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Le roi Arthus - Ernest CHAUSSON - réécritures fin de siècle

Autour du Roi Arthus. Contenu musical, propos philosophique, place parmi les opéras.


1. Structure :

I, 1
Médisances autour d'Arthus sur Lancelot, défendu par le roi. Mordred comprend pour qui Genièvre l'a dédaigné.
I, 2
Rêverie de Lyonnel, l'écuyer de Lancelot, sur l'aveuglement de son maître. Duo d'amour entre les adultères. Mordred survient, frappé par Lancelot, mais se relève après son départ, en témoin.
II, 1
Chanson du geste du laboureur. Nouveau duo où Genièvre demande à Lancelot de témoigner pour elle. Décident finalement de s'enfuir ensemble.
II, 2
Tourment d'Arthus, qui invoque Merlin. Prophéties tronquées. Annonce dans le tumulte et le désaccord de la disparition de la reine. Arthus mène les siens à sa poursuite.
III, 1
Inquiétude de Genièvre sur l'amour de Lancelot. Celui-ci retourne, seul et sans armes, ayant renoncé à combattre son roi. Il abandonne la reine pour aller faire cesser le combat et se livrer à Arthus. Demeurée seule, abandonnée, elle s'étrangle avec ses cheveux et le rideau descend lentement.
III, 2
Sur le champ de bataille. Lancelot, étendu, blessé à mort en voulant séparer les combattants. Arthus arrive, ils se donnent l'adieu. Le roi est emporté dans une nacelle par un choeur invisible qui lui promet l'Idéal.

2. Discographie

ARMIN JORDAN (1985)
Genièvre : Teresa Zylis-Gara
Lancelot : Gösta Winbergh
Arthus : Gino Quilico
Merlin : Gilles Cachemaille
Lyonnel : Gérard Friedmann
Mordred : René Massis
Choeurs de Radio France
Nouvel Orchestre Philharmonique
ERATO (donc plus distribué :evil: )
=> Très belle version, en tout point. Très beau français aussi.

Je découvre l'existence d'une seconde version en préparant cette petite note :

MARCELLO VIOTTI (1996)
Genièvre : Susan Athony
Lancelot : Douglas Nasrawi
Arthus : Philippe Rouillon
Merlin : Gilles Cachemaille
Choeur de Chambre de Sofia et de l'Académie Russe
Wiener Symphoniker
KOCH-SCHWANN

En 2003, l'oeuvre a été donnée à la Monnaie dans une belle version qui comprenanit :

DANIELE CALEGARI
Genièvre : Dagmar Schellenberger
Lancelot : Douglas Nasrawi
Arthus : Louis Otey
Merlin : Olivier Lalouette
Lyonnel : Yves Saelens
Mordred : Philippe Georges
Choeurs et Orchestre symphonique de La Monnaie

3. Contenu musical

Musicalement parlant, on reste dans une oeuvre de type français, même si le souffle de duos d'amours tristaniens ou la typologie de certains motifs sont typiquement wagnériens. On n'est plus, comme dans Sigurd, dans une configuration proche du Grand Opéra. On n'est pas encore dans de l'opéra purement contemplatif, comme Pénélope ou Pelléas. De la musique avant tout dramatique et poétique, avec une très belle texture orchestrale, pas forcément préoccupée en priorité de structure musicale. Une grande fluidité dans les répliques, un bon nombre de tirades mais pas d'airs - ce qui n'exclut nullement une belle veine mélodique, discrète et subtile.

On pourrait dire que l'oeuvre accuse plus son époque que sa nationalité, en somme.

4. Propos "philosophique"

La fin de l'oeuvre est assez étrange, avec un propos allégorique sur l'Artiste qui parvient, par l'Esprit qu'il insuffle, à survivre, par-delà la mort qui le délivre d'un monde cruellement décevant. Une idée de l'artiste maudit, de l'artiste souffrant, de l'artiste visionnaire qui ne s'est pas beaucoup démodée, je le crains.
Lancelot, cet être contingent, disparaît dans la fange qui l'a vu naître et où, par ses errements, il retourne, accompagné de l'oubli. Arthus, lui, a droit à l'assomption des martyrs qui survivent à leur corps par la force de leur Idéal.
Tout ce discours allégorique au contenu quasiment explicite frôle assez largement le ridicule, mais contrairement à son modèle wagnérien, ne contamine absolument pas le reste du drame, si bien qu'on peut en faire une lecture indépendante en ignorant cette "moralité" finale. Toute la représentation d'un monde crépusculaire, décevant, impermanent, y est profondément touchante.

