Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - I - Le livret
Par DavidLeMarrec, dimanche 5 avril 2009 à :: L'horrible Richard Wagner - Disques et représentations - Livrets - Opéra romantique allemand :: #1189 :: rss
La troupe joyeuse des lutins, entre deux moments d'inconscience, a fait le déplacement dans la capitale passée et à venir du monde musical, et du monde tout court, pour l'événement : la meilleure oeuvre une très belle oeuvre négligée de Wagner dans une interprétation qui avait tout pour être réjouissante.
Elle ne fut pas déçue. Et elle ira même jusqu'à lever les préventions lues ici ou là et dont nous démontrerons, la plume hors du fourreau, qu'elles doivent plus à la méconnaissance des choses qu'aux hautes exigences de la lucidité.
Tremblez, glottophiles pénibles et wagnéropathes monomaniaquisants, le pouvoir de Gromarrec vous confondra !
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1. L'oeuvre
Il y a déjà longtemps (trois ans et demi), alors que Minkowski tenait encore en ses petites mains potelées son biberon basson et ignorait peut-être encore tout des Fées non grimmiques, CSS attirait déjà l'attention des amis des lutins sur cet ouvrage. Nous en discutions hier en précieuse compagnie, nous ne le dirions sans doute plus en ces termes (en particulier cette médisance énigmatique sur l'ouverture), mais certains traits de l'oeuvre sont déjà esquissés. C'était l'époque bénie et reculée où une notule était quelque chose de court.
Il est temps d'ajouter quelques précisions sur ce sujet, d'autant qu'il reste encore une représentation, le 9 avril.
Les lecteurs désireront peut-être se reporter au livret ou à la partition disponible sur IMSLP au cours de notre causerie.
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1.1. Le livret
1.1.1. Le livret et le conte
Situation initiale : Le héros a enfreint une interdiction, celle du questionnement sur l'identité, le propre des êtres féériques. N'ayant pu se conformer à ce commandement temporaire ou durable, il n'est pas digne de partager la félicité d'un être de l'autre monde. Une façon de redire la condition de chacun : l'homme est un homme, et ne peut viser plus haut que ce qu'il est.
Acte II : Le héros doit résister aux apparences, une forme d'initiation par la confiance. Certes, le livret le pousse jusqu'au grotesque (Médée + Ganelon, c'est beaucoup), mais la structure est là. Et comme dans tout conte, pour que l'expérience existe, l'interdit doit être enfreint. Seulement, Wagner en fait ici un moyen de présenter un autre conte...
Acte III : Le héros doit vaincre des gardiens successifs d'un royaume fabuleux, secondé par des attributs magiques. C'est exactement ce qui se passe dans... Sigurd de Reyer !
A cela, il faut ajouter d'autres stéréotypes, comme le rappel du guerrier amoureux par la mort du père et la menace sur le royaume - Marguerite Coiffier fait exactement la même chose dans le texte qui servit de support au Prix de Rome, notamment l'Alyssa de Ravel, avec l'intrusion du Barde, porte-glaive. L'opéra exalte toujours la force de la passion amoureuse, mais elle est ici mise à l'épreuve de tout ce que la société connaît alors de plus sain : le respect filial et la défense de la patrie. Dualité insoluble puisque deux valeurs ultimes, celle de l'opéra et celles de la culture des spectateurs, s'affrontent simultanément.
La figure, à cette date, c'est cela dit pas si fréquente.
Et bien sûr la scène de folie, traitée de façon originale, mais dont l'égarement passe toujours par l'ouïe et par le lamento, dès la Nina de Paisiello (sans compter Les Puritains, puisqu'on a beaucoup parlé de l'influence - très relative - de Bellini sur les Fées).
En fin de compte, et surtout par leur traitement musical, Wagner se situe plutôt dans la frange nouvelle de la musique, en inaugurant des obsessions qui seront les siennes, que dans une répétition de stéréotypes. Mais on devait tout de même souligner cette structure étrange qui fait, en trois actes, se juxtaposer quatre intrigues assez indépendantes, closes sur elles-mêmes, autour du sujet principal de la pièce.
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1.1.2. Le livret et Wagner
Wagner est déjà l'auteur de son livret, et on y retrouve en effet maint trait de son art à venir :
- le récit de ce qui s'est passé, de ce qui se passe ou de ce qui va se passer est une occupation majeure des personnages, et le drame semble toujours durer sensiblement plus que ce que la substance dramatique appelait ;
- l'homme absent qui menace le royaume d'Arindal est nommé... Murold ;
- on nous narre des faits magiques qui ont manifestement marqué le jeune Wagner (la coupure d'un doigt pour faire reprendre forme originelle à l'être de l'Autre monde, qui est le conseil de Telramund à Elsa à propos de son mari, dans Lohengrin) ;
- le pacte de silence sur le nom, également présent dans Lohengrin ;
- la structure du blasphème
réalisé du mauvais côté de
la barrière morale, également moment de rupture
au deuxième acte de Tannhäuser,
avant un moment initiatique qui ne trouvera pas de
résolution aussi heureuse.
