2023 : BIS est racheté par Apple, le communiqué de presse annonce « conserver la même exigence » tout en « augmentant les moyens au service des artistes ». Apple va-t-il vraiment injecter des moyens pour amplifier les succès du label, ou simplement le désosser et l'utiliser comme enveloppe creuse ?
2025 : Robert von Bahr, le fondateur de BIS, a été viré (ou poussé au départ). On a simplement découvert que son adresse de courriel en @BIS.se ne répondait plus, et Apple a confirmé qu'il ne faisait plus partie des équipes.
Comme d'habitude.
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En 2013, à l'annonce du rachat d'EMI par Warner, je prophétisais que ça se passerait mal. Avec l'arrivée des plateformes de flux, il n'y a pas eu de rupture d'approvisionnement des disques historiques (au contraire), mais le label a bien disparu, ainsi que tous les plus petits réunis sous bannière Warner – Teldec, Erato, dont tous les projets ont été envoyés au pilon, dont des tragédies en musique par Les Arts Florissants, ce qui marque le dernier jalon du repli de l'ensemble sur un répertoire restreint.
La disparition de Decca, la baisse radicale de cadence dans les productions de Sony et de Deutsche Grammophon (certes, pour ce dernier, avec une ligne éditoriale hardie et passionnante, le label vit paradoxalement son âge d'or à mon sens !) nous ont aussi servi de leçon.
Robert von Bahr a-t-il été licencié, ou est-il parti par dégoût de perdre le contrôle artistique de son label, je ne le sais pas encore, mais dans les deux cas, il s'agit du résultat d'une politique qui ne va pas dans le sens du maintien des ambitions de BIS, avec un répertoire à la fois original et des exécutions de haut niveau servies par les meilleures prises de son du marché, que ce soit en musique de chambre ou en symphonique, toujours à la fois ample et particulièrement lisible et précis, l'impression d'entrer dans une grande bulle transparente au milieu des musiciens – on entend mieux en écoutant leurs disques qu'en allant au concert, en vérité.
On peut s'attendre, hélas, à la baisse du nombre de publications et à la réutilisation du label pour quelques invités de prestige.
Pour rappel, BIS, c'était ça :
(en commençant par les plus indispensables)
Des disques pionniers pour le répertoire symphonique nordique : les symphonies de Tubin, la première intégrale Alfvén avec des moyens de captation modernes (il y a eu mieux depuis, je ne l'ai pas représentée ici), la seule archi-intégrale Sibelius (Naxos y est peut-être ensuite parvenu en dépareillé ?), dont l'unique version originale de la Cinquième Symphonie – très différente de l'état final, les Cygnes du final sont moins réussis mais l'arrivée des deux thèmes du premier mouvement est complètement inversée, je crois que je le trouve encore plus beau, et en tout cas complètement différent. De même pour le mouvement central, plus complexe que les variations très lisibles de la version définitive. Dans cette intégrale Vänskä, on trouve aussi toute la musique de scène, avec chanteurs, un ensemble extraordinairement persuasif – par ailleurs bien joué et très bien capté. À cela, on peut ajouter une des meilleures intégrales Nielsen disponibles, pas la plus spectaculaire, mais absolument réussie pour chacune des symphonies.
En musique de chambre suédoise (ou assimilée), une intégrale du piano de Sibelius aussi, peu donnée en concert, peu enregistrée, et pourtant à partir de l'opus 40 les pépites se succèdent, des pièces courtes « caractéristiques » très contrastées, évocatrices et intensément inspirées. Et les Quatuors de Stenhammar, une sorte de langage Mendelssohn à peine plus moderne, avec tous les potentiomètres poussés à fond, d'une fièvre et d'une classe folles, somptueusement exécutés et captés avec une ampleur et une clarté inégalées.
