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[concert 8] Liederspiele de Schumann à la Cité de la Musique (Röschmann / Kirchschlager / Bostridge / Quasthoff / Deutsch / Drake)


N.B. : Un début en patientant, pour présenter le programme. La notule devrait en principe être complétée demain, avec le détail du concert.

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Pour cette affiche de rêve, il n'y avait plus une place de libre, divine surprise de voir le lied pris d'assaut. Grâce à la générosité de nos voisins de rang, les lutins intrépides ont pu se frayer un chemin jusqu'au prestigieux sextuor.

On jouait divers Liederspiele de Schumann, qui ne sont jamais, même au disque, exécutés ensemble, parce qu'il faut varier sans cesse les associations entre chanteurs (solos, duos et quatuors surtout). [Même concernant les duos Op.34, on n'en trouve que deux versions complètes au disque (assez récentes) en tout et pour tout...]
Le dernier cycle comprenait même un accompagnement à piano à quatre mains, avec Prélude et Intermezzo purement instrumentaux.

Je parle de cycle parce que le principe du Liederspiel était, en principe, de créer une narration miniature, qui devait se partager entre récitation parlée et chant accompagné au piano. Une sorte de Singspiel fondé non pas sur des numéros, mais sur des lieder (c'est-à-dire que les textes sont des poèmes, et accompagnés simplement au piano).
Ceux laissés par Schumann ne comprennent pas, semble-t-il, de pièces parlées qui aient été écrites, et peut-être même jamais prévues par l'auteur. Cela est possible dans la mesure où la succession des textes va tantôt suivre une logique vaguement narrative, tantôt au contraire faire se juxtaposer des situations stéréotypées sans suite réelle, ou contradictoires.

Au programme,

  • Spanisches Liederspiel Op.74 (sur les textes espagnols traduits par Emanuel Geibel, plus connus peut-être dans leur utilisation par Wolf dans son Spanisches Liederbuch)
  • Minnespiel Op.101 (poèmes de Friedrich Rückert)
  • Spanische Liebeslieder Op. posth. 138 (traductions d'Emanuel Geibel)


Le tout de Robert Schumann. Trois cycles tardifs qui datent de 1849.

Les revigorants deux derniers bis (il y en eut cinq !), les plus originaux, mais non annoncés, ont été identifiés par nos services, en voici les références pour ceux qui désireraient en profiter à nouveau.

Liebhabers Ständchen (« La Sérénade de l'Amoureux ») Op.34 n°2, tirée d'un ensemble de quatre duos assez truculents, enregistrés seulement deux fois semble-t-il. Par Dorothea Röschmann et Ian Bostridge eux-mêmes, dans l'intégrale Hyperion des lieder de Schumann par Graham Johnson, et accessoirement, moins en style et moins spirituel, par Petra-Maria Schnitzer et Peter Seiffert accompagnés par Charles Spencer (chez Orfeo). Le jeune homme supplie son amie de le laisser entrer, d'une façon à la fois comique et pleine d'enthousiasme communicatif.

Zigeunerleben (« Vie Tzigane ») Op.29 n°3, tiré des trois poèmes de Geibel dans cet opus. Un quatuor vocal qui décrit l'existence de cette société singulière, et où musicalement chaque soliste dit son mot, de façon très plaisante.

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Plus de détails sur la performance de l'équipe luxueuse demain.

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J'en profite pour adresser un chaleureux salut à mes délicieux voisins qui devraient passer dans les parages, ainsi qu'à S.E. qu'on regrette beaucoup dans ces pages.


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Seconde partie : mise à jour du vendredi 30 octobre 2009.

On préfère consacrer du temps, par ici, aux oeuvres qu'aux exécutions éphémères, d'autant qu'on préfère parler de celles qui nous ont plu, ce qui revient à aligner panégyrique sur dithyrambe.

Qu'importe, on l'avait promis, et on tient ici l'un des concerts les plus exaltants de cette saison pourtant superlative.

