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Le baryton - IV - Une histoire sommaire (c)


On reprend où nous en étions restés.

Depuis le XIXe siècle, jusqu'à nos jours.

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Voici les précédents épisodes :



Caressez le crâne du baryton pour entrer dans sa (séduisante) cervelle de conteur.


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L'apparition du baryton standard

Le baryton, tel qu'il est identifié aujourd'hui, apparaît à l'orée du XIXe siècle. On l'a dit, les premiers rôles susceptibles d'être tenus aujourd'hui par des barytons sont des emplois de basse aiguës, surtout des basses bouffes : dès Elviro dans Serse de Haendel, mais surtout dans Rossini, les rôles de maris trompés ou d'amants éconduits (Don Bartolo, Messer Taddeo, Don Geronio...). Les effets comiques passent par une tessiture haute et des effets vocaux, moins loisibles à des voix de basse (A un dottor della mia sorte est ainsi condensé dans le haut de la voix). On trouve déjà quelques barytons authentiques, comme le Figaro du Barbier, qui n'est ni jeune premier, ni opposant imposant.

Car c'est encore dans l'interstice que se loge le baryton : il est la voix éclatante qui n'est pas celle du jeune premier ; il est la voix grave qui n'a rien de noble. Ce sera donc la voix de Figaro (l'aide brillant des amants, pas amant lui-même) ; ce sera aussi la voix de Lysiart (Euryanthe de Weber), l'ennemi, mais l'ennemi sans pouvoir, le traître insidieux.
Et bien sûr Faust chez Spohr (dès 1816) : Faust ne peut pas être le modèle de l'amoureux sans arrières-pensées, étant un vieil homme - certes visionnaire, mais aussi quelque peu lubrique. Par contraste avec la basse sépulcrale du démon, il fallait une voix intermédiaire. Les ténors sont alors les amoureux authentiques auxquels Faust fait barrage (Franz, le fiancé de Röschen). Schumann utilise ensuite la même catégorisation dans ses Scènes de Faust (1843-1853). [Le baryton-démiurge est une catégorie qui demeurera très usitée jusqu'à aujourd'hui, avec les créations récentes d' Et si Bacon de François Cattin, ou, plus intéressante, de Galilée de Michael Jarrell.]

Il va de soi que ces pistes ne sont pas des constantes, mais des tendances, chaque compositeur étant libre d'en faire à sa guise. Néanmoins, les codes et les attentes sont très forts, et il n'est pas possible, avant la seconde moitié, voire la fin du XIXe siècle, de distribuer un opéra sans proposer par exemple un ténor à aigus pour jouer le jeune premier.

Le baryton s'impose petit à petit comme une autre typologie incontournable, et pas seulement alternative, dans chaque école nationale. Le Hollandais de Wagner est sombre mais éclatant, Nevers est généreux, éconduit et sans gravité chez Meyerbeer, Riccardo est l'opposant amoureux sans représenter un prédateur sinistre chez les Puritains belliniens.
C'est cette catégorie qui va finalement s'imposer au cours du XIXe siècle : le baryton est l'opposant amoureux, mais aussi progressivement, avec Verdi en particulier, l'incarnation d'une humanité gouvernée par ses affects, pour ne pas dire ses pulsions.

En France en revanche, le baryton reste souvent généreux, souvent héroïque - jusqu'à Patrie ! de Paladilhe (1886) où le Comte de Rysoor est d'une abnégation patriotique admirable de bout en bout. C'est aussi le modèle retenu dans les opéras français de Verdi : le comte de Toulouse est magnanime dans Jérusalem, Montfort s'amende à bon compte dans Les Vêpres Siciliennes, et bien sûr Rodrigue de Posa qui est véritablement, bien que vaguement fanatique, un modèle de l''adjuvant' généreux.


Pavlo Hunka, excellent baryton dramatique.


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Récapitulation

L'apparition du baryton se déroule comme suit dans les trois principales écoles nationales du début du XIXe siècle :

  • Italie : Les rôles de basse bouffe sollicitent un registre aigu. Les rôles d'opposants qui ne sont ni prêtres ni pères (souvent des maris ou des prétendants) s'individualisent sous forme de baryton dans le belcanto romantique. Petit à petit, le baryton devient le siège des passions violentes et négatives.
  • Allemagne : Les rôles de baryton apparaissent de loin en loin (Papageno, Lysiart), comme doubles dégradés du ténor, mais sans pouvoirs d'autorité (rois) ou de magie (démons). Au cours du XIXe siècle, ils se spécialisent dans des rôles de personnages assez sombres, souvent éclatants.
  • France : Le baryton arrive plus tard en France, grâce en particulier à la présence d'interprètes brillants. L'opéra-comique du premier dix-neuvième le méconnaît totalement, c'est le grand opéra qui, par son nombre élevé de personnages intermédiaires, lui donne ses lettres de noblesse dans des rôles qui peuvent être constitués uniquement de scènes (par opposition aux numéros fermés qui contiennent les morceaux de bravoure vocaux) ou bien comporter des parties valorisantes.

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Le baryton comme étalon de la nature humaine

Le second dix-neuvième siècle développe progressivement une autre image du baryton. C'est l'époque où l'opéra en tant que norme, la musique en tant qu'imitation se fissurent, et où, à côté de l'académisme, se développent des langages extrêmement personnels, jusqu'à miner la tonalité.

Tandis que Puccini continue à utiliser le baryton-opposant-impulsif verdien, les français développent une image différente du baryton. On peut la considérer comme une variante de la façon italienne (l'homme jouet des passions) ou comme une mise à l'honneur, améliorations techniques aidant, du type de rôles assez positifs qu'on trouve dans l'opéra français, souvent des personnages généreux à tous les sens du terme (Nevers, Valentin, Zurga).
Ce baryton peut même devenir héros (Hamlet de Thomas, version pour baryton de Werther de Massenet, puis Pelléas et Polyphème...).