On retrouve ces qualités pour les œuvres chambristes non nordiques, comme l'album Robert de Visée définitif (écouté en boucle), la Première Sonate de Brahms par Kantorow, les Quintettes à cordes de Mendelssohn d'un élan irrésistible (là encore, quelle captation !). Et puis de très grands artistes : Thedéen, Poltéra (oui, les violoncellistes de BIS ont forcément un accent aigu), Pöntinen dans des Brahms difficilement égalables…
Place toute particulière pour le récital Fanny Mendelssohn-Hensel + Clara Wieck-Schumann + Alma Schindler-Mahler, totalement pionnier dans ces années 90, qui permettait de découvrir le caractère majeur de ces compositrices (en particulier les deux dernières) par une très belle sélections de leurs plus beaux lieder, et une interprétation d'une force poétique qu'on n'a pas retrouvée par la suite dans les quelques intégrales de leurs œuvres qui ont paru ces dernières années.
Si vous doutez du caractère exceptionnel des prises de son BIS, vous devez écouter l'Alpensinfonie : on n'attend rien de São Paulo ici, et on peut imaginer qu'en réalité ce n'est pas tout à fait le meilleur orchestre du monde – pourtant non seulement ils sont excellents, mais par-dessus tout ce que font les ingénieurs du son produit le plus bel enregistrement de tous les temps pour cette symphonie, sans le moindre doute. L'impression de les écouter jouer dans un espace aussi vaste que la montagne elle-même, avec à la fois une radiographie des détails et une qualité des fondus qu'aucun emplacement dans la meilleure salle de concert ne peut offrir.
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Merci beaucoup BIS pour tout ce que tu nous as offert. Attends-nous, on te retrouvera bientôt de l'autre côté du miroir.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discographies a suscité :
Comme on m'a récemment posé la question sur Classik, je
propose une sélection de duos pour violoncelles, genre (souvent à visée
pédagogique) qui vu largement pratiqué mais qui est très peu (et assez
mal, en qualité) documenté par le disque. Je vous mets quelques liens
de vidéos pour que vous puissiez profiter de la dimension dialoguée,
d'autant. Je n'ai pas eu le temps de choisir les meilleurs disques –
dans ce secteur un peu sinistré, ce ne serait pourtant pas du luxe.
¶ D. Gabrielli – Canon pour 2 violoncelles https://www.youtube.com/watch?v=9XHFqu9CvCw
disques : Hidemi Suzuki (Arte dell'arco, épuisé) ou à défaut Bettina
Hoffmann (Tactus)
¶ Boismortier – Sonates pour 2 basses Op.14 https://www.youtube.com/watch?v=lrCe97FYx6o
disques : je n'en ai trouvé qu'en version basson (Musica Franca, sur
bassons modernes chez MSR, est très bien) ou avec clavecin en sus (Senn
& Roelofsen, chez Ottavo)
Il en existe par d'autres compositeurs célèbres (Barrière) ou moins
célèbres : T. Giordani, Schetky, Guillemant, Schönebeck, Guignon,
Reinagle, Dotzauer, Zehm, Koeppen, G. Waterhouse, L. Amanti… c'est sur
ma liste, mais je n'ai pas encore écouté.
Morley et Simpson, quoique je les aie
rencontrés dans des recueils de « partitions originales » pour duos de
violoncelles, devaient être probablement prioritairement pensés pour de
la viole de gambe. (Beaucoup de ces partitions sont en effet indiquées
comme « sonates / duos » pour « deux basses ».)
Dans cette liste, la superstar (du genre) Duport est clairement celui qui
m'impressionne le moins, bien que tout à fait charmant.
Gabrielli est incontournable,
toujours de la poésie en barre ; le contrepoint virtuose et les
qualités mélodiques de Boismortier,
Corrette et Boccherini particulièrement
jubilatoires ; chez Bernhard Romberg,
j'admire surtout le sens de la structure et là aussi, de grandes
capacités poétiques, la virtuosité ne prend jamais le pas sur la
nécessité d'idées musicales, de progression logique et étagée, avec un
langage assez personnel (ses symphonies valent aussi le détour) ; sans
surprise, la veine mélodique est la prime qualité des Offenbach, sans sacrifier pour
autant la qualité de construction du dialogue ; quant à Hindemith, pour une composition de
1943, c'est une veine assez romantique et généreuse, pas du tout
abstraite ou néoclassique.
Trois des Préludes caractéristiques Op.49 du
compositeur ukrainien Théodore AKIMENKO.
