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[déchiffrage] Balade dans la musique pour piano française du premier XXe siècle

Après-midi de congé consacré au déchiffrage chez les lutins. D'une façon plus originale que de coutume : majoritairement autour du clavier solo (clavecin et piano).

L'occasion d'une petite introduction à ces oeuvres - triées sur le volet - pour les lecteurs de CSS. (Par ordre chronologique.)

Au programme : Anglebert, F. Couperin, Chopin, Thomas, Elgar, Dukas, Koechlin, Decaux, Vierne et Dupont.

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Jean-Henry d'ANGLEBERT, Transcription de l'Ouverture de Cadmus & Hermione de Lully

Version très proche de l'original, et pas particulièrement confortable à exécuter. On peut tout autant faire son arrangement soi-même, les transcriptions d'Anglebert sonnent bien mieux de coutume.

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François COUPERIN, Les Barricades Mystérieuses [1]

Le plus grand tube de Couperin n'était jamais tombé sous doigts poulpiquetistes. Etrange écriture inconfortable pour le déchiffrage - beaucoup de valeurs liées, qu'il faut sans cesse prendre garde à ne pas répéter, sous peine de rendre bancal le rythme qui fait toute la saveur de la pièce.

En revanche, toujours cette fraîcheur si caractéristique.

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Chopin instrumental
  • Le début enflammé du Trio pour piano Op.8 (imité par celui de Clara Wieck-Schumann)
  • Extraits des Variations Op.2 sur Là ci darem la mano, auxquelles Chopin doit son entrée brillante dans l'admiration du tout-Varsovie.
  • Le largo de la sonate pour violoncelle et piano. Structure extrêmement simple, qui exploite plusieurs possibles d'une même mélodie en faisant alterner violoncelle et piano. On y trouve un ton plus classique qu'à l'accoutumée, mais aussi, de façon constante, la persuasion émotive si particulière qui fait beaucoup pour l'attrait exercé par Chopin.



Chopin vocal
  • Trübe Wellen
  • Bacchanale
  • Mein Geliebter
  • Der Reitersmann von der Schlacht
  • Melancholie
  • Lithauisches Lied
  • Polens Grabgesang


Des traductions allemandes chantables, assez fidèles et pour plusieurs assez heureuses. La langue en est banale, mais efficace. Dommage, vraiment, quitte à les traduire dans la langue du public (CSS les a également travaillés auparavant en polonais, dans plusieurs traductions françaises et en anglais), que ces mélodies soient bannies des concerts, elles y rencontreraient un succès certain, au moins pour les plus belles que nous jouions justement aujourd'hui. Beaucoup de grâce.

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Ambroise THOMAS, Hamlet

[La scène sur les remparts et tout le dernier acte (tous les rôles).]

La seule pièce de la journée à ne pas être du déchiffrage. On en a abondamment parlé sur CSS, on y renvoie.

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Edward ELGAR, Pomp & Circumstance March 1

(Eh oui.) La réduction pour piano donne une vision bien plus précise du travail harmonique assez intéressant de la partie vive, noyée dans les bavures de cuivres, habituellement. Elle permet aussi, accessoirement, de jouer avec une sobriété plus classique le thème dégoulinant central (Land of hope and Glory, qu'on peut entendre libre de droits par Kathleen Ferrier), ce qui confère une grâce inaccoutumée à cette pièce habituellement plus efficace qu'élégante.

Edward ELGAR, Enigma Variations

Thème et variation Nimrod. Sur l'insistance de l'admiration attachée à cette oeuvre qui ne nous a jamais passionné, on a cherché à s'y frotter directement. Décidément rien d'original, une harmonie sage mais pour un résultat sans relief particulièrement séducteur (contrairement à Wilhelm Stenhammar ou à Asger Hamerik, par exemple).
On ne peut s'empêcher de penser qu'un enchaînement d'accords parfaits joués avec force flonflons de cordes y séduit plus que l'écriture propre de l'oeuvre, mais c'est sans doute injuste et uniquement une question de perception subjective - la séduction étant d'une définition musicologique assez floue.

Edward ELGAR, Une voix dans le désert Op.77

Oeuvre assez peu fêtée, et pourtant extrêmement saisissante. Sur un poème d'Emile Cammaerts, un récitant décrit, d'une façon mi-rêveuse mi-prosaïque, les lieux de vie vidés par la guerre le long de l'Yser. Il est interrompu par le chant envoûtant d'une femme qui s'échappe d'une maison en ruines, et qui appelle l'espoir du retour à la vie. Le récitant reprend la parole en ressassant ses descriptions initiales, et tout s'éteint.
Elgar a écrit la pièce en 1915, en utilisant directement le texte français. Si la partie chantée est d'une naïveté charmante, véritablement la lumière qui éclaire soudain un moment désolé d'un espoir chaleureux, le dépouillement de la partie mélodrame ne souffre quant à lui d'aucune pauvreté. Tout est parfaitement équilibré ici : l'expansion de la partie centrale, les discrètes recherches (modérées) du mélodrame qui l'encadre. Et ce contraste merveilleux entre parole et chant.

Ni musique extraordinaire, ni texte particulièrement adroit, mais une alliance candide qui produit indubitablement son effet.

