouette célestement nimbée.
Exultez, Allemands,
Puisque le fouet exécré
A claqué pour la dernière fois.

La traduction est moche, mais l'original n'est pas vertigineux non plus, hein.

Schubert manifeste un véritable sentiment patriotique qui ne se limite pas à la pacifique nostalgie pour sa Heimat, tels les chevaliers de Charlemagne dans leur poétique Teures Vaterland. Il s'exprime à nouveau l'année suivante, où le 16 mai, un mois après la (première) défaite finale de Napoléon et l'entrée de la Coalition dans Paris (15 avril 1814) – et commet à nouveau un lied étonnant, Die Befreier Europas in Paris (« Les Libérateurs de l'Europe à Paris », D.104).

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Die Befreier Europas in Paris, avec Detlef Roth et Ulrich Eisenlohr (intégrale Eisenlohr chez Naxos).

Ce qui était à l'état d'exaltation générale de la liberté des peuples et de l'abhorration des tyrans devient plus vindicatif, et surtout convoque encore plus explicitement les héros du temps – célébrant les tirants de l'Est contre celui de l'Ouest… Quel dépaysement que de voir Schubert engagé dans ce type de chauvinisme déraisonnable et tout à fait peu élégant. Cela témoigne, sans doute, de la terreur qu'exerçaient les victoires napoléoniennes sur les autres nations souveraines, ou du moins l'humiliation ressentie devant les défaites accumulées. Schubert exulte ici avec un manque de subtilité qui traduit sans doute le soulagement spontané à l'annonce de la victoire.

Le texte a paru anonymement dans le journal autrichien Der Sammler. Je ne dispose que de quatre des huit strophes d'origine, celles que j'ai traduites.

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Extrait de la version de Maarten Koningsberger et Graham Johson (intégrale Johnson chez Hyperion).

Pure forme strophique, sur une musique encore plus simple et moins saillante que la précédente, joyeuse mais un peu figée, qui sent le griffonnage sur un nappe en fin de repas. Et pourtant, il en existe pas moins de trois versions successives (avec des modifications mineures) de la main de Schubert.

Sie sind in Paris !
Die Helden! Europas Befreier !
Der Vater von Östreich, der Herrscher der Reußen
Der Wiedererwecker der tapferen Preußen !
Das Glück Ihrer Völker, es war ihnen teuer,
Sie sind in Paris !
Nun ist uns der Friede gewiß !

Du stolzes Paris!
Schon schriebst du der Erde Gesetze;
Doch, Herrschaft und Übermut plötzlich zu enden,
Durchstrich Alexander die Rechnung mit Bränden.
Von Moskau begann nun die Jagd und die Hetze,
Bis hin nach Paris !
Nun ist uns der Friede gewiß !

Getäuschtes Paris !
Der schmeichelnde Wahn ist verflogen ;
Die Väter der Teutschen, den Cäsar des Nordens
Empörten die Gräuel des Raubens und Mordens.
Der Edlen Verheißung – sie hat nicht betrogen ;
Sie sind in Paris!
Nun ist uns der Friede gewiß!

Befreites Paris!
Aus dir floß die Lava der Kriege ;
In dir sprießt die Palme, sie haben’s verheißen,
Die Väter von Östreich, von Rußland, von Preußen,
Die liebliche Frucht ihrer glänzenden Siege
Ist Friede gewiß!
Sie senden ihn bald aus Paris.
Ils sont à Paris !
Les héros !  Les Libérateurs de l'Europe !
Le Père de l'Autriche, le Seigneur des Russes,
Celui qui réveilla les Prussiens braves  !
Le bonheur de leurs peuples leur était si cher
Que les voilà à Paris
À présent la paix est sûre !

Orgueilleux Paris !
Tu as certes écrit les lois de la terre.
Et pourtant, ton règne et ta témérité s'achèvent soudain,
Alexandre a réglé la note par les flammes.
De Moscou est partie la poursuite et la chasse,
Jusqu'à Paris !
À présent la paix est sûre !

Paris qui t'illusionnais !
Tes délires flatteurs ont disparu ;
Les Pères des Germains, le César du Nord
Furent enflammés par les horreurs du pillage et du meurtre.
La promesse des gentilhommes, ils ne n'ont pas trahie ;
Ils sont à paris !
À présent la paix est sûre !

Paris libéré !
La lave de la guerre a coulé de tes murs ;
En toi grandit la palme qu'ils ont promise,
Les Pères d'Autriche, de Russie, de Prusse :
Le fruit aimable de leur brillante victoire,
C'est bien sûr la Paix !
Ils l'ont vite depêchée depuis Paris.


Enfin, plus léger encore, et davantage insolite s'il est possible, Lied « Ferne von der großen Stadt » (« Loin de la grande ville »), qui reste une œuvre de jeunesse (1816, il a 19 ans), mais le catalogue s'est déjà emballé : de D.104 à D.483 en trois ans !

Une simple exaltation de la campagne, en huit strophes ici aussi, due à Karoline Pichler (ancêtre direct du Quatuor Alban Berg ?), qui tenait salon.

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Ferne von der großen Stadt, Detlef Roth et Ulrich Eisenlorh (intégrale Eisenlohr chez Naxos).

Mais vous aurez d'emblée remarqué la bizarrerie : le refrain, c'est l'hymne haydnien Gott erhalte Franz, den Kaiser.  

Pourtant, le texte de K. Pichler consiste en une simple exaltation – qui semble délibérément stéréotypée (il y fait toujours beau !), mais pas ironique – de la vie rustique.

Voyons de plus près les quatre strophes strophes – je ne traduis que le texte du refrain, qui varie.

Éloge du repos.
« Et un ciel toujours serein / Sourit aux joyeuses plaine. »

Évocation des arbres et du ruisseau.
« Et que la colline d'herbe fraîche / Soit mon vert kanapee. »

Arrivée des fruits de l'automne et des grappes.
« Ou les bleues prunes givrées / De l'arbre que j'ai taillé. »

Hiver, vent du Nord, forêts sans feuilles, champs gelés, montagnes enneigées, le temps passe auprès du foyer.
« Jusqu'à ce que, paré de fraîche verdure, / Le printemps s'éveille à nouveau. »

Rien de particulièrement politique ni même épique, donc. Pourquoi ce thème ?

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Début de Ferne von der großen Stadt, Elizabeth Connell et Graham Johnson (intégrale Johnson chez Hyperion).

Personne n'a réellement de réponse. Schubert est né en le 31 janvier 1797 ; moins de quinze jours après, le 12 février, Haydn offre à l'Empereur François Ier d'Autriche (François II du Saint-Empire) un hymne auquel il songeait depuis 1790, le fameux Gott erhalte den Kaiser, musique depuis devenue par les facéties de l'Histoire l'hymne allemand. Il s'agissait de produire un Domine salvum fac regem ou un God Save the King à l'usage de la monarchie autrichienne. Lorsque le jeune Schubert compose sa mélodie, l'hymne est donc pleinement établi ; plus important, Schubert l'a sans doute toujours entendu, dès son plus jeune âge : quelque chose de très familier.

Pourquoi, alors, cet emploi qui ne célèbre aucune victoire ?

Les exégètes proposent plusieurs pistes.

→ Graham Johnson suggère que dans le texte, Pichler fait référence à la République des Abeilles, suggérant que la poétesse serait une sorte de reine. À mon avis, outre qu'il serait assez baroque d'utiliser la musique de pompe impériale pour une référence républicaine, ce système de référence n'est pas opérante dans une pièce à refrain : on ne peut pas teinter toutes les reprises du même clin d'œil pour une information qui se trouve dans un seul couplet.
Restent alors les deux explications évidentes et opposées.
→ Le thème symbolise la Vienne impériale. Et par une forme d'ironie légère, le poète agrestifié évoque de la sorte son éloignement de la pompe des humains. Ce paraît un brin irrévérencieux (pour quelqu'un qui qualifiait Franz Ier de Sauveur de l'Humanité deux ans plus tôt…), mais vu la légèreté du texte, ne prête guère à conséquence.
→ Le thème est ici utilisé dans son sens patriotique large : il exalte la beauté des paysages et l'harmonie de la nature dans la Heimat. Il mime l'enflement de cœur qui saisit quiconque contemple de magnifiques paysages qui sont siens. Ce me paraît l'hypothèse la plus congruente à la fois avec le texte et les inclinations habituelles de Schubert – cette exaltation lui sied particulièrement bien.



Je l'admets, ce ne sont pas les découvertes musicales qui changeront votre vie d'auditeur… J'espérais badiner un peu plus sur notre frêle Schubert qui s'en va (t')en guerre mironton mironton mirontaine, mais j'ai fini, je le confesse, par laisser le sarcasse pour me laisser entraîner dans le tourbillon des œuvres tout à fait inattendues que j'ai trouvées en quantité bien plus abondante qu'envisagé. Après avoir entendu fortuitement (et avec stupéfaction) les Libérateurs de l'Europe, je me suis aperçu de ce que cette veine n'était pas si exotique pour Schubert.

Dans une veine (violente mais/et) biblique, vous trouverez aussi Mirjams Siegesgesang (peut-être la seule œuvre qui ne soit pas fabuleuse dans les D.900…), contant la poursuite et la chute de Pharaon englouti dans les eaux de la Mer Rouge ; ou encore, dans ces piécettes aux sujets de jubilation insolites, un plus raisonnable éloge du Tokay (de 1815, D.248). Mais ce sera pour d'autres occasions.

mardi 7 février 2017

Les faux raccourcis du lied : le piège mortel de la transposition


    Hier soir, La belle Meunière par Matthias Goerne et Leif Ove Andsnes, en concert. Goerne était en petite forme (de l'air dans les cordes vocales…) et avait largement perdu de sa magie souvent décrite dans ces pages. Cela le privait de ses éclats terrifiants, et le forçait à se replier dans les nuances les plus douces, chantant à mi-voix, pas toujours complètement timbré. Néanmoins, du fait de ses habitudes et de son gigantesque talent, il finit par retourner la salle, dans une seconde moitié complètement suspendue – envoûtante – où le temps se fait espace, quelque chose comme ça…

    Donc excellente soirée, vraiment, et je ne suis pas suspect, comme l'indiquent les notules du lien ci-dessus, de mégoter mon adhésion à l'art de Goerne. Toutefois, il me prend la fantaisie de détailler les risques, pour ne pas dire les mauvais choix, qui auraient précipité dans l'impasse tout autre que lui.

♠ D'abord, le voile sur de sa voix tient sans doute de la fatigue propre à un soir ou une période, mais aussi à l'évolution d'une voix très laryngée : plus la voix est placée en arrière, plus le raidissement des tissus avec l'âge va l'empêcher d'atteindre les aigus. Cela s'observe régulièrement chez les sopranos aux aigus flottants, qui perdent parfois leur timbre – je dis l'âge, mais il s'agit en réalité de l'âge combiné avec la fatigue d'une carrière professionnelle, le phénomène touche beaucoup moins ceux qui chantent peu, par exemple ceux qui se reconvertissent tôt comme professeurs et donnent des concerts occasionnels (on est souvent alors impressionné par leur fraîcheur de jeunes premiers !).
    C'est ce qui fait la spécificité de Goerne, on ne va pas souhaiter qu'il soit autrement qu'il est, mais c'est un paramètre qui, clairement, le défavorise dans l'évolution de sa voix, qui perd davantage en souplesse, comparativement, que s'il utilisait d'autres techniques.

♠ La transposition pour voix de basse pose toujours des problèmes vocaux. Par confort, pour ne pas prendre trop de risque, pouvoir réaliser des nuances dans les aigus, les barytons, même jeunes et de format assez léger, ont tendance à prendre des transpositions très basses.
    Un ton plus bas que l'original (et parfois, pour des raisons de doigtés ou de nombre de dièses, un ton et demi, ou un demi-ton), ce ne change pas vraiment les équilibres, et n'étant jamais écrit haut comme un air d'opéra claironnant, cela permet à un baryton de chanter confortablement. Comme ce sont par-dessus tout les barytons qui chantent ce répertoire, ce sont les versions qu'on entend le plus fréquemment, plus fréquemment que les versions originales – calibrées pour la voix de ténor de Schubert.
    En revanche, lorsqu'il s'agit de descendre plus bas, le timbre d'un baryton s'éteint complètement, et se réfugiant dans les graves, lui se sent en sécurité, tandis que le public ne bénéficie plus de sa projection ni de sa zone expressive. J'ai le souvenir de Ludovic Tézier, dont les aigus sont pourtant au-dessus de tout soupçon (et c'était il y a plus de dix ans !), chanter Die Dichterliebe dans des profondeurs dont il ne se tirait pas. En revanche, pour les bis de Liszt, sa voix était complètement chauffée, et lui libéré, c'était superbe.
    Goerne, considérant sa méforme, étant contraint de choisir une transposition radicale, cela s'entend ; je souligne simplement que beaucoup (trop) de barytons, peut-être légitimés par les derniers disques de leurs idoles, font de même tôt dans leur carrière, ce qui est une erreur, sinon vocale, du moins artistique.

♠ Car la transposition pour voix basse altère le caractère de l'œuvre.
    Ici encore, Goerne change Die schöne Müllerin en prequel du Winterreise, uniformément désespéré et remâchant la mort. De ce fait, il soutient vaillamment le paradoxe.
    Mais pour les autres chanteurs (et ce soir, considérant ses limites, en partie pour lui), déplacer à ce point le centre de gravité nuit à l'économie de l'œuvre. Dans un cycle rempli de chansons, de pièces strophiques, de références folkloriques, et qui peut sans grande perte se réduire pour guitare (ainsi qu'en atteste assez généreusement la discographie), une version pour basse ne peut pas rendre justice au jeune meunier naïf qui, bien que désespéré, nous amuse de ses illusions une à une démenties. Et qui chante au bord du ruisseau des cantilènes rêveuses, quand il ne l'interroge ou ne le tance pas.  
    C'est pourquoi le lied fonctionne assez mal ainsi transposé, même pour d'authentiques basses – le problème est alors aussi celui de la flexibilité vocale : les ténors ont la souplesse mais pas l'assise, les basses l'assises mais pas la souplesse, les barytons disposent des deux.
    Ce soir, la berceuse finale est jouée trois tons sous l'original (en si bémol au lieu de mi) !  Et ce n'est pas une fantaisie pure de la part de Goerne : Andsnes utilise le volume officiel de Breitkopf (ou Peters, je ne puis complètement en jurer) pour tiefe Stimme. Deux tons, cela se justifie (sinon, le saut de sixte majeure sur un sol dièse piano ferait très mal…), mais trois, comment faire croire à une berceuse, l'accompagnement ressemble plutôt aux souterrains de Pelléas, version bien tonale. Toute la dimension folklorique de ce qui était encore vu comme une imitation du volkslied, une adaptation du chant populaire au raffinement des salons, est ainsi engloutie.

♠ C'est donc la même chose pour le piano.
    Le jeu de Leif Ove Andsnes (que j'apprécie pourtant, malgré son caractère toujours un rien « propret ») sonne assez visqueux, toucher rond mais pas du tout de relief ni d'accents… Étonnant, dans la mesure où ses disques avec Bostridge sont très valables – en particulier les accompagnements du premier en 2002, où il joue aussi l'avant-dernière sonate de Schubert –, beaucoup plus subtils en tout cas. Je peine à lui en faire porter la totale responsabilité, dans la mesure où il joue, du fait des transpositions, quasiment en permanence dans la seconde moitié du clavier, au-dessous du do central !  Il aurait, à peu de choses près, pu tout jouer à l'octave supérieure, ça aurait sans doute mieux sonné – mais le décalage du piano cristallin avec la voix crépusculaire aurait été difficilement tenable, je l'admets.
    Honnêtement, dans ces conditions, même s'il ne dispensait clairement pas des merveilles de subtilité, on n'entendait pas grand'chose de toute façon.

♠ À cela s'ajoutait le manque patent de répétitions.
    Difficile de travailler avec un soliste qui n'a pas la possibilité de suivre longuement un chanteur. À plusieurs reprises, on voit Goerne attendre qu'Andsnes débute sa phrase (ce qui n'est pas une posture normale) pour enchaîner, ou à l'inverse le laisse complètement se débrouiller pour essayer de suivre son propre rubato. On sent qu'ils pensent encore à surveiller ce que fait l'autre, et que leur partenariat n'a pas le naturel de ceux qui ont longuement travaillé ensemble. C'est normal, bien sûr – et puis Goerne a surtout chanté avec les meilleurs accompagnateurs, d'une souplesse absolue, comme Eric Schneider ou Helmut Deutsch, qui ne font quasiment que de l'accompagnement (de l'orgue aussi, pour Deutsch, et extraordinairement, mais je crois qu'il ne le pratique plus guère en public depuis un moment).
    Dans l'attitude aussi, Andsnes ménage de petits retards dans ses phrasés qui sont des sortes de réflexes d'habillage pour un soliste, mais qui n'ont pas de lien avec le phrasé choisi par le chanteur juste avant, qui n'ont pas non plus de sens particulier par rapport au texte ou à la situation : il fait son piano comme il en a l'habitude, mais on peine à sentir une interaction forte avec le chanteur ou le texte, comme le font en général les grands accompagnateurs.
    J'ai regretté, je l'avoue, le piano dur et moche de Christoph Eschenbach, toujours à l'écoute de Goerne, et qui répondait très exactement à ses climats. Pas toujours du grand piano, mais le duo fonctionnait parfaitement.