8. Qu'en faire ?
Voilà pour près de deux ans de déchiffrages d'inédits – en excluant les
œuvres célèbres que j'ai aussi jouées, les accompagnements de
chanteurs, le chant pour moi-même, etc. Ce n'est pas si mal.
Je ne sais si cela a du sens, mais le fait d’avoir accès à ces trésors,
malgré mes moyens techniques limités, me fait sentir comme une
responsabilité : vu que ce répertoire n’est pas près d’être
exhumé par
les professionnels, n’ai-je pas mission de ne pas rester assis sur
mon tas d’or, sur ces émotions vertigineuses, et de contribuer à faire
vivre ces oeuvres dont il n’existe aucune trace sonore, pour des
compositeur dont on a parfois aucune œuvre accessible, malgré une
qualité manifeste ? – typiquement, qu’il n’existe rien de Max von
Oberleithner au disque, ce qui est absolument délirant à la lecture de
sa magistrale Aphrodite
(d’après le roman de Louÿs !).
Cette série répond partiellement à cette question qui me taraude – sans
doute de façon un peu immodeste, puisque j'hérite un peu malgré moi
d'un véritable complexe
du sauveur, pour ne pas dire du Messie – en nommant les oeuvres et les
styles des compositeurs marquants que j’ai croisés. Mais à nommer une
musique qui reste muette, je conserve l'impression tenace – et
ce, depuis des années, dès que j'ai commencé à mentionner des inédits
sur ce site – de surtout narguer ceux
qui ne peuvent pas l’entendre, sans pour autant fournir le matériau
pour permettre à ces compositeur de sortir de l’oubli.
Et c’est là en réalité l’objet premier qui a motivé cette série : pas
(seulement
?) de me vanter de mon amélioration au piano, pas de citer une litanie
de noms que vous ne pourrez peut-être jamais entendre... je voulais, au
terme de cette évocation exploratoire, vous
demander votre opinion – estimés
lecteurs – sur ce que je devais faire.
Si ce parcours a suscité votre plus ou moins distraite curiosité, je
suis curieux – avide – de votre idée sur le sujet. Que faire de cet
espèce de superpouvoir
dont je ne sais trop quoi faire ? Pouvoir jouer des opéras à vue,
c'est avoir virtuellement tout le
répertoire au bout des doigts, et de faire mon Fafner,
stérilement avachi sur mon or rhinois.
Je puis continuer seul, évidemment, et me
contenter de mentionner ces
écoutes si jamais quelqu’un avec un pouvoir de décision passe par ici,
me lit et se dit « ah tiens, si j’allais lire une partition dont je
n’ai
pas la moindre idée », mais soyons franc : aucune probabilité que cela
advienne. Il est arrivé que des directeurs de maisons d'opéra me
contactent à propos d'un titre rare, mais davantage pour les aider à
trouver un enregistrement d'une œuvre qu'ils avaient déjà décidé de
monter. Je ne crois pas avoir jamais
influencé quelque programmateur que ce soit sur le répertoire –
ce serait très étonnant, il faut bien le dire, puisque très peu de
monde a la main sur l'orientation artistique des ensembles et des
institutions… c'est un privilège farouchement gardé par les directeurs
d'institution / producteurs / chefs d'orchestre, durement gagné. Par
ailleurs ils ont à la fois la responsabilité budgétaire de remplir et
de tenir leur réputation, on comprend bien qu'ils ne s'en tiennent pas
à la rêverie du premier mélomane venu.
Je ne dis surtout pas qu'ils ont raison de ne pas m'écouter : je pense
très honnêtement que je pourrais être de bon conseil pour des œuvres
susceptibles à la fois de générer un moindre coût (en tenant en compte
la nomenclature), de constituer un produit d'appel séducteur pour
vendre les billets, et de séduire le public une fois assis dans le
théâtre. Mais comme ce genre d'investissement est colossal en devises,
en temps de travail, en réputation, je comprends bien que les décideurs
s'en réfèrent surtout à eux-mêmes. Et, à la fin des fins, si on veut
remplir, rien ne vaut un Don Giovanni
ou une Traviata.