5. Où se place Le roi Arthus ?

De façon très évidente, il s'agit d'une réécriture de Tristan, de Parsifal et quelques autres monuments wagnériens. Certes, de façon un peu décalée, puisqu'à la certitude wagnérienne vient se superposer le doute sur l'essence qui est plus celui de Pelléas.
Mais le fonds légendaire celte, la thématique de l'amour fou, la présence d'un roi trompé refusant la vengeance (quoique le personnage d'Arthus soit plus complexe, plus épais, plus développé et, finalement, central), l'apparition spectrale d'un sage mourant, l'agonie extatique du ténor "rédempté", la structure en trois actes rappellent très fortement certain Richard. Le sujet est assez crépusculaire, et ne parlons pas de la musique : le récit mortuaire du cor anglais, les réminiscences de la mort de Siegfried, le motif très proche de celui du Walhall lors de la reconnaissance d'Arthus (selon le procédé du II de Siegfried...), et la cadence finale, certes légèrement mahlerisée, qui fait tenir à l'infini dans l'aigu un choeur féminin sur un motif tournant extrêmement proche de celui qui clôt Parisfal, et meurt dans un accord richement boisé...

On peut y trouver une fragilité dans l'écriture (moins charpentée), une humanité dans un texte moins ceinturé par des présupposés philosophiques, qu'il n'y a pas forcément dans le modèle. (et hop ! voilà comment on obtient trente réponses au lieu d'une)

Le texte est beaucoup plus conflictuel et intéressant, le temps plus court – ce qui fonctionne mieux au disque, mais peut se discuter pour la scène au vu du degré constant d'inspiration musicale de Tristan. On assiste aux exigences de Genièvre, aux doutes de Lancelot, au déchirement des chevaliers, jamais représentés unanimes, conformément aux exigences psychologiques envers ce choeur du coup assez atypique – un dialogue, et plus une unité. Arthus, sans être véritablement le personnage principal du drame , en est la figure la plus centrale, le pivot. Refusant de croire l'infâmie mais déchiré par la certitude d'un malheur, la figure d'Arthus, finit, après l'anéantissement de son grand oeuvre, transfigurée.
L'acte III porte un regard très dur sur la putrescibilité de l'homme, des entreprises humaines, de la vertu ; sur l'impermanence d'un être de son vivant même, en quelque sorte. Lancelot ravit à Arthus jusqu'à sa femme, jusqu'à sa gloire, jusqu'à sa haine. Il lui a tout pris, mais il n'est plus lui-même non plus. Cette déchéance est longuement contemplée, ainsi que dans les récits-sources, et avec une poésie infinie.
Il n'y a que le choeur final qui fait penser au sort de la Terrible Longue [1] et dont le discours idéologique est moyennement heureux, avec cette apothéose un brin ridicule. Une réminiscence mal digérée de Rocbert, Saba ou Sigurd, manifestement. Quoique, musicalement, comme dit plus haut, le parallèle avec Parsifal soit évident.



De façon plus générale, on pourrait parler des réécritures wagnériennes ou contre Wagner des opéras de cette période. Y a-t-il d'autres clones flagrants ? Thora pÃ¥ Rimol est assez proche du Vaisseau, certes, mais c'est plus un esprit qu'une copie musicale, Borsgtrøm a indéniablement une personnalité propre. Sigurd a été composé avant le Ring, ou du moins avant que Reyer ne puisse en avoir connaissance.

Je vous cède la place !

Notes

[1] Qui n'a lu l'Albe atroce ?


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Commentaires

1. Le lundi 14 juin 2010 à , par Simon

Bonsoir,

je serais pleinement d'accord avec toi sur la qualité de la distribution de la version Jordan s'il n'y avait cette Genièvre à la limite du supportable par moment... il m'a fallu prendre sur moi-même par moment - on se satisferait presque de la mort du personnage!

J'aime beaucoup cet opéra, particulièrement le duo Merlin/Arthus du IIème acte, notamment la fin de ce duo (qui n'en est plus un puisqu'Arthus parle seul) qui est d'une intensité psychologique rare avec la musique; et enfin, la fin du IIIème acte, avec ce choeur enchanteur qui est vraiment bien écrit.