    Je le redis, le concert était très émouvant, il me semble simplement plus intéressant, plutôt que de refaire les éloges que j'ai déjà énoncés de multiples fois, d'explorer les grains de sable qui peuvent, chez d'autres que Goerne, déstabiliser une préparation de qualité.

    Donc, chanteurs, si vous n'êtes pas des génies du lied, ne choisissez pas des transpositions exagérées (un ton et demi est vraiment la limite pour ne pas tout dénaturer, et à réserver aux voix de baryton-basse, ou vraiment fatiguées). Enfin, si vous êtes amateur, vous faites ce que vous voulez, si ça vous permet de le chanter, ne vous gênez surtout pas. Mais quand vous enregistrez des disques, ne vous laissez pas abuser par vos sensations : grave, c'est mal, et ça abîme les partitions – c'est grave.
    Et, honnêtement, cela diminue aussi le plaisir (et la latitude expressive) de vos accompagnateurs.

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Pour prolonger :

► Panégyriques de Matthias Goerne. Le lien est vers l'un des derniers, mais qui renvoie vers les précédents (où il est question, notamment, du piano d'Eschenbach).

► Présentation des cycles schubertiens et du principe d'origine (folklore, etc.), plus détaillé dans ce vieux podcast consacré à la mélodie française.

Discographie exhaustive (en 2014) de Die schöne Müllerin. Faites votre marché ! (et n'hésitez pas à poser des questions si vous êtes curieux, j'ai écouté un certain nombre des bizarres de la liste)

mercredi 30 novembre 2016

Les Kapsber'girls, réinvestir la chanson Grand Siècle


kapsbergirls

Voilà quatre à peine vingtenaires qui renouvellent, vraiment, l'approche des premiers airs de cour baroques italiens. Dans un programme autour des villanelles les plus facétieuses de Kapsberger et des saynètes de Merula et Strozzi, elles réactivent le texte (qu'elles racontent et communiquent, vraiment, rien à voir avec les plaintes standardisées qu'on se représente comme l'usage) et redonnent toute sa place aux effets de la rhétorique musicale (parodie de stile concitato chez Strozzi, servi par des passages en voix de poitrine ; mélismes qui ne sont pas décoratifs mais prolongent l'émotion, comme ces [i] guillerets d'ingioisce – « se réjouit », etc.).



Côté chant, l'appariement est parfait : émission très tranchante du second soprano (annoncée mezzo, ce qui n'est pas si évident à l'écoute, et difficile à trancher dans ce répertoire) Axelle Verner, attaque et diction nettes, tout en avant, tandis qu'Alice Duport-Percier, qui tient la partie haute, a quelque chose d'à la fois plus vaporeux, moins placé et assez immédiatement accrocheur, ce qui rend les deux parties toujours audibles et différenciées. Leur abandon et leur naturel extraordinaire, quand elles s'expriment avec gourmandise, font le reste.

Chacune des musiciennes présente à son tour les pièces à venir, ce qui est très avisé ; la disposition est aussi originale et particulièrement vivante, les chanteuses se plaçant au cœur de l'ensemble, comme s'adressant l'une à l'autre. Le continuo (Barbara Hünniger, viole de gambe / basse de violon et Albane Imbs, guitare baroque / archiluth / direction artistique), cherche moins le renouvellement et l'inédit (encore que ces pizz profonds à la basse de violon soient saisissants !), mais les contraintes logistiques d'un ensemble réduit ne permettent pas non plus des fantaisies invraisemblables surtout si, comme ici, l'objectif ultime est le naturel et la communication directe – et le résultat est absolument jubilatoire. Un style incroyable pour d'aussi jeunes artistes.



On peut les entendre en ligne. La vidéo des journées du luth, au printemps dernier, les montre beaucoup plus prudentes, abordant les mêmes pièces avec les mêmes options, mais beaucoup moins d'abandon, dans une jolie interprétation élégante beaucoup plus traditionnelle. Sur leur flux SoundCloud, on entend beaucoup mieux leur naturel et leur espièglerie… il manque tout de même le visuel, avec un véritable jeu, une distanciation tendre qui finissent de faire fondre leur public. Je n'avais jamais vu le paisible auditoire de Soubise exalté comme ça.

vendredi 3 juillet 2015

Franz Schubert – Die Winterreise en version chorale a cappella (Chihara vs. Gottwald)


Idée très attirante – comment n'y a-t-on pas pensé avant ? On voit d'ici le résultat, des atmosphères extatiques façon Brahms, mais avec la qualité mélodique et figurative du dernier Schubert.


Pourtant, ce disque paru chez Exton en 2011 (Hiroshi Satoi y dirige les TARO Singers, captés au Tsuda Hall de Tokyo en 2010) ne fonctionne pas bien.

¶ D'abord à cause de la matière elle-même : le Winterreise reste écrit à base de mélodies sur des accompagnements, souvent des accords simples ou des lignes dénudées, avec beaucoup de répétitions thématiques… si bien qu'en matière d'écriture chorale, on risque, si l'on ne fait rien, la monodie accompagnée (« Gute Nacht », « Einsamkeit », « Die Post », « Die Krähe », « Der Leiermann »…) ou même des creux dans le spectre harmonique (« Die Wetterfahne », « Der greise Kopf », « Wasserflut »).


Les deux premiers lieder du Winterreise sur ce disque, assez représentatifs des obstacles rencontrés par le transcripteur.


¶ Le problème de ce disque est que l'arrangement réalisé par Hideki Chihara tombe dans tous ces travers à la fois :

  • il utilise des sections entières pour chanter les mélodies (par exemple le pupitre de ténor, soutenu par les accords des autres), solution trop proche de l'original qui déséquilibre le spectre choral et diminue l'intérêt (c'est la même chose que d'habitude, sauf qu'une vingtaine de chanteurs est forcément moins précisément articulée et expressive qu'un soliste…) ;
  • il n'épargne pas les grosses doublures pour combler les vides (on va ajouter à la note écrite, tenue par un pupitre entier, une note à la tierce jouée par un autre pupitre entier…), ce qui fait que la matière musicale demeure assez pauvre pour un chœur, même si chaque fois chante une note différente ;
  • même les lieder les plus évidents à utiliser en chœur, comme la superbe homophonie de Das Wirthaus, ne sont pas très convaincants – là encore, on a l'impression de vagues ajustements de l'original au lieu d'une réécriture en profondeur pour adapter les effets aux moyens du chœur ;
  • pour couronner le tout, il emploie des « tada » et des « doudoum » (oui, littéralement « tada » et « doudoum » !) pour remplir les parties musicales qui n'ont pas de texte dans l'original ; non seulement c'est un peu paresseux, mais c'est surtout en décalage assez violent avec le ton général des œuvres… « tadadoudoum » pour accompagner « Gute Nacht », comme si c'était une sérénade en scat, sérieusement ?



Deux lieder du ''Liederkreis'' opus 39 de Schumann (successivement « Waldesgespräch » et « Mondnacht ») interprétés par le Chœur de chambre de Stuttgart dirigé par Frieder Bernius, et parus chez Carus. Couplé avec des arrangements de mélodies de Debussy et Ravel, et des œuvres sacrées originales de Fasch et Daniel-Lesur.


¶ Pourtant, il n'était pas impossible de le réussir. L'immense Clytus Gottwald, dont j'ai déjà eu l'occasion de recommander chaleureusement la production (en lui consacrant un chapitre entier dans la sélection de musiques a cappella), a réussi des merveilles en traitant des lieder assez simples – Schumann s'y prête légèrement mieux vu l'indépendance et la mobilité harmonique de l'accompagnement, mais il reste beaucoup d'ajustement à opérer.
Et, de fait, Gottwald y redistribue la parole (en confiant le texte à tous les pupitres, comme dans un vrai chœur), travaille les dispositions de textures pour rendre l'effet initial, et complète souvent la composition d'origine. Dans Waldesgespräch, vous pouvez remarquer qu'il ajoute de petites imitations après certains moments importants de la mélodie, pour remplir un peu le spectre harmonique et contrapuntique. En général, il utilise les sopranos pour tenir la mélodie principale, ce qui lui permet de travailler les frottements harmoniques et les effets de texture dans les parties intermédiaires, de façon beaucoup plus commode – alors que Chihara, c'est très audible dans « Gute Nacht », conserve les ténors pour la mélodie et répartit ensuite l'harmonie de Schubert dans le désordre, ce qui crée un résultat un peu nouveau, mais pas forcément heureux (ce ressemble surtout, en réalité, à une réorganisation dans le désordre).

Il faut dire, à la décharge de Chihara, que les TARO Singers ne sont pas du niveau exceptionnel des chœurs germaniques (les chœurs de chambre de Stuttgart, par exemple), ni techniquement, ni linguistiquement (toutes ces voyelles allemandes à la fois inexactes et dépareillées entre les chanteurs !), qui ont gravé les arrangements de Gottwald. Dans ces conditions, l'arrangement ferait sans doute bien moins sentir ses faiblesses.

On espère donc toujours une bonne adaptation a cappella du Winterreise – il est assez probable que Gottwald ait écrit, voire édité ça (et une kyrielle d'autres gens, je n'en doute pas), même si on n'en dispose pas de version discographique. À moins que la tâche lui ait paru hasardeuse, pour toutes les raisons citées.

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Vous pouvez retrouver une proposition de liste de versions insolites du Winterreise, mais elle date d'une dizaine d'années, beaucoup de versions au caractère nouveau ou d'arrangements étranges ont paru depuis.

On rencontrera également une liste de chœurs a cappella non originaux, arrangés depuis des œuvres célèbres (notamment des lieder, notamment des Gottwald) dans la notule consacrée au sujet.

dimanche 8 février 2015

La bataille finale du lied et de la glotte : Wieck, Viardot, Yoncheva


Voilà une expérience particulière qui mérite mention. Pour le progamme, et puis pour deux ou trois autres choses plus amusantes.

1. Lieder de Clara Wieck-Schumann

La raison de ma venue : depuis une dizaine d'années, on enregistre régulièrement Clara, et on lui consacre même quelques monographies au disque, mais il reste rare qu'on l'entende abondamment au concert, hors de quelques pièces isolées. Une moitié entière de programme, c'était une bénédiction !

Par ailleurs, Sonya Yoncheva ne s'y est pas trompée, et a choisi, dans le tiers de son legs qu'elle a joué, ses meilleures compositions : les célèbres « Er ist gekommen » et son caractère de tempête sur son texte tendre, « Liebst du um Schönheit » et ses paliers de lumière, « Die Lorelei » et son thème souterrain, sa trépidation ternaire, couronnée par ses cris, « Ich stand in dunkeln Träumen » dans une vision du passé combien plus paisible que la version du Schwanengesang (d'autant que la version retenue était celle sans la surprise finale) ; mais aussi les plus beaux parmi les restants, les doux accents tragiques de « Sie liebten sich beide » (dans sa version non strophique), le badinage mélancolique de « Warum willst du and're fragen », les liquidités infinie d' « Am Strande », le strophisme délicieux de « Der Abendstern », le récitatif troublé « O weh' des Scheidens das er tat »… il n'y a guère que le joli « Mein Stern » que j'aurais volontiers échangé contre la nudité onirique de « Die gute Nacht ».

D'une manière générale, le style de Wieck, très marqué par Chopin et Schumann, se caractérise par l'abondance de petites appoggiatures (des notes étrangères prennent la place des notes attendues sur le temps fort, et retrouvent leur place sur l'accord suivant) — le procédé est très commun, mais il est sollicité avec prodigalité et beaucoup de goût, créant une (douce) tension permanente. C'est un domaine très subjectif, mais j'y suis très sensible, comme les autres qui aiment la musique de Wieck, je suppose.

2. Mélodies de Pauline Viardot

Le legs de Viardot est à la fois mal connu et peu pratiqué. La sélection a le mérite de faire entendre une facette mal connue de sa production : « Marie et Julie » (1850) présente ainsi une mobilité harmonique très déroutante pour le genre, plus proche de la norme de 30 ou 40 ans plus tard… Les arpèges débouchent chacun sur une surprise et une couleur un peu différente de celle attendue, et ne se répètent pas — sans en avoir la complexité, cela évoque assez la méthode Fauré, jamais spectaculairement dissonant mais échappant toujours au pronostic. Elles sont (très) rares, les mélodies de 1850 à avoir cet aspect-là !
Plus amusant, dans « En mer » (1850), on retrouve les exactes harmonies utilisées par Schubert pour « Am Meer », joli clin d'œil (placé en exergue, au même endroit, ça ne fait guère de doute).

On y retrouve aussi les bluettes moins intéressantes et plus célèbres, comme « Haï luli » (qui m'évoque immanquablement « Youkali » de Weill), toutes de couleur locale factice.

4. Trois bis

Là aussi, l'audace prévalait. « Non t'accostar all'urna » de Vittorelli, également mis en musique par Schubert et Verdi, ici dans une mise en musique inattendue de Carlotta Ferrari. Très belcantiste bien sûr, une longue cantilène où le sens pourtant très dramatique se diluait assez, mais jolie.

L'air léger (très cocorico) de Lecocq qui clôt son CD.

Et « Ich stand in dunkeln Trämen » une seconde fois.

3. « On a perdu Yoncheva »

Suite de la notule.

samedi 29 novembre 2014

[Nouveauté] R. Strauss — Vier letzte Lieder — Netrebko, Staatskapelle Berlin, Barenboim


Publié à l'origine sur Diaire sur sol.

Suite de la notule.

lundi 17 novembre 2014

Quelques pistes discographiques avec Christian Gerhaher


La restitution du Carnets sur sol intégral prend du temps, aussi bien du côté de la réactivation chez Free (un dossier est nécessaire, beaucoup d'interventions de ma part sur l'interface, sans parler des délais de traitement) que de la remise en ligne des contenus… Aussi, dans l'attente, manière d'alimenter un peu ce nouvel espace assez vide, et tandis que des notules un peu plus ambitieuses, sont en préparation, un petit parcours du côté de Christian Gerhaher, l'un des très rares liedersänger à pouvoir remplir les salles sur ses mérites non opératiques (qui, à part Goerne, aujourd'hui ?). [Posté à l'origine sur AMC.]

Ce qui est extraordinaire, chez Gerhaher, c'est que l'élocution très articulée ne regarde jamais vers la préciosité : la voix et l'expression demeurent très directes, presque brutes par certains aspects. C'est cette simplicité (pas d'abus de couverture non plus, régulièrement des [a] ouverts) qui en fait l'un des plus grands artistes de notre temps.

Au sommet, on trouve ses Schumann: cycle Eichendorff, Dichterliebe, Scènes de Faust (deux versions au disque : Harnoncourt et Harding, et énormément de témoignages radio)…

Miraculeux Wolfram… je crois que je n'ai jamais entendu mieux, c'est encore un cran au-dessus de DFD, Mattei et quelques autres immenses titulaires. À la fois mordant, poétique et dit à la perfection. Dans la version Janowski récemment parue, l'alliance avec les chœurs transparents, fervents et glorieux de la Radio de Berlin (ex-Est) rend l'acte III à peine soutenable d'intensité.

À cela il faut ajouter le disque d'airs rares allemands, une tuerie : que de très belles choses, et là aussi dans une voix et un frémissement extraordinaire. Son Froila (Alfonso und Estrella) tient du miracle, alors même que la concurrence est sévère : Fischer-Dieskau, Hampson, Werba !

Tout autant hors des sentiers battus, même si les plus grands l'ont pratiqué (Fischer-Dieskau, Bär, Le Roux, Tüller, Eröd…), il a fait le merveilleux Notturno de Schoeck.

Et puis son Posa inattendu (version en quatre actes à Toulouse, en 2013) — ne forçant jamais son naturel, mais j'étais très étonné d'entendre un italien aussi bien sonnant (alors que je ne l'ai jamais entendu chanter autre chose que de l'allemand, à cette exception près).
Preuve supplémentaire, au passage, de la perfection technique absolue de cette voix : toutes les voyelles sont riches et solides, toutes les couleurs disponibles, du grave râpeux (jamais tubé) à la voix mixte, et bien sûr un excellent ilegato/i, une excellente extension aiguë, qu'elle soit couverte ou mixée…

Suite de la notule.

samedi 25 octobre 2014

Matthias Goerne vieillissant chante les jeunes premières


Entendre Matthias Goerne en personne, en salle, est toujours une expérience. J'ai déjà essayé d'en proposer une mise en mots, forcément incomplète (par exemple là il y a longtemps ou ici plus récemment) : l'impression singulière que la voix non seulement tapisse, mais sort des murs ; le sentiment d'être enveloppé par cette voix, comme dans un œuf…

Sur le plan strictement technique, il y a aussi de quoi s'émerveiller : le moelleux extraordinaire sur absolument toute la tessiture, le souffle infini, jouant ses lignes comme un archet dépourvu d'extrémité, prenant à tempo deux fois plus lent deux fois moins de prises de souffle que ses confrères…

Programme de Pleyel

Ce vendredi, il y avait un programme tout Schumann : Frauenliebe und Leben de Chamisso (très rarement chanté par des hommes), Die Dichterliebe de Heine (seul véritable standard du programme) et les Kerner-Lieder Op.35 (rarement donnés en France).