9. Premières pistes
Parmi les hypothèses plus raisonnables que l'influence à grande
échelle, je perçois tout un continuum, depuis le
stockage de mes déchiffrages dans un coin de Toile (j'avais commencé ici, en format audio), si jamais
quelqu’un
tombe par hasard dessus et trouve trace du compositeur dont il traque
le legs, tant mieux ; jusqu’au travail soigneux, sur un opéra dans
l’année, que je puisse éventuellement préparer avec des amis et publier
sans trop rougir.
À la vérité, les extrêmes du spectre me paraissent peu pertinents.
Le stockage ne
concernera à peu près personne ; même pour les passionnés les plus
motivés, une bande mal captée de déchiffrage inégal pour piano seul
d’une œuvre dramatique, il faut vraiment le vouloir ! Par
ailleurs ce dossier n'est pas référencé dans les moteurs de recherche,
il faudrait le mettre en valeur et l'éditorialiser sur un site pour
qu'il soit accessible, sans quoi seuls les fans de CSS en débusqueront l'existence.
Pour que les deux ensembles « chercheur de tel incunable » et «
lecteurs de CSS » se recoupent, il faudra un sacré hasard. Et, comme je
le disais, le résultat ne sera même pas à la hauteur de
l'extraordinaire coïncidence.
Quant à
l’opéra bien fignolé de l’année,
non seulement je ne crois pas en avoir
les moyens logistiques (trouver les personnes désireuses de le
travailler à fond) ni surtout technique – je suis surtout un lecteur,
le progrès possible entre la pièce lue et la pièce travaillée est très
limité contrairement à ce qu’on peut peut-être imaginer. Mais
principalement, cela
va à l’encontre de toute ma démarche : déchiffrer, découvrir. Me priver
de découvertes pour essayer de concurrencer les gens sérieux avec un
produit de qualité médiocre n’aurait pas, fondamentalement, grand
intérêt. Dans l'incommensurabilité de l'offre lyrique gratuite en
ligne, le mélomane ira à bon droit plutôt du côté d'Operavision, d'Arte
ou, pour les formats avec piano, de la Compagnie de L'Oiseleur pour se
faire une idée plus fidèle des œuvres rares. Et avant qu'il ait tout
éclusé et en vienne à écouter ce que je produis, même faire métier
d'écouteur n'y suffirait pas.
Ma perspective est plutôt de faire quelque chose de mon loisir, pas de
le brider ou de le supprimer – répéter la même œuvre pendant une année
me lasserait assez vite. A fortiori
lorsque je sais que le résultat ne sera pas complètement probant –
c'est un métier – et ne concernera que très peu d'auditeurs.
La solution se trouverait donc plutôt dans un intermédiaire : faire un choix des bandes à publier
et les apprêter un peu pour qu'elles soient écoutables, mais avec une
charge de travail minimale.
10. Dispositif 2025
En réalité, depuis un an que je rédige cette série sur les déchiffrages
de 2022-2023, dans le but initial de vous poser ces questions, quelques solutions ont fini par
décanter.
Dans beaucoup de
cas, le déchiffrage rend
suffisamment compte (à défaut d’être
parfait ou même simplement joli) de ce qu’est l’œuvre pour être
mise à disposition des curieux. Souvent, une première lecture me permet
de repérer les difficultés, de comprendre la logique du langage pour
faire les bons choix en temps réel, et la seconde lecture me sert de
captation. La vidéo s'est
révélée un supplément très
bienvenu, qui incarne l’intention musicale. Lorsque c’est
possible, je lis les répliques, voire les chante (avec un bonheur
variable). L’objet me paraît plus stimulant pour le spectateur lorsque
j’adjoins, comme je le fais désormais, des commentaires pour aider à
repérer les motifs, expliquer les trouvailles, donner des éléments
de
contexte du livret. Et la plate-forme procure une visibilité
supplémentaire, pas tant par l'algorithme que par la possibilité
d'abonnement et l'habitude d'un public vaste, plutôt que d'aller
spécifiquement sur le site de CSS – le public cible n'est pas
nécessairement le lectorat du site, qui est en général attaché au
texte.