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1.1.3. La langue du livret
La langue du livret est rédigée dans un vers de théâtre allemand traditionnel (le plus souvent à quatre, parfois à trois accents), qui alterne généralement rimes féminines et masculines. Wagner n'a pas encore adopté le vers allitératif rugueux de ses oeuvres de maturité.
Le vocabulaire est celui qui sert ce théâtre romantique de façon assez habituelle, loin des archaïsmes ostentatoires qui prévaudront plus tard chez le béretophore.
Au final, la langue rebondit bien, sonne agréablement, sans grande audace, mais avec un vrai savoir-faire très profitable au drame. La qualité des récitatifs s'en ressent aussi : le naturel prosodique est là.
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1.1.4. La mission dramaturgique
[On commence par un détail qui nous a toujours diverti : celui de l'oubli dramaturgique. Les enfants d'Ada et Arindal, après le faux meurtre à l'acte II, sont remis au père, von ihrer Geburt gereinigt, c'est-à-dire, comme le proposaient joliment les surtitres, « purifiés de leur origine ». Ce qu'on comprend comme délivrés de tout lien avec leur mère, y compris l'immortalité. Or, lorsqu'Arindal est élevé au rang des immortels pour avoir ouvert trois boîtes, nulle mention de ses malheureux enfants. On imagine certes qu'il en sera de même pour eux, mais rien n'est précisé.
Ce n'est pas un exemple aussi frappant que l'oubli de Vítek ou Raimbaud (Albazar est sans doute une malice de notre part, puisque le personnage tient un rang d'observateur et de second ténor sans personnalité très traditionnel, en fait), mais tout de même, c'est à remarquer.]
L'oeuvre, cependant, malgré sa temporalité lente, évite tout ressassement démesuré. Et, chose rare (absente ?) chez Wagner après Liebesverbot, se trouve allégée par de l'humour. En particulier les fausses apparitions, totalement réjouissantes et franchement originales, des camarades d'Arindal accoutrés qui en Grand Prêtre visionnaire, qui en spectre du feu roi. Le duo comique Gernot / Drolla est par ailleurs bien intégré à l'action (en miroir du couple Lora / Moralt et surtout introduisant efficacement Arindal au I), nettement mieux que les valets de toute façon plus tendres et moins drôles du Weber d'Oberon.
On remarque même des traits de pertinence par moment, comme la justesse psychologie de l'entrée joyeuse d'Arindal qui voit arriver un prince écrasé par sa faute. On ne cède ni au choeur joyeux standardisé et sans nuance (façon Schubert), ni au choeur compatissant très suiviste (façon Bellini). A cette date, ce n'est pas si banal - il faut quasiment attendre la version originale de Don Carlos (1867, contre 1833) pour en entendre un exemple plus net et plus réussi. Mais il faut dire que Wagner a toujours eu cette attention très précise pour les choeurs, dont personne à l'opéra n'a jamais égalé, à ce que l'on croit par ici, l'inspiration.
Le résultat, qu'on sera amené à évoquer à nouveau à la faveur de considérations musicales, scéniques et interprétatives, n'a pas le liant formidable du Vaisseau fantôme, assurément, mais se tient résolument éloigné de toute platitude opératique stéréotypée (les stéréotypes étant importés de l'extérieur, ou bien à venir) et de tout l'attirail à la fois nu et verbeux qui fait ensuite la spécificité de la langue wagnérienne. Déjà une lenteur de la progression, un goût des récits, un usage immodéré des accessoires, mais pas encore ce dogmatisme très pédagogique, cette philosophie ressassante, ces prétentions à l'explication du monde. Incontestablement, le résultat est de moindre portée dans Die Feen que dans Tristan, mais il ne serait pas juste, sur le plan du livret, de considérer qu'il s'y trouve une hiérarchie si évidente. L'ouvrage le plus ancien s'inscrit dans une filiation de l'opéra du temps, avec un certain nombre d'innovations ou de traits personnels, le plus récent est tout entier calibré pour le projet du Maître - avec toute sa puissance et toutes ses prétentions.
Déjà, on peut donc faire remarquer que les reproches de faiblesse au livret ne tiennent pas. Certes, il dit moins sur le monde, l'homme et l'art que celui de Tristan, il se trouve d'une certaine façon limité à sa fonction de support dramatique, mais dans cette perspective, il se révèle fonctionnel (et original). En tout état de cause, ni l'un ni l'autre ne soutiennent isolément la lecture.
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La suite au prochain épisode.
[Ah si, les ténors sont toujours aussi idiots chez Wagner.]
Commentaires
1. Le lundi 6 avril 2009 à , par Morloch :: site
2. Le lundi 6 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le lundi 6 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
4. Le mardi 7 avril 2009 à , par Sylvain
5. Le mercredi 8 avril 2009 à , par DavidLeMarrec
6. Le mercredi 8 avril 2009 à , par Sylvain
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