Goerne aujourd'hui

Au fil des années (voilà bientôt vingt ans, depuis ses premiers récitals un peu en vue), certaines caractéristiques se sont accentuées :

La pensée musicale (suprême) prime clairement sur le détail des textes : Matthias Goerne pense par vers entiers, voire par couple de vers, et les exécute dans une continuité suspendue. On le présente souvent comme l'héritier de Fischer-Dieskau (auprès duquel il a bien sûr suivi des masterclasses, je n'ai pas vérifié la quantité), mais c'est un héritage symbolique — en matière de remplissage sur son seul nom de liedersänger, même en dehors de Germanie —, pas du tout stylistique : c'est au contraire l'exact opposé, l'aîné aimant (dès les années 60) colorer différemment chaque syllabe, puis s'orientant à partir des années 70 (assèchement de l'instrument aidant, il est vrai) vers un chant saccadé mettant (jusqu'à l'explication de texte et l'hystérie, dans les mauvais jours) au premier plan le texte.

¶ Ce goût de Goerne avant tout pour la direction de la musique, plutôt que sur le détail du sens ou des situations, semble s'être accentué de façon assez spectaculaire : la diction s'est relâchée, me semble-t-il, et beaucoup de consonnes disparaissent un peu dans les replis de son immense voix voluptueuse — quoique sans la moindre complaisance, on est loin des expédients belcantistes (pour briller ou pour se faciliter la tâche, selon les cas).

¶ De même, les tempi qu'il aimait déjà contrastés deviennent, au fil du temps, de plus en plus extrêmes. Ce qui fonctionne très bien dans Schubert (le Winterreise, et même la Meunière, ne sont faits que de contrastes particulièrement crus) me paraît moins évident dans Schumann, où le piano autonome (et non plus en écho) déroule en général un flux continu qui n'appelle pas ces grandes ruptures. Je dois dire que, dans les Kerner, j'ai quasiment trouvé, malgré la réalisation magnétique, que le procédé du plus-lent-possible dans chaque pièce qui n'est pas vive, et le tempo plus rapide des sections déjà voulues vives, viraient un peu à l'esprit de système. (Je suis tenté de dire, pour préciser mon propos, au tic du grand interprète qui finit par s'interpréter, mais Goerne est tellement au-dessus de ce genre de défaut…)
Pour que ces moments suspendus soient marquants, il faut qu'ils ne soient pas permanents ; or, les mouvements modérés dans les Kerner représentent les deux tiers, pour ne pas dire les trois quarts des pièces, tous changés en largo sostenuto

¶ Vocalement aussi, une petite baisse : depuis cinq ans, disons, la voix devient un peu plus rauque, les aigus sont moins faciles, les nuances fortes (toujours aussi telluriques) un peu plus râpeuses et étouffées, sans la rondeur suspendue qu'elles avaient (comme ses piani l'ont toujours, en fait). Mais il s'agit d'une réduction à la frange du miracle, hein. Si on fait gambader un paralytique, on n'épilogue pas sur la souplesse du petit orteil.

Les cycles de Schumann, aussi, ne lui vont pas au mieux : la jeune femme ébaubie de Frauenliebe (d'ailleurs, franchement, la transposition d'un ton plus haut du premier lied, ça rend la transition ut majeur – mi bémol majeur vraiment rude à l'oreille, il aurait pu trouver mieux) et l'ironie mi-légère mi-tragique de Heine ne sont vraiment pas son terrain naturel d'expression. Les verdeurs émerveillées de Kerner ne le sont pas forcément non plus, mais la musique de Schumann, tellement dense dans l'éclat comme dans la suspension, ménage un assez beau terrain à ses meilleures qualités.

Christoph Eschenbach

Je n'ai jamais beaucoup apprécié Eschenbach (sans le honnir du tout, comme on peut le voir parfois), et je me demandais d'ailleurs pourquoi Matthias Goerne, qui peut choisir qui il veut pour l'accompagner, choisissait un pianiste un peu limité, dont la qualité du son n'a jamais été le point fort.
Vendredi soir pourtant, malgré les tempi très lents, la hauteur de vue d'Eschenbach était frappante, avec ses plans presque immobiles qui se mêlaient très poétiquement, comme le prolongement de la voix du chanteur. Certes, le jeu n'a pas la vigueur des petits jeunes (un petit manque d'incisivité ou de basses çà ou là), mais sa maîtrise de la suspension, des couches qui s'ajoutent progressivement dans les enchaînements schumaniens étaient assez saisissants. Sans comparaison avec ses gravures passées, très valables, mais pas du tout aussi fortes.

Dans Schumann en tout cas, le choix d'Eschenbach devient évident.

Prospective

J'ai tellement épanché mon admiration pour Goerne qu'il ne me reste plus pour en dire quelque chose de neuf, j'ai l'impression, qu'à la colorer de quelques petites réserves comme ici. Trop imprégné de son style, probablement aussi : il devient tellement familier qu'on finit par s'intéresser à ses infimes variations plutôt qu'à son architecture vaste et inacessible. La seule véritable petite frustration tenait dans la diction, qui, dans ce répertoire, me gêne par son flou (mais, dans une salle à taille humaine, on entend très bien ce qu'il dit).
D'ailleurs, signe des temps, je m'aperçois que je tends à mettre plus volontiers un album de Stephan Genz, Christian Gerhaher ou Thomas Bauer (d'avant le spectaculaire déclin), où le verbe est net et l'expression directe, sans effets, qu'un Goerne, sans que mon émerveillement pour lui décroisse au demeurant. Sans doute une évolution personnelle aussi.

Toutefois, j'aimerais beaucoup l'entendre dans les plus beaux cycles d'Othmar Schoeck : dans le Notturno sur les poèmes de Keller (et un peu Lenau) et plus encore l'Elegie sur les poèmes d'Eichendorff (et un peu Lenau), le timbre pourrait se fondre dans le quatuor, et dialoguer comme personne avec eux. Sans parler des méchants Lebendig begraben (Keller encore). Il y a néanmoins une très belle concurrence pour le Notturno, avec sur une poignée de disques les meilleurs liedersänger de tous les temps qui se bousculent : Olaf Bär, Stephan Genz, Christian Gerhaher, Niklaus Tüller… et, sur scène, Adrian Eröd.

Sinon, chez Schubert, il reste quelques œuvres où il pourrait faire merveille ; il y a déjà chanté le cycle des Abendröte (des Schlegel) dans l'intégrale Hyperion — ni le meilleur de Schubert, ni ce qui lui convient le mieux ; mais il serait parfait dans les Faust-Lieder (en particulier la scène de la Cathédrale, bien sûr !), dans les épiques Scott-Lieder.
Et puis, bien sûr, dans les récits ossianiques nocturnes de Die Nacht !

À suivre.

jeudi 16 octobre 2014

Dagmar Šašková — romantisme tchèque sur des poèmes populaires : Bendl, Dvořák et Novák


Son duo avec Vendula Urbanová dans les mélodies de Martinů et Kapralová a déjà été élu spectacle de l'année la saison passée. Dagmar Šašková revient au Centre Culturel Tchèque pour deux concerts : le prochain (et dernier du grand cycle de cinq concerts donnés au CCT) sera le 4 novembre, consacré à ce jazz des compositeurs décadents d'Europe centrale. Je suis pris par Circé, Scylla et Glaucus ce soir-là, mais nul doute que ce sera, une fois de plus, grand (j'hésite carrément à me débarrasser de ma place versaillaise).

Samedi soir, donc, cycles de chants populaires tchèques mis en musique par des romantiques : Mélodies tziganes de Karel Bendl (1838-1897), Chants populaires slovaques et Ballade des montagnes de Vítězslav Novák (1870-1949), puis les deux plus célèbres cycles d'inspiration populaire d'Antonín Dvořák (1841-1904) : Mélodies tziganes Op.55 et Dans le ton national Op.73. À cela s'ajoute une pièce pour piano de Smetana, très belle et virtuose (comme d'habitude), tirée de ses danses de salon mais étonnamment agile, contrastée et narrative.


« Když mne stará matka », quatrième des Mélodies tziganes de Dvořák, lent tournoiement évocateur de l'apprentissage de la danse.
Le texte d'Adolf Heyduk est aussi utilisé dans le cycle du même nom de Bendl.


Les Bendl et plus encore les Novák n'ont, il faut le dire, pas un intérêt majeur : il se passe peu de choses musicalement, et le texte palpite bien peu, même dans la Ballade des montagnes (où l'on assiste à une suite de coups de théâtre, dont un miracle) où se succèdent tout au plus des atmosphères, sans que le détail soit finement expressif.

En revanche, les Dvořák ne sont pas déplaisants, même s'il ne s'agit pas du témoignage le plus riche de son art. Et culminent dans la pièce mise en extrait ci-dessus. La prise de son (qui dissocie bizarrement les parties de la voix) ne rend absolument pas justice à présence fulgurante de Dagmar Šašková en vrai : le timbre, doux, se termine très en avant, à la limite d'une légère stridence ; chaque note est ainsi à la fois suave et très présente physiquement, avec beaucoup d'angles, de détail (même si j'ai trouvé la diction un rien plus paresseuse cette fois), d'expression… et, toujours, comme parcourue d'un petit sourire primesautier.

Il est vrai que je suis très sensible à l'esthétique vocale tchèque, à la fois claire, antérieure et très naturellement projetée — une figue s'achevant sur une pointe de citron ; mais le disque nous a surtout laissé la trace d'instruments dramatiques d'un tranchant parfois aux limites de l'ingratitude (comme Děpoltová, mais aussi d'autres assez fascinantes comme Kniplová et Červinková). L'ascendance de Šašková est davantage à chercher du côté de Šubrtová, mais d'un format moins lyrique (presque baroqueux), et sans ce petit confort un peu moelleux gentil — Šašková irradie plus qu'elle n'est gentille.

Bref, comme à chaque fois : vous avez vraiment eu tort de ne pas venir. Dans soixante ans, on vous demandera si vous avez vu Šašková chanter les airs de cour et mélodies comme on vous demande aujourd'hui si vous avez vu Callas dans la Traviata de Visconti. (Vraisemblablement pas, mais on aura tort en tout cas.)

mercredi 23 juillet 2014

Carnet d'écoutes — Behind the Lines : Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt, Wolf, Mahler, Quilter, Rachmaninov, Ives, Weill, Eisler, Rihm et chansons traditionnelles par Anna Prohaska et Eric Schneider



1. La loi du récital

En général, lorsqu'un jeune artiste est mis en avant par une grande maison, c'est au moyen d'un récital « carte de visite », un portrait généralement tiré d'œuvres très célèbres du répertoire dans lequel le jeune impétrant prétend s'illustrer à l'avenir.

Ceci ne concerne pas les artistes (pas forcément jeunes, d'ailleurs) qui arrivent par la petite porte en gravant des lieder occultes chez CPO ; mais chez les majors, les ambitions de vente sont tout autre : on fait émerger une nouvelle icône potentielle pour un vaste public, pas un honnête musicien qui enregistre le répertoire inédit, et encore moins un passionné de musiques interlopes.

Rares sont ceux, à l'instar d'Angelika Kirchschlager, qui peuvent oser un premier récital composé pour moitié de Korngold et Schindler — Sony ne ferait plus cela aujourd'hui, avec les trois ou quatre artistes de prestige qu'ils ont conservé en guise de nouveautés classiques.

Eh bien, Anna Prohaska le fait chez Deutsche Grammophon, et ce n'est pas la première fois, puisque son premier album (le deuxième étant consacré à l'opéra baroque italien) reposait sur le même principe.

2. La construction du récital

Précisément, on en causait récemment le récital est un genre moins rigide que d'autres, qui peut permettre de le rendre plus mobile, moins formel.

Quelques maquettes possibles :

¶ Le récital fourre-tout, à la gloire de l'interprète.

¶ Le récital autour d'une compositeur ou d'un style : généralement récital Mozart, Rossini, Verdi ou Wagner, récital romantique allemand ou français, récital vériste, récital d'opéra seria (éventuellement consacré à un compositeur ou à un chanteur historique précis). Et puis les récitals de lieder, généralement consacrés à un (jusqu'à trois) compositeur.
C'est le plus fréquent. Plus cohérent que le précédent.

¶ Le récital thématique. Il mélange allègrement les compositeurs et les époques, n'a pas de progression chronologique, éclate les cycles, etc. Il s'agit de la reconstruction d'un objet musical. Il peut être intéressant aussi bien pour le novice (un fil conducteur plus intuitif qu'un style historique) que pour le mélomane aguerri, car ce format est propice à l'inclusion de quelques pièces plus rares.

On peut vraiment discuter des intérêts respectifs des deux dernières solutions : l'un est plus rigoureux, permet de s'immerger dans un style ; l'autre peut présenter un chemin de traverse atypique. En réalité, le récital thématique est surtout intéressant lorsqu'il ménage un parcours cohérent.

Et précisément, c'est là tout le mérite de ce récital Behind the Lines.


3. Deux récitals thématiques d'Anna Prohaska et Eric Schneider

… Car la voix en elle-même n'a rien de particulièrement exceptionnel : ronde, articulée un peu en arrière (qui s'acidifie et se prostre donc – légèrement – dans le haut de la tessiture), très jolie mais ni particulièrement percutante, ni exceptionnellement radieuse. C'est une esthétique, micro aidant, assez à la mode aujourd'hui : Fleming et Gauvin, et dans une moindre mesure des sopranos plus clairs comme Karthäuser et Kühmeier, ont cette sorte de pâte crémeuse, avec des attaques légèrement molles pour les premières (et Prohaska), et au moins une postériorisation audiable (comme un voile chez Karthäuser, comme la source de la projection chez Kühmeier) pour les secondes.
Les habitués de CSS se doutent que ce n'est pas forcément l'esthétique qu'on préfère — plus de liberté, de luminosité, de tranchant, d'antériorité, ne seraient pas de refus.

Bref, ce n'est pas un plaisir glottophile hors du commun qui justifierait cette parution — mais cela, on le sait… le caractère, l'agent, la chance (et le minois) font la différence, même à niveaux musicaux inégaux. Il n'y a pas de justice en la matière, si ce n'est qu'en général le niveau minimum reste très solide. Et c'est tout à fait le cas de Prohaska : bien chanté, avec aisance et goût, ce n'est pas un problème.

Leur premier récital (et absolument le premier pour Prohaska), en 2011, était consacré à la figure des ondines et sirènes. À l'origine, Prohaska voulait un récital narratif, déroulant les différents épisodes d'une histoire… mais l'enchaînement des tonalités n'y était pas propice. Elle a donc opté pour la logique musicale, avec des enchaînements aussi naturels que possibles entre les morceaux. Joli principe, dans lequel défilent pas mal de titres prévisibles, mais aussi quelques surprises plus hardies : Haydn, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Dvořák, Bizet, Fauré, Wolf, Mahler, Debussy… mais aussi Szymanowski, Honegger, et Dowland et Purcell accompagnés (divinement) au luth par Simon Martyn-Ellis. Très vaste programme qui se conclut par l'Ave Maris Stella grégorien.
C'est un très beau projet ambitieux, mais je n'avais pas été complètement comblé — on passe tout de même très vite d'un style à l'autre, les œuvres ne sont pas toutes les meilleures de leurs auteurs, et la cohérence thématique demeure un peu lâche.

Ce dernier récital Behind the Lines, paru en juin de cette année, part d'un principe similaire, mais avec davantage d'ambition et d'achèvement. Le sujet, en rapport avec les commémorations de la Grande guerre, se limite aux paroles de soldat : tous les poèmes sont soit mis dans la bouche de combattants, soit adressés directement à eux. Pas de parcours général et flou sur la guerre et la paix, mais une collection de lettres et de scènes assez complète, depuis l'exaltation du tambour dans Egmont jusqu'à la tendresse crépusculaire de Whitman pour le chant funèbre des vétérans.

Ici aussi, quantité de noms, beaucoup plus originaux, sont convoqués (et plutôt pour des pièces obscures) : Beethoven, Schubert, Schumann, Wolf, Mahler et Poulenc, mais aussi Liszt (pour la rarissime Jeanne d'Arc au bûcher), Rachmaninov, Ives, Quilter, Eisler, Weill et Rihm.

Mais ce qui force l'admiration, c'est avant tout la qualité de l'enchaînement musical : l'ordre n'est pas chronologique ou téléologique, mais dicté par la musique ; tout semble procéder d'un flux unique, parcourant les esthétiques et les poèmes comme on descend une pente régulière. Pourtant, des chansons archaïques aux langages posttonals d'Eisler et Rihm, l'amplitude est vaste. Essayez le tout début de l'album : les fifres d'Egmont semblent directement procéder du chant traditionnel Es geht ein dunkle Wolk herein. Saisissant.