J'ai aussi commencé à mandater des amis chanteurs pour lire le texte – apprendre tout un
opéra (et sans support audio) est une tâche trop importante pour des
amateurs. (J'ai aussi pensé à ouvrir des cagnotes pour financer un
projet en rémunérant de jeunes professionnels, leur demandant
d'apprendre tel opéra que nous aimerions entendre, mais c'est un autre
– beau – projet. Je m'y attellerai peut-être un jour.)
Ainsi, j'ai opté pour des musiciens, sachant le solfège, qui disent le
texte au bon moment par-dessus de la musique, façon mélodrame. Cela
procure davantage d'impact dramatique à la musique qu'un sous-titre –
et c'est aussi un gain considérable en temps de montage. De premières
captations ont été faites, des rendez-vous ont été pris.
J'ai reçu beaucoup de retours (contre très peu auparavant), en général
très positifs sur l'intérêt de la démarche vidéo – même si peu écoutent
l'ensemble des vidéos ou évidemment pas la totalité de la vidéo
choisie, cela donne toujours de la visibilité au fonds documenté et
pique la curiosité. De surcroît, grâce à la fonction recherche, ces
compositeurs très peu documentés peuvent atteindre les personnes qui
les cherchent dans YouTube. J'ai été frappé par les statistiques – les
opéras produisent 100 à 200 vues, ce que je n'imaginais pas un instant.
Clairement, la vidéo paraît mieux
calibrée pour ce type de diffusion, même si la contrainte me
paraissait initialement superflue.
Mais ce qui m'a vraiment convaincu, c'est la possibilité de réaliser de la médiation par incrustation
dans la vidéo (extraits de partition, du livret, commentaire sur le
style musical, sur les motifs récurrents…), qui peut permettre de
naviguer. Je précise aussi lorsque j'ai fait des erreurs ou des choix
contestables dans ma lecture, de façon à pouvoir mieux contextualiser
ce qu'on entend.
Je n'aime pas beaucoup le travail abrutissant du montage – on ne peut
même pas écouter de la musique pendant ce temps, alors même que ça ne
prend pas trop d'espace cérébral ! –, mais cela m'a donné l'idée de vidéos-notules à visée pédagogique,
pour faire entendre la structure des motifs d'une partition complexe,
par exemple. Les influences du Freischütz
sur Mendelssohn, Wagner et Tchaïkovski, les leitmotive dans l'acte III
de Die Walküre, dans la fin
du I ou du III d'Arabella ou
bien sûr dans Pelléas…
11. Ce que vous pouvez faire
Soutenez
les indépendants, voici ma cagnotte, envoyez-moi de la thune
a) D'abord, j'aimerais beaucoup recevoir votre avis. Y a-t-il une démarche
qui permettrait de mettre ces déchiffrages récurrents au service de la
collectivité ?
b) Si vous avez des partitions que
vous rêveriez d'entendre, vous pouvez aussi m'envoyer leurs
références : ainsi non seulement je disposerai de pistes nouvelles
d'exploration, mais cela aura une utilité concrète. Je prends commande
sans difficulté – je ne promets pas de jouer ce qui ne m'intéresserait
pas du tout, serait inaccessible techniquement, ou dans le cas
improbable où je serais submergé par les demandes, mais sur le
principe, je suis tout disposé à me rendre utile.
c) Si les déchiffrages d'opéra avec récitants s'avèrent probants, je
pourrais être tenté de programmer des séances d'enregistrement avec un récitant par personnage. Si
jamais vous êtes tenté par l'aventure, n'hésitez pas à vous signaler –
le seul prérequis est de pouvoir suivre une partition pour placer les
répliques à peu près au bon endroit, il n'y a pas besoin d'être acteur,
chanteur ou musicien. Ce ne sera pas pour tout de suite mais cela
permettra de savoir qui contacter lorsque le moment viendra dans les
prochaines semaines ou les prochains mois.