Oh, c'est chose simple, on avait ici quatre des grands liedersänger en activité, deux brillants pianistes spécialistes de ce répertoire, dans des raretés de haute qualité. De surcroît, les organisateurs du concert, à défaut de fournir les textes, avaient surtitré le concert, ce qui donnait à tous le loisir de comprendre (et aux amis de l'expression d'allemande de recoller les morceaux des poèmes traduits afin de restituer les originaux par fragments).

On a confirmé nos constats sur le déclin de Thomas Quasthoff, dont la voix semble être devenue moins sonore (ce dont témoignent aussi quelques spectateurs), dont la justesse n'est pas parfaite et dont le timbre a perdu toute celle plasticité de jadis. Néanmoins, nos préventions par rapport à ses prestations de Verbier (Winterreise puis Don Giovanni), elles, ont été levées : c'est un chant valeureux, qui n'est en rien déplaisant, à défaut de séduire. immédiatement.

Ian Bostridge, que j'entendais pour la première fois, non sans une vive curiosité, dans des conditions réelles, semblait en méforme. La voix ne rayonne que tout en haut de la tessiture (difficile, on l'a senti un peu contraint, près de l'accident, à une ou deux reprises), le médium et le grave laissent étrangement paraître un souffle disgracieux. Par ailleurs, malgré ses charmantes contorsions vocales habituelles, l'interprétation paraissait un peu froide et l'apparence totalement impassible ! Surprenant contraste.

Helmut Deutsch et Julius Drake semblaient étrangement en retrait par rapport à leur potentiel d'imagination - et même tout simplement de relief pianistique - dans des programmes qui leur sont plus familiers, se contentant d'accompagner très attentivement.

Plusieurs spectateurs ont semble-t-il été indisposés par la puissance de Dorothea Röschmann (pas beaucoup de coups de glotte, non... on était bien en style) dont la voix, lumineuse dès qu'elle use du vibrato, dominait le quatuor. Cependant, quelle puissance verbale - aux confins assumés de la parodie dans le pathos de Liebster, deine Worte stehlen (Op.101 n°2), plus solennelle et touchante dans Tief im Herzen trag'ich Pein (Op. posth. 138 n°2) -, et quel galbe vocal !

Et sa voix se fondait si bien avec celle d'Angelika Kirchschlager, offrant toujours la même qualité d'incarnation racée, et ce timbre dense, légèrement mordant et pourtant caressant.

Tout ce beau monde, quoi qu'on puisse dire sur nos découvertes des uns et des autres, était, au sens propre vertigineux dans ses associations en quatuor, de quoi défaillir de bonheur. Non seulement de très haut niveau, mais de surcroît inspiré pour une rencontre occasionnelle entre solistes.

Jusqu'à la gestion des entrées des uns et des autres, tout était pensé pour donner une cohésion à ces Liederspiele un peu disparates. Avec un succès assez inoubliable.

Les duos féminins de l'opus 74, le quatuor final de l'opus 101, en plus des deux derniers bis assez riants que nous indiquions, étaient réellement des moments de grâce comme, même à ce niveau d'exécution et d'investissement, on n'en entend pas tous les jours. Il faut vraiment le pouvoir du lied et de ses meilleurs interprètes pour produire ça.


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Commentaires

1. Le mardi 27 octobre 2009 à , par Jean-Charles

Les deux premiers bis étaient :
- "Wenn ich ein Vöglein wär" (Kirchschlager - Quasthoff)
- "Er und sie" (Röschmann - Bostridge)

Manque donc le troisième...

2. Le mardi 27 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Merci, effectivement je n'ai pas fait attention aux trois premiers, je me suis contenté de me délecter du sursis. C'est surtout le caractère inhabituel des deux derniers qui m'a fait dresser l'oreille (je me suis d'abord interrogé si le tout dernier n'était pas de Brahms).

Tout de même, être aussi original et judicieux jusque dans les bis, ce n'est plus de la vertu, c'est de la sainteté.