Une très belle promenade, audacieuse, très bien organisée, et très bien réalisée — bénéficiant en particulier de l'accompagnement, merveilleux de rondeur et d'éloquence, d'Eric Schneider.

Très chaleureusement recommandé, une belle expérience, d'une nature peu répandue.

4. Bonus

Comme je sais que des amateurs passionnés de ce mot sont parmi nous, je vous offre cet extrait de l'entretien d'Anna Prohaska pour son récital Sirène :

And there’s yet a further aspect that caught my attention: isn’t it even possible that this discrepancy between life in the sea and life on earth stands for the dichotomy between paganism and Christianity?


Suite de la notule.

samedi 31 mai 2014

L'intégrale des mélodies polonaises de Chopin... en français


Il faudra que je crée une catégorie spécifique pour les concerts de L'Oiseleur des Longchamps, à force d'y aller au moindre concert original – c'est-à-dire tout le temps...

1. Pourquoi s'y rendre ?

Cinq excellentes raisons, en plus du fait que j'aime toujours les concerts de L'Oiseleur des Longchamps :

¶ Les mélodies de Chopin ne sont à peu près jamais données en France – je suppose, sans l'avoir vérifié, qu'il en va tout autrement en Pologne, et possiblement dans les autres nations slaves.

¶ Évidemment, leur exécution intégrale est d'autant plus exceptionnelle. Elle prend un peu plus d'une heure, ce qui signifie lui consacrer un concert exclusif – avec éventuellement un court complément.

¶ Les mélodies de Chopin ne sont jamais données en français, malgré l'existence de traductions.

¶ L'Oiseleur des Longchamps propose une nouvelle traduction du cycle.

¶ Les mélodies de Chopin sont belles.




Smutna Rzeka et Śliczny Chłopiec par Elzbieta Szmytka et Malcolm Martineau, un point de référence éloquent.


2. Les mélodies

Première raison de se précipiter au Temple du Luxembourg pour entendre ce cycle, son caractère complet. Les mélodies de Chopin, écrites de 1827 à 1847 (durant une vie qui s'étend de 1810 à 1849), n'ont jamais été conçues, semble-t-il, pour la publication. Ce sont seulement les bluettes trouvées dans ses papiers à sa mort. Le choix entre celles qu'il a écrites (d'intérêt très divers) s'est limité à ce qui a été perdu (10), auxquelles s'ajoutent 6 autres découvertes ultérieures qui font débat en matière d'authenticité. L'une des pièces perdues (Jakież kwiaty, sur un poème de Maciejowski) a même été reconstituée grâce à une photographie (!), c'est dire à quel point la sélection a été due à la disponibilité fortuite, en amont de tout choix éditorial.

Elles ne sont publiées que de façon posthume, pour la première fois en 1857 (par Jules Fontana, à Berlin), sous le numéro d'opus 74 – Fontana, né la même année, avait rencontré Chopin pendant leurs études au Conservatoire de Varsovie, avant de parcourir le monde (et bien sûr de s'arrêter durablement à Paris). S'y trouvaient 16 mélodies : toutes celles trouvées dans les papiers du compositeur, à l'exception de Śpiew z mogiłky (« Les feuilles tombent »), sur un poème ouvertement patriotique de Wincenty Pol, qui narre sans détour les malheurs de la Pologne martyre et communique passagèrement l'exaltation d'une résistance généreuse et sans avenir. Le poète, de trois ans l'aîné de Chopin, s'était battu pendant le soulèvement de novembre 1830 – avant de recommencer pour la Révolution de 1848 au même endroit, mais cela ne concerne plus cette mélodie. Elle est le seul vestige écrit d'une série de 10 à 12 chants improvisés par Chopin en 1836, dans un cercle d'émigrés à Paris. Les couleurs sont extraordinaires, et le pouvoir d'évocation sur une prosodie simple, saisissant ; cependant l'écriture laisse entendre cette origine improvisée, avec ses grandes sections sur des carrures régulières, largement écrites par accords. Elle ne fut pas censurée, mais publiée à part, simultanément, sous le titre français Hymne du tombeau.

En 1910, 2 nouveaux titres font surface, Dumka (sur un extrait du poème de la suffocante Nie ma czego trzeba) et Czary (trouvé dans un album envoyé à Maria Wodzińska), assez mineurs au demeurant dans la production mélodique de Chopin. Bien que publiés sensiblement plus tard que le reste du groupe, ils sont souvent inclus dans l'opus 74 pour plus de simplicité.

Au total, donc, 19 mélodies ; je ne crois pas que Jakież kwiaty ni les 6 mélodies litigieuses aient jamais été gravées, en tout cas dans une intégrale.

Mais ce mot de mélodie est-il approprié ? Il désigne un genre qui naît à cette époque, des pièces chantées mettant en musique les poètes du temps, et destinées aux petits espaces, qui évolue progressivement vers une adaptation raffinée, voire un laboratoire esthétique très performant. Si ce basculement de la romance vers la « mélodie d'art » est patent au sein de la production de Berlioz, le style de Chopin dans ces pièces, essentiellement strophique, et très effacé derrière la mélodie simple et les courtes ritournelles de l'accompagnement, recèle davantage d'échos des origines populaires de la mélodie. C'est pourquoi, en somme, je serai tenté de les nommer, plutôt que mélodies polonaises, « chants polonais », ou mieux encore, « chansons polonaises ».


Tiré de la première publication polonaise incluant cette dix-septième pièce de l'opus 74, en 1859.


3. Le défi et le concept

Il existe plusieurs traductions officielles (chantables) de cet ensemble, notamment en allemand, en anglais et en français. L'Oiseleur des Longchamps indiquait, dans sa courte présentation, qu'Amédée Boutarel en avait réalisé, comme pour le reste du patrimoine fondamental du lied européen, une traduction – de qualité mais qui, nous disait-il, s'éloignait largement du sens précis des poèmes originaux.

Je n'ai pas eu accès aux partitions de Boutarel, en revanche je puis témoigner que c'est aussi le cas de l'immortel Victor Wilder (parmi les très rares mélodies étrangères à figurer dans le fonds d'un accompagnateur à l'Opéra de Bordeaux dans la première moitié du vingtième siècle, que j'ai eu la chance de pouvoir étudier). Comme Boutarel, il s'astreint à la versification française, quitte à ne plus conserver qu'un rapport thématique avec les poèmes originaux. Le résultat est assez mauvais, très décevant pour du Wilder, mais on peut lui passer que les choix de Chopin ne se sont pas vraiment portés sur les plus brillantes étoiles de la poésie.

Par ailleurs, la prosodie française chantée se prête mal à la transposition du polonais : l'italien est facile, comportant énormément de similitudes (et moins de voyelles, donc pas de risque d'appauvrissement comme dans le sens inverse), l'allemand et même le tchèque ont des finales qui peuvent être lourdes, une inflexion peu chantante qui peut s'accommoder assez bien du passage vers la tempérance verbale française ; en revanche, les finales systématiquement paroxytoniques et les consonnes généreusement grésillantes du polonais manquent cruellement en français. Entendre les originaux avant d'entendre une version française, c'est forcément être déçu.

Toutefois, pour des raisons largement exposées ailleurs, je demeure persuadé de l'intérêt de l'entreprise, et me suis déplacé en toute connaissance de cause. Je vais émettre plus loin quelques critiques sur les choix et le résultat dans la version de L'Oiseleur des Longchamps, mais afin d'ôter toute ambiguïté sur mon point de vue, je trouve forcément passionnant de donner ces œuvres en français, et encore davantage d'en oser une nouvelle traduction. Travail assez considérable simplement pour une soirée ou deux, soit dit en passant, un travail qui doit tout à la passion et fort peu aux contraintes professionnels. Pourtant, éthiquement, plutôt que de massacrer le polonais en pariant que personne ne s'en apercevra, le choix impose le respect.
À cela, je dois ajouter que j'ai moi-même essayé, il y a une dizaine d'années, de traduire les plus belles de ces mélodies, avec un résultat pas tellement meilleur que celui entendu ce mercredi. Même si j'ai aujourd'hui, à la lumière de l'expérience du « projet lied français », des idées plus précises sur ce qui peut empêcher une traduction de fonctionner, je ne suis vraiment pas persuadé qu'il soit possible, sauf à être un poète de génie, de donner un bon équivalent français à ces chansons polonaises.


4. La nouvelle traduction de L'Oiseleur des Longchamps

Réalisée avec le concours de deux amies polonaises, et en s'appuyant au besoin sur des traductions existantes, le baryton a donc proposé une nouvelle version française à chanter. Le constat ? Les traductions précédentes, déjà anciennes, s'appuyaient sur une autre logique qui était celle du poème français régulier, au détriment du sens de l'original. Le parti pris ? Coller au texte, malgré les contraintes prosodiques. Il nous prévient avec la plus grande honnêteté : « c'est une poésie qui peut être rugueuse ».

Et effectivement, il manque fondamentalement à ces textes (exacts pour le sens, très congruents pour la prosodie) une touche de... poésie. Comme déjà expliqué plus en détail dans des notules précédentes, dans le poème chanté (et de façon parfaitement contraire au poème parlé), ce n'est pas tant le rythme que le retour de sons qui fait la différence. Le rythme est déjà fourni par la musique (brouillant complètement celui du poème), parfois altéré par le musicien (ne vérifiez jamais la rigueur des « -e » chez les compositeurs d'opéra et de mélodie, vous seriez déçu !), tandis que le retour de sons (pas forcément la rime) est le moyen de se repérer dans l'articulation des vers ou des idées.

Entendre ces mots dépareillés, pas tous élégants, se succéder alors que la mélodie revient inchangée, a tendance à frustrer. On entend des phrasés à jambes courtes et des appuis à pieds longs, sans jamais rencontrer de lieu sonore où le texte suive une logique perceptible. Rien n'est prévisible, et peu de traits sont rassurants ou simplement jolis. Je soutiens depuis longtemps que le bon poème chanté n'est pas nécessairement un bon poème dit ou lu, mais on ne peut pas se dispenser de quelques repères formels pour qu'il ne s'effondre pas tout à fait.

Au demeurant, au delà de quelques bizarreries, le résultat était loin d'être hideux – mais, comme mentionné précédemment, avec quelques années de pratique, on perçoit tout de suite ce qui rend la traduction insatisfaisante. Encore une fois, je ne fais que relever ce qui dysfonctionne, je n'ai pas de solution pour en proposer une bonne. Parce qu'on peut toujours ajouter des rimes, encore faut-il qu'elles soient dans l'esprit du poème, bonnes (ce qui est déjà contradictoire), et sonnent bien en contexte. Et là, forcément, qui osera se sentir prêt...

Dans l'absolu, il faudrait imiter certains effets de retour de son (en gardant le sens, mais quitte à s'éloigner de la littéralité, surtout vu son peu d'intérêt...), retrouver une couleur récurrente française, mais assez typée, comme dans « Popalone sioła, / Rozwalone miasta » (Śpiew z mogiłky), « Kochać, o, kochać ! i nie ma kogo ! / Śpiewać, o, śpiewać ! i nie ma komu ! » (Nie ma czego trzeba) ou bien sûr la spectaculaire accumulation de chuintantes (qui disparaît totalement chez les traducteurs français, L'Oiseleur inclus) dans le refrain rieur « Śliczny chłopiec, czego chcieć ? / Czarny wąsik, biała płeć ! » (Śliczny Chłopiec).

Je me doute bien, également, qu'il faut aussi qu'il exerce son métier, et n'a pas pu faire que cela. Ainsi quelques scories, pour certaines peut-être dues à des déformations de lecture (voir plus bas les circonstances) :

¶ Dans Smutna rzeka (« Rivière triste »), pourquoi chanter « vi-ve-e-e », alors que la logique prosodique épouse parfaitement la courbure mélodique « vi-i-i-ve » ?

¶ Pourquoi avoir supprimé les prégnants rythmes pointés lors des tristes accords sous « Popalone sioła, / Rozwalone miasta » (Śpiew z mogiłky) ? Je n'en ai vu mention sur aucune édition.

¶ ... et cela alors qu'il semble respecter scrupuleusement la musique écrite, exécutant un bizarre « voles » en une syllabe (devant une voyelle) dans Poseł (« La Messagère »), au lieu de dédoubler simplement la valeur écrite – ce qui fonctionne parfaitement prosodiquement et n'altère pas le moins du monde la ligne musicale.

¶ La pure littéralité est contre-productive : insister sur « Va à l'écurie ! » après le poignant texte du Guerrier incertain de son sort, ou pis, l'innumérable répétition du verbe « baiser » (même assorti du rassurant complément « sa bouche ») sur une joyeuse fin de poème amoureux – tout le monde, chanteur inclus, devenant toujours plus mal à l'aise. L'épreuve de la scène prend alors tout son (ses) sens.

5. Les coupures

Autre chose que j'ai regretté, mais il s'agit d'une tradition chez L'Oiseleur, qui se tient sur le principe et qu'il faut accepter comme telle : la suppression des reprises dans les poèmes strophiques. Pour les concerts où il fait défiler un maximum de compositeurs, c'est à mon avis frustrant musicalement, mais cela se défend logiquement. Pour un concert monographique bref, avec plusieurs intermèdes pianistiques, je suis beaucoup moins convaincu... et surtout, sur des pièces aussi simples, le charme ne peut agir que par la réitération : les formules musicales, la plupart du temps, ne sont pas assez puissamment originales pour frapper en une seule fois. Au contraire, Chopin, dans plusieurs de ces chansons, reste (tout en conservant quelques couleurs simples mais personnelles) attaché à univers qui, du point de vue de la technique musicale, n'excède pas tellement la romance.

Il n'y a aucune malhonnêteté de sa part, il l'annonce lui-même, et explique ses raisons (durée du concert – il est vrai que la salle est louée et les frais vaguement amortis par la libre donation des auditeurs). C'est toujours dommage pour moi, mais dans le cas du sublime Nie ma czego trzeba (« Je n'ai pas ce qu'il me faut »), avec sa calme gradation vers un chant de désespoir, non, je ne puis m'y résoudre, et me suis étonné qu'on puisse seulement songer à le tronquer – alors que les deux tiers de ces chansons demeurent d'un intérêt plutôt relatif.

6. Le concert

Au demeurant, je le réaffirme, les artistes de la soirée ont tout mon respect pour présenter ceci au public – et que j'ai adoré écouter. A fortiori considérant qu'ils ont tout traduit, voire transposé, eux-mêmes. Mes remarques sur les choix de traduction tiennent plutôt du dialogue à distance sur un sujet absolument palpitant – et certainement pas de la censure ou du blâme, qu'on se le dise.

D'ailleurs, le principe du concert était remarquable : chaque groupe de poèmes était annoncé par une courte pièce pour piano de Chopin qui mettait en évidence son caractère.

Septième Prélude pour les « Amours joyeuses » (n°5,1,12,2),
Premier Prélude pour les « Amours tristes » (Czary,6,14,11),
Troisième Prélude pour le « Folklore gai » (n°8,16),
Quatrième Prélude pour le « Folklore tragique » (n°7,3,15,10),
Douzième ɀtude Op.10 pour le « Folklore patriotique » (n°9,17),
Sixième Prélude pour le « Folkore nostalgique » (13,Dumka),
Marche funèbre de la Deuxième Sonate pour conclure,
avec l'air gaillard de Hulanka en guise de bis.
[Il y eut un véritable bis ensuite, une adaptation du thème central de la Marche funèbre sur un poème de Musset.]

On pourrait s'amuser à discuter de l'agencement des groupes, mais c'était très convaincant, et les Préludes, exceptionnellement utilisés comme... préludes (ou plus exactement interludes), se révèlent d'une force exceptionnelle, davantage sans doute que lorsque leurs merveilles regroupées s'éclipsent mutuellement. ɀquilibre parfait, qui permettait d'éviter le sentiment de redite (le corpus étant plutôt homogène) et de relancer sans cesse l'intérêt.

7. Les artistes

Suite de la notule.

mardi 15 avril 2014

Franz SCHUBERT – Die schöne Müllerin – discographie exhaustive


Contrairement à d'autres répertoires, la discographie des cycles de Schubert n'est pas qu'un exercice formel : on y découvre quantité de fantaisies qui stimulent la curiosité. C'est moins le cas pour la Meunière que pour le Voyage d'Hiver, mais j'avais déjà mentionné, il y a huit ans de cela (il doit donc en manquer beaucoup désormais), certains bizarreries discographiques.

Plus modestement, donc, voici la Belle Meunière, qui doit rester le second cycle le plus enregistré (ou le troisième, après Frauenliebe qui se pousse facilement dans un coin de récital).

181 références commerciales tout de même (le Winterreise dépassant les 300), et j'ai bien dû en laisser passer une poignée – sans compter donc les multiples témoignages radio, certains librement accessibles, d'autres conservés par les collectionneurs, et parfois revendus par des intermédiaires peu scrupuleux.