Une sélection des meilleurs albums de 2025 à écouter en priorité : une symphonie mahlérienne de Karl Weigl, de la musique de chambre baroque très inspirée par le compositeur du fameux Concerto pour trompette, le retour aux sources imprimées de la musique populaire du XVIIIe siècle scandinave par les miraculeux Curious Bards, de la musique symphonique juive et décadente de Ben-Haim, de l'opéra seria espagnol musicalement généreux chez José de Nebra, de la belle musique de chambre germanique du romantisme tardif avec Richard Rössler (merci Triendl), un album Palestrina foudroyant par Stile Antico, la Première Symphonie de Ruth Gipps et une version de la Symphonie de Chambre de Schreker dont Steven Sloane exalte particulièrement le lyrisme intense…
Avec cette nouvelle année, lancement de nouvelles playlists d’écoutes de nouveauté : sélection des parutions attirantes dont cette année je déduis celles écoutées et les coups de cœur ; et, de surcroît, l’ensemble des disques écoutés ou particulièrement aimés. Bien sûr, je continue d’empiler au fil de la réécoute dans la playlist disques doudous et à nourrir les diverses playlists thématiques.
De quoi nourrir, je l’espère, des idées d’écoute dans tous les genres. (C’est en tout cas dans cet objectif qu’elles sont publiques.)
L'organisation diffère un peu de l'année dernière : au lieu de dupliquer les disques dans chaque playlist, quatre catégories de nouveautés discographiques qui ne contiennent pas de doublons :
¶ Coups de cœur nouveautés (19 albums en ce début février), la liste qui a vocation à être explorée.
¶ Documents nouveautés (7 albums), des disques qui ne m'ont pas nécessairement bouleversé en tant qu'auditeur, mais qui abordent un répertoire peu couru, méritant l'écoute pour les curieux.
¶ Nouveautés écoutées (28 albums), les autres disques parcourus (ne vous méprenez pas, ils ont été écoutés en entier). Elle a sans doute peu d'intérêt pour vous – à part de vérifier si j'ai adoré ou pas tel disque récemment paru, ou si vous voulez m'en parler. (Cette liste ne contient donc pas les disques qui m'ont le plus intéressé, répartis dans les deux listes précédentes.)
¶ Nouveautés non encore écoutées (135 albums), ma sélection de nouveautés alléchantes sur laquelle je n'ai pas encore d'avis. Pour compléter la vision de ce qui est disponible – et pour conserver une liste sous la main pour mon usage personnel (les annonces de parutions sont vite englouties sur les sites spécialisés. Pour connaître l'ensemble des parutions, il faut donc parcourir les quatre playlists, ce qui est peut-être, grâce au nouveau classement qui les allège chacune, plus aisé.
D'autres disques marquants de ce début 2025 : des concertos pour trompette planants d'américains vivants, dans l'atmosphère plutôt que la virtuosité ; une version luxueuse (de Hys, Mauillon !) des Quatre saisons de Boismortier ; des concertos pour basson rares au tournant du XIXe siècle, dont une nouvelle version de l'incroyable Édouard du Puy (quelle œuvre, quelle vie ! – je préfère les atmosphères dramatiques de la version Sambeek-Ogrinthouk, cela dit) ; une version très généreuse du Deutsches Requiem de Brahms par Bergen & Gardner ; un concerto pour deux cors du dédicataire du meilleur Quatuor de Mozart ; la suite de la série Vranický chez Naxos ; une superbe version de l'intégrale Grigny ; une très belle prière suspendue d'Akhunov (façon Adagio de Barber) version pour quatuor et version pour orchestre à cordes ; enfin un Stabat Mater de Grandval, pas bien chantée, mais donnant à entendre une œuvre passionnante aux ambitions verdiennes assumées !
Si vous voulez effectuer votre propre relevé, deux sites :
→ Qobuz qui est éditorialisé, avec les nouveautés les plus vue d'abord (attention à bien sélectionner « toutes les nouveautés », je l'ai fait pour vous, et ensuite à aller chercher le « classique » dans le menu déroulant), mais qui est très incomplet.
→ Presto Music, qui est très complet et que je vous ai, de même calé avec les bons filtres pour voir apparaître immédiatement le flux des dernières (innombrables) nouveautés. [Merci à Frédérique Reibell qui m'a conseillé ce site salutaire !]
