Le ténor - une histoire sommaire
Par DavidLeMarrec, samedi 17 décembre 2005 à :: Pédagogique - Discourir - Glottologie :: #112 :: rss
Un petit retour sur la classification des ténors, afin d'y entendre plus clair, s'imposait ainsi.
Le ténor fascine bien sûr par son aigu,
charmant ou éclatant, suave ou puissant. Mais le ténor
n’est pas unique, loin s’en faut.
Manière de clarifier au maximum les choses, on va étudier
la question sous deux angles : par période, puis par type.
EVOLUTION CHRONOLOGIQUE
Avant de commencer, un mot sur l’origine de l’opéra.
L’origine de l’opéra
Dans les années 1570, se réunit à Florence un
cénacle autour du comte Giovanni Bardi, la Camerata.
Les réflexions de ce groupe de poètes et de compositeurs
conduisent à
l’idée que la musique vocale polyphonique alors en vigueur ne
permettait pas de saisir l’essence du texte dit, alors que la musique
pouvait jouer un rôle d’exaltation textuelle remarquable. Vers
1590, la
seconde Camerata, la plus célèbre, se tient chez
le mécène Jacopo Corsi. On y trouve des écrivains
comme Ottavio Rinuccini (futur librettiste des incontournables Dafne,
Euridice de Peri et Arianna
de Monteverdi) et des compositeurs comme Giulio Caccini, Jacopo Peri,
Emilio de Cavalieri. De leurs réflexions naît la
première commande et
la première création d’un opéra en Occident :
la Dafne de Peri,
à la demande de Ferdinand Ier de Médicis, et joué
au Palazzo Pitti pour
les noces de Marie de Médicis et d’Henri de Navarre. L’oeuvre
est
réputée indigeste, mais le genre, s’appuyant sur le
principe fameux du recitar cantando (déclamer en
chantant) va rapidement se développer au début du
XVIIe siècle (L’Euridice de Peri, La Rappresentazione
d’Anima e di Corpo de Cavalieri, L’Orfeo de Monteverdi, La
Callisto de Cavalli, Il Ruggiero de Francesca Caccini...).
1. La Genèse : le non-ténor
Pourquoi ce rappel ? Parce qu’à l’origine, les
typologies n’existaient
pas, en dehors de la répartition des parties dans la polyphonie
vocale,
selon la tessiture. Aussi les premiers opéras qui se
préoccupent avant
tout de texte
ne se soucient-ils guère de ces questions. Orfeo ou Ulisse
(Monteverdi)
peuvent aussi bien être chanté par des ténors au
médium intense que par
des barytons bénéficiant d’un aigu homogène. En
tout état de cause, on
n’attend pas d’ornements fleuris, et encore moins d’ajouts d’aigus
intempestif : le chant doit simplement renforcer la puissance
évocatrice de la déclamation.
2. L’apparition des rôles
Sautons allègrement au tournant du XVIIIe
siècle. A cette seconde étape, on trouve deux
modèles.
a) L’opéra en Europe
L’Europe entière, sauf exceptions localisées (certaines
villes allemandes, ou pour l’oratorio), n’emploie que l’italien,
comme langue internationale de l’opéra. Dans l’opera seria
(sérieux) de cette époque on trouve un amour infini de
l’ornementation. Fasciné par le pouvoir de la voix, le public
réclame toujours plus de virtuosité, de fantastique
dans le traitement vocal des personnages. Aussi on s’éloigne
radicalement du culte du verbe qui présida à la naissance
du genre opéra.
Deux traits caractérisent l’idéalisation du
personnage propre à cette époque :
=> le caractère irréel, aigu de la voix. Les
rôles masculins sont chantés par des femmes à la
tessiture basse (mezzo-sopranes et contralti) ou par des castrats. Les
ténors, moins aigus que les castrats (alto ou soprano), donc
moins "idéaux", ne tiennent que les rôles de
pères manquants ou de comprimari (rôles
utilitaires très brefs) - et les basses, plus fréquentes,
de méchants ou de serviteurs.
=> la virtuosité dans les da capo (reprise du
premier des deux thèmes, dans tous les airs de l’opera seria),
domaine où excellaient les voix de femmes, plus souples, et les
castrats, entraînés depuis leur plus jeune âge.