1. Remarques

¶ En matière d'arrangements, rien à voir avec le Winterreise, ce cycle a peu inspiré hors du sérail. On trouve seulement, à partir de 1980, 6 accompagnements pour guitare (dont un avec deux guitares), une version pour trombone solo (sans pianiste !) et une version pour chœur et piano, assez intrigante.

Il y a aussi l'atypique version pour contre-ténor (fort peu convaincante, mais il fallait bien essayer) de Kowalski – côté femmes, Stutzmann est la seule contralto de la discographie.

Karl Kammerlander a gravé deux versions (non incluses dans la liste ci-après) pour piano solo (en 96 en tonalité originale, en 98 transposée pour voix grave), vendue sur le site MusicSense. Manifestement plutôt à but d'accompagnement, je ne suis pas certain de la qualité artistique.

Les versions pour guitare fonctionnent remarquablement bien avec la veine folklorique, les lieder strophiques et ces accompagnement réguliers, dansants et assez simples. Parmi celles disponibles, je recommanderais en priorité Persson / Bergström, très douce et intime, très bien dite (avec un reste audible de rondeur suédoise dans l'accent). Côté guitare, Ragossnig, Kläger et Bergström sont tous admirables (il faut de toute façon de sacrés doigts pour remplacer un piano, même en enlevant quelques notes !), avec plus de tranchant chez Kläger et plus de douceur chez Bergström.

Je n'ai pas inclus les extraits arrangés sur des poèmes de Pagnol (souvent sans rapport avec le poème original) et orchestrés façon Francis Lopez, délicieusement chantés par Tino Rossi pour le film, et présentés en CD il y a peu.

¶ On remarque l'ère d'expansion incroyable du disque à partir de 1997 jusqu'en 2003 – pour la période suivante, je n'ai pas pu recouper mon travail avec d'aussi bonnes discographies, donc je suis sûr qu'il m'en manque. On parle de la crise du disque, mais il est un fait que si les grands se regroupent pour éviter de s'étioler, le nombre de petits labels a au contraire explosé dans ces vingt dernières années. Beaucoup étant liés à une institution, une région, publiant les bandes de leur pays, de leur ville, de leur festival... Par exemple Gramola ne publie peu ou prou que des enregistrements d'autrichiens en Autriche, dans un répertoire surtout... autrichien : Adrian Eröd dans Schubert, un chœur masculin de Linz dans Bruckner, Hüttenbrenner par Bästlein (certes, l'interprète est allemand)...

¶ Ce panorama permet aussi d'identifier les pionniers.

Nigel Rogers (le Deuxième Berger dans l'Orfeo fondateur d'Harnoncourt, puis Orfeo lui-même dans deux enregistrements) est le premier à oser, dès 1975, une version sur piano d'époque, un Hammerflügel joué par Richard Burnett (vinyle Telefunken, introuvable aujourd'hui).
Il est suivi, cinq ans plus tard, par Schreier III (avec Steven Zehr, la plus difficile à trouver des 5 versions Schreier), gravée en février 1980, entre sa version avec guitare (Ragossnig) et la version Shetler en juin. Viennent ensuite Haefliger & Dähler en 1982 ; ce n'est qu'à partir de la fin des années 80 que l'usage des instruments anciens dans ce cycle se répand grandement.

Pour la guitare, c'est justement Peter Schreier II & Konrad Ragossnig qui ouvrent la voie de ce qui est devenu un arrangement habituel et légitime. C'est toujours la version pour guitare la plus couramment diffusée.

¶ On se régalera de la présence de quelques traductions :
– 2 en anglais (Singer), bien sûr ;
– 1 en néerlandais (Jan Rot), chantée par Marcel Beekman (ce qui ne doit pas produire un écart énorme, à part pour les « j » toujours étonnants) ;
– 1 en français (Chevillard), la plus ancienne. Malheureusement Germaine Martinelli n'articule que très mal, ce qui ne permet pas de goûter pleinement la traduction assez réussie de Chevillard, bien sonnante sans s'éloigner trop du texte. Un peu niaise, certes, mais la caractéristique est d'origine !
– 1 en russe, chantée par Georgi Vinogradov ;
– 1 en slovène, chantée par Marcos Fink ;
– 2 en japonais (Takashi Matsumoto au moins pour l'une des deux), une nation assez fortement représentée dans ce cycle ces vingt dernières années, même si leurs versions sont très peu distribuées en Europe.

2. Statistiques

Peter Schreier a enregistré trois le cycle en six mois (avec guitare en janvier, avec pianoforte en février, avec piano en juin).

Rudolf Buchbinder a enregistré deux fois ce cycle : en 1967 (à 21 ans) et en 2010 (à 64 ans), soit une distance de 43 ans entre ses deux témoignages.

¶ Qui a occupé la discographie du cycle comme accompagnateur ?
5 versions : Gerald Moore (Schiøtz en 1943, Fischer-Dieskau I en 1951, Rudolf Schock en 1958, Fischer-Dieskau II en 1961, Fischer-Dieskau IV en 1971).
5 versions : Graham Johnson (Hill en 1982, Bostridge I en 1995, Kutschera en 1998, R. Kohn en 2001, Maltman en 2011).
4 versions : Helmut Deutsch (Protschka en 1986, Skovhus en 1997, Jarnot I en 2001, Kaufmann en 2009).
3 versions : Jörg Demus (Fischer-Dieskau III en 1968, Holzmair I en 1983, F. Koenig en 1992).
3 versions : Hubert Giesen (Walther Ludwig I en 1949, Wunderlich sur le vif en 1965, studio Wunderlich en 1966). Accompagnateur terne, par ailleurs.

¶ Qui a occupé la discographie du cycle comme chanteur ?
6 versions : Dietrich Fischer-Dieskau, bien sûr, de 1951 à 1991. Plus une version comme récitant des poèmes non mis en musique par Schubert (version Bostridge & Johnson chez Hyperion).
5 versions : Peter Schreier, de 1971 à 1989. Bel exploit pour une voix peu avenante et un chanteur qui n'a pas du tout le même statut international ou starisé que d'autres collègues. Sa voix et sa conception du cycle restent, au passage, très similaires.
4 versions : Ernst Haefliger, de 1959 à 1982. Pour lui au contraire, depuis la franchise un peu blanche de la voix de 59 jusqu'à l'instrument un peu lassé de 82 (avec pianoforte), il y a plusieurs mondes parcourus.
4 versions : Hermann Prey, de 1971 à 1986.
4 versions : Fritz Wunderlich, de 1957 à 1966. Attention à l'effet d'optique : le statut icônisant de Wunderlich a conduit à l'édition de nombreux témoignages sur le vif (57 et 59 avec Stolze, ainsi qu'un concert de 65 avec Giesen, juste avant le studio DG). Il n'y a pas eu de démarche de réenregistrement, en réalité – et, sur une période aussi courte, on verra peu d'évolution d'une conception assez lyrique et fort simple.
- 3 versions : Walther Ludwig, de 1949 à 1957. - 2 versions : Jorma Hynninen (même pianiste), Benjamin Luxon, Wolfgang Hozlmair, Zeger Vandersteene (même pianiste), Andreas Schmidt (même pianiste), Florian Prey, John Elwes, Ian Bostridge, Christoph Prégardien, Matthias Goerne, Konrad Jarnot, Michael Schade.

Tempo : – Le cycle se joue habituellement pour une durée autour d'une heure, qui tend d'ailleurs à augmenter, depuis 2008, vers une moyenne plutôt autour de 65'. L'immense majorité des disques se tiennent entre 55' et 68'.
- Franz Navál à 31'03 et Germaine Martinelli à 36'04 ne sont pas des extraits ; ils chantent réellement deux fois plus vite que les autres. [Il faudra néanmoins vérifier s'il ne manque pas des strophes, je n'ai pas eu l'impression chez Martinelli, mais je n'ai pas écouté tout Navál.] Ce n'est pas tant que les parties vives soient précipitées : il n'y a pas d'alanguissement dans les parties lentes, qui filent droit. Je n'ai au demeurant aucune impression de précipitation en les entendant, surtout Navál qui manifeste beaucoup d'équilibre. Même à l'époque de Martinelli (on n'a pas beaucoup d'autres témoignages intégraux d'avant 1930...), ce minutage était atypique.
– Sinon, dans les rapides plus « normaux », on peut citer Walther Ludwig III (50'37), Singher (52'08) qui ne paraît pas du tout excité, Vinogradov (53'41).
– Pour la lenteur, le spectre est encore plus étagé. On ne trouve que Fischer-Dieskau 51 à plus de 65' (66'06), valeur qui n'est approchée que par Haefliger 59 (65'02) et Bufkens, avant les années 70. Il faut attendre Tappy en 1974 pour dépasser cette barre. Et il est un fait qu'au fil du temps, à partir des années 70 et singulièrement depuis 2000, le nombre de versions lentes (au-dessus de 65') tend à augmenter. Sans que cela s'entende vraiment, la fourchette étant minime et les changements de tempo nombreux (et diversement abordés).
– Le record est détenu par Schade II & Buchbinder (71'51), Goerne II & Eschenbach (71'03), Tappy & Lifschitz (70'53), P. Naef & Bassa (70'17), Goerne I & Schneider (70'01). Szmyt, Hadjikinova et Jarnot II sont aussi au-dessus de 68'. Dans le cas de Goerne, on entend bien la lenteur, parce que les mouvements lents sont vraiment suspendus. Ce n'est pas évident pour tous les cycles au-dessus de 65'.

3. La sélection de CSS

¶ Je n'ai bien sûr pas pu tout entendre (une soixantaine de cycles), mais je peux mentionner :

  • Ian Partridge & Jennifer Partridge,
  • Matthias Goerne I & Eric Schneider,
  • Jonas Kaufmann & Helmut Deutsch IV,
  • Christian Gerhaher & Gerold Huber I,
  • Francisco Araiza & Irwin Gage,
  • Hans Peter Blochwitz & Cord Garben,
  • Josef Protschka & Helmut Deutsch I,
  • Jorma Hynninen II & Ralf Gothóni II,
  • Brigitte Fassbaender & Aribert Reimann,
  • Olle Persson & Mats Bergström,
  • Gérard Souzay & Dalton Baldwin

comme particulièrement souverains, dans des genres très différents.

¶ Ce n'est bien sûr que mon goût personnel : Bostridge, Padmore, Bär (fantastique, mais le piano de Parsons me gâche vraiment le plaisir), Mammel II (surtout pas le I, mal chanté), Marshall, de Mey, Schade, Trekel, Kobow, van Egmond, Hendricks, Jarnot, Prégardien, Krebs, Fischer-Dieskau (avec des réserves sérieuses), Schiøtz, Haefliger, Wunderlich, Güra et quelques autres méritent complètement le détour, et je prends aussi beaucoup de plaisir chez eux, notamment.

¶ Je peux tout de même nommer aussi quelques rares cycles dont je ne recommanderais pas la fréquentation :

  • Dietrich Fischer-Dieskau I & II : très vocal (la voix est même lourdement couverte en 51, aux antipodes de ses Winterreise de ces années), dur, peu expressif, et tout à fait à côté du sens. Ce n'est pas que parce qu'on attend beaucoup de DFD, c'est vraiment parce que ça ne fonctionne pas du tout. Cela dit, il faut l'écouter, parce que c'est DFD, et que si on veut pouvoir causer avec d'autres mélomanes, il est bon d'avoir un avis dessus.
  • Christian Elsner : ici aussi, alors que son Winterreise (avec le Quatuor Henschel) est très valable, la voix s'engorge jusqu'au naufrage. Même pas intéressant expressivement.
  • Jochen Kowalski : pour falsettiste, ça ne fonctionne pas du tout. Trop mis à distance pour du romantisme, et puis les mots sont noyés dans l'émission lâche. En musique populaire (en tout cas celle de ce genre), même les sopranos utilisent la voix de poitrine, pour des raisons de proximité, de stabilité, de naturel, d'élocution. Alors un homme en fausset...
  • Lotte Lehmann : vraiment pas expressif, lourdement chanté, et l'accompagnateur (Ulanowsky) sonne surtout comme un répétiteur. Pas du tout horrible, néanmoins.
  • Les versions avec Peder Severin, Elka Puukko et David Breitman sont, tout simplement, très mal chantées. La dernière est même difficile à croire pour un chanteur professionnel (voire pour un semi-professionnel).


¶ Côté accompagnateurs, se distinguent tout particulièrement Deutsch (avec Kaufmann en particulier, mais aussi avec Protschka) pour le tranchant et la danse, Schneider pour le galbe, Gothóni pour le tranchant, Eisenlohr pour la souplesse musicale. Et plus discrets, Huber (avec Gerhaher) ou Gage (avec Araiza) font montre d'un grand goût.

¶ Au chapitre des souhaits, on peut regretter qu'Anthony Rolfe-Johnson, Mark Ainsley, Thomas Bauer (du moins dans son état d'il y a cinq ans) ou Henk Neven n'aient rien laissé au disque. Sur le vif (et à la radio), Fouchécourt (avec Planès au pianoforte) a été particulièrement mémorable, rendant au cycle toute sa dimension de chansons populaires sans arrières-pensées.

4. Registre d'abréviations

À des fins de clarté, je n'ai pas multiplié les informations. Ne figurent pas le nombre de publications chez un label donné ni les tessitures exactes de chaque interprète – paramètre d'autant plus intéressant qu'il évolue au fil d'une carrière, et permet de se représenter ce qu'on entendra. S'il y a des questions à ce sujet, il suffit de les poser en commentaire.

Les dates sont celles d'enregistrement. Évidemment, vu la quantité d'information à traiter, il n'a pas été possible de toujours les contre-vérifier, il reste donc des manques, ou des dates qui peuvent être celles de publication, voire de réédition. En principe très peu, j'ai tâché d'être vigilant.

En gras, les cas atypiques.

s : soprano
ms : mezzo-soprano
a : alto
t : ténor
br : baryton
bs : basse
pf : pianoforte
hkl : Hammerklavier
hfl : Hammerflügel
St : Steinway moderne
LD : libre de droits en France, donc probablement partout dans le monde, le droit français étant particulièrement restrictif ; susceptible d'être publié sous divers éditeurs, et librement copiable et distribuable.

La numérotation en chiffres romains indique que la commercialisation de plusieurs témoignages chez un artiste. Évidemment, au fil des reparutions.

Quelquefois, les voix peuvent s'écarter de la catégorie officielle de l'artiste. J'essaie de m'adapter à ce qu'il fait dans le cycle.

5. Liste complète

Et voici le matériau discographique :

Suite de la notule.

samedi 15 mars 2014

Carnet d'écoutes : Mahler par Stenz, Košler et Luisi, Berlioz par Markevitch


Quelques instantanés d'écoutes tirés de Diaire sur sol.

Berlioz – Symphonie Fantastique – Lamoureux, Markevitch

Exactement comme pour sa Damnation de Faust – probablement le disque où le chef met en évidence la logique profonde de chaque détail d'articulation et d'orchestration, où tout devient miraculeusement évident et insolent, là où l'on n'entend d'ordinaire qu'une belle globalité –, Markevitch exalte chaque élément de la partition, on entend la plume crisser sur le papier, on sent croître en nous la force de l'intuition géniale qui a guidé le compositeur en remplissant chaque portée.

Ça a l'air de mots, dit comme ça, mais beaucoup d'auditeurs de ces disques conviennent que ça s'entend.

Les spectaculaires deux derniers mouvements ne sont pas les plus réussis de la discographie pléthorique, en revanche les trois premiers, plus délicats (et surtout la Scène aux champs, tellement étirée et répétitive, rarement aimée des mélomanes), sont portés au plus haut niveau d'intelligence. Il faut entendre le parcours hallucinatoire de la Valse, au fil des effets de l'opium : la mélodie est d'abord jouée legato, égale, floue, en dehors du temps (loin des démarches inégales et éméchées, très intéressantes d'ailleurs, que certains chefs ont essayé), avant qu'émerge de la brume une sorte de frénésie qui se met à « battre la mayonnaise » avec emportement, faisant résonner l'armature des trois temps jusqu'à l'absurde. Les tempes bourdonnent.

Difficile de respecter plus exactement le programme tout en faisant de la meilleure musique.

Pour ceux qui ne l'ont pas sous la main :



Mahler – Symphonie n°8 – Gürzenich, Stenz

Cette Huitième offre à Stenz l'occasion de faire valoir ses meilleures qualités de structure et d'énergie : aucun affaissement de tension, tout fait sens sans effort, dans une belle poussée logique.

Entre les abîmes de Conlon et les faîtes de Stenz, le Gürzenich s'est complètement transfiguré en l'espace d'un lustre.

Et puis le plaisir de retrouver Orla Boylan chez les sopranos.

Mahler – Symphonie n°2 – Gürzenich, Stenz

Au sein de cette intégrale extraordinaire (parue chez Oehms), la Deuxième n'est pas le meilleur maillon : ses articulations sont tellement « carrées » et évidentes qu'elles en deviennent prévisibles. Néanmoins une très belle réalisation à tout point de vue. Très bel Urlicht qui ne priviligie pas la platisque (Michaela Schuster est surtout une superbe diseuse à la voix mûre), crescendo de percutions comme infini, et une tenue d'ensemble, un respect scrupuleux des changements de tempo indiqués sur la partition...