3. Le jeudi 29 octobre 2009 à , par S.E.

S. E., qui n’a bien sûr pas manqué ce récital de rares lieder de Schumann, salue en retour les lutins intrépides et parisiens.
Doit-elle le dire tout de suite ? Contrairement à eux, elle n’a point été totalement passionnée par ce moment musical. D’abord parce qu’elle découvrait la majorité de ces lieder et qu’il lui est difficile d’être immédiatement captivé par une œuvre, il lui faut en général l’écouter plusieurs fois afin de pouvoir goûter à toutes ses délices. Ensuite, parce que lorsqu’il s’agissait d’un lied qu’elle avait l’honneur de connaitre, il était chanté très poliment, et ne montrait ni l’engagement ni l’intensité avec lesquels d’autres l’avaient irrémédiablement touchée. « Mein schöner Stern, ich bitte dich » par I. Bostridge en était l’exemple parfait. Malgré un timbre souvent attirant, ce chanteur, écouté ici en « vrai » pour la première fois, donnait l’impression de ne pas toujours penser au sens de ce qu’il chantait : notamment à la fin des vers, un relâchement était très préjudiciable à son expressivité et à la crédibilité des sentiments qu’il était censé exprimer.

On ne s’étendra guère sur la soprano D. Röschmann, sa voix est apparue « trop lyrique » et pas assez délicate pour ce répertoire, avec des aigus perçants couvrants souvent le chant des autres. À noter cependant de troublants graves aux échos étrangement « fassbinderiens ».

La mezzo A. Kirchschlager a réellement conquis grâce au lied « O Freund, mein Schirm, mein Schutz » qu’elle a chanté d’un trait, maîtrisant parfaitement le crescendo de l’intensité dramatique. On aurait aimé l’entendre davantage.

Quant à Thomas Quasthoff, sa justesse n’est plus ce qu’elle était, en revanche son chant possède naturellement le don de captiver.

Un moment réellement hors du temps fut l’intermezzo « Nationaltanz » joué au piano à quatre mains lors des Spanische Liebeslieder Op. post. 138.

On salue la générosité des bis, mais d’une manière générale, on reprochera à ce récital d’avoir manqué de cette intensité qui fait qu’un lied se chante dans un seul souffle, si l’on peut dire, concentré du début à la fin, sans lâcher l’auditeur auquel on n’oublie jamais que l’on s’adresse, et cela même dans les moments plus légers. On regrette que les chanteurs ne soient pas arrivés à captiver suffisamment par leur engagement, même si l’on devine que le charisme est un don indépendant des qualités vocales.

4. Le jeudi 29 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Ravi de vous relire ici ! :)


« Mein schöner Stern, ich bitte dich » par I. Bostridge en était l’exemple parfait.

Il est vrai que Bostridge était sur la réserve. Pas encore eu le temps de détailler, mais les deux voix de femme, le quatuor, l'ensemble de ces cycles rares et variés, c'était pour moi un enchantement majeur.


Malgré un timbre souvent attirant, ce chanteur, écouté ici en « vrai » pour la première fois, donnait l’impression de ne pas toujours penser au sens de ce qu’il chantait : notamment à la fin des vers, un relâchement était très préjudiciable à son expressivité et à la crédibilité des sentiments qu’il était censé exprimer.


J'ai été surtout frappé par l'absence absolue d'ampleur et la tendance à laisser passer du souffle dans sa voix. J'imaginais ça plus présent en salle, c'était un petit malingre, possiblement de la méforme.

On ne s’étendra guère sur la soprano D. Röschmann, sa voix est apparue « trop lyrique » et pas assez délicate pour ce répertoire, avec des aigus perçants couvrants souvent le chant des autres. À noter cependant de troublants graves aux échos étrangement « fassbinderiens ».

Perçante ! Diable ! Quelle rondeur, et quel verbe pour une criarde. :) C'est vrai que la voix s'épanouit bien plus que celles des autres, d'où une tendance à être plus sonore, mais ce n'est nullement gênant, pour le dessus.