Hors nouveautés, je relève aussi, au fil de mes écoutes et réécoutes, mes coups de cœur (13 albums) pour des disques écoutés cette année mais qui ne viennent pas de paraître et les disques doudous (125 albums) qui me sont indispensables. Les lurkers et autres amis de la délation qui veulent surveiller ma consommation peuvent se reporter à cette liste de mes dernières écoutes (154 albums depuis le début de l'année, ce qui inclut tout de même les réécoutes d'un même album).
Par ailleurs, je poursuis la constitution de playlists thématiques. Dernièrement les œuvres utilisant des thèmes révolutionnaires ou les meilleurs concertos pour flûte, mais aussi des playlists retraçant l'histoire de l'opéra italien, de l'opéra français, du quatuor à cordes, de l'orgue, etc. Vous pouvez toutes les retrouver sur mon profil Spotify – tout cela est accessible sans prendre d'abonnement, bien sûr.
Je me suis rendu compte avec amusement que dans certaines pièces du
répertoire, je me suis forgé spontanément un certain nombre
d'hallucinations auditives.
La raison en est simple, et j'imagine que le phénomène doit donc être
partagé – n'hésitez pas à lâcher vos meilleurs exemples.
Dans certaines pièces du répertoire, découvertes assez tôt à une époque
où l'accès au texte n'était pas commode, si l'on n'achetait pas une
version CD avec un livret fourni (donc plutôt les versions les plus
chères, alors que je cherchais plutôt celles qui me plaisaient le
plus)… on devait se débrouiller à l'oreille. Et cela produisait
quelquefois des associations d'idées étranges avec des formules plus
familières.
On est assez proche de l'hallucination auditive ou du kakemphaton – ces
calembours plus ou moins involontaires produits par des liaisons
malheureuses (« Et le désir s'accroît quand l'effet se recule » version
Corneille, « Un homme tout nu marchait, l'habit à la main » version
Bobby Lapointe).
J'y ai repensé récemment en écoutant la dernière version discographie
du Requiem de Mozart, par Pichon, puis cette semaine la toute
nouvelle version Gardner du Requiem de Brahms. Et il peut être
divertissant de partager ces délicieuses naïvetés issues d'écoutes
ingénues.
Le faux Magnificat de Brahms
Comme vous le savez, Ein deutsches Requiem de Brahms ne
s'appuie pas sur le texte de la messe des morts latine, mais est
constitué d'un patchwork de textes sacrés hors de la liturgie :
extraits aussi bien de l'Ecclésiaste et de la Sagesse de Salomon
(absente du canon catholique), des Psaumes évidemment, que de livres
prophétiques tardifs (Ésaïe), des Psaumes, des Évangiles de Matthieu et
Jean, de textes apostoliques (Épîtres pauliniennes, Apocalypse). Ces
fragments sont juxtaposés à l'intérieur de chaque mouvement.
Dans le sixième, « Denn wir haben hie keine bleibende Statt » (« Car
nous n'avons pas de séjour permanent ici-bas »), tirée de l'Épître
[anonyme] aux Hébreux, on débouche soudain sur ces exclamations
qui promettent la résurrection, extraites de la Première Épître aux
Corinthiens de Paul :
Tod,
wo ist dein Stachel ! Hölle, wo ist dein Sieg !
c'est-à-dire :
Mort, où est ton
aiguillon ! Enfer,
où est ta victoire
!
On l'entend plutôt bien ici, par le chœur de la MDR (Radio de Leipzig)
avec David Zinman – je vous ai calé l'extrait.
Cependant, n'ayant appris l'allemand que plus tardivement, en débutant
par la poésie et le théâtre, mon oreille faisait plutôt sonner « dispersit » (« Il dispersa », en général une
punition divine du type Babel),
et le tuilage du chœur à ce moment-là correspond très bien à cette idée
de profusion et de disparité.
L'illusion fonctionne plutôt bien dans cet extrait de la superbe
version toute fraîche de la semaine dernière du Chœur Philharmonique de
Bergen avec Edward Gardner, voyez vous-même.