Pourquoi le baryton ? Il est l'image d'une voix moyenne, celle d'un individu, passionné comme un ténor mais faible, sans capacités extraordinaires, souvent submergé par un contexte terrible, parfois médiocrement armé pour résister au monde. C'est en tout cas le glissement qui s'opère, depuis le personnage généreux et éclatant, dont la valeur prime sur les aventures amoureuses parfois inexistantes, vers un profil de personnage imparfait, qui n'a pas l'absolu de l'investissement, de la réussite ou de l'échec du ténor principal.

Côté allemand, on observe le même processus : le rôle-titre du Don Quixote de Wilhelm Kienzl (1897) est tenu par un baryton. Rêveur et idéaliste, oui, mais aussi un peu grotesque ; souvent médiocre et parfois sublime.


Trond Halstein Moe, baryton éclectique, tour à tour caressant et mordant, souverain des scènes de Norvège.

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Après Pelléas

Après Pelléas, le baryton devient, au fil du temps, un héros privilégié des compositeurs. Le domaine germanique décadent résiste en conservant des ténors postwagnériens pour passer leurs orchestres surchargés, mais progressivement, évolution des sujets aidants, le baryton devient quasiment la norme du rôle-titre.

Les théories du soupçon ont jeté un voile sur tout ce qui était évident, démonstratif, éclatant. Le Prince de la Blanche-Neige de Holliger est ténor, mais pour se répandre en imitations volatiles très exagérées, qui respirent la fausseté. D'une manière générale, il est toujours discrédité ; pernicieux ou ridicule.
Le ténor du vingtième siècle est idéalement représenté dans Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch : soit le dépositaire grotesque du pouvoir (le mari ridicule), soit le séducteur forcément fallacieux (Sergueï).
En outre, les hommes de pouvoir sont très souvent des ténors (un peu nasals [1]), parce qu'ils portent le souvenir de la vieille humanité idéaliste et trompeuse, l'image de surhommes rêvés dont le vingtième se défie.

Le baryton, lui, est soit un être imparfait (Hernani, ses fêlures et sa violence chez Henri Hirchmann ; Polyphème de Cras et ses désirs de meurtre victorieusement combattus), soit un être commun et faible (idéalement incarné par Winston Smith dans 1984 de Maazel).
Le baryton est la voix la plus commune, celle aussi du milieu : il représente l'humanité. Il est utile parce qu'il permet de manier aussi bien les aigus claquants que le médium dense pour les psalmodies ; mais son élection, on le voit, est surtout une question de principe.

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Conclusion

Voilà donc un point sur l'évolution du sort du baryton à travers les âges. Il est évident qu'il apparaît pour combler un insterstice entre ténor et basse, avant de se spécialiser dans des emplois qui restent, précisément, toujours dans l'entre-deux. A part peut-être dans l'opéra italien de 1830 à 1920, où il se spécialise dans des postures dramatiques très homogènes, le baryton incarne surtout un compromis. Et ce, jusqu'à l'ère contemporaine, où son aspect plus banal peut incarner la fragilité et la médiocrité de l'humanité.

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Nous reste donc à procéder à la classification des types de barytons...

Rappel sur l'histoire et les catégories de ténors sur CSS :


Notes

[1] Parce qu'il faut bien monter... ces écritures étant particulièrement éprouvantes, et généralement interprétées par des ténors qui ne sont pas les plus prestigieux. Mais aussi parce qu'ils sont montrés de façon très ostensibles comme répugnants ou risibles. En fait de mettre à distance les idéologies, les livrets du vingtième siècle sont très souvent bien plus explicitement didactiques que ceux qui ont précédé, pour une profondeur supplémentaire dont la qualité est extrêmement discutable.


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Commentaires

1. Le mardi 19 juin 2012 à , par twan :: site

Cet article sur le baryton me laisse dans l'interrogation. Mon maître de chant niait l'existence des barytons, disant qu'il s'agissait de basses qui allégeaient leur voix ou de ténors qui assombrissaient la leur. Il prenait appui pour dire cela sur ce qui est noté dans l'article : l'apparition tardive du baryton dans l'opéra.
Or, de mon côté, en tant que chanteur, j'observe que certaines voix s'intègrent dans la tessiture du baryton et que leur faire chanter des airs de basse ou de ténor serait tout bonnement impossible. Cela dit, cela n'est pas totalement clair...

2. Le mercredi 20 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonjour !

Comme Dame Nature n'a pas créé de catégories étanches, il ne peut pas y avoir de réponse absolue.

Il y a surtout une question de tradition (et de donc de technique), à mon humble avis. Il est vrai que les barytons sont plus proches de basses aiguës que de ténors graves, et ces voix n'ont pas les notes qu'il faut pour tenir les basses dans les choeurs, ni l'aisance pour les tessitures de ténor. Mais on se rend compte qu'on peut trouver des exemples de barytons-basses qui utilisent une couleur claire et une technique "flottante" très éloignée du modèle des basses (Max van Egmond, par exemple).

De toute façon, la présence d'un répertoire spécifique pour les barytons implique bien de penser cette classification, quelle que soit notre opinion. En plus, ces rôles sont généralement écrits pour une couleur spécifique qui n'est pas celle de la basse ou du ténor.

Cela dit, je suis d'accord sur la question de la parenté technique dans l'immense majorité des cas entre basse et baryton. (En revanche, le fait que ce soient de "fausses basses" ne me paraît pas fondé.)

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