La mezzo A. Kirchschlager a réellement conquis grâce au lied « O Freund, mein Schirm, mein Schutz » qu’elle a chanté d’un trait, maîtrisant parfaitement le crescendo de l’intensité dramatique. On aurait aimé l’entendre davantage.

Magique en effet. :)

Quant à Thomas Quasthoff, sa justesse n’est plus ce qu’elle était, en revanche son chant possède naturellement le don de captiver.

La projection était aussi assez minimale par rapport à ce qu'il me semblait autrefois (mais c'était par retransmission interposée).
Il semble de toute façon traverser une période difficile.

On salue la générosité des bis, mais d’une manière générale, on reprochera à ce récital d’avoir manqué de cette intensité qui fait qu’un lied se chante dans un seul souffle, si l’on peut dire, concentré du début à la fin, sans lâcher l’auditeur auquel on n’oublie jamais que l’on s’adresse, et cela même dans les moments plus légers. On regrette que les chanteurs ne soient pas arrivés à captiver suffisamment par leur engagement, même si l’on devine que le charisme est un don indépendant des qualités vocales.

Je crois que ça tient surtout aux formations décousues, qui empêchent le chanteur et surtout l'auditeur de baigner dans les mêmes manières, d'établir un dialogue plus personnel avec l'artiste.

Il n'empêche que c'est, de mon point de vue, formidable. Dans un registre d'émotions peut-être plus proche du choeur a cappella que du lied.


Merci pour cette réaction, et à bientôt. :)

5. Le lundi 2 novembre 2009 à , par Jean-Charles

David, tu n'as pas trouvé l'allemand de Bostridge plutôt perfectible ? J'avoue avoir été gêné à plusieurs reprises, en particulier ces "ich" qui ressemblent à des "iss" (ça fait idiot zozotant, à la KF Vogt).

Pour Quasthoff - j'ai hésité à répondre à côté, il faut juste admettre que le temps commence à passer, c'est chose normale. Ceux qui rayonnent encore après 20 ans de carrière sont des exceptions.

D'où j'étais placé (5ème rang), j'ai eu l'impression qu'ils n'avaient quasiment jamais chanté ensemble, d'un seul souffle, d'une voix, d'une même attaque : un peu étonnant.^^

Mais j'ai passé un moment excellent. :-)

6. Le lundi 2 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

L'allemand de Bostridge a toujours été bizarre. Ca ne me gênait pas plus que ça, mais c'était plus flagrant du fait qu'il était nettement moins investi qu'à l'habitude, et que sa prononciation un peu grimaçante n'allait plus de pair avec son expression musicale...

Pour Quasthoff, oui, sans doute, mais comment peut-être perdre une technique de cet ordre ? Je n'ai jamais vu ça, c'est vraiment spectaculaire, il avait une telle maîtrise des coloris et même une jolie façon de mixer discrètement...
Ca n'explique pas non plus l'impréparation incroyable de Verbier (il n'était pas parmi les remplaçants !), surtout pour un rôle aussi court... Maintenant, il est vrai qu'il ne chante qu'en allemand, les langues romanes lui sont peut-être furieusement exotiques.

J'ai trouvé la cohésion plutôt bonne pour des solistes qui n'ont quasiment jamais chanté ensemble. Enfin, si, il y a eu des occasions, comme le disque de duos de Röschmann et Bostridge dans l'intégrale Hyperion, et puis quelques rencontres comme la Passion selon saint Jean de Rattle (Bostridge / Quasthoff) et probablement quelques rencontres mozartiennes ou en oratorio de Röschmann et Kirchschlager. Mais enfin, ce sont surtout des solistes, pas un ensemble constitué, on ne peut pas leur demander le fondu et l'homogénéité du RIAS Kammerchor.

Cela étant, d'où j'étais placé, sensiblement plus haut, rien de flagrant n'était audible. Je n'ai pas cherché non plus, j'étais simplement aux anges.

7. Le mercredi 11 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Il s'agissait bien d'une tournée européenne (ce qui est rassurant vu la générosité du dispositif), le Telegraph se fait l'écho du concert au Barbican Centre.

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