Mahler – Des Knaben Wunderhorn – Oelze, Volle, Güzenich, Stenz

Suite de la notule.

mercredi 5 février 2014

Traduire et adapter Onéguine – [de Tourgueniev à Markowicz et Tuminas]



Le Bal d'anniversaire de Tania dans la vision de Rimas Tuminas, avec les arrangements musicaux de Faustas Latenas. Chant assuré par des membres du Théâtre Vakhtangov.


1. Traduire

Eugène Onéguine est déjà un objet étrange : le roman en vers est passé de mode depuis quelques siècles, si bien qu'il se ressent plus aisément comme un grand poème narratif, voire une courte épopée au ton singulièrement badin. Sa lecture, en traduction, pose déjà d'innombrables problèmes, car il faut naviguer sans cesse entre la précision du texte originel (rempli d'images piquantes), sa syntaxe décisive pour le rythme d'ensemble, son caractère fluide et taquin, et enfin la contrainte poétique de la langue d'arrivée, car Onéguine est tout sauf de la prose (quoique son esprit ne soit pas si éloigné des meilleures nouvelles de Mérimée).

Certains traducteurs ont renoncé au vers (Tourgueniev-Louis Viardot, Revue nationale et étrangère 1863 ; Roger Clarke, Wordsworth 2005; Béesau, Franck 1868), d'autres ont raboté le sens, ou bien ont perdu le naturel ou le sourire (Jean-Louis Backès chez Folio).

On trouve néanmoins quelques belles traductions versifiées et rimées chez les anglais :
¶ Chez les versions anciennes, Henry Spalding (Macmillan 1881) se caractérise par la conservation du vers et du naturel ; son flux est très égal, jamais heurté, malgré les nombreuses incidentes du texte. Par ailleurs, d'une grande exactitude.
¶ Les qualités de Charles Johnson (Penguin 1977) seraient similaires, mais il semble davantage gagné par le sérieux – et ajoute des éléments absents de l'original pour pouvoir compléter ses vers.
¶ J'aime beaucoup le piquant de Tom Beck (Dedalus 2004), dont le caractère spirituel tente de répondre à celui de Pouchkine... la traduction de langue anglaise que j'aime le plus lire ; néanmoins beaucoup d'informations sont déplacées ou ajoutées, et le détail littéral est accommodé, si bien que ce n'est pas une référence pour qui veut véritablement aborder l'ouvrage de Pouchkine dans sa précision. En revanche, pour la lecture d'une belle œuvre, cette traduction apporte bien des satisfactions.

... et il en va de même en français :
¶ Tout le monde a vanté jusqu'à l'hystérie, et à juste titre, la version d'André Markowicz (Babel 2008), merveilleuse d'invention verbale, et comme toujours attentive au détail. Markowicz triomphe pour la sonorité, c'est une traduction à lire lentement et à haute voix : sa syntaxe est courte, mais ses articulations et références sont complexes à saisir en lecture cursive. Néanmoins, ce degré de soin se retrouve chez d'autres, avec d'autres qualités.
¶ À l'opposé, Roger Legras (L'Âge d'Homme 1994), avec un lexique infiniment plus simple, sonnerait peut-être platement au théâtre... mais son exactitude suprême (le plus proche de Pouchkine parmi ces trois versions, à ce qu'il m'a semblé – au prix de quelques déplacements d'un vers à l'autre, contrairement à Markowicz, mais ce me paraît un enjeu tout à fait secondaire) et sa fulgurance dans le badinage (il faut, à ce titre, absolument lire son Pan Tadeusz de Mickiewicz) en font un sommet, beaucoup plus conforme aux plaisirs de la lecture silencieuse.
¶ Moins spectaculaire que les deux précédents (mais les traductions de Legras et Markowicz sont en elles-mêmes, indépendamment des originaux, des sommets de la langue française), Charles Weinstein (L'Harmattan 2010) travaille sur la fluidité du texte d'arrivée – ici aussi, davantage dans la perspective d'une lecture silencieuse. Cela se dévore comme un vrai roman, tout glisse ; on perd un peu de la saveur des incidentes, références et saillies, mais tout le contenu littéral du texte est là, dans une traduction facile à lire à l'extrême.

Et, franchement, malgré ce qu'on entend souvent, on peut prendre un plaisir assez conforme à l'original avec ces traductions, en particulier Spalding, Legras, Beck et Markowicz.

2. Au théâtre

La question de la traduction ne se posait pas dans les représentations en russe du Théâtre Vakhtangov de Moscou, importées à la MC93 de Bobigny. Mais l'adaptation théâtrale d'une œuvre aussi emblématique, avec une intrigue aisément dramatisable, et contenant déjà de nombreux dialogues, est irrépréssiblement tentante – pour les artistes comme pour le public.


Evguenia Kregjdé en Tatiana.


En revanche, une adaptation théâtrale, à plus forte raison dans la langue originale, ouvre plusieurs possibilités.

¶ Je mets de côté les adaptations sauvages qui se contentent de tout récrire en développant simplement le synopsis des principales actions du roman, souvent en en profanant le caractère unique – souvent émouvant, mais toujours plaisant et légèrement distancié. Par exemple le pilonnage à l'arme lourde post-postromantique par le chorégraphe John Cranko.

¶ On peut donc utiliser une pièce de théâtre récrite (c'est dangereux en russe, du fait de l'inévitable comparaison), en insérant des moments de bravoure littéralement tirés de Pouchkine : la lettre, le poème de Lenski, le billet du repentir, la leçon finale de Tatiana... C'est le cas du livret de Chilovski & Tchaïkovski pour le célèbre opéra. Certes, cette version élimine très largement la légèreté du roman, mais elle offre sa lecture de plusieurs moments de parole cohérents dans le texte de Pouchkine – quitte à traiter la dernière rimaillerie de Lenski, pourtant moquée (sincèrement ?) par le narrateur lui-même, avec un bouleversant pathétique, complètement au premier degré.
Dans sa perspective sérieuse, c'est une éclatante réussite, mais on pourrait – et nul doute que cela a été fait – conserver le principe de l'œuvre nouvelle incluant des morceaux attendus du poème, et l'adapter plus exactement au ton du roman.

¶ Autre possibilité, et c'est ce à quoi je m'attendais dans la version de Rimas Tuminas hier, on peut fonder toute sa pièce sur le texte de Pouchkine, et ajouter des dialogues en prose pour combler les paroles ou les récits qui manquent dans tel échange, dans telle situation ; ou bien remplacer les endroits où le poème est chargé de références et de divagations qui ne conviennent pas bien à l'empathie de la scène.
Ce serait à mon avis la façon la plus satisfaisante esthétiquement... tout en restant possible scéniquement.

¶ Finalement, Rimas Tuminas a choisi un sentier difficile : l'usage exclusif du texte de Pouchkine. Avec tout ce que cela suppose de distorsion entre les ellipses du narrateur (ou les résumés sommaires) et les impératifs du théâtre, où il faut montrer – et, dans la mesure du possible, faire parler les personnages, dont les répliques sont la plupart du temps très courtes dans le roman.
Tuminas y ajoute quelques mots çà et là, et des chansons, mais il n'y a pas de paraphrase récrite du contenu de Pouchkine.

3. Rimas Tuminas et le Théâtre Vakhtangov

En réalité, la logique du spectacle ne repose pas sur l'usage exclusif du texte de Pouchkine, dont il faudrait tâcher de rééquilibrer les résumés par quantité d'astuces visuelles.

Le poème de Pouchkine, à l'exception de grands moments (un peu du début, la nuit de la lettre, la prémonition de Tania, le dernier poème de Lenski, les paroles de la Tante, les reproches finaux...), n'est présent qu'à l'état de fragments ; par ailleurs les stances utilisées sont sévèrement ébarbillées pour en retirer les digressions et ornements (en effet gênants à la scène).

Les parties narratives ne sont pas évitées, et tenues par plusieurs personnages, dont l'Onéguine mûr (tandis que le jeune Onéguine mime surtout ses scènes) et plusieurs figures aux identités moins définies (dont une sorte de Lenski « futur », d'après le suicide). Quelquefois les personnages-acteurs eux-mêmes empruntent les paroles du narrateur qui les décrivent. La parole du poète circule ainsi à travers le plateau, sans tenir compte des compartiments narratologiques : le narrateur peut dire des dialogues et les personnages peuvent commenter, ce qui permet une plus grande souplesse (et davantage de surprises) dans la circulation de la parole.

L'équilibre se fait en réalité avec la musique, omniprésente, en bande son amplifiée ou en chansons (accompagnées d'un piano sur scène, de l'accordéon d'Olga, de la mandoline de la vagabonde...). Faustas Latenas inclut des chansons populaires russes et françaises de toutes époques, arrange des thèmes de Tchaïkovski et Chostakovitch... et utilise même la Barcarolle des Contes d'Hoffmann dans une version pour trompette concertante par lents aplats d'accords, si bien que la parenté n'est pas d'abord décelable. Ces moments musicaux peuvent durer très longuement, et représentent des sortes de numéros clos, voire de points d'arrivée, d'apogée – ainsi la succession infinie de chansons pour le Bal d'anniversaire de Tatiana (vingt minutes ? une demi-heure ?), qui semble une œuvre en soi, comme le bal de la Cendrillon de Viardot, qui permet à la musique de s'épanouir longuement.

Et tout est remarquablement soigné de ce point de vue : les chanteuses du « corps de ballet » présent sur scène (les voisines de Tatiana, sans doute) font montre d'une remarquable technique vocale – l'une d'elle, Anna Antonova, parvient même, dotée d'une très belle voix d'alto, à exécuter un air comique où elle caricature sa propre voix, tout en passant soudain au belting le plus glorieux, immédiatement suivi d'un saisissant effet de saturation (exécuté de façon parfaitement saine).
De même, l'air de rien, les gestes sont synchronisés au cordeau avec la bande son : lorsque la ritournelle module au ton supérieur, on aboutit à la fin du geste chez le « vieil » Onéguine, alors même qu'il n'y a pas d'impératif musical à ce moment-là.


Anna Antonova.


Ainsi, pendant une très large part du spectacle, les personnages défilent sans texte sur cette bande originale. Le spectacle m'a en bonne logique paru assez long à démarrer – « à quoi servent ces intermèdes ? », « quand commence-t-on ? », le temps d'appréhender pleinement son économie : le texte nourrit ce qui est montré sur scène, mais ce qui est montré sur scène ne se limite pas au texte.

Parmi ces étranges arrêts, quelquefois le metteur en scène se joue de nous et extirpe trois vers innocents pour monter une scène entière – ainsi de la chasse au lapin complètement fantaisiste, pendant le voyage vers Moscou, qui est de toute évidence inspirée d'une comparaison prise à un autre endroit du roman : Tatiana, au moment où Onéguine paraît pour la première fois après la lecture de la lettre, est comparée au lièvre qui tremble d'apercevoir soudain le chasseur embusqué (III,40).
D'autres fois, la logique d'inclusion est encore moins évidente, comme cette jolie scène de rencontre où Tatiana (représentée à l'instant dans un bal de Saint-Pétersbourg) avec le prince, où ils se partagent ingénument un pot de confiture – dans le texte, tout indique au contraire que Tania a choisi un époux par devoir, et plutôt d'assez mauvaise grâce (« Ma mère me suppliait en pleurant… toutes les destinées m’étaient égales… je me mariai. »), et cette figure d'un calme bonheur alternatif doit tout aux désirs des adapteurs, bien peu au propos de Pouchkine. (Il y a même contradiction explicite de Pouchkine lorsqu'elle paraît être affectée par la vue d'Onéguine alors qu'elle est au bras de son mari : « Rien de ce qui se passa dans son âme ne se trahit. Le son de sa voix resta le même ; son salut fut également affable et gracieux. Parole d’honneur ! Non seulement elle ne frémit pas, ne devint ni pâle ni rouge ; mais son sourcil même ne fit aucun mouvement, et sa lèvre ne se serra point. »)

D'autres jeux avec le texte sont plus subtils, comme l'écho de Tatiana se cachant du narrateur lorsqu'il révèle qu'elle trace les initiales d'Onéguine sur les vitres, ou comme cette figure de Nicolas Poussin (remplaçant Triquet ?) qui dépose à ses pieds un de ses paysages – il m'a semblé, de loin, que c'était celui au Buveur.


Chez Tuminas, Tatiana est clairement le personnage principal : c'est elle qu'on voit le plus, c'est aussi le seul personnage principal à parler relativement abondamment (l'Onéguine mûr n'étant pas vraiment inclus dans les actions du plateau). Son profil tranche avec la représentation qu'on peut légitimement s'en faire, en lisant le texte : la Tania de Tuminas est très décidée et burlesque, très touchante mais moins timide et fragile que l'originale, soulevant avec énergie et gaucherie le lit en fer forgé qu'elle installe et tire elle-même hors de scène, se cachant sous le banc pour ne pas être vue, puis, gênée des reproches et interdite, restant debout sur l'assise, en décalage complet avec toute logique.
Et, une fois qu'Onéguine est éconduit, tout s'arrête, et c'est elle qui fait la dernière image, semi-onirique, du spectacle – enlacée à l'ours de son rêve (qui avait déjà discrètement été convoqué pour son anniversaire sous forme de peluche).


La scène de la chambre, avec Tania (Evguenia Kregjdé) et Filipevna (Ludmila Maskakova).


On peut être à juste titre frustré, tandis que ces digressions occupent une place que les moments forts de l'intrigue sont obligés de céder, de ne pas voir réellement Onéguine, mais plutôt une rêverie assez libre sur sa matière ; et je l'ai été pendant une partie du spectacle, jusqu'à ce que la force de ces étranges atmosphères me fasse rendre les armes. Par ailleurs, la moindre allusion est nourrie d'une lecture attentive des recoins du poème, et l'esprit espiègle qui règne est une façon indirecte, au bout du compte, de rendre justice au ton singulier du roman de Pouchkine.

4. Moments forts

Suite de la notule.

dimanche 12 janvier 2014

Le Second Quatuor et la musique de chambre d'Othmar SCHOECK


1. Othmar Schoeck, Schoeck, Schoeck, Schoeck, Schoeck...

Othmar Schoeck (1886-1957) fait partie des compositeurs qui ont leur petite célébrité en dépit du fait qu'ils soient peu joués... mais dont le catalogue discographique reste très majoritairement lacunaire, et la présence en concert exceptionnelle. Peut-être est-lié au peu de compositeurs suisses passés à la postérité : Honegger côté francophone, Schoeck côté germanique – les autres, Andreae, Veress, Huber... n'avaient pas l'envergure pour s'imposer largement au détriment de compositeurs plus précis dans les salles et studios. De ce fait, Schoeck reste peut-être un (discret) emblème, à défaut d'être joué.


Hommage à 4 voix de Hindemith pour l'anniversaire de Schoeck. Introduit ici.


Il faut dire aussi qu'à l'exception de quelques œuvres symphoniques violentes et spectaculaires, comme son opéra Penthesilea d'après Kleist, hardi et violemment expressionniste, ou dans une moindre mesure Lebendig begraben sur les poèmes de G. Keller (mais malgré sa véhémence, ce sont plutôt les poèmes que la musique qui versent dans le grandiose), la musique de Schoeck se caractérise davantage par son caractère mesuré, calme, étale.

2. Catalogue instrumental

Il existe bien sûr quelques contributions de Schoeck aux formations chambristes traditionnelles :

¶ Des pièces groupées ou isolées pour piano (Toccata, Ritornelle, Fughetten...)
¶ Trois sonates pour violon et piano (deux en ré, une en mi, écrites de 1905 à 1931).
¶ Une sonate pour violoncelle et piano (1957).
¶ Une sonate pour clarinette basse et piano (1928).
¶ Deux quatuors (l'un en ré de 1913, l'autre en ut de 1923), plus un mouvement isolé de 1905.

... et quelques ouvertures et poèmes symphoniques :

¶ Sérénade pour petit orchestre Op.1 (1907).
¶ Sommernacht (« Nuit d'été ») pour orchestre à cordes, inspiré par le poème de Keller (1945).
¶ Suite en la bémol pour orchestre à cordes – ce doit être sympa à jouer, dans cette tonalité... ah, ces décadents... (1945).
¶ Mouvement symphonique pour grand orchestre (1906).
¶ Ouverture pour William Ratcliff de Heine (1908).
¶ Prélude pour orchestre (1933).
Festlicher Hymnus (« Hymne de fête ») pour grand orchestre (1950).

De même, une poignée de concertos :

¶ Pour violon (Quasi una fantasia), en 1912.
¶ Pour violoncelle et orchestre à cordes, en 1947.
¶ pour cor et orchestre à cordes, en 1951.

3. Catalogue vocal

Mais l'essentiel du legs de Schoeck, et celui qui fait sa réputation, se trouve dans le domaine de la musique vocale.