Ceux-ci étaient plus à
leur aise dans l’ajout des diminutions, ainsi nommées
car on réduisait les valeurs de durée, de façon
à obtenir des coloratures
(emploi d’une série de notes sur une même voyelle) plus
impressionnantes : réduire les valeurs de durée a
pour effet, en
l’occurrence, de laisser la place pour en ajouter d’autres,
ornementales. La ligne devient alors plus sinueuse, les notes plus
nombreuses et moins longues - chaque interprète écrivait
les siennes
pour le da capo. Les ténors avaient moins de
facilités physiques
pour soutenir ces valeurs rapides. A l’époque,
l’esthétique n’était pas
dans l’ajout d’aigus éclatant, mais de valeurs rapides et
virtuoses de
voix naturellement aiguës. Les ténors tenaient dont les
utilités, ou
alors des rôles ingrats, tels les pères dont on aime
à se débarrasser :
Farnace chez Vivaldi, Mitridate, Idomeneo chez Mozart...
Mais les Français étaient là.
b) La tragédie lyrique
Dans l’Europe conquise par l’idiome romaine, un petit peuple
d’irréductibles gaulois résistait. A Paris, la
scène était tenue par
des opéras en français, le genre de la tragédie en
musique ou tragédie
lyrique.
Les héros de la tragédie lyrique
(pêle-mêle Renaud, Phaëton,
Zoroastre, Roland, Atys, Cadmus, Dardanus, Persée,
Argénor, Jason...)
sont tenus par des ténors à la tessiture (part de la voix
où le
chanteur est le plus confortable) assez aiguë, qu’on nomme haute-contre.
Certains ouvrages généraux font la confusion avec le
contre-ténor, on y
reviendra. Les sujets sont toujours mythologiques, et le héros
en est à
la fois tendre et héroïque - comme son commanditaire et
premier fan,
Louis XIV. Cette voix à la fois claire et ferme permet en outre
une
grande intelligibilité du texte, qui avait encore la
préférence chez
les Français. C’est en somme toute ici que le ténor a
pour la première
fois la place de choix.
A la même époque, dans les choeurs, les solistes de
cantates
religieuses ou des rôles secondaires, on trouve l’existence d’une
voix
de ténor grave, la taille.
3. Les grands emplois
A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, sans doute sous l’influence de l’opéra français (et sans que ce soient des haute-contre, car la tragédie lyrique a disparu), les ténors enfourchent régulièrement des rôles importants dans les opéras italiens, toujours dominants en Europe. Voir Don Ottavio (Don Giovanni) ou Ferrando (Così fan tutte) chez Mozart.
Jusqu’alors les chanteurs mixaient les aigus,
c’est-à-dire qu’ils mélangeaient voix de tête et
voix de poitrine. La révolution se fait au début du
dix-neuvième siècle, où Gilbert Duprez invente
l’ut de poitrine. On peut désormais pousser des aigus
éclatants et percutants, d’une voix sombre.
Les rôles de ténor deviennent ainsi plus lourds, d’abord
à Paris, dans
le Grand Opéra à la française (Spontini,
Meyerbeer, Halévy...), puis
partout en Europe, avec des spécificités pour les
répertoires les plus
fréquentés, comme :
=> le ténor verdien, dit lirico spinto,
à la tessiture et à la ligne de chant longues, mais
à la voix "sombrée"
=> le heldentenor
ou ténor héroïque, prévu pour les rôles
les plus lourds de Wagner
(Tristan et Siegfried principalement), puis chez Richard Strauss, de
façon beaucoup plus lyrique (Der Kaiser dans Die Frau ohne
Schatten, voire Bacchus dans Ariadne auf Naxos).
Le dix-neuvième consacre l’avènement du ténor
comme héros quasi-exclusif des opéras ;
en drame comme en comédie, il est le plus souvent brave et
amoureux.
Quelques rôles secondaires de ténor de caractère
subsistent, en
contrepoint au panache des premiers.
Le vingtième siècle voit le retour
à des formats plus légers,
mais dans l’ "ère du soupçon", le ténor ne
peut plus être crédible,
et il est souvent malfaisant ou ridicule. La catégorie la plus
utilisée
est celle du ténor de caractère, la plus expressive mais
pas la plus
"jolie", délibérément.
David LM - lirico-lungo
P.S. du 24 octobre 2007 : Un classement abondamment commenté des différentes voix de ténor a également été publié à la même époque sur CSS.
Commentaires
1. Le lundi 3 septembre 2012 à , par Sandrine
2. Le lundi 3 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
3. Le mardi 4 septembre 2012 à , par Sandrine
4. Le mercredi 5 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
5. Le mercredi 5 septembre 2012 à , par Ouf1er
6. Le mercredi 5 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
7. Le jeudi 6 septembre 2012 à , par Ouf1er
8. Le jeudi 6 septembre 2012 à , par Sandrine
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10. Le lundi 10 septembre 2012 à , par Ouf1er
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13. Le dimanche 8 juin 2014 à , par DavidLeMarrec
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