Très troublant à interpréter soi-même, surtout pour le passage entre mécanisme parlé et chanté, et pour un texte de ce type (la parole d'un soldat-narrateur un peu perdu et un chant de soprane).

Au disque, il en existe une version dirigée par Douglas Bostock et l'Orchestre Symphonique de Munich (Mette Christina Østergaard, Peter Hall), malheureusement dans sa version anglaise (le poème français est nettement versifié, nous n'avons pas vérifié sur notre partition ce qu'il en était pour l'adaptation).

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Paul DUKAS [2], extraits de L'Apprenti Sorcier

Il est évidemment très malaisé de rendre compte au piano de cette écriture très colorée et fragmentée. Mais approcher le soin de son écriture est une expérience à recommander, qui, à l'instar de Wagner, mérite tous les efforts nécessaires.

Paul DUKAS, La plainte, au loin, du Faune

Il s'agit là d'un Tombeau de Debussy, qui se partage entre la répétition obstinée et régulière du sol3, sorte de déploration obsessionnelle, équivalent onirique de la marche funèbre, et des imitations ou des citations du solo de flûte qui ouvre le poème symphonique Prélude à L'après-midi d'un faune. Raffiné à l'extrême, et ici ou là, on ne peut s'empêcher de sourire devant cet hommage aussi admiratif que malicieux.

Pièce méconnue de Dukas, et c'est dommage.

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Charles KOECHLIN, Choral sur le nom de Fauré

Pièce d'écriture très organistique, à l'harmonie retorse mais sans duretés, très typique de Koechlin. Assez peu en rapport avec les possibilités du piano (bien que les indications de nuances ôtent toute ambiguïté sur une éventuelle destination à l'orgue), un peu frustrant de ce point de vue.

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Abel DECAUX, Clairs de Lune (n°3, "Le Cimetière")

De ce qu'il nous reste d'Abel Decaux, les Clairs de lune constituent le plus vaste ensemble, quatre pièces d'une modernité époustouflante (nous sommes en 1907). Entre les tentations de l'atonalisme et les répétitions à l'infini d'un enchaînement d'accords de nature identique, Decaux surprend sans cesse dans cette troisième pièce, mais pas inutilement : un climat très singulier s'installe. Sinistre, mais fascinant.

Au disque, on dispose d'une gravure par Marie-Catherine Girod (son superbe et phrasés exceptionnels, comme toujours), à vérifier si elle est encore disponible.

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Louis VIERNE, 12 Préludes Op.38 (n°8, "Dans la nuit")

La face la plus académique de Vierne. Une pièce qui utilise la structure de la forme lied (ABA), avec une partie contemplative, très consonante et plutôt banale, et une autre section centrale, plus agitée, avec un martèlement rapide et obstiné de la1 à la basse et des accords pas plus audacieux que pour la Lettre à Elise... Agréable mais dispensable.

Mieux vaut aller voir du côté de ses mélodies, dont on aura, on l'espère, l'occasion de parler dans notre série.

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Gabriel DUPONT, Les Heures Dolentes (I-VII)

L'un des deux grands cycles pour piano (avec La maison dans les dunes), ensuite orchestrés, de Dupont. Chacun durant une bonne heure.

Le titre est à comprendre dans son sens le plus littéral : les heures de souffrance. Elles évoquent des scènes sur lesquelles s'arrête l'esprit inoccupé d'un malade, ce qui crée souvent des décalages intéressants entre le titre du programme de chaque pièce et son traitement musical, déformé par la perception obsessionnelle du patient.

Comme il est d'usage dans la musique française, la recherche du climat prime sur le développement musical abstrait, mais ici, les moyens employés sont tout à fait consistants, et évoquent souvent Debussy plus que Fauré. Beaucoup de charme et de mélancolie dans ces évocations, qui ne semblent pas décrire une réalité purement figurative, mais des atmosphères, des affects perceptibles autour des situations indiquées dans les titres.

Un monde dans le lequel on se laisse très volontiers conduire.

Notes

[1] Orthographié "Baricades" sur la partition originale.

[2] Il faut prononcer le "s" final, Dukas le réclamait lui-même, mais cela ne facilite pas la distinction orale avec le disciple de Debussy Jean Roger-Ducasse...


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Commentaires

1. Le dimanche 23 janvier 2011 à , par Jérémie

"Version très proche de l'original, et pas particulièrement confortable à exécuter. On peut tout autant faire son arrangement soi-même [...]"

Ce qu'il ne faut pas lire, quand même, parfois... Je mets ça sur le compte de la jeunesse. :-P ;-)

2. Le dimanche 23 janvier 2011 à , par DavidLeMarrec

C'est qu'à l'époque, je n'étais pas pleinement accompli, n'ayant pas encore fait ta rencontre.

Plus sérieusement, je crois que c'était une édition totalement sauvage, qui ressemblait plus à une réduction de la pièce de Lully qu'aux ornementations expansives d'Anglebert... Il n'y avait presque pas de mordants par exemple, et tous courts...

Mais enfin, je l'ai crédité du titre de ma partition, je n'ai pas fait une recherche approfondie pour publier ce genre de notule "air du temps".

Je me tiens à ta disposition pour la peine infligée. Non, écouter les nouveaux Cavalli qui vont sortir, j'y suis déjà condamné par amitié...

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