Outre les réponses en imitation assez comparables, je pense que mon
esprit a pu opérer ce parallèle en raison de l'usage figuratif de ce
verbe dispersit dans le Magnificat, souvent assorti de
figuralismes profusifs.
Dispersit superbos
mente cordis sui.
c'est-à-dire :
Il a dispersé les
orgueilleux pour les pensées de leur cœur.
Voyez par exemple la vision de Marc-Antoine Charpentier de ce verset
dans la glorieuse chaconne-Magnificat
H.73, une des pièces les plus irrésistibles du baroque français.
Le Requiem de
Mozart : l'orgie après la victoire
Principal point commun musical entre les mises en musique du Magnificat et des Requiem, les motifs fugués pour
signifier la pléthore de la descendance d'Abraham : « Sicut
locutus est ad patres nostros, Abraham et semini eius in saecula. » («
Ainsi fut-ce annoncé à nos Pères, Abraham et sa descendance »), dit le Magnificat. Dans l'Offertoire de la
messe de Requiem, dont le
texte est tiré non pas des Écritures mais d'un répons du IXe siècle, le
même épisode de généalogie abrahamique apparaît dans une syntaxe
différente :
Sed signifer sanctus
Michael repraesentet eas in lucem
sanctam. Quam
olim Abrahae promisisti, et
semini eius
c'est-à-dire :
Mais que le
porte-étendard saint Michel les introduise vers la
sainte lumière, comme
vous l'avez jadis promis à Abraham et sa
descendance.
Puis :
fac eas, Domine, de morte
transire ad vitam. Quam
olim Abrahae promisisti, et
semini eius
c'est-à-dire :
Fais-les, Seigneur, passer
de trépas à vie, comme
vous l'avez jadis promis à Abraham et sa
descendance.
(Traduction maison ; pour toute suspicion d'hérésie, veuillez vous
adresser au guichet dicasterepourladoctrinedelafoi@carnetsol.fr.)
À l'origine, dans le cadre du répons, la formule était formulée par le
chantre puis reprise par le choeur ou l'assemblée des fidèles.
Voici ce qu'en fait Mozart, de façon très solennelle et farouche,
presque sombre – le peuple de Dieu réclame son dû ! Dans la version Pichon parue à la fin de l'année dernière,
peut-être la meilleure version discographique que je connaisse.
Mais, vous le savez, ce Requiem
est énormément joué, et pas seulement par de beaux chœurs transparents
à la diction soignée, mais aussi par de vastes phalanges d'amateurs
moins aguerris à la technique du chant, ou au contraire de
professionnels aux voix très charpentées et couvertes ; l'école viennoise en particulier est
redoutable, avec des voyelles très arrondies assombries, des [i] émis
comme des [u] français, beaucoup de [eu] mêlé à toutes syllabes…
Et ce sont souvent les versions auxquelles on était confronté en
premier comme jeune mélomane : Karajan avec le Wiener Singverein, Böhm
avec le Wiener Staatsopernchor…
Et moi, sans avoir le texte sous les yeux, j'entendais un mélange
d'italien et de latin : « amor e
barbare promisisti », c'est-à-dire, peu ou prou, « tu nous
promis de l'amour et des femmes barbares », ce qui cadrait assez bien
avec la sombre vaillance de l'extrait. En réalité, en italien, ce
serait « amor e barbare promettesti », et en latin « amorem et barbaras
promisisti… », mais dans ma rêverie sonore, ce mélange étrange
s'imposait spontanément.
Laissez-vous porter par cette pensée dans cette
version où Solti dirige un chœur « de concert » issu de l'Opéra de
Vienne.
J'espère, estimés lecteurs, que cette promenade vous aura amusés. Je
suis curieux de vos propres hallucinations & kakemphatons dans ce
genre.
Quelqu'un (pas moi) s'est amusé à illustrer les lieux et espèces de la pièce « Le Merle bleu » du Catalogue d'Oiseaux de Messiaen. Je trouve que cela produit une réelle différence sur la perception de l'ensemble.
Cet aimable bac à sable accueille divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées en séries.
Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées.
N'hésitez pas à réclamer.