Carnets sur sol

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A. Le Roy, D. Le Blanc, Guédron… airs de cour – Lefilliâtre, Mauillon, Dumestre (Cortot)


Fondé sur le programme de l'album Cœur, déjà loué dans ces pages, un concert à la salle Cortot, dans l'acoustique parfaite pour les programmes intimes (on y voit et entend à la perfection de partout, merci le capitonnage bois !).
Évidemment, le programme était un peu différent, tout n'y figurait pas – et d'autres pièces étaient au contraire incluses, en particulier des Guédron, avec la conclusion adroite « Qu'on ne me parle plus d'amour » et le leste hit « À Paris sur petit pont ».

Au concert, trois détails frappent avec plus d'acuité.

¶ Le travail sur la diversité des accompagnements, témoignant comme toujours d'un soin de premier ordre apporté aux développements / arrangements.
– Quatre violes (du petit soprano à la grande basse), d'une harpe et du petit luth théorbé – je suppose, car Vincent Dumestre était largement tourné vers l'intérieur de la scène, pour diriger l'ensemble, ce qui rendait l'instrument largement invisible et inaudible (au son, on aurait plutôt dit un petit théorbe, mais la forme générale évoque davantage un petit archiluth). À partir de cette base, toutes les configurations sont possibles : a cappella, ou avec telle ou telle partie de l'accompagnement.
– L'air de cour étant par nature l'exploration d'une forme strophique, et le choix fait étant celui de la sobriété des ornements, le renouvellement des accompagnements (outre l'excellence expressive des chanteurs) permettait l'impression d'une progression constante, sans faire sentir le moins du monde la lassitude de la répétition. [Essayez de chanter chez vous les dix strophes musicalement identiques de ces airs, vous verrez si vous n'en percevez pas le ressassement !]

¶ La réalisation du français restitué m'a paru (encore) plus incertaine qu'à l'ordinaire.
– Manifestement sans préparation précise sur la question, les mêmes sons sont aléatoirement réalisés de façon moderne ou classique, et dans une vision très archaïsante (dans le disque Aux Marches du palais, les marins de Surcouf expriment leur « Au trente-et-un du mois d'août » comme des émigrés aristocrates, avec la prononciation pré-révolutionnaire, voire pré-classique !) du français classique, si bien que la cohabitation forme un attelage tout à fait bizarre.
– Il s'agit manifestement avant tout d'apporter une couleur dépaysante, une forme d'étrangeté galante, qui est assez plaisante, certes, mais qui diminue de beaucoup l'intelligibilité du texte. On peut se le permettre vu le niveau exceptionnel de diction des interprètes, mais l'intérêt d'avoir un texte dans sa propre langue chanté par des compatriotes, s'il doit être malaxé selon des règles qui nous sont non seulement assez étrangères, mais mal réalisées, paraît un peu dévalué. Dire que l'un des arguments initiaux du mouvement était d'ajouter à la compréhension du texte grâce à l'articulation des finales muettes ! Autrement dit : je veux bien le concéder au Poème Harmonique vu le profil intransigeant des interprètes-diseurs auxquels il s'associe, mais les autres peuvent vraiment s'en dispenser. [Pour la déclamation parlée, c'est déjà un peu différent, le changement influe aussi sur l'équilibre vocal, plus « chanté », ce qui offre tout simplement d'autres possibilités.]

¶ L'équilibre extraordinaire des chanteurs.
Serge Goubioud et Marc Mauillon, avec leur timbre franc et leur diction immaculée, sont bien sûr tout désignés pour servir ce répertoire. Le renouvellement constant de leur expression permet aux airs strophiques de s'épanouir non seulement dans leur répétition musicale, mais aussi dans leur progression textuelle. Rien ne tombe à plat.
Bruno Le Levreur complète le trio des trois meilleurs spécialistes de ce répertoire aujourd'hui (donc de tous les temps, considérant la sinistrose discographique en la matière), en alto discret mais souple (d'un français excellent rare chez les falsettistes). La plupart du temps, la mélodie principale est tenue par une autre voix que la sienne, même dans les trios masculins, ce qui lui permet de colorer délicatement en laissant la conduite narrative au ténor ou à la basse-taille.
– La voix étrange (très laryngée et pharyngée) de Claire Lefilliâtre a toujours beaucoup d'impact en vrai ; si elle ne s'inscrit absolument pas dans le registre de simplicité et d'émission très antérieure des hommes, elle plane avec une forme de bizarrerie assez charmante (même si le texte, articulé plus en arrière, est moins intelligible). Les petites notes de goût, pas très nombreuses dans ce programme, sont comme toujours suprêmement réalisées.

Et bien sûr, ce qui ne se voit pas au disque mais s'y entend très bien, l'abattage hors du commun de Serge Goubioud et Marc Mauillon. Impressionné également par la capacité de Mélanie Flahaut (aux flûtes également) à exprimer des émotions en contrepoints des chanteurs… avec son basson !  Produire de l'expression fine à la basse est une chose particulièrement délicate, et remarquable ici.

Sinon, j'ai déjà insisté sur la beauté intrinsèque des œuvres retenues et du programme (Ô combien est heureuse d'Adrian Le Roy, Bien qu'un cruel martyre de Guédron…), tout était donc réuni pour un grand concert.

[En revanche, eu le pire voisin de tous les temps : consulte son téléphone pendant la représentation, dirige ostensiblement avec ses mains, croise et décroise ses jambes en faisant crisser au maximum son pantalon de toile, double les lignes de soprano à la basse en grommelant plus ou moins juste dès que tous les chanteurs sont réunis, part dès le début des saluts… et bien sûr se trouvait trop loin et trop absorbé pour percevoir les signes de mécontentement.]

Repassez nous voir, un extrait sonore faisant foi sera adjoint dans le week-end.


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Commentaires

1. Le dimanche 22 novembre 2015 à , par Faust

Bonjour

Ne vous plaignez pas ! Il (ou elle) aurait pu ronfler (ce qui, en général, ne les empêche pas de se dresser comme un ressort à la fin et d'applaudir frénétiquement).

Il aurait pu également sortir une pipe, la bourrer tranquillement et fumer ... (je n'invente rien !).

Il y a aussi la vieille dame qui vous dit : je suis enrhumée et je tousse, mais ne vous inquiétez pas, si je suis prise d'une quinte de toux je sortirai ... Bien sûr, elle n'est pas sortie et a saccagé tout le concert.

Ou encore la vieille dame qui vous dit : j'ai mis mon portable tout au fond de mon sac pour qu'on ne l'entende pas s'il sonne ... (elle ne savait pas comment arrêter la sonnerie). Mais, heureusement, il n'a pas sonné !

Ce sont les aléas du spectacle vivant ...

Mais, la lumière des téléphones ou tablettes est vraiment irritante !

2. Le lundi 23 novembre 2015 à , par David Le Marrec

Bonsoir Faust !

Oui, je parviens à me figurer toutes sortes de choses pires encore (et dont la décence m'interdit de faire état ici). Mais tout de même, c'est mal, surtout venant de quelqu'un qui n'avait pas l'attitude d'un néophyte.

(Ce qui est génial, c'est qu'avec la technologie, un seul individu à la Philharmonie peut éblouir deux mille personnes s'il allume sa lampe-torche à l'arrière-scène. Arme de détournement massif de l'attention du public.
Je suis sûr que des ténors ont déjà payé des agents pour faire ça pendant leurs contre-ut douteux, il faudrait voir si ça se répète tous les soirs selon un patron commun.)

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