Dramatique, avec un certain nombre d'opéras (Penthesilea et Venus, pour ceux qui se trouvent facilement) et de cantates (Vom Fischer un syn Fru).

Chorale, dont assez peu d'exemples se trouvent au disque.

Et surtout le lied... avec piano, mais surtout avec de petits ensembles : quatuor à cordes (Notturno Op.47), orchestre de chambre (Elegie Op.36), mais aussi des œuvres avec grand orchestre, comme Lebendig begraben Op.40. Contrairement à la majorité des corpus, où les compositeurs écrivent par défaut pour des voix plutôt élevées, Schoeck écrit presque exclusivement ses lieder pour des voix centrales, voire graves, de vraies voix de baryton – dans des tessitures très favorables aux interprètes.

4. Lieder

Dans nombre de ses cycles (Elegie Op.36, Lebendig begraben Op.40, Notturno Op.47, Nachhall Op.70), au nombre d'une douzaine, les poèmes sont enchaînés, reliés entre eux par des interludes instrumentaux joués sans interruption, et l'expression demeure toujours douce et rêveuse, dans un mouvement presque immobile, dérivant doucement comme le cours d'un fleuve. Les atmosphères, plutôt nocturne, sont rarement tourmentées, plutôt mélancoliques ou méditatives, sans être jamais joyeuses. Et alors que l'harmonie ménage ses frottements et ses plénitudes, on ne sent pas réellement de poussée vers l'avant – en partie parce que les rythmes en s€ont très homophoniques (chacun joue simultanément, peu de fantaisie de ce côté).
Il faut dire que dans ces œuvres d'une demi-heure à une heure, en un seul mouvement, très peu contrastées, on se trouve baigné dans un flot permanent qui donne une illusion d'éternité.

Une véritable expérience, prégnante aussi bien au disque qu'au concert. (Voir par ici pour un témoignage sur son Notturno.)

Schoeck, à l'exception de son cycle Op.33 consacré à des traductions de Hafis, ne met en musique que des poètes aux thématiques romantiques (partout on ne semble parler que de nature et de nuit), soit du premier XIXe, comme :

Eichendorff (Elegie Op.36, Wandersprüche Op.42, Cantate Op.49, Befreite Sehnsucht Op. 66)
Lenau (Elegie Op.36, Wanderung im Gebirge Op.45, Notturno Op.47, Nachhall Op.70)
Claudius (Wandsbecker Liederbuch Op.52, Nachhall Op.70)
Möricke (Das holde Bescheiden Op.62)
Goethe (5 venezianische Epigramme Op.19b)

soit de la seconde moitié du siècle, comme :

Gottfried Keller (Gaselen Op.38, Lebendig begraben Op.40, Notturno Op.47, Unter Sternen Op.55)
Heinrich Leuthold (Spielmannsweisen Op. 56, Der Sänger Op.57)
Conrad Ferdinand Meyer (Das stille Leuchten Op.60)

Quelquefois les auteurs sont mélangés, comme Lenau et Eichendorff dans l'Elegie, ou les cycles de Lenau Notturno et Nachhall, qui s'achèvent respectivement par un poème de Keller et un poème de Claudius.

En règle générale, quelle que soit l'ardeur du poème, l'expression musicale et verbale demeure dans une résignation (ni triste ni gaie) assez homogène. Le cycle qui tranche le plus, parmi ceux publiés à ce jour, est Lebendig begraben, où l'orchestre rugit un peu (mais ce n'est rien par rapport aux poèmes, d'une démesure tonnante comparable à La Fin de Satan de Hugo), mais le chanteur y demeure largement dans le cadre d'une sobre psalmodie.

Il n'empêche qu'ils valent tous largement le détour, à commencer par Elegie et Notturno. C'est une expérience d'écoute.

5. Le Second Quatuor

Suite de la notule.

mercredi 15 mai 2013

Mélodies d'Occupation (1938-1949) : Poulenc, Jolivet, Gailhard, Françaix, Schmitt, Rosenthal, Auric, Sauguet, Barraine, Arma, Dutilleux, Féjard, Honegger et Milhaud (par Le Texier & Cohen)


Programme hallucinant à la Cité de la Musique ce mardi 14 mai ; à l'exception des courtes Chansons villageoises de Poulenc, un long concert (trois heures avec entracte, considérable pour un récital de mélodies !) exclusivement constitué d'oeuvres très rares, d'une esthétique exigeante, et dans un genre (la mélodie française) assez peu pratiqué en exclusivité au cours d'un récital. Aspects peu visités de compositeurs établis, ou apparitions de figures largement oubliées. Bref, immanquable pour tout lutin qui se respecte.

1938
Francis Poulenc : Priez pour paix
1940
André Jolivet : Trois complaintes du soldat (cycle)
1941
André Gailhard : Ode à la France blessée
André Gailhard : La Française
Jean Françaix : L’Adieu de Mgr le Duc de Sully à la cour
1942
Florent Schmitt : Quatre poèmes de Ronsard (cycle)
Manuel Rosenthal : Jérémie
Francis Poulenc : Chansons villageoises (cycle)
1943
Georges Auric : Quatre chants de la France malheureuse (Le Petit Bois & La Rose et le Réséda)
Henri Sauguet : Force et Faiblesse
1944
Elsa Barraine : Avis
Paul Arma : Les Chants du silence (A la jeunesse, Chant du désespéré, Fuero)
Henri Dutilleux : La Geôle
1946
Simone Féjard : La Vierge à midi
Arthur Honegger : Mimaamaquim
1949
Darius Milhaud : Kaddish

Interprétations

Suite de la notule.

samedi 11 mai 2013

CIMCL - Concours International de Musique de Chambre de Lyon, 2013 : lied & mélodie


En août dernier, j'avais touché un mot de ce concours, disposant du jury liederistique le plus prestigieux possible. Il vient de s'achever, et je voudrais y revenir.


Cyrille Dubois et Tristan Raës, lauréats du concours.


1. Principe du concours & jury

Voici d'abord la présentation proposée précédemment :

Reçu, voilà quelques jours, une très aimable notification du Concours International de Musique de Chambre de Lyon, qui souhaite manifestement une couverture maximum pour disposer du meilleur recrutement possible. Vu l'intérêt de la manifestation pour les niches abordées ici, je joins volontiers mon obole baveuse à l'éminente entreprise.

Ce concours a été fondé en 2004, et a la particularité de sélectionner chaque année un type de formation, un peu sur le modèle du Concours Reine Elisabeth, mais à plus longue échéance :

  1. trio pour piano et cordes,
  2. quintette de cuivres,
  3. duo voix / piano (lied et mélodie),
  4. duo violon / piano,
  5. quintette à vents (si j'en juge par les lauréats, sur le seul modèle flûte-hautbois-clarinette-basson-cor, il est vrai très courant)
  6. quatuor à cordes


Outre cette structure originale, le concours a pour lui un jury assez impressionnant, fondé uniquement sur la participation de professionnels ayant contribué de façon très conséquente au dynamisme de la mélodie et du lied :

  • Donna Brown, peut-être plus célèbre discographiquement pour le répertoire baroque, mais qui a fait de jolis Debussy,
  • Hedwig Fassbender, spécialiste de rôles de (fort) caractère sur scène, et liedersängerin assez intense. La tension qu'elle parvient à insuffler à ses lieder de Strauss (pourtant des partitions plutôt aimables) est remarquable.
  • François Le Roux, le mélodiste fondamental que l'on sait, à la tête d'une très vaste discographie et fondateur du Centre International de la Mélodie Française (à Tours), où les adhérents peuvent accéder à des oeuvres introuvables, glanées au fil des ans en bibliothèque. Egalement organisateur pendant cinq ans des récitals à la Bibliothèque de France.
  • Wolfgang Hozmair, qui malgré toutes les réserves que l'on peut faire sur la voix, la carrière, a produit certains disques de lieder d'excellente qualité, à commencer par son Winterreise et Dichterliebe (voir ici.
  • Roger Vignoles, un des accompagnateurs incontournables d'aujourd'hui pour le lied. J'avoue que le son timide m'a un peu déçu en salle, mais il a commis de beaux disques - voir par exemple son Winterreise avec Thomas Allen ou Frauenliebe und Leben avec Bernarda Fink.
  • Philippe Cassard, pianiste spécialisé dans la musique de chambre et la mélodie. Egalement auteur d'une monographie sur Schubert (Actes Sud).
  • John Gilhooly, directeur du Wigmore Hall, un des hauts lieux du lied dans le monde, pourvu depuis quelques années de son propre label (très intéressant, et fournissant les textes complets et traduits des lieder).


Comme si ce n'était pas suffisant, le concours fait aussi oeuvre de promotion du patrimoine mélodistique, puisque l'épreuve éliminatoire impose de picorer dans quatre cycles très rares (suggérés par le partenaire, le toujours providentiel Palazzetto Bru Zane) :

  • Expressions Lyriques de Massenet ;
  • Chansons de Marjolie de Dubois ;
  • Feuilles au vent de Paladilhe ;
  • Biondina de Gounod.


L'administration du concours est fort aimable, puisqu'elle joint les partitions numérisées (accessibles même au public). On voit les bienfaits d'IMSLP pour la paix du monde (les versions scannées libres de droit en sont manifestement tirées).
Tous ces cycles se situent dans le versant lisse de la mélodie, d'esthétique anté-debussyste. Quelle joie d'y trouver, au sein d'une sélection déjà très originale, les Chansons de Marjolie, vrai chef-d'oeuvre du genre, dont on comptait parler prochainement ici.

Autrement, le choix est oeuvres est assez libre, et l'imposé contemporain est de Nicolas Bacri (donc en principe chantable), en cours de composition.

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Pour les artistes, les inscriptions sont ouvertes jusqu'au 31 janvier 2013. Pour les spectateurs, le concours se déroule du 22 au 28 avril 2013. Si ce n'était pas en semaine et s'il ne m'était pas impossible de prendre des congés à cette période, je serais volontiers allé entendre les éliminatoires pour découvrir de jeunes chanteurs dans un répertoire aussi exaltant. Que ceux qui le peuvent ne s'en privent pas, le concours promet beaucoup, du moins si les candidats sont à la hauteur de ce qui leur est offert.

A suivre !


2. Les épreuves

Le concours s'est déroulé en trois étapes, chacune attestant de capacités spécifiques.

A) Une session de qualification de 15 minutes par candidat (c'est-à-dire par duo piano-chant), comprenant :
=> 1 lied de Schubert, Schumann, Brahms ou Wolf.
=> Des mélodies au choix tirées des quatre cycles romantiques français rares mentionnés ci-dessus (Massenet, Gounod, Paladilhe, Dubois).

B) Demi-finale de 25 minutes :
=> Commande du concours à Nicolas Bacri : Drei romantische Liebesgesänge Op.126, dans un style proche des "décadents" allemands. 15 minutes environ.
=> 1 pièce ou ensemble de pièces composé après 1990.
=> 1 mélodie française (ou ensemble de mélodies) du premier XXe siècle.

C) Finale de 30 minutes :
Programme libre, devant contenir au moins une mélodie française.

De ce fait, on pouvait évaluer aussi bien les capacité dans le lied que dans la mélodie, et dans toutes les époques concernées par le genre (romantique, décadent, contemporain - pour faire simple).

La finale a manifestement été captée (mais je ne parviens pas à mettre la main dessus, rien sur le site du Concours, de l'Université Lyon II, sur la Webradio de France Culture... si plus rien n'est disponible une semaine après le concours, ça devient compliqué !), mais on trouve surtout aisément la demi-finale sur YouTube (même pas clairement recensée sur les sites officiels, j'ai dû passer par le moteur de recherche de YouTube pour la trouver !). C'est la seule à avoir été captée en vidéo, et c'est bien dommage, parce que la pièce imposée (agréable, accessible aux interprètes et au public, mais sans saillance particulière, comme souvent avec Bacri) occupe l'essentiel du temps imparti. Par ailleurs, la mélodie contemporaine n'est pas forcément la plus propice à l'expression de jeunes artistes "forcés".

Je regrette surtout l'absence de captation de la session de qualification (je suppose qu'il s'agit de faire des choix, et de protéger ainsi l'image du concours en captant les sessions les plus restreintes), où l'on trouve généralement une plus grande diversité de personnalités... et où figuraient surtout les quatre cycles proposés par Bru Zane ! Moi qui espérais collectionner les belles versions de Marjolie à cette occasion... [Pour les curieux, le seul disque du commerce (Saint-Denis / Godin) est merveilleux et idéal. Mais en entendre d'autres ne peut pas faire de mal !]

3. Palmarès et candidats

Demi-finalistes :

  • duo CONTRASTE (Cyrille Dubois et Tristan Raes) ;
  • duo PAQUIN et BROEKAERT (Andréanne Paquin et Michel-Alexandre Broekaert) ;
  • duo IRIS (Lamia Beuque et Claire Schwob) ;
  • duo DIX VAGUES (Clémentine Decouture et Nicolas Chevereau) ;
  • duo CEZALY (Céline Mellon, et Elizavetha Touliankina) ;
  • duo BRIOSO (Zsofia Bodi et Nikolett Horvath) ;
  • duo FUJII et MOTOYAMA (Rena Fujii et Norihiro Motoyama) ;
  • duo SOLENN et NAOKO (Solenn Le Trividic et Naoko Jo) ;
  • duo OXYMORE (Etienne Bazola et Thomas Costille) ;
  • duo MAYENOBE et JULIEN (Benjamin Mayenobe et Marion Julien).


Finalistes :

  • duo CONTRASTE (Cyrille Dubois et Tristan Raes) ;
  • duo PAQUIN et BROEKAERT (Andréanne Paquin et Michel-Alexandre Broekaert) ;
  • duo IRIS (Lamia Beuque et Claire Schwob) ;
  • duo DIX VAGUES (Clémentine Decouture et Nicolas Chevereau).


Prix :

  • 1er prix Ville de Lyon (10.000 €€)+ Coup de coeur Bayer & Prix du Public (8.000€ €) : Duo Contraste (Cyrille Dubois, ténor ; Tristan Raes, pianiste) - France
  • 2ème prix ADAMI (7.000 €) : Duo Paquin-Broekaert (Andréanne Paquin, soprano ; Michel-Alexandre Broekaert, pianiste) - Canada
  • 3ème prix (5.000 €) : Duo Iris (Lamai Beuque, mezzo soprano ; Claire Schwob, pianiste) - Suisse
  • Prix Sacem pour la meilleure interprétation de la pièce de Nicolas Bacri : Duo Dix Vagues (Clémentine Decouture, soprano ; Nicolas Chevereau, pianiste) - France


4. Interprétations

N'ayant pu être sur place et considérant que seule la demi-finale est accessible à ce jour, il va de soi que mes commentaires sont à lire non seulement à l'aune de mes limites et subjectivités, mais de surcroît à celle de cette seule épreuve, avec tous les biais que cela suppose.

Le premier prix à Cyrille Dubois n'est pas une surprise : ténor clair (presque aigrelet), prodigue en sons droits, au français parfait et expressif, un peu le genre Mathias Vidal (voix un peu courte mais grand spectre expressif, particulièrement en français). Idéal pour la mélodie, où il brille effectivement ; et il est clair qu'à ce concours, il écrabouille (sans exagération) une bonne partie de la concurrence. Mais la concurrence est un peu déloyale dans la mesure où il fait déjà carrière : il enregistre des disques (Messe de Schumann avec les Cris de Paris, Tistou les pouces verts de Sauguet avec le Philharmonique de Radio-France, petits rôles dans le Paradis Perdu de Dubois et Renaud de Sacchini - avec Rousset !). Et il chante régulièrement (certes, depuis un ou deux ans) dans les plus prestigieuses salles d'Ile-de-France : Opéra-Comique, Athénée, Opéra Royal de Versailles. En janvier dernier, il avait même droit à un récital à l'Opéra de Paris, Amphi Bastille ! Certes, avec l'argument marketing de Michel Dalberto à l'accompagnement, mais tout de même, ce n'est plus exactement ce qu'on peut appeler un débutant dans la carrière...
En plus de cela, son choix de pièces complémentaires était très avisé : son allemand étant moyen, il s'en est tenu au français, avec des pièces de Théodore Dubois (autres que les Marjolie, un peu moins "dramatiques" mais délicieuses) pour les mélodies du premier XXe, et des mélodies françaises de Graciane Finzi, dans un langage léger et totalement tonal, pour les pièces d'après 1990. Que des choses qui convenaient parfaitement à son caractère et demeuraient accessibles pour un public ou un jury en première écoute.

Je m'émerveille toujours de la façon dont, à travers le vingtième siècle, les pianistes accompagnateurs sont passés du statut de chefs de chant empesés à ceux de virtuoses polyvalents et remarquablement sûrs. Même en comparant avec ceux d'il y a deux générations, on n'entend plus aujourd'hui, chez les grands accompagnateurs, que des gens très sûrs de leurs doigts et de leur rythme. Ensuite, bien sûr, les personnalités fortes sont toujours rares, quelle que soit l'époque, mais il est trop difficile d'en juger sur quelques minutes de concours, aussi je m'en tiendrai au coup de chapeau technique. Evidemment, sur une série de trois petits récitals dans des styles très différents, le jury a eu matière pour juger de façon plus éclairée - d'autant qu'y figurent deux grands noms de l'accompagnement de lied & mélodie.