Pour ce qui est d'une portée philosophique sur l'art à la fin, je n'ai rien vu passé. Tu peux préciser ce que tu entends par "contenu quasiment explicite"? Parce qu'effectivement, cette lecture est tout à fait applicable à l'artiste, je veux en fait te demander quels sont les indices qui te conduisent à penser qu'il s'agit précisément de l'artiste et non du philosophe ou du monarque, qui en somme tendent aussi en quelque sorte vers un Idéal. Evidemment, Chausson est un artiste... Mais du fait de cette indétermination que je pense pouvoir subodorer, je ne sais pas si l'on peut parler d'une véritable intention philosophique.
D'autant qu'après tout le chemin que Chausson nous a fait parcourir pendant l'opéra, cela tomberait vraiment comme un cheveu sur la soupe - que vient faire l'idéal d'un artiste dans cette histoire?

2. Le lundi 14 juin 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Simon !

Merci pour ta réaction détaillée. Je répondrai plus amplement un peu plus tard, mais je précise simplement que cette notule date des débuts de CSS (elle a près d'un luste, tout de même) et que j'ai par conséquent depuis longtemps entassé des choses à ajouter dedans.

Néanmoins, je m'en vais te répondre dès que possible sur tout ce que tu soulèves, quitte à spoiler un peu la révision prévue. :-)

3. Le mardi 15 juin 2010 à , par Simon

Très bien, j'avoue encore une fois ne pas avoir fait attention à la date de publication... C'est vrai que cela fait 5 ans que cette notule n'a pas été dérangée de son profond sommeil par de bruyants commentaires...
Voilà donc enfin le réveil du Roi Arthus, sous nos yeux, et CSS en est le lieu!

4. Le samedi 19 juin 2010 à , par DavidLeMarrec

Bien, en laissant le temps du repos, et sans avoir trop le loisir pour l'instant de me replonger précisément dans livret et partition pour essayer de soutenir mes dires, je peux en tout cas convenir que le terme d'explicite était exagéré et que je ne l'emploierais pas aujourd'hui pour parler d'évidence.

Néanmoins, si rien ne le dit tout à fait explicitement, cette thématique de l'artiste flétri par ses contemporains, comme l'Albatros, comme Walther von Stolzing, et bien sûr, de façon beaucoup plus mêlée et subtile, comme ce qui est décrit par grandes touches dans les Gezeichneten (difformité de Salvago, corruption de Carlotta, commentaires des touristes du III).

C'est quand même à l'état d'affleurement pendant toute cette période de type 'décadent', à telle enseigne que je vois mal ce que Chausson aurait voulu désigner d'autre dans cette apothéose assez christique - le Serviteur Souffrant qui promet un Monde Nouveau.
Cela dit, je relirai tout ça attentivement en essayant de m'abstraire de mes premières impressions, et on en reparlera. :)

5. Le dimanche 20 juin 2010 à , par Simon

D'accord, merci de ta réponse en tout cas.

Autre point, j'ai eu du mal, à l'écoute, à repérer distinctement des leitmotivs, il y en a bel et bien non? Je jetterai un coup d'oeil à la partition un de ces jours pour voir un peu cela (elle est disponible sur IMSLP), en notant les thèmes en observant leur récurrence.

6. Le mardi 22 juin 2010 à , par DavidLeMarrec

Il y en a, mais ils sont discrets, encore plus que dans Pelléas, et moins en revanche que pour la Pénélope de Fauré.

7. Le dimanche 15 septembre 2013 à , par Georges

Bonjour,
Je note que vous avez rédigé cet article voilà 8 ans. J'espère ne pas vous embêter et vous remercie pour les nombreux moments de plaisir que me procurent la lecture de votre "blog".
J'ai 2 partitions du Roi Arthus indiquant que Genièvre est un mezzo, or la discographie affiche toujours des sopranos. Qu'en pensez-vous? Merci d'avance et bien cordialement, Georges

8. Le dimanche 15 septembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Georges !

... et il y a bien six ans que je veut remanier et compléter amplement cette notule. Bref.

Vous avez raison, le rôle est décrit comme un rôle de mezzo par Chausson, sans doute pour assurer une plénitude au médium, qui est effectivement le plus sollicité. Mais dans les faits, les aigus sont très périlleux pour des mezzos, et c'est pourquoi on y entend surtout des sopranos dramatiques : Teresa Å»ylis-Gara, Hélène Bernardy, Susan Bullock...

Les compositeurs, surtout à cette époque où le créateur devient de plus en plus autonome des commandes, et peut finalement écrire plus ou moins ce qu'il veut (quitte à ne pas être joué ou à être mal reçu), n'ont pas forcément une représentation fine de ce que peut ou non faire une voix. Et clairement, chez Wagner, d'Indy et Chausson, les voix de femme sont utilisées au maximum de leurs possibilités, voire un peu au delà... Je crois qu'ils se moquaient un peu de ces contingences, en fait.

Bonne soirée !

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David Le Marrec

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