A la découverte de Pelléas & Mélisande de Debussy/Maeterlinck - IV - Balade dans l'oeuvre - Acte I, scène 1 (a)
Par DavidLeMarrec, dimanche 23 juillet 2006 à :: Autour de Pelléas et Mélisande :: #313 :: rss
A ce stade, après quelques menues explications sur la genèse de l'oeuvre, après quelques amusements autour des influences réelles ou fantasmées, reçues ou données par Pelléas, après enfin quelques clefs pour aborder ce livret, principal obstacle à l'appropriation de Pelléas, il est temps de se plonger dans l'oeuvre, et de la découvrir ou la scruter, pas à pas.
Nous reviendrons ensuite, à la lumière de ces études, sur certains principes : motifs symboliques, usage de scènes isolées, leitmotivs (?), part du réel dans Allemonde, déchirures de la symbolique.
Pour l'heure, place à l'oeuvre.
4. Balade dans l'oeuvre et étude de détail
Acte I, scène 1
Nous débutons le plus logiquement du monde par la scène 1 de l'acte I, juste après le prélude que nous avions proposé, dans le deuxième volet de la série. L'extrait se termine à la fin de l'interlude qui prépare la scène 2.
[Manifestement, le fichier est un peu lourd pour l'utilitaire, mais vous trouverez l'extrait précis à l'intérieur de l'article.]
Je vous place l'extrait qui correspond au commentaire du jour :
Nous nous trouvons dans une forêt, sans plus de précision, même pas un supposé costume de chasseur de Golaud, surtout pas.
(Le rideau ouvert on découvre Mélisande au bord d'une fontaine.
Entre Golaud.)GOLAUD
Je ne pourrai plus sortir de cette forêt !
Vous noterez la ligne en triolets des violoncelles, dans le grave, qui place d'emblée le personnage de Golaud sous le signe de l'agitation et de l'errance. Autre fait symptômatique, les renversements d'un même accord (ré bémol quinte augmentée) aux bois, rappellent la scène 2 de l'acte III, moment où les pulsions de mort de Golaud peinent à se maîtriser, ou les moments de détresse de Mélisande au II, 2.
La forêt. Tout au long de l'oeuvre, elle semble figurer l'âge et le côté inextricable de l'existence. Elle annonce le destin de Golaud, qui est un Oedipe nouveau, qui ne verra jamais clair, yeux ou pas. Cela participe du caractère de Golaud qui :
- hésite à tout moment ;
- ne discerne jamais la réalité de ce qui se passe, toujours à rebours ;
- dans ses stratégies de dévoilement se perd lui-même sans jamais rien trouver.
Voilà justement ce qui crée le caractère attachant de ce personnage, capable de porter la mort, mais fragile en tout instant. Commencer par le motif de la forêt, c'est placer l'oeuvre sous les auspices de l'inexplicable. Le spectateur est immédiatement prévenu : inutile de chercher des motivations rationnelles, inutile de penser qu'on peut imaginer un noeud d'intrigue à ces vies fugitives comme on le ferait dans une pièce de Scribe[1].
Dieu sait jusqu'où cette bête m'a mené.
Je croyais cependant l'avoir blessée à mort ; et voici dans traces de sang.
On poursuit le programme de l'oeuvre. La bête tient du côté impulsif de Golaud, qui le mène tout de même jusqu'au double meurtre. En toute circonstance, il apparaît sans recul possible sur la situation. La bête n'a pu être tuée, ce qui signifie à la fois qu'elle est irrépressible et qu'elle laisse ces marques indélébiles.
Mais maintenant, je l'ai perdue de vue, je crois que je me suis perdu moi-même,
et mes chiens ne me retrouvent plus.
... si bien que les chiens, image de l'ordre, de la docilité et de la sociabilité (également de la fidélité, ce qui n'est pas tout à fait anodin ici) sont éloignés sans retour. On ne reparle évidemment plus jamais d'eux, le but n'étant pas la vraisemblance : seul ou accompagné, Golaud est perdu dans la forêt, là est le point[2].
Le texte est tout à fait explicite, ici, sur le labyrinthe dans lequel s'égarent les personnages - surtout Golaud, entre ses pulsions meurtrières et sa recherche d'intelligibilité du réel (mais où est le réel dans Allemonde, grave question à laquelle il nous faudra répondre).
Les figures rythmiques aux cors et aux cordes peuvent à ce moment évoquer une chasse lointaine, mais elle est à ce point déformée qu'on peut douter du désir de la figurer - en tout cas du désir que les spectateurs y pensent, comme une suggestion infiniment lointaine.
Je vais revenir sur mes pas.
J'entends pleurer…
Oh ! Oh ! qu'y a-t-il là au bord de l'eau ?
Une petite fille qui pleure au bord de l'eau ?
(Il tousse.)
Revenir sur ses pas... Ce sera au contraire une avancée aveugle qui caractérise ce théâtre : les choses se réalisent, sont réalisées par soi, mais de là à dire pourquoi...
Golaud aperçoit Mélisande en pleurs au bord d'une fontaine[3].
Vous le voyez, d'emblée un programme nous est donné, et l'un des principaux moteurs de l'action, la position de Golaud, nous est expliqué d'une manière symbolique mais, pour le coup, assez explicite. C'est une habileté du dramaturge qui donne les clefs pour comprendre des allusions plus subtiles par la suite.
On découvre aussi dès à présent à l'orchestre des figures récurrentes dans l'oeuvre. Et ce côté quasiment athématique, fait de motifs à goûter au temps T et non de tensions et développements dans la durée - conception toute asiatique de la musique qui influença beaucoup nos contemporains, et pas seulement Takemitsu ! Le livret fonctionne aussi par scènes isolées, et c'est bien ce qui fait la saveur inimitable de Pelléas.
Suite au prochain épisode.
Crédits :
Sir Simon Rattle, Orchestre Philharmonique de Berlin, Salzbourg, 8 avril 2006 (euroradiodiffusion).
Par ordre d'apparition, José van Dam (Golaud), Angelika Kirchschlager (Mélisande).
Commentaires
1. Le lundi 24 juillet 2006 à , par vartan
2. Le lundi 24 juillet 2006 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 27 juillet 2006 à , par Bra :: site
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