Le fossé est (très) important avec le deuxième prix.

Suite de la notule.

mercredi 20 mars 2013

Schubert, Debussy, Barber et Musto par Hasselhorn et Hodique


Impressions rapides, et renvoi vers les amples questions soulevées par ce concert (acoustiques, vocales, esthétiques...) :

Suite de la notule.

Zemlinsky, Schreker, Schoenberg, Webern et Korngold par Merbeth et Schmalcz


Un mot aussi sur Chausson, Lekeu, Elgar et Schindler-Mahler par Lemieux et le Quatuor Psophos :

Suite de la notule.

Le Notturno de Schoeck par Adrian Eröd et le Quatuor Aron


Un mot sur l'oeuvre ici, et sur la soirée là :

Suite de la notule.

samedi 16 mars 2013

Le disque, l'acoustique, la langue et les graves : pourquoi les chanteurs d'aujourd'hui sont-ils ce qu'ils sont - (Adrian Eröd & Samuel Hasselhorn)


Toutes choses qui virevoltent au fil de l'esthétique actuelle du barytonnant, que nous allons doucement explorer (vidéos à l'appui).

1. Une (bonne) surprise à la Hugo-Wolf-Akademie

Suite de la notule.

mardi 12 mars 2013

[Sélection lutins] Les plus beaux cycles de lieder orchestraux du premier XXe siècle


Orchestrés a priori ou a posteriori, une proposition de cycles particulièrement réussis à mon gré. Pour des raisons évidentes de quantité, je n'ai pas retenu les oeuvres isolées. De même, si j'ai inclus les symphonies mettant en musique des poèmes pour voix solo, je n'ai pas conservé les monodrames (comme Schönberg ou Poulenc), qui par définition ne mettent pas en musique de la poésie.

Malgré les réserves que j'ai émises sur les lieder orchestraux en tant que genre poétique, il faut bien admettre que la forme accueille de nombreux chefs-d'oeuvre.

Encore une fois, aucune prétention à l'exhaustivité, simplement une sélection d'oeuvres à écouter, sur le simple critère des goûts du taulier (oui, c'est marqué dans la description : interlope).
Une forme de bouche à oreille, tout à fait informel.

Néanmoins, je crois avoir cité, en fin de compte, non seulement ceux que j'aimais (illustres ou obscurs), mais aussi la plupart de ceux qui sont célèbres. J'ai donc inclus en italique et entre crochets les quelques oeuvres célèbres que je ne recommande pas forcément en premier lieu (voire que je n'aime guère, comme Das Klagende Lied ou le Marteau sans Maître), de façon à disposer d'un panorama un peu plus complet.

Il est intéressant de constater qu'à peu près tous ceux cités ici ressortissent à une esthétique assez proche de l'esprit "décadent", et pas seulement en raison de mes goûts propres : on trouve très peu de lieder orchestraux célèbres dans les périodes précédentes, en dehors des Nuits d'Eté de Berlioz et des Wesendonck-Lieder de Wagner (et ce dernier cycle ne me convainc pas pleinement). Ceux du premier XXe ont pour la plupart cette petite teinte fin-de-siècle, que je les aie "sélectionnés" ou non.

[[ 1880 - Gustav MAHLER - Das Klagende Lied (Mahler d'après Bechstein et Grimm, débuté en 1878) ]]
1886 - Gustav MAHLER - Lieder eines fahrenden Gesellen (Mahler)
1889 - Hugo WOLF - Harfenspieler I,II,III (Goethe)
[[ 1892 - Ernest CHAUSSON - Le Poème de l'amour et de la mer (Bouchor) ]]
[[ 1899 - Edward ELGAR - Sea Pictures (Noel, Mrs Elgar, Barrett Browning, Garnett, Gordon) ]]
1899 - Guy ROPARTZ - Quatre Poèmes de l'Intermezzo de Heine
1901 - Gustav MAHLER - Des Knaben Wunderhorn (Arnim & Brentano, débuté en 1892)
1901 - Oskar FRIED - Die verklärte Nacht (Dehmel)
1903 - Maurice RAVEL - Shéhézarade (Tristan Klingsor)
1904 - Gustav MAHLER - Rückert-Lieder
1904 - Gustav MAHLER - Kindertotenlieder (Rückert)
[[ 1905 - Arnold SCHÖNBERG - Sechs Lieder Op.8 (Hart, volkslieder, Förster traduisant Pétrarque) ]]
1906 - Ernest BLOCH - Poèmes d'automne (Rodès, orchestration 1917)
1908 - Alban BERG - Sieben Frühe-Lieder (orchestration 1928)
1909 - Gustav MAHLER - Das Lied von der Erde (Bethge)
[[ 1911 - Arnold SCHÖNBERG - Gurrelieder (Robert Franz Arnold traduisant Jens Peter Jacobsen, débuté en 1900) ]]
1912 - Alban BERG - Altenberg-Lieder
1914 - Guy ROPARTZ - Quatre Odelettes (Régnier)
1922 - Franz SCHREKER - Fünf Gesänge für eine tiefe Stimme (Ronsperger, débuté en 1909)
1927 - Franz SCHREKER - Vom ewigen Leben (Whitman)
[[ 1929 - Alban BERG - Der Wein (Stefan George traduisant Baudelaire) ]]
1936 - Olivier MESSIAEN - Poèmes pour mi (Messiaen, orchestration 1937)
1938 - Ture RANGSTRÖM - Häxorna (Karlfeldt)
1944 - Henri DUTILLEUX - La Geôle (Cassou)
[[ 1946 - Pierre BOULEZ - Le Visage Nuptial (Char) ]]
1948 - Richard STRAUSS - Vier letzte Lieder (Hesse, Eichendorff)
1948 - Pierre BOULEZ - Le Soleil des eaux (Char)
1952 - Manfred GURLITT - Vier dramatische Gesänge (Hardt, 2 Goethe, Hauptmann)
1954 - Henri DUTILLEUX - Deux sonnets de Jean Cassou
[[ 1954 - Pierre BOULEZ - Le Marteau sans Maître (Char) ]]
1957 - Pierre BOULEZ - Pli selon Pli (Mallarmé)

Je trouve que la présentation par ordre chronologique est assez stimulante, tant elle révèle l'entrelacement de styles différents - et combien ceux qui nous paraissent modernes et originaux le sont parfois vingt ans après les autres... ou inversement, combien certains novateurs le sont à des dates très précoces, davantage que celles auxquelles l'on place généralement leur aire / ère d'influence.

Il existe bien sûr d'autres cycles intéressants, comme certains recueils de mélodies orchestres de Koechlin, mais j'avoue ne pas leur avoir trouvé le même intérêt qu'aux titres (remarquables, vraiment) de cette liste.

Si vous devez en essayer quelques-uns pour commencer, je me permets de vous recommander tout particulièrement les chatoyances de Vom ewigen Leben de Schreker (version Ruzicka, les autres ne rendant pas forcément justice à l'oeuvre), les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt et les Quatre Odelettes de Ropartz.

A ceux-là, j'aurais envie d'ajouter certains formats étranges, pour ensemble, ou semi-oratorios, qui auront difficilement l'occasion d'apparaître dans une liste :

Suite de la notule.

mardi 13 novembre 2012

Schubert-lieder.com


Un tout nouveau carnet (en anglais), ouvert il y a une semaine (au moment où je rédige cette notule, que je publierai plus tard). Et qui, à l'observation, a l'air assez stimulant sur la question de la discographie des lieder de Schubert : http://www.schubert-lieder.com .

Je n'en partage pas forcément les goûts, mais le ton à la fois pondéré et passionné des présentations me séduit beaucoup.

J'en profite, manière de ne pas faire une notule "blanche", pour préciser quelques points de convergence et divergence :

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http://www.schubert-lieder.com/book-review-the-schubert-song-companion-by-john-reed

J'acquiesce en tout point à cette recension du Schubert Song Companion de John Reed :

Suite de la notule.

mardi 4 septembre 2012

Die schöne Müllerin par Fritz Wunderlich : déchéance et révisions d'écoutes


Au cours d'une profonde actualisation (nombre de versions doublé) prévue de la discographie de la Belle Meunière, j'ai réécouté le studio Wunderlich / Giesen, auquel j'ai finalement peu touché (et j'aime davantage ses versions sur le vif). J'en avais un souvenir agréable, d'une version peut-être un peu sage, mais très bien chantée et très correctement expressive.

Et je suis interdit, pour ne pas dire horrifié.

Suite de la notule.

samedi 1 septembre 2012

Les disques du jour - LIII - Intégrale des lieder de Schubert, la Naxos Schubert Lied Edition (Eisenlohr)


1. Pourquoi ?

Après avoir commenté l'intégrale Hyperion, voici le commentaire de l'intégrale Naxos, une véritable aubaine à présent qu'elle paraît en coffret.

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2. Aspect général

Ulrich Eisenlohr, présent dans quasiment tous les volumes, est un pianiste solide, jamais prosaïque. Assez comparable à ce que fait Johnson chez Hyperion, en ce sens, mais avec une implication dramatique supérieure au ton de conversation paisible de son homologue anglais. Son toucher et la prise de son sont souvent un peu sourds côté piano, mais le résultat reste tout à fait convenable.

La cohérence éditoriale est meilleure que dans l'intégrale Hyperion : les volumes sont organisés uniquement par poètes, ce qui rend la logique générale beaucoup plus claire, et la répartition est réalisée avisément, sans obtenir beaucoup de volumes de miscellanées à la fin de l'intégrale, alors que la liste des compléments n'en finissait plus chez Hyperion...

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3. Contenu éditorial

J'ai écouté cette intégrale à partir des volumes séparés, je ne puis donc pas être précis sur le contenu de l'intégrale publiée en coffret. Pour les volumes séparés, on trouve d'appréciables descriptions du programme par Ulrich Eisenlohr, plus dans la perspective de mettre en relation les oeuvres que de les décrire de manière approfondie comme le faisait Graham Johnson. Attention, c'est en traduction anglaise seulement : ni la notice allemande originale ni de traduction française n'y figurent.

Aucun texte chanté n'est reproduit, ils sont en revanche disponibles sur le site de Naxos avec une traduction anglaise à des adresses du type : http://www.naxos.com/libretti/poetsofsensibility5.htm, mais de toute façon le site d'Emily Ezust (sur lequel on pourra trouver quelques traductions des lutins) a déjà fait tout le travail, avec beaucoup de traductions françaises de surcroît.

Certes, les textes sont chez Naxos prêts à imprimer, en PDF, mais le format n'est quand même pas furieusement pratique lorsqu'on a une intégrale à écouter.

Clairement, en termes de documentation, l'avantage est à Hyperion.

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4. Commentaire de chaque disque

Afin de pouvoir se décider, voici une petite description de chaque volume : oeuvres et poètes présentés, types de voix, interprétation. Sauf mention contraire, Ulrich Eisenlohr au piano.

Suite de la notule.

mardi 28 août 2012

Carnet d'écoutes - Le Winterreise de Jules Bastin


Où l'on étudiera la question de quelques défauts fréquents de Winterreise au disque et sur scène.

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Pavane vient de republier le Winterreise de Jules Bastin et Ursula Kneihs, que je cherchais depuis longtemps.

J'étais avide de le découvrir, tenant Jules Bastin pour la basse la plus intéressante du XXe siècle (rien de moins) : une clarté de diction exceptionnelle, des graves extraordinairement profond (un des très rares à bien sonner même dans les extrêmes d'Ochs), un médium et un aigu clairs, sonnant plus près de barytons très clairs (plus Charles Panzéra qu'Alexander Kipnis), avec cependant une vraie présence sonore - et surtout un esprit ravageur. Et aussi bien allemand qu'en français, sans démériter pour autant en italien.

Au sommet, il faut entendre son Méphisto de la Damnation de Faust de Berlioz, proprement extraordinaire de clarté, d'éclat et d'à-propos.

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Vous pouvez écouter intégralement (et légalement) le disque :

Suite de la notule.

mercredi 8 août 2012

Le grand concours du lied


Reçu, voilà quelques jours, une très aimable notification du Concours International de Musique de Chambre de Lyon, qui souhaite manifestement une couverture maximum pour disposer du meilleur recrutement possible. Vu l'intérêt de la manifestation pour les niches abordées ici, je joins volontiers mon obole baveuse à l'éminente entreprise.

Ce concours a été fondé en 2004, et a la particularité de sélectionner chaque année un type de formation, un peu sur le modèle du Concours Reine Elisabeth, mais à plus longue échéance :

  1. trio pour piano et cordes,
  2. quintette de cuivres,
  3. duo voix / piano (lied et mélodie),
  4. duo violon / piano,
  5. quintette à vents (si j'en juge par les lauréats, sur le seul modèle flûte-hautbois-clarinette-basson-cor, il est vrai très courant)
  6. quatuor à cordes


Outre cette structure originale, le concours a pour lui un jury assez impressionnant, fondé uniquement sur la participation de professionnels ayant contribué de façon très conséquente au dynamisme de la mélodie et du lied :

  • Donna Brown, peut-être plus célèbre discographiquement pour le répertoire baroque, mais qui a fait de jolis Debussy,
  • Hedwig Fassbender, spécialiste de rôles de (fort) caractère sur scène, et liedersängerin assez intense. La tension qu'elle parvient à insuffler à ses lieder de Strauss (pourtant des partitions plutôt aimables) est remarquable.
  • François Le Roux, le mélodiste fondamental que l'on sait, à la tête d'une très vaste discographie et fondateur du Centre International de la Mélodie Française (à Tours), où les adhérents peuvent accéder à des oeuvres introuvables, glanées au fil des ans en bibliothèque. Egalement organisateur pendant cinq ans des récitals à la Bibliothèque de France.
  • Wolfgang Hozmair, qui malgré toutes les réserves que l'on peut faire sur la voix, la carrière, a produit certains disques de lieder d'excellente qualité, à commencer par son Winterreise et Dichterliebe (voir ici.
  • Roger Vignoles, un des accompagnateurs incontournables d'aujourd'hui pour le lied. J'avoue que le son timide m'a un peu déçu en salle, mais il a commis de beaux disques - voir par exemple son Winterreise avec Thomas Allen ou Frauenliebe und Leben avec Bernarda Fink.
  • Philippe Cassard, pianiste spécialisé dans la musique de chambre et la mélodie. Egalement auteur d'une monographie sur Schubert (Actes Sud).
  • John Gilhooly, directeur du Wigmore Hall, un des hauts lieux du lied dans le monde, pourvu depuis quelques années de son propre label (très intéressant, et fournissant les textes complets et traduits des lieder).


Comme si ce n'était pas suffisant, le concours fait aussi oeuvre de promotion du patrimoine mélodistique, puisque l'épreuve éliminatoire impose de picorer dans quatre cycles très rares (suggérés par le partenaire, le toujours providentiel Palazzetto Bru Zane) :

  • Expressions Lyriques de Massenet
  • Chansons de Marjolie de Dubois
  • Feuilles au vent de Paladilhe
  • Biondina de Gounod


L'administration du concours est fort aimable, puisqu'elle joint les partitions numérisées (accessibles même au public). On voit les bienfaits d'IMSLP pour la paix du monde (les versions scannées libres de droit en sont manifestement tirées).
Tous ces cycles se situent dans le versant lisse de la mélodie, d'esthétique anté-debussyste. Quelle joie d'y trouver, au sein d'une sélection déjà très originale, les Chansons de Marjolie, vrai chef-d'oeuvre du genre, dont on comptait parler prochainement ici.

Suite de la notule.

mardi 31 juillet 2012

Camarinha strikes back


Raquel Camarinha, déjà admirée avec son accompagnateur Satoshi Kubo lors de l'audition de la classe de Jeff Cohen l'an passé, revenait, avec un programme encore plus original, qui confirme ses forces. Le cadre moins favorable que l'intimisme extrême de la salle d'Art Lyrique du CNSMP accentue aussi quelques (très rares) traits moins flatteurs qui étaient naguère à peine perceptibles.
L'occasion de dire un mot des oeuvres... et de se poser des questions sur les enjeux d'un tel récital.

1. Le programme - 2. Le duo - 3. Le résultat

Suite de la notule.

vendredi 6 juillet 2012

Le disque du jour - LI - Shéhérazade de Ravel par Kožená / Rattle


[On peut écouter le disque en ligne, gratuitement, intégralement et légalement, sur Musicme par exemple.]

Aujourd'hui est un petit événement. Car Carnets sur sol, temple officieux de l'interlope, du confidentiel et du bizarre, va commenter (et recommander !) une nouveauté de Deutsche Grammophon.

Il faut dire qu'il s'agit d'une artiste à qui l'on a déjà consacré un rapide portrait, où figuraient en exemple des extraits de ses Shéhérazade de Ravel, peut-être sa plus belle réalisation.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
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6 => Nasal ou engorgé ?
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